Théorie de l’impôt (Proudhon)/Observations

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OBSERVATIONS

SUR


LE RAPPORT DE M. CHERBULIEZ




Le rapport sur le concours de Lausanne ayant été publié dans le Journal des Économistes, je ne crois pas manquer aux convenances en adressant à l’honorable rapporteur, M. Cherbuliez, professeur d’Économie politique à l’École fédérale de Zurich, quelques mots de réponse.

Déjà, sur l’autorité de ce rapport, sur ce qu’il dit et sur ce qu’il ne dit pas, la décision du jury vaudois a été, en certains lieux, révisée, mon travail, avant d’avoir vu le jour, jugé, condamné : tant, lorsqu’il s’agit de certains noms et de certaines idées, il y a de ferveur dans les jugements humains… À coup sûr, je ne prétends point ramener à l’opinion du jury vaudois des contradicteurs si puissants : est-ce que je me souviens seulement de ce qui s’est passé, il y a six mois, à Lausanne ? Ceux qui me connaissent savent fort bien que lorsque je me suis mêlé à ce débat, ce n’était pas précisément pour y disputer une couronne. Le procès de 1848 n’est pas vidé : j’ai voulu le remettre à l’ordre du jour.

1. M. Cherbuliez, après quelques mots d’éloge qu’il est toujours facile d’accorder à un auteur et qui n’engagent à rien, me reproche d’abord de n’avoir en Économie politique que des notions superficielles.

Le reproche n’est certes pas dénué de fondement. Mais à qui la faute ? Est-ce que la science économique est faite pour M. Cherbuliez ? Est-ce que lui, par hasard, se flatterait de la posséder ? En ce cas il rendrait au monde un signalé service, et sa gloire serait grande, s’il daignait révéler à ses contemporains ce qu’il en a appris. L’économie politique a-t-elle trouvé ses principes, ses définitions, sa méthode ? L’économie politique peut-elle se vanter d’avoir jusqu’ici démontré quoi que ce soit ? Peut-elle citer une suite de vérités positives, irréfragables, entrées dans la raison publique et dans le droit ? Non, l’économie politique, science promise, mais non pas encore science conquise, n’a rien, presque rien de ce qui constitue le savoir certain, le vrai savoir. Elle abonde en matériaux, elle fourmille d’hypothèses ; elle n’a pas encore produit ses théorèmes. On n’a pas même su en déterminer clairement l’objet, la circonscription, le caractère. Depuis un siècle, cette science s’élabore, et ce qu’on en a recueilli de plus clair jusqu’à ce jour, ce sont ses contradictions. M. Cherbuliez, par exemple, qui enseigne l’économie politique à la jeunesse, et qui juge d’assez haut les concours, serait-il en mesure de fournir seulement une définition du capital ? Je vais plus loin : M. Cherbuliez saurait-il nous dire si l’économie politique est ou n’est pas susceptible de définitions ? Oserait-il se prononcer pour oui ou pour non ? Si l’économie politique, comme la géométrie pratique, a des définitions, qu’il les donne ! Si elle n’en a pas et n’en peut avoir, qu’il veuille bien nous expliquer pourquoi ! Qu’est-ce qu’une science dont la certitude reposerait sur des indéfinissables ? Que M. Cherbuliez essaye de lever ce seul doute, et je ne crois pas trop m’aventurer que de le lui dire : La science est faite, qui plus est elle lui appartient.

Mais non, l’économie politique n’existe pas ; elle attend encore son premier instituteur. Rien de ce qu’on débite en son nom n’est marqué au coin d’une raison démonstrative : témoin le libre-échange, que personne encore n’a su ramener à une théorie rationnelle, exempte de contradiction, et dont la pratique produit en ce moment en France, à côté des souffrances les plus vives, des avantages plus que douteux ; témoin la division des industries, dont les inconvénients, de l’aveu des économistes, compensent, et au delà, les bénéfices ; témoin la question de population, qui depuis Malthus soulève la pudeur publique ; témoin la question de l’or, à propos de laquelle M. Chevalier a jeté dans le monde des affaires une panique ridicule ; témoin la propriété, dont il existe autant de théories que d’économistes, quot capita, tot sensus ; témoin la question de l’impôt, que le conseil d’État du canton de Vaud s’est vu dans la nécessité de mettre au concours, et sur laquelle M. Cherbuliez, nommé rapporteur, garde un silence profond. Était-ce le cas à lui de parler de notions superficielles ? Ah ! monsieur, du professeur à l’écolier, de l’académie au candidat, il n’y avait pas, croyez-moi, la distance de votre férule, et tout ce que nous pouvons, après nous être critiqués l’un l’autre, c’est de nous tendre modestement la main.

2. Après ce premier grief, qu’il eût été au moins prudent de laisser dans l’ombre, M. le Rapporteur en soulève un autre, presque aussi grave. Je cite ses paroles :

« Les chapitres où l’auteur expose l’origine et les développements successifs de la fiscalité révèlent chez lui ce « manque absolu de sens historique et cette inintelligence des nécessités gouvernementales qui caractérisent toujours, au moins en France, une certaine école de penseurs. Il ne voit dans l’ancien régime, c’est-à-dire dans tout ce qui a existé avant la révolution de 1789, qu’un continuel abus de la force brutale, s’abritant sous un prétendu droit divin ; une exploitation intentionnelle des classes inférieures, une domination sans responsabilité, produisant des misères sans compensation, dénuée par conséquent de toute grandeur, de toute influence morale, de toute mission providentielle, de tout ce qui explique et justifie, aux yeux de l’historien philosophe, ces stages de laborieuse éclosion. Par une étrange inconséquence, l’auteur affirme que l’exploitation de l’homme s’est perpétuée depuis et malgré la révolution, et qu’elle se pratique maintenant plus que jamais, ce qui aurait dû l’amener à reconnaître que les abus dont il se plaint n’étaient pas les effets de l’ancien régime. »

Si je me montre plus sensible à ce reproche que je ne l’ai été au précédent, c’est qu’il me prête une manière de concevoir l’histoire et des sentiments que mon ouvrage dément d’un bout à l’autre. Il est possible que j’incline à me méfier des nécessités gouvernementales, et que je montre quelque promptitude à accuser les missionnaires de la Providence. M. Cherbuliez est de l’école genevoise ; comme la plupart de ses savants compatriotes, il a une prédisposition à défendre et à justifier les actes du pouvoir, à exagérer les nécessités gouvernementales. Ne pourrais-je pas à mon tour l’accuser de sacrifier le sens pratique au sens historique ; de s’attacher trop fortement aux conditions générales qui, après avoir motivé la formation des États, servent ensuite de prétextes à l’absolutisme des gouvernements ; de faire ainsi trop bon marché de l’écrasement des masses et des douleurs populaires ? Ma critique vaudrait la sienne, et, les reproches compensés, resterait à trouver entre nous la pure vérité. Sortons donc des appréciations personnelles, et tâchons de voir les faits tels qu’ils sont, en philosophes humains.

Il n’entre pas sans doute dans la pensée de M. Cherbuliez de justifier l’esclavage, et je n’en veux pas plus que lui. J’ai pourtant osé dire, et je l’ai dit pour l’honneur de la conscience humaine et pour la providentialité de l’histoire, j’ai dit que la raison supérieure, historique et philosophique, de l’esclavage, avait été la nécessité de contraindre l’homme au travail ; qu’une des formes de cette servitude avait été l’établissement des tributs, nom primitif et caractéristique de l’impôt. J’aurais pu ajouter que telle est pour l’ordre social, pour l’éducation de l’humanité et la félicité à venir des peuples, l’importance du travail et du rassemblement des familles en corps d’État, que cette contrainte a pu et dû, à une certaine époque, être considérée comme légitime, et donner lieu à une sorte de droit. Était-il possible d’accorder davantage à la philosophie de l’histoire et à la raison d’État ? Quant à l’impôt, dont l’étymologie témoigne de la pensée d’asservissement qui présida à son institution, et qui jusqu’à la Révolution française eut pour complément et pour auxiliaire la mainmorte, la corvée, et tout l’attirail des droits féodaux, il est évident qu’il servit à marquer la longue transition entre l’esclavage antique et le droit public moderne, où l’on ne le considère plus que comme la part proportionnelle incombant à chacun dans les services publics. Il n’y a pas, à ce double point de vue de l’esclavage et de l’impôt, d’autre enseignement à tirer de l’histoire : car je compte pour rien les considérations de bonne foi et de philanthropie intentionnelle alléguées en faveur des princes et de leurs suppôts. Que M. Cherbuliez consulte sa conscience, et je m’assure qu’il n’y trouvera rien de plus. Que signifie donc le reproche qu’il m’adresse, d’inculper les intentions du pouvoir, et de méconnaître les lois de la politique et du progrès ? Avais-je besoin de ressasser ces vieilles excuses du despotisme, tandis que j’aurais couru d’un pied léger sur les misères des masses ? J’ai écrit mon livre pour le peuple, je l’avoue, non pour les académiciens et les hommes d’État ; je tenais à exciter le zèle de la justice beaucoup plus que le respect des nécessités gouvernementales, dont on a trop abusé. De là ces jugements que M. le Rapporteur trouve passionnés, et qui ne sont que des arguments ad homines ; de là ce style parfois âpre, mais le seul qui convienne, à mon avis, au temps où nous sommes.

Ceci entendu, je dis et je soutiens que l’histoire de l’impôt se divise, comme celle du droit, en deux grandes périodes : l’une que je désigne par le mot Droit divin, compris en France de tout le monde, et qui s’étend depuis les origines de l’histoire jusqu’à l’année 1789 ; l’autre que j’appelle période de Liberté, ou de Droit humain, et qui date de la Révolution. Et quand j’ajoute que cette révolution du droit, accomplie, quant à ce qui est de l’impôt, dans les principes, ne l’est point du tout dans l’application, je ne vois pas en quoi cette assertion est contradictoire, et je ne puis attribuer qu’à une lecture distraite ce que dit ici l’honorable Rapporteur. Oui, la législation a été changée en ce qui concerne l’impôt, et le droit radicalement transformé depuis 1789 ; mais je nie en même temps que la pratique ait suivi la théorie. Les principes sont nouveaux, le régime d’un autre âge : si la contradiction doit être reprochée à quelqu’un, ce n’est pas à moi qui la constate, c’est aux différents pouvoirs qui se sont succédé depuis la Révolution, et qui certes n’ont plus à faire valoir la même excuse que leurs prédécesseurs.

3. M. Cherbuliez regrette l’amertume de mes critiques. — « Les critiques de l’auteur, » dit-il en parlant de mon mémoire, « sont toujours amères, souvent haineuses, et par conséquent injustes. Si tout était mauvais sous le régime de publicité et de responsabilité qui a existé, qui existe même encore en France, à l’égard du fisc et de ses agents, ne faudrait-il pas renoncer à obtenir jamais un état de choses tolérable ? Comment l’auteur n’a-t-il pas senti que ces exagérations où se manifestent tant de haines irréfléchies et tant d’aveugles préventions, ôteraient toute valeur et toute autorité à cette partie de son mémoire ? »

M. le professeur d’économie politique parle ici d’après son tempérament. D’autres ont trouvé le ton de mon mémoire aussi calme qu’impartial. Pour lui, il habite la région sereine des idées : ni la clameur des masses, ni les menaces de la tyrannie, ni les fureurs des partis n’arrivent jusqu’à lui. Je l’en félicite, sans lui porter la moindre envie. Mais comment ne voit-il pas que toute conquête de la Justice est le prix d’une lutte, et qu’un peu de véhémence ne messied point à l’écrivain armé pour cette cause ? Est-ce que la seule raison touche le pouvoir ? Est-ce qu’elle émeut le privilége ? Est-ce qu’elle suffit pour entraîner les sages eux-mêmes ? Quand a-t-on vu les abus se réformer, l’usure se restreindre, le despotisme abdiquer, sur le simple avis d’un conseil académique ou d’une consultation de jurisconsultes ? Jamais la plainte du peuple n’est écoutée, si elle n’est accompagnée de grincements de dents. Je souhaite à M. Cherbuliez de n’avoir jamais à se mêler de révolution. Son flegme ferait de lui le plus implacable des tribuns. Le plus méchant des animaux, dit-on, ce n’est ni le tigre, ni la hyène, ni la vipère ; c’est le mouton atteint de la rage. Ah ! de grâce, monsieur le Rapporteur, ne plaidez pas les circonstances atténuantes en faveur de l’ancien régime. Nous ne sommes pas encore échappés de ses griffes, et, s’il remontait jusqu’à vous, vous ne pourriez pas répondre de votre plume.

4. Abordant le fond de ma théorie, M. Cherbuliez affecte de ne pas comprendre l’opposition établie par moi entre la Liberté et l’État. « La liberté, dit-il, n’est pas une puissance ni un être moral luttant contre l’État. » — Pardon, monsieur le Rapporteur, la liberté est une puissance et un être moral au même titre que l’État : c’est ce dont vous ne douteriez pas, si vous réfléchissiez que cet État, que vous adorez, n’est pas lui-même autre chose que la liberté collective, en rapport, tantôt de suprématie, tantôt d’infériorité, tantôt d’équilibre avec la liberté individuelle.

5. M. Cherbuliez n’admet pas la définition que j’ai donnée de l’impôt, savoir qu’il est un échange. Alors j’ai le droit de dire que M. Cherbuliez, tout en admettant, dans les mots, le principe de l’égalité et de la proportionnalité de l’impôt, ne se soucie point d’en opérer dans la pratique la péréquation ; comme MM. de Parieu, Thiers et autres, il veut qu’on en reste au statu quo. Quant à moi, c’est justement en vue de la pratique que j’ai posé ma définition, hors de laquelle il est impossible d’introduire le droit dans les affaires fiscales et d’avoir raison du gouvernement.

« L’échange, dit M. Cherbuliez, est une convention résultant de l’accord libre de deux volontés ; tandis que l’impôt est pour le contribuable une loi à laquelle il doit, bon gré, mal gré, se soumettre. »

Pur sophisme. L’échange est une convention, je l’accorde ; mais cela l’empêche-t-il d’être aussi une nécessité, une loi, par conséquent, à laquelle le producteur est forcé bon gré, mal gré, de se soumettre ? Il en est ainsi de l’impôt : c’est aussi, depuis 1789, une convention ; ce n’était auparavant qu’une nécessité.

6. M. Cherbuliez paraît regretter que je n’aie pas donné plus d’importance au phénomène de la dévolution, ou répercussion, ou diffusion de l’impôt. C’est ce qu’il qualifie d’erreur économique. Mais, en vérité, qu’avais-je à faire de suivre cette dévolution dans tous ses zigzags, une fois qu’il a été démontré, et cela par tous les économistes, que l’impôt, soit qu’il pèse réellement et exclusivement sur celui qui en fait le versement, soit qu’il rejaillisse sur un tiers, soit qu’il se répartisse sur la masse, toutes choses que je crois avoir suffisamment indiquées, est injuste. M. Cherbuliez aurait-il pour la dévolution de l’impôt l’admiration de MM. de Parieu et Thiers ? On le devrait croire, s’il fallait prendre au sérieux les lignes suivantes de son rapport :

« Quant aux consommateurs, ce sont les nécessiteux qui échappent le plus sûrement à la charge de l’impôt. Ils y échappent précisément parce qu’ils sont nécessiteux, c’est-à-dire parce que le revenu dont ils vivent ne peut supporter aucune diminution. »

Exactement la pensée de M. Thiers (voir plus haut les notes (F) et (Q), pages 350 et 375). Mais d’abord M. Cherbuliez commet lui-même la plus grossière des erreurs, en prenant au pied de la lettre, à l’exemple de M. Thiers, les mots impôts sur la consommation. Pour être correct, il faut dire impôt sur le produit, ce qui rend d’une évidence immédiate cette vérité que le contribuable, si fort consommateur soit-il, qui ne produit rien, ne paye rien. D’autre part, et puisqu’on aime tant à parler de dévolution, comment M. Cherbuliez ne voit-il pas que le travail a sa dévolution aussi bien que l’impôt, de telle sorte que, par la mutualité des services et la solidarité des industries, chaque travailleur concourt au produit collectif, et que celui qui taille la pierre, forge le fer, tisse la laine ou le coton, peut se vanter en même temps d’avoir labouré, semé, taillé la vigne, fauché la prairie, extrait le minerai, etc. ? La conséquence est que les travailleurs étant solidaires pour la production le sont également pour l’impôt ; que comme ils produisent tout ils payent tout, tandis que le riche oisif qui ne produit rien ne paye rien. Voilà ce que, considérée sous toutes les faces, signifie la loi de dévolution. Ce sont de ces choses qu’on ne devrait pas avoir besoin de rappeler à un professeur. Malheureusement, les professeurs sont comme l’équité dans l’impôt, des êtres de raison, très-savants, très-érudits, sages, modérés, à l’abri de toute aigreur et de tout emportement. Seulement, il leur arrive assez fréquemment de ne voir qu’une partie des faits, ce qui fait trébucher leur judiciaire.

7. M. Cherbuliez prétend que l’impôt sur la rente foncière, dont j’ai fait le pivot de ma réforme, n’est autre chose que l’impôt foncier. — Je soutiens que l’impôt sur la rente foncière n’est pas la même chose que l’impôt foncier.

8. J’aurais, selon mon scrupuleux Rapporteur, commis une inexactitude en ne distinguant pas les profits du fermier de la rente du propriétaire. Mais cette distinction n’a rien de scientifique : ce n’est pas autre chose qu’un partage, entre le fermier et le propriétaire, de ce que l’on entend par rente, partage dont je n’avais pas, dans une théorie de l’impôt, à m’occuper. Est-ce que le fisc, en faisant le décompte du produit net, ne saura pas comprendre, sous ce terme, et la rente proprement dite et le profit ? Est-ce que, si le fermier gagnait plus que le propriétaire, il ne devrait pas être réputé le vrai rentier, et l’impôt fixé en conséquence ?

Je crois avoir satisfait à toutes les critiques. Me sera-t-il permis à présent de demander à mon honorable Rapporteur pourquoi il n’a pas jugé à propos de dire un seul mot, ni en bien, ni en mal, de la partie principale de mon mémoire, de cette Synthèse économique, car c’est ainsi que je la nomme, au moyen de laquelle je propose de rétablir la justice dans l’impôt, de le rendre à l’avenir aussi léger, aussi égal, aussi fécond qu’il a été jusqu’à présent onéreux, absorbant et inique ? Que pense M. Cherbuliez de mon procédé d’équilibration fiscale ? Le silence d’un professeur d’économie politique, jouissant d’une aussi grande autorité, a ici de quoi surprendre. Il donne lieu de penser que si M. Cherbuliez me refuse son adhésion, il n’a lui-même rien à proposer. La science qu’il enseigne aux autres ne lui aurait donc rien appris. Elle ne lui fournit ni de quoi faire mieux, ni de quoi faire autrement. Supposons que M. Cherbuliez, appelé, comme professeur fédéral, à rédiger et motiver la décision du jury, à distribuer la louange et le blâme, ait été invité à proposer lui-même une solution du problème : qu’aurait-il répondu ? Quelle est la théorie des économistes de l’école officielle, conservatrice, modérée, en matière d’impôt ? J’ai le droit de poser la question, et le public celui d’exiger une réponse.

En résumé, l’auteur du rapport sur le concours de Lausanne, appréciant le mémoire no 39, qui est le mien, a dit tout ce qu’il fallait pour prouver que ce mémoire n’était pas digne de la récompense qui lui a été décernée ; il n’a rien dit des motifs qui la lui avaient fait obtenir. Ce mémoire, il faut en convenir, parlait avec une médiocre estime de la secte des économistes ; je suppose, peut-être à tort, que M. le Rapporteur a voulu rendre à l’auteur, un adversaire inconnu, la monnaie de sa pièce : partant quittes. J’ai eu l’occasion de connaître, dans ma vie de publiciste, plusieurs économistes fort honnêtes gens, excellents citoyens, zélateurs de la science et de la vérité, qui plus d’une fois m’ont donné de précieux témoignages d’estime, et auxquels j’ai toujours tenu à grand honneur de faire la guerre. Je n’ai pas besoin de dire que je pense tout le bien possible de l’honorable professeur de Zurich : son nom et ses écrits sont connus du public. Mais je serais heureux qu’il pût se convaincre un jour qu’il y a dans tout ce que j’écris un peu plus de réflexion et beaucoup moins de tempérament qu’il ne suppose.


fin