Théorie de la feuille

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Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31, 32 et 33Bibliothèque universelle et revue suisse (p. 32-64).

THÉORIE DE LA FEUILLE

PAR


L’organogénie de la feuille a été étudiée avec beau coup de soins dans ces dernières années, et, après une longue discussion, on est parvenu à se mettre d’accord sur les points suivants qui résument, ce me semble, tout le débat :

1o  Toute feuille de phanérogame commence sous la forme d’une saillie cellulaire dont la base embrasse une portion de la tige proportionnelle à l’espace qui formera plus tard l’insertion de la feuille. Ainsi les feuilles dont la gaîne enveloppe l’axe de toutes parts (Platanus occidentalis), commencent par une saillie annulaire entourant cet axe de toutes parts. Il en est de même de certaines feuilles opposées et engaînantes qui apparaissent aussi simultanément sous forme d’une seule saillie annulaire (Galium). Les plus forts grossissements du microscope ne montrent qu’une structure parfaitement homogène dans cette saillie qu’on nomme la Feuille primordiale.

2o  C’est de la feuille primordiale que naissent toutes les parties qui constituent la feuille adulte.

3o  Ces diverses parties apparaissent successivement. Les premières formées, qu’on appelle parties du premier ordre, naissent directement sur la feuille primordiale, d’autres, dites du deuxième ordre, naissent sur ces premières, et ainsi de suite.

4o  Les parties du même ordre se forment tantôt de bas en haut, tantôt de haut en bas. En outre la formation des parties d’un même ordre peut avoir lieu dans le même sens ou en sens inverse de celle des parties de l’ordre précédent.

5° La feuille primordiale peut produire des appendices, non-seulement sur ses bords latéraux (limbes, folioles, stipules), mais aussi sur sa face postérieure[1] (stipelles, bords, ailes de pétioles).

6° En général les appendices de la face postérieure naissent après ceux des côtés,

Tel est le résumé très-succinct des beaux travaux de MM. Steinheil, Tréeul, Nægeli, Schacht, Eichler.

On voit que la théorie d’après laquelle la feuille se développerait uniquement de haut en bas, théorie soutenue surtout par Schleiden, est aujourd’hui complétement abandonnée.

On est aussi arrivé à reconnaître que les stipules ne sont que des appendices de la feuille primordiale et nulle ment des produits directs de la tige elle-même.

Le développement successif des parties de la feuille les unes sur les autres, et souvent dans un sens basifuge, a dû porter, et a en effet porté, les organogénistes à comparer celle-ci à un rameau. Ils ont été conduits ainsi à considérer la feuille comme un rameau à végétation limitée. Cette définition a cependant l’inconvénient de ne tenir aucun compte ni de ce que tant de feuilles ne semblent avoir d’appendices que sur leurs bords latéraux, ni de ce que ces appendices naissent souvent de haut en bas, tandis que les feuilles du rameau se développent toujours de bas en haut. Aussi n’a-t-on guère insisté sur cette manière de concevoir la feuille, dont tous les essais de définition sont jusqu’ici restés infructueux.

Une étude récente des feuilles des Piperacées m’ayant conduit à envisager le mode de disposition et de développement de leurs faisceaux fibro-vasculaires, je me suis vu ramené, par un sentier différent, à cette grande question de la véritable nature de la feuille[2]. La structure intérieure de certaines feuilles de Piperacées m’a paru re présenter tout à fait celle d’un rameau dont la moitié postérieure serait atrophiée. J’ai eu, en effet, l’occasion d’observer plusieurs cas dans lesquels la formation fibro-vasculaire, ordinairement limitée à la moitié antérieure de la feuille, se continuait dans toute la région postérieure sous la forme de faisceaux de collenchyme identiques à ceux qui accompagnent chaque faisceau ligneux de la région antérieure (P. sidefolium L.). Cette observation, suggérant la possibilité d’une formation de faisceaux ligneux dans tout le pourtour d’un limbe, m’avait naturellement reporté à la comparaison de la feuille et du rameau, et je m’étais hasardé à définir celle-ci comme un rameau à face postérieure atrophiée. Cette hypothèse avait besoin cependant d’être justifiée par des faits plus variés que ceux que peut offrir une seule famille de plantes ; aussi me suis-je appliqué à continuer l’étude de la répartition des faisceaux ligneux dans des feuilles aussi diverses que possible. Il s’en faut, sans doute, de beaucoup que la tâche que je me suis imposée ait été entièrement remplie, mais comme les premiers résultats obtenus me semblent offrir un certain intérêt, il ne paraît pas inopportun d’attirer dès aujourd’hui l’attention des botanistes sur cette phase nouvelle de la théorie de la feuille.

De même que la naissance de chaque feuille primordiale sur le cône terminal du rameau est suivie de la formation de faisceaux correspondants dans ce dernier, de même la naissance de chaque partie d’une feuille sur la partie d’ordre précédent est suivie de la formation de faisceaux correspondants dans cette dernière. L’analogie de la feuille et du rameau serait donc établie si on prouvait que les faisceaux de deux parties foliaires nées l’une sur l’autre sont disposés entre eux de la même manière que ceux de la feuille primordiale et du rameau le sont entre eux. Connaître à fond la structure fibro-vasculaire de chaque feuille, tel a donc dû être le but de tous mes efforts.

Comme la discussion complète des nombreux faits que j’ai constatés sur ce terrain nouveau, exigerait la rédaction d’un mémoire étendu et accompagné de planches détaillées, je vais essayer de résumer ici brièvement les principaux résultats de mon travail, en me bornant à signaler quelques-unes des observations qui leur servent de base.

La méthode que j’ai suivie a toujours consisté à déterminer la marche des faisceaux de chaque feuille, au moyen de coupes nombreuses opérées en tous sens. On arrive ainsi à se faire une idée nette du plan du système fibro-vasculaire d’un bout à l’autre de la feuille. Il faut avoir soin d’examiner chaque coupe au microscope et sous un assez fort grossissement, car il arrive souvent que ce qui, à première vue, semble n’être qu’un seul et même faisceau, est en réalité une agglomération de faisceaux distincts.

Notons d’abord un fait que j’ai pu vérifier par une foule d’exemples : La feuille est toujours pourvue de faisceaux corticaux situés en face des faisceaux ligneux et formés de collenchyme. Comme ces faisceaux de collenchyme suivent la même marche que les faisceaux ligneux, il suffit de décrire celle de ces derniers pour donner une idée complète du système fibro-vasculaire tout entier. Aussi est-ce presque uniquement des faisceaux ligneux qu’il sera question dans ce qui va suivre.

On sait déjà depuis longtemps que ceux des faisceaux foliaires qui naissent les premiers, sont communs, à la fois, à la feuille et à la tige, et se prolongent directement de l’une dans l’autre. On sait aussi que ces premiers faisceaux naissent dans un ordre tel que celui qui, dans le pétiole, correspond à l’arête de la nervure médiane se forme le premier, et que les autres apparaissent successivement d’avant en arrière, en sorte que les derniers formés sont les plus rapprochés de la face postérieure de la feuille. Cette loi ne paraît pas subir d’exception, et j’ai eu l’occasion de la vérifier sur plusieurs espèces (en particulier dans le Pterocarya fraxinifolia). Le plus souvent la formation de ces faisceaux s’arrête avant d’avoir atteint la région postérieure, et alors la section transversale de la feuille ne présente qu’un arc de faisceaux plus ou moins grand (pl. I, fig. 1). Il arrive cependant aussi que la formation ligneuse se continue dans tout le pourtour de la feuille, soit dans le limbe, soit dans le pétiole. La section transversale du limbe prouve alors qu’il existe des faisceaux ligneux sur ses deux faces, et celle du pétiole présente un cercle ligneux identique à celui de la tige. Les feuilles de cette espèce sont, en quelque sorte, de véritables rameaux, plus ou moins aplatis et privés de bourgeon terminal (Acer pseudo-Platanus, Platanoides, Populus nigra, etc.).

Les feuilles d’Acer pseudo-Platanus (pl. I, fig. 15-18) et de Populus nigra (pl. I, fig. 12, 13, 14, 19) sont les exemples les plus parfaits que je connaisse de feuilles à système fibro-vasculaire complet. Non-seulement la formation du tissu ligneux se propage sur tout leur pourtour, mais le parenchyme de leurs deux moitiés, postérieure et antérieure, se développe si également en longueur que leur limbe semble résulter d’une simple expansion latérale des tissus. Chez le Populus nigra, la perfection est même si complète qu’il existe des faisceaux ligneux des ordres les plus élevés sur la face postérieure, tandis que dans l’Acer on n’y trouve que des faisceaux primaires secondaires et tertiaires, ceux des ordres ultérieurs n’étant plus représentés que par le collenchyme correspondant.

On connaissait déjà beaucoup de feuilles cylindriques dont les faisceaux sont répartis également de toutes parts, mais aucun auteur ne me paraît avoir signalé le fait que les limbes planes, tels que ceux de l’érable et du peuplier, présentent le même mode de structure. Les feuilles peltées doivent aussi être rangées dans la même catégorie. Leurs faisceaux sont répartis également dans le pourtour du pétiole, d’où ils divergent dans le limbe. Cette structure confirme d’ailleurs les observations des organogénistes, qui soutiennent que le limbe des feuilles peltées se forme dans un plan perpendiculaire à la longueur de la feuille primordiale. La feuille des acérinées présente encore une autre particularité qui mérite d’être relevée. Si l’on suit, en effet, la marche des faisceaux communs de cette feuille, depuis le sommet du limbe jusque dans la tige, on trouve que chaque faisceau de la face postérieure, arrivé dans la région mince de la feuille (gaîne), s’applique contre le faisceau opposé de la face antérieure, avec lequel il chemine jusque dans la tige. Il en résulte que, vers l’insertion, les faisceaux sont en quelque sorte doubles. Leur section transversale, dans cette région, présente donc une masse de trachées placée entre deux couches de cambium dont l’une est tournée vers la tige et l’autre vers l’observateur.

Or il existe plusieurs feuilles (Protea cynaroides, Viscum album, pl. II, fig. 20) dont tous les faisceaux sont revêtus de cambium sur leurs deux faces et cela dans tout leur parcours, depuis la tige jusqu’aux bords du limbe. Par analogie avec ce qui a lieu dans les gaînes des Acérinées, il me semble que les feuilles dont les faisceaux sont ainsi doubles dans toute leur étendue doivent être considérées comme des feuilles à système fibro-vasculaire complet de toutes parts. Cette conclusion est, du reste, justifiée par le fait qu’on trouve chez les Protéacées tous les degrés intermédiaires entre la feuille cylindrique et celle à faisceaux doubles.

Les phyllodes de certains acacias sont aussi des feuilles à système fibro-vasculaire complet, ainsi qu’on peut facilement s’en assurer en jetant un coup d’œil sur leur section transversale (pl. I, fig. 4).

Dans la très-grande majorité des feuilles non peltées, la région postérieure du limbe est entièrement dépourvue de faisceaux ligneux et souvent même de collenchyme. Cette absence du système fibro-vasculaire postérieur est souvent tout aussi marquée dans le pétiole, dont la section transversale n’offre qu’un arc de faisceaux. Dans un grand nombre de cas, cependant, le pétiole renferme des faisceaux dans tout son pourtour, même lorsqu’ils manquent dans la région postérieure du limbe. En examinant alors avec soin la structure de la base de celui-ci, on constate que les faisceaux postérieurs du pétiole correspondent à un bourrelet presque imperceptible qui complète le limbe du côté postérieur (Saururus cernuus et Saxifraga ligulata, pl. II, fig. 15 b). Ce bourrelet prend souvent assez de développement pour donner à la feuille une forme d’entonnoir (pl. II, fig. 14), ou même pour la rendre peltée. C’est ainsi qu’on peut s’expliquer les nombreuses transitions si souvent observées sur un même pied entre la forme plane et la forme peltée.

On peut déjà voir, par ce qui précède, à quel point les données de l’organogénie des parties extérieures se trouvent confirmées et complétées par l’observation de la structure interne des feuilles. Cette structure interne nous fournit les éléments qui manquaient pour ramener les formes les plus diverses à un type commun. On aperçoit enfin, et on prévoit tous les passages possibles entre les feuilles cylindriques, les feuilles peltées et celles à limbe plat.

Ainsi que je l’ai rappelé plus haut, les premiers faisceaux de la feuille naissent successivement d’avant en arrière. Il est rare que ces premiers faisceaux soient seuls communs à la feuille et à la tige. En général, il se pro duit un grand nombre d’autres faisceaux communs, qui apparaissent successivement et forment plusieurs rangs concentriques. On peut constater facilement par la section transversale de jeunes pétioles (pl. I, fig. 3 ; pl. II, fig. 11, 12, 13), que chaque nouveau rang de faisceaux communs se forme en dedans du précédent. Les faisceaux de tous ces rangs sont alternes entre eux, de telle sorte qu’ils tendent à s’intercaler entre ceux du premier, avec lequel ils finissent par ne plus former qu’un seul et même rang, lorsque l’accroissement du pétiole les a tous re poussés vers la périphérie. Dans beaucoup de feuilles, l’apparition des faisceaux est précédée de la formation d’un anneau de cambium (juglandées et autres), dans lequel ceux-ci se forment par intercalation successive, comme dans une tige. L’anneau, qui résulte de la jonction des premiers faisceaux de cambium, se forme suivant la loi ordinaire d’avant en arrière. Cette loi, qui régit le plus souvent l’apparition successive des faisceaux des deux ou trois premiers rangs (Aralia digitata), ne semble pas devoir régler toujours la formation des rangs subséquents, car elle pourrait se trouver en contradiction avec le développement basipète de beaucoup de nervures secondaires et tertiaires.

Il est vrai que les nervures, en apparence de même ordre, ne sont pas toujours formées de faisceaux de même rang. Ainsi, dans le Piper amplum, j’ai constaté que certaines nervures secondaires naissent tardivement et s’intercalent entre les premières formées[3]. Ces nervures secondaires subséquentes font partie d’un rang de faisceaux plus intérieur que celui des autres. Il pourrait donc bien arriver que des nervures en apparence de même ordre et formées de haut en bas (c’est-à-dire parallèles entre elles et aboutissant à une même nervure inférieure) fissent en réalité partie de plusieurs rangs différents de faisceaux concentriques tous formés d’avant en arrière. Néanmoins, mes observations ne sont pas encore assez nombreuses pour me permettre une affirmation à cet égard. La seule chose certaine, c’est la répartition de tous les faisceaux de la jeune feuille en plusieurs rangs emboîtés les uns dans les autres. À mesure que le parenchyme s’étale dans le limbe ou s’épaissit dans le pétiole, ces rangs se rapprochent les uns des autres et finissent même par se confondre. Il existe cependant beaucoup de limbes charnus dans lesquels la répartition des faisceaux par rangs concentriques est toujours visible (Saxifraga crassifolia, ligulata, pl. II, fig. 11, 12, 13). Enfin les derniers faisceaux communs se forment souvent fort longtemps après les premiers, et constituent dans le pétiole un rang bien manifestement inférieur (Aralia digitata, pl. II, fig. 16).

Toute feuille renferme donc un système ligneux composé de faisceaux répartis sur plusieurs rangs (concentriques dans les jeunes feuilles), occupant une plus ou moins grande étendue de son pourtour, et tous orientés de telle sorte que leur cambium est tourné vers la périphérie de la feuille. Je désignerai ce premier système sous le nom de système essentiel, pour le distinguer de formations différentes dont il sera question plus loin.

Dans la grande majorité des cas, le système essentiel est continu, c’est-à-dire que ses faisceaux communs par courent toute l’étendue de la feuille du sommet du limbe à la tige. Il arrive cependant aussi que le système essentiel est interrompu de distance en distance par des nœuds dans lesquels se produit une anastomose générale de tous les faisceaux, dont aucun ne parcourt toute l’étendue de la feuille.

Ces anastomoses des nœuds proviennent, comme celles du réseau des nervures du limbe, d’une formation subséquente de faisceaux plus intérieurs, plus courts et qui réunissent les faisceaux communs primitivement indépendants. Quand on dit d’une feuille qu’elle a ou qu’elle n’a pas de nœuds, cela doit donc s’entendre de cette feuille arrivée à son complet développement. La présence ou l’absence de nœuds paraîtront, sans doute, des circonstances assez importantes pour servir de base à une classification systématique des feuilles, et motiver l’emploi de quelques termes nouveaux destinés à abréger les descriptions. On pourra, par exemple, appeler feuilles monomères celles que leurs faisceaux communs parcourent tout entières depuis les bords du limbe jusque dans la tige, ou celles qui se terminent par un nœud au-dessous duquel les faisceaux communs deviennent parfaitement distincts jusque dans la tige. On appellera, au contraire, feuilles polymères celles dont les faisceaux s’anastomosent tous une ou plusieurs fois entre les extrémités de la feuille. On donnera aussi le nom de mériphylle à toute portion de feuille comprise entre deux nœuds. Les polymères seront dites dimères, trimères… etc., suivant qu’elles se composeront de deux, trois… etc. mériphylles ; elles seront uniaxifères, biaxifères… etc., multiaxifères suivant que leurs mériphylles se suivront le long d’un seul axe ou suivant que cet axe sera lui-même ramifié deux, trois, plusieurs fois. Voici, du reste, quelques exemples qui fixeront mieux les idées.

Feuilles monomères.

Mimosa pseudo-Acacia. Pisum sativum. Phaseolus vulgaris. Astragalus Cicer, Biserula Pelecinus. Inga ferruginea. Cytisus Laburnum. Coronilla Emerus. Sanguisorba tenuifolia. Sorbus Aucuparia, Spiræa Ulmaria, Dictamus Fraxinella, Læa sambucina, Tilia glabra, Tilia micro phylla, Juglandées, Myricées, Cupulifères, Carpinées, Salicinées, Betulacées, Populus, Hedera helix, Viscum album, Protea cynaroides, Grevillea robusta, Myrtus com munis, Saxifraga crassifolia, ligulata.

De cette première énumération ressortent déjà deux faits importants. On voit d’abord qu’une foule de feuilles articulées sont, en réalité, privées de nœud. L’articulation n’est donc point le signe infaillible de la présence d’une anastomose des faisceaux. On voit aussi que le passage, souvent si tranché, de la forme cylindrique du pétiole à la forme plane du limbe ne correspond, la plupart du temps, à aucune différence de structure, car les faisceaux communs sont continus de l’une de ces parties dans l’autre. On devra donc renoncer à considérer le pétiole et le limbe comme des organes différents. On concevra ainsi qu’il puisse exister et qu’il existe, en effet, entre ces deux régions toutes les gradations de formes imaginables, et on ne verra plus de différence essentielle entre une feuille pétiolée et une feuille sessile.

Feuilles dimères.

Acerinées (nœud à la base du pétiole). Beaucoup de Bégoniacées (nœud au sommet du pétiole). Piperacées.

Feuilles trimères.

Ricinus communis (nœud à la base et au sommet du pétiole), Tropæolum majus (id.), Aralia digitata (id.), Aralia Sieboldii ( id.).

Feuilles polymères multiaxifères.

Thalictrum aquilægiæfolium, Aralia japonica Thunb., Ombellifères.

Ces quelques exemples font bien saisir toute la ressemblance de la feuille avec le rameau. On voit, en effet, que les plantes dont le rameau est lui-même partagé par des nœuds ou anastomoses générales des faisceaux sont les seules qui produisent des feuilles polymères.

Les Pipéracées semblent, au premier abord, faire ex ception à cette loi. Cependant, en tenant compte du fait que leurs faisceaux communs s’anastomosent tous entre eux directement avant les bords du limbe, qui n’est jamais dentelé, on n’hésitera pas à ranger les feuilles des plantes de cette famille dans la section des dimères.

D’après ce qui a été dit plus haut, toute feuille ou tout mériphylle renferme un système fibro-vasculaire cortical et ligneux composé d’un plus ou moins grand nombre de faisceaux. Les faisceaux ligneux de ce système sont tous placés sur plusieurs rangs emboîtés les uns dans les autres. Dans les régions où la feuille a conservé sa forme cylindrique (pétiole, rhachis), ces rangs de faisceaux ligneux forment un étui plus ou moins fourni suivant le nombre et l’étendue des rangs. La section transversale de cet étui offre donc un cercle ou une portion de cercle ligneux dont tous les faisceaux sont orientés de manière à tourner leur cambium et leur liber vers la périphérie du mériphylle et leurs trachées vers le centre. Ce premier système ligneux, que j’ai nommé système essentiel, existe dans toute feuille, et il présente donc ce caractère constant que tous ses faisceaux ont un développement centrifuge[4] ; cette circonstance est d’ailleurs toute naturelle, puisque les plus anciens de ces faisceaux, étant communs à la feuille et à la tige, doivent être orientés comme ceux de cette dernière.

Le système essentiel se compose donc de l’ensemble

des faisceaux à accroissement centrifuge et dont les plus extérieurs parcourent tout un mériphylle, ou toute la feuille dans le cas des monomères.

La section transversale du système essentiel présente les différences les plus frappantes d’une espèce à l’autre. Quelques cas méritent une mention spéciale, parce qu’ils se lient étroitement avec d’autres circonstances dont il sera question plus loin.

Ainsi (pl. I, fig. 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 d) dans les Populus nigra, alba, tremuloïdes, Alnus glutinosa, Carpinées, Corylacées, Juglandées, etc., ce système se trouve décomposé en deux ou même trois branches qui se détachent les unes des autres à des hauteurs diverses. À partir de chaque point de ramification du systėme essentiel, les bords disjoints de chaque branche s’augmentent de nouveaux faisceaux à mesure qu’ils s’élèvent dans la feuille, en sorte que chaque portion semble devenir, un peu plus haut, un système distinct. La section transversale du pétiole ou du limbe présente alors plusieurs anneaux ou portions d’anneaux ligneux qui se fondent tous en un seul vers la base du mériphylle (pl. I, fig. 6, 12). Il arrive aussi quelquefois (Myricées, Salicinées, pl. I, fig. 5) que ce sont les portions latérales du système essentiel qui se détachent du tronc principal et forment des branches latérales plus ou moins complètes. Dans beaucoup de feuilles (rosacées, pl. I, fig. 1) ce sont les derniers faisceaux postérieurs du système essentiel qui se séparent des autres et parcourent les bords ailés du rhachis. Les portions ainsi détachées ne se composent souvent que de faisceaux isolés qui se séparent du tronc principal à la manière de nervures secondaires divergeant de la nervure primaire d’un limbe. Tous ces faisceaux ou groupes de faisceaux ainsi détachés du système essentiel sont d’autant plus récents qu’ils sont plus rapproches de la face postérieure de la feuille. Je les désignerai dorénavant sous le nom de faisceaux détachés, et je réserverai le nom de système essentiel au corps principal antérieur de ce système dans tous les cas où il se ramifie. Le mode de disposition de ces faisceaux détachés donne des aspects variés aux sections transversales des feuilles, et peut ainsi fournir d’excellents caractères d’espèce, même de genre.

C’est aux faisceaux détachés que correspondent les bords ou les ailes des pétioles ainsi que les stipelles. Ces dernières cependant ne reçoivent, le plus souvent, que la partie corticale des faisceaux détachés,

Il existe aussi, dans un grand nombre de feuilles, une troisième sorte de faisceaux que je nommerai faisceaux inverses, parce que leur développement est toujours centripète. Ces faisceaux se forment dans l’intérieur de la moelle du système essentiel et tournent leur cambium vers le milieu de la feuille. Le Dr A. Franck[5] est, à ma connaissance, le seul auteur qui les ait observés. Il se borne cependant à mentionner leur présence chez les Acer pseudoplatanus, Tilia microphylla, Quercus pedunculata, sans en tirer de conséquence. Non-seulement ses observations sont parfaitement justes en ce qui concerne les plantes qu’il indique, mais j’ai eu l’occasion de trouver des faisceaux inverses dans un très-grand nombre d’autres espèces appartenant aux familles les plus diverses. (Aralia japonica Thunb., digitata, Aesculus Hippocastanum, Quercus macranthera et autres, Fagus sylvatica, Castanea vulgaris, Castanopsis, {{lang|la|Diclanus Fraxinella, Acer platanoïdes, Negundo fraxinifolia, Styrax Gardneriana, etc.). Ils sont très-inégalement répartis entre les espèces d’un même genre. Ainsi toutes les Acérinées, sauf les Acer pseudo-Platanus. Platanoïdes et Negundo fraxinifolia, en sont dépourvues. Il en est de même d’une foule d’espèces du genre Quercus. Parmi les légumineuses, je ne les ai rencontrées jusqu’ici que chez l’Inga ferruginea, et ils manquent, en particulier, dans les autres espèces du genre Inga que j’ai examinées.

Les faisceaux inverses se séparent du système essentiel à des hauteurs très-variables d’une espèce à l’autre, mais constante dans la même espèce. Ainsi les faisceaux inverses du Quercus pedunculata n’existent que dans le limbe, tandis que ceux du Quercus macranthera se détachent du système essentiel dès la base du pétiole. Dans beaucoup de feuilles monomères, et à plus forte raison chez les polymères, le système essentiel émet des faisceaux inverses à plusieurs hauteurs différentes.

Comme ces faisceaux s’accroissent, de même que les autres, par leur périphérie et de haut en bas, ils ont une tendance à s’arrondir en demi-cercle ou même en anneau fermé surtout vers le sommet où leur section transversale présente souvent un cercle parfait (Aesculus hippocastanum, Acer pseudo-Platanus (pl. I, fig. 16 i). Il ne faut pas confondre les faisceaux inverses avec les faisceaux endogènes qui parcourent la moelle de certaines tiges et de certains pétioles (Bégoniacées), et dont le liber est tourné vers la périphérie de la tige ou du pétiole. Les inverses existent d’ailleurs chez beaucoup de plantes des familles les plus dépourvues de formations endogènes, et leur développement centripète les rend facilement reconnaissables. Le mode de développement des faisceaux inverses suggère de prime abord cette réflexion qu’ils sont orientés exactement comme le seraient ceux de feuilles insérées sur le système essentiel et en dedans de ce système. On pourrait dire de même que les faisceaux détachés sont placés exactement comme le seraient ceux de feuilles insérées sur le système essentiel et en dehors de ce système. Enfin rien n’empêcherait d’étendre cette com paraison au système essentiel lui-même, et de remarquer que les faisceaux essentiels de chaque rang sont orientés précisément comme le seraient ceux d’une feuille insériée sur le rang suivant.

En résumé, on pourrait donc considérer tous les faisceaux d’une feuille monomère ou de chaque mériphylle de feuille polymère, comme répartis sur une série de formations emboitées les unes dans les autres et réunies par le parenchyme.

Une feuille à système fibro-vasculaire complet de toutes parts, représenterait donc un rameau dont l’extrémité serait morte de bonne heure et dans lequel les rangs de faisceaux seraient l’ébauche des feuilles que ce rameau aurait portées s’il avait continué à vivre. Si le parenchyme s’accroît principalement dans le sens latéral, le rameau s’aplatit en un limbe (Acer pseudo-platanus). Si le parenchyme s’accroît surtout dans le sens du plan passant par l’axe de la tige, le rameau prend la forme de certains phyllodes (Acacia ovalis). Si le parenchyme s’accroît également dans toutes les directions horizontales, le rameau devient une feuille cylindrique. On pourrait même suivre cette analogie du rameau et de la feuille jusque dans les moindres détails. Ainsi, une feuille à système fibro-vasculaire incomplet représenterait un rameau dont le cône terminal serait resté plus ou moins stérile sur une zone plus ou moins étendue de son sommet et de sa face postérieure. Si la face supérieure tout entière est restée complétement stérile, et si le parenchyme s’est accru Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/424 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/425 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/426 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/427 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/428 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/429 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/430 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/431 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/432 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/433 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/434 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/435 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/436 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/437 Page:Archives des sciences physiques et naturelles, 1868, volume 31.pdf/438

Fig. 14. Saxifraga ligulata. Feuille dont le bourrelet postérieur s’est développé.

» 15. Id. Feuille dont le bourrelet postérieur est rudimentaire.

» 16. Aralia digitata. Coupe transversale du milieu du pétiole.

» 17. Rose double. Coupe longitudinale du tube du calice ; u faisceaux se rendant aux sépales ; x faisceaux se rendant aux ovaires.

» 18. Alnus glutinosa. Face antérieure de la base du pétiole ; écailles représentant le coussinet.

» 19. Alnus glutinosa. Face antérieure de la base du pétiole dont les écailles sont tombées ; z cicatrices de ces écailles montrant qu’elles ne sauraient être prises pour des stipules et occupent la position d’un coussinet.

» 20. Viscum album. Coupe transversale du limbe dont tous les fais ceaux sont doubles.

» 21. Magnolia Yulan. Coupe transversale de la base de l’étamine. Dans cette figure, ainsi que dans les suivantes, la partie om brée de chaque faisceau représente les trachées et la partie claire indique le cambium ; k faisceau central double ; d fais ceaux détachés

» 22. Magnolia Yulan. Coupe transversale de l’axe de la fleur dans la région des étamines ; k faisceaux doubles pénétrant dans les étamines ; s faisceaux d’étamines réduits à leur partie postérieure, et indiquant, sans doute, chez les étamines, une tendance à devenir extrorses.

» 23. Magnolia Yulan. Coupe transversale de l’axe dans la région des carpelles.

» 24. Magnolia Yulan. Coupe transversale d’un carpelle.


  1. Dans ce qui suivra, la face postérieure de la feuille sera toujours celle qui regarde l’axe de la tige, et la face antérieure sera celle qui regarde l’observateur, en supposant la feuille redressée verticalement.
  2. Cas. D.C. Mém. sur la famille des Pipéracées, dans les Mém. de la Soc. de Phys. et d’Hist. natur., tome XVIII.
  3. Cas. D.C. loc. cit.
  4. Par développement centrifuge, j’entends celui de tout faisceau dont le cambium regarde la périphérie de la feuille.
  5. Bot. Zeit., 1864.