Théorie mathématique de la lumière/2/Chap.12

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Georges Carré (2p. 275-306).

CHAPITRE XII


POLARISATION ROTATOIRE. — THÉORIE DE M. MALLARD

155. La théorie que Fresnel a donnée du pouvoir rotatoire n’est pas, à proprement parler, une théorie physique, mais seulement la constatation d’une identité cinématique.

De même les théories d’Airy se réduisent à l’adjonction, aux équations des termes nécessaires pour faire concorder leurs conséquences avec les résultats observés.

Les expériences de Reusch sur les piles de mica ont donné l’idée d’autres théories, en particulier, de celle que nous allons exposer due à M. Mallard.

L’exposé de cette théorie comporte des calculs assez longs, que nous chercherons à simplifier, à l’aide de quelques considérations préliminaires.

Rappelons d’abord en quoi consistent les expériences de Reusch. Reusch empilait des lames de mica, très minces, à faces parallèles, identiques entre elles, de manière que la section principale d’une lame fit avec la section principale de la suivante un angle de 45° ou de 60°. Cet angle pourrait être quelconque : seulement ces deux valeurs particulières avaient été choisies parce qu’elles correspondaient à la symétrie quaternaire et à la symétrie ternaire. Le système ainsi obtenu possède le pouvoir rotatoire comme une lame de quartz perpendiculaire à l’axe.

Si la vibration incidente est rectiligne, la vibration émergente est en général elliptique : mais l’ellipse est fort allongée, d’autant plus allongée que les lames sont plus minces. Pour des lames très minces la polarisation elliptique est très faible, et les phénomènes se rapprochent d’autant plus de ceux du quartz.

Supposons que nous ayons ainsi une série de lames planes, à faces parallèles, empilées les unes sur les autres : nous prendrons comme plan des un plan parallèle à ceux des lames. Une onde lumineuse, parallèle à ce plan, tombant sur le système de lames ne subira pas de déviation et restera constamment parallèle à cette direction.

Soit une vibration située dans le plan de l’onde :

(sur ces expressions imaginaires, voir chap. préc). sera en général une quantité imaginaire.

de même :

et sont les amplitudes des vibrations ; leurs phases. Alors

Le rapport sera aussi imaginaire en général, nous poserons donc :

La valeur de ce rapport nous fait connaître la forme de l’ellipse et son orientation.


Fig. 41.

156. Mode de représentation des vibrations. — Nous représenterons les variations de cette ellipse par les déplacements de l’affixe de l’imaginaire c’est-à-dire du point ayant pour abscisse et pour ordonnée (fig. 41).

Si est réel, le point représentatif est sur l’axe des la vibration est rectiligne puisque est réel, l’angle de sa direction avec étant on a :

Donc :

Si est purement imaginaire, les deux composantes présentent une différence de phase de la vibration est elliptique et ses axes sont dirigés suivant les axes de coordonnées. Le point représentatif est sur l’axe des est le rapport des axes

Si on a le point représente une vibration circulaire de même le point tel que ou La première vibration est droite, la deuxième est gauche.

D’une façon générale d’ailleurs, les points situés au-dessus de représentent des vibrations droites : les points situés au dessous des vibrations gauches.

Supposons que le rayon vienne à traverser une lame cristallisée, dont les sections principales sont orientées suivant les axes de coordonnées : et se propagent avec des vitesses inégales ; leurs phases varient de quantités inégales, les modules et ne changent pas, mais change et devient par exemple

Le point qui représente la nouvelle vibration, sera donc tel que :

Tout se passe comme si le plan avait tourné d’un angle autour du point étant la différence de phase introduite par la lame cristalline. Pour des rayons de même couleur, cette différence est proportionnelle à la différence des temps employés par les deux vibrations pour traverser la lame, par conséquent proportionnelle à l’épaisseur de la lame et à son pouvoir biréfringent

Pour des rayons de couleurs différentes traversant une même lame, est indépendant de la longueur d’onde si nous négligeons la dispersion ; la différence de temps est donc la même pour tous les rayons. Or est égal à quand cette différence est égale à une période entière : est donc en raison inverse de la période, ou en raison inverse de la longueur d’onde.

157. Proposons-nous de chercher quel sera, dans le mode de représentation que nous avons adopté, le lieu des points correspondants à des vibrations dont on donne soit l’orientation des axes, soit le rapport des axes.

Pour trouver ces lieux, nous nous appuierons sur le théorème suivant :

Théorème. — Soit une quantité complexe

étant des constantes imaginaires, une variable réelle — Quand varie de à le point décrit un cercle.

Désignons en effet par les imaginaires conjuguées de

D’où :

étant des polynômes du second degré en Ces polynômes ne peuvent donc être indépendants et nous aurons une relation de la forme :

équation qui représente un cercle.

Cela posé, considérons les points qui représentent les ellipses ayant leurs axes dirigés suivant faisant un angle avec les axes de coordonnées.

Les projections des vibrations sur et sont :

Soit le rapport des axes :

ou comme :

Si nous cherchons le lieu des points tels que sera une variable réelle, liée à par une relation homographique. Nous venons de voir que, quand varie de à le point décrit un cercle. Ce cercle passera par les points et précédemment définis (fig. 41). En effet, ces points représentent des vibrations circulaires, dont les axes ont une direction indéterminée.

Si nous laissons c’est-à-dire si nous nous donnons la forme de l’ellipse et que nous fassions varier c’est-à-dire l’orientation de cette ellipse, est encore une variable réelle liée à par une relation homographique. Le point décrit encore un cercle.

Si nous prenons le cercle passera par ces points et ces points correspondent à des ellipses ayant leurs axes dirigés suivant les axes de coordonnées : l’ellipse est égale à l’ellipse mais elle a tourné de 90°. Par raison de symétrie, doit être un diamètre. Comme d’autre part

les deux cercles et se coupent orthogonalement.

158. Il nous sera commode dans la suite de remplacer cette représentation plane par une représentation analogue sur la sphère ; nous effectuerons cette transformation par une projection stéréographique, le plan des étant le plan du tableau et l’origine des coordonnées, le point de contact de la sphère avec ce plan. Cette projection, comme on le sait, conserve les angles, et les cercles se projettent sur des cercles.

Au point du plan correspond le point où la droite rencontre la sphère. Nous conviendrons de représenter l’ellipse par le point (fig. 42).


Fig. 42.

L’axe des se projettera suivant un grand cercle passant par et que nous appellerons équateur. Les points de l’équateur représenteront par conséquent les vibrations rectilignes.

Soient un point de l’axe des sa projection sur la sphère,

si nous prenons le diamètre de la sphère égal à donc :

l’angle des axes de l’ellipse avec les axes de coordonnées sera donc égal à la demi-longitude du point

Deux points diamétralement opposés ont des longitudes qui différent de Elles représentent donc des vibrations rectilignes rectangulaires entre elles.


Fig. 43.

Les points de l’axe des se projettent sur un grand cercle perpendiculaire à l’équateur, que nous appellerons premier méridien. Un point se projette en (fig. 43)

Le rapport des axes de l’ellipse représentée par le point est donc égal à la tangente de la demi-latitude de ce point

Pour le point et par suite et Le point se projette donc au pôle de l’équateur. Les deux pôles de l’équateur correspondent aux vibrations circulaires, les divers points du premier méridien, aux ellipses dont les axes sont divisés suivant les axes de coordonnées. Ces ellipses sont droites dans l’hémisphère nord, gauches dans l’hémisphère sud.

L’orientation des axes ne dépend que de la longitude. Les lieux des points tels que sont des cercles passant par et c’est-à-dire des méridiens.

La forme de l’ellipse ne dépend que de la latitude ; les lieux des points correspondant à une forme donnée sont des parallèles.

Supposons que le rayon lumineux traverse une lame biréfringente, mais dénuée de pouvoir rotatoire. Si les sections principales de la lame sont dirigées suivant les axes, tout se passe comme si le plan autour de ou la sphère autour de tournaient d’un angle les points et correspondent aux sections principales ; l’azimut des axes de l’ellipse est proportionnel à la longitude. Mais les points et ne jouent aucun rôle particulier ; quand on fait tourner les axes dans le plan des cela revient simplement à changer l’origine des longitudes.

Considérons une lame dont les sections principales aient une direction quelconque, l’une correspondant par exemple au point l’autre au point diamétralement opposé, sur l’équateur ; l’axe jouera le même rôle que précédemment. Le résultat sera le même que si la sphère tournait de autour de Le passage à travers une lame correspond ainsi à une rotation autour d’un axe situé dans le plan de l’équateur.

Si la lame possède le pouvoir rotatoire, sans avoir le pouvoir biréfringent, comme une lame de quartz perpendiculaire à l’axe, l’ellipse conserve sa forme, mais son orientation change ; tout se passera comme si la sphère avait tourné d’un certain angle autour de perpendiculaire au plan de l’équateur.

Si les deux effets de la biréfringence et du pouvoir rotatoire se superposent, les deux rotations de la sphère se composeront ; on peut alors les remplacer par une rotation autour d’un axe quelconque.

159. Application. Rôle des piles de mica. — Considérons une sphère dont le centre reste fixe ; on peut toujours faire passer cette sphère d’une position à l’autre par une rotation autour d’un axe convenablement choisi.

Supposons que la vibration traverse deux lames ; la première lame fera tourner la sphère autour de par exemple, pour l’amener de la position à la position  ; la seconde, autour de pour l’amener de à . Or on aurait pu passer directement de à par une seule rotation résultant des deux premières. Comme nous supposons les lames dénuées de pouvoir rotatoire, les axes des rotations composantes seront situés dans le plan de l’équateur ; mais, en général, il n’en sera pas de même de l’axe de la résultante, en disposant convenablement de nos lames, nous pourrons même obtenir que cet axe devienne Le système possédera alors le pouvoir rotatoire.

160. Notations. — Voici les notations dont nous ferons usage :

représentera la résultante des deux rotations

Il est aisé de voir que :

représentera fois la rotation représenteront des rotations égales à et à mais en sens inverse. On aura donc :

représentera une rotation nulle.

Dans le cas de deux rotations successives autour de deux
Fig. 44.
axes il est important de remarquer ce qui suit :

Nous effectuons d’abord la rotation et ensuite la rotation Cette dernière doit se faire non pas autour de la nouvelle position d’une droite invariablement liée à la sphère, et qui coïncidait primitivement avec mais bien autour de cette droite considérée comme fixe dans l’espace.

Faisons tourner la sphère d’un angle autour de (fig. 44). Le point vient en soient des rotations égales à respectivement autour des axes Considérons un point La rotation l’amène en le triangle est isocèle :

Je prends la rotation amène en tel que :

Je dis que :

En effet, puisque amène sur amènera sur et sur amène sur et fait coïncider avec par hypothèse. Le résultat est donc d’avoir amené sur ce qu’on aurait obtenu directement par la rotation

161. Dans les piles de Reusch, puisque les sections principales de chaque lame font avec les sections principales de la lame
Fig. 45.
précédente un angle de 60°, la quatrième lame est orientée comme la première, la cinquième comme la deuxième, et la sixième comme la troisième. La pile est donc formée d’une série de paquets de trois lames identiques entre eux.

Supposons que la lumière tombe normalement sur cette pile.

D’après nos conventions (§ 156), les sections principales de la première lame sont représentées par deux points, tels que et (fig. 45) ; celles de la seconde lame par et tels que celles de la troisième par et tels que ensuite ces points se reproduisent de trois lames en trois lames. Le passage à travers chaque lame équivaut à une rotation autour de pour la première, de pour la seconde, de pour la troisième, soit pour chaque paquet une rotation résultante et, s’il y a lames ou paquets, l’effet total de la pile sera une rotation

Considérons l’axe perpendiculaire au plan de l’équateur, et faisons tourner la sphère de 120° autour de cet axe : cette rotation amène en en etc. Une rotation sera de 240°, et amènera en etc. ; enfin une rotation sera de 360°, et ramènera la sphère à sa position primitive. D’après nos notations, nous poserons donc :

est une rotation autour de l’axe obtenu en faisant tourner de 120° autour de Appliquons le lemme que nous avons démontré :

et de même

D’où :

mais on a évidemment :

et par conséquent

Telle est la valeur de la rotation totale, L’axe de rotation est le même que celui de et cet axe diffère très peu de

En effet, est très petit, puisque l’épaisseur de la lame est infiniment petite : la rotation est donc très petite ; au contraire est finie. L’axe de la rotation résultante différera très peu de l’axe de la composante finie, d’autant moins que sera plus petit, c’est-à-dire que les lames seront plus minces. Tout revient donc à une rotation autour de Des effets d’une pile de Reusch différeront très peu de ceux d’une lame possédant le pouvoir rotatoire, mais sans biréfringence (lame normale à l’axe).

Si l’axe de rotation était exactement une vibration incidente rectiligne donnerait une vibration émergente rectiligne ; en réalité la vibration émergente sera elliptique : l’ellipticité sera d’autant plus faible que l’axe sera moins écarté de c’est-à-dire que les lames seront plus minces.

162. La rotation différant très peu de posons :

il vient

La rotation est donc infiniment petite. De plus, si on regarde comme un infiniment petit du premier ordre, sera du second ordre, comme nous allons l’établir.

On démontre en cinématique qu’on peut représenter une vitesse de rotation par un vecteur porté sur l’axe et proportionnel à la vitesse angulaire ; quand un corps est animé simultanément de plusieurs vitesses, la vitesse résultante est représentée par la somme géométrique de leurs vecteurs ; on en déduit qu’on peut composer par la même règle les rotations infiniment petites, en négligeant les infiniment petits du second ordre.

Appliquons cette règle au cas qui nous occupe, étant infiniment petit du premier ordre, les rotations sont infiniment petites, nous les représenterons par des vecteurs proportionnels à dirigés suivant Ces trois vecteurs seront égaux, et, comme ils font entre eux un angle de 120°, leur résultante est nulle, ou mieux est infiniment petite du second ordre : est donc du second ordre et par suite proportionnel à en négligeant les termes d’ordre supérieur, comme varie en raison inverse de sera sensiblement en raison inverse de il en sera de même de la rotation totale La rotation du plan de polarisation varie donc sensiblement en raison inverse du carré de la longueur d’onde, ce qui est conforme à l’expérience.

163. Nous avons dit que nos conclusions étaient d’autant plus exactes que les lames étaient plus minces. Cependant, si la double réfraction n’est pas très intense, ce qui est le cas le plus général, on ne peut diminuer indéfiniment l’épaisseur attribuée à ces lames.

En effet soit un cristal qui fait tourner le plan de polarisation d’un angle fini si l’épaisseur des lames devient deux fois plus petite, leur nombre devient deux fois plus grand, mais se change en et en la rotation du plan de polarisation est divisée par 2, elle est donc proportionnelle à l’épaisseur des lamelles et tend vers en même temps que cette épaisseur.

Tous les raisonnements qui précèdent peuvent s’appliquer à un cas plus général, celui où chaque paquet comprend lames, faisant entre elles un angle sauf pour parce que dans ce dernier cas les rotations produites par deux lames consécutives se détruisent.

164. Les expressions symboliques que nous avons introduites, sont susceptibles d’une interprétation physique.

En effet appelons la première lame du paquet, la deuxième, la troisième, etc. Soit une lame dénuée de double réfraction, mais douée du pouvoir rotatoire qui fait tourner le plan de polarisation de 60° ; des lames d’épaisseur double, triple faisant tourner ce plan de 120°, 180° ; des lames respectivement de même épaisseur que mais possédant un pouvoir rotatoire de sens inverse.

L’égalité symbolique

par exemple signifiera que la lame équivaut au système des trois lames

En effet, et sont identiques, à l’orientation près : a tourné de — 60° par rapport à Une vibration elliptique traversant se transforme en une autre

La même vibration si elle traverse conserve sa forme, mais tourne de — 60°, elle se présente à comme se présentait à et se transforme par son passage à travers en qui a la même forme que mais a tourné de 60° par rapport à en traversant tourne de 60° sans changer de forme et vient par conséquent coïncider avec

Grâce à cet artifice on pourrait présenter les raisonnements du no 159 sans se servir de notre mode particulier de représentation géométrique.

165. Cas général. — Supposons que la lumière traverse une série de paquets, formés de lames quelconques, mais tous
Fig. 46.
identiques entre eux et orientés de même.

La première lame donne une rotation infiniment petite nous prenons (fig. 46) proportionnel à la seconde, une rotation que nous représentons par etc.

Pour avoir l’effet du paquet, il faut composer ces rotations, en négligeant les infiniment petits du second ordre. La résultante n’est plus nulle : par conséquent un tel paquet donne une rotation très petite du premier ordre, comme une lame unique.

Cette rotation sera du second ordre seulement pour certaines directions du rayon incident ; pour ces directions, ou axes optiques, le paquet se comporte comme une lame unique taillée perpendiculairement à l’axe.

Supposons d’abord que la direction du rayon diffère notablement de celle de l’axe optique. La résultante sera du premier ordre, et on l’obtiendra, aux infiniment petits du second ordre près, en composant les rotations élémentaires. La résultante fera avec le plan de l’équateur un angle infiniment petit, il n’y aura pas de pouvoir rotatoire sensible.

Prenons pour plan de la figure un plan perpendiculaire à
Fig. 47.
celui de l’équateur (fig. 47) : soient situés sur l’équateur et représentant des vibrations rectilignes. Si une de ces vibrations traverse un grand nombre de paquets, le point va décrire un cercle très petit ayant pour pôle : il ne s’écartera donc jamais beaucoup de l’équateur. Il n’y aura donc pas d’ellipticité sensible, l’expérience est impuissante à déceler cette oscillation de

Ceci explique pourquoi le pouvoir rotatoire n’est sensible qu’au voisinage des axes.

Si la direction du rayon incident diffère peu de celle d’un axe optique, la résultante sera infiniment petite du deuxième ordre et fera un angle fini avec le plan de l’équateur ; l’axe de rotation sera tel que les points et resteront fixes. Ces points représentent donc deux vibrations elliptiques susceptibles de se propager sans altération. Pour obtenir l’effet du paquet sur une vibration quelconque, on pourra décomposer celle-ci en deux vibrations composantes représentées par les points et faire propager séparément ces deux composantes et les recomposer à la sortie. Les points et sont diamétralement opposés, leurs longitudes diffèrent de 180°, et leurs latitudes sont égales en valeur absolue. Les deux vibrations sont donc de sens contraire, leurs axes correspondants sont perpendiculaires, et les deux ellipses sont semblables.

Quand l’axe de rotation est situé dans le plan de l’équateur, les vibrations rectilignes et se propagent sans altération, puisque la rotation autour de ne modifie pas la position des deux points et il y a seulement double réfraction.

Si le rayon se propage suivant l’axe optique, la rotation se fait autour de les vibrations et se transmettent sans altération, ce sont les vibrations circulaires.

Nous retrouvons ainsi les vibrations privilégiées, dont la considération sert de base aux théories de Fresnel, de Cauchy et d’Airy.

166. Hypothèse de M. Quesneville. — Bien que la considération de deux composantes elliptiques privilégiées suffise à rendre compte des phénomènes observés, M. Quesneville suppose que la vibration elliptique incidente se décompose en quatre autres, qui se propagent sans altération, mais avec quatre vitesses différentes.

Le quartz est trop faiblement biréfringent pour que les observations permettent de décider entre cette théorie et les précédentes ; mais on peut réaliser artificiellement un cristal fortement biréfringent et doué du pouvoir rotatoire, en plaçant, comme l’a fait M. Quesneville, un spath dans un champ magnétique uniforme tel que les lignes de force soient parallèles à l’axe du cristal. Il dit que les résultats des expériences ne sont pas d’accord avec les anciennes théories et sont mieux expliqués par la sienne.

Ceci ne doit pas nous surprendre. Remarquons en effet que la nouvelle théorie dispose de quatre constantes arbitraires au lieu de deux, comme les anciennes théories. Ensuite les propriétés que le spath acquiert dans le champ magnétique ne peuvent être absolument assimilées à celles que le quartz possède naturellement. En effet, quand un rayon traverse un quartz parallèlement à l’axe, le plan de polarisation tourne dans un certain sens, vers la droite par exemple, que le rayon d’ailleurs se propage dans un sens ou dans l’autre. Au contraire, si le rayon traverse le spath, le plan de polarisation tourne toujours dans le sens du courant qui engendre le champ magnétique ; si dans un cas il tourne à droite du rayon, en changeant le sens de la propagation il tournera à gauche de ce rayon. Le spath et le quartz ne se comportent donc plus de même quand l’inclinaison du rayon sur l’axe varie de les rotations deviennent de sens contraire ; il est donc à prévoir que pour une inclinaison intermédiaire leurs propriétés seront différentes[1].

167. Détermination du pouvoir rotatoire et du pouvoir biréfringent d’un paquet. — Considérons une pile de lames, formée de paquets identiques entre eux et orientés de même. L’effet de chaque lame se traduit, dans la mode de représentation que nous avons adoptée, par une rotation ; pour avoir l’effet du paquet, il faut composer ces rotations.

Prenons le plan de l’équateur comme plan de la figure. Nous supposerons d’abord, pour simplifier, qu’il y ait trois lames seulement. Les effets de chacune de ces lames seront
Fig. 48.
représentés respectivement par des rotations , autour d’un axe autour de autour de (fig. 48).

Ces trois rotations peuvent être remplacées par une rotation autour de l’axe perpendiculaire au plan de l’équateur, et une rotation autour d’un axe situé dans ce plan. La première correspond au pouvoir rotatoire, la seconde à la biréfringence du paquet.

Nous voulons déterminer ces deux rotations ou, ce qui revient au même, les deux rotations qui ramèneraient la
Fig. 49.
sphère dans sa position primitive.

Tous les axes de rotation passent par le centre ; la sphère est donc un corps mobile autour d’un point fixe. On sait que le mouvement d’un pareil corps peut se réduire au roulement sur un cône fixe (ou base) d’un cône invariablement lié au corps mobile (roulette). La génératrice de contact est l’axe instantané de rotation. Ici tous ces axes sont dans le plan de l’équateur ; ce plan constitue donc la base. Comme nous ne considérons que des rotations finies, la roulette sera un angle polyèdre, que nous construirons de la manière suivante (fig. 49).

En faisant rouler cet angle solide sur l’équateur, nous reproduirons le mouvement de la sphère. Supposons en effet qu’au début le plan coïncide avec celui de l’équateur, coïncidant avec Faisons tourner l’angle polyèdre autour de d’un angle le plan vient s’appliquer sur celui de l’équateur, de manière que vienne sur puisque La seconde rotation se fait autour de confondu avec et amène le plan sur l’équateur en puisque Enfin la troisième rotation amène sur l’équateur en Les faces de la pyramide sont ainsi venues s’appliquer successivement sur l’équateur ; il faut maintenant, pour ramener la sphère à sa situation primitive, effectuer une rotation autour de rotation égale à si le dièdre est de façon à appliquer le plan sur l’équateur. vient en puis faire tourner l’angle autour de l’axe perpendiculaire à l’équateur, d’un angle

L’angle représente le pouvoir biréfringent du paquet, son pouvoir rotatoire, le point correspond à un azimut qui est celui de la section principale du paquet. L’angle est égal à l’excès de quatre droits sur la somme des faces de l’angle polyèdre. Considérons l’intersection de cet angle polyèdre avec la sphère ; c’est un quadrilatère sphérique Les côtés de ce quadrilatère sont respectivement c’est-à-dire égaux
Fig. 50.
aux doubles des angles que font entre elles les sections principales de deux lames consécutives. Ses angles sont etc., et ses angles extérieurs etc. La somme de ses côtés est

Considérons le quadrilatère polaire de celui-là (fig. 50). Soit :

le pôle de le pôle
  etc.  

D’après un théorème bien connu :

La construction du polygone polaire nous fait donc connaître ou la première résultante.

D’autre part, la somme des angles extérieurs du polygone polaire est :

est donc l’excès sphérique de ce polygone, et par conséquent est proportionnel à sa surface.

Quand les côtés du polygone sont infiniment petits, ce polygone peut être assimilé à un polygone plan. Nous retrouvons la construction que nous avons faite en appliquant à la composition des rotations la règle du polygone (§ 160). Si les côtés du polygone sont regardés comme des infiniment petits du premier ordre, qui est proportionnel à la surface sera infiniment petit du second ordre.

168. Variation de phase produite par le passage à travers une pile de lames. — Nous avons décomposé la vibration en ses composantes situées dans le plan de l’onde :

et nous nous sommes préoccupés jusqu’ici seulement d’étudier la variation du rapport sans avoir égard aux variations séparément éprouvées par et par 

Quand la lumière aura traversé une pile, et seront devenus et mais ces nouvelles valeurs seront des fonctions linéaires des anciennes.

étant des constantes qui dépendent seulement de la nature du paquet.

Tout se passe, nous l’avons vu, comme si la vibration se décomposait en deux vibrations elliptiques, semblables et rectangulaires, se propageant sans altération de forme, mais avec des vitesses différentes.

Donnons à et à les valeurs correspondant à l’une de ces vibrations privilégiées. Après le passage la phase a changé, mais le rapport a conservé même valeur :

De même pour l’autre :

Ce que nous avons déterminé par les calculs qui précèdent, c’est la différence mais non et en particulier la somme qui donne la durée moyenne du passage à travers le paquet n’a pas été calculée.

Des équations :

etc.
ou

on déduit en éliminant et  :

De même pour les équations en et sont donc les racines de l’équation

Le produit des racines est égal à :

La valeur de dépend seulement du déterminant de la substitution linéaire. Si le rayon traverse successivement plusieurs lames, à chaque lame correspond une substitution linéaire : la résultante sera encore une substitution linéaire dont le déterminant est égal au produit des déterminants relatifs à chaque substitution. La différence moyenne de phase due au paquet tout entier sera donc simplement la somme des différences moyennes de phase partielles.

169. Surface de l’onde dans une pile de lames. — Soit un paquet formé de lames infiniment minces, son pouvoir rotatoire est négligeable. Le paquet se comporte-t-il alors comme un cristal simple, et la propagation de la lumière dans ce système obéit-elle aux lois de Fresnel ? M. Mallard a résolu cette question en montrant que les lois de Fresnel sont encore applicables, pourvu toutefois que chaque lame ne soit que faiblement biréfringente.

Pour reproduire cette démonstration à l’aide de notre représentation géométrique, rappelons d’abord comment est définie la surface d’onde de Fresnel. Le plan de l’onde coupe l’ellipsoïde d’élasticité suivant une certaine ellipse dont les axes correspondent aux vibrations rectilignes non altérées. On mène par le centre de l’ellipse une normale à son plan : et on porte sur cette normale des longueurs inversement proportionnelles aux axes ; par les points obtenus on mène des plans parallèles au plan de l’onde : la surface de l’onde est l’enveloppe de ces plans. Les vitesses de propagation normale au plan d’onde sont en raison inverse des axes de l’ellipse.

Considérons une lame simple : soit la différence moyenne de phase due à cette lame ; soit (fig. 51) la rotation
Fig. 52.

Fig. 51.
correspondant à cette lame (cette rotation dépendra non seulement de la lame, mais de l’orientation du plan de l’onde ; mais, pour une même orientation de ce plan, la composition des rotations dues à diverses lames se fait d’après les lois étudiées en détail dans ce chapitre). Les points et représentent l’azimut des axes de l’ellipse : soit un point correspondant à un azimut quelconque  :

Prenons sur (fig. 52) une longueur :

étant l’épaisseur de la lame estimée normalement au plan de l’onde, la projection de sur

(1)

Si la lame est très peu biréfringente et que soit très petit, cette courbe peut être assimilée à une ellipse.

Pour l’un des axes de l’ellipse,

Pour l’autre axe

et sont en raison inverse de la vitesse de propagation des ondes. Si est très petit, la courbe, lieu du point est une ellipse aux infiniment petits près du second ordre.

Ainsi les axes de l’ellipse représentée par l’équation (1) sont orientés comme les deux vibrations rectilignes qui, dans le plan d’onde considéré, sont susceptibles de se propager sans altération, et les longueurs de ces axes sont en raison inverse des vitesses de propagation. En d’autres termes, cette ellipse (1) n’est autre chose que la section faite par le plan de l’onde dans l’ellipsoïde d’élasticité.

On raisonnerait de même pour la deuxième lame. Soit la différence moyenne de phase due à cette lame, la rotation correspondant à cette lame, sa projection sur On construira notre courbe en portant sur une longueur.

(2)

170. Pour le paquet formé de ces deux lames on pourrait encore construire une courbe analogue. Soit en effet la différence moyenne de phase due au paquet, la rotation résultante due au paquet, sa projection sur On obtiendra la courbe correspondant au paquet en portant sur une longueur

(3)

La courbe ainsi construite jouera par rapport au paquet le même rôle que la courbe (1) par rapport à la première lame ; je veux dire que le maximum et le minimum du rayon vecteur correspondront comme direction à celles des deux vibrations qui se propagent sans altération et comme longueur aux inverses des vitesses de propagation.

Il me reste donc, pour montrer que les lois de la double réfraction ne sont pas altérées, à faire voir que cette courbe (3) engendre une surface quand on fait varier l’orientation du plan de l’onde, et en second lieu que cette surface est un ellipsoïde, qui sera l’ellipsoïde d’élasticité résultant. Or on a:

et par conséquent.

Donc, pour obtenir la courbe résultante, je considère les points et des courbes (1) et [2) situés sur la direction (fig. 53), je partage en parties inversement proportionnelles à et soit le point obtenu.

Le rapport est constant ; en effet les épaisseurs et sont estimées normalement au plan de l’onde : elles varient donc avec l’orientation de ce plan, mais elles varient dans un même rapport.


Fig. 53.

Chacune des courbes (1) et (2) engendre un ellipsoïde quand l’orientation du plan de l’onde change. On obtiendra donc la surface engendrée par la courbe (3) par cette même construction, c’est-à-dire que l’on aura :

et étant les rayons vecteurs des surfaces engendrées par les courbes (1), (2) et (3).

La courbe (3) engendre donc bien une surface ; je dis que cette surface est un ellipsoïde.

En effet considérons un plan quelconque passant par le point je vais faire voir que la section faite par ce plan dans la surface, lieu des points c’est-à-dire la courbe (3), elle-même est une ellipse.

Pour la première ellipse, qui est la courbe (1), on a en la rapportant à des axes quelconques

et pour la seconde

sera encore de même forme, et comme ses composantes, la courbe résultante diffèrera aussi très peu d’une ellipse. Le lieu du point sera donc encore un ellipsoïde, en négligeant les infiniment petits du second ordre.

FIN
  1. Depuis la clôture du cours, M. Quesneville a publié de nouvelles expériences portant sur le quartz lui-même.