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Thomas Young (Arago)/4

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences1 (p. 265-278).
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HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS. — HISTOIRE DE LA PREMIÈRE
INTERPRÉTATION EXACTE QUI EN AIT ÉTÉ DONNÉE.


Le mot d’hiéroglyphe envisagé, non plus métaphoriquement, mais dans son acception naturelle, nous transporte sur un terrain qui a déjà été le théâtre de débats nombreux et bien animés. J’ai hésité un moment à affronter les passions que cette question a soulevées. Le secrétaire d’une académie exclusivement occupée des sciences exactes, pourrait, en effet, sans nulle inconvenance, renvoyer ce procès philologique à des juges plus compétents. Je craignais, d’ailleurs, je l’avouerai, de me trouver en désaccord, sur plusieurs points importants, avec le savant illustre dont il m’a été si doux d’analyser les travaux sans qu’un seul mot de critique ait dû, jusqu’ici, venir se placer sous ma plume. Tous ces scrupules se sont évanouis lorsque j’ai réfléchi que l’interprétation des hiéroglyphes égyptiens est l’une des plus belles découvertes de notre siècle ; que Young a lui-même mêlé mon nom aux discussions dont elle a été l’objet ; qu’examiner, enfin, si la France peut prétendre à ce nouveau titre de gloire, c’est agrandir la mission que je remplis en ce moment, c’est faire acte de bon citoyen. Je sais d’avance tout ce qu’on trouvera d’étroit dans ces sentiments ; je n’ignore pas que le cosmopolitisme a son bon côté, mais, en vérité, de quel nom ne pourrais-je pas le stigmatiser, si, lorsque toutes les nations voisines énumèrent avec bonheur les découvertes de leurs enfants, il m’était interdit de chercher dans cette enceinte même, parmi des confrères dont je ne me permettrai pas de blesser la modestie, la preuve que la France n’est pas dégénérée ; qu’elle, aussi, apporte chaque année son glorieux contingent dans le vaste dépôt des connaissances humaines[1].

J’aborde donc la question de l’écriture égyptienne ; je l’aborde, libre de toute préoccupation ; avec la ferme volonté d’être juste, avec le vif désir de concilier les prétentions rivales des deux savants dont la mort prématurée a été pour l’Europe entière un si légitime sujet de regrets. Au reste, je ne dépasserai pas dans cette discussion sur les hiéroglyphes, les bornes qui me sont tracées ; heureux si l’auditoire qui m’écoute, et dont je réclame l’indulgence, trouve que j’ai su échapper à l’influence d’un sujet dont l’obscurité est devenue proverbiale !

Les hommes ont imaginé deux systèmes d’écriture entièrement distincts. L’un est employé chez les Chinois : c’est le système hiéroglyphique ; le second, en usage actuellement chez tous les autres peuples, porte le nom de système alphabétique ou phonétique.

Les Chinois n’ont pas de lettres proprement dites. Les caractères dont ils se servent pour écrire, sont de véritables hiéroglyphes : ils représentent non des sons, non des articulations, mais des idées. Ainsi maison s’exprime à l’aide d’un caractère unique et spécial, qui ne changerait pas, quand même tous les Chinois arriveraient à désigner une maison, dans la langue parlée, par un mot totalement différent de celui qu’ils prononcent aujourd’hui. Ce résultat vous surprend-il ? Songez à nos chiffres, qui sont aussi des hiéroglyphes. L’idée de l’unité ajoutée sept fois à elle-même s’exprime partout, en France, en Angleterre, en Espagne, etc., à l’aide de deux ronds superposés verticalement et se touchant par un seul point ; mais en voyant ce signe idéographique (8), le Français prononce huit ; l’Anglais eight ; l’Espagnol ocho. Personne n’ignore qu’il en est de même des nombres composés. Ainsi, pour le dire en passant, si les signes idéographiques chinois étaient généralement adoptés, comme le sont les chiffres arabes, chacun lirait dans sa propre langue les ouvrages qu’on lui présenterait, sans avoir besoin de connaître un seul mot de la langue parlée par les auteurs qui les auraient écrits.

Il n’en est pas ainsi des écritures alphabétiques :


Celui de qui nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,


ayant fait la remarque capitale, que tous les mots de la langue parlée la plus riche se composent d’un nombre très-borné de sons ou articulations élémentaires, inventa des signes ou lettres, au nombre de vingt-quatre ou trente, pour les représenter. À l’aide de ces signes, diversement combinés, il pouvait écrire toute parole qui venait frapper son oreille, même sans en connaître la signification.

L’écriture chinoise ou hiéroglyphique semble l’enfance de l’art. Ce n’est pas, toutefois, ainsi qu’on le disait jadis, que pour apprendre à la lire, il faille, en Chine même, la longue vie d’un mandarin studieux. Rémusat, dont je ne puis prononcer le nom sans rappeler l’une des pertes les plus cruelles que les lettres aient faites depuis longtemps, n’avait-il pas établi, soit par sa propre expérience, soit par les excellents élèves qu’il formait tous les ans dans ses cours, qu’on apprend le chinois comme toute autre langue. Ce n’est pas non plus, ainsi qu’on l’imagine au premier abord, que les caractères hiéroglyphiques se prêtent seulement à l’expression des idées communes : quelques pages du roman Yu-kiao-li, ou les Deux Cousines, suffiraient pour montrer que les abstractions les plus subtiles, les plus quintessenciées, n’échappent pas à l’écriture chinoise. Le principal défaut de cette écriture serait de ne donner aucun moyen d’exprimer des noms nouveaux. Un lettré de Canton aurait pu mander par écrit à Pékin, que le 14 juin 1800, la plus mémorable bataille sauva la France d’un grand péril ; mais il n’aurait su comment apprendre à son correspondant, en caractères purement hiéroglyphiques, que la plaine où se passa ce glorieux événement était près du village de Marengo, et que le général victorieux s’appelait Bonaparte. Un peuple chez lequel la communication de noms propres, de ville à ville, ne pourrait avoir lieu que par l’envoi de messagers, en serait, comme on voit, aux premiers rudiments de la civilisation ; aussi tel n’est pas le cas du peuple chinois. Les caractères hiéroglyphiques constituent bien la masse de leur écriture ; mais quelquefois, et surtout quand il faut écrire un nom propre, on les dépouille de leur signification idéographique, pour les réduire à n’exprimer que des sons et des articulations, pour en faire de véritables lettres.

Ces prémisses ne sont pas un hors-d’œuvre. Les questions de priorité que les méthodes graphiques de l’Égypte, ont soulevées vont être maintenant faciles à expliquer et à comprendre. Nous allons, en effet, trouver dans les hiéroglyphes de l’antique peuple des Pharaons tous les artifices dont les Chinois font usage aujourd’hui.

Plusieurs passages d’Hérodote, de Diodore de Sicile, de saint Clément d’Alexandrie, ont fait connaître que les Égyptiens se servaient de deux ou trois sortes d’écritures, et que dans l’une d’elles, au moins, les caractères symboliques ou représentatifs d’idées jouent un grand rôle. Horapollon nous a même conservé la signification d’un certain nombre de ces caractères ; ainsi, l’on sait que l’épervier désignait l’âme ; l’ibis, le cœur ; la colombe (ce qui pourra paraître assez étrange), un homme violent ; la flûte, l’homme aliéné ; le nombre seize, la volupté ; une grenouille, l’homme imprudent ; la fourmi, le savoir ; un nœud coulant, l’amour ; etc., etc.

Les signes ainsi conservés par Horapollon ne formaient qu’une très-petite partie des huit à neuf cents caractères qu’on avait remarqués dans les inscriptions monumentales. Les modernes, Kircher entre autres, essayèrent d’en accroître le nombre. Leurs efforts ne donnèrent aucun résultat utile, si ce n’est de montrer à quels écarts s’exposent les hommes les plus instruits, lorsque, dans la recherche des faits, ils s’abandonnent sans frein à leur imagination. Faute de données, l’interprétation des écritures égyptiennes paraissait depuis longtemps à tous les bons esprits un problème complétement insoluble, lorsqu’en 1799, M. Boussard, officier du génie, découvrit, dans les fouilles qu’il faisait opérer près de Rosette, une large pierre couverte de trois séries de caractères parfaitement distincts, Une de ces séries était du grec. Celle-là, malgré quelques mutilations, fit clairement connaître que les auteurs du monument avaient ordonné que la même inscription s’y trouvât tracée en trois sortes de caractères, savoir, en caractères sacrés ou hiéroglyphiques égyptiens, en caractères locaux ou usuels, et en lettres grecques : ainsi, par un bonheur inespéré, les philologues se trouvaient en possession d’un texte grec ayant en regard sa traduction en langue égyptienne, ou, tout au moins, une transcription avec les deux sortes de caractères anciennement en usage sur les bords du Nil.

Cette pierre de Rosette, devenue depuis si célèbre, et dont M. Boussard avait fait hommage à l’Institut du Caire, fut enlevée à ce corps savant à l’époque où l’armée française évacua l’Égypte. On la voit maintenant au musée de Londres, où elle figure, dit Thomas Young, comme un monument de la valeur britannique. Toute valeur à part, le célèbre physicien eût pu ajouter, sans trop de partialité, que cet inappréciable monument bilingue témoignait aussi quelque peu des vues avancées qui avaient présidé à tous les détails de la mémorable expédition d’Égypte, comme aussi du zèle infatigable des savants illustres dont les travaux, exécutés souvent sous le feu de la mitraille, ont tant ajouté à la gloire de leur patrie. L’importance de l’inscription de Rosette les frappa, en effet, si vivement, que, pour ne pas abandonner ce précieux trésor aux chances aventureuses d’un voyage maritime, ils s’attachèrent à l’envi, dès l’origine, à le reproduire, par de simples dessins, par des contre-épreuves obtenues à l’aide des procédés de l’imprimerie en taille-douce, enfin, par des moulages en plâtre ou en soufre. Il faut même ajouter que les antiquaires de tous les pays ont connu pour la première fois la pierre de Rosette à l’aide des dessins des savants français.

Un des plus illustres membres de l’Institut, M. Silvestre de Sacy, entra le premier, dès l’année 1802, dans la carrière que l’inscription bilingue ouvrait aux investigations des philologues. Il ne s’occupa toutefois que du texte égyptien en caractères usuels. Il y découvrit les groupes qui représentent différents noms propres et leur nature phonétique. Ainsi, dans l’une des deux écritures, au moins, les Égyptiens avaient des signes de sons, de véritables lettres. Cet important résultat ne trouva plus de contradicteurs, lorsqu’un savant suédois, M. Akerblad, perfectionnant le travail de notre compatriote, eut assigné, avec une probabilité voisine de la certitude, la valeur phonétique individuelle des divers caractères employés dans la transcription des noms propres que faisait connaître le texte grec.

Restait toujours la partie de l’inscription purement hiéroglyphique ou supposée telle. Celle-là était demeurée intacte ; personne n’avait osé entreprendre de la déchiffrer.

C’est ici que nous verrons Thomas Young déclarer d’abord, comme par une sorte d’inspiration, que dans la multitude des signes sculptés sur la pierre et représentant, soit des animaux entiers, soit des êtres fantastiques, soit encore des instruments et des produits des arts ou des formes géométriques, ceux de ces signes qui se trouvent renfermés dans des encadrements elliptiques correspondent aux noms propres de l’inscription grecque : en particulier, au nom de Ptolémée, le seul qui dans la transcription hiéroglyphique soit resté intact. Immédiatement après, Young dira que dans le cas spécial de l’encadrement ou cartouche, les signes ne représentent plus des idées, mais des sons ; enfin, il cherchera, par une analyse minutieuse et très-délicate, à assigner un hiéroglyphe individuel à chacun des sons que l’oreille entend dans le nom de Ptolémée de la pierre de Rosette, et dans celui de Bérénice d’un autre monument.

Voilà, si je ne me trompe, dans les recherches de Young sur les systèmes graphiques des Égyptiens, les trois points culminants, Personne, a-t-on dit, ne les avait aperçus, ou du moins ne les avait signalés, avant le physicien anglais. Cette opinion, quoique généralement admise, me paraît contestable. Il est, en effet, certain que, dès l’année 1766, M. de Guignes, dans un Mémoire imprimé, avait indiqué les cartouches des inscriptions égyptiennes comme renfermant tous des noms propres. Chacun peut voir aussi, dans le même travail, les arguments dont s’étaie ce savant orientaliste pour établir l’opinion qu’il avait embrassée sur la nature constamment phonétique des hiéroglyphes égyptiens. Young a donc la priorité sur un seul point : c’est à lui que remonte la première tentative qui ait été faite pour décomposer en lettres les groupes des cartouches, pour donner une valeur phonétique aux hiéroglyphes composant, dans la pierre de Rosette, le nom de Ptolémée.

Dans cette recherche, comme on peut s’y attendre, Young fournira de nouvelles preuves de son immense pénétration ; mais égaré par un faux système, ses efforts n’auront pas un plein succès. Ainsi, quelquefois, il attribuera aux caractères hiéroglyphiques une valeur simplement alphabétique ; plus loin, il leur donnera une valeur syllabique ou même dissyllabique, sans s’inquiéter de ce qu’il y aurait d’étrange dans ce mélange de caractères de natures différentes. Le fragment d’alphabet publié par le docteur Young renferme donc du vrai et du faux ; mais le faux y abonde tellement, qu’il sera impossible d’appliquer la valeur des lettres dont il se compose, à toute autre lecture qu’à celle des deux noms propres dont on les a tirées. Le mot impossible s’est si rarement rencontré dans la carrière scientifique de Young, qu’il faut se hâter de le justifier. Je dirai donc que depuis la composition de son alphabet, Young lui-même croyait voir dans le cartouche d’un monument égyptien, le nom d’Arsinoé, là où son célèbre compétiteur a montré depuis, avec une entière évidence, le mot autocrator ; qu’il crut reconnaître Évergète dans un groupe où il faut lire César !

Le travail de Champollion, quant à la découverte de la valeur phonétique des hiéroglyphes, est clair, homogène, et ne semble donner prise à aucune incertitude. Chaque signe équivaut à une simple voyelle ou à une simple consonne. Sa valeur n’est pas arbitraire ; tout hiéroglyphe phonétique est l’image d’un objet physique dont le nom, en langue égyptienne, commence par la voyelle ou par la consonne qu’il s’agit de représenter[2].

L’alphabet de Champollion, une fois modelé sur la pierre de Rosette et sur deux ou trois autres monuments, sert à lire des inscriptions entièrement différentes ; par exemple le nom de Cléopâtre, sur l’obélisque de Philœ, transporté depuis longtemps en Angleterre, et où le docteur Young, armé de son alphabet, n’avait rien aperçu. Sur les temples de Karnac, Champollion lira deux fois le nom d’Alexandre ; sur le zodiaque de Denderah, un titre impérial romain ; sur le grand édifice au-dessus duquel le zodiaque était placé, les noms et surnoms des empereurs Auguste, Tibère, Claude, Néron, Domitien, etc. Ainsi, pour le dire en passant, se trouvera tranchée, d’une part, la vive discussion que l’âge de ces monuments avait fait naître ; ainsi, de l’autre, sera constaté sans retour, que, sous la domination romaine, les hiéroglyphes étaient encore en plein usage sur les bords du Nil.

L’alphabet, qui a déjà donné tant de résultats inespérés, appliqué, soit aux grands obélisques de Karnac, soit à d’autres monuments qui sont aussi reconnus pour être du temps des Pharaons, nous présentera les noms de plusieurs rois de cette antique race ; des noms de divinités égyptiennes ; disons plus : des mots substantifs, adjectifs et verbes de la langue copte. Young se trompait donc, quand il regardait les hiéroglyphes phonétiques comme une invention moderne ; quand il avançait qu’ils avaient seulement servi à la transcription des noms propres, et même des noms propres étrangers à l’Egypte. M. de Guignes, et surtout M. Étienne Quatremère, établissaient, au contraire, un fait réel, d’une grande importance, que la lecture des inscriptions des Pharaons est venue fortifier par des preuves irrésistibles, lorsqu’ils signalaient la langue copte actuelle comme celle des anciens sujets de Sésostris.

On connaît maintenant les faits. Je pourrai donc me borner à fortifier de quelques courtes observations la conséquence qui me paraît en résulter inévitablement.

Les discussions de priorité, même sous l’empire des préjugés nationaux, ne deviendraient jamais acerbes, si elles pouvaient se résoudre par des règles fixes ; mais dans certains cas, la première idée est tout ; dans d’autres, les détails offrent les principales dillicultés ; ailleurs, le mérite semble avoir dû consister, moins dans la conception d’une théorie que dans sa démonstration. On devine déjà combien le choix du point de vue doit prêter à l’arbitraire, et combien, cependant, il aura d’influence sur la conclusion définitive. Pour échapper à cet embarras, j’ai cherché un exemple dans lequel les rôles des deux prétendants à l’invention pussent être assimilés à ceux de Champollion et de Young, et qui eût, d’autre part, concilié toutes les opinions. Cet exemple, j’ai cru le trouver dans les interférences, même en laissant entièrement de côté, pour la question hiéroglyphique, les citations empruntées au mémoire de M. de Guignes.

Hooke, en effet, avait dit, avant Thomas Young, que les rayons lumineux interfèrent, comme ce dernier avait supposé avant Champollion, que les hiéroglyphes égyptiens sont quelquefois phonétiques. Hooke ne prouvait pas directement son hypothèse ; la preuve des valeurs phonétiques assignées par Young à divers hiéroglyphes, n’aurait pu reposer que sur des lectures qui n’ont pas été faites, qui n’ont pas pu l’être.

Faute de connaître la composition de la lumière blanche, Hooke n’avait pas une idée exacte de la nature des interférences, comme Young, de son côté, se trompait sur une prétendue valeur syllabique ou dissyllabique des hiéroglyphes.

Young, d’un consentement unanime, est considéré comme l’auteur de la théorie des interférences ; dès lors, par une conséquence qui me paraît inévitable, Champollion doit être regardé comme l’auteur de la découverte des hiéroglyphes.

Je regrette de n’avoir pas songé plus tôt à ce rapprochement. Si, de son vivant, Young eût été placé dans l’alternative d’être le créateur de la doctrine des interférences, en laissant les hiéroglyphes à Champollion, ou de garder les hiéroglyphes, en abandonnant à Hooke l’ingénieuse théorie optique, je ne doute pas qu’il ne se fût empressé de reconnaître les titres de notre illustre compatriote. Au surplus, il lui serait resté, ce que personne ne pourra lui contester, le droit de figurer dans l’histoire de la mémorable découverte des hiéroglyphes, comme Kepler, Borelli, Hooke et Wren figurent dans l’histoire de la gravitation universelle.



  1. En reproduisant une partie de ce chapitre sur les hiéroglyphes égyptiens, dans l’Annuaire du Bureau des longitudes pour 1836, M. Arago a ajouté : « La première interprétation exacte qu’on ait donnée des hiéroglyphes égyptiens figurera certainement au premier rang parmi les plus belles découvertes de notre siècle ; d’ailleurs, après les débats animés qu’elle a fait naître, chacun doit désirer savoir si la France peut, consciencieusemrent, prétendre à ce nouveau titre de gloire. Ainsi l’importance de la question et l’amour-propre national bien entendu se sont réunis pour m’encourager à publier le résultat de l’examen minutieux auquel je me suis livré. Puissé-je ne m’être pas trop aveuglé sur le danger qu’il y a toujours à aborder des sujets difficiles, dans des matières dont on ne fait pas le sujet spécial de ses études. »
  2. Ceci deviendra clair pour tout le monde, si nous cherchons, en suivant le système égyptien, à composer les hiéroglyphes de la langue française.

    L’A pourra être indistinctement représenté par un Agneau, par un Aigle, par un Âne, par une Anémone, par un Artichaut, etc.

    Le B se figurerait par une Balance, par une Baleine, par un Bateau, par un Blaireau, etc.

    Au C, on substituerait une Cabane, un Cheval, un Chat, un Cèdre, etc.

    À l’E, un Éléphant, un Épagneul, un Éolipyle, une Épée, etc.

    Abbé s’écrirait donc, à l’aide des hiéroglyphes français, en mettant les unes à la suite des autres, les figures :

    D’un Agneau, d’une Balance, d’une Baleine et d’un Éléphant ;

    Ou bien, celles d’un Aigle, d’un Bateau, d’une Épée, etc., etc.

    Ce genre d’écriture a quelque analogie, comme on le voit, avec les rébus dont les confiseurs enveloppent aujourd’hui leurs bonbons. Voilà où en étaient ces prêtres égyptiens que l’antiquité nous a tant vantés, mais qui, on doit le dire, ne nous ont à peu près rien appris.

    M. Champollion appelle homophones tous les signes qui, représentant un même son ou une même articulation, pouvaient se substituer indistinctement les uns aux autres. Dans l’état actuel de l’alphabet égyptien, je vois six ou sept signes homophones pour l’A, et plus d’une douzaine pour l’S ou plutôt pour le sigma grec.