Théâtre de campagne/Le Tableau

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Théâtre de campagneRuaulttome III (p. 67-118).

LE
TABLEAU,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

M. DE LÉPARGNAU.
CONSTANCE, Fille de Monsieur de Lépargnau.
Mde DE MONT-JOYEUX, Belle-sœur de Monsieur de Lépargnau.
LE CHEVALIER DE VILLEGAYE.
POITEVIN, Valet du Chevalier.
L’ENROUÉ, Colporteur d’Arrêts.
LEMAIGRE, Valet de Monsieur de Lépargnau.


La Scène est chez Monsieur de Lépargnau.

Scène première.

Mde DE MONT-JOYEUX, CONSTANCE.
Constance.

Ma Tante, je vous prie, écoutez-moi.

Mde de Mont-Joyeux.

Cela n’est pas nécessaire, je sais tout ce que vous allez me dire.

Constance.

Je vous jure que non.

Mde de Mont-Joyeux.

J’en suis sûre. Vous voulez vous plaindre de ce que votre Père, après avoir donné sa parole de vous faire épouser le Chevalier de Villegaye, ne veut pas déterminer enfin le jour…

Constance.

Aurois-je tort ?

Mde de Mont-Joyeux.

Non, mais vous avez eu tort de croire que votre mariage se feroit promptement : si ma Sœur vivoit encore, cela eût été différent ; mais l’avarice de votre Père devoit bien vous faire imaginer qu’il ne consentiroit pas si facilement à se dessaisir de votre bien.

Constance.

J’ai craint tout cela ; mais…

Mde de Mont-Joyeux.

Je sens qu’il est dur, d’être aussi riche que vous l’êtes, & de manquer de tout.

Constance.

Voilà ce que je voulois vous dire.

Mde de Mont-Joyeux.

Moi, qui aime à jouer, qui voudrois compter tous les jours par des fêtes, je trouve qu’il est très-fâcheux de n’en pouvoir pas donner au moins deux par semaine, & après la dernière que nous avons donnée à votre Père, qui étoit charmante, je crois qu’il seroit facile d’en imaginer à chaque instant de plus délicieuses. D’ailleurs nous avons mille ressources pour cela ; le Chevalier a une imagination toujours neuve & inépuisable.

Constance.

Oui ; mais ces fêtes n’amusent point mon Père ; son aversion pour la dépense…

Mde de Mont-Joyeux.

Je voudrois pourtant la lui faire payer.

Constance.

Et vous me rendriez un grand service ; car c’est là ce qui me tourmente ; j’ai les mémoires de tous les Marchands, & quand ils viendront pour chercher leur argent, je ne saurai comment faire.

Mde de Mont-Joyeux.

C’est que vous n’êtes pas accoutumée à dépenser. D’ailleurs cela ne monte qu’à cinquante louis.

Constance.

Il est vrai ; mais je ne les ai pas.

Mde de Mont-Joyeux.

Ni moi non plus ; mon Mari me paie bien, mais il n’avance rien. Le Chevalier pourroit vous tirer de cet embarras, puisqu’il doit vous épouser…

Constance.

Quoique je l’aime, je ne consentirai jamais à lui emprunter cette somme.

Mde de Mont-Joyeux.

Mais, à Monsieur de Lépargnau ?

Constance.

Emprunter à mon Père ?

Mde de Mont-Joyeux.

Oui, emprunter sur votre revenu. Et comment lui donner des gages ? J’ai bien mes diamans ; mais n’ayant pas de quoi les retirer, les gros intérêts, qu’on dit qu’il prend, absorberoient le fonds.

Constance.

Ah ! ma Tante ! pouvez-vous parler ainsi de mon Père, sans craindre de me faire rougir.

Mde de Mont-Joyeux.

Nous verrons ; j’ai des idées, assez confuses il est vrai ; envoyez chercher le Chevalier, & sur-tout Poitevin, nous aurons besoin d’eux si la tentative que je vais faire auprès de votre Père ne réussit pas.

Constance.

Je crois que je l’entends ; je vais faire ce que vous venez de me dire.


Scène II.

Mde DE MONT-JOYEUX, M. DE LÉPARGNAU.
Mde de Mont-Joyeux.

Ah ! mon Frère, je vous attendois.

M. de Lépargnau.

Et moi, je suis bien-aise de vous voir, parce que j’ai à vous parler ; mais donnez-moi vos ciseaux avant.

Mde de Mont-Joyeux.

Pourquoi faire ?

M. de Lépargnau.

Pour couper le fil de ce bouton-là qui est usé, & qui pourroit se perdre.

Mde de Mont-Joyeux.

Pouvez-vous vous occuper de pareilles misères.

M. de Lépargnau.

Cela vous paroît des misères à vous qui êtes accoutumée à jetter tout par les fenêtres.

Mde de Mont-Joyeux.

Si vous allez me quereller…

M. de Lépargnau.

Non, non. Donnez-moi un peu de papier à-présent.

Mde de Mont-Joyeux.

Tenez, voilà une lettre, vous pouvez tout prendre.

M. de Lépargnau.

À la bonne heure. Il distingue le papier blanc, qu’il plie & met dans sa poche, & il enveloppe le bouton dans le papier écrit.

Mde de Mont-Joyeux.

Voilà de grands soins pour de petites choses ! je crois que vous ramassez aussi les poils de votre barbe ; voilà pourquoi vous la laissez grandir.

M. de Lépargnau.

Ces sortes de plaisanteries me déplaisent beaucoup, je vous en avertis, & cela ne contribue pas peu au parti que je veux prendre.

Mde de Mont-Joyeux.

Si c’est au sujet de votre Fille…

M. de Lépargnau.

Je ne veux que vous parler de vous.

Mde de Mont-Joyeux.

Eh bien, voyons, qu’avez-vous à me dire ?

M. de Lépargnau.

Que vous gâtez ma Fille par les airs que vous avez, & que vous me feriez plaisir de retourner chez vous, attendre le retour de votre Mari de la campagne.

Mde de Mont-Joyeux.

Vous n’avez pas affaire de l’appartement de ma Sœur.

M. de Lépargnau.

Cela peut être ; mais vos Gens n’ont point de soin des meubles, & cela me déplaît.

Mde de Mont-Joyeux.

Il est vrai qu’ils sont riches & que vous êtes magnifiquement logé !

M. de Lépargnau.

Je suis comme il me convient ; mais laissons cela.

Mde de Mont-Joyeux.

Oui, parlons de…

M. de Lépargnau.

De ma maison de campagne, que je veux vendre, & pour laquelle je vous prie de me chercher un acquéreur.

Mde de Mont-Joyeux.

Et pourquoi vendre cette maison ?

M. de Lépargnau.

Parce que l’on y fait des fêtes, & que toutes ces folies-là me ruinent.

Mde de Mont-Joyeux.

Mais ces fêtes ne vous coûtent rien.

M. de Lépargnau.

Ne me coûtent rien ? Je vais à la campagne pour épargner sur la cherté des vivres, j’ai un monde qui ne finit pas, des Musiciens, des…

Mde de Mont-Joyeux.

Vous ne leur avez pas donné un verre d’eau, puisqu’ils ont tous été nourris & logés à l’auberge.

M. de Lépargnau.

Et le souper de la Compagnie ?

Mde de Mont-Joyeux.

On vous avoit donné du gibier, qui vous a nourri encore plus de huit jours.

M. de Lépargnau.

Mais le vin ?

Mde de Mont-Joyeux.

Le vôtre est si mauvais, que j’en ai fait venir cent bouteilles de Paris, & les bouteilles vuides vous sont restées.

M. de Lépargnau.

Les bouteilles, les bouteilles… En un mot, c’est habituer ma Fille à la dépense…

Mde de Mont-Joyeux.

Elle est assez riche.

M. de Lépargnau.

On ne l’est jamais assez.

Mde de Mont-Joyeux.

Eh bien, si tout cela vous déplaît à voir, mariez-la, ou bien votre chagrin augmentera chaque jour, je vous en réponds.

M. de Lépargnau.

Non ; car je la mettrai dans un Couvent.

Mde de Mont-Joyeux.

On ne met point dans un Couvent une Fille qui a près de vingt-cinq ans. Rendez-lui son bien de bonne grace, ou du moins consentez qu’elle se marie.

M. de Lépargnau.

Nous verrons cela.

Mde de Mont-Joyeux.

Il y a long-tems que vous dites la même chose.

M. de Lépargnau.

Je suis le maître de dire & de faire ce que je veux.

Mde de Mont-Joyeux.

Mais pour prouver que ce n’est pas le desir de garder son bien, donnez-lui du moins son revenu.

M. de Lépargnau.

Son revenu ? Oui je lui donnerai vingt-cinq mille francs par an, pour les dépenser en fêtes avec vous ; j’en dois rendre compte à ses enfans.

Mde de Mont-Joyeux.

C’est le bien de sa Mère, & tant qu’elle ne sera pas mariée, il ne sauroit être question de ses enfans.

M. de Lépargnau.

Madame, je ne réponds point à tout cela, je suis son Tuteur, & je n’entendrai à rien, qu’elle n’ait vingt-cinq ans. D’ailleurs, songez à tout ce que je vous ai dit sur votre appartement, & sur la maison de campagne. Il entre dans son Cabinet & il ferme la porte.


Scène III.

Mde DE MONT-JOYEUX, CONSTANCE, LE CHEVALIER, POITEVIN.
Constance.

Eh bien, ma Tante, vous avez parlé à mon Père.

Mde de Mont-Joyeux.

Oui, mais il est toujours le plus déraisonnable du monde ; il veut attendre, pour vous marier, que vous ayez vingt-cinq ans.

Constance.

Ah ! ma Tante, que je suis malheureuse !

Mde de Mont-Joyeux.

Il ne faut pas vous affliger. Pour moi, quoiqu’il en dise, je veux le pousser à-bout, & il faut commencer par exécuter le projet que j’ai formé pour ce qui vous occupe, ma Niéce. Chevalier, vous savez que mon Frère a la vue basse ; ainsi vous & Poitevin, suffirez pour ce que je médite ; en vous déguisant, il ne vous reconnoîtra pas, & le talent que vous avez pour jouer la Comédie & les Proverbes, me répond déjà du succès.

Le Chevalier.

Madame, ordonnez ; nous voilà prêts.

Mde de Mont-Joyeux.

Il faut que Poitevin se munisse de quelque vieux Tableau, bien noir, bien enfumé.

Poitevin.

Nous en avons trois ou quatre dans le garde-meuble de Monsieur le Chevalier.

Le Chevalier.

Madame, voici quelqu’un.

Constance.

Ah ! c’est le Valet de mon Père.

Mde de Mont-Joyeux.

Il faudra l’intéresser afin qu’il ne nous trahisse pas.

Poitevin.

Cela ne sera pas difficile ; il n’est pas accoutumé aux libéralités & en buvant avec lui, j’en ferai tout ce que je voudrai.


Scène IV.

Mde DE MONT-JOYEUX, CONSTANCE, LE CHEVALIER, POITEVIN, LEMAIGRE.
Mde de Mont-Joyeux.

Qu’est-ce que tu cherches, Lemaigre ?

Lemaigre.

Madame, il n’est pas ici.

Mde de Mont-Joyeux.

Est-ce Monsieur de Lépargnau ?

Lemaigre.

Oui, Madame.

Mde de Mont-Joyeux.

Il vient d’entrer dans son Cabinet. Écoute-moi, Lemaigre ; tu auras soin de faire exactement tout ce que Monsieur le Chevalier & Poitevin te diront, & tu seras bien récompensé.

Lemaigre.

Madame ne doit pas être en peine que je lui obéisse, sur-tout après la bonne-chère qu’elle nous a fait faire à la campagne. La reconnoissance…

Mde de Mont-Joyeux.

Allons, Chevalier, venez que je vous dise ce que vous avez à faire.


Scène V.

M. DE LÉPARGNAU, LEMAIGRE.
Lemaigre, à la porte du Cabinet.

Monsieur, on demande à vous parler.

M. de Lépargnau, dans le Cabinet.

Sais-tu qui c’est ?

Lemaigre.

C’est de la part de Monsieur Lesec.

M. de Lépargnau.

Allons, tout-à-l’heure. On entend un bruit de serrures, & il sort en fermant exactement son Cabinet. Fais entrer cet homme, je sais ce que c’est.


Scène VI.

M. DE LÉPARGNAU, LEMAIGRE, L’ENROUÉ.
Lemaigre.

Allons, entrez & parlez à Monsieur.

L’Enroué.

Monsieur, c’est de la part de Monsieur Lesec, qui…

M. de Lépargnau.

Un moment & parlez plus bas.

L’Enroué.

Comme vous voudrez, Monsieur.

M. de Lépargnau.

Toi, Lemaigre, aye soin de ne me laisser entrer personne tant qu’il sera ici.

Lemaigre

Oui, oui, Monsieur, comme à l’ordinaire, j’entends.


Scène VII.

M. DE LÉPARGNAU, L’ENROUÉ.
M. de Lépargnau.

Eh bien, qu’est-ce que vous voulez.

L’Enroué.

Monsieur, Monsieur Lesec a dû vous dire que je m’appelle l’Enroué, & que j’étois autrefois, sur votre respect, déchireur de bateaux à la Grenouillère.

M. de Lépargnau.

Il ne m’a pas dit cela.

L’Enroué.

Eh bien, Monsieur, je vous le disons. Or vous savez qu’à force d’être dans liau, je ne peux plus y rien faire ; parce que je sons travaillés de rhumatistes ; mais comme il n’en faut pas moins vivre, je me suis t’avisé d’un petit commerce qui, avec votre secours, en payant s’entend, me ferions un grand bien.

M. de Lépargnau.

Et quel est le commerce que vous voulez faire.

L’Enroué.

Eh pargué, vous ne devinez pas ?

M. de Lépargnau.

Non.

L’Enroué.

C’est de vendre de liau-de-vie à mes anciens camarades les déchireux de bateaux.

M. de Lépargnau.

Eh combien vous faut-il d’argent pour cela ?

L’Enroué.

Oh, Monsieur, je ne taxons pas les honnêtes gens.

M. de Lépargnau.

C’est que je ne peux pas prêter beaucoup.

L’Enroué.

Monsieur Lesec m’a dit comme cela que vous prêtiez six francs pour huit jours, & qu’au bout de la huitaine, il falloit que je vous en rendions sept.

M. de Lépargnau.

Oui, c’est l’usage ; mais il faut être exact.

L’Enroué.

Je vous répondons de venir vous apporter votre argent, avec le revenant bon, tous les Dimanches, & puis le Lundi nous recommencerons.

M. de Lépargnau.

Eh bien, à la bonne heure.

L’Enroué.

Ah ! Monsieur, je boirons bian à vot santé.

M. de Lépargnau.

Tiens, voilà ton affaire. Il compte. Regarde. Allons, prends. Il écrit.

L’Enroué.

Monsieur, excufez avec vot permission, il manque vingt sous.

M. de Lépargnau.

C’est pour te débarrasser. Au lieu de sept francs tu ne m’en rendras que six.

L’Enroué.

Ah ! vous ne voulez me prêter que cent sous ?

M. de Lépargnau.

Tu n’entends pas. Cent sous & vingt sous que je retiens, cela fait six francs.

L’Enroué.

Mais ce que vous retenez, vous ne me le prêtez pas.

M. de Lépargnau.

Tu vois bien que si ; puisque tu ne seras obligé de me rendre que six francs.

L’Enroué.

Oui ; mais je paie vingt sous pour cent sous, & non pas pour six francs par vot compte.

M. de Lépargnau.

Point du tout ; que je les retienne à-présent, ou que tu me les donnes dans huit jours, c’est la même chose.

L’Enroué.

Quoi ? cent sous sont la même chose que six francs ?

M. de Lépargnau.

Sans doute.

L’Enroué.

À vot compte ; mais pas au mien.

M. de Lépargnau.

C’est que tu comptes mal.

L’Enroué.

Mais, Monsieur, je m’y ferois hacher, cent sous n’ont jamais fait six francs que chez vous.

M. de Lépargnau.

Enfin, vois si tu veux prendre ce que je te donne ou non.

L’Enroué.

Il le faut bien.

M. de Lépargnau.

Songe que tu me rendras six francs.

L’Enroué.

Il faut du moins que je voye s’il y a bien cent sous. Ah ! tenez voilà des pièces qui ne sont pas de deux sous.

M. de Lépargnau.

Allons, elles sont bonnes.

L’Enroué.

Je vous en rendrai de pareilles.

M. de Lépargnau.

Non, je veux un écu de six francs.

L’Enroué.

Mais, Monsieur…

M. de Lépargnau.

Eh bien, tu n’auras rien.

L’Enroué.

Un moment donc que j’apprenne à compter. Six liards chez vous font deux sous, & cent sous font six francs.

M. de Lépargnau.

Je crois que tu veux rire.

L’Enroué.

Ah ! sarpedié, je n’en ai pas d’envie. Il ramasse l’argent & le met dans sa poche. Adieu, Monsieur de Lépargnau, dans huit jours je vous rapporterons six francs.

M. de Lépargnau.

N’y manque pas, sans quoi…

L’Enroué.

Ah ! ne vous mettez pas en peine.

M. de Lépargnau.

Et sur-tout ne dis rien de tout cela, qu’à Monsieur Lesec, sans quoi je ne te prêterai plus rien.

L’Enroué.

Oh, je n’en parlerons qu’à lui.

M. de Lépargnau.

Allons, va-t-en. Il va lui ouvrir la porte.


Scène VIII.

M. DE LÉPARGNAU, POITEVIN, LEMAIGRE.
Lemaigre.

Monsieur, voilà Monsieur Croûte.

Poitevin, déguisé, portant un Tableau noir.

Monsieur, je suis Maître Peintre sur le Pont Notre-Dame, & je viens de la part de Monsieur Lesec.

M. de Lépargnau.

Il ne m’a jamais parlé de vous.

Poitevin.

Je suis pourtant son grand ami, & nous avons fait bien des affaires ensemble.

M. de Lépargnau.

Cela se peut. Que me voulez-vous !

Poitevin.

Monsieur, j’aurois besoin d’un peu d’argent,

M. de Lépargnau.

Lemaigre, sors & ne laisse entrer personne.

Lemaigre.

Oh, que non, Monsieur.


Scène IX.

M. DE LÉPARGNAU, POITEVIN.
M. de Lépargnau.

Voyons, Monsieur, de quoi est-il question ? l

Poitevin.

Monsieur, Monsieur Lesec m’a dit que vous étiez très-obligeant, & qu’il faisoit bon avoir affaire à vous.

M. de Lépargnau.

Il est bien honnête.

Poitevin.

C’est peut-être la première fois que j’ai emprunté de l’argent ; mais demain, si j’avois pu attendre, je n’en aurois pas eu besoin ; parce que le Tableau que vous voyez est vendu, & j’en aurai douze cens francs au retour d’un Monsieur, qui reviendra de la campagne dans la journée ; ainsi demain je vous rendrai ce que vous voudrez bien me prêter aujourd’hui.

M. de Lépargnau.

Eh combien voulez-vous ?

Poitevin.

Trois louis, Monsieur.

M. de Lépargnau.

Et qu’est-ce que vous me donnerez pour nantissement ?

Poitevin.

Monsieur Lesec m’avoit dit que Monsieur ne prêtoit pas sur gages, sans quoi j’en aurois apporté.

M. de Lépargnau.

Je ne prête jamais sur gages ; mais quand on ne connoît pas…

Poitevin.

J’entends bien, Monsieur, & si vous vouliez, je laisserois ce Tableau-là ici.

M. de Lépargnau.

Vous dites qu’il vaut douze cens francs ?

Poitevin.

Il vaut cent louis pour tout le monde ; mais c’est quelqu’un à qui j’ai de grandes obligations ; c’est le plus beau Rimbrand que l’on connoisse, voyez-le un peu, le nom est en bas dans l’ombre.

M. de Lépargnau.

Je ne distingue pas d’écriture.

Poitevin.

Oh, le nom y est, & l’Amateur qui l’aura, l’a bien vu.

M. de Lépargnau.

Qu’est-ce qu’il a dit qu’il représentoit.

Poitevin.

Un Bourguemestre de Hambourg.

M. de Lépargnau.

Ah ! cela est beau ?

Poitevin.

Je vous dis qu’il n’a jamais été réparé, il est pur comme l’œil.

M. de Lépargnau.

Et vous voudriez trois louis ?

Poitevin.

Oui, Monsieur.

M. de Lépargnau.

Tenez les voilà. Il compte & écrit.

Poitevin.

Cela fait soixante francs. Il n’y a que vingt écus.

M. de Lépargnau.

Oui, mais la retenue de dix sous par écu, vous voyez que cela fait trois louis.

Poitevin.

Monsieur retient dix sous ?

M. de Lépargnau.

Oui, pas davantage.

Poitevin.

Cela est bien honnête.

M. de Lépargnau.

C’est à cause de Monsieur Lesec, & parce que vous dites que vous reviendrez demain reprendre votre Tableau.

Poitevin.

Peut-être aujourd’hui.

M. de Lépargnau.

Ne vous gênez pas. Vous me rendrez trois louis ?

Poitevin.

Oui, Monsieur, sûrement.


Scène X.

M. DE LÉPARGNAU, LEMAIGRE.
M. de Lépargnau.

Je ne connoissois pas ce Monsieur Croûte.

Lemaigre.

Il à l’air d’un bien honnête-homme.

M. de Lépargnau.

Je crois ce Tableau-là fort beau.

Lemaigre.

Sans doute, car il est bien noir.

M. de Lépargnau.

À propos, Lemaigre, voilà une lettre qu’il faut que tu portes demain dès le matin.

Lemaigre.

Où cela ?

M. de Lépargnau.

Au fauxbourg Saint-Antoine.

Lemaigre.

Il n’y a qu’à la mettre à la Petite-poste.

M. de Lépargnau.

Tu sais bien que je ne m’en sers jamais.

Lemaigre.

Parce qu’il en coûteroit de l’argent.

M. de Lépargnau.

Allons, fais ce que je te dis, & ne raisonne pas.

Lemaigre.

Si vous me donniez pour boire, à la bonne heure ; mais sans cela je n’irai pas.

M. de Lépargnau.

Mais ne t’ai-je pas pris pour faire toutes mes commissions ?

Lemaigre.

Vous m’avez pris pour tout ce que vous voudrez ; mais j’ai trop mal au genou.

M. de Lépargnau.

Voilà une raison, cela ; que ne le disois-tu d’abord.

Lemaigre.

Ma foi, Monsieur, je n’y avois pas pensé.

M. de Lépargnau.

Ah ça, mon cher Lemaigre ; tu conviens donc que tu devois y aller.

Lemaigre.

Oui, Monsieur, puisque vous le voulez.

M. de Lépargnau.

En ce cas-là, il ne doit m’en rien coûter pour que cette lettre soit rendue.

Lemaigre.

Comme il vous plaira.

M. de Lépargnau.

Eh bien, puisque je fais une commission que tu devrois faire, il faut que tu me prêtes tes souliers pour aller moi-même porter ma lettre.

Lemaigre.

En vérité, Monsieur…

M. de Lépargnau.

Oh, pour cela, je le veux.

Lemaigre.

Parbleu, c’est être bien avare !

M. de Lépargnau.

Qu’est-ce que tu dis ?

Lemaigre.

Qu’il y a quelqu’un là.

M. de Lépargnau.

Vois qui c’est.

Lemaigre.

Monsieur le Baron du Pérou.

M. de Lépargnau.

Ah ! que voilà un beau nom !


Scène XI.

M. DE LÉPARGNAU, LE CHEVALIER déguisé.
Le Chevalier.

Monsieur de Lépargnau, je suis votre voisin & votre serviteur ; je demeure précisément à côté de chez vous &…

M. de Lépargnau.

Dans ce grand Hôtel ?

Le Chevalier.

Oui, on y est magnifiquement logé.

M. de Lépargnau.

Cela doit vous coûter fort cher.

Le Chevalier.

Mais, je crois que oui, je ne regarde pas beaucoup à l’argent moi.

M. de Lépargnau.

Monsieur, dans ce tems-ci…

Le Chevalier.

Le tems ne me fait rien, je viens de ma Terre du Pérou.

M. de Lépargnau.

Quoi, Monsieur, le Pérou est à vous ?

Le Chevalier.

Pas tout-à-fait, mais la rivière de la Plata ; comme elle est au Pérou, j’ai pris le nom du Pérou ; parce que la Plata ne sonne pas aussi-bien.

M. de Lépargnau.

Et il y a beaucoup d’or dans ce pays-là ?

Le Chevalier.

Beaucoup, sur-tout chez moi ; imaginez-vous que je ne puis pas faire creuser un puits que je ne trouve une mine d’or.

M. de Lépargnau.

Ah, Monsieur, le beau pays ! le beau pays !

Le Chevalier.

Monsieur, vous avez beau dire, malgré cela il n’y a que Paris & ses environs, & comme on m’a dit que vous aviez une maison de campagne à vendre, je suis venu vous demander si vous voudriez me donner la préférence ?

M. de Lépargnau.

Monsieur, je ne demande pas mieux, mais il faut que vous sachiez ce que c’est.

Le Chevalier.

Voyons. Il regarde toujours le Tableau avec une Lunette.

M. de Lépargnau.

Monsieur, c’est d’abord dans la plus belle situation du monde !

Le Chevalier.

Cela est fort beau !

M. de Lépargnau.

Je vous dis, une vûe comme il n’y en a pas.

Le Chevalier.

Cela est admirable !

M. de Lépargnau.

La maison est fort bien bâtie.

Le Chevalier.

Quelle couleur !

M. de Lépargnau.

Je l’ai fait reblanchir par les Peintres Italiens, ainsi elle est comme toute neuve.

Le Chevalier.

Cela est d’un Peintre Flamand ?

M. de Lépargnau.

On dit Italien ; mais cela est égal.

Le Chevalier.

Égal ? Parbleu, non, j’aime mieux les Flamands.

M. de Lépargnau.

Je ne disputerai pas avec vous là-dessus. La Cour est grande, la Cuisine est fort belle.

Le Chevalier.

Quelle pâte !

M. de Lépargnau.

Oui, il y a un Four pour la pâtisserie.

Le Chevalier.

Quelle manière large & ferme !

M. de Lépargnau.

Je n’ai point de ferme ; mais on peut en acquérir une à côté qui est à vendre.

Le Chevalier.

Quel entente, quelle touche !

M. de Lépargnau.

Elle touche ? à la maison.

Le Chevalier.

Parbleu, c’est une acquisition qui me tente bien.

M. de Lépargnau.

Vous ne voyez rien encore, laissez-moi vous expliquer le reste.

Le Chevalier.

Je le vois à merveille.

M. de Lépargnau.

Je vous dis que non.

Le Chevalier.

Parbleu, je m’y connois très-bien.

M. de Lépargnau.

Écoutez-moi, je vous prie, nous ne nous entendons pas ; vous regardez toujours de l’autre côté.

Le Chevalier.

Je vous dis que j’en suis enchanté !

M. de Lépargnau.

Mais pour juger du prix, il faut savoir…

Le Chevalier.

Je payerai ce que vous voudrez, pourvu que je puisse l’emporter avec moi.

M. de Lépargnau.

Ma maison ?

Le Chevalier.

Et non, ce tableau-là.

M. de Lépargnau.

Quoi ! vous avez envie de ce tableau-là ?

Le Chevalier.

Eh, parbleu, je ne vous parle pas d’autre chose depuis une heure.

M. de Lépargnau.

Je croyois…

Le Chevalier.

Je vous dis que si vous voulez me le vendre, je vous le paierai sur le champ.

M. de Lépargnau.

Monsieur, il est un peu cher.

Le Chevalier.

Mais cent louis, deux cens louis, je regarde cela comme de la boue, en comparaison d’un morceau pareil.

M. de Lépargnau.

Vous en donneriez deux cens louis ?

Le Chevalier.

Oui, Monsieur, tout-à-l’heure ; les voulez-vous ? Je vais les chercher, vous y pouvez compter.

M. de Lépargnau.

Monsieur, je ne saurois vous répondre sur le champ ; mais vous me donnez votre parole ?

Le Chevalier.

Je vous dis que vous y pouvez compter, je voudrois être aussi sûr d’avoir ce morceau-là ; non, je n’ai jamais rien vu de plus beau !

M. de Lépargnau.

Et la maison ?

Le Chevalier.

Nous en parlerons une autre fois. Ce tableau me tourne la tête ; je vous en prie ne me faites pas languir.

M. de Lépargnau.

Soyez sûr…

Le Chevalier.

Adieu, Monsieur de Lépargnau. Ici à côté on me trouvera toujours, j’attends votre réponse avec impatience. Mon Dieu, la belle chose ! mon dieu, la belle chose !


Scène XII.

M. DE LÉPARGNAU, LEMAIGRE.
M. de Lépargnau, regardant le Tableau.

Il en est fou, il n’y a pas pour douze sous de marchandise dans ce tableau.

Lemaigre.

Monsieur.

M. de Lépargnau.

Oui ; mais je peux faire un grand coup avec sa folie.

Lemaigre.

Monsieur.

M. de Lépargnau.

Il faut que j’aille trouver Monsieur Croute.

Lemaigre.

Monsieur.

M. de Lépargnau.

Que veux-tu ?

Lemaigre.

Monsieur Croute est là-dedans qui veut vous parler, il dit qu’il est très-pressé.

M. de Lépargnau.

Et moi aussi. Fais-le entrer.

Lemaigre.

Allons.

M. de Lépargnau.

Il faut pourtant me contenir.

Lemaigre.

Entrez, Monsieur Croute.


Scène XIII.

M. DE LÉPARGNAU, POITEVIN.
Poitevin.

Monsieur voit que je suis de parole, je lui rapporte ses trois louis.

M. de Lépargnau.

Cela est bon.

Poitevin.

Si en faveur du peu de tems, Monsieur vouloit ne prendre que soixante-six livres.

M. de Lépargnau.

Je ne saurois parler de cela à-présent ; j’ai autre chose à vous dire.

Poitevin.

C’est que…

M. de Lépargnau.

Ah ça, Monsieur Croute, je vous ai rendu un service, il faut que vous m’en rendiez un autre.

Poitevin.

Monsieur n’a qu’à dire, si je peux…

M. de Lépargnau.

Je voudrois avoir votre tableau.

Poitevin.

Monsieur, j’en suis bien fâché ; mais celui à qui il appartient vient d’arriver.

M. de Lépargnau.

Vous a-t-il payé ?

Poitevin.

Non, Monsieur.

M. de Lépargnau.

En ce cas-là, il est à vous, & vous en êtes encore le maître.

Poitevin.

Monsieur, quand on a donné sa parole…

M. de Lépargnau.

Voyons, voyons. Combien en voulez-vous ? Vous aurez de l’argent sur le champ. Je vais vous donner six cens francs.

Poitevin.

Monsieur se moque de moi, on m’attend avec cinquante louis.

M. de Lépargnau.

Cela est bien cher.

Poitevin.

C’est un prix fait, ainsi je ne le donnerai pas à un autre à meilleur marché.

M. de Lépargnau.

Mais enfin…

Poitevin.

Monsieur, je n’ai pas de tems à perdre, & je vais…

M. de Lépargnau.

Un moment donc.

Poitevin.

Non, Monsieur.

M. de Lépargnau.

Mais si je vous donne cinquante louis, vous ne me refuserez pas…

Poitevin.

Pardonnez-moi ; parce que c’est un Monsieur qui commence un cabinet, & vous entendez bien…

M. de Lépargnau.

C’est pour cela ; écoutez, vous pouvez avoir besoin d’argent d’un moment à l’autre, & vous êtes sûr que chez moi vous trouverez toujours…

Poitevin.

Mais, Monsieur, vous faites payer bien cher…

M. de Lépargnau.

C’est que vous me rendez trop tôt. Allons, je vais vous donner un rouleau de cinquante louis. Il entre dans son cabinet.

Poitevin.

Mais, Monsieur, vous m’allez donner une réputation de malhonnête homme, & je ne peux pas en confidence vous céder comme cela…

M. de Lépargnau, revenant.

Tenez, voilà votre argent.

Poitevin.

Monsieur, c’est pour ne pas vous désobliger ; mais je vous assure que…

M. de Lépargnau.

Allons, le Maigre.


Scène XIV.

M. DE LÉPARGNAU, LEMAIGRE, POITEVIN.
Lemaigre.

Monsieur.

M. de Lépargnau.

Ma canne, mon Chapeau.

Lemaigre.

Les voilà, Monsieur.

M. de Lépargnau.

Cela est bon. Monsieur Croute, faites-moi le plaisir de porter ce tableau avec moi à deux pas ; c’est pour le faire voir à un de mes amis.

Poitevin.

Monsieur, volontiers.

M. de Lépargnau.

Lemaigre, si on me demande, je reviens dans l’instant.

Lemaigre.

Je crois qu’à son retour il n’aura pas envie de rire. Il range l’Appartement.


Scène XV.

Mde. DE MONT-JOYEUX, CONSTANCE, LE CHEVALIER, LEMAIGRE.
Mde de Mont-Joyeux.

Eh bien, Lemaigre, mon Beau-frere a acheté le sableau ?

Lemaigre.

Oui, Madame, il l’a payé même sur le champ.

Mde de Mont-Joyeux.

Allons ma Niéce, tranquillisez-vous, vous aurez vos cinquante louis.

Constance.

Je ne me consolerai jamais d’avoir été la cause que l’on a joué mon Père.

Le Chevalier.

Mais Mademoiselle ; c’est votre faute, & sans une délicatesse comme la vôtre, de n’avoir pas voulu, au point où nous en sommes, que je vous prêtasse cet argent, cela ne seroit pas arrivé.

Mde de Mont-Joyeux.

Bon ! voilà un grand malheur que son Père paye une fête qu’elle lui a donnée.

Le Chevalier.

Ah ! voici Poitevin.


Scène XVI.

Mde DE MONT-JOYEUX, CONSTANCE, LE CHEVALIER, POITEVIN.
Poitevin.

Mademoiselle, voilà les cinquante louis…

Mde de Mont-Joyeux.

Non, non, donnez-les moi, Poitevin ; elle seroit capable de les rendre.

Constance.

Mais, ma Tante, mon Père va me haïr.

Mde de Mont-Joyeux.

Il ne saura pas qui lui aura fait ce tour-là, il y a tant de fripons à Paris !

Constance.

Mais, s’il le découvre enfin ? Ah ! je ne puis être tranquille !


Scène dernière.

M. DE LÉPARGNAU, CONSTANCE, Mde DE MONT-JOYEUX, LE CHEVALIER, POITEVIN, LEMAIGRE.
M. de Lépargnau.

Lemaigre, Lemaigre.

Constance.

Voici mon Père, je frissonne.

M. de Lépargnau.

Lemaigre.

Lemaigre.

Monsieur, me voilà, me voilà.

M. de Lépargnau.

Je suis volé ! assassiné !

Mde de Mont-Joyeux.

Mon Frère, qu’avez-vous donc ?

M. de Lépargnau.

Ah ! des fripons qui m’ont ruiné !…

Mde de Mont-Joyeux.

Comment cela ? vous avez perdu votre fortune ?

M. de Lépargnau.

Non, mais cinquante louis pour un Tableau… Les coquins ! Personne ne les connoît. Monsieur Lesec m’a dit qu’ils avoient emprunté son nom ; & un Peintre de ses amis trouve que le Tableau ne vaut pas quatre sous. Ma Sœur, faites mettre vos chevaux dans le moment, tout-à-l’heure, tout-à-l’heure.

Mde de Mont-Joyeux.

Pourquoi faire ?

M. de Lépargnau.

Je veux aller chez Monsieur le Lieutenant de Police, pour retrouver mes deux fripons & les faire pendre.

Poitevin tremblant.

Me faire pendre, Mademoiselle.

Constance.

Non, mon Père, vous ne les ferez pas pendre.

M. de Lépargnau.

Je vous réponds qu’ils le seront. Ma Sœur, vos chevaux, vos chevaux.

Mde de Mont-Joyeux.

Un moment, calmez-vous. Vos cinquante louis ne seront pas perdus.

M. de Lépargnau.

J’espère bien qu’on me les rendra.

Mde de Mont-Joyeux.

Oui, on vous les rendra ; mais c’est à condition que vous terminerez le mariage de votre Fille.

M. de Lépargnau.

Cela n’a rien de commun.

Mde de Mont-Joyeux.

Pardonnez-moi ; parce que quand elle sera mariée, elle sera assez riche pour ne vous rien emprunter.

M. de Lépargnau.

Je ne vous comprends point.

Mde de Mont-Joyeux.

Consentez, vous dis-je ; voilà vos cinquante louis.

M. de Lépargnau.

Mais comment les avez-vous eus ?

Mde de Mont-Joyeux.

Voici vos deux fripons ; le Chevalier, & Poitevin.

M. de Lépargnau.

Ô ciel ! il est vrai. Comment ne les ai-je pas reconnus ? Il faut avouer que je suis une grande dupe !

Poitevin.

Point du tout, Monsieur ; vous avez gagné douze francs avec moi.

M. de Lépargnau.

Veux-tu te taire.

Poitevin.

Et vingt sous avec ce pauvre l’Enroué, qui est de mes amis, & qui m’a tout conté. Cela fait treize francs en une heure.

M. de Lépargnau.

Coquin !

Poitevin.

Voyons à présent si vous me ferez pendre.

M. de Lépargnau.

Oui, si tu ne veux pas te taire.

Le Chevalier.

Poitevin, je vous défends de parler davantage.

Poitevin.

Monsieur, vous êtes mon maître & je dois vous obéïr ; mais si Monsieur de Lépargnau ne consent à finir votre mariage, je quitte votre service, pour avoir le plaisir de dire à tout Paris qu’il prête à la petite semaine.

Mde de Mont-Joyeux.

Mon Frère, voyez à quoi vous vous exposez, & quel vilain métier votre avarice vous fait faire.

M. de Lépargnau.

Rendez-moi mes cinquante louis, & je consens à tout.

Mde de Mont-Joyeux.

Les voilà.

M. de Lépargnau.

Je voulois conserver le bien de ma Fille ; que le Chevalier l’épouse, il est magnifique, il me vengera en la ruinant.

Constance.

Ah, mon Père !…

Le Chevalier.

Monsieur croyez…

M. de Lépargnau.

Je ne vous reverrai de la vie.

Poitevin.

Vous voulez donc que je parle.

M. de Lépargnau.

Quoi, encore ?

Poitevin.

Oui, Monsieur.

M. de Lépargnau.

Allons, il faut donc que je vous pardonne à tous.

FIN.