Tintin-Lutin/L’Ours

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, Fred Isly
Félix Juven (p. 37-45).

L’Ours
… un ours fauve et velu.


Que se passe-t-il dans le village
Et quel est le bruit qui, sur son passage,
Terrorise ainsi tous ceux qui l’entendent ?
Pourquoi voit-on tant de gens qui attendent
Sur la place au lieu d’aller travailler ?
C’est que l’on vient de faire circuler
Une grande nouvelle. L’on a vu
Un ours, un petit ours fauve et velu
Dans le grand bois, au pied de la montagne.
Et de s’aventurer dans la campagne
Avec l’idée d’un pareil voisinage
Personne ne se sent plus le courage.
Et pendant que l’on discute à l’envi
Sur la façon d’attaquer l’ennemi
Un jeune enfant, sans souci du danger,
Du côté du bois va se promener.

Ce jeune enfant, vous devinez son nom :
C’est encore notre ami, Martin Simon.
Arc en main, cerf-volant en bandoulière,
Il s’en va jouer dans une clairière.
Mais, comme il approchait de la forêt,
Un cri rauque et puissant l’arrêta net,
Et Tintin se trouva sans s’y attendre,
En présence d’un ours à l’air peu tendre.


Le cerf-volant en bandoulière.


Sa position était plus que critique :
Se sauver… ce n’était guère pratique !
Car l’ours l’aurait bien vite rattrapé.
Aussi se trouva-t-il interloqué.
Mais son sang-froid ne l’abandonna point :
Son esprit vint lui suggérer à point
Un moyen de lutter contre la bête,
Et dans l’instant que celle-ci s’apprête
À fondre sur lui, Tintin vite attache
La flèche au cerf-volant, vise et la lâche.
Le projectile, fendant l’air en sifflant,



Un cri rauque et puissant l’arrêta net.


Vient se piquer assez profondément
Sur le bout du nez de l’ours stupéfait
De tant d’audace et d’un pareil méfait.


Tintin attache la flèche au cerf-volant.



Sur le bout du nez de l’ours stupéfait.


Alors Tintin, sans perdre une minute,
Tandis que son adversaire exécute
Mille sauts pour faire tomber la flèche,
Se sauve dans la plaine et se dépêche
De gagner du terrain… Voyant sa fuite,
L’ours aussitôt se met à sa poursuite
Entraînant et faisant monter dans l’air
Le cerf-volant, ce qui lui donne l’air
De chercher à imiter un enfant
S’amusant à jouer au cerf-volant.
Tintin eût ri en tout autre moment
De ce spectacle vraiment étonnant.
Mais, dans les circonstances actuelles,
Le souci de fuir les griffes cruelles
De l’animal, seul, le préoccupait.
L’ours, pourtant, à chaque instant, s’arrêtait,



il essaie de faire tomber la flèche


Tâchant de se débarrasser du fer
Dont la pointe lui déchirait la chair.
Tout courant, Tintin était arrivé
Jusqu’à un champ et s’était arrêté
Pour respirer et juger à distance
Combien sur l’ours il avait pris d’avance
Près de lui, un tonneau, réservoir d’eau,
Fait éclore soudain dans son cerveau
Un plan hardi : sur l’herbe, a ses côtés,
Divers linges se trouvaient étalés.
S’étant emparé d’une grande nappe,
Tintin établit une chausse-trappe
En l’étendant sur le tonneau béant.
Sur ces entrefaites, l’ours arrivant,
Après avoir réussi à la fin
À se libérer du piquant engin,



… entraînant le cerf volant dans sa course


Vit en face, à deux pas, son ennemi
Et, bondissant, il s’élança sur lui.
Mais ce qui était prévu arriva.
La nappe blanche sous son poids céda
Et dans le tonneau l’ours vint se noyer.
« Mon vieux, te voilà bon à empailler,
Dit Tintin en manière d’oraison,
Et maintenant rentrons à la maison. »
Cependant la foule était accourue
À la nouvelle, vite répandue,
De la victoire de Tintin-Lutin.
Deux paysans chargèrent le butin
Sur leurs épaules, et c’est, escorté
D’un groupe bruyant, chantant, exalté,
Qu’en grande pompe il revint au village.



Tintin établit une chausse-trappe


Le maire, prévenu par un message,
L’attendait et le reçut, entouré
Des villageois et de l’autorité.
Tous les pompiers en tenue de gala
Avec les gendarmes se trouvaient là.




… bondissant, il s’élança sur lui


Ceux-ci firent le salut militaire
Et, sur un signe de Monsieur le Maire,
La fanfare, pour la joie générale,
Attaqua une marche triomphale.


Dans le tonneau, l’ours vint se noyer



La fanfare attaqua une marche triomphale.