Tom Jones ou Histoire d’un enfant trouvé/Livre 18/Chapitre 08

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Imprimerie de Firmin Didot frères (Tome 4p. 369-384).

CHAPITRE VIII.



SUITE DE L’HISTOIRE.

Le personnage qui venoit d’entrer n’étoit autre que l’écuyer Western. « Par ma foi, s’écria-t-il sans faire attention à mistress Waters, il se passe chez moi d’étranges choses. J’ai fait une jolie découverte. Qui diable, après cela, voudroit avoir une fille à sa charge ?

— De quoi s’agit-il, voisin ? dit M. Allworthy.

— De quoi ? Morbleu ! quand je la croyois disposée à m’obéir ; quand elle m’avoit, en quelque sorte, promis de se conformer à mes volontés, et que j’espérois qu’il ne restoit plus qu’à envoyer chercher le notaire et à signer le contrat, que pensez-vous que j’aie découvert ? que la friponne n’avoit pas cessé de me tromper et d’entretenir une correspondance avec votre bâtard. Je l’ai su par ma sœur Western, que j’avois querellée à son sujet. J’ai ordonné qu’on fouillât dans ses poches pendant qu’elle dormoit, et l’on y a trouvé une lettre de ce garnement. Je n’ai pas eu la patience d’en lire la moitié, car elle est plus longue qu’un sermon du ministre Supple ; mais j’ai vu clairement qu’elle ne rouloit que sur l’amour : et pouvoit-il en effet y être question d’autre chose ? Je vous l’ai de nouveau claquemurée dans sa chambre ; et si elle ne consent pas à épouser sur-le-champ votre neveu, dès demain matin je l’embarque pour la campagne, où elle passera le reste de ses jours enfermée dans un grenier, sans autre nourriture que du pain et de l’eau ; et plus tôt la coquine rendra l’ame, tant mieux ce sera… Le diable m’emporte, l’arrêt me semble pourtant un peu dur… mais non, elle vivra assez long-temps pour me désespérer.

— Monsieur Western, vous savez que je me suis toujours prononcé contre la violence, et vous aviez consenti vous-même à ne pas l’employer.

— Oui, mais c’étoit à condition qu’elle obéiroit de bonne grace. De par le diable et le docteur Faust[1], n’ai-je pas le droit de disposer de ma fille comme il me plaît, surtout quand je ne veux que son bien ?

— Écoutez, voisin, j’essaierai, si vous le permettez, de lui faire entendre raison.

— Si je le permets ? vraiment c’est parler en voisin et en ami. Peut-être aurez-vous plus de pouvoir que moi sur son esprit ; car je vous garantis qu’elle a une haute opinion de vous.

— Eh bien, retournez chez vous, et remettez votre fille en liberté. J’irai la voir dans une demi-heure.

— Mais si dans l’intervalle elle alloit s’enfuir avec le drôle ? car Dowling m’a dit qu’il falloit renoncer à le voir pendre, attendu que son adversaire étoit en vie et hors de danger. Dowling croit même que ce damné Jones ne tardera pas à sortir de prison.

— Comment ? l’avez-vous chargé de prendre des informations, ou de se mêler de cette affaire ?

— Non ; il m’a donné de lui-même ces détails, tout à l’heure.

— Tout à l’heure ? et où donc l’avez-vous rencontré ? J’ai grand besoin de le voir.

— Vous pouvez le voir dans ce moment chez moi, si vous voulez. Il doit y être avec des avocats que j’ai réunis, pour les consulter sur une affaire importante. Morbleu, je crains fort que cet honnête M. Nightingale ne me fasse perdre deux ou trois mille livres sterling.

— Eh bien, monsieur, je serai chez vous dans une demi-heure.

— Prenez une fois en votre vie conseil d’un sot. Ne vous amusez pas à lui parler le langage de la douceur ; ce seroit peine perdue. Je l’ai employé en vain assez longtemps. Il faut l’effrayer ; c’est le seul moyen convenable. Dites-lui que je suis son père ; mettez-lui devant les yeux toute l’horreur du péché de désobéissance, et le terrible châtiment dont il est puni dans l’autre monde. Dites-lui qu’elle sera condamnée dans celui-ci au pain et à l’eau, et enfermée le reste de sa vie dans un grenier.

— Je ferai tout ce qui dépendra de moi ; car je ne désire rien tant, je vous jure, qu’une alliance avec votre aimable fille.

— Oh quant à cela la petite n’est pas mal. On pourroit aller bien loin et rencontrer pire. J’ose m’en vanter, quoique ce soit mon enfant… Si seulement elle vouloit m’obéir, il n’y auroit pas à cent milles à la ronde, un père qui aimât plus sa fille que je n’aimerois la mienne. Mais je vois que vous êtes en affaire avec madame. Je vais vous attendre chez moi. Adieu, voisin, votre très-humble serviteur. »

Quand l’écuyer fut sorti, « Je m’aperçois, monsieur, dit mistress Waters, que M. Western n’a pas conservé le moindre souvenir de ma figure ; et je crois que vous ne m’auriez pas reconnue non plus. Je suis bien changée depuis le jour où vous daignâtes me donner ces sages conseil qui auroient fait mon bonheur, si je les avais suivis.

— J’appris, je l’avoue, madame, avec beaucoup de peine que vous n’en aviez guère profité.

— Ô monsieur, si vous saviez quelle noire et profonde scélératesse causa ma ruine, sans me juger innocente, vous me trouveriez peut-être moins coupable et digne de compassion. Vous n’avez pas maintenant le loisir d’entendre le récit de mon histoire. Ce que je puis vous attester, c’est que je fus trompée par une promesse solennelle de mariage. Je fus même réellement mariée devant Dieu au perfide qui m’abusa ; car je me suis convaincue par la lecture d’un grand nombre d’ouvrages, que les cérémonies publiques ne sont requises que pour donner au mariage une sanction légale, et assurer à une femme les droits d’épouse ; mais lorsqu’après une union sacrée, quoique formée en secret, une femme demeure constamment attachée à l’objet de sa tendresse, quelque nom qu’il plaise au monde de lui donner, sa conscience a peu de chose à lui reprocher.

— Je suis fâché, madame, que vous ayez fait un si mauvais usage de votre instruction. C’eût été un bonheur pour vous d’en avoir acquis davantage, ou d’être restée dans une complète ignorance. J’ai peur que cette faute ne soit pas encore la seule que vous ayez commise ; mais continuez.

— Tant que vécut celui qui m’avoit bercée d’un vain espoir, je lui gardai, je vous jure, une fidélité inviolable ; et considérez, monsieur, comme une circonstance en ma faveur, le triste sort d’une femme perdue de réputation et dénuée de toutes ressources. Pensez-vous que la malignité humaine permette à cette brebis égarée de rentrer dans la bonne voie, en eût-elle le plus vif désir ? Je n’aurois sûrement pas hésité à prendre ce parti, si je l’avois pu. La nécessité me jeta dans les bras du capitaine Waters ; nous passâmes ensemble plus de douze ans, portant le même nom, sans être mariés. Je me séparai de lui à Worcester, au moment où il marchoit avec son régiment contre les rebelles. Le hasard me fit alors rencontrer M. Jones, qui me sauva des mains d’un scélérat. On ne sauroit dire trop de bien de lui. Parmi les jeunes gens de son âge, nul, à mon gré, n’a moins de défauts ; et il en est peu qui possèdent la moitié de ses bonnes qualités. Quelles qu’aient été ses erreurs passées, je suis convaincue qu’il a pris la ferme résolution de les réparer par une conduite irréprochable.

— Je l’espère, et je me flatte qu’il persévérera dans cette louable disposition. J’aime aussi à concevoir de vous la même idée. Le monde, il est vrai, se montre peu disposé à l’indulgence en pareil cas ; cependant le temps et la persévérance parviennent à désarmer sa rigueur. Sans être, comme le Ciel, toujours prêt à recevoir en grace le pécheur pénitent, il se laisse à la fin toucher par le repentir. Si je vous trouve sincère dans vos sages résolutions, comptez, madame, que je vous aiderai de tout mon pouvoir à les accomplir. »

Mistress Waters tomba aux genoux de M. Allworthy, et les yeux baignés de larmes elle le remercia mille et mille fois de sa bonté qui, dit-elle, tenoit moins de l’homme que de la Divinité.

M. Allworthy la releva, et il cherchoit à la consoler par des paroles affectueuses, lorsque l’arrivée de Dowling l’interrompit. À la vue de mistress Waters, le procureur tressaillit et parut un peu embarrassé. Mais se remettant bientôt de son trouble, il dit à M. Allworthy, que malgré l’obligation où il étoit de se rendre sur-le-champ à une nouvelle conférence d’avocats chez M. Western, il avoit cru devoir venir l’informer du résultat de la consultation qu’il s’étoit chargé de faire ; que les gens de loi pensoient qu’il n’y avoit pas lieu d’intenter un procès criminel à la personne qui avoit trouvé et gardé les billets de banque, mais qu’on pouvoit former contre elle, avec succès, une demande en restitution.

M. Allworthy, sans rien répondre, ferma la porte au verrou, et lançant sur Dowling un regard sévère : « Monsieur, lui dit-il, quelque pressé que vous soyez, il faut que vous éclaircissiez mes doutes sur certains points. Connaissez-vous cette dame ?

— Cette dame, monsieur ? répéta Dowling, après une longue hésitation.

— Écoutez, M. Dowling, reprit M. Allworthy de l’air le plus imposant, si vous attachez le moindre prix à mon estime, si vous voulez conserver un moment de plus ma confiance, gardez-vous d’user de détours, et répondez franchement aux questions que je vais vous faire. Connoissez-vous cette dame ?

— Oui, monsieur, je l’ai vue.

— Où, monsieur ?

— Chez elle.

— Pour quelle affaire, et qui vous y envoyoit ?

— J’y allois pour savoir des nouvelles de M. Jones.

— Qui vous avoit chargé de cette commission ?

— Qui, monsieur ?… mais… c’étoit M. Blifil.

— Que dîtes-vous à cette dame ?

— Avec votre permission, monsieur, il m’est impossible de me le rappeler exactement.

— Veuillez, madame, aider la mémoire de monsieur.

— Il m’assura, dit mistress Waters, que si M. Jones avoit assassiné mon mari, un respectable gentilhomme qui savoit parfaitement à quel scélérat j’avois affaire, me fourniroit tout l’argent dont j’aurois besoin pour le poursuivre en justice. Ce sont là, je l’atteste, les propres expressions dont il se servit.

— Monsieur, vous servîtes-vous réellement de ces expressions ?

— Je ne m’en souviens pas très-bien, mais je crois m’être exprimé à peu près en ces termes.

— Et M. Blifil vous avoit-il autorisé à parler ainsi ?

— Assurément, monsieur, je n’aurois eu garde d’agir de mon chef, ni de dépasser mes pouvoirs dans une semblable affaire. Si je parlai de la sorte, c’étoit pour me conformer aux instructions de M. Blifil.

— Encore une fois, M. Dowling, écoutez-moi. Quelque conduite que vous ayez tenue dans cette affaire, par l’ordre de M. Blifil, je vous promets, en présence de cette dame, de vous pardonner, pourvu que vous ne me dissimuliez rien. Je crois comme vous le dites que vous n’auriez pas agi de votre chef et sans autorisation. M. Blifil vous envoya donc aussi à Aldersgate, pour y questionner les deux matelots ?

— Oui, monsieur.

— Et quelles instructions vous donna-t-il ? Rappelez vos idées, et répétez-moi autant que vous le pourrez ses propres paroles.

M. Blifil m’envoya à Aldersgate, pour tâcher de découvrir les témoins oculaires du duel. Il craignoit, dit-il, que ces gens ne se laissassent corrompre par M. Jones ou par ses amis. Il ajouta que le sang demandoit du sang, et que recéler un assassin, ou ne pas faire tous ses efforts pour le livrer à la justice, c’étoit se rendre complice de son crime. Il me dit encore qu’il savoit que vous seriez charmé de la punition du scélérat, quoique la bienséance ne vous permît pas d’y travailler ouvertement.

— Il vous dit cela ?

— Oui, monsieur ; et assurément pour tout autre que vous, je n’aurois pas été si loin.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Croyez, monsieur, qu’à quelque prix que ce fût, je n’aurois pas voulu charger ma conscience du crime de subornation : mais il y a deux manières de rendre témoignage. Je dis donc aux matelots, que si la partie adverse leur faisoit des offres, ils les refusassent, et qu’ils étoient sûrs de ne rien perdre par leur franchise et leur honnêteté. J’ajoutai que, suivant le bruit qui couroit, M. Jones avoit été l’agresseur, et que si le fait étoit vrai, ils eussent à le déclarer, leur donnant à entendre qu’ils ne s’en trouveroient pas mal.

— Je vois qu’en effet vous avez été fort loin.

— Mais, monsieur, je n’engageai pas ces gens à trahir la vérité, et je n’avois d’autre intention que de vous obliger.

— Vous n’auriez pas cru m’obliger, je pense, si vous aviez su que M. Jones étoit mon neveu.

— Il ne me convenoit point, monsieur, de paroître instruit d’un secret que vous sembliez vouloir cacher.

— Commentn vous saviez donc…?

— Si vous m’ordonnez de vous dire la vérité, je vous obéirai. Oui, monsieur, je savois depuis long-temps que M. Jones étoit votre neveu. Je l’appris par les dernières paroles que m’adressa madame Blifil, lorsque étant seul près de son lit elle me remit la lettre que je vous portai de sa part.

— Quelle lettre ?

— La lettre, monsieur, que j’apportai de Salisbury, et que je remis entre les mains de M. Blifil.

— Ô ciel !… Eh bien, quelles furent les dernières paroles de ma sœur ?

— Elle me prit la main, et me donnant la lettre, elle m’adressa ces mots d’une voix défaillante : « À peine sais-je ce que j’ai écrit. Dites à mon frère que Jones est son neveu… il est mon fils. Dieu le bénisse. » Elle tomba alors en foiblesse. J’appelai du secours ; elle ne recouvra pas la parole, et peu de minutes après elle expira.

M. Allworthy leva les yeux au ciel, et garda un instant le silence : « Qui vous empêcha, monsieur, dit-il à Dowling, d’exécuter les ordres de ma sœur ?

— Veuillez vous rappeler, monsieur, qu’une grave indisposition vous retenoit alors dans votre lit. Étant très-pressé, comme je le suis toujours, je remis à M. Blifil la lettre de sa mère, et lui répétai ses dernières paroles. Il me dit qu’il rempliroit auprès de vous la mission dont j’étois chargé, et m’assura depuis qu’il s’en étoit acquitté ; mais que par intérêt pour M. Jones, et par égard pour la mémoire de votre sœur, vous désiriez que le fait restât à jamais ignoré du public. Aussi, monsieur, si vous ne m’en aviez point parlé le premier, je n’aurois pas pensé qu’il me fût permis d’en dire un mot, ni à vous, ni à personne. »

Nous avons déjà remarqué ailleurs qu’on peut donner au mensonge les couleurs de la vérité ; c’est ce qui étoit arrivé dans la circonstance dont nous parlons. Blifil avoit réellement dit à Dowling ce que celui-ci venoit de rapporter ; mais loin qu’il se fût proposé de le tromper, il n’avoit pas même cru la chose possible. Ce n’étoit en effet que sur ses promesses que Dowling avoit consenti à se taire. Or, quand le procureur vit clairement que Blifil ne conservoit plus aucun moyen de remplir ses engagements ; quand il se sentit en outre pris au dépourvu et dans l’impossibilité de recourir à des subterfuges, ses précédentes révélations, l’espoir du pardon, le ton impérieux et les regards menaçants de M. Allworthy lui arrachèrent les aveux qu’on vient de lire.

M. Allworthy parut très-satisfait de ce qu’il avoit appris. Il enjoignit à Dowling une grande discrétion, et le conduisit lui-même jusqu’à la porte de la maison, dans la crainte qu’il ne vît Blifil. Le jeune écuyer étoit remonté dans sa chambre, où il s’applaudissoit du succès de son dernier mensonge, ne se doutant guère de ce qui s’étoit passé depuis, au rez-de-chaussée.

En rentrant dans son appartement, M. Allworthy rencontra mistress Miller, qui, glacée d’effroi et la pâleur sur le front, s’écria : « Monsieur, on m’a dit que vous aviez vu cette misérable femme, et que vous saviez tout. N’abandonnez pas pour cela, je vous en conjure, ce pauvre jeune homme ; considérez, monsieur, qu’il ignoroit que c’étoit sa mère. Une si affreuse découverte suffira pour lui briser le cœur, sans que vous joigniez à son malheur le poids de votre colère.

— Madame, répondit M. Allworthy, ce que je viens d’apprendre me cause un étonnement qui ne me permet pas de vous répondre ; mais suivez-moi dans ma chambre. J’ai fait d’étranges découvertes, et vous en aurez bientôt connoissance. »

La pauvre femme le suivit en tremblant. Lorsqu’il fut rentré chez lui, il prit mistress Waters par la main, et s’adressant à mistress Miller : « Comment pourrai-je, lui dit-il, reconnoître le service que cette dame m’a rendu ? Ô mistress Miller ! vous m’avez entendu mille fois appeler du nom de fils le jeune homme à qui vous avez voué une amitié si fidèle. J’étois loin de penser alors qu’il me fût uni par les liens du sang. Votre ami, madame, est mon neveu, il est le frère de l’odieux serpent que j’ai si long-temps nourri dans mon sein. Cette dame vous contera son histoire, elle vous dira de quelle manière il a passé pour son fils. Je suis convaincu maintenant qu’on l’a calomnié, et que j’ai été trompé par celui que vous soupçonniez, avec trop de raison, d’être un scélérat… C’est en effet le plus scélérat de tous les hommes. »

La joie ôta la parole à mistress Miller, et l’auroit privée de l’usage de ses sens, peut-être même de la vie, si un torrent de larmes ne l’eût à propos soulagée. « Quoi, dit-elle, dès qu’elle eut recouvré la faculté de parler, mon cher M. Jones est votre neveu ? il n’est point le fils de cette dame ? Vos yeux sont ouverts sur son compte ? et je vivrai pour le voir jouir du bonheur qu’il mérite ?

— Oui, madame, il est mon neveu, et j’espère que tous vos souhaits seront accomplis.

— Et c’est à cette chère bonne dame que nous devons une si heureuse découverte ?

— À elle-même.

— Eh bien, s’écria mistress Miller en tombant à genoux, puisse le ciel répandre sur elle toutes ses bénédictions, et lui pardonner, en faveur de cette bonne action, ses fautes passées, quelque nombreuses qu’elles puissent être. »

Mistress Waters leur dit alors que Jones ne tarderoit sûrement pas à recouvrer sa liberté ; que le chirurgien de M. Fitz-Patrick s’étoit rendu avec un personnage de distinction chez le juge de paix qui avoit lancé le mandat d’arrêt, pour certifier que le gentilhomme blessé étoit hors de danger, et pour solliciter l’élargissement du prisonnier.

M. Allworthy, qu’une affaire importante obligeoit de sortir, témoigna le désir de trouver Jones chez lui à son retour. Il fit demander une chaise à porteurs, et laissa les deux dames ensemble.

M. Blifil, en entendant le bruit de la chaise, descendit chez son oncle avec son attention ordinaire, et lui demanda s’il alloit sortir ; ce qui est une manière polie de demander à quelqu’un où il va. M. Allworthy ne répondant pas, Blifil s’informa de l’heure à laquelle il comptoit rentrer. M. Allworthy, sans répondre davantage, monta dans sa chaise. « Ayez soin, monsieur, dit-il, de retrouver avant mon retour la lettre que votre mère m’écrivit de son lit de mort. » Il partit à ces mots, laissant Blifil dans une situation qui ne peut être enviée que par un homme qu’on va pendre.


  1. Prétendu magicien, dont il existe une histoire curieuse traduite de l’allemand et imprimée à Cologne en 1712.Trad.