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Topiques

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Topiques
Traduction par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire.
Librairie philosophique Ladrange (4p. ix-xlv).

PLAN DES TOPIQUES.



LIVRE PREMIER.


DE LA DIALECTIQUE.DES QUESTIONS DIALECTIQUES. — DES INSTRUMENTS DIALECTIQUES.


L’art de la dialectique a pour but d’enseigner à raisonner méthodiquement sur toute espèce de sujets, en se serrant de propositions simplement probables. C’est avec des propositions de ce genre que, des deux interlocuteurs, celui qui interroge attaque la thèse en discussion ; c’est aussi avec elles que celui qui répond se défend, en prenant bien garde de ne jamais se contredire lui-même. On sait ce qu’est le syllogisme ordinaire, indifférent, dans ses formes toujours les mêmes, au vrai et au faux. On sait ce qu’est le syllogisme démonstratif, qui ne part jamais que de prémisses nécessaires. Le syllogisme dialectique se contente de prémisses qui n’ont pour elles que la probabilité. L’on doit regarder comme probable ce qui semble tel, soit à tous les hommes, soit au plus grand nombre, soit aux sages ; et parmi les sages, soit à tous, soit à la majorité, soit tout au moins aux plus illustres d’entre eux. Le syllogisme n’est pas même dialectique, il n’est que contentieux et sophistique, lorsque ses prémisses ne sont probables qu’en apparence, et qu’elles n’ont pas même en réalité ce premier degré de vraisemblance qui résulte de l’opinion vulgaire. Le syllogisme devient un paralogisme, lorsque, tout en empruntant ses principes à la matière même qu’on discute, il ne sait pas choisir ces principes, et ne prend dans le genre mis en Question que des principes faux.

La dialectique, du reste, tout imparfaits que sont ses moyens, ne laisse pas que d’être utile. Elle apprend, d’abord, à discuter dans l’un et l’autre sens ; puis, elle nous aide dans les simples conversations qu’amène la vie de chaque jour, où, sans aucun appareil régulier de discussion, les opinions ont cependant à se produire et à se défendre ; enfin, la dialectique petit servir à la philosophie elle-même, parce qu’en agitant les questions comme elle le fait, dans les deux sens, elle met la vérité davantage en lumière ; mais surtout, et le service est considérable, parce qu’une fois les principes atteints, la démonstration et la science n’ayant plus sur eux aucune prise, c’est la dialectique seule qui peut encore essayer de leur donner plus de clarté qu’ils n’en ont par eux-mêmes.

On ne veut point prétendre que la dialectique soit toujours à même de rendre de si complets services : tout ce qu’on peut exiger du dialecticien, c’est qu’il possède parfaitement tous les détails de la méthode qui doit les rendre.

Dans toute discussion, on ne peut jamais que se proposer l’une des quatre questions suivantes : Quel est l’attribut propre du sujet ? quelle est la définition du sujet ? quel est le genre du sujet ? quel est l’attribut accidentel du sujet ? Il n’y a donc que quatre questions dialectiques ; et par conséquent aussi, quatre sortes de propositions, qui répondent une à une aux quatre questions. La proposition se prononce pour l’une des deux parties de la contradiction que la question laisse indécises. De plus, la proposition reste dans les prémisses ; la question produit la conclusion. C’est donc avec les propositions qu’on fait les syllogismes ; mais c’est pour les questions qu’on les fait.

La définition est, comme on sait, l’explication essentielle de la chose, le défini pouvant, d’ailleurs, être représenté par un seul mot ou une phrase entière, tout comme la définition, ou les parties de la définition même. Le propre, et la définition n’est, à vrai dire, qu’une espèce de propre, est l’attribut qui, sans exprimer l’essence de la chose, n’appartient cependant qu’à la chose seule, et est, par suite, aussi étendu et pas plus étendu qu’elle, le propre pouvant être d’ailleurs absolu ou simplement relatif et temporaire. Le genre est l’attribut qui appartient essentiellement aux choses de même espèce. L’accident, enfin, qui n’est ni définition, ni propre, ni genre, est l’attribut qui peut être aussi bien que n’être pas au sujet.

On pourrait traiter ces quatre attributs dialectiques par une seule méthode ; mais cette méthode unique serait obscure ; il vaut mieux instituer une méthode particulière pour chacun d’eux. L’usage de ces méthodes spéciales sera plus commode que ne le serait une méthode générale, qui prétendrait embrasser à elle seule les quatre questions.

On peut se convaincre que les questions dialectiques sont au nombre de quatre, ni plus ni moins, d’abord, par l’induction, en prenant une à une les questions dialectiques, et en s’assurant, sur un certain nombre de cas, que ce sont elles qui s’appliquent uniquement aux objets indiqués. On peut, en outre, s’en convaincre par le syllogisme, et directement. En effet, tout attribut est égal, en extension, à son sujet, ou il lui est inégal. S’il lui est égal et essentiel, c’est une définition ; s’il lui est égal et non essentiel, c’est un propre. D’autre part, s’il lui est inégal et essentiel, c’est un genre, en comprenant aussi la différence dans le genre ; enfin, s’il lui est inégal et non essentiel, c’est un accident. Il n’est pas possible de faire une cinquième supposition.

Quant aux sujets de ces attributs, ils sont toujours dans l’une des dix catégories : substance, quantité, qualité, relation, lieu, temps, situation, manière d’être, action ou passion. Quand le sujet et l’attribut sont dans la même catégorie, l’attribution est essentielle ; sinon, elle n’est qu’accidentelle.

On voit, d’ailleurs, qu’une proposition, qu’une question n’est dialectique que quand elle peut être soutenue par des gens sensés. Si l’erreur est trop manifeste, elle n’est point dialectique, parce que personne ne consentirait à la défendre. Sans être probable, une proposition peut être dialectique, si elle ressemble à une proposition probable ; ou si, contredisant une proposition probable, elle est mise sous forme contraire ; ou enfin, si elle a pour elle, dans une science spéciale, dans un art particulier, l’assentiment des habiles.

La proposition, ou question dialectique, peut avoir pour but de nous déterminer à fuir certaines choses, à en rechercher certaines autres. C’est un but tout pratique : témoin toutes les questions de morale. Parfois, son but est différent ; elle se borne à nous faire savoir les choses : témoin les questions de physique et de logique. Morale, physique, logique, ce sont là, en effet, les trois ordres entre lesquels toutes les propositions se partagent, soit qu’on aborde le sujet directement, soit que, sans l’aborder immédiatement, on s’adresse à un autre, dont la connaissance est préalablement indispensable, et mène à celle du premier. La thèse est toujours une proposition paradoxale, qui doit avoir pour elle l’autorité de quelque grand nom en philosophie. On ne doit point d’ailleurs souffrir, même en dialectique, ces questions qui, par leur immoralité, réclament une sorte de châtiment, un blâme énergique ; ni celles qui, par leur naïveté même, indiquent une lacune dans la sensibilité de celui qui les fait. Doit-on honorer les Dieux ? Sur cette question d’un esprit dépravé, il n’y a point de discussion à établir. Il faut faire rougir l’interlocuteur qui la pose par le juste blâme dont on le châtie. La neige est-elle blanche ? A cette question, il n’est qu’une réponse ; c’est de renvoyer celui qui la fait au témoignage de ses sens. Une question cesse aussi d’être dialectique quand elle est trop difficile, et qu’il ne faudrait pas moins, que toutes les ressources de la démonstration pour la bien traiter.

La dialectique peut, d’ailleurs, comme la science elle-même, faire usage, soit du syllogisme, soit de l’induction : celle-ci, plus claire, parce qu’elle est plus rapprochée des sens, plus accessible au vulgaire et plus persuasive ; celui-là, plus puissant auprès des esprits éclairés, et plus fort dans la réfutation.

A côté des quatre questions que la dialectique se pose, elle emploie quatre procédés pour arriver à les résoudre, et ces procédés sont ce qu’on pourrait appeler ses instruments. Savoir choisir les propositions convenables ; connaître les divers sens que les mots peuvent offrir ; discerner les différences des choses ; enfin, discerner les ressemblances : tels sont les quatre moyens par lesquels la dialectique arrive à son but. Le premier est le plus important de tous ; les trois autres ne sont que secondaires.

Les propositions à choisir sont les propositions probables, qu’on reconnaît aux caractères indiqués plus haut ; ce sont aussi les propositions Traies, qui ne sont pas exclues de la dialectique, bien qu’elles n’y soient pas indispensables. Ces opinions probables doivent être recueillies, d’abord, dans les discussions des hommes distingués ; elles doivent être extraites aussi avec soin de leurs ouvrages ; et il faut savoir les classer avec ordre et clarté, suivant la nature diverse des sujets sur lesquels elles portent : morale, logique et physique.

En signalant les divers sens des mots, il faut aussi en donner les motifs et signaler les causes auxquelles ils tiennent. Ainsi, les opposés, dans toutes leurs nuances, contraires, contradictoires, privatifs et possessifs, relatifs, etc. ; ainsi, les conjugués, les genres, les définitions ; ainsi même, la comparaison, pourront fort bien donner lieu à des homonymes, dont il importe de se rendre compte sous toutes les faces.

On peut discerner des différences entre les choses, soit dans un même genre, et c’est là qu’elles sont le moins faciles à reconnaître, à cause de la proximité même où elles sont, soit dans des genres différents, voisins ou éloignés les uns des autres.

Enfin, les ressemblances sont surtout à rechercher dans les genres distincts, parce qu’on les y découvre moins aisément ; ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse aussi en trouver dans un même genre.

L’emploi des trois derniers instruments dialectiques est utile pour apprendre plus clairement, à l’interlocuteur qui répond le sujet qu’il défend, et à l’interlocuteur qui interroge, l’objet véritable de ses attaques, qui doivent porter, non sur le mot, mais sur la chose même. A tous deux, il leur enseigne à ne point se perdre dans des paralogismes purement verbaux, à ne point s’arrêter à des discussions sans importance, plus convenables au sophiste qu’au dialecticien. L’un et l’autre, ils discerneront mieux ainsi la véritable essence des choses, et ils sauront établir alors leurs inductions, leurs syllogismes et leurs définitions, sur des bases plus solides.

Tel est donc le domaine de la dialectique ; tel est son but ; telles sont les questions qu’elle se pose ; tels sont les procédés qu’elle emploie ; telle est, en un mot, sa méthode. Voici maintenant les lieux d’où elle tire les solutions générales qu’elle applique à chaque question :


{{t2| LIVRE SECOND.}}


LIEUX COMMUNS DE L’ACCIDENT.


L’accident étant le plus ordinaire des attributs dialectiques, c’est de lui qu’il faut d’abord s’occuper. Le premier lieu consiste à bien distinguer l’accident des autres attributs dialectiques, et surtout à ne pas le confondre avec le genre, qu’on prend trop souvent pour lui. Et c’est ici, surtout, qu’il faudra se défendre de parler, comme le vulgaire le fait, avec peu de justesse et de discernement. Il faudra s’énoncer comme s’énoncent les habiles et les sages. L’homonymie pourra causer des méprises, soit qu’elle échappe à l’interlocuteur, soit que, découverte par lui, elle puisse fausser, particulièrement ou universellement, l’un des sens ou tous les sens du sujet en discussion. L’alternative peut d’ailleurs porter, non pas seulement sur un mot, mais sur une proposition tout entière. On peut profiter aussi du rapport des mots pour substituer un mot plus commode à un autre qui embarrasse davantage, soit pour attaquer, soit pour soutenir la thèse, Pour apprendre à ne point confondre l’accident avec le genre, on peut étudier quels sont, au vrai, les rapports de l’espèce au genre, du genre à l’espèce, et se rendre compte, par là, des rapports que l’accident soutient avec l’un et avec l’autre. Quand la discussion engagée, pour défendre ou combattre l’accident, n’offre pas tous les arguments qu’on désire, il faut savoir faire passer l’interlocuteur à un sujet voisin, mais différent, pour lequel on aura des arguments en abondance à lui opposer. C’est un procédé, il faut le dire, qui convient beaucoup plus au sophiste qu’au dialecticien ; mais, pourvu que le déplacement de la discussion semble nécessaire, et souvent il le paraît, la dialectique peut en faire loyalement usage. Si elle a recours à cette ressource, c’est ordinairement dans les cas où l’interlocuteur ne sait pas accorder les propositions absolument indispensables à la discussion où il s’est engagé. Il faut aussi, pour ne pas confondre l’accident avec tout autre attribut, bien savoir ce qu’on doit entendre par accident, et les divers modes suivant lesquels l’accident peut être au sujet. Parfois, l’interlocuteur pousse l’ignorance sur ce point jusqu’à faire du sujet l’accident même du sujet, sous une autre nom, il est vrai, mais parce qu’il ne voit pas que ce nouveau mot signifie la même chose absolument que celui dont il le fait l’accident. Les combinaisons des contraires, bien observées, peuvent apprendre aussi dans quel cas l’accident peut ou ne peut pas être au sujet. Ainsi, quand le contraire de l’accident est actuellement au sujet, l’accident ne peut être au sujet actuellement, puisque les contraires ne sont jamais simultanés, etc. Il suffit que l’accident entraîne à sa suite quelque conséquent contraire au sujet pour qu’il ne puisse pas être au sujet. Bien plus, si le contraire de l’accident ne peut être au sujet, l’accident lui-même ne pourra point y être non plus ; car tout sujet est susceptible des contraires. On peut encore s’éclairer sur la fausseté ou la justesse de l’accident attribué, en consultant les règles qui président à la consécution des opposés, soit contradictoires, soit contraires, soit relatifs, etc. ; à la consécution des conjugués et des cas ; et, enfin, en consultant les rapports que soutiennent toujours entre elles la production et la destruction des choses, la naissance et la perte. Ainsi, la chose est bonne, si la production en est bonne, si la destruction en est mauvaise ; elle est mauvaise, si la production en est mauvaise, si la destruction en est bonne. Ici, consécution directe ; là, consécution renversée, etc. L’accident, d’ailleurs, doit toujours suivre les diverses phases d’intensité ou de rémission par lesquelles passe son sujet ; bien entendu qu’il s’agit d’un seul accident pour un seul sujet. Si un même accident s’applique à deux sujets, et qu’il ne soit pas à celui auquel il semble être le plus, à plus forte raison ne sera-t-il point à celui auquel il semble être le moins ; à l’inverse, s’il est à celui auquel il semble être le moins, à plus forte raison sera-t-il à celui à qui il semble être le plus. Raisonnements analogues, si deux accidents sont à un seul et même sujet, et que l’un des accidents soit plus et l’autre moins au sujet ; ou, si deux accidents sont à deux sujets avec les mêmes conditions. L’accident ajouté au sujet, et lui communiquant une qualité, ou augmentant une qualité qui est dans ce sujet, a nécessairement aussi cette qualité. Si l’accident est plus ou moins au sujet, on doit dire aussi qu’il y est absolument parlant. Enfin, quand un accident est au sujet avec une condition quelconque, une restriction de temps, de relation, etc., on doit pouvoir dire aussi qu’il y est absolument, quoique ce lieu puisse donner matière à bien des objections.

Tels sont les lieux principaux de l’accident considéré d’une manière absolue, universelle. Mais l’accident peut être, non plus en soi, mais comparativement à quelqu’autre ; il peut, en outre, être particulier.


{{t2| LIVRE TROISIÈME.}}


SUITE DES LIEUX COMMUNS DE L’ACCIDENT.


La comparaison doit toujours s’établir entre des accidents rapprochés les uns des autres et presque semblables. S’ils sont fort éloignés, les différences sont de toute évidence, la supériorité de l’un sur l’autre est incontestable, et la discussion n’a point à s’en occuper. Ainsi, un accident, une chose est préférable à une autre, quand c’est un bien plus durable, moins passager ; quand elle a pour elle l’assentiment, l’opinion générale ou celle des sages ; quand elle est désirable en soi, et que l’autre n’est désirable qu’en vue d’une chose différente ; quand elle produit directement de bons effets, au lieu de ne les produire que médiatement par une autre ; quand elle est absolument bonne, au lieu de ne l’être qu’à certains égards, etc., etc., etc.

Une chose est encore préférable à une autre, quand ses conséquents sont meilleurs ; quand elle amène du plaisir à sa suite ; quand elle n’entraîne pas de douleur après elle ; quand elle suffit à elle seule pour rendre heureux ; quand elle est d’acquisition plus difficile ; quand elle est superflue ; quand on peut l’acquérir par soi seul, sans l’intervention des autres.

Enfin, une chose est préférable à une autre, lorsque, dans le même genre ou la même espèce, l’une à la vertu propre de cette espèce et que l’autre ne l’a pas ; ou bien, quand l’une l’a plus que l’autre ; quand elle rend bonne la chose à laquelle elle est, tandis que l’autre n’a pas la même puissance ; quand c’est une chose supérieure à laquelle elle donne ainsi de la bonté ; quand elle est vraiment désirable en soi, et non point seulement par vanité ; quand elle donne à la fois honneur, utilité, plaisir, et que l’autre ne peut assurer qu’un ou deux de ces avantages, etc., etc., etc.

On peut, du reste, avec les mêmes lieux, savoir, en retranchant toute idée de comparaison, les choses qui sont à fuir et celles qui sont à rechercher.

On peut, en outre, avec de très légers changements, adapter tous les lieux de questions morales à des questions physiques, à des questions logiques : il suffirait, pour cela, de leur donner une forme un peu plus générale.

Enfin, il est facile aussi d’employer tous les lieux universels sous forme particulière, parce que les propositions particulières se rapportent toujours aux propositions universelles, qui affirment ou qui nient comme elles. Les lieux universels dont on pourra le plus aisément tirer des lieux particuliers, sont ceux qui concernent les opposés dans toutes leurs nuances, les conjugués et les cas, les comparaisons, etc., etc.

Tels sont les lieux de l’accident universel et particulier.


LIVRE QUATRIÈME.


LIEUX COMMUNS DU GENRE.


Les lieux du genre doivent être étudiés après ceux de l’accident, et avant ceux du propre et de la définition, parce que le propre et la définition ne pourraient se former sans le genre lui-même. Les lieux du genre se confondent avec les règles qui le régissent nécessairement. Ainsi, d’abord, le genre doit pouvoir être attribué à toutes les espèces qui lui sont subordonnées. Il est toujours dans la même catégorie qu’elles. Le genre communique sa définition à ses espèces, mais il ne reçoit pas la leur. Le genre est toujours attribué à ce à quoi l’espèce est attribuée. Le genre est toujours plus large que l’espèce et que la différence spécifique. Le genre est commun à toutes les espèces qu’il renferme. Si donc, le terme donné pour genre ne peut être attribué à l’une des espèces, c’est que ce terme n’est pas véritablement genre. Le genre est, de plus, attribué essentiellement à ses espèces ; il ne peut jamais être en dehors de ses espèces.

Quand deux genres sont à une seule espèce, l’un de ces genres est subordonné à l’autre. Quand un genre subordonné est l’attribut d’un sujet, tous les termes supérieurs sont aussi les attributs de ce sujet. Quand le genre est attribué, sa définition aussi peut l’être. Le genre ne peut être confondu avec la différence, pas plus que la différence ne peut être confondue avec l’espèce : elle ne participe pas du genre. Le genre ne peut donc être sujet de la différence ; mais, du moment que le genre est attribué, il faut aussi qu’une des différences de ce genre le soit également. Le genre est naturellement antérieur à l’espèce, et l’espèce peut être détruite sans que le genre le soit L’espèce ne quitte jamais le genre, et ne peut, par conséquent, participer au contraire du genre. Le genre peut recevoir tous les attributs des espèces. Tout genre renferme plusieurs espèces. Le genre et les espèces sont toujours synonymes. Tout genre est attribué proprement et non métaphoriquement à ses espèces.

Il suit de ces règles que, si le genre en question n’ayant pas de contraire, le contraire de l’espèce n’est pas dans ce même genre, c’est que le raisonnement est faux ; que si le genre ayant tel contraire, le contraire de l’espèce n’est pas dans le genre contraire, on s’est également trempé ; que si le genre et l’espèce ayant un contraire, les genres contraires ont des intermédiaires sans que les espèces en aient, la proposition est réfutable ; qu’elle l’est également, si le genre et l’espèce contraires ayant des intermédiaires ne les ont pas dans le même rapport ; qu’au contraire, le genre a été bien donné, si le genre n’ayant pas de contraire et l’espèce en ayant un, en a placé le contraire sous ce genre, etc.

On peut encore tirer les lieux du genre, des conjugués, des causes et des effets, des opposés dans toutes leurs nuances, contradictoires, relatifs, etc. Si, par exemple, tous les conjugués de l’espèce sont bien sous les conjugués du gente, la proposition est vraie. Si la cause est bien le genre de la cause, l’effet sera bien le genre de l’effet. Si l’espèce est un relatif, il faut que le genre en soit un ; ou autrement l’on s’est trompé. Si le genre n’est pas relatif de la façon que l’est l’espèce, c’est que le genre n’a pas été bien indiqué, etc., etc., etc.

Le genre de l’acte ne peut être le genre de la faculté, ni réciproquement. La puissance qui suit la faculté n’est pas le genre de cette faculté. Le conséquent qui n’est pas toujours avec son antécédent, ne peut être le genre de cet antécédent. Le genre est tout entier à l’espèce et n’y est pas seulement en partie. La partie ne peut être le genre du tout. Ce qui est sous deux genres ne peut être convenablement placé sous un seul.

Ce qui ne se communique point à des espèces différentes ne peut être pris pour genre. Ce qui est le genre de tout, l’être, l’un, le bien, etc, ne peut être pris pour le genre de quoi que ce soit en particulier. Ce qui est dans le sujet ne peut être le genre du sujet. Ce qui n’est point attribué synonymiquement n’est point genre. Ce qui peut être également rapporté à deux genres doit être rapporté au meilleur. Le genre, enfin, est ce qui étant constamment le conséquent du sujet, sans lui être réciproque, est plus étendu que lui.

Tels sont donc les principaux lieux du genre. On peut, suivant leur nature, suivant aussi les besoins de la discussion, les employer à réfuter ou à soutenir la thèse. Les uns peuvent servir dans les deux sens ; quelques autres ne peuvent servir que dans un seul. C’est à l’interlocuteur de les distinguer, et d’en faire un habile usage, suivant les positions diverses que la discussion peut lui donner.


LIVRE CINQUIÈME.


LIEUX COMMUNS DU PROPRE.


Le propre peut être distingué en quatre espèces, dont chacune prête à la dialectique des ressources plus ou moins faciles, plus ou moins considérables. Le propre peut être donné pour la chose prise en soi et indépendamment de toute relation. Le propre peut être donné pour une chose comparée à une autre ; il peut être donné comme perpétuel ; il peut enfin être donné comme simplement temporaire. Le propre en soi isole et sépare complètement le sujet de tout autre ; le propre relatif ne l’isole que d’un autre sujet spécial et limité. Le moins dialectique de ces quatre propres, c’est le propre temporaire, qui ne peut fournir matière qu’à un très petit nombre de questions. Quant au propre relatif, les lieux qui le concernent sont précisément les mêmes que ceux de l’accident ; parce qu’il est lui-même plutôt un accident qu’un propre. Reste donc uniquement à traiter le propre en soi et le propre perpétuel.

Tous les lieux sur le propre peuvent se réduire à deux principaux : Le propre a-t-il été bien donné ? Le propre donné est-il bien un propre ? Le propre est mal donné, il est mal exposé, si on le tire de termes moins connus que le sujet ; car on ne donne le propre du sujet que pour faire mieux connaître le sujet même. Si, par exemple, on dit que le propre du feu c’est de ressembler à l’âme, ce propre est moins connu que le sujet ; car nous connaissons le feu plus que nous ne connaissons l’âme. Parfois le propre donné peut être connu, mais l’on ignore qu’il appartienne au sujet, et alors le propre n’est pas mieux donné. Il ne faut donc pas que les mots dont on se sert pour exprimer le propre soient homonymes, ou que la phrase soit amphibologique. Il faut veiller aussi aux diverses significations que le sujet lui-même peut présenter. Il ne faut pas davantage que le propre renferme de tautologie, vice qui souvent échappe même à la plus scrupuleuse attention. Le propre ne doit point surtout renfermer des attributs qui puissent être appliqués à toute chose. Enfin il ne faut pas davantage confondre plusieurs propres en un seul.

XXII Le propre est mal donné s’il contient le sujet ou une partie du sujet, si même il contient un terme simultané au sujet ; et c’est ainsi que le contraire est mal donné pour le propre du contraire. Le propre est mal donné, si, n’étant pas perpétuel, on le donne sans indiquer la limitation de temps, et d’une manière absolue. On ne peut donner pour propre ce qui n’est connu que par la sensation, et est par conséquent aussi instable qu’elle. Enfin, il ne faut pas que le propre donne l’essence ; car on le confondrait avec la définition ; et pourtant il doit donner le genre et les différences, mais ces différences né doivent pas être essentielles.

Le propre donné est-il réellement un propre ? Pour répondre à cette question, on pourra remarquer que ce qui n’appartient à aucune des espèces du sujet ne peut être le propre du sujet : que ce qui ne peut être pris réciproquement pour le sujet n’est pas un propre : que le sujet ne peut être donné pour le propre d’une de ses espèces : que le genre et la différence essentielle ne peuvent être donnés pour des propres ; que ce qui est antérieur ou postérieur au sujet, et non simultané, ne peut en être le propre : que pour des choses identiques le propre doit être identique, etc., etc. On pourra remarquer que le propre n’est point réellement propre, si l’on n’a point dit dans quel sens on l’entend : par exemple, si l’on n’a point dit qu’il s’agit d’un propre de nature, ou d’un propre temporaire, ou d’un propre immédiat qui est au sujet sans intermédiaire, etc., etc.

Si quatre termes sont dans ce rapport, que le second soit le contraire ou le relatif du premier et le quatrième du troisième, si le troisième est le propre du premier, le quatrième sera le propre du second, etc., etc.

Si les quatre termes sont des conjugués deux à deux, le troisième étant le propre du premier, le quatrième le sera du second, etc., etc.

Le propre qui ne repose que sur une simple puissance du sujet est rarement bien donné, parce qu’on pourrait alors l’appliquer au non être. Le propre donné par le superlatif n’est pas mieux donné ; car il n’appartient pas au sujet seul, puisque ce sujet venant à disparaître, il en restera toujours un autre, qui présentera la qualité dont il s’agit à un degré comparativement supérieur.

Tels sont donc les lieux principaux par lesquels on prouvera que le propre a été bien ou mal donné, et qu’il est ou qu’il n’est pas réellement le propre cherché.


{{t2| LIVRE SIXIÈME.}}


LIEUX COMMUNS DE LA DÉFINITION.


Les lieux de la définition peuvent être partagés en deux grandes classes : les uns pour l’attaquer, les autres pour la défendre.

La définition peut offrir cinq défauts : elle peut de pas s’appliquer à tout le défini, ne pas donner le genre propre du défini, n’être point applicable au seul défini, ne point exprimer l’essence de la chose, enfin n’être point régulière dans sa forme. Les trois premiers défauts doivent être attaqués par les lieux de l’accident, ceux du genre et ceux du propre ; les deux derniers sont spéciaux à la définition. C’est par le cinquième qu’il faut commencer, et ce défaut peut se diviser lui-même en deux espèces : ou la définition est obscure, ou elle contient des éléments inutiles.

La définition est obscure quand elle contient des termes homonymes ; et ces termes homonymes peuvent être soit dans la définition elle-même, soit dans le défini. La définition est obscure aussi quand elle emploie des métaphores, ou des mots inusités, ou des mots impropres. On peut affirmer encore qu’elle est obscure, quand elle ne fait pas connaître le contraire du défini aussi bien que le défini lui-même, et quand elle ne fait pas connaître l’essence de la chose. Elle est alors comme ces mauvais tableaux au-dessous desquels il faut écrire en toutes lettres le nom de l’objet que le peintre a prétendu représenter.

La définition contient des éléments inutiles, quand les mots dont elle se sert sont communs et pourraient convenir à toute autre chose que le défini ; quand on peut, en retrancher une partie sans en altérer le sens ; quand une partie ne peut convenir à toutes les espèces de défini ; quand il y a tautologie patente ou cachée.

Telles sont les irrégularités que la définition peut présenter dans sa forme. Mais le plus grave défaut qu’elle puisse avoir c’est de ne point donner l’essence de la chose, et alors elle cesse d’être une vraie définition.

Toute définition qui ne se compose pas d’éléments antérieurs au défini et plus connus que lui, est mauvaise. Il faut d’ailleurs, comme on sait, que ces éléments soient antérieurs et plus connus, non pas seulement par rapport à nous, mais en nature. C’est là ce qui fait que le repos ne peut être défini par le mouvement ; qu’une chose ne peut être définie par son contraire pas plus que par elle-même ; que les espèces de même ordre ne peuvent être définies les unes par les autres ; que ce qui est d’une catégorie supérieure ne peut être défini par la catégorie inférieure, parce qu’alors on emploie le défini dans la définition même qu’on prétend en donner.

La définition est mauvaise, quand elle a omis de donner le genre du défini ; si elle n’a pas suivi le défini dans toutes ses relations ; si elle n’a considéré le défini que dans son rapport le moins élevé, lorsqu’il en a plusieurs ; si elle n’a pas donné le genre le plus prochain du défini, indispensable pour en faire connaître l’essence.

On peut encore attaquer la définition, si elle n’a pas donné les différences du genre, ou si elle n’a pas donné les différences propres. Ainsi toute différence doit avoir une différence opposée dans la même division qu’elle et applicable au genre ; toute différence jointe au genre doit constituer une espèce ; la différence n’est jamais une espèce ; elle n’est jamais un genre ; jamais elle n’exprime l’essence de la chose ; jamais elle n’est accidentelle ; jamais elle n’a le genre pour attribut, non plus qu’elle n’a jamais l’espèce ; elle est antérieure à l’espèce ; une même différence ne peut s’appliquer à deux genres subordonnés, à moins que ces genres ne soient eux-mêmes sous un genre commun ; elle ne peut tenir uniquement au lieu, à une simple modification ; elle tient au sujet primitif de la chose.

La définition est mauvaise, si elle s’applique moins bien au défini qu’à une autre chose ; si, le défini s’accroissant, la définition ne s’accroît pas avec lui ou à l’inverse ; si elle rapporte le défini à deux choses distinctement.

Si elle omet la relation que contient le défini, la fin à laquelle il tend et à laquelle il se rapporte, les circonstances qui le font être ce qu’il est, la condition de l’apparence, dans certains cas où elle est indispensable, etc.

La définition du concret doit faire connaître l’abstrait, et réciproquement ; celle de l’opposé doit être opposée, bien qu’on ne puisse définir le contraire par son contraire, etc., etc.

Les cas pareils de la définition doivent convenir aux cas pareils du défini ; la définition doit convenir à l’idée du défini aussi bien qu’au défini lui-même ; l’identité de la définition constitue les synonymes, etc.

Quand on enlève à la définition une partie qui répond à une partie du défini, ce qui reste de la définition doit convenir à ce qui reste du défini. Mais pourtant la définition est mauvaise et n’éclaircit rien si elle a juste autant de membres que le défini ; si elle substitue des mots à des mots. Le vice est plus grand encore, si elle substitue des mots obscurs à des mots clairs, ou des mots qui ont un sens différent.

L’être est mal défini par le non être. La chose est mal définie, si la définition ne la considère que dans ce qu’elle a de meilleur. Ce qui est désirable en soi est mal défini par ce qui n’est désirable qu’en vue d’un autre.

La définition qui laisse une alternative sur l’essence du défini est mauvaise ; elle ne doit pas dire que le défini est telle ou telle chose, elle doit apprendre qu’il est telle chose uniquement. Elle est mauvaise, quand elle indique plusieurs éléments du défini sans savoir unir les éléments et en faire un tout, etc.

Enfin la définition est mauvaise, lorsque, indiquant que le défini est le résultat d’une composition, elle ne fait pas connaître le mode de cette composition ; lorsque le défini recevant les contraires, elle ne l’explique que par un seul, etc.


{{t2| LIVRE SEPTIÈME}}


QUESTION DE L’IDENTITÉ.MÉTHODE POUR DÉFENDRE LA DÉFINITION.CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES LIEUX COMMUNS.


La question de l’identité ou de la différence des choses peut se rattacher à celle de la définition, parce qu’il s’agit toujours, quand on discute une définition, de savoir si elle est identique au défini, ou si elle en est différente.

Seulement, si les lieux qui établissent la différence ou détruisent l’identité, détruisent aussi la définition, attendu que la définition et le défini doivent être identiques, les lieux qui établissent l’identité ne suffisent pas pour établir la définition. C’est qu’il ne suffit pas, pour établir la définition, de montrer qu’elle est identique au défini ; elle doit encore remplir certaines autres conditions dont il a été parlé plus haut.

Après avoir fait voir comment on peut attaquer la définition, il resterait à montrer comment on peut la défendre, soin que l’on prend rarement, parce qu’en général les définitions sont posées comme des principes. C’est là ce qui fait aussi que les lieux par lesquels on peut soutenir la définition, sont peu nombreux, et se tirent surtout des opposés, des conjugués et des cas, et enfin de la comparaison.

Ce sont là, du reste, en général, non pas seulement pour la définition, mais aussi pour les trois autres questions dialectiques, les lieux les plus utiles, les plus universels. Ce sont ceux-là surtout qu’il faut étudier, et qu’il faut retenir de mémoire, afin de les avoir toujours à sa disposition.

Il est plus facile de détruire la définition que de l’établir. En effet, ce n’est pas chose aisée que de prouver que la définition contient bien tous les éléments qui doivent la composer, genre et différences essentielles. Or, il faut prouver tous ces éléments un à un pour établir la définition ; il suffit, pour la détruire, de montrer qu’un seul est faux. Pour l’établir, il faut montrer qu’elle n’est à aucune partie du défini, ou qu’elle n’est pas à tout le défini. Mêmes remarques pour le genre et le propre, qu’il est beaucoup plus facile de réfuter que d’établir. Ceci d’ailleurs est général ; et, en toutes choses, renverser est bien moins difficile que de construire. Quant à l’accident, il est soumis aussi à cette règle quand il est universel ; mais lorsqu’il est particulier, il est beaucoup plus aisé de l’établir que de le renverser. De toutes les questions dialectiques, c’est la définition qui offre le plus de prise à l’attaque, à cause des nombreuses conditions qu’elle doit remplir. De plus, tous les lieux qui servent à renverser les autres questions, pourront servir aussi contre elle, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Par la même raison, c’est elle qu’il est le plus difficile d’établir. Puis après elle, vient le propre. La plus facile des questions à établir, c’est celle de l’accident ; et par là même, c’est la plus difficile à renverser.

Ici, finissent les lieux communs de la dialectique proprement dite. Il ne reste plus qu’à voir comment il faut les employer dans la discussion, et quelles sont les règles de l’interrogation et de la réponse.


LIVRE HUITIÈME.


DE LA PRATIQUE DIALECTIQUE.


Après tout ce qui précède, il ne reste plus qu’à dire l’ordre qu’on doit suivre dans la discussion et dans les interrogations qu’on pose à l’interlocuteur, les devoirs de celui qui répond, et enfin les exercices auxquels les deux interlocuteurs doivent se livrer avant d’en venir à la lutte dialectique. Il faut donc d’abord, quand on interroge, trouver le lieu d’où l’on doit tirer son argument, et ne poser sa demande qu’après avoir bien examiné comment on peut conduire toute l’argumentation. Parmi les propositions qu’on peut avoir à choisir, les unes sont nécessaires, et ce sont celles sans lesquelles le syllogisme ne serait pas possible ; les autres ne sont pas indispensables, mais elles servent, soit à préparer une induction, soit à orner le discours, soit à cacher la pensée qu’on ne veut pas laisser voir, soit à éclairer celle qu’on veut mettre dans tout son jour. Il faut se garder de demander sur-le-champ à son antagoniste les propositions nécessaires ; car, selon toute probabilité, il ne les concéderait pas. On doit alors recourir, soit à des propositions supérieures à celles-là, soit à des propositions inférieures, qu’on obtient bien plus aisément. Il ne faut demander les propositions nécessaires, que dans le cas où elles sont d’une telle évidence que l’adversaire ne peut les refuser. Quant aux propositions non nécessaires, on ne doit pas demander qu’en vue des autres. C’est surtout quand on veut cacher sa pensée et le but qu’on poursuit, qu’il faut déployer toute son adresse. La dialectique offre ici les plus délicates ressources, sans manquer cependant un seul instant à la loyauté, que le sophiste seul peut méconnaître.

Il faut, du reste, se servir de syllogismes avec les gens éclairés, et d’inductions avec les gens moins habiles. Les syllogismes et les inductions sont soumis à des règles qu’il sera bon d’observer avec soin, si l’on veut que la discussion soit régulière et féconde.

Les thèses qui sont faciles à défendre sont fort difficiles à réfuter. Ce sont, d’un côté, les premiers principes d’où l’on part pour discuter ; ce sont, d’un autre côté, les conclusions dernières auxquelles on arrive. Ce qui rend une thèse difficile à combattre, c’est lorsque les termes qui la composent ont besoin de définition ou d’éclaircissement. Le premier soin qu’il faut prendre alors c’est d’expliquer les mots obscurs, et surtout ceux qui tiennent de près aux premiers principes.

L’interlocuteur qui interroge n’a jamais qu’un but, c’est de pousser l’adversaire aux assertions les plus absurdes ; et celui-ci, quand il est tombé dans le piège, n’a qu’un seul parti à prendre, c’est de prouver que ce n’est pas par sa faute personnelle, mais bien par la nature même de la thèse, qu’il a été amené à ces insoutenables assertions.

Selon que la discussion a pour but ou d’instruire les interlocuteurs, ou de montrer la force de l’un et la faiblesse de l’autre, ou de les exercer simplement tous deux, il faut n’accorder que des propositions qui semblent vraies, ou faire tous ses efforts et employer tous les moyens pour obtenir la victoire. Il faut, d’ailleurs, distinguer quand on répond, entre les diverses espèces de propositions : improbables, probables, sans caractère déterminé ni dans l’un ni dans l’autre sens, ou bien simplement probables pour l’interlocuteur, ou pour quelque philosophe dont il atteste l’autorité.

Il faut varier aussi ses réponses selon que la proposition, d’ailleurs probable ou improbable, tient ou ne tient pas au sujet. En un mot, bien répondre ce sera de toujours accorder à l’adversaire ce qu’on doit lui accorder, et lui refuser toujours ce qu’on lui doit refuser.

Si la proposition est obscure, il ne faut pas craindre de dire qu’on ne la comprend pas, et de demander des éclaircissements. Si elle a plusieurs sens, il faut indiquer avec soin celui de tous dans lequel on la prend : et, si l’on a omis de faire cette distinction au début, il faut encore la faire même quand la conclusion a été tirée par l’adversaire.

Quand on doit répondre à une induction et non plus à un syllogisme, il faut réfuter l’universel tiré des cas particuliers discutés, en montrant par une objection, que tel cas particulier qu’on cite, ne rentre pas dans l’universel, ou bien en soutenant une proposition contraire. Si l’on ne fait ni d’objection, ni de proposition contraire, et qu’on repousse cependant l’universel, on paraîtra n’élever qu’une chicane peu loyale.

Du reste, avant de soutenir une thèse, il est bon de s’être fait à soi-même toutes les objections qu’elle peut soulever ; et il faut l’abandonner tout à fait si elle est improbable… Une fois déterminé à la défendre, on peut employer deux moyens, ou détruite l’argument élevé contre elle, ou empêcher la conclusion. Pour empêcher la conclusion, on peut ou aller droit à la cause erronée qui l’a produite, ou opposer à l’adversaire une objection qu’il ne peut résoudre, ou ne point signaler les propositions indispensables à la conclusion que l’adversaire ne sait pas trouver, ou enfin, ce qui est le plus mauvais moyen, alléguer que le temps ne suffit pas pour une discussion aussi grave.

On peut, d’ailleurs, s’en prendre, soit au raisonnement lui-même, soit à l’interlocuteur qui ne sait pas bien le conduire.

On est toujours en droit d’exiger que l’argumentation soit parfaitement claire et qu’elle ne soit point fausse.

Jamais elle ne doit contenir ni pétition de principes ni pétition de contraire, dans aucune des nuances que l’une et l’autre de ces deux pétitions peuvent revêtir.

Reste enfin, et pour terminer toute la dialectique, à indiquer les exercices principaux auxquels les deux interlocuteurs, soit qu’ils répondent, soit qu’ils interrogent, doivent se livrer. D’abord, il faut qu’ils s’habituent à convertir les syllogismes suivant les règles, qui sont bien connues, pour se rendre plus rapides dans la discussion et savoir ainsi multiplier les arguments. Une dièse quelconque étant posée, il faut savoir trouver des arguments pour et contre, avec les solutions convenables dans l’un et l’autre sens ; et ceci est utile tout aussi bien pour la philosophie et les études scientifiques que pour la discussion. Ensuite, il faut se préparer surtout des arguments sur les sujets qui se reproduisent le plus fréquemment. Il faut aussi faire provision nombreuse de définitions, et retenir par cœur les lieux les plus ordinaires de la dialectique. On doit s’appliquer encore à savoir d’un seul argument en faire plusieurs, et de plusieurs n’en faire qu’un seul, suivant le besoin. Il faut s’habituer à tirer de toute argumentation des propositions qui plus tard pourront servir la thèse qu’on soutient. Il faut encore apprendre à choisir ses interlocuteurs, et ne pas se commettre avec des gens peu éclairés. Enfin, s’attacher surtout à recueillir des arguments sur les questions où ils sont peu nombreux.

LIVRE PREMIER


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CHAPITRE PREMIER.

Objet de la Dialectique. — Du Syllogisme en général : de la Démonstration : du Syllogisme dialectique. — Distinction des propositions vraies et des propositions probables. —


Du Syllogisme éristique. — Du paralogisme. — Caractère de ces considérations préliminaires.


§ 1[1]. Le but de ce traité est de trouver une méthode à l’aide de laquelle nous puissions faire des syllogismes sur toute sorte de questions données, en partant de propositions simplement probables ; et qui nous apprenne, quand nous soutenons une discussion, à ne rien avancer qui soit contradictoire à nos propres assertions.

§ 2. D’abord il faut dire ce que c’est que le syllogisme, et quelles en sont les différentes espèces, afin qu’on distingue ce que c’est que le syllogisme dialectique : car c’est de lui que nous nous occupons dans la présente étude. § 3[2]. Le syllogisme est donc une énonciation dans laquelle, certaines propositions étant posées, on conclut nécessairement une proposition différente des propositions admises, à l’aide de ces propositions elles-mêmes. § 4[3]. C’est une démonstration quand le syllogisme est formé de propositions vraies et primitives, ou bien de propositions telles qu’elles puisent la certitude qu’elles portent avec elles dans des propositions primitives et vraies. § 5[4]. Le syllogisme dialectique est celui qui tire sa conclusion de propositions simplement probables. § 6. On entend par vraies et primitives les propositions qui portent leur certitude en elles-mêmes, et ne l’empruntent point à d’autres propositions : car il ne faut pas, pour les principes qui doivent nous donner la science, avoir à en rechercher le pourquoi. Il faut au contraire que chacun de ces principes soit de

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lui-même parfaitement certain. § 7. On appelle probable ce qui paraît tel, soit à tous les hommes, soit à la majorité, soit aux sages ; et parmi les sages, soit à tous, soit à la plupart, soit aux plus illustres et aux plus croyables. § 8[5]. Le syllogisme contentieux est celui qu’on tire de propositions qui semblent probables, et qui cependant ne le sont pas. Ce n’est qu’un semblant de syllogisme celui qu’on tire de propositions probables ou qui semblent probables ; car ce qui paraît probable n’est pas toujours probable. Du reste rien de ce qu’on appelle réellement probable n’a une apparence purement superficielle de certitude, comme c’est le cas pour les principes des raisonnements contentieux ; car le plus souvent ici le caractère de fausseté se révèle sur-le-champ, même à une médiocre attention. Ainsi donc que le premier des syllogismes contentieux dont nous avons parlé soit aussi appelé syllogisme, mais que l’autre soit appelé syllogisme contentieux et non pas simplement syllogisme, puisqu’il paraît conclure et que de fait il ne conclut pas.

§ 9[6]. Outre ces syllogismes dont on vient de parler, il faut distinguer encore les paralogismes qui se forment des principes propres à certaines sciences, comme dans la géométrie et dans les sciences qui sont du même genre qu’elle. Cette sorte de syllogismes paraît différer des syllogismes jusqu’ici nommés. En effet celui qui trace des figures fausses ne tire ses conclusions ni de propositions vraies et primitives, ni de propositions probables : car les propositions qu’il emploie ne rentrent pas dans notre définition, puisqu’elles ne sont acceptées comme telles ni par tous les hommes, ni par la majorité, ni par les sages ; et en s’en tenant à ces derniers, ni par la majorité, ni par les plus croyables d’entre eux. Pourtant le géomètre tire son syllogisme de données qui sont bien propres à la science dont il s’agit, mais qui ne sont pas vraies : car il fait son paralogisme, soit en traçant des demi-cercles autrement qu’il ne faut, soit en tirant certaines lignes là où elles ne doivent pas être tirées.

§ 10[7]. Ainsi donc, que les différentes espèces de syllogismes soient celles que nous avons dites, pour nous en tenir à une simple esquisse. Que ces généralités sur les syllogismes dont nous avons parlé et sur ceux, dont nous parlerons plus tard, se bornent à ce que nous venons de dire ; car nous ne prétendons pas donner une théorie complète de chacun d’eux, mais nous ne voulons que les indiquer par aperçu, croyant qu’il est très-suffisant pour le traité actuel de fournir les moyens de les distinguer tellement quellement les uns des autres.


CHAPITRE II

Utilité de la Dialectique : 1° pour l’exercice de l’esprit ; 2° pour les discussions ; 3° pour l’acquisition philosophique de la science, et la connaissance des principes.


§ 1[8]. La suite de ce qui précède, c’est de dire à combien de choses et pour quelles choses ce traité peut être utile. § 2[9]. Il peut être bon de trois manières : d’abord comme exercice, puis pour les conversations, et enfin pour l’acquisition philosophique de la science. § 3. Il est clair de soi-même qu’il est utile comme exercice ; car, munis d’une méthode, nous pourrons bien plus aisément aborder le sujet mis en question, quel qu’il soit, § 4[10]. Il est utile aussi pour les conversations, parce qu’en tenant compte des opinions de nos interlocuteurs, nous pourrons, en discutant avec eux, les entretenir, non d’opinions qui leur soient étrangères, mais de leurs opinions propres, écartant d’ailleurs toutes les erreurs qu’ils nous sembleraient avoir commises. § 5[11]. Il est utile enfin pour nous procurer l’acquisition philosophique de la science, parce que pouvant discuter la question dans les deux sens, nous verrons plus aisément ce qui est vrai et ce qui est faux. § 6[12]. En outre nous pourrons, à l’aide de cette méthode, connaître les éléments primitifs des principes de chaque science ; car les principes spéciaux de la science dont on s’occupe ne peuvent absolument rien nous apprendre sur ces éléments primitifs, puisque ces éléments sont les premiers principes de tout, et qu’on est réduit nécessairement pour eux à les étudier chacun à part, d’après les propositions probables qui les concernent. Or, c’est là l’objet propre de la dialectique, ou du moins c’est à elle qu’il appartient le plus spécialement ; car, investigatrice comme elle l’est, elle nous ouvre la route vers les principes de toutes les sciences.


{{t3| CHAPITRE III}}

Perfection possible de la Dialectique : exemples de la rhétorique et de la médecine.


§ 1[13]. Nous aurons cette méthode parfaite, quand nous aurons fait pour elle quelque chose de semblable à ce qu’on a fait pour la rhétorique, la médecine et les sciences de ce genre, c’est-à-dire, quand nous aurons accompli autant que possible la tâche que nous nous imposons ; car l’orateur ne persuade pas, le médecin ne guérit pas de toute manière ; mais s’il ne néglige rien de ce qu’il lui est possible de faire, nous disons qu’il possède suffisamment sa science.


{{t3| CHAPITRE IV.}}

Objets divers des raisonnements dialectiques au nombre de quatre : 1° le genre ; 2° la définition ; 3° le propre ; 4° l’accident. — Rapports et différences de la proposition et de la question.


§ 1[14]. D’abord il faut voir quels sont les éléments d’où l’on peut tirer cette méthode. Si en effet nous savions à combien de choses et à quelles choses s’appliquent les raisonnements dialectiques, de quels éléments on les tire et comment on peut toujours en avoir à sa disposition, nous aurions suffisamment atteint le but que nous nous proposons ici.

§ 2[15]. Les éléments dont on tire les raisonnements dialectiques sont en même nombre que les éléments pour lesquels on fait des syllogismes et se confondent avec eux. Les raisonnements dialectiques viennent des propositions. Les éléments pour lesquels on fait des syllogismes sont précisément les questions à résoudre. Toute proposition, toute question exprime ou le genre de la chose, ou le propre ou l’accident ; car il faut placer la différence sur la même ligne que le genre en tant qu’elle appartient au genre. Quant au propre, comme tantôt il exprime l’essence de la chose, et que tantôt il ne l’exprime pas, il faut le diviser en ces deux espèces que nous venons de dire ; et que l’une, qui exprime l’essence de la chose, soit nommée définition, et que l’autre reste appelée propre, du nom commun donné à toutes les deux. Il résulte donc évidemment de ce qui précède que, d’après la division ici admise, il y aura quatre choses en tout à considérer : le propre, la définition, le genre, et enfin l’accident de la chose.

§ 3[16]. Qu’on ne croie pas du reste que nous disions que chacune de ces choses prise à elle seule forme une proposition ou une question ; nous prétendons seulement que c’est de là qu’on tire et les propositions et les questions.

§ 4[17]. La proposition et la question différent uniquement dans la forme. Si l’on dit par exemple : animal terrestre et bipède, est-ce bien là la définition de l’homme ? L’animal est-il bien le genre de l’homme ? on fait une proposition. Mais si l’on dit : l’animal bipède terrestre, est-ce ou n’est-ce pas là la définition de l’homme ? ou bien animal est-il le genre de l’homme ou ne l’est-il pas ? on fait une question : et de même pour tout autre cas. Ainsi donc, on le voit, les propositions et les questions sont égales en nombre : car, en changeant seulement la forme d’une proposition, on en fera toujours une question.


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CHAPITRE V.

Définition des quatre termes dialectiques : 1° La définition est ce qui exprime l’essence de la chose : de l’identité ou de la diversité des choses.


2° Le propre est ce qui n’appartient qu’à la chose seule : propre temporaire, propre relatif. Le propre et la chose peuvent être pris réciproquement l’un pour l’autre.


5° Le genre est l’attribut essentiel des espèces différentes : question de l’identité ou de la diversité des genres.


4° L’accident est l’attribut qui peut être ou n’être pas à la chose : l’accident peut devenir un propre temporaire ou relatif.


§ 1. Il faut dire aussi ce que c’est que la définition, le genre, le propre et l’accident.

§ 2[18]. La définition est une énonciation qui exprime l’essence de la chose. Or, l’on peut donner une énonciation de ce genre pour expliquer un seul mot, ou bien une énonciation pour expliquer une autre énonciation ; car il est possible de définir encore quelques-unes des choses qui sont déjà expliquées par une énonciation de cette espèce. § 3[19]. Quand donc on donne l’explication cherchée au moyen d’un simple nom de quelque façon que ce soit, il est évident qu’on ne donne pas par là la définition de la chose, puisque toute définition doit être une énonciation développée. On doit cependant admettre qu’il y a réellement définition dans les cas pareils à celui-ci : le bien est ce qui est convenable. § 4[20]. Et de même c’est une définition que l’on fait, quand on demande si la sensation et la science sont une même chose ou des choses différentes ; car, dans les définitions, connaître la similitude ou la différence des choses, est ce dont on s’occupe le plus. Appelons donc, d’une manière générale, définitions, toutes les propositions qui ont le même but que les définitions. Or, il est évident de soi que les choses dont on parle ici sont toutes de ce genre. En effet, du moment que nous pouvons discuter une chose en prouvant qu’elle est identique à une autre ou différente, nous pourrons aussi de la même manière absolument nous occuper de trouver des définitions. Ainsi, une fois que nous avons montré que la chose n’est pas identique à la définition qu’on en donne, nous aurons détruit aussi cette définition. Mais ici cependant il n’y a pas réciprocité pour le principe que nous posons ; car il ne suffit pas, pour établir la définition, de prouver l’identité de la chose, tandis qu’il suffit, pour la renverser, de prouver que cette identité n’existe pas.

§ 5[21]. On appelle propre ce qui, sans exprimer l’essence de la chose, n’appartient cependant qu’à elle seule et peut être pris réciproquement pour elle. Ainsi une propriété de l’homme, c’est d’être susceptible d’apprendre la grammaire ; car, du moment qu’un être est homme, il est susceptible d’apprendre la grammaire ; et, s’il est susceptible d’apprendre la grammaire, c’est qu’il est homme. En effet, on n’appellera jamais propre à une chose ce qui peut être aussi à une autre : on ne dira jamais, par exemple, que dormir soit propre à l’homme, quand bien même il pourrait se faire que, pour quelque temps, l’homme fût le seul être à exercer cette faculté. Si donc on donnait comme propre une qualité de ce dernier genre, ce serait non pas un propre absolu, mais un propre temporaire et relatif. Ainsi être à droite peut être la propriété d’une chose dans un certain moment donné, un propre temporaire ; être bipède peut être un propre relatif, par exemple, de l’homme relativement au cheval et au chien. Mais il est évident que toutes les fois que l’attribut peut aussi être à une autre chose, il n’y a point de réciprocité possible : car il n’est pas nécessaire, parce que cet être dort, qu’il soit un homme.

§ 6[22]. Le genre est ce qui est attribué essentiellement à plusieurs choses, lesquelles sont différentes par l’espèce ; et l’on doit entendre par attributs essentiels tous les termes qu’on peut convenablement répondre quand on demande pour le sujet en question ce qu’il est. Par exemple, pour l’homme, si l’on demande : qu’est-ce que le sujet en question ? on peut convenablement répondre : c’est un animal. § 7[23]. C’est encore une question de genre que de savoir si une chose est dans le même genre qu’une autre, ou si elle est dans un genre différent ; car cette question tombe sous la même méthode que celle qu’on applique au genre. Si nous avons prouvé par la discussion que l’animal est le genre de l’homme et qu’il l’est aussi du bœuf, nous aurons aussi prouvé que l’un et l’autre sont dans le même genre ; mais si nous montrons pour l’un qu’animal en est le genre, et pour l’autre qu’il ne l’est pas, nous aurons montré aussi que ces êtres ne sont pas dans le même genre..

§ 8[24]. L’accident est ce qui n’est rien de tout ce qui précède, ni définition, ni propre, ni genre ; c’est ce qui est bien à la chose, mais qui peut être ou n’être pas à cette seule et même chose, quelle qu’elle soit. Par exemple, être assis peut être et ne pas être à une seule et même personne, et de même pour la blancheur ; car rien n’empêche qu’une même chose tantôt soit blanche, et que tantôt elle ne le soit pas. § 9[25]. Des deux définitions de l’accident, la seconde est préférable, parce que la première étant énoncée, il faut, pour la comprendre, savoir préalablement ce que c’est que la définition, le genre, le propre ; la seconde, au contraire, suffit par elle seule à faire connaître ce qu’est en soi la chose dont il est ici question. § 10[26]. L’on doit rapporter aussi à l’accident les comparaisons qu’on peut faire des choses entre elles, toutes les fois que ces choses sont tirées de l’accident d’une façon quelconque. C’est, par exemple, une question d’accident que de savoir lequel des deux est préférable du beau ou de l’utile ; de savoir laquelle est la plus douce de la vie consacrée à la vertu ou de la vie abandonnée au plaisir, ou telle autre proposition qui se rapproche de celles-là ; car, dans toutes les questions de ce genre, il s’agit toujours de savoir auquel des deux termes s’applique davantage l’accident qui sert d’attribut. § 11. Il est d’ailleurs évident de soi que rien ne s’ oppose à ce que l’accident soit un propre temporaire ou relatif. Par exemple, être assis, qui n’est qu’un accident, peut devenir un propre temporaire quand quelqu’un est assis tout seul ; et, comme il est seul assis, c’est un propre relatif par rapport aux autres qui ne le sont pas. Ainsi, point d’obstacle à ce que l’accident ne devienne un propre temporaire et relatif ; mais, absolument parlant, l’accident n’est pas un propre.


CHAPITRE VI.

Le propre, le genre et l’accident peuvent se confondre en parle avec la définition ; mais il faut les étudier chacun a part pour plus de clarté.


§ 1[27]. Ayons soin de remarquer que tout ce qui se rapporte au propre, au genre et à l’accident, pourrait tout aussi bien s’appliquer aux définitions ; en effet, si l’on a montré que la définition n’appartient pas seulement à ce qui est sous la définition, comme on le fait pour le propre, ou bien que ce qui est énoncé dans la définition n’est pas genre, ou bien enfin que l’un des éléments énoncés dans la définition n’est pas réellement au défini, ce qu’on pourrait faire aussi pour l’accident, l’on aura, de ces trois façons, détruit la définition. Par conséquent, on peut bien conclure du motif qui vient d’être donné, qu’en un certain sens, les choses énumérées par nous, propre, genre, accident, sont bien aussi des espèces de définitions. § 2[28]. Mais il ne faut pas pour cela prétendre trouver pour toutes ces choses une méthode unique et générale : car, d’abord, il ne serait pas facile de la trouver ; et, la trouvât-on, elle serait fort obscure et d’usage très-embarrassant dans la présente étude. Au contraire, si l’on établit une méthode spéciale pour chacun des genres ici déterminés, la recherche du sujet deviendra plus aisée en partant de règles particulières à chacun dieux. § 3[29]. Ainsi donc, il faut admettre d’une manière générale et à titre de simple esquisse la division qui a été proposée plus haut ; et pour classer les choses qui n’y sont pas comprises, il faut les rapporter à la question qui leur convient le mieux, en les rattachant, soit à la définition, soit au genre. Du reste, nous avons à peu près ramené à chacun des principaux termes les choses dont nous parlons ici.


CHAPITRE VII

L’identité est triple ; elle s’applique : 1° au nombre ; 2° à l’espèce ; 3° au genre. — L’identité numérique a elle-même trois sens bien distincts.


§ 1<ref>Ce qu’on entend par identique, La question de l’identité s’est déjà présentée plusieurs fois, et notamment ch. 5, § 4 ; elle se représentera plusieurs fois encore dans le cours de la topique. Il importe donc de bien préciser le sens qu’on doit attacher au mot identique, et les acceptions diverses qu’il peut recevoir. Voilà comment ce chapitre se rattache à ceux qui précèdent et à ceux qui suivent ; du moins c’est ainsi qu’Alexandre et les autres commentateurs à sa suite expliquent cette digression sur les sens que le mot identique peut présenter. — Voir la Métaphysique, liv. 4, ch. 9, 1017, b.</ref>. Mais, avant tout, il faut définir ce qu’on entend par identique, et voir combien de sens a ce mot, § 2[30]. Identique, pour nous borner à un simple apperçu, pourrait être divise en trois espèces ; identique, dans le langage commun, s’entend soit en nombre, soit en espèce, soit en genre : en nombre, lorsqu’il y a plusieurs noms, mais qu’ils n’expriment au fond qu’une même chose : par exemple, vêtement et manteau ; en espèce, quand les choses, tout en étant plusieurs, ne diffèrent pas spécifiquement : ainsi, un homme est identique à un homme, et un cheval à un cheval ; car on dit que les choses, comme celles-là, sont identiques en espèce quand elles rentrent sous la même espèce ; et de même on dit que les choses sont identiques en genre quand elles rentrent sous le même genre ; le cheval est en genre identique à l’homme. § 3[31]. Quand on dit, en parlant d’une eau qui sort de la même source, qu’elle est identique ou la même, c’est en un sens un peu différent de ceux qui précèdent. § 4[32]. Cependant cette identité même de l’eau doit ici être mise au même rang que ces attributs qui s’appliquent à une seule espèce de quelque façon que ce soit ; car toutes ces idées sont homogènes et fort voisines les unes des autres. Toute eau est dite identique en espèce à toute autre eau, parce qu’elle a quelque ressemblance avec elle ; mais que l’eau dont on parle soit de la même source, cela n’a aucune autre importance que de rendre la ressemblance plus forte encore ; et voilà pourquoi nous ne séparons pas cette identité là des attributs qui s’appliquent à une seule espèce.

§ 5[33]. C’est surtout ce qui est un numériquement que, dans le langage ordinaire, tout le monde est porté à prendre pour identique. § 6[34]. Mais ici même identique peut encore avoir plusieurs significations. La plus spéciale et la première, c’est lorsque l’identité est exprimée par un nom ou une définition ; par exemple, lorsque vêtement est identifié à manteau, et animal terrestre bipède à homme. § 7[35]. En second lieu, c’est lorsque l’identité est exprimée par un propre, comme par exemple, lorsque susceptible de science est identifié à l’homme, et le corps naturellement porté en haut est identifié au feu. § 8[36]. En troisième lieu, c’est lorsqu’on tire l’identité de l’accident ; par exemple, être assis ou être musicien identifié à Socrate. Car tout cela ne prétend exprimer qu’une chose qui numériquement est une. Que la remarque que nous faisons ici soit vraie, c’est ce dont on pourra surtout se convaincre dans les cas où l’on doit changer les désignations : ainsi, souvent en donnant l’ordre d’appeler nominativement l’une des personnes assises, nous changeons notre indication première, si celui qui doit exécuter l’ordre donné par nous ne le comprend pas, et nous tirons une indication nouvelle pour la lui faire mieux comprendre de l’accident ; ainsi nous lui ordonnons de faire venir à nous la personne qui est assise ou qui parle. C’est qu’évidemment alors nous croyons qu’appeler la personne par son nom ou par son accident, c’est chose identique.

§ 9[37]. Ainsi donc, le mot identique est, comme on l’a dit, susceptible de trois significations.


{{t3| CHAPITRE VIII.}}

Les quatre attributs dialectiques sont les seuls attributs possibles : preuve par l’induction ; preuve par le syllogisme.


§ 1[38]. Pour se convaincre que tous les raisonnements dialectiques se forment des éléments énoncés plus haut, que c’est par eux qu’ils se produisent et que c’est à eux qu’ils s’appliquent, il y a un premier moyen, et c’est l’induction. Si l’on examine, en effet, à part chacune des propositions et des questions, on verra qu’elle vient toujours, soit de la définition, soit du propre, soit du genre, soit de l’accident. § 2[39]. On peut s’en convaincre encore par syllogisme. Il y a, en effet, nécessité que toute attribution d’une chose soit une attribution réciproque ou non réciproque : si l’attribution est réciproque, c’est que l’attribut est ou une définition, ou un propre ; définition, s’il exprime l’essence de la chose ; propre, s’il ne l’exprime pas : car nous avons appelé propre ce qui peut recevoir l’attribution réciproque de la chose sans en exprimer cependant l’essence. Mais si l’attribut ne peut pas recevoir l’attribution réciproque de la chose, il fait partie ou ne fait pas partie des attributs compris dans la définition du sujet : s’il fait partie des attributs compris dans la définition, il est ou genre ou différence du sujet, puisque la définition se compose toujours des genres et des différences ; et s’il ne fait pas partie des attributs compris dans la définition, il est clair qu’il sera un accident ; car nous avons nommé accident ce qui n’est ni définition, ni genre, ni propre, et qui cependant est à la chose.


CHAPITRE IX.

Les quatre attributs dialectiques appartiennent toujours à l’une des catégories : énumération complète des dix catégories.


§ 1[40]. Après ce qui précède, il faut définir les genres des catégories dans lesquelles rentrent les quatre attributs différents que nous venons de dire.

§ 2[41]. Les catégories sont au nombre de dix : substance, quantité, qualité, relation, lieu, temps, situation, manière d’être, action, passion. L’accident, le genre, le propre et la définition, doivent se trouver toujours dans l’une de ces catégories ; car toutes ces propositions formées par ces quatre éléments, expriment ou la substance, ou la quantité, ou la qualité, ou quelqu’une des autres catégories. § 3[42]. Il est clair de soi, que quand on exprime ce qu’est la chose, on en exprime tantôt l’essence et tantôt la qualité, ou telle autre des catégories : quand d’un homme qu’on a devant soi on dit que cet être qu’on a devant soi est homme ou animal, on dit ce qu’il est, et on exprime son essence ; quand on dit d’une couleur qu’on a sous les yeux que l’objet qu’on a sous les yeux est blanc ou qu’il est une couleur, on dit ce qu’il est, et l’on en exprime la qualité. Et de même pour une grandeur d’une coudée qu’on a sous les yeux, quand on dit que cet objet qu’on a sous les yeux est une grandeur d’une coudée, on dit ce qu’il est, et l’on en exprime la quantité. Même remarque pour tous les autres cas. En effet, dans chacun d’eux, soit qu’un attribut identique soit attribué à la chose elle-même, soit qu’on lui attribue son genre, on exprime toujours ce qu’elle est ; quand, au contraire, l’attribut est différent du sujet, ce n’est plus l’essence de la chose qu’il exprime, mais c’est la quantité, ou la qualité, ou toute autre des catégories.

§ 4[43]. Ainsi donc, les éléments auxquels s’appliquent les raisonnements dialectiques, ou dont on les tire, sont bien ceux que nous avons dits, et ne sont pas plus nombreux. Maintenant il nous faut dire comment nous pourrons les trouver, et quels sont les moyens de les découvrir.


{{t3| CHAPITRE X.}}

De la proposition dialectique : définition de cette proposition. — Probabilité des propositions contraires exprimées sous forme opposée à celle des propositions vraies. — Probabilité des propositions admises par les gens spéciaux dans certaines sciences.


§ 1[44]. Expliquons d’abord ce que c’est qu’une proposition dialectique, et ce que c’est qu’une question dialectique. Toute proposition, non plus que toute question, ne doit pas être prise pour dialectique ; car il n’est pas d’homme, ayant sa raison, qui avançât une opinion qui ne serait soutenue de personne, ou qui rejetât ce qui est accepté de tout le monde ou du moins de la majorité. D’une part, en effet, il ne saurait y avoir le moindre doute ; et d’autre part, de telles opinions ne sont pas soutenables.

§ 2[45]. La proposition dialectique est donc une interrogation qui doit être probable, soit pour tous les hommes, soit pour la plupart, soit pour les sages ; et parmi ces derniers, soit pour tous, soit pour la plupart, soit pour les plus illustres ; interrogation qui d’ailleurs n’est point paradoxale ; car on peut admettre ce qui semble vrai aux sages, pourvu que cela ne soit point contraire aux opinions généralement reçues.

§ 3[46]. On peut prendre aussi comme propositions dialectiques, les opinions pareilles aux opinions probables, et les opinions contraires aux opinions probables, pourvu qu’elles soient présentées sous une forme opposée à celles qui semblent probables, et toutes les opinions qui sont conformes aux principes des sciences reconnues. § 4[47]. Car si c’est une proposition probable que la science des contraires s’acquiert par une notion unique, cette proposition semblera probable aussi, qu’une seule sensation suffit pour percevoir les contraires. S’il paraît probable que l’art de la grammaire est numériquement un, il semblera probable aussi que l’art de jouer de la flûte est numériquement un ; et s’il y a plusieurs arts de la grammaire, il semblera qu’il y ait aussi plusieurs arts de jouer de la flûte ; car toutes ces choses paraissent semblables et être du même genre. § 5[48]. Et de même les propositions contraires aux opinions probables, étant présentées sous forme opposée, paraîtront probables aussi. Par exemple, si c’est une opinion probable, qu’il faut faire du bien à ses amis, il est probable aussi qu’il ne faut pas leur faire de mal. À cette proposition, qu’il faut faire du bien à ses amis, la proposition contraire est qu’il faut leur faire du mal ; mais la proposition contraire sous forme opposée, c’est qu’il ne faut pas leur faire de mal. Et, de même, s’il faut faire du bien à ses amis, il ne faut pas en faire à ses ennemis ; mais cette proposition même rentre encore dans les contraires sous forme opposée ; car le contraire pur et simple serait qu’il faut faire du bien à ses ennemis ; et de même pour tous les autres cas. § 6[49]. C’est aussi dans la comparaison qu’on fera de deux contraires, que le contraire paraîtra probable, appliqué à son contraire. Par exemple, s’il faut faire du bien à ses amis, et s’il faut faire du mal à ses ennemis, faire du bien à ses amis semblera aussi le contraire de faire du mal à ses ennemis. Qu’il en soit, ou non, véritablement ainsi, c’est ce que nous dirons quand nous nous occuperons des énonciations par les contraires. § 7[50]. Il est également évident que toutes les opinions reçues dans certains arts sont des propositions dialectiques ; car on peut admettre comme probables, les opinions approuvées par ceux qui se sont exercés dans ces matières ; et l’on pensera, par exemple, comme le médecin dans les choses qui concernent la médecine, et comme le géomètre dans les choses de géométrie : et de même pour tout le reste.


{{t3| CHAPITRE XI}}

De la question dialectique : définition ; nature diverse des questions dialectiques suivant les résultats qu’elles se proposent.— De la thèse dialectique : définition ; rapports et différences de la question et de la thèse dialectiques. — Distinction des thèses et des questions qui méritent d’être discutées.


§ 1[51]. Une question dialectique est une considération qui a pour but, soit de faire rechercher ou de faire éviter une chose, soit de nous la faire savoir dans toute sa vérité, ou de nous la faire simplement connaître, produisant directement par elle-même, ou contribuant du moins à produire l’un de ces effets ; considération sur laquelle le vulgaire ne pense ni dans l’un ni dans l’autre sens, ou pense contrairement aux sages, ou bien sur laquelle les sages pensent contrairement au vulgaire, ou bien enfin sur laquelle les sages sont en dissentiment entre eux, comme le vulgaire se partage aussi à cet égard. § 2[52]. En effet, il y a certaines questions qu’il est utile de résoudre, soit pour rechercher, soit pour fuir telles ou telles choses ; par exemple, si le plaisir est ou n’est pas un bien. Il en est d’autres qu’on se borne uniquement à savoir ; par exemple, si le monde est éternel ou ne l’est pas. Il en est d’autres qui ne se rapportent directement et en soi à aucune de ces choses-là, mais qui peuvent pourtant y contribuer ; car il y a beaucoup de choses que nous désirons connaître, non pas pour elles-mêmes, mais seulement à cause d’autres choses, afin qu’à l’aide des premières nous puissions connaître encore une chose différente.

§ 3. On peut encore appeler questions, les propositions sur lesquelles on peut former des raisonnements contraires. Quelquefois, en effet, l’on peut douter que les choses soient de telle façon ou ne soient pas de telle façon, parce que, dans l’un et l’autre sens, on peut alléguer de bonnes raisons. On peut aussi mettre en question des choses dont nous n’avons pas l’explication parce qu’elles sont graves, et que nous croyons difficile d’en savoir le pourquoi. Par exemple, c’est une question ardue de savoir si le monde est éternel ou s’il ne l’est pas ; car ce sont là des questions qu’on peut chercher à résoudre.

§ 4[53]. Ainsi donc, les questions et les propositions sont bien ainsi que nous les avons définies.

§ 5[54]. La thèse est une opinion paradoxale de quelque philosophe célèbre : par exemple, qu’on ne peut contredire quoi que ce soit, ainsi que le disait Antisthène : ou bien que tout est en mouvement, selon Héraclite : ou bien que l’être est un, selon Métissas ; car il serait par trop simple de s’occuper de pensées émises par le premier venu en opposition aux opinions reçues. § 6[55]. On doit encore entendre par thèses les assertions que nous pourrions soutenir par des raisonnements, toutes contraires qu’elles seraient aux opinions vulgaires : par exemple, que tout ce qui est n’est ni devenu ce qu’il est, ni ne l’est éternellement, comme disent les sophistes. Ainsi, selon eux, il est impossible qu’un homme musicien soit grammairien, puisqu’il ne l’est pas devenu, et qu’il ne l’est pas de toute éternité ; et cette opinion, bien qu’elle pût paraître contestable à quelqu’un, n’en serait pas moins soutenable par des raisons assez convaincantes.

§ 7[56]. Ainsi donc, la thèse est aussi une question ; mais toute question n’est pas une thèse, puisqu’il y a certaines questions sur lesquelles nous n’avons d’avis ni dans un sens ni dans l’autre. Au contraire, il est évident que la thèse est aussi une question, puisqu’il résulte nécessairement de ce qu’on a dit ou que le vulgaire est sur la thèse en dissentiment avec les sages, ou que les sages se divisent entre eux ainsi que le vulgaire, la thèse étant toujours une assertion paradoxale. § 8. Habituellement, presque toutes les questions dialectiques sont appelées des thèses. Mais peu importe le nom qu’on leur donne ; car ce n’est pas pour créer des dénominations nouvelles que nous les avons ainsi divisées : c’est uniquement afin que nous n’ignorions pas quelles peuvent en être les différences véritables.

§ 9[57]. Il ne faut pas, du reste, se donner la peine d’examiner toute thèse, toute question : on ne doit s’arrêter qu’à celle qui peut faire doute pour qui n’a besoin que d’être éclairé par le raisonnement, sans que son opinion mérite d’être réprimée, ou annonce une lacune dans la sensation. Ainsi, par exemple, ceux qui doutent qu’il faille honorer les dieux, chérir ses parents, ont besoin d’être réprimés ; et ceux qui doutent si la neige est blanche ou ne l’est pas, n’ont besoin que de sensation. § 10[58]. Ainsi donc, la discussion ne doit pas s’appliquer aux choses dont la démonstration est trop proche ou trop éloignée ; car les unes ne font pas de doute, et les autres offrent des difficultés qui ne conviennent pas à de simples exercices.


{{t3| CHAPITRE XII.}}

Deux espèces de raisonnemnts dialectiques : le syllogisme et l’induction.


§ 1. Après les distinctions précédentes, il faut déterminer le nombre des espèces de raisonnements dialectiques. § 2[59]. Il y en a deux, l’induction et le syllogisme. § 3[60]. Nous avons déjà dit ce qu’est le syllogisme. § 4[61]. Quant à l’induction, elle est la transition du particulier à l’universel. Par exemple, si parmi les pilotes et parmi les cochers, le meilleur est celui qui fait le mieux son métier, on pourra dire en général aussi que le meilleur est celui qui fait le mieux. § 5. L’induction est plus persuasive et plus claire, plus accessible à la sensation et plus connue du vulgaire ; le syllogisme est plus puissant et plus vigoureux pour réfuter les contradicteurs.


CHAPITRE XIII.

{{Alinéa|{{t| Des quatre instruments ou procédés dialectiques : 1° choix des propositions initiales ; 2° distinction des dénominations diverses des choses ; 3° distinction des différences ; 4° distinction des ressemblances.|90}}|1|-1}}


§ 1[62]. Pour les genres auxquels s’appliquent les raisonnements, et dont on les tire, gardons la division faite plus haut. Quant aux procédés qui pourront nous fournir, selon le besoin, des syllogismes et des inductions, ils sont au nombre de quatre : l’un, c’est de savoir poser les propositions ; l’autre, de pouvoir reconnaître les dénominations diverses de chaque chose ; le troisième, de distinguer les différences ; le quatrième enfin, c’est de savoir discerner le semblable. § 2[63]. De ces quatre choses, trois ne sont en quelque sorte aussi que des propositions ; car on peut toujours pour chacune d’elles faire une proposition. L’on peut dire, par exemple, que l’on doit préférer la vertu, ou le plaisir, ou l’intérêt ; que la sensation diffère de la science, en ce que l’on peut ressaisir l’une après l’avoir perdue, tandis qu’on ne peut ressaisir l’autre ; et que le sain est dans le même rapport à la santé que le bien disposé l’est à la bonne disposition. La première de ces propositions est tirée de la diversité de signification des mots ; la seconde est tirée des différences ; et la troisième, des semblables.


CHAPITRE XIV.

Du choix des propositions : choisir d’abord les propositions probables ou les propositions contraires sous forme opposée : choisir les propositions semblables aux propositions probables : extraire des propositions de bons auteurs. — Espèces diverses des propositions et des questions : morales, physiques, logiques. — Faire les propositions les plus générales possible, les diviser et les subdiviser ensuite.


§ 1[64]. Il y a autant de manières de choisir les propositions, que nous avons distingué d’espèces dans la proposition elle-même. Nous pouvons avancer les opinions acceptées ou par tout le monde, ou par la majorité, ou par les sages ; et parmi les sages, suivre l’avis de tous, ou celui de la majorité ou celui des plus illustres. Nous pouvons ; avancer même aussi les opinions contraires à celles qui paraissent les plus vraies, et toutes les opinions qui résultent d’une pratique spéciale dans un art. Mais, quant aux opinions contraires à celles qui paraissent les plus vraies, il faut les produire sous forme opposée, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

§ 2[65]. Il est utile aussi, dans ce choix, non seulement de prendre celles qui sont probables, mais celles même qui se rapprochent de celles-là ; par exemple, que la sensation des contraires est unique, parce que la science des contraires est unique aussi ; que l’acte de la vision s’opère en recevant quelque chose du dehors, et non pas en émettant quelque chose de nous, parce qu’il en est en effet ainsi des autres sensations. Ainsi, nous entendons en recevant quelque chose du dehors, et non pas en émettant quelque chose de nous. L’acte du goût, et celui de l’odorat, se produisent de cette même façon. On pourrait faire une remarque analogue pour tous les autres cas. § 3. Il faut encore admettre comme principe et comme thèse probable, ce qui se présente dans tous les cas, ou du moins dans la plupart des cas ; car c’est une chose admise par tous ceux qui n’ont point observé qu’il en fût autrement dans aucun cas.

§ 4. Il faut extraire des opinions choisies dans les bons auteurs, § 5[66]. , et faire des listes séparées avec soin pour chaque genre, en mettant à part les opinions, par exemple, sur le bien et celles sur l’animal, et sur le bien pris dans toute sa généralité, en commençant toujours par la définition du sujet, il faut aussi noter soigneusement les opinions originales de chacun : par exemple, celles d’Empédocle, qui a dit que les éléments de tous les corps étaient au nombre de quatre ; car on peut soutenir une assertion émise par quelque homme digne de foi.

§ 6[67]. Il y a donc, pour ne donner d’ailleurs ici qu’un apperçu, trois espèces distinctes de questions ou de propositions ; les unes sont morales ; les autres, physiques ; les autres logiques : morales, comme lorsqu’on demande s’il faut plutôt obéir à ses parents qu’aux lois, quand ils ne sont pas d’accord ; logiques, comme, par exemple, si la science des contraires est unique ou ne l’est pas ; physiques, par exemple, si le monde est, ou non, éternel. Et de même pour les questions. Quant à reconnaître les espèces qui viennent d’être indiquées, il ne serait pas facile d’en donner le moyen par une simple définition ; mais on peut s’essayer à distinguer chacune d’elles par l’habitude de l’induction, et en les étudiant d’après les exemples qui en ont été donnés ici.

§ 7[68]. Au point de vue de la philosophie, il faut traiter des choses dans toute leur vérité ; mais en dialectique il suffît de l’apparence et de la probabilité.

§ 8[69]. Le plus qu’on peut, il faut faire toutes les propositions universelles ; et, d’une seule, il faut en tirer plusieurs. Par exemple, si l’on a établi que la science des opposés est unique, il faut poser à la suite que la science est unique pour les contraires, que la science est unique pour les relatifs. Ces nouvelles propositions, il faut encore de même les diviser tant qu’on peut le faire, et dire, par exemple, que la science est unique pour le bien et pour le mal ; que la science est unique pour le blanc et pour le noir ; que la science est unique pour le froid comme pour le chaud ; et de même pour tout le reste.

§ 9[70]. Ce qui précède doit suffire pour la proposition.


{{t3| CHAPITRE XV.}}

Dénominations diverses des choses : pour se rendre compte de l’homonymie, il ne faut pas s’en tenir à l’examen des mots, il faut aller jusqu’aux définitions. — Examen du contraire, identique par le nom ou différent par le nom. Absence ou présence du contraire.—Absence ou présence d’un intermédiaire. — Nombre des intermédiaires. — Opposés par contradiction ; par privation et possession. — Cas et inflexions des mots. — Identité ou diversité des catégories. — Catégories subordonnées. — Catégories des contraires. — Définition des composés. — Homonymie dans les définitions. — Comparaison par ressemblance, par quantité. — Différences des genres. — Espèce et différence. — Conclusion.


§ 1[71]. Quant aux dénominations multiples et diverses des choses, il ne faut pas se borner à indiquer seulement les nuances différentes, il faut essayer encore d’en donner l’explication. Par exemple, il ne faut pas dire seulement que le bien est appelé d’une autre manière justice et courage, et d’une autre manière encore, vigueur et santé. Mais il faut ajouter en outre, que les choses sont appelées bonnes, tantôt parce qu’elles sont de certaine façon, et tantôt parce qu’elles produisent certain effet, sans que l’on considère d’ailleurs leur nature spéciale ; et ainsi du reste.

§ 2[72]. Pour savoir si, sous le rapport de l’espèce, une chose a un seul nom ou plusieurs, voici ce qu’il faudra faire : § 3[73]. d’abord, il faut regarder si le contraire a aussi plusieurs dénominations, qu’il diffère d’ailleurs, soit en espèce, soit en nom ; car certaines choses diffèrent à première vue par le nom quelles portent : par exemple, l’aigu a pour contraire, dans la voix, le grave ; dans l’angle, il a l’obtus ; il est donc évident que le contraire de l’aigu a plusieurs dénominations ; et si cela est, l’aigu aussi doit avoir plusieurs sens. Il faut que le contraire soit autre pour chacune de ces choses ; car le même aigu ne sera pas le contraire pour le grave et pour l’obtus, bien que cependant l’aigu soit le contraire de tous deux. Et dans un sens inverse, c’est l’aigu qui dans la voix est le contraire du grave ; mais c’est le léger pour le poids. Ainsi, le grave a plusieurs sens, puisque son contraire a aussi plusieurs dénominations. Et de même le laid est le contraire du beau s’il s’agit d’un être animé ; et s’il s’agit d’une maison, c’est l’incommode qui est le contraire du beau : donc le beau est homonyme.

§ 4<ref>Si on regarde à l’espèce, c’est-à-dire à la définition : — En regardant à l’espèce, c’est-à-dire à la définition, — L’aigu ou l’obtus dans les saveurs et dans les angles, la langue française n’a point ici d’homonymes qui répondent exactement à ceux du grec ; au lieu d’aigu, quand il s’agit des saveurs, elle dit aigre ; elle peut aussi dire piquant, qui s’applique également aux angles ; mais au lieu d’obtus elle dit insipide, et ce dernier mot ne peut s’appliquer aux angles. Ainsi, dans ce cas particulier, notre langue n’offre qu’un homonyme au lieu de deux qu’a la langue grecque. J’aurais pu, dans le texte, substituer piquant à aigu, mais j’ai préféré garder ce dernier mot, parce qu’il rappelle les exemples antérieurs, et que de plus, par son impropriété même, il fait sentir davantage celle du mot obtus.</ref>. Pour certaines choses, les noms ne présentent aucun désaccord ; mais la différence se montre tout à coup bien évidente si on regarde à l’espèce ; par exemple, pour le blanc et le noir, on dit d’une voix qu’elle est claire ou sombre (blanche ou noire), comme on le dit d’une couleur. Ici, il n’y a pas de différence dans les mots ; mais la différence est très-palpable en regardant à l’espèce ; car ce n’est pas de la même façon qu’on dit d’une voix et d’une couleur, qu’elles sont claires. Cela même est évident, rien que par la sensation ; c’est le même sens qui perçoit les choses de même espèce ; mais nous ne jugeons pas par le même sens le clair dans la voix ou dans la couleur ; nous jugeons l’un par la vue, l’autre par l’ouïe. Et de même pour l’aigu ou l’obtus dans les saveurs et dans les angles ; car l’un se reconnaît au toucher, l’autre au goût. Ici, du reste, il n’y a pas de dissemblance dans les mots, ni pour les choses mêmes, ni pour leurs contraires ; car l’obtus est le contraire de l’un et de l’autre.

§ 5[74]. Il faut encore remarquer que dans un cas il y a un contraire, et que dans un autre cas il n’y en a pas du tout pour une même chose ; par exemple, le plaisir de boire a pour contraire la souffrance d’avoir soif ; mais il n’y a pas de contraire au plaisir de comprendre que le diamètre est incommensurable au côté. Ainsi, plaisir se dit en plusieurs sens. Aimer, quand il s’agit de cœur, a pour contraire haïr ; mais il n’a pas de contraire s’il s’agit de l’acte corporel. Ainsi donc, aimer, est évidemment un mot homonyme.

§ 6[75]. Il faut voir aussi aux choses intermédiaires ; car les contraires peuvent tantôt avoir un moyen terme, et tantôt n’en point avoir ; ou bien les contraires peuvent avoir un intermédiaire sans qu’il soit le même pour les deux cas : par exemple, le pâle, est intermédiaire entre le clair et l’obscur s’il s’agit de couleur ; mais il n’y a point d’intermédiaire s’il s’agit de la voix, à moins que ce ne soit le rauque, si une voix rauque est une sorte de milieu, comme le prétendent quelques musiciens. Donc, blanc est un mot homonyme ainsi que noir. § 7[76]. Il est possible que dans un cas les intermédiaires soient nombreux, et qu’il n’y en ait qu’un seul pour un cas différent : par exemple, pour le clair et l’obscur, dans les couleurs, il y a beaucoup d’intermédiaires ; pour la voix, il n’y aurait que le rauque.

§ 8[77]. Il faut examiner encore si le terme opposé sont forme contradictoire a plusieurs sens ; car, s’il en a plusieurs, son opposé en aura plusieurs également : par exemple, ne pas voir s’entend de plusieurs manières : l’une, n’avoir pas la vue ; l’autre, ne pas faire acte de vision ; mais si ne pas voir se dit en plusieurs sens ; il est nécessaire aussi que voir se dise en plusieurs sens ; car dans l’un et l’autre de ses sens, ne pas voir doit avoir son opposé ; par exemple, avoir la vue a ne pas l’avoir ; et faire acte de vision a n’en pas faire acte.

§ 9[78]. Il faut aussi regarder au sens qu’on tire de la privation et de la possession ; car, si l’une des deux a plusieurs sens, l’autre en aura plusieurs aussi. Par exemple, si sentir a plusieurs sens appliqué à l’âme et au corps, être sensible en aura plusieurs également, soit pour l’âme soit pour le corps. Mais que les expressions citées ici soient opposées par privation et par possession, c’est ce qui est de toute évidence, puisque les animaux ont naturellement ces deux espèces distinctes de sensation, l’une pour l’âme et l’autre pour le corps.

§ 10[79]. Il faut aussi regarder aux cas divers des mots ; car si justement se dit en plusieurs sens, juste se dira aussi en plusieurs sens, parce que juste doit se trouver dans chaque chose faite justement. Par exemple, l’on emploie le mot justement pour un homme qui juge d’après sa conscience et pour celui qui juge comme il faut : il en sera de même pour juste. Et, de même, si sain a plusieurs sens, sainement en aura aussi plusieurs. De même, si le sain est à la fois ce qui produit la santé et ce qui la conserve, et ce qui l’indique, sainement se dira aussi dans ces trois sens, de produire la santé, de la conserver et de l’indiquer. Et de même pour le reste. Quand une chose se dit en plusieurs sens, le cas ou l’inflexion qu’elle reçoit, sera dit en plusieurs sens ; et si le cas a plusieurs sens, la chose en a plusieurs aussi.

§ 11[80]. Il faut encore examiner quels sont les genres des catégories applicables au mot, et voir si les genres sont les mêmes pour tous les cas ; car s’ils ne sont pas les mêmes, c’est qu’évidemment le nom de la chose est homonyme. Par exemple, le bon, en fait d’aliments, est ce qui produit du plaisir ; dans la médecine, c’est ce qui produit de la santé. S’il s’agit de l’âme, le bon, c’est d’être de telle ou telle façon, et ainsi d’être sage, juste ou courageuse ; et de même s’il s’agissait de l’homme. Parfois, c’est le temps qui est la catégorie du sujet ; par exemple le bon qui est fait en temps convenable ; car on appelle bon, ce qui vient à temps. Souvent, c’est la catégorie de la quantité, comme le bon dans le sens de la modération ; car la modération est aussi appelée bonne. Ainsi donc, bon est un mot homonyme. Et de même pour le mot de clair : s’il s’agit de la voix, il signifie ce qui est harmonieux ; et s’il s’agit d’un corps, c’est une couleur. L’aigu est à peu près dans ce cas aussi ; car ce n’est pas le même sens qu’on donne au mot aigu pour tous les objets auxquels on l’applique : ainsi, une voix est aiguë quand elle est rapide, comme le disent ceux qui savent la théorie numérique de l’harmonie ; un angle est aigu, quand il est plus petit qu’un angle droit ; et une épée est aiguë, parce qu’elle a la pointe aiguë.

§ 12[81]. il faut aussi en regardant aux genres des catégories, voir si ces genres sont différents des choses comprises sous le même nom, et non subordonnés entre eux : par exemple, le mot âne en grec signifie à la fois un animal et un certain vase. Mais la définition qui répond à ce mot est différente pour l’un et pour l’autre ; car, en parlant de l’un, on dira que c’est un animal de telle façon ; et en parlant de l’autre, que c’est un vase qui est fait de telle manière. Si les genres sont subordonnés, il n’est plus nécessaire que les définitions soient différentes : par exemple, animal et oiseau sont les genres du corbeau ; quand donc nous disons que le corbeau est un oiseau, nous disons aussi qu’il est un animal de telle espèce, de sorte que ces deux genres lui sont à la fois attribués ; et de même, quand nous disons que le corbeau est un animal ailé, bipède, nous disons aussi qu’il est un oiseau ; et, de cette façon, les deux genres sont attribués au corbeau, et la définition de chacun d’eux lui convient aussi. Mais il en est tout autrement pour les genres qui ne sont pas subordonnés entre eux ; et lorsque nous disons vase nous ne disons pas du tout animal ; et, réciproquement, lorsque nous disons animal nous ne disons pas du tout vase.

§ 13[82]. Et non seulement il faut examiner si les genres de l’objet en question sont différents et non subordonnés ; mais il faut examiner en outre les genres du contraire ; car si le contraire se dit en plusieurs sens, évidemment aussi l’objet en question se dit de même en plusieurs sens.

§ 14[83]. Il sera bon aussi de regarder à la définition de ces mots mis en composition avec d’autres : la définition, par exemple, de corps clair et de voix claire ; car en ôtant ce qui est spécial dans chacun de ces cas, il faudra qu’il reste une seule et même définition. Mais c’est ce qui n’a pas lieu pour les homonymes, comme dans les exemples que nous venons de citer ; car le corps est clair, parce qu’il a telle couleur ; et la voix est claire, parce qu’elle est harmonieuse. En retranchant le corps d’une part, et la voix de l’autre, ce qui reste dans l’un et dans l’autre cas n’est plus une seule et même chose. Mais il faudrait que la définition fût la même pour les deux termes, si le mot clair eût été synonyme.

§ 15[84]. Souvent, sans qu’on s’en aperçoive, c’est dans les définitions même que se glisse l’homonymie à la suite. Aussi faut-il regarder à la définition : et, par exemple, si quelqu’un appelle ce qui indique la santé et ce qui fait la santé, un juste équilibre de santé, il ne faut pas repousser cette définition : mais il faut examiner ce qu’on a appelé de part et d’autre juste équilibre, et s’assurer, par exemple, si, dans un cas on a bien compris par là ce qui est capable de donner la santé, et si dans l’autre, on a bien compris par là ce qui est de nature à indiquer l’état vrai de la santé.

§ 16[85]. Il faut de plus examiner si les choses ne peuvent pas être comparées sous le rapport du plus et du moins, ou sous le rapport de la ressemblance. Ainsi, par exemple, on comparera une voix claire et un manteau de couleur claire, un goût aigre et une voix aigre ; car aucune de ces choses n’est dite claire ou aigre, ni sous le rapport de la ressemblance, ni sous le rapport du plus et du moins. Donc, les mots clair et aigre sont homonymes ; car tout mot synonyme peut être comparé dans ses divers sens ; et les objets synonymes seront ou semblables, ou différeront du plus au moins.

§ 17[86]. Comme pour les choses de genres différents et qui ne sont pas subordonnées entre elles, les différences aussi sont différentes même en espèce ; et que, par exemple, pour l’animal et pour la science, les différences sont tout autres, il faut examiner si les choses comprises sous le même nom ne sont pas des différences de genres tout autres, et non subordonnés entre eux. Ainsi, l’aigu de la voix et l’aigu de l’angle. Une voix en effet diffère d’une autre voix en ce qu’elle est aiguë ; et de même, l’angle diffère de l’angle. Ainsi, aigu est un mot homonyme ; car il constitue des différences de genres fort divers et non subordonnés entre eux.

§ 18[87]. De plus, il faut voir si les différences sont autres pour les genres placés sous un même nom : par exemple, pour la couleur quand il s’agit des corps, et la couleur quand il s’agit des chants. La couleur, quand on entend parler des corps, est ce qui nous fait distinguer et comparer les choses par la vue ; mais les différences ne sont pas du tout les mêmes pour la couleur qui est dans les chants. Ainsi, le mot couleur est homonyme ; car les différences sont identiques pour des choses identiques.

§ 19. De plus, comme l’espèce d’une chose n’est jamais sa différence ; et, par exemple, homme et bœuf ne sont pas des différences, attendu que tous deux sont des espèces ; il faut examiner pour les choses placées sous le même nom, si l’une est espèce, et l’autre différence. Par exemple, le clair est une espèce de la couleur pour le corps ; c’est une différence pour la voix, une voix différant d’une autre voix, parce qu’elle est claire.

§ 20. Il faut donc étudier les diverses dénominations des choses aux points de vue que nous avons dits, ou à des points de vue analogues.


CHAPITRE XVI.

Distinction des différences : 1° dans un même genre ; 2° dans des genres voisins ; 3° dans des genres fort éloignés.


§ 1[88]. Quant aux différences, il faut les examiner dans les genres mêmes, en les comparant les unes aux autres. Par exemple, il faut rechercher en quoi la justice diffère du courage, et la sagesse de la prudence ; car toutes ces différences appartiennent au même genre, qui est la vertu. § 2. Parfois, il faut passer d’un genre à l’autre, quand les choses ne sont pas fort éloignées, et chercher par exemple en quoi la sensation diffère de la science ; § 3. car, dans les choses qui sont fort éloignées, les différences sont parfaitement évidentes.


CHAPITRE XVII.

Distinction des ressemblances : 1° par identité de rapport ; 2° par identité de contenance. Étudier surtout les ressemblances des choses fort éloignées les unes des autres : rechercher aussi les ressemblances des espèces dans un même genre.


§ 1. Pour la ressemblance, on peut la trouver même pour des choses de genres différents, en ce que le rapport du premier terme relativement à un second, se retrouve d’un autre à un autre. Par exemple, le rapport que la science soutient relativement à la chose sue, la sensation le soutient relativement à la chose sentie. § 2[89]. La ressemblance peut tenir à ce que de même qu’une première chose est dans une seconde, de même une autre est dans une autre : comme, par exemple, ce que la vue est dans l’œil, l’entendement l’est dans l’âme. Et encore, ce que le calme est dans la mer, l’absence de vent l’est dans l’air. De part et d’autre, c’est un repos.

§ 3[90]. C’est surtout entre les choses qui sont à de grandes distances qu’il faut s’exercer à découvrir des ressemblances ; car nous pourrons alors plus aisément voir les ressemblances dans les autres cas. § 4[91]. Ce qui n’empêche pas d’examiner aussi pour les choses qui sont dans le même genre, si elles n’ont pas toutes quelque chose d’identique. Par exemple, les ressemblances de l’homme, du cheval, du chien ; car, par cela même qu’il y a en eux quelque chose d’identique, par cela même aussi ces êtres sont semblables.


CHAPITRE XVIII.

Utilité des trois derniers instruments dialectiques. — La distinction des homonymes produit la clarté ; elle fait que le raisonnement s’applique à la chose même, et non point seulement à son nom ; elle fait éviter les paralogismes. — La découverte des différences est utile pour reconnaître l’identité ou la différence des choses, et pour en faire bien distinguer l’essence. — L’étude de la ressemblance est utile pour bien faire les inductions, les syllogismes hypothétiques, et les définitions.


§ 1<ref>L’étude des diverses dénominations des choses est utile ; Aristote ne parle pas de l’utilité du premier instrument dialectique, le choix des propositions, parce que cette utilité est trop évidente, comme le remarque Alexandre ; sans propositions pas de syllogisme. — On sait bien mieux ce qu’on soutient, première utilité.</ref>. L’étude des diverses dénominations des choses est utile, en ce qu’elle donne de la clarté aux discussions. On sait bien mieux ce qu’on soutient, si l’on s’est rendu compte des sens divers de la chose en question. § 2[92]. Elle sert aussi à bien faire porter les syllogismes sur la chose même, et non pas seulement sur le mot qui la désigne. Si l’on ne sait pas bien nettement tous les sens de la chose, il est fort possible que celui qui interroge et celui qui répond, ne dirigent pas leur pensée sur le même objet. Au contraire, quand on sait clairement tous les sens de la chose, et qu’on sait sur quoi l’interlocuteur prétend faire porter sa thèse, celui qu’il interroge serait ridicule s’il n’appliquait pas son raisonnement à ce sens-là même. § 3[93]. De plus, cette étude est utile à la fois, et pour qu’on ne nous fasse pas de paralogismes, et pour que nous en fassions aux autres ; car, en sachant tous les sens d’une chose, nous ne pouvons pas nous laisser tromper par un paralogisme ; et nous reconnaissons bien si celui qui interroge ne dirige pas son raisonnement sur le même objet que nous avons dans notre pensée. Et si c’est nous-mêmes qui interrogeons, nous pourrons faire des paralogismes, si celui qui nous répond ne sait pas tous les sens divers du mot en question. § 4. Ceci, du reste, n’est pas possible dans tous les cas ; on ne peut faire de paralogismes que quand, parmi les sens divers des choses, les uns sont vrais, et les autres faux. § 5. Mais ce n’est pas une méthode vraiment propre à la dialectique ; et les dialecticiens doivent toujours bien prendre garde à ceci, de ne point disserter sur les mots, à moins que l’adversaire ne puisse disserter autrement sur l’objet en question.

§ 6[94]. Trouver les différences des choses est utile, et pour faire les syllogismes qui portent sur le même et sur le différent, et pour connaître l’essence de chaque chose. § 7. Il est d’abord évident que cette recherche est utile pour les syllogismes qui portent sur l’identité et la diversité des choses ; car une fois qu’on a trouvé une différence quelconque entre les sujets proposés, on a par cela même démontré qu’ils ne sont pas une même chose. § 8. Cette recherche sert encore à faire connaître l’essence de la chose ; car, d’ordinaire, on détermine la définition propre de l’essence des choses par les différences spéciales à chacune d’elles.

§ 9<ref>La recherche des ressemblances ; quatrième instrument dialectique ; il a trois utilités indiquées dans ce paragraphe et développées dans les suivants. — Syllogismes par hypothèse, ce sont les syllogismes qui résultent, comme le dit Alexandre, d’une convention antérieure ; c’est du moins le nom que de son temps on donnait à ces syllogismes. La forme même des syllogismes, dits hypothétiques, exprime clairement la pensée d’Aristote. La majeure de ces syllogismes est toujours de cette forme : Si telle chose est, etc.; mais le syllogisme peut être hypothétique sans cette forme même, si la majeure, non évidente par elle-même, est admise du consentement des deux interlocuteurs. Ce passage et le commentaire d’Alexandre semblent donner tort à M. Hamilton, qui ne veut pas reconnaître dans les syllogismes par hypothèse d’Aristote les syllogismes hypothétiques tels que nous les comprenons aujourd’hui. Voir Fragments de philosophie, trad. de M. L. Peisse, p. 235. Le § 11 de ce chapitre paraît appuyer ici la confusion que je crois devoir faire du syllogisme par hypothèse d’Aristote et du syllogisme hypothétique, indépendamment de la forme. Voir plus loin, liv. 2, ch. 3, § 1, et liv. 3, ch. 6, § 6.</ref>. La recherche des ressemblances est utile pour les raisonnements par induction, et pour les syllogismes par hypothèse, et pour la justesse des définitions qu’on donne. § 10. Elle est utile pour les raisonnements par induction, parce que c’est par l’induction particulière des cas semblables que nous pensons pouvoir induire l’universel ; car il serait fort difficile d’induire si l’on ne connaissait pas les ressemblances. § 11[95]. Elle est utile pour faire des syllogismes par hypothèse, parce qu’il est probable que ce qui est de telle façon pour l’un des cas semblables est aussi de même pour tous les autres. Ainsi, quel que soit celui des semblables dont nous puissions parler, nous poserons d’abord comme principe incontestable, que ce qui vaut pour celui-là vaudra aussi pour l’objet en discussion. Alors, une fois que nous aurons prouvé le cas que nous savons, nous aurons démontré aussi, d’après notre hypothèse, le cas à discuter ; car, ayant supposé que ce qui est pour les cas connus est aussi pour le cas en question, nous avons fait la démonstration demandée. § 12. Quant à la justesse des définitions, la recherche des ressemblances y contribuera très-utilement, parce que pouvant voir ce qu’il y a d’identique dans chaque chose, nous ne serons pas embarrassés pour savoir dans quel genre il faut placer la chose pour la bien définir ; car, parmi les attributs communs, celui qui appartiendra le plus à l’essence de la chose sera le genre.

§ 13. Et de même encore, l’examen de la ressemblance sera utile pour les définitions, même dans les choses fort éloignées. Exemples : le calme dans la mer est la même chose que l’absence de vent dans l’air ; car tous deux sont du repos. Le point dans la ligne et l’unité dans le nombre sont la même chose ; car tous deux sont le principe. Ainsi, en donnant dans la définition le genre commun à tous les sujets, nous ne paraîtrons jamais définir par des attributs étrangers à la chose. C’est à peu près ainsi que ceux qui définissent forment les définitions qu’ils donnent ; ils disent que l’unité est le principe du nombre, et que le point est le principe de la ligne. Il est évident qu’ils placent le genre de chacune de ces choses dans ce qu’elles ont de commun.

§ 14[96]. Tel sont donc les instruments dialectiques dont on tire les syllogismes. Quant aux lieux communs auxquels les instruments qu’on vient de dire peuvent s’appliquer, les voici :


{{t2| LIVRE SECOND.}}


LIEUX COMMUNS DE L’ACCIDENT.


CHAPITRE PREMIER.

Préliminaires.— Questions universelles et particulières : — Priorité des questions universelles négatives. — Différence de l’accident et des trois autres instruments dialectiques. — Vices des questions.


§ 1[97]. Parmi les questions, les unes sont universelles, et les autres particulières ; universelles, comme, par exemple, celles-ci : Tout plaisir est un bien, aucun plaisir n’est un bien ; particulières, comme celles-ci : Quelque plaisir est un bien, quelque plaisir n’est pas un bien.

§ 2[98]. Les questions universelles, soit qu’elles affirment, soit qu’elles nient, peuvent également servir pour les deux genres de questions ; je veux dire que si l’on a montré qu’un attribut appartient à tout le sujet, on a montré par cela même, qu’il appartient aussi à quelque partie du sujet ; et de même, si nous prouvons qu’il n’appartient aucunement au sujet, nous aurons aussi prouvé qu’il n’est pas à tout le sujet. § 3[99]. Il faut donc traiter en premier lieu des négations universelles, d’abord parce qu’elles sont également applicables et aux cas universels et aux cas particuliers ; et ensuite, parce qu’en général, les interlocuteurs posent plutôt des thèses affirmatives que des thèses négatives ; et que, par conséquent, ceux qui discutent ont à les réfuter par des négations.

§ 4<ref>Convertir en une proposition réciproque, Alexandre fait observer avec grande raison qu’Aristote prend ici le mot convertir dans un autre sens que celui qu’il lui donnait dans les Premiers Analytiques. La convertir veut dire changer le sujet en attribut, et réciproquement l’attribut en sujet Ainsi cette proposition : L’homme est un être animé, peut se convertir en celle-ci : L’être animé est homme. On peut voir Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 12, une longue note sur les divers emplois qu’Aristote a faits du mot convertir. Celui dont il s’agit ici est encore différent de tous les autres. Il eût mieux fait, pour chaque cas spécial, de forger des mots nouveaux, droit qu’il ne s’est pas refusé, comme le témoignent les Catégories, ch. 7, § 11, et quelques autres passages moins directs que celui-là. — La dénomination spéciale, j’ai pris le mot de dénomination, quoiqu’un peu obscur dans ce passage, parce qu’il répond plus fidèlement au texte que tout autre mot. — La dénomination particulière, le texte dit : En quelque lieu, pour indiquer la particularité ; le genre, le propre, la définition, sont universels au contraire, en ce sens qu’ils s’appliquent au sujet tout entier, et non à une partie seulement du sujet. — S’il appartient à un sujet… en convertissant réciproquement la proposition, ainsi l’on peut, en parlant de l’attribut, dire : Tel attribut appartient à tel sujet ; et l’on peut alors réciproquement, en parlant du sujet, dire : Il est doué de tel attribut. Si l’on pense, par exemple, que l’attribut d’animal terrestre bipède appartient à un être, on peut réciproquement, et par la conversion, dire : Tel être est animal terrestre bipède. Ce n’est pas une véritable conversion ; c’est seulement la mise en forme d’un jugement, l’énonciation d’une proposition. — A de la justice et de la blancheur ; qu’il a montré de la justice dans telle occasion, qu’il a de la blancheur dans telle partie du corps, comme l’Ethiopien a de la blancheur aux dents, pour prendre l’exemple de commentateurs grecs ; et cependant on ne pourra pas dire d’une manière générale que l’Ethiopien est blanc, pas plus que d’un homme juste par hasard, par accident, on ne dit qu’il est juste, ce qui s’entendrait d’une justice constante et absolue et non point d’un acte de justice passagère.</ref>. Il est très difficile de convertir en une proposition réciproque la dénomination spéciale qui vient de l’accident ; car la dénomination particulière et non universelle n’est possible que pour les accidents. La dénomination, au contraire, qu’on tire du propre, de la définition, et du genre, doit nécessairement se convertir en une proposition réciproque. Par exemple, s’il appartient à un sujet d’être animal bipède terrestre, il sera vrai aussi de dire, en convertissant réciproquement la proposition, qu’il est animal terrestre bipède. Et de même pour la dénomination tirée du genre ; car s’il appartient à quelque sujet d’être animal, on peut dire avec vérité qu’il est animal. Même remarque pour la dénomination tirée du propre. S’il appartient à quelque être d’être susceptible de savoir la grammaire, on pourra dire avec vérité qu’il est susceptible de savoir la grammaire. C’est qu’en effet, aucune de ces dénominations ne peut pas être ou ne pas être en partie et relativement ; mais elles sont absolument, ou ne sont pas absolument. Au contraire, pour les accidents, rien n’empêche qu’ils ne soient que relativement. Prenons pour exemples la blancheur et la justice. Il ne suffit pas de prouver que l’homme a de la justice et de la blancheur pour prouver qu’il est juste et blanc ; car il y a toujours doute, dans ce cas, de savoir s’il est blanc et juste seulement d’une manière relative. Donc, il n’y a pas de conversion nécessaire pour les accidents.

§ 5[100]. Il faut indiquer aussi les vices que peuvent présenter les questions ; ils sont de deux espèces : ou bien l’on se trompe, ou bien l’on détourne un mot de l’acception ordinaire. On tombe dans le premier vice, quand on soutient qu’un attribut qui n’appartient pas réellement au sujet lui appartient ; et quand on appelle les choses de noms qui ne leur conviennent pas, par exemple, quand on appelle le platane homme, on détourne le mot de son acception reçue.


{{t3| CHAPITRE II.}}

Lieux communs de l’accident. — Cinq lieux : 1° de l’erreur commise quand on prend pour accident ce qui ne l’est pas ; 2° regarder aux espèces du sujet ; 3° définir l’accident et le sujet ; 4° se faire des objections tacites contre la thèse de l’interlocuteur ; 5° choisir entre les dénominations ordinaires des choses.


§ 1[101]. Un premier lieu pour l’accident, c’est d’examiner si l’on n’a pas donné comme accident un attribut qui appartient au sujet à tout autre titre. C’est surtout relativement aux genres que se commet cette erreur. Par exemple, l’on dit que c’est un accident pour le blanc d’être une couleur ; car, loin que ce soit un accident pour le blanc d’être une couleur, la couleur, au contraire, en est le genre. Il peut arriver parfois que l’interlocuteur qui pose sa thèse, détermine l’espèce de l’attribut par la dénomination même de l’accident ; et que, par exemple, il dise que c’est un accident de la justice d’être une vertu. Mais dans la plupart des cas, même sans qu’il ait ainsi détermine la chose, il est de toute évidence qu’il à pris le genre comme accident : par exemple, si l’on dit que la blancheur est colorée ou que la marche a remué ; car jamais l’attribution ne se fait par dérivation paronyme du genre à l’espèce ; mais les genres sont toujours attribués synonymiquement aux espèces, puisque les espèces reçoivent et la dénomination et la définition des genres. Lors donc que l’on dit que le blanc est coloré, on ne donne cet attribut, ni comme genre, puisqu’on le forme par dérivation paronyme, ni comme propre, ni comme définition ; car la définition et le propre ne sont à aucune autre chose que le sujet. Il y a bien d’autres choses que le blanc qui sont colorées : par exemple, le bois, la pierre, l’homme, le cheval, etc. Il est donc clair qu’on a pris cet attribut comme accident.

§ 2[102]. Un autre lieu, c’est d’examiner les sujets dont l’attribut est affirmé ou pris universellement. Il faut regarder aux espèces, et non pas aux cas particuliers qui sont infinis ; car l’observation se fait mieux sur un moindre nombre et pas à pas. Or, il faut commencer cet examen par les primitifs, et descendre ensuite jusqu’aux individus : par exemple, si l’adversaire a dit qu’il n’y avait qu’une science unique pour les choses opposées, il faut examiner s’il y a une science unique pour les relatifs, et pour les contraires, et pour les opposés par privation et possession, et pour les opposés par contradiction. Et si l’assertion n’est pas évidente pour ces cas mêmes, il faut pousser les subdivisions jusqu’aux individus, et voir par exemple si la science est unique pour le juste et l’injuste, pour le double et la moitié, pour l’aveuglement et la vue, pour l’être et le non-être ; car si l’on prouve pour un seul cas que la notion n’est pas la même, nous aurons détruit pour cela même l’assertion universelle. Même procédé si l’assertion universelle était négative. Ce lieu peut tout aussi bien servir à établir une assertion qu’à en réfuter une. Si l’on voit en poussant la division que l’attribut appartient à tous les sujets, ou du moins au plus grand nombre, on peut demander à l’interlocuteur de reconnaître cet attribut pour universel, ou de démontrer, en le réfutant, qu’il y a un sujet auquel il n’appartient pas ; et si l’interlocuteur ne fait ni l’un ni l’autre, il paraîtra se donner le tort de ne point admettre l’attribut discute.

§ 3[103]. Un autre lieu, c’est de faire la définition de l’accident et du sujet auquel il est attribué, ou de tous les deux pris ensemble, ou de l’un des deux pris à part : et de voir ensuite si l’on n’a point pris pour vrai dans les définitions quelque élément qui ne l’est pas. Par exemple, si l’on avance qu’il est possible de faire tort à Dieu, il faut voir ce que c’est que faire tort ; car si l’on entend par faire tort faire volontairement du mal, il est évident qu’on ne saurait faire tort à Dieu, puisqu’on ne peut faire de mal à Dieu. Si l’on soutient que l’homme vertueux est envieux, on aura à se demander ce que c’est que l’envieux et l’envie ; car si l’envie est une douleur de ce qui arrive de bonheur à quelque homme honorable, il est évident que l’homme vertueux ne sera pas envieux ; car alors il serait méchant. Si l’on prétend que le grondeur est envieux, on cherchera à définir ce que c’est que l’un et l’autre. C’est ainsi qu’on verra clairement si l’assertion émise est fausse ou vraie : par exemple, si l’envieux est celui qui s’afflige du succès des gens de bien, et le grondeur celui qui s’afflige du succès des méchants, il est évident que le grondeur ne sera pas envieux. Parfois on doit prendre des définitions à la place de certains mots que les définitions même renferment, et ne point s’arrêter jusqu’à ce qu’on soit arrivé à quelque terme tout à fait connu. C’est que souvent, en prenant la définition tout entière qui a été donnée, on ne découvre pas nettement ce qu’on cherche : mais on le découvre aussitôt, si l’on prend une définition à la place de l’un des mots que renferme la définition initiale.

§ 4[104]. On peut encore réfuter la question en s’en faisant à soi-même une proposition ; car la réfutation qu’on trouvera de cette façon sera une attaque contre la thèse de l’interlocuteur. Ce lieu, du reste, est à peu près le même que celui qui consiste à voir quels sont les sujets dont l’attribut est affirmé ou nié universellement : la seule différence est dans la forme.

§ 5. Il faut encore déterminer les choses qu’il convient, et celles qu’il ne convient pas, d’appeler par les noms qu’on leur donne ordinairement. Cela est utile, soit pour soutenir, soit pour réfuter une assertion : par exemple, on peut dire qu’il faut désigner les choses par leurs dénominations habituelles. Mais, quant à distinguer les choses qui ont telle qualité et celles qui ne l’ont pas, il ne faut plus sur cette question s’en rapporter au vulgaire. Ainsi, on peut bien appeler sain ce qui donne la santé, comme tout le monde fait ; mais pour savoir si l’objet en question donne ou ne donne pas la santé, ce n’est pas comme le vulgaire qu’il faut dire, c’est comme le médecin.


{{t3| CHAPITRE III.}}

Trois autres lieux, dont deux tirés de l’homonymie ; mots qui, sans être homonymes, s’appliquent à plusieurs choses.


§ 1[105]. Si le mot qui désigne l’accident a plusieurs acceptions et que l’on ait affirmé ou nié l’accident, il faut montrer l’un ou l’autre des sens divers, si on ne le peut pour tous les deux. Il faut se servir de ce lieu surtout dans le cas où l’homonymie est cachée ; car si l’on n’ignore pas que le mot a plusieurs sens, on objectera que l’interlocuteur ne discute pas le sens qu’il a mis lui-même en doute, mais qu’il discute l’autre sens. Ce lieu peut être également employé pour soutenir et réfuter une thèse. Si nous voulons soutenir, nous montrerons que l’un des deux sens appartient au mot, quand nous ne le pouvons pas pour les deux ; et si nous voulons réfuter, nous montrerons que l’un des sens n’appartient pas au mot, si nous ne le pouvons faire pour les deux. Seulement, quand on réfute, il n’est nullement besoin d’obtenir de concession de l’adversaire, soit que la thèse primitive ait nié ou affirmé universellement l’attribut ; car si nous montrons que l’accident n’appartient pas à une partie quelconque du sujet, nous aurons réfuté cette assertion qu’il est à tout le sujet : et si nous montrons qu’il est à une seule partie du sujet, nous aurons par cela même réfuté cette assertion qu’il n’est aucunement au sujet. Au contraire, quand on soutient soi-même une thèse, il faut d’abord convenir avec l’adversaire que si l’on prouve que l’accident est à une partie quelconque du sujet, on aura prouvé par cela même qu’il est à tout le sujet, en admettant aussi que cette raison soit convaincante ; car il ne suffit pas, pour montrer que l’accident est à tout le sujet, de discuter sur un seul cas : par exemple, il ne suffit pas de prouver que l’âme de l’homme est immortelle, pour affirmer que toute âme est immortelle. Ici, il faut convenir préalablement que si l’on montre qu’une âme quelconque est immortelle, on aura prouvé par là même que toute âme l’est en général. Du reste, il ne faut employer cette méthode que quand on ne peut pas produire une explication commune à tous les cas, comme le fait le géomètre quand il affirme que le triangle a ses trois angles égaux à deux droits.

§ 2[106]. Si les divers sens du mot sont parfaitement évidents, il faut, après avoir déterminé séparément, en combien de sens il se dit, soutenir ou réfuter la thèse. Par exemple, si l’on a dit que la règle de conduite morale est l’utile ou le bien, il faut chercher à établir ou à renverser ces deux assertions pour l’objet discuté ; par exemple, en montrant qu’il est beau et utile, ou bien qu’il n’est ni beau ni utile. Si l’on ne peut prouver les deux assertions, il faut prouver l’une d’elles, en indiquant en outre que l’objet est l’une de ces choses et qu’il n’est pas l’autre. Même raisonnement, si la division comprenait plus de deux membres.

§ 3[107]. Il faut regarder encore aux choses qui ont plusieurs sens, non par simple homonymie, mais de toute autre manière ; par exemple, la science unique pour plusieurs choses peut s’entendre, ou de la fin à laquelle tendent les choses, ou de ce qui mène à cette fin : ainsi, la médecine, qui est à la fois la science de ce qui fait la santé et la science du régime. La science unique peut s’entendre encore également des fins des deux choses : c’est en ce sens que l’on dit que la science des contraires est la même ; car l’un des contraires n’est pas plus une fin que l’autre. La science unique peut s’entendre, et de la chose en soi, et de la chose par accident. Ainsi, c’est en soi que le triangle a ses trois angles égaux à deux droits, et c’est par accident que l’équilatéral les a de cette façon. C’est en effet parce que le triangle équilatéral est accidentellement triangle, que nous reconnaissons qu’il a les trois angles internes égaux à deux droits. Si donc il ne peut y avoir science unique de plusieurs choses, évidemment, il faut dire absolument qu’elle ne peut pas être ; ou bien si elle peut être de quelque façon, il est clair qu’elle est possible. Il faut continuer la division tant qu’elle est utile : par exemple, si nous voulons soutenir une thèse, il faut produire tous les exemples analogues que nous pourrons, et ne prendre dans les divisions que celles qui peuvent être utiles à nos affirmations. Si au contraire nous voulons réfuter, il faut prendre les exemples opposés à la thèse de l’adversaire, et négliger tout le reste. C’est aussi ce qu’il faut faire, même pour les exemples opposés. Quand on ne sait pas dans combien de sens les mots peuvent être pris, il faut encore établir par les mêmes lieux que telle chose est ou n’est pas l’attribut de telle autre. Par exemple, que la science s’applique à telle chose, soit comme science de la fin de cette chose, ou comme science des moyens servant à cette fin, ou comme science des accidents de cette chose ; de même qu’on peut prouver aussi que le sujet en question n’est d’aucune des manières énoncées. Le même raisonnement qu’on fait ici pour la science pourrait être fait pour le désir, et en général pour toutes les choses qui sont applicables à plusieurs autres ; car le désir s’applique à telle chose comme fin, ainsi, le désir de la santé ; ou à des choses qui servent à cette fin, ainsi, le désir de se soigner ; ou à des choses purement accidentelles ; ainsi celui qui aime les choses douces désire boire du vin, non parce que le vin est du vin, mais parce que le vin est doux. Il désire en soi ce qui est doux, il ne désire du vin que par accident ; et la preuve, c’est que si le vin est aigre, il ne le désire plus ; donc il ne le désire que par accident. Ce lieu commun s’applique utilement surtout aux relatifs ; car les choses de ce genre sont presque toutes des relatifs.


CHAPITRE IV.

Six autres lieux : 1° changer un mot obscur pour un plus clair ; 2° regarder au genre pour prouver que les contraires sont à un même sujet ; 3° regarder aux espèces du genre attribué ; 4° regarder aux définitions vraies ou simplement probables du sujet ; 5° regarder aux conséquents ou antécédents du sujet ; 6° regarder au temps.


§ 1[108]. Il peut encore être utile de passer à un mot plus connu ; et, par exemple, il vaut mieux dire d’une expression qu’elle est claire que de dire qu’elle peut être exactement comprise ; et, au lieu de l’activité, il vaut peut-être mieux dire l’amour du travail. Le nouveau mot qu’on choisit étant plus connu, il devient aussi plus facile d’attaquer la thèse. Ce lieu est comme ceux qui précèdent, applicable dans les deux sens, soit pour soutenir, soit pour réfuter une assertion.

§ 2[109]. Pour montrer que les contraires sont à un même sujet, il faut regarder au genre de ce sujet : par exemple, si nous voulons montrer que dans la sensation il peut y avoir exactitude et erreur, nous dirons que sentir, c’est juger ; qu’on peut juger mal ou bien, et que par conséquent aussi on trouve exactitude ou erreur dans la sensation. La démonstration se fait donc ici du genre à l’espèce ; juger est genre relativement à sentir ; car celui qui sent fait une sorte de jugement. A l’inverse, on peut aller de l’espèce au genre ; car tous les attributs de l’espèce sont aussi ceux du genre : par exemple, si la science est bonne ou mauvaise, la disposition est aussi bonne ou mauvaise ; car la disposition est le genre de la science. Ainsi donc, le lieu antérieurement indiqué est faux, mais le second est vrai, quand il s’agit d’établir la thèse ; car il n’est pas nécessaire que tout ce qui est au genre soit aussi à l’espèce. Ainsi, l’animal est ailé et quadrupède, mais l’homme ne l’est pas. Au contraire, tout ce qui est à l’espèce est nécessairement aussi au genre ; si l’homme est vertueux, l’animal aussi est vertueux. S’il s’agit de réfuter la thèse, c’est le premier qui est vrai et le second qui est faux ; car tout ce qui est nié du genre est nié aussi de l’espèce, tandis que tout ce qui est nié de l’espèce n’est pas nécessairement nié du genre.

§ 3[110]. Il faut nécessairement que les choses auxquelles le genre est attribué reçoivent aussi pour attribut quelqu’une des espèces ; et tout ce qui a le genre est dénommé par dérivation paronyme du genre, et a nécessairement aussi quelqu’une des espèces, ou bien est dénommé par dérivation de quelqu’une d’entre elles. Par exemple, si la science est attribuée à quelqu’un, il faut que, soit la grammaire, soit la musique ou telle autre science, lui soit attribuée ; et si quelqu’un possède la science, ou il est désigné par dérivation paronyme du mot même, et alors possédera soit la grammaire, soit la musique ou telle autre science, ou bien il sera nommé par dérivation de l’une de ces sciences, par exemple, grammairien ou musicien. Si donc l’interlocuteur pose quelque attribut qui vienne d’une façon quelconque du genre, par exemple, que l’âme est en mouvement ; il faut examiner si l’âme peut se mouvoir suivant l’une quelconque des espèces du mouvement : par exemple, si elle peut augmenter, ou diminuer, ou être détruite, ou naître, ou avoir telle autre des espèces du mouvement ; car si elle ne se meut suivant aucune, c’est qu’évidemment elle ne se meut pas. Ce lieu, du reste, est utile dans les deux sens pour établir ou pour réfuter la thèse ; car si l’âme se meut suivant l’une des espèces du mouvement, il est évident qu’elle se meut ; et si elle ne se meut suivant aucun, il est clair qu’elle ne se meut pas.

§ 4[111]. Quand on manque d’arguments pour attaquer la thèse, il faut essayer de les tirer des définitions réelles de l’objet en question ou des définitions simplement apparentes ; et si une seule définition n’en fournit pas, il faut en examiner plusieurs ; car une fois qu’on a fait une définition, il est bien plus facile d’attaquer la thèse, l’attaque étant toujours plus facile contre les définitions.

§ 5. Il faut regarder aussi pour le sujet proposé de quoi ce sujet est le conséquent, ou bien voir ce qui est nécessairement du moment que ce sujet est. Quand on veut soutenir la thèse, il faut voir de quoi le sujet est le conséquent ; car si l’on montre que cette chose est, dont l’existence entraîne celle du sujet, on aura montré aussi que le sujet en question existe. Au contraire, quand on veut réfuter la thèse, on recherche ce qui est par cela même que le sujet existe ; car, si l’on montre que le conséquent du sujet donné n’existe pas, on aura par cela même renversé le sujet en question.

§ 6[112]. Regardez aussi au temps s’il y a quelque discordance : par exemple, si l’interlocuteur dit que ce qui se nourrit doit nécessairement s’accroître ; on peut répondre que les animaux se nourrissent toujours, et que cependant ils ne croissent pas toujours. Même objection, si l’interlocuteur a dit que savoir c’est se souvenir ; car ici l’un des sens s’adresse au temps passé, et l’autre s’adresse au présent et à l’avenir. On peut dire qu’on sait et le présent et l’avenir ; et, par exemple, on sait qu’il y aura une éclipse de soleil, mais on ne peut se souvenir que du passé.


CHAPITRE V.

Deux autres lieux tirés du déplacement de la discussion.


§ 1[113]. Il y a encore ici une manière sophistique de discuter, c’est de conduire l’adversaire à un point sur lequel nous pourrons avoir des arguments en abondance. Ce point est quelquefois nécessaire, et quelquefois il le paraît seulement ; d’autres fois il n’est ni nécessaire, ni ne paraît nécessaire. Il est nécessaire, quand celui qui nous répond nous ayant refusé quelque assertion indispensable à la thèse, on doit diriger l’argumentation sur ce point contesté, et que ce point est précisément un de ceux sur lesquels nous avons de nombreux arguments. Il en est de même encore quand l’adversaire, qui par suite de la thèse a fait une induction de quelque nouveau terme, cherche à le détruire ; car, ce terme détruit, la thèse en question l’est aussi. Parfois, ce point de la discussion n’a que l’apparence d’être nécessaire, lorsqu’il semble utile et tout à fait spécial à la thèse sans l’être toutefois réellement, soit que celui qui soutient la thèse nie ce point, soit que, craignant une induction que probablement la thèse le forcera de faire sur ce point, il cherche à le détruire.

Le dernier cas, c’est lorsque ce point, sur lequel portent les argumentations, n’est ni nécessaire ni ne le paraît, et qu’il est possible à l’interlocuteur qui répond de réfuter son adversaire d’une toute autre façon. Il faut du reste bien prendre garde à ce mode de discussion qui vient d’être indiqué en dernier lieu ; car il paraît être tout à fait éloigné et en dehors de la dialectique. Celui qui répond doit éviter les difficultés, concéder même des points qui ne sont pas utiles à la discussion, en se réservant toujours d’indiquer ceux qu’il accorde, bien qu’ils soient contraires à son opinion personnelle ; car l’interlocuteur qui interroge est ordinairement embarrassé bien davantage par ces sortes de concessions, s’il vient à ne pas conclure.

§ 2. De plus, du moment qu’on a dit une chose quelconque, on en a toujours, en certain sens, dit plusieurs ; car chaque chose en a nécessairement à sa suite plusieurs autres : par exemple, si l’on a dit que l’homme est, on a dit implicitement aussi que l’animal est, et que l’animal est vivant, et qu’il est bipède, et qu’il est susceptible d’intelligence et de science. Ainsi donc, que l’on détruise une seule de ces conséquences, et l’on détruit aussi le principe même qui les produit. Or, il faut prendre garde de quitter le point contesté pour passer à un plus difficile ; car tantôt il est plus aisé de réfuter la conséquence, et tantôt c’est l’objet lui-même.


CHAPITRE VI.

Quatre autres lieux tirés : 1° des contraires ; 2° de l’étymologie ; 5° de la diversité des attributs ; 4° de l’identité de sens de mots différents.


§ 1[114]. Dans tous les cas où un seul des deux attributs contraires est nécessairement au sujet, par exemple, la santé ou la maladie à l’homme, si nous avons de nombreux arguments pour prouver de l’un qu’il est ou qu’il n’est pas au sujet, nous en aurons également pour l’autre. Ce lieu peut à la fois servir dans les deux sens ; car il suffit d’avoir montré que l’un des contraires est au sujet pour avoir montré aussi que l’autre n’y est pas : et réciproquement, si nous montrons que l’un n’y est pas, nous aurons montré par cela même que l’autre y est.

Donc, évidemment, ce lieu est bon soit pour réfuter, soit pour soutenir la thèse.

§ 2[115]. On peut aussi attaquer l’adversaire en transportant la discussion du mot à son explication étymologique, attendu qu’il est plus convenable de la prendre que de conserver le mot sous sa forme propre : par exemple, on pourra dire que l’homme courageux ne signifie pas l’homme plein de bravoure suivant l’acception reçue, mais que cette expression signifie l’homme qui a la rage dans le cœur. De même qu’on peut comprendre par attentif celui qui attend quelque chose, et par heureux celui dont le génie est vertueux ; ce qui faisait dire à Xénocrate que celui-là est heureux qui a l’âme vertueuse ; car il prétend que l’âme est le génie de chacun de nous.

§ 3[116]. Parmi les choses, les unes sont de toute nécessité, les autres sont ordinairement, et d’autres sont indifféremment, selon le hasard. Si l’on pose ce qui est nécessaire comme étant simplement ordinaire, ou ce qui est ordinaire comme étant nécessaire, soit qu’on prenne l’ordinaire lui-même ou le contraire de l’ordinaire, on donne toujours lieu à une attaque. Si l’on considère ce qui est nécessaire comme simplement habituel, évidemment l’on avance que l’attribut n’est pas à tout le sujet, tandis qu’il est à tout le sujet ; et alors on s’est trompé. Si au contraire l’on a dit que le plus habituel est nécessaire, on est également dans l’erreur ; car on a dit alors que l’attribut est à tout le sujet, quand il n’est pas à tout le sujet. Et de même, si l’on a pris comme nécessaire ce qui est simplement contraire à l’habituel ; car toujours le contraire de l’habituel a moins d’extension que l’habituel lui-même. Si l’on dit par exemple que le plus ordinairement les hommes sont méchants, les bons sont par cela même moins nombreux que les méchants. Ainsi, l’on s’est encore bien plus trompé, si l’on a dit que les hommes étaient nécessairement bons. Et de même encore, si l’on a pris ce qui ne dépend que du hasard comme nécessaire ou comme habituel ; car ce qui dépend du hasard n’est ni nécessaire ni habituel. Or, il est possible que, même sans que l’interlocuteur ait dit positivement qu’il prend le fait comme habituel ou comme nécessaire, si la chose est simplement habituelle, on discute comme si l’interlocuteur l’avait faite absolument nécessaire. Par exemple, s’il a dit sans détermination précise que les enfants abandonnés sont vicieux, il est possible qu’on discute contre lui comme s’il avait établi qu’ils le sont nécessairement.

§ 4[117]. Il faut voir encore si l’on n’a point pris la chose même pour accident de la chose, la prenant pour une chose toute différente parce que le nom est différent. C’est ainsi que Prodicus partageait à tort les plaisirs en joie, amusement, contentement ; car ce sont là des noms d’une seule et même chose, du plaisir. Si donc quelqu’un donne se réjouir pour attribut à avoir du plaisir, il n’aura fait que donner pour attribut la chose à la chose même.


CHAPITRE VII.

Quatre autres lieux tirés des contraires.


§ 1[118]. Comme les contraires se combinent les uns avec les autres de six manières ; et que, dans quatre de ces combinaisons, ils forment des oppositions dont les termes s’excluent, il faudra prendre les contraires dans le sens où ils seront utiles, soit pour établir, soit pour réfuter la thèse. On peut voir sans peine que les contraires se combinent de six façons : d’abord, chacun des deux attributs contraires peut se combiner avec chacun des deux sujets, et cela de deux façons. Ainsi, par exemple, faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis : ou bien à l’inverse, faire du mal à ses amis et du bien à ses ennemis : ou bien les deux attributs contraires peuvent se rapporter à un sujet unique : et cela de deux façons aussi. Par exemple, faire du bien, faire du mal à ses amis, ou faire du bien, faire du mal à ses ennemis. Ou bien enfin, un seul attribut pour deux sujets à la fois, et cela de deux manières également : faire du bien à ses amis et faire du bien à ses ennemis, et faire du mal à ses amis et faire du mal à ses ennemis. Les deux premières combinaisons indiquées ne donnent pas d’opposition dont les termes s’excluent ; car faire du bien à ses amis n’est pas contraire à faire du mal à ses ennemis ; ce sont là deux choses qu’on peut faire à la fois, et qui partent du même sentiment. Faire du mal à ses amis n’est pas non plus contraire à faire du bien à ses ennemis ; car ce sont deux choses qu’on doit éviter, et qui partent toutes deux du même sentiment : or, ce qui est à éviter, ne peut être le contraire de ce qui est à éviter, à moins que l’un ne soit dit en excès et l’autre en défaut ; car l’excès paraît aussi bien que le défaut être une chose qu’il faut éviter. Mais les quatre autres combinaisons produisent des oppositions dont les termes s’excluent. Ainsi, faire du bien à ses amis est le contraire de leur faire du mal ; car il vient d’un sentiment tout contraire, et l’un est à faire et l’autre à éviter. Et de même pour les autres combinaisons. Dans chaque couple, en effet, l’une des choses est à faire, et l’autre à éviter ; l’une vient d’un bon sentiment, et l’autre d’un mauvais. Il est donc clair, d’après ce qu’on vient de dire, qu’il peut se faire qu’une même chose ait plusieurs contraires. En effet, faire du bien à ses amis a pour contraire faire du bien à ses ennemis et faire du mal à ses amis. Et de même pour tous les autres couples. En y regardant à ce point de vue, on verra que chacune de ces assertions a deux contraires. Donc il faut prendre parmi les contraires celui qui pourra servir à la thèse qu’on soutient.

§ 2[119]. De plus, s’il y a un contraire à l’accident, il faut examiner s’il est au sujet auquel on dit qu’est l’accident ; car si l’un y est, l’autre n’y saurait être, attendu qu’il est impossible que les contraires soient à la fois à une seule et même chose.

§ 3[120]. Ou bien, il faut voir si l’on n’a point affirmé quelque accident dont l’existence entraîne nécessairement, à sa suite, l’existence simultanée des contraires. Par exemple, si l’on a dit que les idées sont en nous, il s’en suivra que les idées seront à la fois en mouvement et en repos, qu’elles seront sensibles et intelligibles ; les idées sont en repos, elles sont immobiles et intelligibles, pour ceux qui croient à l’existence des idées. Mais une fois en nous, il est impossible qu’elles soient immobiles ; car du moment que nous remuons, il y a nécessité que tout ce qui est en nous se meuve aussi avec nous. Il est également évident que si elles sont en nous elles sont sensibles ; car c’est par la sensation et la vue que nous reconnaissons la forme qui est dans chaque objet.

§ 4[121]. En outre, si l’accident est attribué à un sujet qui ait un contraire, il faudra examiner si ce sujet qui reçoit l’accident reçoit aussi le contraire ; car c’est une même chose qui est susceptible des contraires. Par exemple, si l’on dit que la haine suit la colère, et que la haine soit dans la partie irascible de l’âme, car c’est là qu’est la colère, il faut examiner si le contraire de la haine, c’est-à-dire l’affection, est aussi dans la partie irascible ; s’il n’y est pas, c’est-à-dire si l’affection est dans la partie concupiscive, la haine n’est pas la conséquence de la colère. Même raisonnement, si l’on dit que la partie concupiscive de l’âme est celle à laquelle appartient l’ignorance ; car elle serait capable de science si elle est capable d’ignorance : ce qui semble ne pas être, puisque la partie concupiscive de l’âme n’est pas capable de science. Il faut employer ce lieu, je le répète, quand on veut détruire la thèse. Mais quand on veut la soutenir, on ne peut se servir de ce lieu qui établit que l’accident est à la chose : alors celui-là est utile qui établit qu’il peut y être ; car du moment qu’on a prouvé que le sujet n’est pas susceptible du contraire, on a par cela même montré aussi que non seulement l’accident n’est pas au sujet, mais qu’il ne peut pas y être. Mais si nous montrons que le contraire est au sujet, ou que le sujet est susceptible du contraire, nous n’aurons pas encore montré que le contraire est au sujet : nous aurons seulement fait voir qu’il peut y être.


{{t3| CHAPITRE VIII.}}

Quatre autres lieux tirés de la consécution des termes


§ 1[122]. Comme les oppositions de contraires qui s’excluent sont au nombre de quatre, il faut examiner aussi les contradictions en renversant la consécution régulière, soit qu’on soutienne la thèse, soit qu’on la réfute. Et c’est par l’induction qu’il faut procéder : par exemple, si l’on dit que l’homme est animal, il s’ensuit que ce qui n’est pas animal n’est pas homme. Et de même pour tout autre cas. Ici, en effet, la consécution est en sens inverse ; car l’animal suit l’homme, mais le non-animal ne suit point le non-homme : au contraire, c’est le non-homme qui suit le non-animal. Il faut appliquer le même principe à tous les cas ; par exemple, si le bien est agréable, ce qui n’est pas agréable n’est pas bien : et si cette dernière proposition n’est pas vraie, l’autre ne l’est pas non plus. Et de même si ce qui n’est pas agréable n’est pas bien, il s’ensuit que le bien est agréable. Ainsi donc, évidemment, la consécution qui est prise en sens inverse par contradiction est également utile, soit pour soutenir la thèse, soit pour la réfuter.

§ 2[123]. Pour les contraires, il faut examiner si le contraire est bien la suite du contraire, soit dans le sens direct, soit dans le sens inverse ; et ce lieu est utile pour établir ou renverser la thèse. Ici encore il faut procéder par induction toutes les fois que cela peut être bon. Ainsi, la consécution est directe dans des cas comme celui-ci : le courage et la lâcheté ont, l’un la vertu pour conséquent, et l’autre le vice ; l’une, la vertu, a pour conséquent qu’il faut la rechercher, l’autre, qu’il faut le fuir ; et même, pour ces deux derniers termes, la consécution est encore directe, puisque ce qui est à rechercher est le contraire de ce qui est à fuir. Et de même pour tous les autres cas. Au contraire, la consécution est en sens inverse, comme lorsqu’on dit par exemple : La santé est la suite d’une bonne constitution ; et qu’au lieu de dire que la maladie est la suite d’une mauvaise constitution, on dit au contraire que la mauvaise constitution est la suite de la maladie. Il est clair qu’ici la consécution se fait en sens inverse : mais cette consécution à l’inverse a rarement lieu pour les contraires, et le plus souvent, c’est la consécution directe qu’on emploie. Si donc, le contraire ne suit pas son contraire directement, ni en sens inverse, c’est qu’évidemment dans les termes qu’on discute, l’un ne suit pas l’autre. Or, si pour les contraires, l’un est la conséquence de l’autre, nécessairement il faut qu’il en soit de même pour les termes en discussion.

§ 3[124]. Cette recherche qu’on applique aux contraires, il faut également rappliquer aux opposés par privation et possession. Seulement la consécution inverse n’a jamais lieu dans les privations ; mais il est toujours nécessaire que la consécution y soit directe, comme par exemple, la sensibilité est la suite de la vue, et l’insensibilité est la suite de l’aveuglement ; car la sensibilité est opposée à l’insensibilité comme possession et privation, puisque l’une de ces choses est possession et l’autre privation.

§ 4[125]. Il faut aussi procéder pour les relatifs comme on le fait pour la possession et la privation ; car pour eux aussi, il n’y a que la consécution directe. Par exemple, si le triple est un multiple, le tiers sera aussi sous-multiple ; car le triple est relatif au tiers comme le multiple est relatif au sous-multiple. Autre exemple : si la science est perception, ce qui est su sera aussi perçu, et si la vue est sensation, ce qui est vu sera aussi senti. On peut objecter que dans les relatifs la consécution n’est pas nécessairement ainsi qu’on l’a dit ; car le sensible est su, tandis que la sensation n’est pas science. Cependant cette objection ne paraît pas être vraie ; car on peut soutenir, comme le font plusieurs philosophes, qu’il ne peut y avoir science des choses sensibles. Ce lieu du reste n’en serait pas moins utile pour prouver le contraire ; et par exemple que ce qui est senti n’est pas su, attendu que la sensation n’est pas science.


{{t3| CHAPITRE IX.}}

Trois autres lieux tirés : 1° des termes conjugués, c’est-à-dire appartenant à la même série que le sujet ; 2° des conjugués du contraire ; 3° de la production et de la destruction des choses.


§ 1[126]. Regardez aussi, soit que vous établissiez, soit que vous réfutiez la thèse, aux termes conjugués et aux cas. On appelle conjugués les termes qui sont entre eux dans ce rapport où les justes et le juste sont à la justice, où les courageux et le courageux sont à courage. Et de même encore, on dit que les choses qui font et celles qui conservent, sont conjuguées avec les choses qu’elles font ou qu’elles conservent. Par exemple, les choses saines le sont avec la santé, les choses fortifiantes avec la force : et ainsi du reste. Voilà ce qu’on appelle ordinairement conjugués. Les cas sont, par exemple, quand on dit justement, courageusement, sainement, fortement et autres expressions de ce genre. Il semble bien que les cas sont aussi des conjugués, et par exemple, que justement est conjugué avec justice, courageusement avec courage. Mais on entend par conjugués tous ces termes qui sont dans la même conjugaison ou série, justice, juste, le juste, justement. Il est donc clair qu’il suffit d’avoir prouvé un seul de ces termes conjugués, le bon, le louable, pour que tous les autres soient aussi prouvés ; par exemple, si l’on a montré que la justice est une chose louable, juste, le juste, justement, seront aussi parmi les choses louables. On dira par une inflexion de cas tout à fait pareille, que justement est louablement ; car louablement vient de louable, comme justement de juste.

§ 2[127]. Et il faut examiner sous ce point de vue, non pas seulement la chose en question, mais aussi le contraire pour le contraire. Par exemple, on peut dire que le bien n’est pas nécessairement agréable ; car le mal n’est pas nécessairement pénible : et si le mal est nécessairement pénible, le bien aussi est nécessairement agréable ; et si la justice est science, l’injustice est par cela même ignorance ; et si justement est savamment et prudemment, injustement sera ignoramment et imprudemment. Si ces dernières relations ne sont pas vraies, les autres ne le sont pas non plus, comme dans l’exemple que nous venons de citer tout à l’heure ; car on pourrait trouver qu’injustement est plutôt prudemment qu’imprudemment. Mais du reste l’on a déjà exposé ce lieu dans les consentions des contraires ; car nous ne faisons pas ici autre chose que de dire que le contraire suit le contraire.

§ 3. Il faut aussi regarder à la production et à la destruction des choses, à ce qui fait les choses et à ce qui les détruit, soit qu’on établisse, soit qu’on réfute une thèse. En effet, les choses dont la production est bonne, sont bonnes aussi ; et si les choses sont bonnes la production en est bonne également aussi. Réciproquement, si la production est mauvaise, ces choses aussi sont mauvaises. C’est à l’inverse pour la destruction ; car si la destruction est bonne, c’est que les choses sont mauvaises : et si la destruction est mauvaise, c’est que les choses sont bonnes. L’on en peut dire autant pour ce qui fait les choses et pour ce qui les détruit ; car du moment que ce qui fait les choses est bon, les choses aussi sont bonnes : et du moment que ce qui les détruit est bon, c’est que les choses sont mauvaises.


CHAPITRE X.

Huit autres lieux tirés des semblables.


§ 1[128]. Il faut regarder encore si les semblables au sujet sont pris semblablement ; par exemple, si la science s’appliquant à plusieurs choses, l’opinion s’y applique aussi ; et si, avoir la vue étant voir, avoir l’ouïe est bien ouïr. Et ainsi du reste, et pour ce qui est réel et pour ce qui n’est qu’apparent. Ce lieu est utile dans l’un et l’autre sens ; car s’il en est de telle façon pour l’un des semblables, il en doit être de même pour tous les autres semblables : et s’il n’en est pas ainsi pour l’un d’eux il n’en sera pas non plus ainsi pour les autres. Il faut encore voir si la similitude demeure également, qu’on applique le semblable à une seule chose ou à plusieurs ; car quelque fois il n’y a pas accord dans ces deux cas : par exemple, si savoir c’est penser, savoir plusieurs choses sera penser plusieurs choses. Mais ceci n’est pas exact ; car on peut savoir plusieurs choses, on ne peut pas en penser plusieurs ; si donc on ne peut penser plusieurs choses, il n’est pas vrai non plus que pour une seule chose, savoir ce soit penser.

§ 2. Il faut aussi regarder à ce qu’on peut tirer du plus et du moins ; or, il y a quatre lieux pour le plus et le moins ; § 3[129]. , l’un c’est quand le plus suit le plus ; et par exemple, si le plaisir est un bien, le plaisir plus grand est un plus grand bien ; et si être injuste est un mal, être plus injuste est un plus grand mal. Du reste, ce lieu est utile dans les deux sens ; car si l’admission de l’accident suit l’admission du sujet, ainsi qu’on l’a dit dans la thèse, il est clair que l’accident est dans le sujet ; et si elle ne suit pas, il est clair qu’il n’y est point. Et l’on pourrait se convaincre de la justesse de ce principe par l’induction. § 4. Voici un autre lieu du plus et du moins ; c’est de montrer que si l’accident attribué à deux sujets n’est pas à celui à qui il semble plus devoir être, il n’est pas à celui à qui il semble moins devoir appartenir : ou bien, que s’il est à ce à quoi il semble moins devoir être, à plus forte raison est-il au sujet auquel il paraît plus appartenir. § 5. D’autre part, deux accidents étant attribués à un seul sujet, si celui qui semble être le plus n’y est pas, celui qui semble le moins n’y sera pas non plus : ou si ce qui paraît le moins y être, y est, le plus y sera aussi. § 6. En outre, deux accidents étant attribués à deux sujets, si celui qui paraît le plus être à l’un des deux sujets n’y est pas, celui qui reste ne sera pas non plus au sujet qui reste : ou bien, si l’attribut qui semble le moins être à l’un des deux sujets y est cependant, l’attribut qui reste sera aussi au sujet qui reste.

§ 7. On peut tirer trois lieux de la ressemblance réelle ou apparente, tout à fait analogues à ceux qu’on a exposés pour le plus et le moins, dans les trois dernières nuances dont on a parlé. § 8. Ainsi, soit qu’un seul attribut soit semblable ou paraisse être semblable dans deux sujets, s’il n’est pas réellement à l’un, il ne sera pas non plus à l’autre ; mais s’il est à celui-ci, il sera également à celui-là ; § 9. soit que deux attributs semblables soient au même sujet, si l’un n’y est pas, l’autre n’y sera pas non plus : mais si l’un y est, l’autre y sera aussi. § 10. Il en serait de même encore, si deux attributs semblables étaient à deux sujets ; car, si l’un des attributs n’est pas à l’un des sujets, celui qui reste ne sera pas non plus au sujet qui reste. Mais si l’un des attributs est à l’un des sujets, l’attribut qui reste sera aussi au sujet qui reste.

§ 11. On peut donc tirer autant d’arguments qu’on vient de le dire du plus et du moins et du semblable.


{{t3| CHAPITRE XI.}}

Quatre autres lieux tirés de l’apposition.


§ 1[130]. On peut encore tirer des arguments de l’apposition. Si une chose ajoutée à une autre la fait bonne ou blanche, sans que cette autre chose fût auparavant bonne ou blanche, la chose ajoutée sera bonne ou blanche, tout comme elle communique ces qualités au tout qu’elle forme avec l’autre chose. § 2. De plus, si une chose ajoutée à une autre qui a déjà certaine qualité, la fait être encore davantage ce qu’elle était, c’est que la première chose elle-même possède aussi cette qualité. Et de même pour les autres cas. Mais ce lieu n’est pas toujours applicable, il l’est seulement dans les cas où peut se produire un accroissement en plus. D’ailleurs ce lieu n’est pas réciproquement utile pour la réfutation ; car, de ce que la chose ajoutée ne rend pas la chose bonne, il ne s’ensuit pas que la chose elle-même ne soit pas bonne : ainsi le bien ajouté au mal ne fait pas que le tout soit nécessairement bon, non plus que le blanc ajouté au noir ne fait pas que le tout soit blanc, pas plus que le doux ajouté à l’aigre.

§ 3[131]. Si une chose peut avoir plus ou moins tel attribut, elle a aussi cet attribut absolument. En effet, ce qui n’est ni bon ni beau ne peut pas être dit plus ou moins bon ni blanc. Ainsi le mal n’est jamais ni plus ni moins bon ; on pourra dire seulement qu’il est plus ou moins mal. Ce lieu n’est pas réciproquement utile pour réfuter ; car bien des choses qui ne sont pas susceptibles de plus sont d’une manière absolue : ainsi on ne dît pas d’un homme qu’il est plus ou moins homme ; mais cela ne fait pas qu’il ne soit point homme.

§ 4. Il faut porter le même examen à ce qui est limité dans sa façon d’être ou dans le temps ou dans le lieu ; car si quelque chose peut être d’une certaine façon, c’est qu’il est déjà absolument. Et de même pour le temps et le lieu ; car ce qui n’est absolument pas ne peut être ni d’une certaine façon, ni dans tel temps, ni dans tel lieu. On peut ajouter qu’il y a des hommes naturellement vertueux, d’une certaine façon : des hommes, par exemple, qui sont naturellement généreux ou prudents, mais qui absolument parlant ne sont pas vertueux naturellement. C’est que personne n’est prudent par le seul fait de la nature. Et de même il se peut que dans un certain cas quelqu’une des choses périssables ne périsse pas : mais absolument parlant elle ne peut pas ne pas périr. De même encore, il peut être utile dans tel lieu de suivre tel régime, par exemple, dans certains lieux insalubres, mais d’une manière absolue il n’est pas bon de le suivre. En tel lieu, il peut n’y avoir qu’un seul homme, mais absolument parlant, il n’est pas possible qu’il n’y en ait qu’un seul. Et de même, il peut être bien en tel endroit d’immoler son père, par exemple chez les Triballes, mais absolument parlant ce n’est pas bien. Mais ici ne s’agit-il pas bien plutôt des hommes que du lieu même ? En effet, peu importe où ils sont ; car partout où ils seront, cette action sera belle pour eux par cela seul qu’ils sont Triballes. Autres exemples : il peut être bon de faire des remèdes à un certain moment, par exemple quand on est malade, mais absolument parlant cela n’est pas bon. Mais ici encore ne s’agit-il pas beaucoup moins du temps que d’une certaine disposition ? car peu importe le moment, il suffit seulement qu’on soit disposé de telle manière. Une chose est absolument ce qu’elle est, quand on pourra dire sans y rien ajouter qu’elle est bonne ou le contraire ; par exemple, vous ne direz pas que tuer son père soit bien, mais que c’est bien chez quelques peuples ; donc ceci n’est pas absolument bien. Mais vous direz sans y rien ajouter qu’il est bien d’honorer les dieux ; car cela est bien d’une manière absolue. Donc, ce qui sans aucune addition paraît beau ou vilain, ou telle autre chose pareille, le sera d’une manière absolue.

LIVRE TROISIÈME.


LIVRE TROISIÈME.


SUITE DES LIEUX COMMUNS DE L’ACCIDENT.


CHAPITRE PREMIER.

Dix-huit lieux tirés de la supériorité d’un accident sur un autre.


[116b]

§ 1[132]. Pour savoir de deux ou plusieurs choses laquelle est préférable ou meilleure, voici comment il faut procéder :

§ 2. Et d’abord disons bien que notre examen ne portera pas sur des choses fort éloignées les unes des autres et ayant de grandes différences entre elles; personne ne doutant, par exemple, s’il doit préférer le bonheur à la richesse. Mais il portera sur des choses rapprochées et entre lesquelles on peut douter de celles à qui il faut accorder la préférence, parce qu’on ne voit pas distinctement la supériorité de l’une sur l’autre. Évidemment, dans ces choses, dès qu’on aura démontré la supériorité de l’une en un point ou en plusieurs, l’esprit calmé accordera de suite que celle de toutes ces choses qui est supérieure est aussi préférable.

§ 3. D’abord donc, ce qui est plus durable, plus stable, mérite la préférence sur ce qui l’est moins. § 4[133]. On l’accordera de même à ce qu’un homme sage ou vertueux choisirait, à ce qu’une loi juste ordonne, à ce que les gens habiles dans chaque chose préféreraient, en tant que tels, ou bien à ce que prendraient les gens éclairés dans chaque genre. On préférera ce que la majorité ou l’unanimité voudraient; par exemple, dans la médecine ou l’architecture, ce que la plupart des médecins ou tous les médecins penseraient. En un mot, on préférera ce que la majorité des hommes ou tous les hommes ou même toutes les choses désirent, comme par exemple le bien ; car toutes choses tendent au bien. Il faut d’ailleurs diriger la discussion vers l’un de ces points, selon le besoin qu’on en aura. Mais absolument parlant le meilleur et le préférable est ce qui relève de la science la meilleure. Si par exemple la philosophie est une science meilleure que l’architecture, les choses de philosophie valent mieux que les choses d’architecture; et pour tel individu donne, le préférable est ce qui relève de la science spéciale qu’il possède.

§ 5. Ensuite ce qui est essentiellement telle chose est préférable à ce qui n’est pas dans le genre : par exemple la justice est préférable à l’homme juste; car la justice est dans le genre qui est le bien, et l’autre n’y est pas : l’une est essentiellement le bien, et l’autre ne l’est pas. C’est que jamais une chose n’est dite être essentiellement le genre quand elle ne se trouve pas dans le genre; ainsi l’homme blanc n’est pas essentiellement la couleur : et de même pour le reste.

§ 6. Et ce qui est désirable en soi est préférable à ce qui n’est désirable que pour une autre chose: par exemple la santé est préférable à l’avarice; car l’une est désirable en soi, l’autre à cause d’une autre chose; § 7[134]. et ce qui est en soi est préférable à ce qui est accidentel: par exemple on doit préférer que les amis soient justes à ce que les ennemis le soient : car l’un est bon en soi, l’autre ne l’est qu’accidentellement. Nous ne pouvons désirer que par accident que nos ennemis soient justes, afin qu’ils ne nous nuisent pas. Mais ce lieu se confond avec celui qui précède et n’en diffère que par la forme. En effet, nous désirons en soi que nos amis soient justes, et quand même il n’en devrait rien résulter pour nous, quand même ils seraient aux Indes : mais pour la justice de nos ennemis, nous la désirons en vue d’autre chose, en vue de notre propre intérêt.

[117a]

§ 8. Et ce qui cause le bien par soi-même est préférable à ce qui ne le cause que par accident : ainsi la vertu est préférable à la fortune ; car l’une en soi est cause du bien, l’autre ne l’est que par accident. Et de même pour les choses de cet ordre. Et de même encore pour le contraire ; car ce qui en soi est cause du mal est plus à fuir que ce qui ne cause le mal que par accident, par exemple le vice et la fortune; car l’un est mauvais en soi, la fortune ne l’est que par accident.

§ 9. Ce qui est absolument bon est préférable à ce qui ne l’est que pour certain cas, par exemple la santé à l’amputation; car l’un est absolument bon, et l’autre ne l’est que pour celui qui a besoin d’être amputé. § 10. Ce qui est naturel est préférable à ce qui ne l’est pas, par exemple la justice est préférable à l’homme juste; car l’une est naturelle, l’autre est en quelque sorte acquis. § 11. Ce qui est au plus honorable et au meilleur est préférable, par exemple on doit préférer ce qui est à Dieu à ce qui est à l’homme, ce qui est à l’âme à ce qui est au corps. § 12. Ce qui est propre au meilleur est préférable à ce qui est propre à l’inférieur, par exemple ce qui est propre à Dieu est préférable à ce qui est propre à l’homme ; car sous le rapport de ce qu’ils ont de commun tous les deux, il n’y a entre eux aucune différence : mais pour les choses qui leur sont propres l’un l’emporte sur l’autre. § 13. Ce qui est dans les choses plus précieuses, antérieures, meilleures, est meilleur aussi, par exemple la santé est meilleure que la force et la beauté; car la santé réside dans les parties humides, sèches, chaudes et froides, en un mot, dans les éléments essentiels dont l’être est composé : la force et la beauté ne résident que dans des choses postérieures à celles-là; car la force est dans les muscles et dans les os, et la beauté est une certaine harmonie des membres. § 14. La fin paraît préférable à ce qui contribue seulement à cette fin. § 15. De deux choses, celle-là est préférable qui est la plus proche de la fin. § 16 et en général ce qui se rapporte au but même de la vie est préférable à ce qui se rapporte à toute autre partie de la vie : par exemple ce qui contribue au bonheur est préférable à ce qui contribue à la prudence. § 17. Ce qui est possible est préférable à l’impossible. § 18[135]. De deux choses qui produisent des effets, celle dont la fin est la meilleure est aussi la meilleure. § 19. Pour décider la préférence entre ce qui produit une fin et une autre fin, il faut établir une sorte de proportion et préférer des deux fins celle qui surpasse l’autre plus que la fin elle-même ne surpasse ce qui la produit : par exemple, si le bonheur surpasse la santé plus que la santé ne surpasse le sain, ce qui fait le bonheur est préférable à la santé; car autant le bonheur l’emporte sur la santé, autant ce qui fait le bonheur surpasse ce qui fait la santé; mais la santé surpassait moins le sain que le bonheur ne surpasse la santé : donc ce qui fait le bonheur l’emporte plus sur le sain que la santé sur le sain. Donc aussi il est évident que ce qui fait le bonheur est préférable à la santé; car il surpasse plus le même objet.

§ 20. Il faut encore préférer ce qui en soi est plus beau, plus précieux et plus louable, par exemple l’amitié à la richesse, la justice à la santé et à la force; car les unes sont en soi précieuses et louables; les autres ne sont pas en soi, mais pour une autre chose qu’elles. Ainsi, personne n’estime la richesse en elle-même: mais on estime l’amitié pour elle-même, quoiqu’il n’en doive résulter rien autre chose pour nous.


CHAPITRE II.

Vingt-six autres lieux tirés de la supériorité d’un accident sur un autre.


§ 1[136]. Quand deux choses sont fort proches l’une de l’autre, et que nous ne pouvons du tout discerner la supériorité de celle-ci sur celle-là, il faut alors regarder aux conséquents ; car celle des deux qui a pour conséquent un plus grand bien est préférable. Mais si les conséquents sont mauvais, il faut préférer la chose qui entraîne encore le moins de mal ; car les deux choses ont beau être désirables, il est fort possible qu’elles impliquent quelque chose de mal. Or, l’examen des conséquents peut être double ; car le conséquent peut être antérieur ou postérieur : par exemple, quand un homme apprend le conséquent antérieur, c’est qu’il ignore : le conséquent postérieur, c’est qu’il sait : le plus souvent, c’est le conséquent postérieur qui est préférable. Il faut donc prendre parmi les conséquents celui qui est utile pour la thèse qu’on soutient.

§ 2[137]. Les biens plus nombreux sont préférables aux : moins nombreux, soit absolument, soit lorsque les uns sont dans les autres, c’est-à-dire les moins nombreux dans les plus nombreux. On objecte et l’on dit : mais si l’un des biens, par exemple, est à cause de l’autre, les deux ne sont plus préférables à un seul : par exemple, se guérir et la santé ne sont pas préférables à la santé toute seule, puisque nous ne désirons nous bien guérir que pour la santé. Mais rien n’empêche que certaines choses qui ne sont pas bonnes, réunies à des choses bonnes ne soient préférables : par exemple, que le bonheur et quelque autre chose qui n’est pas bonne, ne soit préférable à la justice et au courage. § 3. Les mêmes choses accompagnées de plaisir sont préférables à ces mêmes choses sans plaisir. § 4. Et les mêmes sans douleur le sont aux mêmes avec douleur.

§ 5[138]. Chaque chose est surtout désirable dans le moment où elle a le plus d’importance : par exemple, la tranquillité est désirable dans la vieillesse plus encore que dans la jeunesse, et elle a plus d’importance dans la vieillesse. C’est pour cela aussi que la prudence est préférable dans la vieillesse ; personne, en effet, ne prend des jeunes gens pour chefs parce qu’on ne les croit pas prudents. Pour le courage, c’est l’opposé : l’énergie nécessaire au courage se trouve plutôt dans la jeunesse ; mais il en est de même pour la sagesse ; car les jeunes gens sont aveuglés par leurs passions plutôt que les vieillards.

§ 6. Il faut préférer aussi ce qui est plus utile, soit en tout temps, soit dans la plupart des cas : par exemple, la justice et la sagesse sont préférables au courage ; car les deux premières sont toujours utiles, l’autre ne l’est que dans certains cas. § 7[139]. Il faut préférer de deux choses celle qui, si tout le monde l’avait, nous ôterait le besoin de l’autre, à celle qui, si tout le monde l’avait, nous laisserait le besoin de l’autre encore : ainsi, la justice est préférable au courage ; car tout le monde étant juste, le courage ne servirait plus à rien, tandis que tout le monde étant courageux, la justice n’en serait pas moins utile.

§ 8[140]. Il faut aussi tirer des arguments des destructions et des pertes, des générations et des acquisitions, aussi bien que des contraires de toutes les choses. Les choses en effet dont la destruction est le plus à craindre sont préférables. Et de même pour la perte et les contraires ; car ce dont la perte ou le contraire est le plus à fuir est préférable. Mais c’est à l’inverse pour les générations et l’acquisition des choses ; car ce dont la génération et l’acquisition sont préférables, est également préférable.

§ 9. Autre lieu : ce qui est le plus rapproché du bien est meilleur et préférable, § 10. ainsi que ce qui est le plus semblable au bien, comme la justice est plus semblable au bien que l’homme juste. § 11. On doit préférer de deux êtres celui qui est plus semblable à un être meilleur que tous deux. Par exemple, quelques-uns disent qu’Ajax était supérieur à Ulysse, parce qu’il ressemblait plus à Achille. On objecte que ce n’est pas vrai ; car rien n’empêche qu’Achille ne soit pas le meilleur du côté où Ajax lui est le plus semblable, tandis qu’Ulysse peut être bon, sans être d’ailleurs semblable à Achille. Il faut examiner encore si le semblable ne l’est point du côté ridicule ; ainsi, le singe ressemble à l’homme, le cheval ne lui ressemble pas : mais le singe n’est pas plus beau que le cheval, bien qu’il soit semblable à l’homme, § 12[141]. De deux choses, si l’une est plus pareille au meilleur et l’autre au pire, la meilleure sera la plus pareille au meilleur. Mais ici, encore, on peut faire une objection. En effet, rien n’empêche que l’une ne soit que légèrement semblable au meilleur, et que l’autre ne le soit très fortement au moins bon ; par exemple, Ajax ressemble légèrement à Achille, mais Ulysse ressemble beaucoup à Nestor. Il faut de plus examiner si le semblable au meilleur ne lui ressemble pas dans ses côtés les moins bons, si le semblable au pire ne lui ressemble pas dans ses côtés les meilleurs ; c’est ainsi que le cheval ressemble à l’âne, et le singe à l’homme.

§ 13. Un autre lieu, c’est que le plus évident est préférable à ce qui l’est moins ; § 14. et le plus difficile à ce qui l’est moins ; car on a plus de plaisir à posséder ce qu’on acquiert plus difficilement. § 15. Ce qui est plus spécial est préférable à ce qui est plus commun. § 16. On doit préférer aussi ce qui est le moins sujet à causer du mal ; car on choisit de préférence ce qui n’entraîne aucune difficulté à ce qui peut en amener quelqu’une.

§ 17. Si d’une manière absolue une chose est préférable à une autre, la meilleure de toutes les choses qui sont du genre de celle-là est préférable à la meilleure de celles qui sont du genre de l’autre : par exemple, si l’homme est meilleur que le cheval, le meilleur homme sera meilleur que le meilleur cheval. § 18. Si le meilleur est meilleur que le meilleur, c’est que la chose d’une manière absolue sera meilleure que l’autre. Par exemple, si le meilleur homme est meilleur que le meilleur cheval, l’homme absolument parlant est meilleur que le cheval absolument parlant.

§ 19. Il faut préférer les choses où les amis peuvent avoir part à celles où ils ne le peuvent pas. § 20. Les choses aussi que nous préférons faire pour un ami plutôt que pour un étranger, sont préférables : par exemple, faire du bien ou rendre service plutôt que de paraître le faire ; car pour nos amis nous aimons mieux leur rendre service en réalité que de paraître le faire : c’est le contraire pour les étrangers.

§ 21. Les choses superflues sont meilleures que les choses nécessaires, et parfois leur sont préférables : vivre heureux est meilleur que vivre : mais vivre heureux est du superflu, vivre absolument est du nécessaire. Quelquefois cependant les choses meilleures ne sont pas les plus désirables ; car de ce qu’elles sont meilleures, elles ne sont pas pour cela nécessairement préférables ; ainsi philosopher vaut mieux que s’enrichir, mais ce n’est pas là une chose préférable pour celui qui manque du nécessaire. Le superflu c’est, quand on a d’ailleurs tout ce qui est nécessaire, d’acquérir en sus quelque belle chose. Presque toujours le nécessaire est préférable, bien que le superflu soit meilleur. § 22. Il faut encore préférer ce qu’on ne peut pas se procurer par autrui à ce qu’on peut se procurer par un autre ; et c’est là le rapport de la justice à la valeur. § 23. De deux choses, il faut préférer celle qui est désirable sans l’autre, à celle qui sans l’autre ne l’est pas. Ainsi, la puissance n’est pas désirable sans la sagesse ; la sagesse, au contraire, est désirable même sans la puissance. § 24. Et si de deux choses nous nions avoir l’une afin de paraître avoir l’autre, celle que nous voudrions paraître avoir est préférable : par exemple, nous nions travailler beaucoup, afin de paraître bien doués naturellement. § 25. Il faut encore préférer ce dont l’absence se ferait moins reprocher dans un malheur : § 26. et réciproquement, il faut préférer ce dont l’absence se fait reprocher davantage, quand on n’est pas dans le malheur.


{{t3| CHAPITRE III.}}

Vingt autres lieux tirés de la supériorité d’un accident sur un autre.


§ 1. Parmi les choses comprises sous la même espèce, il faut préférer celle qui a la vertu spéciale de l’espèce à celle qui ne l’a pas ; § 2 et si toutes les deux l’ont, celle qui l’a davantage. § 3. Et si de deux choses l’une fait du bien à ce à quoi elle est, et que l’autre n’en fasse pas, il faut préférer celle qui en fait : par exemple, ce qui échauffe est plus chaud que ce qui n’échauffe pas ; § 4. et si toutes les deux font du bien, il faut préférer celle qui en fait davantage, ou qui en fait au meilleur et au principal : par exemple, si l’une fait du bien au corps et l’autre à l’âme.

§ 5[142]. Il faut encore prendre garde et aux cas des mots et aux usages et à l’action, et à la réalité des choses, et à tout ce dont elles procèdent ; car toutes ces choses se suivent mutuellement : par exemple, si justement est préférable à courageusement, la justice aussi sera préférable au courage : et si la justice est préférable au courage, justement le sera de même à courageusement. Il en serait ainsi pour tous les autres exemples.

§ 6. Et, en outre, si, pour une même chose, l’un des attributs est un plus grand bien, et l’autre un moindre, le plus grand est préférable ; § 7. ou bien, si l’un appartient à un être plus grand, c’est qu’il est aussi plus grand. § 8. De plus, si deux choses quelconque sont préférables à une seule autre, la plus préférable est préférable à celle qui l’est moins. § 9. La chose dont l’abondance est préférable à l’abondance d’une autre, est aussi préférable à cette autre : en ce sens, l’amitié est préférable aux richesses ; car l’abondance de l’amitié est préférable à celle de la richesse. § 10. On doit préférer aussi la chose dont on voudrait être cause personnellement pour soi-même plutôt que de la recevoir d’un autre. Et c’est ainsi que les amis sont préférables aux richesses.

§ 11[143]. On peut encore tirer des lieux de l’adjonction, si une chose ajoutée à une même chose rend le tout préférable. Il faut du reste prendre garde d’étendre ceci jusqu’aux choses dans lesquelles le terme commun peut se servir de l’une des choses ajoutées, ou du moins en tirer quelque secours d’une façon quelconque, sans se servir de l’autre, ni tirer d’elle aucun secours. Par exemple, la scie et la faulx réunies à l’architecture. Il faut préférer la scie quand on la réunit à l’architecture ; mais par elle-même elle n’est pas absolument préférable. § 12. En outre, il faut préférer la chose qui, ajoutée au plus petit, rend le tout plus grand. § 13. Même remarque pour le cas où l’on retranche au lieu d’ajouter ; car ce qui étant retranché d’une même chose rend le reste plus petit est plus grand, puisqu’il suffît qu’on l’enlève pour que le reste soit plus petit.

§ 14. Il faut voir si l’une des choses est désirable en soi et l’autre seulement par vanité : ainsi, par exemple, la santé comparée à la beauté. Une chose de pure vanité signifie celle que nous ne prendrions aucune peine d’avoir, si personne ne devait savoir que nous l’avons. § 15. Et si l’un est désirable en soi et par vanité, tandis que l’autre n’est désirable que de l’une des deux façons, § 16. ce qui est plus précieux en soi, est aussi préférable et meilleur ; et j’entends par plus précieux en soi ce qu’au choix nous prendrions plus volontiers, sans que rien d’ailleurs dût l’accompagner.

§ 17. Il faut de plus examiner les sens divers que peut recevoir le mot préférer et les objets auxquels il peut s’appliquer, par exemple à l’utile, au bien, au plaisir ; car ce qui procure toutes ces choses ou du moins le plus grand nombre de ces choses, est préférable à ce qui n’en procure pas également.

§ 18. Mais quand les deux choses ont les mêmes avantages, il faut regarder celle qui les a le plus, par exemple quelle est la plus agréable, la plus belle ou la plus utile.

§ 19[144]. Il faut aussi préférer ce qui se fait en vue du meilleur : ainsi il faut préférer ce qui se fait en vue de la vertu à ce qui ne se fait qu’en vue du plaisir. Et de même pour les choses qu’il faut éviter ; car il faut éviter davantage ce qui doit davantage empêcher les choses désirables : par exemple il faut éviter la maladie plus que la honte ; car la maladie empêche davantage et le plaisir et la vertu.

§ 20. On peut encore tirer des arguments de ce que le sujet en question est également à fuir ou à rechercher. En effet, on doit moins désirer une chose qu’on peut également fuir ou désirer que celle qui est uniquement désirable. § 21. Les comparaisons des choses entre elles doivent donc être faites ainsi qu’on vient de le dire.


CHAPITRE IV.

Les lieux qui précèdent sont utiles aussi pour juger des choses sans d’ailleurs les mettre au comparatif.


§ 1[145]. Ces mêmes lieux sont utiles pour prouver qu’une chose quelconque est absolument parlant à désirer ou à fuir ; car il suffit alors de faire disparaître le caractère de supériorité qu’on donne à l’une des deux. En effet si une chose plus précieuse est plus désirable, une chose précieuse est désirable : et si une plus utile est plus désirable, l’utile est désirable. Et de même pour toutes les autres choses entre lesquelles l’on peut établir ainsi la comparaison. § 2. Pour quelques-unes, aussitôt que nous avons fait la comparaison de l’une à l’autre, nous pouvons dire sur-le-champ, que toutes deux sont désirables, ou dire laquelle des deux est désirable : par exemple, quand nous disons que l’une est bonne par sa nature et que l’autre ne l’est pas ; car évidemment ce qui est bon par sa nature est désirable.


{{t3| CHAPITRE V.}}

Il faut faire les lieux communs de l’accident le plus universels possible


§ 1[146]. Pour ces lieux, relatifs au plus et au moins, au plus grand et au plus petit, il faut les prendre le plus universels possible ; car pris ainsi, ils sont applicables a plus de questions. § 2[147]. Et l’on peut même parmi ceux qu’on a exposés en faire quelques-uns plus universels, en ne changeant que fort peu de chose à l’expression : § 3[148]. par exemple, ce qui est de cette façon par nature est plus tel que ce qui n’est pas tel par nature. § 4[149]. Et si l’un des accidents rend de telle façon, et que l’autre ne rende pas de telle façon, le sujet qui le possède, ou dont il est l’attribut, celui qui modifie le sujet est plus tel que celui qui ne le modifie pas. § 5[150]. Et si tous les deux le modifient, c’est celui qui le modifie davantage qui a le plus telle qualité. § 6[151]. De plus, si relativement à une même chose l’un est plus tel et l’autre l’est moins, et que l’un soit plus tel que telle autre chose, tandis que l’autre ne l’est pas, il est évident que la première est plus telle que l’autre. § 7[152]. Et de même, en supposant que le terme est ajouté, si ajouté à la même chose il fait que le tout est davantage tel ; § 8[153]. ou encore si ajouté à ce qui est moins tel, il fait que le tout est davantage tel. § 9[154]. Même remarque encore, si l’on retranche au lieu d’ajouter ; car ce qui fait par cela seul qu’on le retranche que le reste est moins tel, est lui-même plus tel. § 10[155]. Les choses qui se mêlent moins aux contraires sont aussi plus telles, par exemple le plus blanc se mêle moins au noir.

§ 11. Pour compléter ce qui a été dit plus haut, il faut préférer ce qui reçoit le plus la définition propre de l’objet ; par exemple, si la définition du blanc est : couleur qui fiait que la vue distingue les objets, on appellera plus blanc ce qui sera plus couleur qui fait que la vue distingue les objets.


{{t3| CHAPITRE VI.}}

De l’accident particulier : application des lieux précédents à l’accident particulier


§ 1[156]. Si la question est particulière et non pas universelle, tous les lieux indiqués plus haut, soit constructifs, soit destructifs, sont applicables. Il suffit en effet d’avoir universellement établi ou réfuté la thèse pour avoir prouvé par cela seul la proposition particulière ; car du moment que l’attribut est à tout le sujet, il est aussi à quelque partie du sujet : et s’il n’est à aucune partie du sujet, il n’est pas non plus à quelque partie du sujet. § 2[157]. Les plus commodes et les plus communs de ces lieux, ce sont ceux qu’on tire des opposés, des conjugués et des cas. Ainsi ce sont deux propositions également probables, que si tout plaisir est bon, toute douleur est mauvaise, et que si quelque plaisir est bon quelque douleur aussi est mauvaise : que si quelque sensation n’est pas puissance, quelque insensibilité n’est pas non plus impuissance ; et que si quelque chose de perçu est su, quelque perception est science : de plus, que si quelque chose d’injuste est bon, quelque chose de juste est mauvais, et que si quelque chose de fait injustement est mauvais, quelque chose de fait justement est bon : que si quelque chose d’agréable est à fuir, quelque plaisir est à fuir, et que si quelque chose d’agréable est utile, quelque plaisir est utile.

§ 3[158]. Il en est tout à fait de même pour les choses qui détruisent, pour les générations et les destructions des choses. En effet si ce qui détruit le plaisir ou la science est bon, il faut que quelque plaisir, quelque science soit mauvaise ; et de même si la destruction de la science est bonne, ou si la génération en est mauvaise, il y aura quelque science mauvaise ; par exemple, s’il est bon d’oublier ce que quelqu’un a fait de honteux, ou bien si se le rappeler est mal, savoir ce qu’il a fait de mal ce sera chose mauvaise. Et de même pour tous les autres cas : car le probable s’y établit dans tous de la même manière.

§ 4[159]. En outre, il faut voir à ce qui est de telle façon plus ou moins ou semblablement. En effet si d’une chose on dit qu’elle est plus telle parmi des choses tirées d’un autre genre, et que ces choses ne soient point telles, le sujet en question ne le sera pas non plus ; par exemple, si l’on dit que la science est plus un bien que le plaisir, et qu’aucune science ne soit un bien, il n’y aura pas non plus de plaisir qui en soit un. Et de même pour semblablement et pour moins ; c’est-à-dire qu’on pourra, soit établir la thèse, soit la renverser. Seulement les deux argumentations se tirent de semblablement : mais avec moins on ne peut qu’établir la thèse, on ne peut la renverser. En effet si l’on peut dire également que quelque faculté étant bonne, la science est bonne, du moment que quelque faculté est bonne la science l’est aussi : et s’il n’y a aucune faculté de bonne, il n’y a pas non plus de science qui le soit. Au contraire, si l’on dit que quelque faculté est moins bonne que la science, et que quelque faculté soit bonne, la science l’est aussi ; mais si aucune faculté n’est bonne, il n’en résulte pas nécessairement qu’aucune science ne le soit. On voit donc clairement que par le moins, on ne peut qu’établir la thèse.

§ 5[160]. Non seulement on peut renverser la thèse, en partant d’un autre genre, mais aussi en partant du même et en y prenant ce qui est le plus tel ; par exemple, s’il a été posé que la science est un bien et qu’on prouve que la sagesse même n’est pas bonne, aucune autre science ne le sera certainement, puisque celle qui le paraît le plus ne l’est pas. § 6[161]. Et de même, si l’on pose cette hypothèse que, du moment qu’un attribut est ou n’est pas à un sujet, il est ou n’est pas également à tous ; par exemple, si l’on suppose que l’âme de l’homme étant immortelle, toutes les autres aussi le seront, et que celle-là ne l’étant pas, les autres ne le seront pas davantage. Si donc l’on pose que cet attribut est à quelque sujet, il faudra montrer qu’il n’est pas à quelque sujet ; car il s’en suivra, à cause de l’hypothèse même, qu’il n’est à aucun ; et si l’on pose qu’il n’est pas à quelque sujet, il faut montrer qu’il est à quelque sujet ; car, par cette hypothèse aussi, il s’ensuivra qu’il est à tous. Il est évident qu’au moyen de l’hypothèse, on a fait universelle la question qui avait été posée particulière. En effet ou est convenu que celui qui accorde le particulier, accorde aussi l’universel, puisqu’il accorde que du moment que l’attribut est à un sujet il est aussi à tous.

§ 7[162]. Quand la question reste indéterminée, on ne peut réfuter que d’une seule manière : par exemple, s’il a été dit que le plaisir est un bien ou n’est pas un bien, sans ajouter aucune détermination. En effet, si l’interlocuteur a dit que quelque plaisir est un bien, il faut montrer universellement qu’aucun plaisir n’est un bien, quand on veut détruire l’assertion avancée. Et de même, s’il a dit que quelque plaisir n’est pas un bien, il faut montrer universellement que tout plaisir est un bien. De toute autre façon, on ne peut détruire la proposition ; car si nous montrons que quelque plaisir est ou n’est pas un bien, la proposition avancée n’est pas encore détruite. Il est donc évident qu’on ne peut la détruire que d’une seule façon, tandis qu’on peut l’établir de deux. Il suffit, en effet, de montrer universellement que tout plaisir est bon, ou bien que quelque plaisir est bon, pour montrer ce qu’on se propose. Et de même, s’il faut discuter cette question, que quelque plaisir n’est pas bon, nous pourrons montrer qu’aucun plaisir n’est bon, ou bien que quelque plaisir ne l’est pas ; et nous aurons montré des deux manières, universellement et particulièrement, que quelque plaisir n’est pas bon. § 8[163]. Quand la proposition est déterminée, on peut la renverser de deux façons : par exemple, si l’adversaire a soutenu que quelque plaisir est bon et que quelque autre ne l’est pas ; car, soit que l’on prouve que tout plaisir est bon ou qu’aucun plaisir n’est bon, la thèse est également détruite. § 9. Si l’adversaire a supposé qu’il n’y a qu’un seul plaisir de bon, on peut détruire cette supposition de trois manières : ainsi l’on peut montrer que tout plaisir est bon, ou qu’aucun plaisir n’est bon, ou que plus d’un plaisir est bon ; et l’on aura toujours détruit la proposition.

§ 10[164]. Si l’on détermine encore davantage la proposition, et qu’on dise, par exemple, que la prudence seule parmi les vertus est une science, on peut renverser l’assertion de quatre façons. Ainsi, l’on pourra montrer que toute vertu est science ou qu’aucune n’est science, ou que quelqu’autre l’est aussi, par exemple, la justice ; ou bien enfin que la prudence elle-même n’est pas science ; et alors la proposition avancée sera détruite.

§ 11[165]. Il est utile aussi de considérer les individus dont on a affirmé ou dont on a nié quelque attribut, comme on l’a fait dans les questions universelles. § 12[166]. Il faut encore regarder aux genres, en divisant les espèces jusqu’aux individus, ainsi qu’on l’a dit plus haut : car, soit que l’accident paraisse être à tous les individus ou n’être à aucun, quand on compare plusieurs exemples, il faut demander à l’adversaire qu’il accorde que l’accident est universel, ou bien qu’il indique dans sa réfutation le sujet qui n’est point ainsi qu’on l’a dit. § 13[167]. Dans les choses où l’on peut déterminer l’accident, soit par le nombre, soit par l’espèce, il faut regarder s’il n’est pas de nature à ne recevoir aucune de ces déterminations ; par exemple, on peut soutenir que le temps ne se meut pas ou qu’il n’est pas du mouvement, après qu’on a compté toutes les espèces du mouvement. En effet, si aucune d’elles n’est au temps, il est évident qu’il ne se meut pas et qu’il n’est pas un mouvement. Et de même, on peut soutenir que l’âme n’est pas un nombre, après qu’on a divisé tout nombre en pair ou impair : car si l’âme n’est ni paire ni impaire, il est clair qu’elle n’est pas un nombre.

§ 14[168]. C’est ainsi qu’il faut procéder relativement à l’accident et par les lieux qu’on vient de dire.

LIVRE QUATRIÈME.


LIVRE QUATRIÈME.


LIEUX COMMUNS DU GENRE.


CHAPITRE I

Importance des lieux du genre. — Dix lieux.


§ 1[169]. Après les lieux de l’accident, il faut étudier ceux qui sont relatifs au genre et au propre : ce sont en ces questions les éléments des définitions, bien que ce soient là des choses qu’examinent rarement ceux qui discutent.

§ 2<ref>Comme on l’a fait pour l’accident, Voir plus haut, liv. 2, ch. 2, § 2. — Le genre devant être attribué à toutes les espèces. Voir les Catégories, ch. 3, § 1, et l’introduction de Porphyre, ch. 2, §  14 et suivants.</ref>. Si l’adversaire a posé le genre de quelque objet, il faut d’abord regarder à toutes les choses qui sont de ce même genre, s’il y en a pas quelqu’une à laquelle il n’est pas attribué, comme on l’a fait pour l’accident : par exemple, si l’adversaire a posé que le bien est le genre du plaisir, il faut voir si quelque plaisir n’est pas bon ; car si cela est, il est clair que le bien n’est pas le genre du plaisir, le genre devant être attribué à toutes les espèces qui sont au-dessous de lui. § 3[170]. Ensuite, il faut voir si le genre prétendu, au lieu d’être attribué essentiellement, n’est pas un simple accident : par exemple, le blanc attribué à la neige ; ou à l’âme, ce qui se meut par soi-même ; car la neige n’est pas ce qui est le blanc, puisque le blanc n’est pas le genre de la neige, et l’âme n’est pas non plus ce qui se meut soi-même : mais c’est un accident pour elle de se mouvoir, comme c’en est un souvent à l’animal de marcher ou d’être ce qui marche. On peut ajouter que ce prétendu genre, ce qui se meut soi-même, n’est pas une substance, mais qu’il paraît exprimer plutôt un sujet qui agit ou qui souffre : et de même pour le blanc ; car cet attribut ne dit pas ce qu’est la neige substantiellement, mais il exprime sa qualité. Par conséquent, aucun de ces deux termes ne peut être attribué essentiellement au sujet.

§ 4[171]. Il faut surtout regarder à la définition de l’accident, si elle convient bien au genre indiqué, comme pour les exemples cités plus haut ; car une chose peut ou non se mouvoir soi-même, et de même être blanche ou ne pas l’être. Ainsi donc, aucun de ces attributs n’est genre, mais ils sont accidents, puisque nous avons appelé accident ce qui peut être ou n’être pas à une chose.

§ 5[172]. Il faut voir encore si le genre et l’espèce ne sont pas dans la même division, tandis que l’un est substance et l’autre simple qualité, ou l’un relatif, et l’autre qualité : par exemple, la neige et le cygne sont des substances, mais le blanc n’est pas une substance, ce n’est qu’une qualité ; de sorte que de blanc n’est le genre ni de la neige, ni du cygne. Autre exemple : la science fait partie des relatifs ; le beau et le bon sont des qualités, de sorte que ni le beau ni le bon ne sont le genre de la science ; car il faut que les genres des relatifs soient eux-mêmes des relatifs : par exemple, pour le double, le multiple étant le genre du double est lui-même un relatif. En un mot, il faut que le genre soit compris sous la même division que l’espèce : si l’espèce est substance, le genre le sera aussi ; et si l’espèce est un qualitatif, le genre sera aussi qualitatif ; et, par exemple, si le blanc est qualitatif, la couleur le sera aussi ; et ainsi du reste.

§ 6[173]. En outre, il faut voir s’il y a nécessité ou simple possibilité que le genre participe à ce qui est supposé dans le genre. Le mot participation doit s’entendre dans le sens de recevoir la définition de ce qui est partagé. Il est donc évident que les espèces participent aux genres, mais que les genres ne participent point aux espèces ; car l’espèce reçoit la définition du genre, mais le genre ne reçoit pas la définition de l’espèce. Il faut donc examiner si le genre indiqué participe ou peut participer à l’espèce : par exemple, si l’on donne quelque chose comme genre de l’être ou de l’un, il en résultera que le genre participera à d’espèce ; car l’être et l’un sont des attributs de toute chose, de sorte que leur définition l’est aussi.

§ 7[174]. De plus, il faut voir si l’espèce donnée pour une certaine chose est vraie, tandis que le genre ne l’est pas : par exemple, si l’on suppose que d’être ou la science soit le genre du probable ; car le probable pourra être attribué à ce qui n’est pas. Beaucoup de choses qui ne sont pas pourront être probables, mais il est évident que l’être et la science ne peuvent être attribués à ce qui n’est pas. Donc l’être, non plus que la science, ne sont le genre du probable ; car pour les choses auxquelles l’espèce est attribuée, il faut que le genre le leur soit aussi. § 8[175]. A l’inverse, il faut voir si ce qui est posé dans le genre ne peut participer à aucune des espèces ; car il est impossible que ce qui ne participe à aucune espèce participe au genre, à moins qu’il ne soit une des espèces de la première division ; car ce sont celles-là seulement qui participent au genre. Si donc l’on a supposé que le mouvement est le genre du plaisir, il faut regarder si le plaisir n’est ni destruction, ni altération, ni aucun autre des mouvements connus ; car alors il est évident qu’il ne participe à aucune des espèces et qu’il ne participe pas non plus du genre, parce qu’il y a nécessité que ce qui participe du genre doit participer aussi de l’une des espèces. Donc, le plaisir ne peut être une espèce de mouvement, puisqu’il n’est pas un des mouvements individuels, c’est-à-dire, l’un des individus qui sont sous l’espèce du mouvement. C’est qu’en effet les individus participent à la fois au genre et à d’espèce ; par exemple, un individu homme participe de d’homme et de l’animal.

§ 9[176]. Il faut voir de plus si ce qui est placé dans le genre n’est pas plus étendu que le genre, comme par exemple, le probable est plus étendu que l’être ; car ce qui est et ce qui n’est pas sont des probables. Donc, le probable n’est pas une espèce de l’être ; car toujours le genre est plus étendu que l’espèce. § 10[177]. Il faut regarder de plus, si le genre et d’espèce sont faits d’étendue égale et par exemple, si d’attributs qui sont à tout, l’un n’est pas fait genre et l’autre espèce, comme l’être et l’unité et l’un sont attributs de tout. Donc, celui-ci n’a pas le genre de celui-là, puisqu’ils sont d’extension parfaitement égale. Et de même si l’on a supposé subordonnés entre eux le primitif et le principe ; car le principe est le primitif et le primitif est le principe : donc ces deux choses sont identiques, et l’une n’est pas du tout le genre de l’autre. Le point essentiel à bien savoir dans tout ceci est que le genre est plus large que l’espèce et que la différence ; car la différence aussi est moins large que le genre.

§ 11[178]. Il faut voir encore si le genre énoncé n’est pas ou peut ne pas paraître le genre d’une des choses non différentes en espèce ; et quand on établit la thèse, il faut voir s’il est le genre de l’une de ces choses ; car le genre est le même pour toutes les choses non différentes en espèces. Si donc on montre qu’il est de genre de l’une, on aura montré qu’il l’est de toutes ; et si l’on montre pour une seule qu’il n’en est pas le genre, on aura montré qu’il ne l’est d’aucune. Par exemple, si après avoir posé les lignes indivisibles, on dit que l’insécable est leur genre, on se trompe ; car ce genre n’est pas celui des lignes qui sont divisibles, bien quelle soient sans différences quant à l’espèce, puisque toutes les lignes droites n’ont entre elles aucune différence spécifique.


{{t3| CHAPITRE II.}}

Treize autres lieux du genre.


§ 1[179]. Il faut voir encore s’il n’y a pas quelque autre genre de l’espèce donnée que n’embrasse pas le genre indiqué, et qui ne soit pas sous lui : par exemple, si l’on a posé que la science soit le genre de la justice ; car la vertu est aussi le genre de la justice, et aucun de ces genres ne comprend l’autre. Donc, la science n’est pas le genre de la justice ; car il semble que quand une espèce est sous deux genres, l’un doit être compris dans l’autre. Toutefois, ceci offre quelque difficulté dans certains cas : par exemple, quelques-uns croient que la prudence est à la fois une vertu et une science, et pourtant aucun de ces genres n’est compris dans l’autre. Il est vrai que tout le monde n’accorde pas que la prudence soit une science ; mais si l’on accorde que cette assertion soit exacte, il semble nécessaire que les genres d’une même chose soient subordonnés entre eux, ou que tous deux soient compris sous un même genre, comme c’est le cas pour la vertu et pour la science ; car toutes deux sont sous le même genre, puisque l’une et l’autre sont possession et disposition. Il faut donc voir si aucune des deux n’appartient au genre indiqué ; car si les genres de toutes deux ne sont pas subordonnés entre eux, ou si toutes les deux ne sont pas comprises sous un même genre, le genre indiqué n’appartient pas au sujet.

§ 2[180]. Il faut regarder aussi le genre du genre donné, et ainsi pour tous les genres supérieurs et s’assurer qu’ils sont tous attribués à l’espèce et qu’ils lui sont attribués essentiellement ; car il faut que le genre supérieur puisse être attribué essentiellement à l’espèce. S’il y a quelque part discordance, c’est évidemment que le genre indiqué n’est pas genre véritablement. A l’inverse, il faut voir si le genre participe à l’espèce, soit ce genre même, soit quelqu’un des genres supérieurs ; car le terme supérieur ne peut participer à aucun des inférieurs. Il faut donc, quand on réfute une proposition, s’y prendre comme on l’a déjà dit. Quand on l’établit, et qu’il est reconnu que le genre indiqué est bien à l’espèce, mais qu’il y a doute s’il y est comme genre, il suffit de montrer que l’un des genres supérieurs est attribué essentiellement à l’espèce : car du moment qu’un seul est attribué essentiellement, tous les autres, soit au dessus soit au dessous de lui, s’ils sont attribués à l’espèce, le seront essentiellement. Donc, le genre donné est attribué essentiellement aussi. Pour se convaincre que l’un des genres étant attribués essentiellement, tous les autres, pourvu qu’ils soient attribués, le sont essentiellement aussi, il faut recourir à l’induction. Mais si l’on doute absolument que le genre indiqué soit bien au sujet, il ne suffirait plus de montrer qu’un des genres supérieurs est attribué à l’espèce essentiellement : par exemple, si l’on a soutenu que la translation soit le genre de la marche, il ne suffit pas de montrer que la marche est un mouvement pour montrer aussi que c’est une translation, puisqu’il y a encore d’autres mouvements qu’elle ; mais il faut montrer, en outre, que la marche ne participe d’aucun des mouvements placés sous la même catégorie, si ce n’est de la translation. En effet il y a nécessité que ce qui participe du genre participe aussi de quelqu’une des espèces placées sous la première division. Si donc la marche ne participe ni de d’accroissement, ni de la diminution, ni d’aucun des autres mouvements ; il est évident qu’elle participe à la translation, et par conséquent que la translation est le genre de la marche.

§ 3[181]. A l’inverse, pour les choses où l’espèce indiquée est réellement attribuée comme genre, il faut voir si le genre donné est attribué essentiellement à toutes les choses auxquelles l’est aussi l’espèce ; et de même pour tous les termes supérieurs au genre. S’il y a quelque discordance, il est évident que ce n’est pas le genre vrai qui a été donné ; car si c’était le genre, tout ce qui est au dessus et lui-même, seraient attribués essentiellement à toutes les choses auxquelles l’espèce est attribuée essentiellement aussi. On pourra donc, quand on renverse la proposition, se servir de cette considération, que le genre n’est pas attribué essentiellement aux choses mêmes dont l’espèce est un attribut essentiel. Mais quand on établit la proposition, on ne peut se servir que du cas où le genre est attribué essentiellement ; car alors et le genre et l’espèce seront attribués essentiellement au même sujet : de sorte que le même sujet est sous deux genres. Donc nécessairement ces deux genres sont subordonnés entre eux. Si donc, on a montré que ce qu’on veut établir comme genre n’est pas sous d’espèce, il est évident que l’espèce sera sous lui, et l’on aura prouvé que ce terme est bien le genre.

§ 4[182]. Il faut regarder aussi aux définitions des genres et voir si elles s’accordent avec l’espèce donnée, et avec tout ce qui participe de cette espèce ; car il faut nécessairement que les définitions des genres soient attribuées à l’espèce et à tout ce qui participe de l’espèce. Si donc il y a quelque part discordance, il est évident que ce n’est pas le genre véritable qui a été donné.

§ 5[183]. Il faut voir encore si l’on a donné la différence comme genre ; par exemple, si l’on dit que l’immortel est genre de la divinité : l’immortel n’est que la différence de l’animal, puisque parmi les animaux les uns sont mortels et les autres immortels. Il est donc clair qu’on s’est mépris ; car la différence ne peut être genre de quoi que ce soit. Et ce qui fait bien voir que cela est vrai c’est que toute différence exprime non pas la substance mais bien plutôt la qualité, comme le terrestre et le bipède.

§ 6. On s’est également mépris si on a placé la différence dans le genre comme espèce : par exemple, si l’on dit que l’impair est ce qu’est le nombre ; car c’est une différence des nombres que l’impair, ce n’en est pas une d’espèce. Bien plus, la différence ne paraît même pas participer au genre ; car tout ce qui participe au genre est toujours espèce ou individu ; et la différence n’est ni espèce ni individu. Il est donc évident que la différence ne participe pas au genre. Donc aussi l’impair est non une espèce, mais une différence, puisqu’il ne participe point au genre.

§ 7[184]. Il faut voir également si l’on a placé le genre dans l’espèce : et, par exemple, si l’on a appelé la contiguïté continuité, et le mélange combinaison, ou comme fait Platon qui définit la translation le mouvement dans l’espace. Ce sont autant d’erreurs ; car la contiguïté n’est pas continuité : tout au contraire, c’est la continuité qui est contiguïté. En effet tout contigu n’est pas continu, tandis que tout continu est contigu. Et de même pour le reste ; car tout mélange n’est pas combinaison ; ainsi le mélange de choses sèches n’est pas une combinaison, pas plus que changement dans respect n’est une translation : et par exemple, la marche ne paraît pas être une translation : la translation ne peut guère se dire que des objets qui passent involontairement d’un lieu à un autre, comme cela arrive pour les choses inanimées. Il est donc évident que, dans tous les cas qu’on vient de citer, l’espèce est plus large que le genre, tandis qu’il en doit être tout à l’opposé.

§ 8[185]. On peut encore s’être trompé à l’inverse, si l’on a placé les différences dans l’espèce : par exemple, si l’on a dit que l’immortel est dieu ; car alors l’espèce sera aussi large et même plus large que la différence ; or la différence est toujours aussi large ou plus large que l’espèce. § 9. L’on peut aussi avoir placé le genre dans la différence : et, par exemple, avoir dit que la couleur est ce qui fait distinguer les choses, et que le nombre est ce qui est impair. § 10. On peut même encore avoir posé le genre comme différence, et l’on peut avoir fait une proposition comme celle-ci, par exemple : que le mélange est une différence de la combinaison, ou le changement dans l’espace une différence de la translation. Il faut appliquer à tous les cas analogues le même procédé ; car les lieux sont communs à tous. Il faut toujours que le genre soit plus large que la différence, et qu’il ne participe pas de la différence ; mais en le donnant ainsi qu’on l’a fait dans les exemples indiqués plus haut, ces deux règles cessent d’être possibles ; car le genre alors sera moins large, et il participera de la différence.

§ 11. De plus, si aucune des différences du genre n’est attribuable à l’espèce donnée, le genre non plus n’y sera point attribué : par exemple, ni le pair ni l’impair ne sont attribués à l’âme, non plus que le nombre, par conséquent. § 12. Il faut voir encore si l’espèce donnée est naturellement antérieure au genre, et si elle détruit le genre, quand elle est elle-même détruite ; car il en devrait être tout le contraire : c’est qu’alors on n’a pas donné le vrai genre.

§ 13. Il faut voir de plus si l’on peut laisser de côté le genre ou la différence pour l’espèce : par exemple, pour l’âme, le mouvement ; et pour l’opinion, le vrai et le faux ; car alors aucun des deux termes indiqués ne serait ni genre, ni différence, puisque le genre et la différence suivent toujours l’espèce tant que l’espèce elle-même subsiste.


CHAPITRE III.

Trois autres lieux, dont deux tirés de l’homonymie ; mots qui, sans être homonymes, s’appliquent à plusieurs choses.


§ 1[186]. Il faut encore examiner si ce qui est dans le genre participe ou peut participer de l’un des contraires du genre ; car alors une même chose pourrait avoir les contraires, puisque le genre ne défaillit jamais, et qu’ainsi il participe ou peut participer au contraire.

§ 2[187]. Il faut voir, en outre, si l’espèce n’est pas doué de quelque qualité qui ne peut absolument point être à ce qui est sous le genre : par exemple, l’âme est douée de la vie, mais aucun nombre ne peut vivre ; aussi l’âme n’est pas une espèce de nombre.

§ 3[188]. Il faut examiner encore si l’espèce est homonyme au genre, en se servant pour découvrir l’homonymie des procédés indiqués plus haut ; car le genre et l’espèce sont synonymes.

§ 4[189]. Comme il y a toujours plusieurs espèces dans un genre, il faut voir s’il n’est pas impossible qu’il y ait une seconde espèce du genre dénommé ; car s’il n’y en a pas, il est clair que le terme indiqué ne peut pas du tout être genre.

§ 5[190]. Il faut voir encore si ce n’est pas un terme purement métaphorique qui a été donné comme genre, comme lorsqu’on dit, par exemple que la prudence est une harmonie ; car tout genre est attribué proprement à ses espèces : or, l’harmonie est attribuée non point proprement, mais seulement par métaphore, à la prudence ; en effet toute harmonie n’est que dans les sons.

§ 6. Il faut voir encore s’il n’y a pas quelque contraire à l’espèce : et cet examen petit se faire de plusieurs façons. § 7[191]. D’abord, on doit voir si le contraire est dans le même genre, quand il n’y a pas de contraire au genre ; car il faut que les contraires soient dans le même genre, s’il n’y a pas de contraire au genre. S’il y a un contraire au genre, il faut voir si le contraire est dans le genre contraire ; car il faut que le contraire soit dans le genre contraire, s’il y a quelque contraire au genre ; et c’est par l’induction qu’on pourra s’en assurer dans chaque cas. § 8[192]. De plus, il faut voir si le contraire de l’espèce n’est dans aucun genre, attendu qu’il est genre lui-même, comme le bien ; car, si ce terme n’est pas dans un genre, le contraire de ce terme n’y sera pas non plus : mais il sera genre lui-même, et c’est ce qui a lieu pour le bien et le mal ; car aucun de ces deux termes n’est dans un genre, mais tous les deux sont genres. § 9[193]. On peut examiner encore si le genre et l’espèce ne sont pas l’un et l’autre contraires à quelque terme : et si pour les uns il y a intermédiaire et si pour les autres il n’y en a pas ; car s’il y a quelque intermédiaire pour les genres, il y en a pour les espèces : et si pour les espèces, il y en a pour les genres, comme pour la vertu et le vice, la justice et l’injustice ; car il y a des intermédiaires pour les deux. On objecte à cela qu’il n’y a pas d’intermédiaire entre la maladie et la santé, bien qu’il y en ait entre le mal et le bien. § 10[194]. On peut rechercher s’il y a quelque intermédiaire à la fois et pour les genres et pour les espèces, sans que ce soit de la même manière : pour les uns comme négation, et pour les autres comme sujet ; car il est probable à première vue que les intermédiaires seront de la même manière pour les deux, comme pour la vertu et le vice, la justice et l’injustice. En effet pour tous les deux les intermédiaires sont négatifs.

§ 11[195]. Quand il n’y a pas de contraire au genre, il ne faut pas regarder seulement si le contraire est dans le même genre, il faut regarder encore si l’intermédiaire y est ; car là où sont les extrêmes, là aussi sont les moyens, comme pour le beau et le noir, puisque la couleur est le genre des deux extrêmes et de toutes les couleurs intermédiaires. On objecte que le défaut et l’excès sont dans le même genre ; car tous les deux sont dans le mal : et que la modération qui en est l’intermédiaire est non dans le mal, mais dans le bien. § 12[196]. Il faut voir en outre si le genre est contraire à quelque terme, tandis que l’espèce ne l’est à aucun ; car si le genre est contraire à quelque terme, l’espèce l’est aussi, comme la vertu et le vice, la justice et l’injustice. Et si l’on examine d’autres cas, on verra qu’il en est bien de même. Une objection peut se tirer de la santé et de la maladie ; car, absolument parlant, la santé est contraire à la maladie : mais telle maladie particulière, qui est une espèce de la maladie, n’est contraire à rien ; par exemple, la fièvre, l’ophthalmie, ou telle autre maladie.

§ 13. Quand on réfute, voilà tout ce qu’il faut examiner ; car si les conditions qu’on a dites n’ont pas été remplies, il est clair que ce n’est pas le genre qui a été donné.

§ 14. Quand on établit la proposition, il y a trois manières de procéder : § 15. D’abord il faut voir si le contraire de l’espèce est bien dans le genre indiqué, quand il n’y a pas de contraire à ce genre ; car si le contraire est dans ce genre, il est clair que l’objet en discussion y est aussi. § 16. Et il faut voir encore si le terme intermédiaire est dans le genre indiqué ; car là où est le terme moyen, là aussi sont les extrêmes. § 17. Et de plus, s’il y a quelque contraire au genre, il faut examiner si le contraire est dans le genre contraire ; car, s’il y est, il est clair que l’objet proposé est aussi dansé genre proposé.


CHAPITRE IV.

Quatorze autres lieux du genre.


§ 1[197]. Il faut regarder aussi aux cas et aux conjugués, s’ils se suivent pareillement, soit qu’on réfute la thèse, soit qu’on l’établisse ; car c’est à la fois que l’attribut est ou n’est pas à un seul ou à tous : par exemple, si la justice est une science, justement sera savamment et le juste sera savant ; mais si l’une de ces choses n’est pas, il n’en saurait être non plus une seule des autres.

§ 2. Il faut regarder, en outre, aux choses qui sont entre elles dans un rapport semblable : par exemple, le rapport de l’agréable au plaisir est tout à fait pareil à celui de l’utile au bien ; car des deux côtés l’un est ce qui produit l’autre. Si donc le plaisir se confond avec le bien, l’agréable se confondra avec l’utile. Il est donc clair que le plaisir produit le bien puisque le plaisir est un bien. § 3[198]. Même remarque pour les générations et destructions des choses : par exemple, si bâtir c’est agir, avoir bâti ce sera avoir agi ; et si apprendre c’est se souvenir, avoir appris ce sera s’être souvenu ; et si être dissous c’est être détruit, avoir été dissous ce sera avoir été détruit ; et la dissolution sera une sorte de démolition. § 4[199]. Même remarque encore pour les choses qui produisent et qui détruisent. De même aussi pour ressemblances des choses et les usages ; et, en général, soit qu’on réfute, soit qu’on établisse, il faut regarder à la lumière des ressemblances, quelles qu’elles soient, comme nous venons de le dire pour la génération et la destruction des choses. Si ce qui détruit est dissolvant, être détruit sera aussi être dissous ; et si générateur est produire, être engendré ce sera être produit, et la génération sera une production. Et de même pour les puissances et les usages des choses ; car si la puissance est disposition, pouvoir sera aussi être disposé ; et si se servir de quelque chose est une action, se servir ce sera agir, et s’être servi, avoir agi.

§ 5[200]. Si l’opposé de l’espèce est privation, on peut réfuter la thèse de deux manières : d’abord, si l’opposé est dans le genre indiqué ; car, ou la privation n’est jamais absolument dans le même genre, ou du moins n’est pas dans le dernier genre : par exemple, si la vue est dans le dernier genre, dans la sensation, l’aveuglement ne sera pas sensation. En second lieu, si la privation est à la fois l’opposé du genre et de l’espèce, et que l’opposé ne soit pas dans le genre opposé, le genre indiqué n’est pas non plus dans le genre indiqué. Il faut donc, quand on réfute la thèse, se servir de ces moyens. Mais, quand on l’établit, il n’y en a qu’un seul ; car si l’opposé est dans l’opposé, l’objet en question sera aussi dans l’objet en question : par exemple, si l’aveuglement est une sorte d’insensibilité, la vue sera une sorte de sensation.

§ 6[201]. Il faut examiner dans un sens contraire les négations, comme on l’a dit pour l’accident : par exemple si l’agréable se confond avec le bien, ce qui n’est pas bien n’est pas agréable ; car s’il n’en était pas ainsi, il y aurait quelque chose qui ne serait pas bon et qui serait cependant agréable. Mais il est impossible qu’il y ait quelque chose de non bon qui soit agréable, puisque le bien est le genre de l’agréable. En effet toutes les fois que le genre n’est pas attribué, aucune des espèces ne l’est davantage. Il faut faire le même examen quand on établit la thèse ; car, si ce qui n’est pas bon, n’est pas agréable, l’agréable est bon ; et par conséquent, le bon est le genre de l’agréable.

§ 7[202]. Si l’espèce est un relatif, il faut regarder si le genre aussi en est un ; car si l’espèce est un relatif, le genre aussi en sera un, comme pour le double et le multiple, qui tous deux sont des relatifs. Mais le genre doit être un relatif, sans que l’espèce en soit nécessairement un ; car la science est un relatif, et la grammaire n’en est pas un. Ou bien la règle posée plus haut n’est-elle pas fausse ? La vertu, en effet, est ce qu’est le bon, ce qu’est le beau, et la vertu est un relatif, tandis que le beau et le bon ne sont pas des relatifs, mais des qualités.

§ 8[203]. Il faut aussi regarder si l’espèce n’est pas dite pour elle-même et pour le genre, relativement à la même chose : par exemple, si le double est dit le double de la moitié, il faut aussi que le multiple soit dit de la moitié : sinon, le multiple ne serait plus le genre du double.

§ 9[204]. Il faut voir encore si l’espèce n’est pas dite relativement à la même chose et pour le genre et pour tous les genres du genre : car si le double est relatif à la moitié, le multiple l’est aussi, le surpassant sera relatif à la moitié ; et d’une manière générale tous les genres supérieurs seront relatifs à la moitié. On objecte qu’il n’est pas nécessaire que l’espèce soit relative à une même chose, en soi et pour le genre ; car la science est dite la science de ce qui est su, mais la possession et la disposition sont dites possession et disposition, non de ce qui est su, mais de l’âme.

§ 10[205]. De plus, il faut voir si le genre et l’espèce sont exprimés d’une façon égale dans les cas des mots : par exemple, s’ils sont dits à quelqu’un, de quelqu’un ou de toute autre façon ; car le genre doit suivre l’espèce. Ainsi ce qui est pour le double est aussi pour les genres supérieurs : de même que le double est le double de quelque chose. Et pour la science, elle est aussi la science de quelque chose, ainsi que ses genres, comme la disposition et la possession. On peut objecter qu’il n’en est pas toujours de cette façon ; car l’opposé et le contraire sont opposés et contraires à quelque chose, tandis que l’autre, qui en est le genre, est non pas autre à quelque chose, mais autre que quelque chose : en effet on dit que telle chose est autre que telle chose.

§ 11[206]. De plus, il faut voir si les relatifs exprimés d’une façon égale dans les cas des mots, ne sont pas également réciproques comme pour le double et le multiple ; car chacun d’eux est dit le double, le multiple de quelque chose, soit en eux-mêmes, dans leurs termes réciproques. Ainsi la moitié et le sous-multiple sont dits la moitié et le sous-multiple de quelque chose ; et de même pour la science et pour la perception ; car elles sont la science et la perception de quelque chose, et sont exprimées également dans leurs termes réciproques ; ainsi ce qui est su, ce qui est perçu, est su, est perçu par quelqu’un. Si donc, il n’y a pas pour l’un des termes une égale réciprocité, il est clair que l’un n’est pas le genre de l’autre.

§ 12[207]. De plus, il faut voir si le genre et l’espèce sont relatifs à un nombre égal de choses ; car l’un et l’autre semblent devoir se dire également, et pour un même nombre de choses, comme pour la donation et le don ; ainsi la donation est dite donation de quelqu’un ou à quelqu’un, et le don est le don de quelqu’un et à quelqu’un ; le don est le genre de la donation, la donation étant un don irrévocable. Mais pour certaines choses le genre et l’espèce ne sont pas également étendus ; car le double est le double de quelque chose, mais le surpassant et le plus grand sont surpassant quelque chose et de quelque chose, plus grand est plus grand que quelque chose et de quelque chose ; car tout ce qui surpasse et est plus grand surpasse quelque chose et de quelque chose, et est plus grand que quelque chose et de quelque chose. Donc, ces termes ne sont pas les genres du double, puisqu’ils ne sont pas relatif à autant de choses que l’est l’espèce. Ou bien il n’est pas vrai généralement de dire que le genre et l’espèce sont relatifs dans une étendue égale.

§ 13[208]. Il faut voir encore si l’opposé est bien le genre de l’opposé : par exemple, si le multiple est le genre du double, et si le sous-multiple l’est de la moitié ; car il faut que l’opposé soit le genre de l’opposé. Si donc on avance que la science est la sensation, il faudra aussi que ce qui est su soit sensible, mais cela n’est pas ; car tout ce qui est su n’est pas sensible, et il y a certaines choses purement intellectuelles que l’on sait. Donc le sensible n’est pas le genre de ce qui est su, et s’il ne l’est pas, la sensation n’est pas non plus le genre de la science.

§ 14[209]. Puisque, parmi les relatifs, les uns sont nécessairement dans les choses ou du moins près des choses relativement auxquelles ils sont dits : par exemple, la disposition, la possession et la commensurabilité ; car il n’est pas possible que ces trois relatifs soient dans d’autres choses que dans celles dont ils sont les relatifs ; et comme d’autres relatifs au contraire ne sont pas nécessairement dans les choses dont ils sont les relatifs ? mais y peuvent seulement être : par exemple, si l’âme est une chose qu’on peut savoir, car il n’y a aucun obstacle à ce que l’âme ait la connaissance d’elle-même : mais cela n’est en rien nécessaire, puisque cette même science peut fort bien être aussi dans une autre chose : comme enfin d’autres relatifs ne peuvent absolument point être dans les choses dont ils sont les relatifs ; par exemple, le contraire n’est jamais dans le contraire, non plus que la science dans ce qui est su, à moins que ce qui est su ne soit l’âme même de l’homme : il s’ensuit qu’il faut examiner si l’adversaire a placé une chose qui a cette qualité de relatif dans un genre qui n’a pas cette qualité. Par exemple, si l’on a dit que la mémoire est la permanence de la science ; car toute permanence est dans l’objet permanent et dans ce qui le concerne, de sorte que la permanence de la science est dans la science, et que la mémoire est dans la science, puisque c’est la permanence de la science ; mais cela n’est pas possible ; car toute mémoire est dans l’âme.

Du reste, ce lieu qu’on vient de dire est commun aussi à l’accident : il n’y a pas de différence à dire que la permanence est le genre de la mémoire, ou de dire que la permanence est un accident pour elle ; car de quelque façon que la mémoire soit la permanence de la science, cette même définition lui conviendra toujours.


{{t3| CHAPITRE V.}}

Douze autres lieux du genre.


§ 1[210]. De plus, si l’on a placé la faculté dans l’acte ou l’acte dans la faculté, ce qu’on a pris pour genre n’est pas véritablement genre : par exemple, si l’on a dit que la sensation était un mouvement dans le corps ; car la sensation est une faculté : mais le mouvement est un acte. Et de même, si l’on a dit que la mémoire est une faculté susceptible de recevoir la perception ; car aucune mémoire n’est faculté, elle est bien plutôt un acte.

§ 2[211]. On se trompe encore en plaçant la faculté dans la puissance qui en est la suite : par exemple, si l’on dit que la douleur est une réfrénation de la colère, et que la justice et le courage sont la réfrénation de sentiments cupides et craintifs ; car il suffit alors d’être impassible pour être courageux et doux : tandis que l’homme qui se modère est celui qui est ému et ne se laisse pas entraîner. Peut-être, du reste, cette puissance est-elle la suite de l’un et de l’autre état, de sorte que l’homme maître de soi, souffre, n’est pas entraîné, et sait résister. Mais même n’est pas l’essence ici du courage et là de la douleur ; l’essence de l’un et de l’autre, c’est de ne pas se laisser émouvoir par de telles passions.

§ 3[212]. Parfois on prend la conséquence, quelle qu’elle soit pour le genre : par exemple, la douleur pour le genre de la colère, et la perception pour celui de la certitude. Il est bien vrai que toutes deux suivent d’une certaine manière les espèces indiquées : mais aucune d’elles cependant n’en est le genre. En effet l’homme en colère ne s’est mis en colère qu’après que la douleur est ne vienne l’atteindre ; et ce n’est pas la colère qui est cause de la douleur, mais bien la douleur qui l’est de la colère ; donc, absolument parlant, la colère n’est pas la douleur. Et par le même motif la certitude n’est pas la perception ; car on peut bien avoir la même perception sans avoir de certitude : mais cela ne se pourrait pas si la certitude était une espèce de la perception. En effet il n’est pas possible qu’une chose demeure la même si on la change tout à fait d’espèce. Ainsi, ce même animal ne saurait être tantôt homme et tantôt ne l’être pas. Mais si l’on prétend que nécessairement celui qui perçoit a une certitude aussi, la perception et la certitude seront prises comme égales, de sorte que de cette façon encore il n’y aurait plus de genre ; car il faut que le genre soit toujours plus large que l’espèce.

§ 4[213]. Il faut voir encore si les deux ne peuvent pas être naturellement dans un seul et même objet ; car là où est l’espèce là est le genre : par exemple, là où est le blanc, là aussi est la couleur ; et là où est la grammaire, là aussi est la science. Si donc on appelle la honte crainte, et la colère douleur, il en résultera que l’espèce et le genre ne sont pas dans le même objet ; car la honte est dans l’âme raisonnable, la crainte dans l’âme passionnée, et la douleur dans l’âme concupiscible ; car c’est là aussi qu’est le plaisir, tandis que la colère est dans la partie passionnée. Donc, ce ne sont pas les vrais genres qui ont été indiqués, puisqu’ils ne peuvent être naturellement dans les mêmes objets que les espèces. Et de même pour l’amitié, si on la place dans la partie concupiscible, elle cessera d’être un acte volontaire, tandis que toute volonté est dans la partie raisonnable. Ce lieu, du reste, est utile même aussi pour l’accident ; car l’accident et la chose à laquelle il appartient sont dans le même objet, de sorte que s’ils ne paraissent pas y être, il est évident que l’accident a été mal indiqué.

§ 5[214]. On s’est encore trompé si l’espèce ne participe qu’en partie au genre indiqué ; car le genre ne paraît pas pouvoir être possédé en partie par l’espèce. Ainsi, l’homme n’est pas animal en partie, la grammaire n’est science en partie : et de même pour le reste. Il faut donc examiner si le genre n’est pas possédé seulement en partie par quelques termes. Et, par exemple, si l’on dit qu’animal est ce qui est senti ou ce qui est vu ; l’animal est bien en partie sensible et visible, et c’est par son corps qu’il est sensible et visible ; mais non par son âme. Donc, le sensible et le visible ne peuvent être les genres de l’animal.

§ 6. On ne s’aperçoit pas non plus quelquefois qu’on met le tout dans la partie, comme lorsqu’on appelle animal un corps animé ; mais la partie ne peut point être attribuée au tout. Donc le corps ne saurait être le genre de l’animal, puisqu’il en est une partie.

§ 7. Il faut voir encore si l’adversaire n’a point dans la connaissance et dans le possible, quelque chose qui soit à reprendre ou à fuir ; par exemple, s’il a appelé sophiste celui qui peut tirer un lucre de sa sagesse apparente, ou calomniateur celui qui peut calomnier en secret et semer la haine entre les amis, ou voleur celui qui peut voler les choses d’autrui. En effet, aucun de ces gens n’est qualifié de ce nom uniquement parce qu’il peut être tel. Dieu et l’homme vertueux peuvent aussi malfaire, mais ne sont pas tels cependant ; car on n’appelle méchants que ceux qui le sont volontairement. C’est que toute puissance est chose à désirer : les puissances même du mal sont désirables aussi, et voilà pourquoi nous disons que Dieu et l’homme vertueux les possèdent ; car ils peuvent faire le mal. Ainsi donc, la puissance ne saurait être le genre de rien de blâmable ; sinon, il en résulterait que quelque chose de blâmable serait à désirer, et que certaine puissance serait blâmable.

§ 8. Il faut aussi voir si l’adversaire n’a pas donné comme puissance ou possible, ou simplement comme pouvant produire quelque chose, une des choses précieuses ou désirables en soi ; car toute puissance, tout possible, toute chose qui agit, n’est désirable qu’en vue d’une autre chose.

§ 9[215]. Ou bien si l’adversaire a placé dans un seul genre une chose qui est dans deux ou plusieurs genres ; car il y a certaines choses qu’on ne saurait place dans un seul genre ; par exemple, le menteur et le calomniateur. En effet, l’intention avec la puissance ou la puissance sans l’intention ne suffisent point pour faire ni le menteur ni le calomniateur ; il n’y a de menteur et de calomniateur que celui qui réunit les deux choses. Donc, il ne faut pas placer les deux choses indiquées ici dans un seul genre, il faut les mettre dans deux genres.

§ 10. Quelquefois aussi on donne réciproquement le genre pour la différence et la différence pour le genre ; par exemple, la stupéfaction pour un excès d’admiration, et la certitude pour une violence de conception. Mais ni l’excès ni la violence ne sont le genre : ce n’est que la différence ; car la stupéfaction paraît être une admiration excessive, et la certitude une conception violente. Donc, l’admiration et la conception sont le genre, comme l’excès et la violence sont la différence. De plus, si l’on prenait l’excès ou la violence pour genres, les choses inanimées elles-mêmes éprouveraient certitude et stupéfaction. En effet, la violence de chaque chose et l’excès sont à ce dont ils sont l’excès et la violence. Si donc la stupéfaction est un excès d’admiration, la stupéfaction sera à l’admiration, de sorte que l’admiration sera stupéfaite : et de même la certitude sera à la conception, s’il y a une violence de conception, de sorte que la conception aura la certitude. Il arrivera encore, si l’on prétend qu’il en est ainsi, que la violence est violente, que l’excès est excessif ; car il y a une attitude violente. Si donc la certitude est violence, la violence sera violente. Et de même aussi il y a une stupéfaction excessive : si donc la stupéfaction est excès, il y aurait un excès excessif. Mais ni l’une ni l’autre de ces choses ne semble vraie, de même que le mouvement n’est pas le mobile, non plus que la science n’est ce qui est su.

§ 11[216]. On se trompe encore en plaçant la modification dans le genre même qui est modifié : par exemple, quand on dit que l’immortalité est une existence éternelle ; car l’immortalité paraît être une modification ou une circonstance de l’existence. Mais évidemment l’assertion précédente ne deviendrait vraie que si l’on accordait que de mortel on peut devenir immortel ; car personne ne dirait alors qu’il prend une autre existence, mais seulement qu’à cette même existence il arrive quelque modification ou quelque circonstance nouvelle. Donc l’existence n’est pas le genre de l’immortalité.

§ 12[217]. En outre, on se trompe si l’on dit que le genre de la modification est l’objet même dont il y a modification : par exemple, si l’on dit que le vent c’est l’air agité ; car le vent est plutôt l’agitation de l’air. C’est en effet toujours le même air, soit qu’il soit agité, soit qu’il reste en repos. Donc, absolument parlant, le vent n’est pas l’air ; car alors il y aurait vent même quand l’air ne serait pas agité, puisque le même air subsiste qui tout à l’heure était le vent. Et de même pour toutes les autres erreurs de ce genre. Mais si, dans l’exemple précédent, on peut accorder que le vent soit de l’air agité, il ne faudrait pas admettre des assertions de ce genre pour toutes les choses dans lesquelles le genre indiqué n’est pas le véritable ; on ne pourrait les admettre que pour le cas où le genre donné est attribué avec vérité.

§ 13[218]. En effet, dans quelques cas, ce genre ne semble pas être vrai ; par exemple, pour la boue et la neige : on peut dire que la neige est de l’eau coagulée, et que la boue est de la terre mêlée à l’humide ; mais la neige n’est pas de l’eau et la boue n’est pas de la terre ; donc, ni l’un ni l’autre des genres indiqués ne sont vraiment genres ; car il faut que le genre soit toujours vrai pour toutes les espèces. Et de même on ne peut dire que le vin soit de l’eau tournée, comme Empédocle prétendait que c’était « de l’eau tournée dans le bois : » c’est qu’absolument parlant, le vin n’est pas de l’eau.


CHAPITRE VI.

Dix-sept autres lieux du genre, neuf pour réfuter, et huit pour établir la thèse. — Fin des lieux du genre.


§ 1[219]. De plus, il faut voir si ce qui est donné comme genre n’est absolument le genre de rien ; car il est clair alors qu’il n’est point non plus le genre de ce dont il s’agit. Il faut remarquer aussi que les choses participant au genre donné ne doivent différer en rien spécifiquement ; par exemple, les choses blanches : entre elles il ne peut y en avoir une qui diffère en espèce ; or les espèces de tout genre sont différentes ; donc le blanc ne serait le genre de rien.

§ 2[220]. En outre, l’adversaire s’est trompé s’il a pris pour genre ou différence un attribut commun à tout ; car il y a plusieurs attributs qui appartiennent à tout ainsi l’être et l’unité sont des attributs qui suivent toutes choses. Si donc on a donné l’être comme genre, il est clair que ce serait le genre de tout, puisqu’il est attribué à tout ; mais le genre n’est attribué uniquement qu’aux espèces ; donc, l’un lui-même serait une espèce de l’être. Il en résulterait alors que l’espèce serait attribuée à toutes les choses auxquelles le genre est attribué, l’être et l’unité étant absolument attribués à tout, tandis qu’il faut toujours que l’espèce soit attribuée moins largement que le genre. Si l’on a pris pour différence un attribut qui appartient à tout, il est évident que la différence sera ou égale ou plus large que le genre ; car si le genre est un des attributs qui appartiennent à tout, la différence lui est égale ; et si le genre n’est pas un attribut applicable à tout, la différence est prise plus largement que lui.

§ 3[221]. En outre, il faut voir si le genre indiqué est placé dans l’espèce subordonnée, comme le blanc pour la neige ; car alors il est clair que ce n’est pas le genre véritable, le genre ne pouvant être que l’attribut de l’espèce subordonnée.

§ 4[222]. Il faut voir encore si le genre n’est pas synonyme à l’espèce ; car le genre est attribué synonymiquement à toutes les espèces.

§ 5[223]. Il faut voir si lorsqu’il y a un contraire au genre et à l’espèce, on n’a point placé le meilleur des contraires dans le genre pire ; car il faudra que le terme restant soit dans le genre restant, puisque les contraires sont dans des genres contraires : et ainsi le meilleur sera dans le pire, et le pire dans le meilleur, tandis que le genre meilleur paraît devoir appartenir aussi au meilleur. § 6[224]. L’adversaire s’est trompé si un même objet, étant dans un rapport pareil avec deux autres, il l’a placé dans le pire et non dans le meilleur : si, par exemple, il a dit que l’âme est essentiellement un mouvement ou un mobile ; l’âme est en effet également susceptible de repos et de mouvement : et si le repos est meilleur, il fallait placer le genre de l’âme dans le repos.

§ 7[225]. Puis aussi, on peut tirer des arguments du plus et du moins, quand on réfute, si le genre reçoit le plus et que l’espèce ne le reçoive pas, soit elle-même, soit ce qui s’y rapporte ; par exemple, si la vertu reçoit le plus, la justice et le juste le recevront aussi ; car tel homme est dit plus juste que tel autre. Si donc le genre donné reçoit le plus et que l’espèce ne le reçoive, ni elle-même ni ce qui s’y rapporte, c’est que le terme désigné n’est pas le genre véritable.

§ 8[226]. En outre, si ce qui paraît être plus ou également n’est pas le genre, il est clair que le terme qui a été indiqué ne l’est pas non plus. Ce lieu est utile surtout dans les cas où les attributs essentiels de l’espèce sont plusieurs, et qu’on n’a pas déterminé nettement et qu’on ne peut pas dire quel est le genre véritable : par exemple, la douleur et le sentiment du mépris paraissent être essentiellement attribuées à la colère ; car l’homme courroucé a de la douleur et croit être méprisé. § 9[227]. La même considération est applicable si l’on compare quelqu’autre espèce à l’espèce ; car si ce qui paraît être plus ou également dans le genre donné n’est pas dans le genre, il est clair que l’espèce donnée n’est absolument pas non plus dans le genre.

§ 10. Il faut donc, quand on réfute, procéder comme on vient de le dire.

§ 11[228]. Mais quand on établit la proposition, si le genre et l’espèce donnés admettent le plus, ce lieu n’est pas applicable ; car si tous deux le reçoivent, rien n’empêche que l’un ne soit pas le genre de l’autre. Ainsi, le beau et le blanc reçoivent le plus, et cependant l’un n’est pas le genre de l’autre. § 12. Mais la comparaison des genres et des espèces entre elles est utile ; ainsi, du moment que telle chose et telle autre sont également genres, si l’une est genre, l’autre le sera aussi. Et de même s’il s’agit de plus et de moins : par exemple, si la force est plus le genre de la modération que la vertu, et que la vertu soit genre, la force le sera aussi. § 13. On pourra dire encore la même chose pour l’espèce ; car si telle chose et telle autre chose sont également l’espèce de la chose proposée, du moment que l’une est espèce, l’autre aussi le sera : et si ce qui paraît être moins, est espèce, le plus le sera aussi.

§ 14. Il faut voir encore, quand on établit la proposition, si le genre est attribué essentiellement aux choses pour lesquelles il est indiqué, quand l’espèce indiquée n’est pas seule, mais qu’il y en a plusieurs et des différentes : il est clair alors que c’est bien le genre qui a été indiqué. Mais s’il n’y a qu’une seule espèce et donnée, il faut voir si pour les autres espèces le genre est attribué essentiellement ; car alors il arrivera qu’il sera attribué et à plusieurs choses et à des choses différentes, et que par conséquent on devra le reconnaître pour genre. § 15[229]. Puisque quelques-uns croient aussi que la différence est attribuée aux espèces essentiellement, il faut séparer le genre de la différence en se servant des procédés indiqués plus haut ; d’abord parce que le genre est toujours plus large que la différence, ensuite parce qu’il vaut mieux prendre le genre que la différence dans la définition essentielle ; car si l’on dit que l’homme est animal, on montre par là plus ce qu’est l’homme qu’en disant qu’il est terrestre ; et enfin parce que la différence exprime toujours la qualité du genre, et que le genre n’exprime pas celle de la différence : car lorsqu’on dit terrestre, on désigne un animal qui a telle qualité, tandis que quand on dit animal, on ne désigne pas un certain être terrestre. C’est donc ainsi qu’il faut séparer la différence du genre.

§ 16[230]. Puis donc que le musicien, en tant que musicien, paraît être savant, et que la musique paraît être une science ; et puisque, si ce qui marche se meut par le marcher, la marche est une sorte de mouvement, il faut voir dans quel genre on veut établir la proposition, de la manière suivante : par exemple, si l’on veut prouver que la science est ce qu’est la certitude, il faut voir si celui qui sait, en tant qu’il sait, est certain ; car il est clair alors que la science est une sorte de certitude. Et il en est de même pour tous les cas analogues.

§ 17[231]. Et en outre, comme il est bien difficile quand une chose en suit toujours une autre sans lui être réciproque, de ne pas la considérer comme son genre, il faut, lorsque telle chose suit telle autre toute entière, sans que cette autre suive la première toute entière ; comme par exemple, le repos suit le calme de l’air, et le divisible suit le nombre, sans que l’inverse soit vrai, puisque tout divisible n’est pas nombre, et que tout repos n’est pas le calme dans l’air ; il faut, dis-je, quand on argumente soi-même, admettre que le terme qui suit toujours est genre, quand l’autre ne lui est pas réciproque. § 18. Mais lorsqu’un adversaire veut procéder ainsi, on ne doit pas y acquiescer dans tous les cas ; et l’objection qu’on peut lui faire, c’est que le non-être suit tout ce qui naît, car ce qui naît n’est pas, mais ne lui n’est pas réciproque, puisque tout non-être ne naît pas : et que par conséquent le non-être n’est pas le genre de ce qui naît ; car, absolument parlant, le non-être n’a pas d’espèces.

§ 19[232]. Il faut donc traiter le genre ainsi qu’on vient de le dire.

LIVRE CINQUIÈME.


LIVRE CINQUIÈME.


LIEUX COMMUNS DU PROPRE.


CHAPITRE PREMIER.

Quatre espèces de propre, ou absolu et perpétuel, ou relatif et transitoire. — Ces diverses espèces de propres sont plus ou moins favorables la discussion.


§ 1[233]. Quant à savoir si le terme indiqué est propre ou s’il ne l’est pas, voici comment on peut le reconnaître :

§ 2[234]. Le propre peut être donné ou en soi et toujours, ou relativement à une autre chose et pour un certain temps. Par exemple, en soi, le propre de l’homme c’est d’être un animal naturellement doux ; relativement à un autre, le propre de l’homme serait donné par la comparaison de l’âme au corps, parce que l’âme est faite pour commander et le corps pour obéir. Le propre qui est toujours, c’est, par exemple, en parlant de Dieu, de dire qu’il est immortel. Et le propre pour un certain temps, c’est, par exemple, pour tel homme, de dire qu’il se promène dans le gymnase.

§ 3[235]. Le propre donné relativement à une autre chose peut former ou deux questions ou quatre questions. Si une même chose est affirmée d’une chose et aussi d’une autre, il n’y a là que deux questions : ainsi, le propre de l’homme relativement au cheval, c’est d’être bipède ; car on pourrait soutenir, et que l’homme n’est pas bipède, et que le cheval est bipède : et l’on détruirait le propre donné, de ces deux façons. Mais si l’on affirme et si l’on nie l’un et l’autre de l’un et de l’autre, il y aura quatre questions : ainsi, le propre de l’homme relativement au cheval, c’est que l’un est bipède et l’autre quadrupède. Or on peut essayer de soutenir que l’homme n’est pas naturellement bipède, mais qu’il est quadrupède ; et il est possible aussi de soutenir que le cheval est bipède et qu’il n’est pas quadrupède ; et quelle que soit celle de ces propositions qu’on prouve, on renverse la proposition avancée.

§ 4[236]. Le propre en soi est ce qui est donné au sujet quand on le compare à tout le reste et qui le sépare de tout le reste. Ainsi, pour l’homme, animal mortel capable de science est le propre en soi. Le propre relativement à une autre chose, c’est ce qui ne sépare pas le sujet de tout, mais le sépare de quelque chose de spécial ; ainsi, le propre de la vertu relativement à la science, c’est que l’une est dans plusieurs parties de l’âme, et que l’autre est par sa nature dans la partie raisonnable uniquement et dans les êtres qui ont de la raison. Le propre qui est toujours, est celui qui est vrai en tout temps et ne défaillit jamais : ainsi, pour l’animal, c’est d’être composé d’âme et de corps. Le propre, pour un certain temps, est celui qui est vrai dans un certain moment, mais qui n’est pas toujours une conséquence nécessaire du sujet : ainsi, pour tel homme, c’est de se promener dans la place publique.

§ 5[237]. Donner le propre relatif, c’est dire la différence qui est ou dans tous les sujets et toujours, ou le plus souvent et dans la plupart des sujets : par exemple, un propre relatif qui est dans tous les sujets et toujours, c’est pour l’homme relativement au cheval d’être bipède ; car l’homme est toujours bipède, et tout homme est bipède, et aucun cheval n’est jamais bipède. Le propre qui est le plus habituellement et dans la plupart des sujets, c’est, par exemple, le propre de la partie raisonnable de l’âme de commander à la partie concupiscible et irascible ; l’un ordonne et l’autre obéit : c’est qu’en effet la partie raisonnable ne commande pas toujours, mais quelquefois est commandée ; et que la partie concupiscible et irascible n’est pas toujours commandée, mais quelquefois commande, quand l’âme de l’homme est pervertie.

§ 6[238]. Parmi les propres, les plus logiques sont les propres en soi, ceux qui sont toujours et les propres relatifs. Le propre relatif renferme plusieurs questions, ainsi que nous l’avons dit plus haut ; car il forme de toute nécessité pu deux ou quatre questions. C’est donc cette espèce de propre qui fournit le plus de questions. Quant au propre en soi et à celui qui est toujours, il peut être comparé à plusieurs choses ou être recherché dans plusieurs temps. Ainsi, le propre qui est en soi peut être comparé à plusieurs choses ; car il faut que le propre soit au sujet comparé à toutes les autres choses ; de sorte que si le sujet n’est pas isolé relativement à tout, c’est que le propre n’a pas été bien attribué. Pour le propre qui est toujours, on peut le chercher dans plusieurs temps ; et s’il n’est pas, s’il n’a pas été, s’il ne doit pas être, c’est qu’il n’est pas le propre. Quant au propre qui n’est que pour un certain temps, nous ne le cherchons dans aucun autre moment de la durée que celui dont il s’agit maintenant. Il n’y a donc pas pour ce propre beaucoup de raisonnements possibles ; or, une question vraiment logique est celle où les raisonnements peuvent être nombreux et forts.

§ 7[239]. Le propre que j’appelle relatif doit donc être traité par les lieux indiqués pour l’accident, et l’on doit voir s’il est à tel sujet, tandis qu’il n’est pas à tel autre. Quant aux propres qui sont perpétuels et aux propres en soi, il faut procéder comme on va dire.


CHAPITRE II.

Huit lieux du propre, qui peut être bien ou mal donné.


§ 1[240]. D’abord, il faut examiner si le propre a été bien ou mal donné. § 2[241]. Pour savoir s’il a été bien ou mal donné, on peut se demander en premier lieu, si le propre a été expliqué par des termes qui ne sont pas plus connus ou qui sont plus connus. Quand on réfute, il faut regarder aux termes qui ne sont pas plus connus ; et si l’on établit la proposition, il faut au contraire regarder aux termes qui sont plus connus.

§ 3[242]. On peut n’avoir pas procédé par des termes plus connus, d’abord si le propre que l’on donne est absolument plus inconnu que la chose dont il est donné pour le propre : alors le propre n’aura pas été bien donné ; car on ne donne le propre que pour faire connaître mieux les choses ; et c’est pour s’instruire qu’on fait des propres et des définitions. Ainsi donc, il faut procéder ici par des termes plus connus ; car de cette façon on pourra plus pertinemment comprendre. Par exemple, si l’on dit que le propre du feu c’est d’être ce qui ressemble le plus à l’âme, comme on se sert de l’âme qui est beaucoup moins connue que le feu, car nous savons plutôt ce qu’est le feu que nous ne savons ce qu’est l’âme, il s’en suit que cette similitude du feu à l’âme ne saurait être un propre bien donné. § 4[243]. En second lieu, on s’est trompé si l’attribution du propre au sujet n’est pas aussi plus connue que lui. C’est qu’il ne faut pas seulement que le propre soit plus connu que la chose, mais il faut que l’attribution du propre à cette chose soit aussi plus connue ; car si l’on ne sait pas que le propre est à telle chose, on ne saura pas non plus s’il est à cette chose seule, de sorte que dans l’un et l’autre cas le propre n’est pas parfaitement clair. Par exemple, quand on dit que le propre du feu c’est d’être l’élément primitif dans lequel est naturellement l’âme, on se sert d’une notion moins connue que le feu lui-même, à savoir que l’âme a été en lui et a été primitivement. Ainsi, le propre du feu n’est pas bien donné, si l’on dit que c’est le principe dans lequel naturellement l’âme a d’abord été. Quand on établit la thèse, il faut voir si le propre est donné dans des termes plus connus et par des termes plus connus dans l’un et l’autre sens ; car c’est ainsi que le propre sera bien donné relativement au terme en question. En effet, parmi les lieux qui établissent que le propre est bien donné, les uns montrent qu’il l’est bien pour telle chose seulement, les autres montrent aussi qu’il l’est bien en général. Par exemple, quand on dit que le propre de l’animal c’est d’avoir la sensation, on donne le propre en termes plus connus, et on donne un propre plus connu dans les deux sens : ainsi le propre de l’animal aura donc été bien donné relativement à cette qualité d’avoir la sensation. § 5[244]. Quand l’on réfute, il faut voir si l’un des mots donnés dans l’explication du propre a plusieurs significations, ou bien si la phrase toute entière a plusieurs sens ; car alors le propre n’est pas bien donné. Par exemple, puisque sentir a plusieurs significations, l’une avoir la sensation, l’autre se servir de la sensation, on ne peut pas donner pour propre de l’animal, être organisé naturellement pour sentir. Voilà pourquoi il ne faut se servir pour le propre, ni d’un mot à plusieurs sens, ni d’une définition qui en ait aussi plusieurs, parce que le mot à plusieurs sens obscurcit ce qu’on dit, et qu’on ne sait pas, quand on va discuter, lequel des différents sens a été adopté. Jamais on ne donne le propre que pour faire mieux connaître la chose ; on peut ajouter encore que nécessairement on s’expose à quelque réfutation, quand on donne ainsi le propre, parce que l’adversaire fait son syllogisme sur le mot à plusieurs sens, en prenant celui qui est en désaccord avec la question. Il faut, quand on établit la thèse, faire en sorte qu’aucun des mots ni l’explication entière n’ait plusieurs sens ; car alors le propre sera sous ce rapport bien établi. Par exemple, puisque le mot de corps n’a pas plusieurs sens, et que cette expression, ce qui se porte le plus vivement en haut, n’en a pas plusieurs non plus, et que la définition totale formée de ces éléments n’a pas davantage plusieurs sens, le propre du feu sera bien donné, si l’on dit qu’il est le corps qui se porte le plus vivement vers le haut. § 6[245]. Il faut ensuite, quand on réfute, voir si la chose dont on donne le propre a plusieurs sens, et si l’on n’a pas déterminé celui dont on donne le propre ; car alors le propre n’aura pas été bien donné. Et pourquoi cela ? c’est ce qu’explique assez tout ce qu’on a dit plus haut ; car il faut nécessairement que les mêmes inconvénients se reproduisent : par exemple, savoir, ayant plusieurs sens, puisqu’il signifie à la fois avoir de la science, se servir de la science, avoir science de telle chose, et se servir de la science de cette chose, on n’aura pas bien donné le propre de savoir, si l’on n’a pas dit celles des diverses significations dont on donne le propre. Quand on établit la thèse, il faut faire en sorte que la chose dont on donne le propre ait, non pas plusieurs sens, mais un sens unique et simple ; car alors le propre en sera bien donné sous ce rapport. Par exemple, si l’on parle de l’homme d’une façon absolue, on donnera bien le propre de l’homme en disant qu’il est un animal naturellement doux. § 7[246]. Il faut voir ensuite, quand on réfute, si la même chose est répétée plusieurs fois dans le propre ; car souvent on ne s’aperçoit pas de cette faute, même dans les propres, non plus que dans les définitions. Mais le propre qui présentera ce défaut n’aura pas été bien donné ; car une chose plusieurs fois répétée gêne celui qui l’entend, et il en résulte nécessairement que la proposition devient obscure et qu’on paraît alors perdre ses paroles. Or il peut arriver que l’on répète la même chose de deux manières : l’une, quand on nomme plusieurs fois la même chose, et que, par exemple, on dise que le propre du feu c’est d’être le corps le plus léger de tous les corps ; car alors on répète corps plusieurs fois : et la seconde, quand l’on prend les définitions des mots pour les mots, et que, par exemple, on donne pour propre de la terre qu’elle est la substance qui, parmi tous les corps, se porte le plus vivement en bas ; et qu’ensuite l’on prend au lieu du mot de corps, les noms de telles et telles substances ; car le corps et telle et telle substance sont une seule et même chose. Ainsi, on aura répété substance plusieurs fois, de sorte que ni l’un ni l’autre des propres n’aura été bien donné. Quand on établit la thèse, il faut ne pas se servir plusieurs fois du même mot ; car alors le propre sera bien donné sous ce rapport. Par exemple, puisque quand on dit que l’homme est un animal susceptible de science, on ne se sert pas plusieurs fois du même mot, le propre de l’homme sera bien donné de cette façon. § 8[247]. De plus, quand on réfute, il faut voir si l’on a donné dans le propre un mot qui peut aller à tout ; car le mot qui ne sépare pas le sujet d’un certain nombre de choses ne pourra pas être utilement employé ; mais il faut que les termes qui forment les propres distinguent le sujet, aussi bien que les termes qui composent les définitions. Ainsi, le propre ne sera pas bien donné, par exemple en donnant le propre de la science, si l’on dit, que tout en restant une, c’est une conception inébranlable au raisonnement. Du moment qu’on dit ; tout en restant une, on se sert dans le propre du terme un, qui est à tout, et le propre de la science n’est pas bien donné. Mais quand on établit la proposition, il faut ne se servir d’aucun terme commun, et se servir seulement de termes qui séparent le sujet de toute autre chose ; car de cette façon le propre sera bien donné. Par exemple, comme en disant que le propre de l’animal c’est d’avoir une âme, on ne se sert d’aucun terme commun, avoir une âme sera bien, du moins à cet égard, le propre de l’animal. §  9[248]. Quand on réfute, il faut voir si l’on donne plusieurs propres d’une même chose, sans avoir averti qu’on en prend plusieurs ; car alors le propre ne sera pas bien donné. De même qu’il ne faut dans les définitions rien ajouter à l’explication même de l’essence, de même dans les propres il ne faut rien ajouter à la définition qui fait du terme indiqué le propre du sujet ; car cette addition devient inutile. Par exemple, en disant que le feu est le corps le plus léger, le plus ténu, on a donné plusieurs propres ; car l’un et l’autre attribut ne s’appliquent véritablement qu’au feu seul ; donc ce n’est pas bien donner le propre du feu que de dire qu’il est le corps le plus léger et le plus ténu. Quand on établit la thèse, il faut ne point donner plusieurs propres de la même chose, il faut n’en donner qu’un seul ; car alors le propre sera bien établi en ce sens : par exemple, en disant que le propre du liquide, c’est d’être le corps qui peut prendre toute forme, on n’a donné là qu’un propre et non plusieurs ; et, à cet égard, le propre du liquide a été bien donné.


{{t3| CHAPITRE III.}}

Sept autres lieux du propre bien ou mal donné.


§ 1[249]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si l’adversaire emploie la chose même dont il donne le propre, ou quelqu’une des choses qui appartiennent à celle-là ; car le propre ne sera pas alors bien donné. C’est qu’on ne donne jamais le propre que pour instruire ; or, une chose est toujours aussi inconnue qu’elle-même ; et ce qui est aux choses qui lui appartiennent lui est postérieur, et par conséquent n’est pas plus connu ; donc, par là, on ne saurait apprendre rien de plus. Par exemple, quand on dit que le propre de l’animal, c’est d’être une substance dont l’homme est une espèce, comme on emploie dans cette prétendue explication, une des choses qui appartiennent à l’animal, le propre ne serait pas bien donné. Quand on établit la proposition, il faut s’assurer que l’on ne se sert ni de la chose en question, ni d’une de celles qui lui appartiennent ; car le propre sera bien donné, du moins en ce sens. Ainsi, quand on donne comme propre de l’animal d’être un composé d’âme et de corps, comme on ne se sert ni de la chose même ni de rien de ce qui lui appartient, le propre de l’animal est alors bien donné.

§ 2[250]. C’est de la même manière encore qu’il faut étudier les autres conditions qui font et ne font pas la chose plus connue. Pour réfuter, il faut voir si l’adversaire emploie quelque chose, ou d’opposé à l’objet en question, ou d’absolument simultané en nature, ou de postérieur ; car alors le propre ne sera pas bien donné. L’opposé est simultané en nature ; mais le simultané ou le postérieur ne peuvent servir à éclaircir la chose. Par exemple, quand on dit que le propre du bien c’est d’être ce qui est le plus opposé au mal, on se sert à tort de l’opposé du bien, et le propre du bien n’a pas été bien donné. Si l’on établit la thèse, il faut voir à ne se servir ni d’aucune chose opposée, ni simultanée en nature ni postérieure ; le propre à cet égard sera alors bien donné. Par exemple, quand on donne pour le propre de la science qu’elle est la conception la plus certaine, comme on ne se sert ni d’un terme opposé, ni d’un terme simultané en nature, ni d’un terme postérieur, le propre de la science a été bien donné.

§ 3[251]. Quand on réfute, il faut voir si l’adversaire a donné pour propre ce qui ne suit pas toujours le sujet, mais ce qui cesse quelquefois d’être propre ; car le propre alors ne sera pas bien donné. C’est que la chose à laquelle nous supposons que le propre est attribué n’en reçoit pas toujours nécessairement le nom avec vérité, non plus que la chose à laquelle nous supposons qu’il n’est pas attribué, n’est pas incapable nécessairement de recevoir ce nom. En outre, on peut ajouter qu’on ne sait pas toujours d’une manière très évidente si le propre qui a été donné peut servir d’attribut, puisqu’il est possible que ce propre cesse aussi d’exister. Le propre ne sera donc pas toujours parfaitement clair. Ainsi quand on donne pour propre de l’animal qu’il se meut et qu’il se tient debout, comme on a donné pour propre ce qui cesse quelquefois de l’être, le propre ne serait pas ainsi bien donné. Quand on établit la thèse, il faut avoir soin de donner pour propre ce qui est toujours nécessairement ; car alors le propre à cet égard sera bien donné. Par exemple, quand on donne pour propre de la vertu d’être ce qui fait honnête celui qui la possède, on a donné pour propre ce qui suit toujours la vertu ; donc le propre de la vertu est en ceci bien donné.

§ 4[252]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si en donnant le propre actuel, l’adversaire a oublié de spécifier qu’il ne donne que le propre actuel ; car le propre ne sera point alors bien donné. C’est que d’abord tout ce qui est contre l’ordinaire a besoin d’une explication, et qu’on a coutume habituellement de donner pour propre ce qui accompagne toujours le sujet. En second lieu, c’est qu’on ne se fait pas comprendre, si l’on n’a pas dit qu’on a voulu parler seulement du propre actuel ; car il ne faut pas donner prétexte d’attaque. Par exemple, quand on dit que le propre d’un homme c’est d’être assis avec quelqu’un, comme on ne donne que son propre actuel, on n’a pas bien donné le propre, si on ne l’a pas dit avec restriction que c’est seulement le propre dans le moment actuel. Quand on établit la thèse, il faut avoir le soin, en donnant le propre actuel, de bien spécifier que l’on ne donne que le propre actuel ; car alors le propre en ceci sera bien donné. Par exemple, quand on dit que le propre de tel homme c’est de marcher actuellement en tel endroit, si l’on a fait cette distinction, on a bien donné le propre de cet homme.

§ 5[253]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si l’adversaire a donné un propre qui n’est pas évident autrement que par les sens ; car le propre alors ne sera pas bien donné. C’est que toute chose sensible, une fois en dehors de la sensation, nous échappe, et l’on ne sait plus si elle existe encore, puisqu’on ne peut la reconnaître que par les sens. Cela sera vrai surtout pour les choses qui ne sont pas toujours des conséquences nécessaires du sujet. Par exemple, quand on donne pour le propre du soleil d’être l’astre roulant au-dessus de la terre, et qui est le plus brillant de tous, comme on se sert pour exprimer le propre du mouvement au-dessus de la terre, lequel n’est connu que par les sens, le propre du Soleil n’a pas été bien donné ; car lorsque le soleil se couche, il est incertain s’il roule au-dessus de la terre, puisqu’alors nous n’en avons plus la sensation. Quand on établit la proposition, il faut avoir soin de donner un propre qui n’est pas évident par la sensation seulement, ou bien qui étant sensible est évidemment de toute nécessité à ce sujet ; car alors le propre en ceci sera bien donné. Par exemple, quand l’on a donné pour propre de la surface d’être ce qui est d’abord coloré, on se sert, il est vrai, de quelque terme purement sensible, être coloré ; mais comme cette chose est évidemment toujours au sujet, le propre de la surface aura été bien donné, du moins sous ce rapport.

§ 6[254]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si l’on a donné la définition comme propre ; car alors le propre ne sera pas bien donné. C’est que le propre ne doit pas montrer l’essence ; par exemple, quand on dit que le propre de l’homme c’est d’être un animal terrestre à deux pieds, comme on a donné le propre de l’homme exprimant son essence, le propre de l’homme n’aura pas été bien donné. Quand on établit la thèse, il faut prendre garde de donner un propre qui soit de même étendue que le sujet, mais qui ne montre pas l’essence ; car le propre en soi sera alors bien donné. Par exemple, quand on donne pour propre de l’homme d’être un animal doux par nature, comme on a donné un propre d’étendue égale à celle du sujet, mais qui ne montre pas l’essence du sujet, le propre de l’homme serait alors bien donné sous ce rapport.

§ 7[255]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si l’adversaire n’a point placé le propre dans le genre ; car il faut pour les propres comme pour les définitions donner d’abord le premier genre, et ensuite annexer les autres termes et séparer le sujet de tout le reste ; et le propre qui ne serait pas donné de cette façon ne serait pas bien, donné. Ainsi, en disant que le propre de l’animal c’est d’avoir une âme, comme on n’a pas dit ce qu’est le genre de l’animal, le propre de l’animal ne serait pas bien donné. Quand on établit la thèse, il faut avoir le soin de placer dans le genre ce dont on donne le propre et d’y annexer tout le reste ; car alors le propre sera bien donné ; par exemple, en donnant pour le propre de l’homme, être capable de science, comme on a donné le propre dans le genre, on a bien donné, en ceci, le propre de l’homme.

§ 8[256]. On peut donc voir, de la façon qui précède, si l’on a bien ou mal donné le propre.


{{t3| CHAPITRE IV.}}

Huit lieux pour savoir si le terme donné est propre au sujet ou ne l’est pas.


§ 1[257]. Voici comment on peut voir si ce qu’on a donné pour le propre est absolument propre ou ne l’est pas. Les lieux qui établissent d’une manière absolue que le propre est bien donné, seront les mêmes que ceux qui donnent simplement le propre. Ils seront donc exposés avec ceux-là.

§ 2<ref>Chacune des parties du sujet, chaque espèce du genre dont on prétend donner le propre. — S’il cesse d’être vrai, pour les espèces considérées par rapport au genre, sous le rapport du sujet dont il est question, dont on donne le propre. — Et aussi s’il est vrai, pour les espèces considérées par rapport au genre dont on donne le propre. — Le propre donné sera réellement le propre, Pacius, d’après Sylburge, introduit ici une négation autorisée par quelques manuscrits, mais qui semble contredire le sens : Ce qui a été donné comme n’étant pas le propre sera le propre. J’ai suivi la leçon ordinaire, qu’adopte aussi l’édition de Berlin. — Et que cela est vrai en tant qu’il est homme, c’est-à-dire par rapport au sujet, au genre même dont on prétend donner le propre. — Ce lieu peut encore servir, Pacius voudrait retrancher toute, cette phrase jusqu’à la fin du paragraphe. Je l’ai conservée, avec toutes les éditions, bien, qu’elle ne semble, en effet, qu’une répétition du début du paragraphe suivant. — L’explication, c’est-à-dire le propre ; le nom, c’est-à-dire le sujet dont on donne le propre. J’ai pris le mot explication, au lieu de celui de définition, pour ne point confondre ces lieux avec ceux qui seront donnés dans le livre suivant.</ref>. Il faut d’abord, quand on réfute, examiner chacune des parties du sujet dont on a prétendu donner le propre, et voir, par exemple, si ce propre n’appartient réellement à aucune de ces choses, ou du moins s’il cesse d’être vrai sous le rapport du sujet dont il est question, ou bien s’il cesse d’être le propre de chacune des choses sous le rapport de celle dont on a prétendu donner le propre ; car alors ce qu’on a établi comme le propre ne le sera pas véritablement. Ainsi, pour le géomètre, il n’est pas vrai qu’il soit infaillible dans le raisonnement ; car le géomètre se trompe en traçant des figures inexactes : on ne pourrait donc pas dire que le propre du savant, c’est de ne pas être trompé par le raisonnement. Quand on établit la thèse, au lieu de la réfuter, il faut voir si le propre est vrai pour tous les termes, et aussi s’il est vrai par rapport à celui dont il s’agit ; car le propre donné sera réellement le propre. Par exemple, puisqu’il est vrai de tout : homme que c’est un animal capable de science, et que cela est vrai en tant qu’il est homme, le propre de l’homme serait, d’être un animal capable de science. Ce lieu peut encore servir, d’abord pour réfuter, quand l’explication cesse d’être vraie pour la chose qui reçoit le nom avec vérité, et aussi quand le nom cesse d’être vrai pour la chose qui reçoit l’explication avec vérité : et en second lieu, pour établir la thèse, quand l’explication est vraie pour la chose à laquelle le nom s’applique, et quand le nom est attribué sans erreur à la chose qui reçoit aussi l’explication.

§ 3[258]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si le nom cesse d’être vrai pour la chose qui reçoit l’explication : et réciproquement, si l’explication cesse d’être vraie pour la chose qui reçoit le nom ; car alors ce qu’on a donné pour le propre ne sera pas le propre réellement. Par exemple, comme cette explication : être capable de science, est vraie de Dieu, et qu’homme n’est pas attribué à Dieu, le propre de l’homme n’est point être capable de science. Au contraire, quand on établit la proposition, il faut voir si le nom est attribué là où est attribuée aussi l’explication, et si l’explication est attribuée là où est attribué aussi le nom ; car ce qu’on donne pour n’être pas le propre le sera réellement. Par exemple, puisque le terme animal est vrai pour l’être dont avoir une âme est vrai aussi, et que avoir une âme est vrai pour ce dont le terme animal est vrai, avoir une âme est bien le propre de l’animal.

§ 4<ref>Si l’on a donné le sujet même pour propre de la chose qui est dans le sujet, si l’on a donné à l’attribut qui est dans le sujet le sujet lui-même. — Même de choses différentes d’espèce, parce qu’un même sujet peut avoir plusieurs attributs d’espèce différente ; et s’il devenait le propre de tous ces attributs, une même chose pourrait devenir le propre de plusieurs choses : ce qui contredit l’idée même du propre. — Soient à une même chose, que plusieurs attributs, spécifiquement différents soient à un même sujet. — Comme n’étant pas le propre, Sylburge met la négation entre crochets, c’est-à-dire qu’il propose de la retrancher : et cette leçon pourrait être acceptée, si elle était autorisée par les manuscrits. Sylburge donne aussi, dans le membre de phrase qui suit une variante qui, avec la même garantie, serait très acceptable : Puisque le propre, ainsi qu’on l’a dit, ne s’applique jamais qu’à une seule chose. — À la seule chose, l’édition de Berlin met le pluriel : Aux seules choses dont, etc.; le singulier est préférable.</ref>. Ensuite, pour réfuter, il faut voir si l’on a donné le sujet même pour propre de la chose qui est dans le sujet ; car le propre donné comme tel ne sera pas propre réellement. Par exemple, si l’on a dit que le propre du corps le plus subtil c’est d’être le feu, on a donné le sujet comme propre de l’attribut, et alors le feu ne saurait être le propre du corps le plus subtil. Ainsi, le sujet ne peut pas être le propre de ce qui est dans le sujet, parce qu’alors une même chose serait le propre de plusieurs choses, même de choses différentes d’espèces ; car il se peut que plusieurs choses différentes en espèce soient à une même chose à laquelle seule elles sont attribuées ; et alors le sujet serait le propre de toutes, si l’on pouvait donner ainsi le propre. Quand on établit la proposition, il faut voir si l’on a donné ce qui est dans le sujet pour propre du sujet ; car alors ce qui a été donné comme n’étant pas le propre, sera réellement propre, puisqu’alors il est attribué à la seule chose dont il est dit être le propre. Si, par exemple, quand on dit que le propre de la terre c’est d’être le corps le plus pesant de son espèce, on a donné au sujet un propre qui s’applique uniquement à cette chose, et qu’on la lui attribue comme propre, le propre de la terre a été bien donné.

§ 5[259]. Quand on réfute, il faut voir si l’on a donné le propre en participation ; car ce qu’on aura donné pour propre ne le sera point. En effet, ce qui est en participation est compris dans la définition essentielle de la chose ; et ainsi, le prétendu propre ne serait qu’une différence applicable à telle espèce. Par exemple, si en disant que le propre de l’homme est d’être un animal terrestre à deux pieds, on n’a donné qu’un propre en participation, le propre de l’homme ne serait pas d’être un être animal terrestre à deux pieds. Quand on établit la proposition, il faut voir à ne point donner un propre en participation, ni la définition essentielle de la chose, tout en ayant soin que la chose soit réciproquement attribuée ; car le propre sera ce qu’on aura dit ne pas l’être. Par exemple, si en disant que le propre de l’animal c’est d’être fait pour sentir, on n’a point ainsi donné un propre en participation non plus que la définition essentielle de la chose, la chose étant réciproquement attribuable, le propre de l’animal sera d’être fait naturellement pour sentir.

§ 6[260]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir s’il est impossible que le propre soit en même temps que la chose à laquelle s’applique le nom, puisqu’il ne doit pas lui être postérieur ou antérieur ; car, dans ce cas, ce qu’on a donné pour le propre ne sera pas le propre, soit jamais, soit du moins pas toujours. Par exemple puisqu’il peut appartenir à quelqu’un de marcher dans la place publique, soit avant ou après la qualité d’être homme, marcher dans la place publique ne sera jamais ou du moins ne sera pas toujours le propre de l’homme. Quand on établit la proposition, il faut voir si le terme donné est toujours nécessairement simultané à la chose sans en être d’ailleurs ni la définition ni la différence ; car alors le propre sera ce qu’on a donné comme ne l’étant pas. Par exemple, puisqu’animal susceptible de science est nécessairement toujours en même temps que homme, sans en être cependant ni la définition ni la différence, le propre de l’homme sera animal susceptible de science.

§ 7[261]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si le propre des mêmes choses cesse d’être le même en tant qu’elles sont mêmes : car ce qu’on donne pour le propre ne le sera pas. Par exemple, si le propre de ce qui est à rechercher n’est pas de paraître bon à quelques-uns, le propre de ce qui est à désirer ne sera pas non plus de paraître bon à quelques-uns ; car ce qui est à rechercher et ce qui est à désirer sont une même chose. Mais quand on établit la proposition, il faut voir si le même propre est le propre du même en tant que même ; car le propre sera précisément ce qu’on a donné pour n’être pas le propre. Par exemple, si le propre de l’homme en tant qu’homme est d’avoir une âme divisée en trois parties, le propre du mortel, en tant que mortel, sera aussi d’avoir l’âme divisée en trois parties.

Ce lieu est encore utile pour l’accident ; car pour les mêmes choses en tant que mêmes, il faut que les mêmes accidents soient ou ne soient pas.

§ 8<ref>.— Comme serait… terrestre quadrupède, qui peut s’appliquer à plusieurs espèces, tandis que terrestre bipède ne s’applique qu’à une seule, celle de l’homme.

§ 9. Si l’on discute sophistiquement, par des moyens peu loyaux, comme il l’explique à la fin même du paragraphe. Les distinctions faites dans ce paragraphe, et qui ne conviennent d’ailleurs qu’aux sophistes, reposent toutes sur des nuances un peu subtiles. On peut distinguer le sujet pris absolument du sujet pris avec son accident, et prétendre que le propre de l’un n’est pas le propre de l’autre. On peut dire que le sujet concret n’est pas le même que le sujet abstrait, et que le propre de la science, par exemple, n’est pas bien exactement donné, puisqu’il peut être aussi le propre du savant. On peut chicaner même sur la forme de la phrase, et dire que le savant, la science, par exemple, ne sont pas ce qui, etc., mais celui qui, celle qui, etc.</ref>. Quand on réfute, il faut voir si le propre cesse d’être toujours le même en espèce pour les choses qui en espèce sont les mêmes ; car ce qu’on donne pour le propre ne sera pas le propre du sujet indiqué. Par exemple, comme en espèce l’homme et le cheval sont la même chose, le propre du cheval n’étant pas toujours de se tenir sur lui-même, le propre de l’homme ne sera pas non plus toujours de se mouvoir par lui-même. En effet, se tenir sur soi-même ou se mouvoir par soi-même c’est spécifiquement une même chose ; car ces deux propriétés peuvent appartenir accidentellement à l’un et à l’autre, en tant qu’ils sont l’un et l’autre animal. Quand on établit la proposition, il faut voir si le propre est toujours le même pour les choses qui sont les mêmes en espèce ; car le propre sera précisément ce qu’on donne pour ne pas l’être. Par exemple, puisque le propre de l’homme est d’être animal terrestre bipède, le propre de l’oiseau sera aussi d’être ailé bipède. Chacun d’eux est le même en espèce, en tant que d’une part, deux de ces termes sont espèces sous le même genre, étant tous deux sous l’animal ; et, d’autre part, que les deux autres sont des différences du genre de l’animal. Ce lieu, du reste, est faux lorsque l’un des termes dont il s’agit est à une seule espèce et que l’autre est à plusieurs, comme serait, par exemple, terrestre quadrupède.

§ 9. Du reste, le même et l’autre pouvant être pris dans plusieurs sens, il sera difficile, si l’on discute sophistiquement, de donner le propre d’une seule et unique chose : car le propre qui est à ce qui est un accident, sera aussi à cet accident pris avec le sujet auquel il appartient. Par exemple, ce qui est à l’homme sera aussi à l’homme blanc, en tant que l’homme est blanc, et ce qui est à l’homme blanc sera aussi à l’homme. Or, on pourrait attaquer la plupart de ces propres en prétendant que ce sujet est autre, pris en soi, et autre, pris avec l’accident : par exemple, en prétendant que l’homme est autre, et autre l’homme blanc. On peut encore faire une différence entre la possession et ce qui est dit d’après la possession ; car le propre qui est à la possession sera aussi à ce qui est dit d’après la possession ; et le propre qui est à ce qui est dit d’après la possession sera aussi à la possession. Par exemple, puisque le savant est ainsi nommé relativement à la science, on pourra soutenir que le propre de la science n’est pas d’être inébranlable par le raisonnement ; car le savant sera précisément inébranlable par le raisonnement. Quand on établit la proposition, il faut soutenir qu’il n’y a pas une différence absolue entre le sujet auquel est l’accident, et l’accident pris avec le sujet auquel il est ; mais qu’il n’y a de différence que dans la qualité de leur être ; car l’être n’est pas le même pour l’homme d’être homme, et pour l’homme blanc d’être homme blanc. Il faut regarder même aux cas, en disant, par exemple, que le savant ne sera pas ce qui est inébranlable par le raisonnement ; mais bien celui qui est inébranlable par le raisonnement, et que la science n’est pas ce qui ne peut être ébranlé par le raisonnement, mais bien celle qui ne peut être ébranlée par le raisonnement. C’est, qu’en effet, il faut se défendre avec toutes les armes, quand l’adversaire ne craint pas de les employer toutes sans distinction.


CHAPITRE V.

Douze autres lieux.


§ 1[262]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si en voulant donner un attribut qui est de nature, on a choisi le mot de manière à exprimer que cet attribut est toujours au sujet ; car alors ce qui est donné pour le propre pourrait être réfuté. Par exemple si, en disant que le propre de l’homme est d’être bipède, on a voulu donner un attribut naturel, et exprimer par ce mot un attribut qui est toujours, bipède ne sera pas le propre de l’homme ; car tout homme n’a pas toujours deux pieds. Quand on établit la proposition, il faut voir si l’on peut donner un propre naturel, et si on l’exprime bien aussi de cette façon par le mot qu’on emploie ; car s’il en est ainsi, le propre ne sera point réfuté. Par exemple, si en ayant posé que le propre de l’homme c’est animal susceptible de science, on veut exprimer par cette expression même que c’est le propre qui est naturel à l’homme, le propre ainsi donné ne pourrait pas être réfuté, sous prétexte que le propre de l’homme n’est pas animal capable de science.

§ 2[263]. Il faut ajouter que pour les choses qui ne sont que relativement à une autre prise comme primitif, ou qui sont prises elles-mêmes comme primitifs, il est difficile de donner le propre ; car si on donne le propre de ce qui se rapporte à un autre terme, ce propre sera aussi attribué au primitif ; et s’il l’est au primitif, il le sera aussi à ce qui est relatif au primitif. Par exemple, si l’on donne pour propre de la surface d’être colorée, être coloré sera vrai aussi pour le corps ; et s’il est attribué au corps, il le sera aussi à la surface, de sorte que le nom ne sera pas vrai pour la chose de laquelle cependant l’explication est vraie.

§ 3[264]. Il arrive pour quelques-uns des propres, que le plus souvent l’erreur vient de ce qu’on n’a pas déterminé comment et de quelles choses on entend donner le propre. § 4 Car toujours on essaie de donner pour le propre, ou ce qui est naturel, comme pour l’homme d’être bipède ; ou simplement ce qui est, comme pour tel homme de n’avoir que quatre doigts ; ou ce qui est à l’espèce, comme pour le feu d’être le corps composé des parties les plus légères ; ou on le donne absolument, comme pour l’animal d’être animal ; ou relativement à une autre chose, comme la réflexion pour le propre de l’âme ; ou, en remontant au primitif, comme la réflexion pour la raison ; ou bien, en s’arrêtant à ce que le sujet possède, comme lorsqu’on dit que le propre du savant c’est de n’être pas ébranlé par le raisonnement ; car c’est uniquement parce qu’il possède certaines qualités qu’il est inébranlable à la discussion ; ou bien, en s’arrêtant à la possession que donne le sujet, comme le propre de la science c’est de rendre inébranlable à la discussion ; ou bien encore, en considérant la participation que communique le sujet, comme le propre de l’animal c’est de sentir ; car quelque autre chose encore sent, et l’homme, par exemple ; mais il ne sent aussi que par participation à l’animal ; ou enfin, en considérant la participation que reçoit le sujet, comme être animé est le propre de l’animal. § 5[265]. Si l’on n’ajoute pas que le propre est naturel on se trompe, parce qu’il se peut que le propre naturel ne soit pas réellement à la chose à laquelle il appartient par nature, comme à l’homme d’avoir deux pieds. § 6[266]. Et l’on se trompe encore si l’on ne spécifie pas qu’on donne simplement ce qui est, parce que la chose n’est pas toujours comme elle est maintenant : par exemple, qu’un homme n’ait que quatre doigts ; § 7[267]. si l’on n’a point dit qu’on posé le terme comme primitif ou comme relatif à un autre, parce qu’alors le nom ne sera plus vrai pour la chose de laquelle l’explication est vraie : par exemple, être coloré, soit qu’on l’ait donné pour le propre de la surface ou pour celui du corps. § 8[268]. Si l’on n’a point dit à l’avance que l’on donne le propre parce que le sujet possède ou qu’il est possédé, on se trompe, parce qu’alors le terme donné ne sera pas le propre ; car si l’on donne le propre parce que le terme est possédé, il sera aussi à ce qui possède ; et s’il est à ce qui possède, il sera aussi à ce qui est possédé : par exemple, si l’on a posé pour propre du savant ou de la science d’être inébranlable à la discussion. § 9[269]. On se trompe encore, si l’on n’a point indiqué à l’avance qu’on donne le propre en ce qu’il participe ou en ce qu’il est communiqué, parce que le propre alors sera aussi à quelques autres choses que le sujet ; car si on l’a donné en ce qu’il est communiqué, il sera aux choses qui en participent ; si on l’a donné en ce qu’il participe, usera aux choses dont il participe : par exemple, si l’on donne pour propre de tel animal ou de l’animal d’être animé. § 10[270]. Enfin l’on se trompe, si l’on n’a pas précisé qu’on donne le propre pour l’espèce, parce qu’il pourra n’être qu’à une seule des choses placées sous celle dont on donne le propre : ainsi, ce qui est dit par excellence n’est qu’à une seule chose, comme le plus léger n’appartient qu’au feu.

§ 11[271]. Quelquefois on se trompe encore, même en ajoutant qu’on parle de l’espèce ; car il faudra qu’il n’y ait qu’une seule espèce pour les choses dont il est question, si l’on ajoute, qu’on entend parler de l’espèce. Parfois, pourtant, cela n’a pas lieu pour certaines choses, et par exemple cela n’est pas pour le feu ; car il n’y a pas une espèce unique du feu, puisque scientifiquement le charbon, la flamme, la lumière, sont choses différentes, bien que chacune d’elles cependant soit du feu. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas, quand on ajoute qu’on parle de l’espèce, que l’espèce du sujet en question soit diverse, parce que le propre indiqué sera plus à ces choses-ci et moins à celles-là : ainsi, par exemple, la ténuité extrême donnée pour le propre du feu ; car la lumière est plus ténue que le charbon et que la flamme. Mais il ne faut pas que cela soit, quand le nom n’est pas plus attribué à la chose pour laquelle l’explication est plus vraie ; autrement le nom ne sera pas plus applicable à la chose pour laquelle l’explication est plus exacte. En outre, il arrivera que le propre sera le même et pour le terme qui est pris absolument, et pour celui qui est le superlatif dans cet absolu. Par exemple, l’extrême ténuité donnée pour le propre du feu ; car ce propre sera le même et pour la lumière et pour le feu pris absolument, la lumière étant aussi d’une extrême ténuité. § 12[272]. Quand c’est un autre qui donne ainsi le propre, il faut l’attaquer ; mais il ne faut pas lui laisser le même moyen de réfutation ; il faut, dès qu’on donne le propre, déterminer de quelle manière on entend le donner.

§ 13[273]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si l’on a donné pour propre la chose même à elle-même ; car le propre ne sera point alors ce qui a été donné pour tel ; car toute chose attribuée à elle-même ne fait qu’indiquer l’existence. Mais ce qui démontre l’être n’est pas un propre, mais une définition : par exemple, si en disant que le propre du beau c’est d’être convenable, on a donné la chose elle-même pour le propre de cette chose, comme le beau et le convenable sont une même chose, il s’ensuit que le convenable ne saurait être le propre du : beau. Quand on établit la proposition, il faut voir si, sans donner la chose même pour le propre de cette chose, ou n’a pas pris pour propre un terme d’attribution réciproque ; car le propre sera précisément ce qu’on donne pour n’être point tel. Par exemple, si en disant que le propre de l’animal c’est d’être une substance animée, on n’a point donné pour propre de la chose la chose même, mais si l’on a donné un terme d’attribution réciproque, substance animée sera bien le propre de l’animal.

§ 14[274]. Ensuite, il faut examiner dans les choses à parties semblables, quand on réfute, si le propre du tout n’est pas vrai aussi pour la partie, ou bien si le propre de la partie n’est pas dit aussi pour le tout ; car alors ce qui a été donné pour le propre ne sera pas le propre. Et cela peut fort bien arriver dans quelques cas ; car pour les choses à parties semblables, on peut en donner parfois le propre soit en regardant au tout, soit quelquefois aussi en regardant uniquement à la partie. De l’une ni de l’autre façon, le propre ne sera bien donné : par exemple, si, en regardant au tout, on dit que le propre de la mer c’est d’être la plus grande masse d’eau salée, on a donné cette définition pour le propre d’une chose composée de parties similaires, et l’on a donné ainsi un propre qui n’est pas vrai pour la partie ; car, telle mer n’est pas la plus grande quantité d’eau salée ; le propre de la mer n’est donc pas d’être la plus grande quantité d’eau salée. D’autre part, on n’a regardé qu’à la partie, par exemple, si l’on a donné pour le propre de l’air d’être respirable. On a donné le propre d’une chose à parties similaires, mais on a donné un propre vrai d’un certain air, et qui ne s’applique pas à l’air tout entier ; car tout air n’est pas respirable : ainsi, être respirable n’est pas le propre de l’air. Quand on établit la proposition, il faut voir si l’on peut appliquer à chacune des choses à parties semblables, le propre qui s’applique au tout ; car le propre alors sera précisément ce qu’on aura dit ne point l’être. Par exemple, s’il est vrai pour la terre entière qu’elle soit naturellement portée en bas ; et que cela soit le propre aussi d’une certaine terre relativement au tout, c’est-à-dire relativement à la terre, et en tant qu’elle est terre, le propre de la terre sera bien alors d’être naturellement portée en bas.


{{t3| CHAPITRE VI.}}

Treize lieux tirés des opposés.


§ 1[275]. Ensuite il faut examiner les opposés, et d’abord examiner les contraires. Quand on réfute, il faut voir si le contraire n’est pas le propre du contraire ; car alors le contraire ne le sera pas non plus du contraire. Par exemple, comme la justice est le contraire de l’injustice, et que le pire est le contraire du meilleur, si le propre de la justice n’est pas le meilleur, le propre de l’injustice ne sera pas non plus le pire.

§ 2 Quand on établit la proposition, il faut voir si le contraire est le propre du contraire ; car le contraire sera le propre du contraire : par exemple, le mal étant le contraire du bien, et le désirable le contraire du haïssable, si le désirable est le propre du bien, le haïssable sera le propre du mal.

§ 3[276]. En second lieu, il faut examiner les relatifs. Quand on réfute, si le relatif n’est pas le propre du relatif, le relatif en question ne sera pas non plus le propre du relatif en question : par exemple, le double étant le relatif de la moitié, et le surpassant du surpassé, le surpassé ne sera pas le propre de la moitié, si le surpassant n’est pas le propre du double. § 4 Quand on établit la proposition, il faut voir si le relatif est le propre du relatif ; car le relatif en question sera le propre du relatif en question : par exemple, si le double est relativement à la moitié comme deux est à un, le propre du double étant d’être comme deux est à un, le propre de la moitié sera d’être comme un est à deux.

§ 5[277]. Troisièmement, quand on réfute, il faut voir si le terme tiré de la possession n’est pas le propre de la possession ; car le terme tiré de la privation ne sera pas non plus le propre de la privation. Et si ce qui est nommé d’après la privation n’est pas le propre de la privation, ce qui est nommé d’après la possession ne sera pas non plus le propre de la possession. Par exemple, puisqu’on ne dit pas que le propre de la surdité soit l’insensibilité, attendu que ce terme est commun aussi à d’autres choses, on ne dira pas non plus que le propre de l’ouïe c’est la sensibilité. § 6 Quand on établit la proposition, il faut voir si le propre de la possession est le terme tiré de la possession ; car le propre de la privation sera le terme tiré de la privation. Et si le propre de la privation est ce qui est nommé d’après la privation, le propre de la possession sera aussi ce qui est nommé d’après la possession. Par exemple, puisque le propre de la vue c’est de voir, en tant que nous avons la vue, le propre de l’aveuglement sera de ne pas voir en tant que nous n’avons pas la vue, bien que par nature nous dussions l’avoir.

§ 7[278]. Ensuite, il faut examiner les affirmations et les négations, et d’abord les choses mêmes attribuées. Ce lieu n’est utile que quand on réfute. Par exemple, il faut voir si l’affirmation ou ce qui est dit par affirmation est le propre des choses ; car alors ce ne sera ni la négation ni ce qui est dit par négation qui en sera le propre. Et si la négation ou ce qui est dit par négation en est le propre, l’affirmation ou ce qui est dit par affirmation n’en sera pas le propre : par exemple, si l’animé est le propre de l’animal, le non animé ne sera pas le propre de l’animal. § 8[279]. En second lieu, il faut examiner les choses attribuées ou non attribuées, et aussi les choses auxquelles elles sont attribuées ou ne sont pas attribuées. Quand on réfute, si l’affirmation n’est pas le propre de l’affirmation, la négation alors ne sera pas le propre de la négation ; et si la négation n’est pas le propre de la négation, l’affirmation ne sera pas le propre de l’affirmation. Par exemple, comme le propre de l’homme n’est pas animal, le non-animal ne serait pas non plus le propre du non-homme ; et si le non-animal ne paraît pas le propre du non-homme, l’animal ne sera pas non plus le propre de l’homme. § 9 Quand on établit la proposition, si l’affirmation est le propre de l’affirmation, la négation sera le propre de la négation ; et si la négation est le propre de la négation, l’affirmation sera le propre de l’affirmation. Par exemple si le non-vivre est le propre du non-animal, le propre de l’animal sera de vivre ; et si vivre paraît le propre de l’animal, le non-vivre paraîtra aussi le propre du non-animal. § 10[280]. En troisième lieu, il faut examiner les sujets eux-mêmes. Quand on réfute, si le propre donné est le propre de l’affirmation, le même terme ne sera pas, en outre, le propre de la négation ; et si le terme donné est le propre de la négation, il ne sera pas le propre de l’affirmation : par exemple, si l’animé est le propre de l’animal, l’animé ne sera pas le propre du non-animal. § 11[281]. Quand on établit la proposition, si le propre donné n’est pas celui de l’affirmation, il le sera de la négation. Mais ce lieu est faux ; car l’affirmation n’est pas le propre de la négation, ni la négation le propre de l’affirmation : l’affirmation, en effet, n’est pas du tout dans la négation ; la négation est bien de son côté dans l’affirmation, mais elle n’y est pas comme propre.

§ 12<ref> Comprises dans une même division, qui forment les deux membres opposés d’une division, comme dans la méthode platonicienne : l’animal est mortel ou immortel ; le mortel est raisonnable on irraisonnable, etc. — Aucune des choses subdivisées… d’une des autres choses subdivisées, il faut supposer ici, comme le prouve l’exemple même qui suit, quatre termes, qui sont deux a deux les membres d’une division : si le premier n’est pas le propre du troisième, le second ne le sera pas du quatrième ; et réciproquement pour la négation d’abord. — Être sensible, les quatre termes sont ici : sensible, intelligible, membres d’une même division ; mortel, divinité, membres d’une autre division.</ref>. Ensuite il faut examiner les choses comprises dans une même division. Quand on réfute, si aucune des choses subdivisées n’est le propre d’une des autres choses subdivisées, c’est que le propre donné ne sera pas le propre de ce dont on le donne pour propre. Par exemple, si être sensible n’est le propre d’aucun des êtres mortels, être intelligible ne sera pas le propre de la divinité. § 13[282]. Quand on établit la proposition, si un terme quelconque indiqué est le propre du reste des choses comprises sous la division, en admettant que chacun des termes subdivisés ait un propre parmi les autres termes, le reste sera le propre du reste dont on prétend qu’il n’est pas le propre. Par exemple, si le propre de la réflexion c’est d’être, par elle-même et naturellement, la vertu de la partie raisonnable dans l’homme, et qu’on prenne de même chacune des autres vertus, le propre de la tempérance sera d’être par elle-même et naturellement la vertu de la partie concupiscible.


{{t3| CHAPITRE VIΙ.}}

Six autres lieux.


§ 1[283]. Il faut ensuite voir aux cas. Quand on réfute, il faut examiner si le cas n’est pas le propre du cas ; car alors l’autre cas ne saurait être le propre de l’autre cas : par exemple, si le bien n’est pas le propre du justement, le bon ne sera pas non plus le propre du juste. § 2[284]. Il faut voir, quand on établit la proposition, si le cas est le propre du cas ; car alors l’autre cas sera le propre de l’autre cas : par exemple, si terrestre bipède est le propre de l’homme, on peut dire que ce qui est propre à l’homme c’est d’être dit terrestre bipède.

§ 3[285]. Mais il ne faut pas seulement regarder aux cas pour la chose en question, il faut aussi regarder aux opposés, comme on l’a dit pour les lieux antérieurs. § 4 Quand on réfute, il faut donc voir si le cas de l’opposé n’est pas le propre du cas de l’opposé ; car le cas de l’autre opposé ne sera pas non plus le propre du cas de l’autre opposé. Par exemple, si bien n’est pas le propre de justement, mal ne sera pas non plus le propre d’injustement. §  5 Quand on établit la proposition, il faut voir si le cas de l’opposé est le propre du cas de l’opposé ; car alors le cas de l’autre opposé sera le propre du cas de l’autre opposé : par exemple, si le meilleur est le propre du bien, le pire sera le propre du mal.

§ 6[286]. Il faut regarder aussi aux choses semblables. Quand on réfute, il faut voir si ce qui est semblable n’est pas le propre du semblable ; car alors le terme semblable en question ne sera pas le propre de l’autre terme semblable. Par exemple, l’architecte étant dans une position semblable relativement à la construction de la maison que le médecin relativement au recouvrement de la santé, si le propre du médecin n’est pas de faire recouvrer la santé, le propre de l’architecte ne sera pas de faire construire une maison. § 7 Quand on établit la proposition, il faut voir si ce qui est semblable est le propre de ce qui est semblable ; car alors l’autre terme semblable sera le propre de l’autre terme semblable. Par exemple, si le médecin est à celui qui fait la santé comme le gymnaste est à celui qui fait l’embonpoint, et que le propre du gymnaste soit d’être celui qui fait l’embonpoint, le propre du médecin sera d’être celui qui fait la santé.

§ 8<ref>Les choses qui sont de même façon, il faut distinguer ce lieu de celui qui précède, en ce qu’ici il y a trois termes au lieu de quatre, comme le montre l’exemple cite. Ainsi, un même terme est attribut de deux sujets, ou sujet de deux attributs. — Il faut voir si ce qui est de la même façon, si le sujet qui est dans le même rapport avec deux attributs, ou l’attribut qui est dans le même rapport avec deux sujets. — De ce qui est de la même façon, c’est là ce que dit exactement le texte ; mais l’expression est trop concise, et par cela même elle est obscure ; il faudrait dire : De ce relativement à quoi il est de la même façon. C’est dans ce sens que traduit Niphus : et il a raison. — Car alors l’autre terme qui est de la même façon, l’autre sujet de l’autre attribut, qui soutient le même rapport que le premier. — Par exemple, Pacius croit que cet exemple est une interpolation, parce qu’il pense qu’Aristote, après avoir annoncé un attribut en rapport avec deux sujets, dans la règle posée, compare, dans l’exemple qui la doit confirmer, deux attributs à un sujet. Pacius allègue en sa faveur la très-grande autorité d’Alexandre, qui croit aussi que ce passage est altéré. Nos manuscrits ne nous donnent aucune variante. Il me semble que les expressions d’Aristote, vagues comme elles le sont, prêtent également bien à deux sens : on peut entendre qu’il s’agit tout aussi bien de deux sujets pour un attribut, comme le veut Pacius, que de deux attributs pour un sujet, comme le veut ou paraît le vouloir l’exemple. Cet exemple, pris au sens le plus simple, est fort clair : La pensée est la science du bien ; elle est la science du mal. Si l’on dit que le propre de la pensée n’est pas d’être la science du bien, il faudra dire aussi, puisque le rapport est le même, que le propre de la pensée n’est pas non plus d’être, la science du mal ; et si, d’autre part, on soutient qu’elle est la science du bien, il s’ensuit qu’elle n’est pas la science du mal, puisque le mal est le contraire du bien. Il faut donc supposer ici que les attributs sont contraires.</ref>. Il faut étudier enfin les choses qui sont de même façon. Quand on réfute, il faut voir si ce qui est de la même façon n’est pas le propre de ce qui est de la même façon ; car alors l’autre terme qui est de la même façon ne sera pas le propre de l’autre terme qui est de la même façon. Et si ce qui est de la même façon est le propre de ce qui est de la même façon, il ne sera pas le propre de ce dont on le prétend le propre. Par exemple, si la pensée est dans un même rapport au bien et au mal parce qu’elle est la science de l’un et de l’autre, et que le propre de la pensée ne soit pas d’être la science du bien, le propre de la pensée ne sera pas non plus d’être la science du mal. Si, au contraire, le propre de la pensée est d’être la science du bien, le propre de la pensée ne sera pas d’être là science du mal ; car il est impossible qu’une même chose soit le propre de plusieurs. § 9[287]. Mais ce lieu n’est d’aucune utilité quand on établit la proposition ; car ce qui est de la même façon peut fort bien se comparer lui tout seul à plusieurs choses.

§ 10[288]. Ensuite, quand on réfute, il faut voir si ce qui est dit pour l’être simple n’est pas le propre de ce qui est dit pour l’être simple ; car le périr ne sera pas non plus le propre de ce qui est dit pour le périr, non plus que le devenir de ce qui est dit pour le devenir. Par exemple, si être animal n’est pas le propre de l’homme, devenir animal ne sera pas le propre du devenir homme, et l’animal périme sera pas non plus le propre de l’homme périr. Il faut procéder de la même manière pour le devenir relativement à l’être et au périr, et pour le périr relativement à l’être et au devenir, ainsi qu’on l’a dit ici de l’être pour le devenir et le périr. § 11[289]. Quand on établit la proposition, il faut voir si le propre du terme relatif à l’être est bien aussi ce qui est relatif à l’être ; car alors le propre de ce qui est relatif au devenir sera aussi ce qui est relatif au devenir, et au périr ce qui est rapporté au périr. Par exemple, si le propre de l’homme est d’être mortel, le propre du devenir homme sera de devenir mortel, et de l’homme périr, le mortel périr. Il faut, du reste, procéder de la même manière pour le devenir et le périr relativement à l’être, et pour les choses qui deviennent les unes par les autres, ainsi qu’on l’a dit pour le cas où l’on réfute.

§ 12[290]. Il faut aussi regarder à l’idée du sujet. Quand on réfute, il faut voir si le propre n’est pas à l’idée, οu du moins s’il n’y est pas dans le sens applicable à l’objet dont on donne le propre ; car ce qu’on donne pour le propre ne le sera pas. Par exemple, si être en repos est non pas à l’homme lui-même, en tant qu’il est homme, mais seulement en tant qu’il est idée, le repos ne sera pas le propre de l’homme. § 13[291]. Quand on établit la proposition, il faut voir si le propre est à l’idée, et s’il y est de la façon qu’il est dit être à cette chose dont on soutient qu’il n’est pas le propre ; car, alors ce qu’on donne pour n’être pas le propre sera le propre. Par exemple, s’il appartient à l’animal en soi d’être composé d’âme et de corps, et que cela soit à l’animal en tant qu’animal, le propre de l’animal serait alors d’être composé d’âme et de corps.


{{t3| CHAPITRE VIII.}}

Sept autres lieux tirés du plus et du moins.


§ 1[292]. Il faut aussi regarder au plus et au moins. D’abord on réfute, si plus n’est pas le propre de plus ; car alors moins ne sera pas non plus le propre de moins, ni le moins du moins, ni le plus du plus, ni le terme absolu du terme absolu. Par exemple, si être plus coloré n’est pas le propre de ce qui est plus corps, être moins coloré ne sera pas davantage le propre de ce qui est moins corps, ni être coloré simplement ne le fera point de ce qui est simplement corps. § 2[293]. On établit la proposition, si plus est le propre de plus ; car alors moins sera le propre de moins, et le moins du moins, et le plus du plus, et le terme absolu du terme absolu. Par exemple, si plus sentir est le propre de ce qui est plus vivant, moins sentir sera le propre de ce qui est moins vivant, et le plus du plus, et le moins du moins, et sentir absolument sera le propre de vivre absolument.

§ 3[294]. Il faut comparer aussi les termes pris absolument aux mêmes termes pris en plus et en moins. On réfute si le terme absolu n’est pas le propre du terme absolu ; car alors plus ne le sera pas de plus, ni moins de moins, ni le plus du plus, ni le moins du moins. Par exemple, si vertueux n’est pas le propre de l’homme, plus vertueux ne sera pas davantage le propre de ce qui est plus homme. § 4 On établit la proposition, si le terme absolu est le propre du terme absolu ; car alors plus sera le propre de plus, moins de moins, le moins du moins, et le plus du plus. Par exemple, si le propre du feu est d’être naturellement porté en haut, le propre de ce qui est plus feu sera d’être naturellement plus porté en haut. § 5[295]. Il faut, du reste, appliquer les mêmes considérations de l’un de ces termes à tous les autres.

§ 6[296]. En second lieu, on réfute si plus n’est pas le propre de plus ; car alors moins ne sera pas le propre de moins : et si, par exemple, sentir est plus le propre de l’animal, que savoir n’est le propre de l’homme, et que sentir ne soit pas le propre de l’animal, le propre de l’homme ne sera pas non plus de savoir. § 7 On établit la proposition, si moins est le propre de moins ; car alors, plus sera le propre de plus. Par exemple, si doux par nature est moins le propre de l’homme que vivre n’est celui de l’animal, et que le propre de l’homme soit d’être doux par nature, le propre de l’animal sera de vivre.

§ 8[297]. Troisièmement, on réfute si le propre ne s’applique pas à la chose dont on dit qu’il est plus le propre ; car alors le propre donné comme étant moins le propre ne le sera pas davantage, et s’il est le propre de l’un des termes, il ne le sera pas de l’autre. En effet, si être coloré est plus le propre de la surface que du corps, et qu’il ne le soit pas de la surface, être coloré ne sera pas le propre du corps ; et si c’est le propre de la surface, ce ne sera pas le propre du corps. § 9 Ce lieu, du reste, n’est pas utile quand on établit la proposition ; car il est impossible qu’une même chose soit le propre de plusieurs.

§ 10[298]. En quatrième lieu, on réfute, si ce qu’on donne pour être plus propre à la chose ne l’est pas ; car alors ce qui est donné pour être moins propre ne sera pas non plus le propre. Par exemple, sensible étant plus le propre de l’animal que divisible, si sensible n’est pas le propre de l’animal, divisible ne sera pas le propre de l’animal. § 11[299]. On établit la proposition, si ce qui est dit moins propre à la chose en est le propre ; car alors, ce qui est plus propre à la chose sera le propre. Par exemple, si sentir est moins propre à l’animal que vivre, et que sentir soit le propre de l’animal, vivre sera le propre de l’animal.

§ 12[300]. Ensuite, il faut étudier les propres qui sont également aux choses. On réfute si ce qui est dit également propre n’est pas le propre de ce dont on le dit également le propre ; car ce qui est également le propre ne sera pas le propre de ce dont il est dit également le propre. Par exemple, si le propre est également pour le désir de désirer et pour la raison de raisonner, et que le propre du désir ne soit pas de désirer, le propre de la raison ne sera pas de raisonner. § 13 On établit la proposition, si ce qui est dit également propre est bien le propre de la chose dont on le dit également le propre ; car alors, ce qui est également propre sera le propre de ce dont on le dit également le propre. Par exemple, si le principe raisonnant est le propre de la raison tout aussi bien que le principe sage l’est du désir, et que le principe raisonnant soit le propre de la raison, le principe sage sera aussi le propre du désir.

§ 14[301]. En second lieu, on réfute si ce qui est également propre n’est pas le propre de la chose ; car ce qui est également propre à l’autre terme n’en sera pas le propre. Par exemple, si voir et entendre sont également le propre de l’homme, et que voir ne soit pas le propre de l’homme, entendre ne sera pas non plus le propre de l’homme. § 15[302]. On établit la proposition, si ce qui est également le propre de la chose en est bien le propre ; car alors, ce qui est également le propre de l’autre chose en sera aussi le propre. Par exemple, si le propre de l’âme est qu’une de ses parties soit animée de désirs et que l’autre ait essentiellement la raison, et qu’il soit propre à l’âme qu’une de ses parties soit animée de désirs, le propre de l’âme sera qu’une de ses parties soit essentiellement raisonnable.

§ 16[303]. Troisièmement, on réfute, si le propre n’est pas le propre de ce dont on le dit également le propre ; car alors il ne sera pas le propre de l’autre terme dont on le dit également le propre. S’il est le propre de l’un, il ne sera pas le propre de l’autre : par exemple, si brûler est également le propre de la flamme et du charbon, et que brûler ne soit pas le propre de la flamme, brûler ne sera pas non plus le propre du charbon ; et si c’est le propre de la flamme, ce ne pourra pas être le propre du charbon. § 17[304]. Quand on établit la proposition, ce lieu n’a pas d’utilité.

§ 18[305]. Le lieu tiré des propres qui sont dans un rapport égal, diffère de celui qui est tiré des propres qui sont également au sujet, en ce que l’un est pris par analogie sans considération de ce qui est réellement dans le sujet, tandis que l’autre tire sa comparaison de quelque chose de réel dans le sujet.


{{t3| CHAPITRE IX.}}

Deux derniers lieux du propre tirés : 1° de la puissance. 2° de l’excès.


§ 1[306]. Ensuite on réfute, si en donnant le propre en puissance, on a donné le propre en puissance même pour le non-être, la puissance ne pouvant être à ce qui n’est pas ; car ce qu’on donne pour le propre ne sera pas le propre. Si, par exemple, en disant que le propre de l’air c’est d’être respirable, on a donné le propre en puissance, car une chose qui est susceptible d’être respirée est respirable, on a donné le propre, même pour ce qui n’est pas ; car, en l’absence de l’animal qui est fait naturellement pour respirer l’air, il peut y avoir de l’air encore. Mais cependant, s’il n’y a pas d’animal, l’air ne peut pas être respiré. Donc, le propre de l’air ne sera pas d’être tel qu’il puisse être respiré, toutes les fois qu’il n’y aura pas d’animal tel qu’il puisse le respirer : donc, respirable ne sera pas le propre de l’air.

§ 2 On établit la proposition, si en donnant le propre en puissance on le donne, soit pour ce qui est, soit pour ce qui n’est pas, la puissance pouvant être aussi à ce qui n’est pas ; car le propre sera précisément ce qu’on donne pour n’être pas le propre. Par exemple, si on a donné pour propre de ce qui est d’être capable d’agir ou de souffrir, tout en ayant donné le propre en puissance on a donné le propre pour l’être ; car du moment que l’être existe, il sera capable aussi d’agir ou de souffrir, de sorte que le propre de l’être sera d’être capable de souffrir ou d’agir.

§ 3[307]. Ensuite on réfute, si l’on a placé le propre dans l’excès ; car ce qu’on a donné pour le propre ne le sera point : il arrive en effet que quand on donne ainsi le propre, le nom n’est pas vrai là où l’explication l’est cependant. Ainsi, la chose étant détruite, l’explication n’en subsistera pas moins ; car elle est toujours en excès à quelqu’une des choses existantes. Par exemple, si l’on a donné pour propre du feu d’être le corps le plus léger, le feu aura beau être détruit, il restera toujours quelque corps qui sera le plus léger de tous, de sorte que le corps le plus léger ne serait pas le propre du feu.

§ 4[308]. On établit la proposition, si l’on n’a point placé le propre dans l’excès ; car le propre sera alors bien donné à cet égard. Par exemple, si ayant donné pour propre de l’homme, animal doux par nature, on n’a point donné le propre par excès, le propre sera du moins à cet égard convenablement donné.

LIVRE SIXIÈME.


LIVRE SIXIÈME.


LIEUX COMMUNS DE LA DÉFINITION.


CHAPITRE PREMIER.

Division de l’étude des lieux de la définition en cinq parties ; énumération de ces parties.


§ 1[309]. L’étude des définitions a cinq parties ; ou bien il n’est pas du tout vrai d’appliquer la définition à la chose qui reçoit le nom ; et, par exemple, il faut que la définition de l’homme aille à tout homme sans exception ; ou bien quoiqu’il y ait un genre, on n’a point placé la chose dans le genre, ou du moins on ne l’a point placée dans le genre convenable ; car il faut, quand on définit, placer la chose dans le genre, et n’y ajouter qu’ensuite les différences qui s’y rapportent ; et de tous les éléments qui entrent dans la définition, c’est surtout le genre qui pourrait indiquer l’essence de la chose définie ; ou bien la définition n’est pas spéciale au défini ; car il faut que la définition soit spéciale au défini, ainsi qu’on l’a dit auparavant ; ou bien, si ayant rempli toutes les conditions indiquées, on n’a point dit ni déterminé l’essence de la chose définie ; ou bien enfin, outre tous ces défauts, on peut, tout en ayant défini la chose, l’avoir cependant mal définie.

§ 2[310]. Si donc, pour la chose à laquelle on applique le nom, la définition n’est pas vraie, il faut regarder aux lieux donnés pour l’accident ; car, sur ce sujet, toute recherche consiste à savoir si l’accident est vrai ou s’il ne l’est pas. En effet, lorsque nous prouvons que l’accident est à la chose, nous disons qu’il est vrai, et quand nous prouvons qu’il n’y est pas, nous disons qu’il n’est pu vrai. § 3[311]. Si on n’a pas placé le défini dans le genre spécial, ou bien si la définition donnée n’est pas la définition spéciale, il faut regarder aux lieux expliqués pour le genre et pour le propre.

§ 4[312]. Il nous reste donc à dire comment on peut reconnaître si l’on a bien ou mal défini.

§ 5[313]. Il faut voir d’abord si l’on n’a pas bien défini ; car il est plus facile de faire d’une façon quelconque que de faire bien. Il est donc évident qu’en cela l’erreur est plus fréquente, puisque la chose est plus difficile, en sorte que l’argumentation pour le second point est plus facile que pour le premier.

§ 6 La définition n’a pas été bien donnée pour deux motifs : l’un, parce qu’on a employé une expression obscure ; or, il faut, quand on définit, prendre l’expression la plus claire possible, puisque la définition n’est donnée que pour faire comprendre les choses. En second lieu, la définition peut être mauvaise, parce qu’on a donné plus qu’il ne fallait ; car tout ce qui est en trop dans la définition est inutile.

§ 7 Et, de plus, chacun des défauts que nous venons de dire peut se diviser en plusieurs espèces.


{{t3| CHAPITRE II.}}

Causes diverses de l’obscurité de la définition.


§ 1[314]. Il y a donc un premier lieu sur l’obscurité de la définition, si le mot employé est homonyme à quelque autre. Par exemple, si l’on dit que la génération est un acheminement à la substance, ou bien que la santé est un juste équilibre des éléments chauds et froids ; car l’acheminement et le juste équilibre sont des mots homonymes : on ne sait donc pas clairement lequel des sens exprimés par le mot à significations multiples on prétend désigner. § 2[315]. Et de même, si l’on n’a point fait de division dans le cas où le défini a plusieurs sens ; car alors on ne sait duquel de ces sens on a donné la définition, et l’adversaire petit alors chicaner en disant que l’explication ne s’applique pas à tout ce dont on a donné la définition. § 3 C’est là surtout ce que l’adversaire peut faire quand l’homonymie est cachée. Mais d’un autre côté, on peut faire soi-même le syllogisme en avant soin d’indiquer en combien de sens est prise la chose dont on donne la définition ; car si l’on n’a rien donné de suffisant pour aucun des sens divers, il est évident qu’on n’aura point non plus défini d’une manière convenable.

§ 4[316]. Un autre lieu, c’est quand on s’est servi de la métaphore : par exemple, quand on a dit que la science était inébranlable, que la terre était nourrice, que la sagesse était une harmonie. En effet, tout ce qui est dit par métaphore est obscur ; et l’on peut, quand l’adversaire emploie une métaphore, le chicaner, et prétendre qu’il ne s’est pas servi des mots au propre ; car la définition donnée ne conviendra pas. Et, par exemple, celle de la sagesse : ainsi, toute harmonie est dans les sons ; de plus, si l’harmonie est le genre de la sagesse, la même chose sera tout à la fois dans deux genres qui ne se comprennent pas l’un l’autre ; car l’harmonie ne contient pas la vertu, pas plus que la vertu ne contient l’harmonie.

§ 5[317]. Il faut voir encore si l’adversaire fait usage de mots inusités : par exemple, Platon disant de l’œil qu’il est ophryosquie, ou de la tarentule qu’elle est sepsidace, ou de la moelle qu’elle est ostéogène. Tout mot qui n’est pas habituel est obscur.

§ 6[318]. Il y a d’autres expressions qui ne sont prises ni par homonymie, ni par métaphore, ni au propre : par exemple, quand on dit de la loi qu’elle est l’image ou la mesure des choses justes par nature. Tout ceci, du reste, est plus défectueux que la métaphore. La métaphore, du moins, rend un peu notoire la chose qu’elle désigne par la ressemblance quelle établit ; car toutes les fois qu’on se sert de la métaphore, on la fait toujours en vue de quelque ressemblance. Mais cette autre forme d’expression ne fait rien connaître : car il n’y a point ici de ressemblance d’après laquelle la loi est mesure ou image, pas plus qu’elle n’est prise proprement et ordinairement en ce sens, de sorte que si l’on dit absolument que la loi est mesure ou image, l’on se trompe : l’image, en effet, est ce dont la production a lieu par imitation ; et cela n’est pas du tout le cas de la loi. Si on ne prend pas cette expression absolument, il est évident qu’on s’est expliqué obscurément, et qu’on emploie une expression moins bonne que toutes les métaphores.

§ 7 Il faut voir en outre si la définition du contraire n’est pas parfaitement claire d’après ce qui est dit ; car les définitions bien données expliquent aussi les contraires. § 8 Il faut voir enfin si la définition donnée n’indique pas avec évidence de quel objet elle est la définition ; mais si comme pour les peintures des anciens artistes, il est impossible d’y rien connaître si l’on n’a le soin d’écrire au-dessous ce que ce peut être.

§ 9[319]. Si donc on n’a pas défini clairement, voilà comment on peut le reconnaître.


{{t3| CHAPITRE III.}}

La définition peut être trop étendue pour diverses causes : énumération de ces causes.


§ 1[320]. Si l’on a donné une définition trop étendue, il faut voir, d’abord, si l’on s’est servi d’un terme qui s’applique à tout, soit à tous les êtres absolument, soit à des choses qui sont comprises sous le même genre que le défini ; car nécessairement ce terme sera trop étendu. C’est, qu’en effet, il faut que le genre sépare le défini des autres choses, et que la différence le sépare de l’une des autres choses comprises dans le même genre. Mais l’attribut qui est à tout ce qui est simplement ne sépare de rien ; et celui qui s’applique à tout ce qui est du même genre, ne sépare pas de ce qui est dans le genre, de sorte que l’addition de cet attribut est tout à fait inutile.

§ 2[321]. Ou bien, il faut voir si l’attribut ajouté est propre au défini, de telle façon que si on l’enlève, la définition n’en reste pas moins propre, et n’exprime pas moins l’essence de la chose. Par exemple, dans la définition de l’homme, la qualité ajoutée : susceptible de science, est inutile ; car en l’enlevant, le reste de la définition est encore propre à l’homme et exprime son essence. En un mot, on doit regarder comme inutile tout ce qui, étant enlevé, n’en laisse pas moins le défini parfaitement clair. Telle est la définition de l’âme, si l’on dit qu’elle est un nombre se mouvant de lui-même ; car ce qui se meut soi-même est précisément la même chose que l’âme, comme l’a défini Platon. Est-ce que le terme indiqué ici est tellement propre que la définition cesse d’exprimer l’essence si le mot de nombre est enlevé ? Il est difficile d’expliquer nettement ce qui en est. Il faut, du reste, se servir de ce lieu dans tous les cas analogues, selon que cela est utile. Par exemple, supposons que la définition du phlegme soit l’humide primitif, venant de la nourriture sans coction. Or, le primitif est unique et ne peut être plusieurs, ainsi cette addition de mot : sans coction, est inutile ; et en l’ôtant, le reste de la définition n’en sera pas moins propre au défini. En effet, il ne peut pas provenir de la nourriture primitivement ce produit et un autre encore. Ou bien, est-ce que le phlegme n’est pas absolument le primitif provenant de la nourriture ? est-ce qu’il est seulement le primitif des produits sans coction, de telle sorte qu’il faille ajouter sans coction ? En s’exprimant de cette façon, la définition n’est pas vraie ; car le phlegme n’est pas le primitif le tous les produits venus de la nourriture.

§ 3[322]. Il faut voir de plus si l’un des éléments mis dans la définition cesse d’être à tous les objets compris sous la même espèce ; car alors on définit encore plus mal qu’en prenant un attribut applicable à tous les êtres existants. En effet, de cette façon, si le reste de la définition est propre au défini, la définition tout entière lui sera propre aussi, parce qu’en ajoutant au propre un attribut vrai, quel qu’il soit, la totalité de la définition n’en reste pas moins propre. Mais du moment que l’un des éléments admis dans la définition n’est pas applicable à tout ce qui est sous la même espèce, il est impossible que la définition tout entière soit propre au défini ; car elle ne pourra pas être prise réciproquement pour la chose. Par exemple, si la définition de l’homme est animal terrestre bipède haut de quatre coudées, cette définition ne peut être prise réciproquement pour la chose, parce que cet attribut : haut de quatre coudées, n’est pas à tous les êtres placées sous la même espèce.

§ 4[323]. Il faut voir, en outre, si l’on n’a point répété la même chose plusieurs fois : par exemple, en disant que le désir est l’appétit de ce qui est agréable ; car tout désir s’applique à ce qui est agréable. Il s’ensuit que ce qui est identique au désir s’applique aussi à l’agréable, et par là, la définition du désir devient l’appétit de l’agréable de l’agréable ; car il n’y a pas de différence à dire le désir ou l’appétit de l’agréable ; et chacune de ces expressions s’applique également à l’agréable. Mais peut-être n’y a-t-il rien là d’absurde. L’homme, en effet, est bipède, et ce qui est identique à l’homme est bipède : or, animal terrestre bipède est identique à l’homme : donc l’animal terrestre bipède est bipède. Mais il n’y a rien là d’absurde ; et le bipède n’est pas attribué deux fois à l’animal terrestre ; car alors bipède serait attribué deux fois à la même chose ; mais le bipède est dit de l’animal terrestre bipède, de sorte que le bipède n’est attribué qu’une seule fois. Et de même pour le désir ; car s’appliquer à l’agréable n’est pas attribué à l’appétit, mais à la totalité ; de sorte que l’attribution ne vient ici qu’une seule fois. Ce n’est pas une absurdité du reste de répéter deux fois le même mot ; mais seulement il est absurde d’attribuer la même chose plusieurs fois à une même chose. C’est ainsi que Xénocrate prétend que la réflexion est la faculté qui définit et qui observe les êtres. La définition ici est déjà une sorte d’observation, de sorte qu’en ajoutant : Et qui observe, il dit deux fois la même chose. Et de même encore, ceux qui prétendent que le refroidissement est la privation de la chaleur naturelle ; car toute privation s’applique à ce qui est naturel, donc il est inutile d’ajouter : naturelle ; mais il suffit de dire privation de la chaleur, puisque la privation elle-même indique assez qu’il s’agit d’une chose naturelle.

§ 5[324]. Il faut voir, d’autre part, si, le terme étant universel, on n’y ajoute point aussi un terme particulier : et, par exemple, si on appelle la modération une concession sur des choses utiles et justes ; car le juste est quelque chose d’utile, de sorte qu’il est compris dans l’utile. Ainsi le juste est ici superflu, parce qu’on a ajouté un terme particulier tout en employant le terme universel. Par exemple encore, si l’on a dit que la science médicale est la science de ce qui est sain pour l’animal et pour l’homme, ou bien que la loi est l’image des choses belles et justes par nature ; car le juste déjà est quelque chose de beau ; de sorte que la même chose est ici répétée plusieurs fois.

§ 6 C’est donc par ces moyens ou des moyens analogues qu’on verra si l’on a bien ou mal défini.


CHAPITRE IV.

Deux lieux pour savoir si l’on a réellement défini.


§ 1[325]. Voici maintenant comment l’on verra si l’on a ou si l’on n’a pas indiqué et défini l’essence de la chose :

§ 2[326]. D’abord, il faut voir si l’on a fait la définition par les choses antérieures et plus connues. En effet, puisque la définition n’est donnée que pour faire connaître le défini, et que nous le connaissons, non par des choses quelconques, mais par des choses antérieures et plus connues, de même que dans les démonstrations, car c’est ainsi que procède tout enseignement, toute science, il est évident que quand on n’a point défini avec des éléments de ce genre on n’a point défini : sinon, il y aura plusieurs définitions d’une même chose. Il est évident aussi qu’on définit mieux par les choses antérieures et plus connues ; de sorte que les deux définitions s’appliqueraient à la même chose. Mais cela ne saurait être ; car chaque chose n’est uniquement que ce qu’elle est ; or, s’il y a plusieurs définitions d’une même chose, il faudra que l’essence donnée dans chacune des définitions soit identique à l’essence de la chose définie. Mais ces essences ne sont pas identiques, puisque les définitions sont diverses ; donc il est évident qu’on n’a point défini, quand on n’a point défini par des choses antérieures au défini et plus connues que lui. § 3[327]. On peut comprendre de deux manières qu’on n’ait pas donné la définition par les choses plus connues ; car c’est, ou par des choses plus inconnues en soi, ou plus inconnues pour nous ; et ces deux cas pourront se présenter. L’antérieur est absolument plus connu que le postérieur ; et, par exemple, le point est plus connu que la ligne, la ligne que la surface, la surface que le solide ; de même que l’unité est plus connue que le nombre ; car elle est le principe de tout nombre et avant tout nombre. Et de même la lettre est plus connue que la syllabe. Mais, par rapport à nous, il arrive quelquefois tout le contraire ; car le solide tombe davantage sous la sensation, la surface plus que la ligne, et la ligne plus que le point. Ce sont ces choses là même que le vulgaire connaît mieux ; car on peut apprendre les unes avec une intelligence ordinaire, les autres en demandent une qui soit exacte et distinguée.

§ 4[328]. En général donc, il vaut mieux essayer de connaître les choses postérieures par celles qui précèdent ; car cela fait plus apprendre. Toutefois, quand les gens ne peuvent connaître par ces moyens, il faut essayer de donner la définition par les choses mêmes qui leur sont connues. Telles sont, par exemple, les définitions du point, de la ligne, de la surface ; car toutes expliquent les choses antérieures par les postérieures, et le point est, dit-on, la limite de la ligne, celle-ci de la surface, et celle-ci du solide.

§ 5[329]. Il ne faut pas perdre de vue que quand on définit de la sorte, on ne peut montrer pour la chose définie ce qu’est son essence, qu’à la condition que la même chose soit à la fois, et plus connue de nous, et plus connue en soi, puisqu’il faut, pour bien définir, définir par le genre et les différences. Or, ce sont là des éléments plus connus que l’espèce et antérieurs à l’espèce ; car le genre détruit avec lui l’espèce ; la différence en fait autant, de sorte que ces deux choses sont antérieures à l’espèce. En outre, elles sont plus connues qu’elle ; car lorsqu’on connaît l’espèce, il y a nécessité de connaître aussi le genre et la différence. Ainsi, lorsqu’on connaît l’homme, on connaît aussi l’animal et le terrestre ; mais quand on connaît le genre et la différence, il n’y a pas nécessité de connaître l’espèce, de sorte que l’espèce est plus inconnue.

§ 6[330]. De plus, quand on prétend que les véritables définitions sont les définitions composées d’éléments connus de chacun, on se trouve exposé à faire plusieurs définitions d’une même chose ; car telles choses sont plus connues à telles personnes, et ce ne sont pas les mêmes qui sont plus connues pour tout le monde. Ainsi donc, il faudrait donner une définition autre pour chacun, si l’on devait faire la définition par les choses plus connues à chacun. Il y a plus : pour les mêmes individus, ce sont, à diverses époques, d’autres choses qui leur sont plus connues. Ainsi, d’abord ce sont les choses sensibles qui leur sont plus connues ; mais devenant ensuite plus instruits, c’est le contraire ; de sorte qu’il ne faudra pas toujours, pour la même personne, donner la même définition, si l’on prétend qu’elle doit être donnée par les choses plus connues à chacun. Il est donc évident qu’il ne faut pas définir par ces choses, mais par les choses plus connues absolument parlant ; car c’est ainsi seulement qu’on donne une définition une et toujours la même. § 7 Mais peut-être aussi l’on peut dire que ce qui est absolument connu n’est pas ce qui l’est de tous, mais ce qui est connu seulement de ceux qui sont bien disposés d’intelligence ; de même que le sain, pris absolument, se rapporte à ceux qui ont une bonne organisation corporelle. § 8 Il faut donc bien fixer chacun de ces points, et s’en servir selon le besoin en discutant. § 9 On peut aussi repousser la définition, et chacun en convient, si on ne l’a faite ni par les choses absolument plus connues, ni par les choses plus connues pour nous.

§ 10[331]. Voilà donc un premier lieu sur la définition donnée par les choses moins connues ; c’est quand on a défini les antérieures par les postérieures, comme nous venons de le dire.

§ 11 En voici un autre : c’est de donner la définition de ce qui est en repos et de ce qui est fini par le mouvement et par l’indéfini ; car ce qui demeure est antérieur à ce qui est en mouvement et est plus connu ; de même que le déterminé est antérieur à l’indéterminé.

§ 12[332]. Il y a trois lieux pour prouver qu’on n’a pas défini par les choses antérieures. § 13[333]. Le premier, si l’on définit l’opposé par l’opposé : par exemple, le bien par le mal ; car les opposes sont simultanés en nature. Pour quelques-uns même, la notion des deux paraît être la même ; de sorte que l’un n’est pas plus connu que l’autre. Il ne faut pas, du reste, oublier que peut-être quelques termes ne peuvent pas être définis autrement : par exemple, le double ne peut être défini sans la moitié, et tous les termes qui par eux-mêmes sont des relatifs ; car pour tous ces termes, l’existence se confond avec la relation qu’ils soutiennent de quelque façon que ce soit. Ainsi, il est impossible de connaître l’un sans l’autre ; et par conséquent, il est nécessaire que l’un soit renfermé aussi dans la définition de l’autre. Il faut donc connaître aussi tous les termes de ce genre, et se servir des lieux qui les concernent selon les cas où ils peuvent être utiles.

§ 14[334]. Un autre lieu, c’est quand on se sert dans la définition du défini lui-même. On ne s’en aperçoit pas, du reste, quand on ne se sert pas du nom même du défini. C’est, par exemple, si l’on a défini le soleil, un astre qui paraît dans le jour ; car si on se sert du jour, c’est se servir aussi du soleil. Il faut, pour découvrir cette erreur, substituer la définition au nom même ; et ici, par exemple, dire que le jour est le mouvement du soleil au dessus de la terre. Alors il est évident que, quand on a dit le mouvement du soleil au-dessus de la terre, on a nommé le soleil ; de sorte qu’en se servant du jour, on s’est servi aussi du soleil.

§ 15[335]. Encore, si l’on a défini un terme de la division par un terme de la division même : par exemple, si l’on a défini l’impair par ce qui est plus grand que le pair d’une unité ; car les choses divisées dans le même genre coexistent naturellement. Or l’impair et le pair sont précisément dans des divisions semblables, puisque tous deux sont des différences du nombre.

§ 16[336]. Et de même encore, si les choses supérieures sont définies par les inférieures : par exemple, si l’on a défini le pair par le nombre partagé en deux, et le bien par la possession de la vertu ; car en deux est pris de deux, qui est un nombre pair aussi : et la vertu par elle-même est bien déjà un bien ; de sorte que ces deux choses sont inférieures aux autres. § 17 Il y a encore obligation, quand on se sert du terme inférieur, de se servir aussi du défini lui-même ; car si l’on prend la vertu, on prend aussi le bien, puisque la vertu est un certain bien. Et de même quand on se sert de : en deux, on se sert du pair, puisque en deux indique un partage en deux, et que deux est pair.

§ 18[337]. En résumé, il n’y a qu’un seul lieu relatif à la définition qui n’est pas faite par des choses antérieures et plus notoires ; et ce lieu a toutes les parties que l’on a énumérées.


{{t3| CHAPITRE V.}}

Second lieu de la définition : causes diverses qui font que l’on n’a point défini.


§ 1[338]. Un second lieu, c’est si la chose étant dans un genre, on ne la place pas dans ce genre. Cette erreur se produit toutes les fois qu’on n’a point dit dans la définition ce qu’est le défini. Par exemple, si l’on donne pour la définition du corps ce qui a trois dimensions ; ou bien si on définit l’homme, ce qui sait compter ; car on n’a point dit ce qu’est le corps pour avoir trois dimensions, ou ce qu’est l’homme pour savoir compter. Mais le genre vise à exprimer ce qu’est la chose, et c’est le premier des éléments à poser dans la définition.

§ 2[339]. Un autre lieu, c’est si la chose définie, étant applicable à plusieurs, on ne l’a pas rapportée à toutes : par exemple, si l’on définit la grammaire la science d’écrire ce qui est énoncé ; car il faut encore ajouter : et de lire. En effet, l’on n’a pas plus défini la grammaire par la science d’écrire que par celle de lire. Donc, ce n’est pas en disant l’un ou l’autre, c’est en disant les deux, qu’on définit vraiment, puisqu’il ne peut y avoir plusieurs définitions d’une même chose. Pour quelques cas, il en est réellement ainsi qu’on vient de dire, mais pour quelques autres il n’en est rien ; c’est, par exemple, dans tous les cas où le terme n’est pas dit en soi pour les deux relations : comme la médecine n’est pas la science de faire la santé et la maladie ; car en soi, elle s’applique à l’une, et elle ne s’applique à l’autre que par accident. En effet, absolument parlant, c’est chose étrangère à la médecine de faire la maladie ; de sorte que rapportant la définition à ces deux choses, on n’a pas plus défini la médecine qu’en la rapportant à une seule : et peut-être même l’a-t-on plus mal définie, puisque le premier venu est capable aussi, quel qu’il soit, de faire la maladie.

§ 3[340]. Un autre lieu, c’est si l’on a rapporté le défini non au meilleur mais au plus mauvais, lorsque les choses auxquelles est applicable le défini sont plusieurs ; car toute activité, toute science, ne paraissent devoir s’appliquer qu’au meilleur.

§ 4[341]. D’autre part, si la chose définie n’est pas placée dans le genre qui lui est propre, il faut puiser dans les éléments relatifs au genre, ainsi qu’on l’a dit plus haut.

§ 5[342]. Un autre lieu, c’est si l’on a sauté des genres : par exemple, si l’on dit que la justice est la faculté qui produit l’égalité ou qui répartit l’égal ; car en définissant ainsi, on passe la vertu. En négligeant donc le genre de la justice on ne dit pas ce qu’elle est ; car l’essence de chaque chose est dans son genre. Cette erreur est la même, du reste, que de ne pas placer le défini dans le genre le plus voisin ; car en le plaçant dans le genre le plus voisin, on comprend aussi tous les genres supérieurs, puisque tous les genres supérieurs sont attribués aux inférieurs ; de sorte que, de deux choses l’une : ou il faut placer le défini dans le genre le plus voisin, ou rattacher au genre supérieur toutes les différences par lesquelles est défini le genre le plus voisin. De cette façon, on n’aura rien omis ; et au lieu du nom, on aura déterminé le genre inférieur par une définition ; mais quand on a désigné seulement le genre supérieur, on n’a point nommé en même temps le genre inférieur. Et par exemple, si l’on dit le végétal, on n’a point pour cela dit l’arbre.


CHAPITRE VI.

Vingt-trois lieux tirés des différences pour prouver que la définition n’est pas faite.


§ 1[343]. Il faut voir aussi, en considérant les différences, si l’on a bien donné les différences du genre ; car si l’on n’a point défini par les différences propres de la chose, ou bien si l’on a même donné quelque terme qui ne puisse être la différence de rien, et, par exemple, l’animal ou la substance, il est clair que l’on n’a point défini ; car les termes employés ne sont les différences de rien. § 2 Il faut voir en outre s’il y a quelque division opposée à la différence exprimée ; car, s’il n’y en a pas, il est clair que la différence indiquée n’est pas la différence du genre : c’est que tout genre est divisé en différences opposées, comme l’animal est divisé en terrestre et volatile, aquatique et bipède. § 3[344]. De plus, la différence peut bien être réellement opposée, sans être vraie cependant pour le genre. Alors il est évident qu’aucune de ces deux différences ne serait la différence du genre ; car toutes les différences opposées sont vraies pour leur genre spécial. § 4 Et, encore, elle peut être vraie, sans qu’ajoutée au genre, elle fasse pourtant une espèce : et alors il est évident que ce n’est pas une différence spécifique du genre ; car toute différence spécifique fait une espèce quand on l’applique au genre. Et si ce n’est pas là une différence, c’est que la différence indiquée n’en est pas une non plus, puisqu’elle lui est opposée dans la division.

§ 5[345]. On se trompe encore si l’on divise le genre par négation comme ceux qui définissent la ligne une longueur sans largeur ; car cela ne signifie rien autre chose, sinon qu’elle n’a pas de largeur. Il en résultera donc que le genre participe de l’espèce ; car toute longueur est ou avec ou sans largeur, puisque de toute chose la négation ou l’affirmation est nécessairement vraie, de sorte que le genre de la ligne étant la longueur, il sera ayant ou n’ayant pas de largeur. Mais longueur sans largeur est la définition de l’espèce, et de même aussi longueur ayant largeur. C’est que sans largeur et avec largeur sont des différences : or, la définition de l’espèce se compose de la différence et du genre : et par conséquent le genre recevrait la définition de l’espèce et aussi la définition de la différence, puisque l’une des différences indiquées est nécessairement attribuée au genre. § 6[346]. Ce lieu, du reste, est utile contre ceux qui admettent l’existence des idées. En effet, s’il y a une longueur en soi, comment attribuera-t-on au genre qu’il est avec largeur ou sans largeur ? Car il faut pour toute largeur que l’une de ces deux choses soit vraie, puisqu’elle doit être vraie pour le genre : mais il n’en est rien, car l’on suppose ici des longueurs sans largeur et avec largeur. Ainsi donc, ce lieu n’est utile que contre ceux qui soutiennent que le genre est un numériquement. Mais il n’y a de cette opinion que ceux qui admettent les idées ; car ils disent que la longueur en soi, l’animal en soi sont genres.

§ 7 Il faut bien aussi quelquefois, quand on définit, se servir de la négation : par exemple, pour définir les privations ; aveugle est défini, en effet, ce qui n’a pas la vue quand naturellement il devrait l’avoir. § 8 Il n’importe pas, du reste, de diviser le genre par la négation, ou par l’affirmation même à laquelle doit nécessairement être opposée la négation. Par exemple, on peut définir longueur qui a largeur ; car qui a largeur n’a d’opposé que qui n’en a pas, et n’a point d’autre opposé ; et ainsi, le genre est encore divisé par négation.

§ 9[347]. Autre erreur, si l’on a donné l’espèce pour la différence, comme ceux qui définissent l’insulte, une injure avec moquerie ; car la moquerie est une sorte d’injure, de sorte que la moquerie n’est pas une différence, c’est une espèce.

§ 10[348]. Il faut voir encore si l’on a donné le genre comme différence : par exemple, pour la vertu, si on la définit disposition bonne ou louable ; car le bien est le genre de la vertu. Ou plutôt le bien n’est-il pas, non le genre, mais la différence, s’il est bien vrai qu’une même chose ne peut être dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement ? Car le bien ne comprend pas la disposition, et la disposition ne comprend pas le bien. En effet, toute disposition n’est pas un bien, pas plus que tout bien n’est une disposition : ainsi, ni l’un ni l’autre ne serait genre. Si donc la disposition est le genre de la vertu, il est évident que le bien n’est pas le genre, mais qu’il est plutôt la différence. Ajoutez que la disposition exprime l’essence de la vertu, tandis que le bien n’exprime pas ce qu’est la chose, mais sa qualité ; et la différence semble toujours exprimer quelque qualité de la chose. § 11 Aussi, faut-il voir également si la différence donnée exprime, non pas telle qualité de la chose, mais l’essence de la chose ; car toute différence semble devoir exprimer une certaine qualité.

§ 12 Il faut voir encore si la différence est un simple accident de la chose définie ; car aucune différence ne peut être classée parmi les accidents, non plus que le genre, parce qu’il ne se peut pas que la différence puisse indifféremment être ou n’être pas à la chose. § 13 Si la différence ou l’espèce, ou bien même quelqu’un des termes au-dessous de l’espèce, est attribué au genre, on n’a point défini ; car aucun de ces termes-là ne peut être attribué au genre, puisque le genre est plus large qu’eux tous.

§ 14[349]. De plus, on n’a pas défini davantage si le genre est attribué à la différence ; car le genre paraît devoir être attribué, non pas à la différence, mais aux choses auxquelles l’est la différente. Par exemple, l’animal doit être attribué à l’homme, au bœuf et aux autres animaux terrestres, et non pas à la différence elle-même, qui est dite de l’espèce seulement ; car si l’animal est attribué à chacune des différences, beaucoup d’animaux seraient attribués à l’espèce, puisque les différences sont attribuées à l’espèce. Il y a plus : toutes les différences seront ou espèces ou individus si elles sont animaux ; car chacun des animaux est ou espèce ou individu.

§ 15[350]. Il faut voir de la même manière si l’espèce, ou quelqu’un des termes au-dessous de l’espèce, a été attribué à la différence ; car cela ne peut être, puisque la différence est censée plus large que les espères. Il arrivera donc encore que la différence sera espèce, si quelqu’une des espèces lui est attribuée ; car si homme, par exemple, est attribué, il est clair que la différence est homme. § 16 Il faut voir si la différence n’est pas antérieure à l’espèce ; car il faut que la différence soit postérieure au genre, et antérieure à l’espèce.

§ 17 Il faut voir, de plus, si la différence indiquée ne s’applique pas à un autre genre, qui n’est ni contenu ni contenant ; car la même différence ne peut être à deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement. Sinon, il arrivera que la même espèce sera dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement ; car chacune des différences implique son genre propre, de même que le terrestre et le bipède impliquent avec eux l’animal ; de sorte que chacun des genres est à ce à quoi est la différence. Il est donc clair que l’espèce sera dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement. § 18 Ou bien, n’est-il pas impossible que la même différence soit dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement, en ajoutant toutefois, que tous les deux ne sont pas compris sous un même genre supérieur ? car d’animal terrestre et l’animal volatile sont des genres qui ne se comprennent pas mutuellement, et le bipède est la différence de tous les deux ; de sorte qu’il faut ajouter : pourvu que tous deux ne soient pas compris sous le même genre supérieur ; car ici tous les deux sont compris sous l’animal. § 19[351]. Il est évident encore qu’il n’est pas nécessaire que toute différence implique son genre propre, parce qu’il se peut que la même différence soit dans les deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement ; mais il est nécessaire qu’elle implique seulement l’un des genres, ainsi que sur tous les termes au-dessus de lui. Ainsi, bipède, ou volatile, ou terrestre, impliquent avec eux animal.

§ 20[352]. Il faut voir encore si l’on a donné l’existence dans un lieu pour la différence de la substance ; car une substance ne paraît pas différer d’une substance par cela seul qu’elle est dans tel lieu. C’est pourquoi on objecte à ceux qui divisent l’animal en terrestre et aquatique, que le terrestre et l’aquatique ne désignent qu’un lieu. Ou bien, peut-être, ce reproche n’est-il pas juste ; car aquatique et terrestre ne signifient pas l’existence dans quelque chose ou dans quelque lieu ; mais ils désignent une chose qualifiée d’une certaine façon ; car si l’être est à sec, il n’en est pas moins aquatique ; et de même pour le terrestre, bien qu’il soit dans l’eau, il est toujours terrestre et non pas aquatique. Toutefois, il est clair que si la différence exprime la position dans quelque chose, on se sera trompé pour la définition.

§ 21[353]. On ne se trompe pas moins, si l’on a donné la modification pour différence ; car toute modification, en s’augmentant, sort l’être de sa substance, et la différence n’est jamais dans ce cas. La différence paraît plutôt conserver ce dont elle est la différence ; et il est absolument impossible que chaque chose existe sans sa différence propre. Et, ainsi, le terrestre n’étant pas, il n’y a pas d’homme non plus. § 22 En un mot, toutes les choses selon lesquelles se modifie l’être qui les a ne sauraient être la différence de cet être ; car toutes ces choses, en s’augmentant sortent l’être de sa substance. Si donc on a donné une différence de ce genre, on s’est trompé, car nous ne changeons pas d’une manière absolue avec les différences.

§ 23[354]. On s’est encore trompé, si l’on a donné pour différence de quelque relatif une différence qui ne soit pas elle-même relative ; car les différences des relatifs sont aussi des relatifs. Par exemple, pour la science, que l’on appelle théorique, et pratique, et active : et chacun de ces termes exprime un relatif ; car la science est la théorie de quelque chose, la pratique de quelque chose, l’action de quelque chose.

§ 24[355]. Il faut voir encore si, en définissant, on a bien rapporté chacun des relatifs à la chose à laquelle il est naturellement ; car on ne peut employer certains relatifs qu’en les attribuant à ce à quoi ils sont naturellement, et non point en les rapportant à aucune autre chose. Par exemple, le relatif vue ne peut s’employer que relativement à voir. D’autres relatifs, au contraire, peuvent s’employer pour d’autres choses aussi, tout comme on peut puiser de l’eau même avec une étrille ; cependant, si l’on définit l’étrille instrument à puiser de l’eau, l’on se trompe ; car ce n’est pas pour cela qu’elle est faite. Mais la définition de ce pourquoi une chose est naturellement faite est ce à quoi l’emploie le sage, en tant que sage, est ce à quoi l’emploie la science propre à chaque chose.

§ 25 On s’est encore trompé, si l’on n’a point donné la définition du primitif, dans le cas où la définition s’applique à plusieurs termes. Par exemple, quand on dit que la réflexion est la vertu de l’homme et de l’âme, et non de la partie raisonnable de l’âme ; car la réflexion est la vertu du primitif raisonnable, puisque c’est relativement à lui qu’on dit que l’âme et l’homme réfléchissent.

§ 26 On s’est encore trompé, si la chose, dont le défini est dit la modification, ou la disposition, ou telle autre affection, ne la peut recevoir ; car toute disposition, toute passion est naturellement dans la chose dont elle est disposition ou passion ; de même que la science est dans l’âme, parce qu’elle est une disposition de l’âme. Parfois on se trompe dans ces cas-là, comme quand on dit que le sommeil est une impuissance de sentir, et le doute une égalité de raisonnements contraires, et la douleur une séparation violente des parties connexes. En effet le sommeil n’est pas à la sensation, et il faudrait qu’il y fût s’il était une impuissance de sentir ; et, de même, le doute n’est pas davantage aux raisonnements contraires, ni la douleur aux parties connexes ; car les êtres inanimés eux-mêmes auront de la douleur, si la douleur est à ces parties. Telle est encore la définition de la santé, si l’on dit que c’est une juste mesure des éléments chauds et froids ; car il est nécessaire alors que les éléments chauds et froids aient de la santé. En effet, la juste mesure de chaque chose est dans la chose même dont elle est la juste mesure ; de sorte que la santé serait aussi à ces éléments-là. § 27 Il arrivera, en outre, quand on définit de cette façon, de placer la chose faite dans celle qui fait, et réciproquement ; car la séparation des parties connexes n’est pas la douleur, c’est ce qui fait la douleur. Et l’impuissance de sensation n’est pas le sommeil ; mais l’un cause l’autre ; car nous dormons par impuissance de sentir, ou nous sommes impuissants à sentir par le sommeil. Et de même l’égalité de raisonnements contraires semblerait être ce qui fait le doute. En effet, quand, en raisonnant, il nous semble que les raisons sont égales de part et d’autre, nous doutons laquelle des deux nous devons adopter pour agir.

§ 28[356]. Il faut regarder à tous les moments du temps s’il n’y a pas discordance entre eux ; et, par exemple, si l’on a défini l’être immortel, l’être maintenant impérissable ; car l’être actuellement impérissable ne sera qu’actuellement immortel. Ou bien ne peut-on pas dire que ceci n’est pas vrai dans ce cas ? car il y a doute dans cette expression : maintenant impérissable. Elle exprime, en effet, ou que l’être n’a pas maintenant péri, ou qu’il ne peut être maintenant détruit, ou bien qu’il est tel maintenant qu’il ne peut jamais être détruit. Lors donc que nous disons que l’être est maintenant impérissable, nous ne disons pas que l’être soit tel maintenant, mais nous disons qu’il est de nature à n’être jamais détruit. Or, ceci se confond avec immortel : donc ce n’est pas maintenant seulement qu’il est immortel. Pourtant s’il arrive que ce qui est donné dans la définition soit maintenant ou ait été auparavant, et que ce qui est exprimé dans le nom ne soit pas ainsi, l’identité n’existe plus. Il faut donc se servir de ce lieu ainsi qu’on l’a dit.


CHAPITRE VII.

Sept lieux pour attaquer la définition.


§ 1[357]. Il faut voir encore si le défini ne serait pas d’une autre chose plutôt que de la définition donnée : par exemple, on se trompe si l’on dit que la justice est la faculté distributrice de l’équité ; car celui qui se résout à donner l’équitable est plus juste que celui qui peut le donner. Ainsi, la justice n’est pas précisément la faculté distributrice de l’équité ; car alors celui-là serait le plus juste qui peut répartir l’équité.

§ 2[358]. Et encore il faut voir si la chose reçoit le plus, quand ce qui est donné dans la définition ne le reçoit pas ; ou réciproquement, si ce qui est donné dans la définition le reçoit, et que la chose ne le reçoive pas ; car il faut que les deux termes le reçoivent, ou qu’aucun des deux ne le reçoive, puisque ce qui a été donné dans la définition est identique à la chose définie. § 3[359]. Il faut voir, en outre, si les deux termes reçoivent le plus, sans que tous deux prennent en même temps l’accroissement. Par exemple, c’est une faute si l’on dit que l’amour est un désir de cohabitation ; car celui qui aime plus ne désire pas plus la cohabitation. Ainsi, les deux termes ne reçoivent pas en même temps le plus, et il faudrait qu’ils le reçussent, puisqu’ils sont une même chose.

§ 4 Il faut voir, deux termes étant donnés, si la définition n’est pas dite en moins de celui dont le définition-même est dit en plus. Par exemple, si l’on dit que le feu est le corps dont les parties sont les plus ténues ; car la flamme est plus feu que la lumière, et cependant la flamme est un corps à parties moins ténues que la lumière ; or, il faudrait que les deux termes fussent en plus à la même chose, puisqu’ils sont identiques. § 5 De plus, il faut voir si, l’une des deux définitions étant également aux deux termes avancés, l’autre est non pas également aux deux, mais plus à l’un ou à l’autre.

§ 6 Regardez encore si la définition relative à deux termes se rapporte bien à l’un et à l’autre : par exemple, quand l’on appelle beau ce qui est doux à voir ou doux à entendre ; et être, ce qui peut souffrir ou agir ; car alors le beau et le non beau seront la même chose. Et de même pour l’être et le non être. Dès lors, en effet, l’agréable à entendre sera la même chose que le beau ; ainsi, ce qui n’est pas agréable à entendre sera identique à ce qui n’est pas beau ; car pour des choses identiques, les opposés sont identiques, et à beau est opposé le non beau et à agréable à entendre le non agréable à entendre ; mais il est évident que ce qui n’est pas doux à entendre est identique à ce qui n’est pas beau. Si donc, quelque chose agréable à voir ne l’est pas à entendre, ce sera tout à la fois beau et non beau. Nous pourrions démontrer de même, qu’en ce sens, l’être et le non être sont identiques.

§ 7 Enfin, il faut voir, si, quand au lieu de noms on substitue les définitions des genres, des différences, et de tous les autres éléments qu’on met dans les définitions, il n’y a pas quelque discordance.


CHAPITRE VIII.

Cinq autres lieux pour attaquer la définition.


§ 1[360]. Si le défini est relatif, ou en soi, ou par son genre, il faut voir si dans la définition on a négligé de le rapporter à la chose dont il est le relatif, ou en soi ou par son genre. Par exemple, si l’on a défini la science une conception irréfutable, ou la volonté un désir sans douleur ; or l’essence de tout relatif est de se rapporter à une chose autre que lui, puisqu’on a établi que c’était une même chose pour tous les relatifs d’être et d’avoir un certain rapport avec quelque chose : il fallait donc dire que la science est la conception de ce qui est su, et la volonté un désir du bien. Même faute encore, si l’on a défini la grammaire la science des lettres ; car il fallait indiquer dans la définition, ou la chose relativement à laquelle la grammaire est dite, ou celle relativement à laquelle est dit le genre. § 2 Ou bien il faut voir si un relatif étant indiqué, il n’est pas rapporté à sa fin propre : la fin dans chaque chose est le meilleur, ou ce pourquoi est fait tout le reste. Il faudra donc dire si c’est le meilleur ou si c’est le terme final ; comme, par exemple, le désir n’est pas le désir de ce qui plaît, mais du plaisir, puisque c’est pour le plaisir que nous recherchons ce qui plaît.

§ 3 Il faut voir encore si c’est à la génération qu’on a rapporté le défini, ou bien à l’acte ; car rien de tout cela n’est la fin : c’est, qu’en effet, avoir agi et avoir été est bien plutôt la fin que être ou agir. Mais ne peut-on pas dire que ceci n’est pas vrai pour tous les cas ? car la plupart des hommes préfèrent jouir plutôt que cesser de jouir, de sorte qu’ils se font bien plutôt une fin d’agir que d’avoir agi.

§ 4[361]. De plus, il faut voir si pour quelques cas, le défaut de la définition ne tient pas à ce qu’on n’a défini ni la quantité, ni la qualité, ni le lieu, ni selon les autres différences. Par exemple, si l’on définit l’ambitieux sans dire de quels honneurs et de combien d’honneurs il est avide ; car tous les hommes désirent les honneurs, de sorte qu’il ne faut pas appeler ambitieux celui qui les désire, mais il faut ajouter aussi les différences indiquées. Et de même pour l’avare : il faut dire combien de richesses il désire ; et pour l’intempérant, pour quels plaisirs il l’est ; car on n’appelle pas intempérant celui qui se laisse aller à un plaisir quelconque, mais à certains plaisirs. C’est mal définir encore quand on définit la nuit l’ombre de la terre, ou le tremblement de terre le mouvement de la terre, ou le nuage l’épaississement de l’air, ou le veut le mouvement de l’air. Dans tous ces cas, il faut ajouter la quantité et la cause. Et de même pour les cas analogues ; car si l’on néglige une seule différence, on n’indique plus l’essence de la chose. Il faut toujours attaquer ce qui manque à la définition ; car il n’y aura pas tremblement de terre pour le mouvement d’une terre quelconque, ni pour un mouvement quelconque de la terre, et il n’y aura pas non plus vent pour le mouvement quelconque de l’air, en qualité ou en quantité quelconque.

§ 5[362]. Il faut voir encore, pour la définition des désirs, si l’on n’ajoute pas l’idée d’apparence, et pour celle de toutes les choses où il convient de l’ajouter. Par exemple, si l’on dit que la volonté est un désir du bien, et que le désir est un appétit du plaisir, sans dire que c’est du bien qui paraît, du plaisir qui paraît ; car souvent, quand on désire, on ne sait si l’objet est bon ou s’il est agréable : ainsi, il n’est pas besoin nécessairement que l’objet soit bon ni qu’il soit agréable : il suffit qu’il en ait seulement l’apparence. Il fallait donc faire aussi la définition avec cette nuance.

§ 6[363]. Et si l’on fait l’addition que je viens d’indiquer, il faut conduire aux idées celui qui admet les idées ; car il n’y a pas d’idée pour ce qui ne fait que paraître, mais l’idée doit se rapporter à une idée. Par exemple, le désir en soi se rapporte à l’agréable en soi, et la volonté en soi au bien en soi. Ce n’est donc pas à un bien simplement apparent que se rapporte la volonté en soi, ni le désir en soi à ce qui ne fait que paraître agréable ; car il est absurde que le bien ou l’agréable soit en soi simplement apparent.

OTES


{{t3| CHAPITRE IX.}}

Huit autres lieux pour attaquer la définition.


§ 1[364]. De plus, si la définition s’applique à une possession, il faut voir au sujet qui possède ; si c’est au sujet qui possède, il faut voir à la possession. Et de même pour toutes les autres choses de ce genre : par exemple, si ce qui plaît est ce qui est utile, celui qui a du plaisir est aussi celui qui retire de l’utilité. En un mot, dans les définitions de ce genre, il arrive que celui qui définit définit plus d’une seule chose à la fois ; car définir la science, c’est bien définir aussi en quelque sorte l’ignorance. Et de même si l’on définit ce qui sait, on définit aussi ce qui ne sait pas. Si l’on définit savoir, on définit bien de plus ignorer ; car le premier terme étant expliqué, le reste devient, en quelque sorte, aussi évident. Il faut donc voir dans toutes ces définitions, s’il n’y a pas quelque discordance, en se servant des lieux pris des contraires et des conjugués.

§ 2 Il faut voir, dans les relatifs, si l’on peut rapporter aussi l’espèce à quelque partie de la chose à laquelle est rapporté le genre. Par exemple, si la conception est relative au sujet conçu, telle conception devra être relative à tel sujet conçu ; et si le multiple se rapporte au sous-multiple, il faudra que tel multiple se rapporte à tel sous-multiple ; car si on ne peut pas établir ces rapports, c’est qu’évidemment on s’est trompé.

§ 3 Il faut voir encore si la définition opposée est bien celle du terme opposé : par exemple, si celle de la moitié est l’opposé de celle du double ; car si le double est ce qui surpasse d’autant, ce qui est surpassé d’autant est la moitié. § 4[365]. Et de même pour les contraires : car la définition du contraire sera la définition du contraire, toutes les fois qu’il s’agit d’une combinaison simple des contraires. Par exemple, si l’utile est ce qui fait le bien, le nuisible sera ce qui fait le mal ou ce qui détruit le bien. Il faut nécessairement que l’une des deux définitions soit contraire à celle qui a été posée d’abord. Si donc ni l’une ni l’autre n’est contraire à celle qui a été donnée d’abord, il est évident qu’aucune de celles qui ont été données à la suite ne sera la définition du contraire ; et par conséquent, la définition donnée d’abord n’aura pas été bien donnée. § 5 Comme certains contraires ne sont désignés que par la privation de l’autre contraire, et, par exemple, l’inégalité paraît être la privation d’égalité, puisqu’on appelle inégales les choses qui ne sont pas égales, il est évident que le contraire désigné par privation sera nécessairement défini par l’autre ; tandis que cet autre ne le sera pas par celui qui est désigné privativement ; car il arriverait alors qu’indifféremment l’un serait connu par l’autre, il faut donc, pour les contraires, bien prendre garde à cette erreur. On la commettrait, par exemple, si l’on définissait l’égalité le contraire de l’inégalité ; car c’est définir par le contraire qui est dénommé privativement. § 6 De plus, quand on définit ainsi, on est forcé nécessairement de se servir de la chose même qu’on définit, et cela est de toute évidence, si l’on substitue la définition au défini ; car il n’y a pas de différence à dire ou l’inégalité ou la privation de l’égalité. Ainsi l’égalité sera le contraire de la privation de l’égalité, et, par conséquent, on aura employé l’égalité. § 7[366]. Même erreur si aucun des contraires n’est dénommé par privation, et que la définition soit semblablement donnée. Ainsi, comme le bien est le contraire du mal, il est évident que le mal sera le contraire du bien ; car pour les contraires de ce genre il faut donner semblablement la définition ; de sorte qu’il faut se servir ici encore une fois de la chose définie. Ainsi le bien est dans la définition du mal : et par conséquent, si le bien est le contraire du mal et que le mal ne soit pas autre chose que le contraire du bien, le bien sera le contraire du contraire du bien. Il est donc évident que pour définir la chose on se sert de la chose elle-même.

§ 8 Il faut voir encore si en donnant le terme dit par privation on n’a point donné aussi la chose dont il est la privation : par exemple, de la possession, ou du contraire, ou de telle autre chose dont il est la privation. Et si l’on a oublié d’ajouter que ce terme est dans le sujet, où il doit être naturellement, soit d’une manière absolue, soit primitivement : par exemple, si, disant que l’ignorance est privation, on n’a pas dit que c’est privation de science ; ou si l’on n’a pas ajouté le sujet dans lequel elle est naturellement ; ou si, en ajoutant ce sujet, on n’a pas donné le sujet où elle est primitivement : par exemple, si l’on a dit qu’elle est, non pas dans la partie raisonnable, mais dans l’homme ou bien dans l’âme, si, dis-je, l’on ne prend pas toutes ces précautions, on s’est trompé. De même encore si, en parlant de l’aveuglement, on n’a pas dit qu’il était la privation de la vue dans l’œil ; car il faut pour bien définir ici ce qu’est la chose, dire et de quoi elle est la privation et quel est le sujet qui en est privé.

§ 9 Il faut voir enfin si l’on a défini par privation un terme qui n’est point dit par privation. C’est ainsi que pour la définition de l’ignorance, cette faute semblerait être commise aux yeux de ceux qui ne la définissait que par négation ; car celui qui n’a pas la science ne paraît pas ignorer ; c’est bien plutôt celui qui se trompe. Et voilà pourquoi nous ne disons pas que les êtres inanimés, non plus que les enfants, sont ignorants. Par conséquent, l’ignorance n’est pas dite par privation de la science.


CHAPITRE X.

Trois autres lieux pour attaquer la définition.


§ 1 Il faut voir encore si les cas semblables de la définition s’accordent avec les cas semblables du défini : par exemple, si ce qui fait la santé est utile, utilement sera en faisant la santé, et ce qui a été utile sera ce qui a fait la santé.

§ 2[367]. Il faut voir de plus si la définition donnée s’accorde avec l’idée ; car cela n’est pas dans quelques cas ; et, par exemple, telle est l’erreur de Platon quand il fait entrer le mortel dans les définitions des animaux. En effet, l’idée ne peut pas être mortelle, et, par exemple, celle de l’homme en soi ; de sorte que la définition ne conviendra point avec l’idée. En général, pour toutes les choses auxquelles est ajoutée la notion d’action ou de souffrance, il est nécessaire que la définition soit en désaccord avec ridée, puisque pour ceux qui soutiennent qu’il y a des idées, elles doivent paraître sans passion comme sans mouvement : et c’est contre ces théories que ces arguments peuvent être utilement employés.

§ 3[368]. Il faut voir aussi pour les choses désignées par homonymie, si l’on a donné une seule définition applicable à toutes ; car ce sont les termes synonymes qui n’ont qu’une seule et même définition pour le nom qui les désigne. Ainsi la définition donnée pour un homonyme ne va bien à aucune des choses placées sous le mot, tandis que le mot homonyme va bien à toutes. § 4[369]. Tel est, par exemple, le vice de la définition que Denys a donnée de la vie, quand il dit qu’elle est le mouvement inné et consécutif d’un genre pourrissable : mais cette définition n’est pas plus applicable aux animaux qu’aux plantes. La vie, du reste, ne paraît pas pouvoir être réduite à une seule espèce ; mais elle est autre pour les animaux, autre pour les plantes. § 5[370]. On peut donc, même avec intention, donner la définition de la vie comme si toute vie était synonyme, et qu’elle s’appliquait à une espèce unique. Mais rien n’empêche, même quand on voit l’homonymie et qu’on veut donner la définition de l’un des sens, qu’on ne donne sans le savoir, non pas une définition spéciale, mais une définition commune aux deux. Néanmoins, que l’on prenne l’un ou l’autre, on se trompe également.

§ 6[371]. Comme on peut ne pas voir quelquefois les homonymes, il faut, quand on interroge, s’en servir comme s’ils étaient synonymes ; car alors la définition de l’un ne concordera pas avec la définition de l’autre : et, par conséquent, l’adversaire paraîtra n’avoir pas défini comme il faut ; car il faut que le mot synonyme s’applique à tout. Au contraire, il faut distinguer quand on répond. § 7[372]. Mais comme quelques personnes, en répondant, prennent un synonyme pour un homonyme, quand la définition donnée ne s’applique pas à tout, ou bien un homonyme pour un synonyme, quand elle s’applique également aux deux, il faut d’abord s’entendre sur ces points-là, ou prouver, par syllogisme, que le terme est homonyme ou synonyme, ou dire quel il est ; car on s’accorde mieux quand on ne prévoit pas quelle doit être la conséquence. Mais si, sans convention préalable, l’on appelle homonyme ce qui est synonyme, parce que la définition donnée ne s’applique pas aussi au terme qu’on désigne, il faut voir si la définition de ce terme s’applique à tout le reste ; car il est évident que, pour le reste, il doit être synonyme ; sinon, il y aurait plusieurs définitions pour le reste ; et alors les deux définition nominales s’appliquent à ces termes restants, et la première qui a été donnée, et celle qui a été donnée ensuite. § 8[373]. D’autre part, si, en définissant un terme à plusieurs sens et la définition ne s’appliquant pas à tous, l’adversaire dit, non pas que le terme soit homonyme, mais qu’il nie que le nom s’applique à tout, parce que la définition ne s’y applique pas, on doit répondre à cette objection, qu’il faut se servir de la dénomination reçue et suivie généralement, et ne pas la changer. Ce qui n’empêche pas que, dans certains cas, il ne faille parler autrement que le vulgaire.


CHAPITRE XI.

Cinq autres lieux pour attaquer la définition.


§ 1[374]. Quand l’on a donné la définition d’une chose unie à d’autres, il faut voir si, en retranchant la définition de l’une des deux choses unies, ce qui restera sera bien encore la définition du reste ; sinon, il est clair que la définition totale n’est pas la définition du tout. Par exemple, quand l’on a défini la ligne droite finie : la limite d’une surface qui a des limites, et dont le milieu est joint aux extrémités ; si la définition de la ligne finie est la limite d’une surface ayant des limites, le reste de la définition doit s’appliquer à l’idée de droite, dont le milieu est joint aux extrémités. Mais la ligne infinie n’a ni milieu ni fin, et elle est droite pourtant ; de sorte que la partie de la définition qui reste n’est pas ici la définition du reste.

§ 2 Il faut voir encore si, le défini étant composé, on a donné une définition à membres égaux à ceux de défini. On appelle définition à membres égaux, lorsque, quels que soient les éléments composés du défini, il y a dans la définition tout autant de noms et de verbes ; car il faut nécessairement, dans les cas de ce genre, qu’il puisse y avoir changement réciproque des mots, soit de tous, soit de quelques-uns au moins, puisqu’on n’a point ajouté plus de noms qu’il n’y en avait auparavant. Mais il faut, quand on définit, mettre la définition au lieu des mots, et tâcher de faire cela pour tous, ce qui est le mieux, ou sinon, pour la plupart au moins ; car, de cette façon, même pour les mots simples, en ne substituant qu’un mot pour un mot, on n’aura pas défini ; comme, par exemple, quand au lieu de vêtement on prend manteau. § 3 Il y a encore une faute plus grave, c’est de faire substitution de mots plus inconnus. Par exemple, si, au lieu d’homme blanc, on dit mortel blanchi ; car on ne définit pas : et, de plus, on parle moins clairement en s’exprimant ainsi.

§ 4 Il faut voir encore si, dans cette substitution de mots on n’exprime plus la même chose. Par exemple, quand on appelle la science théorique une conception théorique ; car la conception n’est pas la même chose que la science : et il le faudrait, puisqu’on veut que l’expression totale soit aussi la même chose. Or, le mot théorique est commun dans les deux définitions ; mais le reste est différent.

§ 5[375]. Et encore il faut voir si, en faisant la substitution de l’un des mots, on a fait la substitution, non pas pour la différence, mais pour le genre, comme dans l’exemple qu’on vient de citer ; car le mot théorique est plus inconnu que le mot science. L’un, en effet, est le genre ; l’autre est la différence, et le genre est le plus connu de tous les termes, puisqu’il est le plus commun. Donc il fallait appliquer la substitution, non pas au genre, mais à la différence, puisqu’elle est plus inconnue.

§ 6 Ou bien ce reproche n’est-il pas ridicule ? car rien n’empêche que la différence ne soit exprimée par le mot le plus connu, et que le genre ne le soit pas. Dans ce cas, il est clair qu’il fallait faire la substitution nominale, non pour la différence, mais pour le genre. Mais si l’on ne prend pas un mot pour un mot, et qu’on prenne une définition pour un mot, il est clair qu’il faut plutôt donner la définition de la différence que celle du genre, puisque la définition n’est donnée que pour faire connaître, et que la différence est moins connue que le genre.


{{t3| CHAPITRE XII.}}

Cinq autres lieux pour attaquer la définition.


§ 1[376]. Quand l’on a donné la définition de la différence, il faut voir si la définition donnée est commune encore à quelque autre chose. Par exemple, quand on a appelé nombre impair le nombre qui a un milieu, il faut définir encore ce qu’on entend par : qui a un milieu ; car le mot nombre est commun dans ces deux définitions, et la définition de l’impair est substituée au défini. Mais, et la ligne et le corps ont un milieu, sans être pourtant impairs ; de sorte que ce n’est pas là la définition de l’impair. Si l’expression : ayant un milieu, a plusieurs sens, il faut définir, en outre, dans quel sens on prend : ayant un milieu. On pourra donc justement prétendre, ou démontrer par syllogisme, que l’on n’a pas défini.

§ 2[377]. De plus, il faut voir si ce dont on donne la définition est une chose réelle, tandis que ce qui est dans la définition n’en est pas une. Par exemple, si l’on a défini le blanc une couleur mêlée de feu ; comme il est impossible qu’une chose incorporelle soit mêlée à une corporelle, la couleur mêlée au feu n’est pas une chose réelle, tandis que le blanc en est une.

§ 3[378]. De plus, quand on n’indique pas clairement par division, pour les relatifs, ce relativement à quoi la chose est dite, mais qu’on les englobe parmi plusieurs choses, on se trompe en totalité ou en partie. Comme, par exemple, si l’on dit que la médecine est la science de ce qui est ; car si la médecine n’est la science de rien de ce qui est, il est évident qu’on s’est totalement trompé ; mais si elle l’est de telle chose, et ne l’est pas de telle autre, on s’est trompé en partie. C’est, qu’en effet, elle doit être la science de tout, si l’on dit qu’elle est en soi, et non par accident, la science de ce qui est. Ainsi que cela est pour tous les autres relatifs, tout ce qui est su doit être dit relativement à une science ; et de même, pour tous les autres, puisque tous les relatifs sont réciproques, et ce qui est su est toujours relatif. § 4[379]. Si, en donnant l’attribution, non pas en soi, mais par accident, on l’a bien donnée, c’est qu’alors chacun des relatifs serait dit, non pour une seule chose, mais pour plusieurs ; car rien n’empêche que la même chose ne soit à la fois et réelle, et bonne, et blanche. Par conséquent, en rapportant la définition à l’une de ces qualités, on l’aura bien donnée, si, toutefois, en donnant la définition par l’accident, on la donne bien. § 5 Il est encore impossible que cette définition soit propre à la chose dont il s’agit ; car non seulement la médecine, mais la plupart des autres sciences, sont dites relativement à ce qui est ; de sorte que chacune des sciences est la science de ce qui est. Il est donc évident que ce n’est là la définition d’aucune science ; car il faut que la définition soit spéciale et non commune. § 6[380]. Quelquefois on définit, non la chose, mais la chose bien faite et parachevée ; c’est là la définition du rhéteur et du voleur, quand on dit que le rhéteur est celui qui peut voir ce qu’il y a d’acceptable à soutenir dans chaque question, et n’en rien omettre, et que le voleur est celui qui prend en secret ; car il est évident que tous deux étant ainsi, tous deux seront bons, chacun dans leur genre : l’un sera un bon rhéteur, l’autre un bon voleur, puisque le voleur n’est pas tant celui qui prend en secret que celui qui veut prendre de cette façon.

§ 7 En outre, on s’est trompé si l’on a donné ce qui est désirable par soi-même comme capable de faire ou capable d’agir, en un mot, comme désirable en vue d’un autre objet quelconque : par exemple, si l’on dit que la justice est la conservatrice des lois, ou que la sagesse est la cause du bonheur ; car ce qui fait une chose, ce qui conserve, est une chose désirable pour une autre que soi. § 8 Ou bien rien n’empêche qu’une chose désirable en soi ne le soit aussi en vue d’une autre. § 9[381]. Cependant on ne s’est pas moins trompé en définissant ainsi une chose désirable en soi ; car le meilleur de chaque chose est surtout dans son essence, et une chose désirable en soi est meilleure qu’une chose désirable en vue d’une autre. Ainsi donc, il fallait que la définition indiquât surtout cela.


CHAPITRE XIII.

Trois autres lieux pour attaquer la définition, si l’on a dit que le défini est telles et telles choses, ou qu’il est composé de telles choses, ou qu’il est avec telles choses.


§ 1[382]. Il faut voir encore si en donnant la définition d’une seule chose, on n’a point dit que le défini est plusieurs choses, ou qu’il est composé de telles choses, ou qu’il est accompagné de telles choses. § 2[383]. Si l’on a défini plusieurs choses, il arrivera que la définition pourra être aux deux à la fois, et n’être à aucune à part : ainsi, par exemple, si l’on définit la justice, prudence et courage ; car, en supposant ici deux hommes, si chacun d’eux a l’une des deux qualités, tous les deux seront justes, et aucun ne le sera, puisque tous deux réunis ont la justice, et que chacun d’eux à part ne l’a pas. § 3 Du reste, ceci même n’est pas encore complètement absurde, attendu que quelque chose d’analogue se présente aussi dans d’autres cas, et que, par exemple, rien n’empêche que deux hommes n’aient à deux une science, bien qu’aucun d’eux ne l’ait séparément. Toujours est-il qu’il serait tout à fait absurde que les contraires fussent aux mêmes choses ; et c’est ce qui arrivera, si l’un d’eux, par exemple, a la prudence et la lâcheté, et l’autre le courage et l’imprudence : dans ce cas, tous les deux auront à la fois la justice et l’injustice ; car si la justice est prudence et courage, l’injustice sera lâcheté et imprudence. § 4[384]. Ainsi, tous les arguments qu’on peut employer pour prouver que les parties et le tout ne sont pas la même chose, sont aussi d’un bon usage pour le point qui maintenant nous occupe. En effet, quand on définit ainsi, on a l’air de prétendre que les parties sont identiques au tout. § 5 Ces objections trouvent surtout leur place, quand la composition des parties est aussi évidente qu’elle l’est pour une maison ou telle autre chose pareille. Là, il est clair, en effet, que les parties peuvent exister sans que le tout existe : et ainsi les parties ne sont pas la même chose que le tout.

§ 6[385]. Si l’on a dit, non pas que la chose définie soit plusieurs choses, mais si l’on a dit qu’elle vient de plusieurs choses, il faut voir d’abord si naturellement, il ne peut pas ressortir un tout de ce qui a été dit ; car certaines choses sont entre elles dans un tel rapport que aucun tout ne se forme de leur réunion : par exemple, la ligne et le nombre. § 7 De plus, il faut voir si le défini est naturellement dans quelque primitif, et que les choses d’où l’on dit qu’il vient, ne soient pas dans un seul primitif, mais qu’elles soient l’une et l’autre dans des primitifs différents ; car alors, il est évident que le défini ne vient pas de ces choses-là, puisque là où sont les parties, il est nécessaire que là soit aussi le tout, de sorte que le tout n’est pas dans un seul primitif, mais qu’il est dans plusieurs. § 8[386]. Et si les parties et le tout sont dans un seul primitif, il faut voir si les parties et le tout ne sont pas dans le même, ou si les parties ne sont pas dans l’un et le tout dans un autre. § 9 De plus, il faut examiner si les parties disparaissent avec le tout ; car il faut à l’inverse, quand les parties sont détruites, que le tout le soit aussi ; mais le tout étant détruit, il n’est pas nécessaire que les parties le soient. § 10 Ou bien il faut voir si le tout est bon ou mauvais, et que les parties ne soient ni l’un ni l’autre : ou à l’inverse, que les parties soient bonnes ou mauvaises, et que le tout ne soit ni l’un ni l’autre ; car il n’est pas possible que de ce qui n’est ni l’un ni l’autre vienne quelque chose de bon ou de mauvais, et que du bon ou du mauvais ne vienne ni l’un ni l’autre. § 11 Ou bien il faut voir si l’un étant bon plus que l’autre n’est mauvais, le défini qu’on dit en venir n’est pas aussi plutôt bon que mauvais. Par exemple, si l’impudeur vient du courage et d’une opinion fausse, comme le courage est bon plus que l’opinion fausse n’est mauvaise, il fallait que le composé des deux suivit le plus, et qu’il fût ou absolument bon, ou du moins plutôt bon que mauvais. § 12 Ou bien ne peut-on pas dire que cela n’est pas nécessaire, si ni l’un ni l’autre ne sont bons ou mauvais en soi ? car beaucoup de choses qui en produisent d’autres ne sont pas bonnes en soi, mais elles le deviennent étant mêlées à d’autres. Et réciproquement, chacune peut être bonne à part, et, mêlées, elles sont mauvaises, ou du moins ne sont ni bonnes ni mauvaises. Et cela est parfaitement évident pour les choses salubres et les choses malsaines ; car certains remèdes sont de telle façon que l’un et l’autre à part sont bons, mais que si on les administre tous deux mélangés, ils sont mauvais.

§ 13 Il faut voir encore si le défini est composé d’une chose meilleure et d’une pire, sans que le tout qu’elles forment soit pire que la meilleure et meilleur que la pire. § 14[387]. Ou bien ne peut-on pas dire que cela n’est pas nécessaire, quand les choses dont le défini se compose ne sont pas bonnes par elles-mêmes ? Mais rien n’empêche que le tout ne soit pas bon pour les choses qui ne sont pas bonnes par elles-mêmes, comme dans les cas que nous venons de citer.

§ 15 Il faut voir encore si le tout est synonyme de l’une des parties ; car il ne le faut pas, non plus que pour les syllabes. Et en effet, une syllabe n’est jamais synonyme d’aucune des lettres qui la composent.

§ 16 On s’est trompé encore si l’on n’a point indiqué le mode de la composition ; car il ne suffit pas pour bien connaître la chose, de dire qu’elle vient de telle autre. L’essence des composés consiste, non pas seulement en ce qu’ils sont formés de tels éléments, mais en ce qu’ils en sont formés de telle façon, comme pour la maison ; car ce n’est pas une maison quelle que soit la façon dont les parties en sont assemblées.

§ 17[388]. Si l’on a donné le défini avec telle autre chose, il faut dire d’abord, si en disant que telle chose est avec telle autre, on entend, ou qu’il y a telle et telle chose, ou bien que l’une est formée de l’autre : par exemple, quand on dit du miel avec de l’eau, on veut dire soit du miel et de l’eau, soit le mélange qui est fait de miel et d’eau. Il en résulte, que selon que l’on identifiera cette expression : Ceci avec cela, à l’une des nuances indiquées, il conviendra de dire précisément ce qu’on a dit plus haut pour l’une ou pour l’autre. § 18 De plus, après avoir dit en combien de sens, on peut comprendre qu’une chose est avec une autre, il faut voir si l’une n’est pas du tout avec l’autre. Par exemple, si l’on dit qu’une chose avec une autre signifie qu’elles seront toutes deux dans un même sujet qui les reçoit, comme la justice et le courage sont dans l’âme, ou bien qu’elles sont dans le même temps ou le même lieu, et que ce dont il s’agit ne soit pas du tout vrai à ces différents égards, il est clair qu’on n’a donné la définition de rien, puisque cette chose n’est pas du tout avec cette autre.

§ 19[389]. Si pour les choses dont on a dit distinctement en combien de sens on prend cette expression : être avec une autre, il est vrai que l’une et l’autre puissent être dans le même temps, il faut voir si l’une et l’autre peuvent ne pas se dire du même sujet ; et l’on se trompe, par exemple, si l’on a défini le courage une audace avec une pensée juste. En effet, il se peut qu’on ait l’audace pour dérober, et que la pensée juste s’applique aux choses salubres ; et cependant celui-là n’est pas encore courageux qui a l’une avec l’autre dans le même temps. Il ne l’est pas davantage, si les deux qualités sont relatives à un même objet, à des objets médicaux, par exemple ; car rien n’empêche qu’on n’ait à la fois, en médecine, et de l’audace et une pensée juste : mais cependant, celui-là n’est pas davantage courageux qui a l’une de ces qualités avec l’autre. C’est qu’il ne faut pas que l’une et l’autre soient dites relativement à une chose différente, pas plus que le sujet commun auquel elles se rapportent toutes deux, ne peut être le premier sujet venu : elles doivent se rapporter toutes deux au but même du courage, comme, par exemple, aux dangers de la guerre, ou à tel autre but s’il y en a encore un autre qui soit plus spécialement celui du courage.

§ 20[390]. Quelques-unes des choses ainsi définies ne rentrent pas du tout sous la division indiquée. Par exemple, si l’on dit que la colère est une peine avec le soupçon qu’on est dédaigné, cela veut dire que la peine qu’on ressent se produit par ce soupçon même. Mais dire qu’une chose se produit par une autre, ce n’est pas du tout la même chose que de dire que l’une soit avec l’autre, dans aucun des sens indiqués plus haut.


CHAPITRE XIV.

Six autres lieux pour attaquer la définition.


§ 1[391]. Si l’on a dit encore que le défini total est la composition de telles choses, par exemple, que l’animal est la composition d’âme et de corps, il faut voir d’abord si l’on a négligé de dire quelle est l’espèce de cette composition. Par exemple, si définissant la chair ou l’os, on a dit que c’est une composition de feu, de terre et d’air ; car il ne suffit pas de dire que c’est une composition, il faut déterminer de plus quel genre de composition cela est. En effet, ce n’est pas par une composition quelconque de ces éléments que la chair se forme ; mais c’est par une certaine composition qu’ici c’est de la chair, et là un os. Du reste, aucune des deux choses que je viens de citer ne paraît être du tout identique à une composition ; car la dissolution est le contraire de toute composition et aucune des choses indiquées n’a de contraire. Si d’ailleurs il est également croyable que tout composé, ou aucun composé n’est une composition, comme chacun des animaux tout composé qu’il est n’est pas une composition, il faut conclure qu’aucun autre composé ne saurait être non plus une composition.

§ 2[392]. En outre, si les contraires peuvent être également dans quelque sujet et qu’on ait défini par un des deux seulement, il est évident qu’on n’a point défini. Autrement il y aurait plusieurs définitions d’une même chose ; car, a-t-on plutôt défini en prenant celui-ci qu’en prenant celui-là, puisque les deux sont naturellement et également dans le sujet ? Telle est la définition de l’âme, quand l’on dit que c’est une substance capable de science, puisqu’elle est tout aussi bien capable d’ignorance.

§ 3 Il faut encore, quand on ne peut pas attaquer la définition dans sa totalité, en disant que le tout n’est pas connu, en attaquer au moins une partie, si elle n’est pas connue et qu’elle ne paraisse pas bien donnée ; car la partie étant détruite, toute la définition est détruite aussi. Toutes les fois que les définitions ne sont pas claires, il faut, après les avoir rectifiées et les avoir corrigées, pour qu’elles expriment quelque chose et fournissent des arguments, procéder à les attaquer ; car alors, il faut nécessairement que celui qui répond ou accepte ce qui est ajouté par celui qui l’interroge, ou bien qu’il explique lui-même ce que peut signifier la définition donnée par lui.

§ 5 Ajoutons que, comme dans les assemblées politiques, si une loi nouvelle qu’on propose vaut mieux, on abroge la précédente, de même pour les définitions, il faut en proposer une autre à l’adversaire ; car si elle paraît meilleure, si elle paraît expliquer mieux la chose à définir, il est évident qu’on fera disparaître ainsi celle qui avait été d’abord donnée, puisqu’il n’y a pas plusieurs définitions d’une même chose.

§ 6 Ce n’est pas, du reste, un petit élément de succès, pour attaquer les définitions, que de bien se déterminer à soi-même l’objet en question, ou de reprendre à part soi la définition même quand elle est bien donnée ; car nécessairement en y recourant comme à un modèle, on découvre et ce qui manque parmi les éléments que devrait avoir la définition et ce qu’il y a d’inutilement ajouté, de sorte qu’on est d’autant plus riche en arguments.

§ 7[393]. Voilà tout ce qu’il y avait à dire sur les définitions.


{{t2| LIVRE SEPTIÈME.}}


QUESTION DE L’IDENTITÉ. MÉTHODE POUR DÉFENDRE LA DÉFINITION. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES LIEUX COMMUNS


CHAPITRE PREMIER.

Seize lieux de l’identité.


§ 1[394]. Il faut traiter maintenant la question de savoir si le sujet dont il s’agit est identique à un autre, ou s’il est différent, dans le sens le plus spécial de tous ceux que l’on a indiqués du mot identique. L’identité proprement dite, comme on s’en souvient, est celle de l’unité numérique.

§ 2<ref>Aux cas, aux conjugués, aux opposés, Voir, pour le sens de ces mots qui se présentent si souvent dans les Topiques, ce qu’on a dit plus haut, liv. 1, ch. 15, § 10, et liv. 2, ch. 9. — De quelque espèce d’opposition, Voir les Catégories, chap. 10.</ref>. Il faut regarder aux cas, aux conjugués, aux opposés ; car si la justice est la même chose que le courage, le juste est identique au courageux, justement à courageusement. Et de même pour les opposés ; car si telles choses sont les mêmes, les opposés de ces choses seront aussi les mêmes, de quelque espèce d’opposition qu’on entende parler. En effet, il n’importe pas qu’on fasse le sujet opposé à ceci ou opposé à cela, puisque les choses sont identiques.

§ 3 Il faut regarder aussi aux choses qui produisent les sujets ou les détruisent, aux générations et aux destructions, et en général, aux choses qui sont d’une façon semblable relativement à l’un et à l’autre sujet ; car lorsque les choses sont absolument les mêmes, les générations et les destructions de ces choses-là sont les mêmes, et ce qui les fait est le même, ce qui les détruit est le même aussi. § 4[395]. Il faut voir encore pour les choses où l’une des deux est dite au superlatif, si l’autre de ces deux mêmes choses est dite aussi au superlatif pour le même sujet. Ainsi, par exemple, Xénocrate prétend que la vie vertueuse est la même que la vie heureuse, parce que de toutes les vies la plus désirable est la vie vertueuse et la vie heureuse. Mais il n’y a qu’une seule et unique chose qui soit la plus désirable et la plus importante. Et de même pour toutes les autres définitions de ce genre. § 5[396]. Il faut donc que l’une et l’autre des choses présentées, ou comme la plus désirable, ou comme la plus importante, soit numériquement une. Si non, il ne sera pas démontré qu’elle est la même ; car il n’est pas nécessaire, si les Péloponnésiens et les Lacédémoniens sont les plus braves des Grecs, que les Péloponnésiens et les Lacédémoniens soient les mêmes, puisque Péloponnésien et Lacédémonien ne sont pas numériquement un ; mais il faut nécessairement que l’un soit compris dans l’autre, comme les Lacédémoniens le sont dans les Péloponnésiens. Sinon, il arrivera que les uns seront réciproquement meilleurs que les autres, si les uns ne sont pas compris dans les autres. Ainsi, il faudra nécessairement que les Péloponnésiens soient plus braves que les Lacédémoniens, si les uns ne sont pas compris dans les autres, puisque les Péloponnésiens sont plus braves que tous les autres peuples. Et de même, il est nécessaire aussi que les Lacédémoniens soient plus braves que les Péloponnésiens ; car, eux aussi, ils sont plus braves que le reste ; de sorte qu’ils sont réciproquement plus braves les uns que les autres. Il est donc évident qu’il faut que la chose la plus désirable, la plus importante, soit numériquement unique, si l’on veut démontrer l’identité. Aussi Xénocrate ne démontrentil pas sa proposition ; car la vie heureuse et la vie vertueuse ne forment pas numériquement une unité, et par conséquent il n’est pas nécessaire qu’elles soient la même vie, puisque toutes les deux sont les plus désirables : mais il faut que l’une soit comprise dans l’autre.

§ 6[397]. Il faut voir encore si l’une des choses est identique à ce à quoi l’autre est identique ; car si toutes deux ne sont pas identiques à un même sujet, il est clair qu’elles ne le sont pas non plus l’une à l’autre.

§ 7 Il faut voir en outre aux accidents de ces choses et aux choses dont elles sont les accidents ; car tous les accidents qui sont à l’un devront aussi être à l’autre, et les choses auxquelles l’un est comme accident auront aussi l’autre pour accident. Si l’une de ces relations ne s’accorde pas, il est clair que les choses en question ne sont pas identiques.

§ 8[398]. Il faut voir de plus si les deux choses, au lieu d’être dans un seul genre de catégorie n’expriment pas, l’une la quantité, l’autre la qualité ou la relation. § 9 De plus encore, si le genre des deux n’est pas le même, mais que l’une soit mauvaise et l’autre bonne, ou que l’une soit vertu et l’autre science. § 10[399]. Ou bien, quand le genre est le même, il faut voir si les mêmes différences ne peuvent pas être attribuées aux deux : mais que pour l’une la science soit théorique, et qu’elle soit pratique pour l’autre. Et de même pour le reste.

§ 11[400]. Il faut aussi regarder à l’expression du plus, si l’une reçoit le plus et l’autre ne le reçoit pas ; ou si la deux le reçoivent, mais non en même temps ; comme celui qui aime plus ne désire pas plus la cohabitation, de sorte que l’amour et le désir de cohabitation ne sont pas du tout une même chose.

§ 12 Il faut voir encore à l’addition, et examiner si l’une et l’autre, ajoutées au même sujet, ne font pas le tout identique. § 13 Ou bien, si le même terme étant retranché des deux, le reste n’est pas différent. Par exemple, si l’on a dit que le double de la moitié est la même chose que le multiple de la moitié, il faut qu’en retranchant la moitié de l’un et de l’autre côté, le reste exprime la même chose ; mais il ne l’exprime pas ; car le double et le multiple n’expriment pas la même chose tous les deux.

§ 14[401]. Il faut voir non seulement s’il ressort quelque chose d’impossible de la proposition, mais encore s’il est possible que la chose soit selon l’hypothèse. Ainsi, l’on dit que vide et plein d’air sont la même chose ; or, il est évident que si l’air sort, il n’y aura pas moins vide, mais qu’il y en aura davantage, et que l’espace ne sera plus plein d’air. Par conséquent, en supposant ceci, que l’hypothèse d’ailleurs soit vraie ou fausse, ce qui importe peu, l’un des deux sera détruit tandis que l’autre ne le sera pas ; donc ils ne sont pas la même chose.

§ 15 En général, il faut voir s’il n’y a pas quelque discordance dans les choses attribuées d’une façon quelconque à l’une et à l’autre, et dans les choses auxquelles elles-mêmes sont attribuées ; car tout ce qui est attribué à l’une doit être aussi attribué à l’autre : et les choses auxquelles l’une est attribuée, doivent aussi recevoir l’autre pour attribut.

§ 16 De plus, comme le même a plusieurs sens, il faut voir si les choses sont les mêmes suivant une façon différente ; car les choses qui sont les mêmes en espèce ou en genre, ne sont pas nécessairement les mêmes numériquement : et nous devons voir encore si elles sont les mêmes de cette façon, ou si elles ne le sont pas.

§ 17 Il faut voir enfin s’il est possible que l’une soit sans l’autre ; car alors elles ne seraient pas la même chose.

§ 18 Voilà donc tous les lieux pour l’identité.


{{t3| CHAPITRE II.}}

Les lieux négatifs de l’identité peuvent être employés aussi pour la définition : les lieux affirmatifs ne le peuvent pas.


§ 1[402]. Il est clair, d’après ce qui a été dit plus haut, que tous les lieux relatifs à l’identité bons pour réfuter, peuvent servir relativement à la définition, de la façon qu’on a exposée précédemment ; car si le mot défini et la définition ne signifient pas la même chose, il est clair que l’explication donnée ne serait pas une définition.

§ 2[403]. Mais de tous les lieux qui établissent la proposition d’identité, aucun n’est utile pour la définition ; car il ne suffit pas, pour établir qu’il y a définition réelle, de démontrer l’identité du mot et de l’explication qui en est donnée : mais il faut encore que toutes les conditions dont on a parlé soient remplies par la définition.

§ 3[404]. C’est donc toujours de cette façon, et par ces termes, qu’il faut essayer de réfuter la définition.


CHAPITRE III.

Lieux pour défendre la définition.


§ 1[405]. Si nous voulons l’établir, au contraire, il faut d’abord savoir que jamais, ou bien rarement du moins, de la discussion on ne conclut la définition. D’ordinaire on la pose comme principe, ainsi qu’on le fait toujours en géométrie, en arithmétique, et dans toutes les sciences de ce genre. § 2[406]. Il faut remarquer, en outre, que c’est à un autre traité que celui-ci d’exposer avec toute exactitude, et ce qu’est la définition, et le procédé de la définition. Ici on doit dire, en se bornant au besoin actuel, qu’il est possible d’obtenir par la conclusion d’un syllogisme, et la définition et l’essence de la chose. En effet, si la définition est l’explication de ce qu’est la chose, et s’il faut que les choses attribuées dans la définition soient seules aussi attribuées essentiellement à la chose, et l’on sait qu’il n’y a que les genres et les différences qui soient attribuées essentiellement, il est clair qu’en prenant seulement les attributs essentiels de la chose, l’explication qui comprend ces attributs est nécessairement une définition ; car il ne peut y avoir une autre définition de la chose, puisqu’il n’y a pas un seul autre attribut essentiel de la chose. Il est dont clair qu’on peut, par conclusion de syllogisme, obtenir la définition. § 3[407]. Comment il faut l’établir, c’est ce qui a été expliqué ailleurs plus rigoureusement ; et pour la recherche actuelle, les mêmes lieux sont utiles. § 4[408]. Ainsi il faut voir et aux contraires et aux autres opposés, en regardant, soit aux définitions entières, soit aux parties des définitions. § 5[409]. Si la définition opposée est la définition de l’opposé, nécessairement la définition donnée sera celle du sujet en question. Mais comme il y a plusieurs combinaisons possibles des contraires, il faut prendre parmi les définitions contraires celle qui paraîtra la plus contraire. Il faut donc regarder aux définitions entières comme on l’a dit. § 6 On regardera aux parties de la façon suivante : et d’abord, si le genre donné a été bien donné ; car si le contraire est dans le contraire, et que le sujet en question ne soit pas dans le même, il est clair qu’il sera dans le contraire, puisqu’il faut nécessairement que les contraires soient dans le même genre, ou dans des genres contraires. Et nous pensons que des différences contraires sont attribuées aux contraires, comme pour le blanc et le noir, dont l’un recueille, l’autre disperse la vision. Si donc les différences contraires sont attribuées au contraire, les différences données seront attribuées aussi au sujet donné. Par conséquent, puisque le genre et les différences sont bien indiquées, il est clair que c’est vraiment la définition qui aura été proposée. § 7[410]. Ou bien, ne peut-on pas dire qu’il n’est pas nécessaire que les différences contraires soient attribuées aux contraires, si les contraires ne sont pas dans le même genre ? Pour les choses dont les genres sont contraires, rien n’empêche qu’une même différence ne soit dite des deux, par exemple, pour la justice et l’injustice : ainsi, l’une est une vertu, l’autre un vice de l’âme ; de sorte que la différence de l’âme est dite pour les deux, puisque la vertu et le vice peuvent appartenir aussi au corps. § 8 Par conséquent, il est vrai que les différences des contraires sont ou contraires ou identiques. Si donc la différence contraire est attribuée au contraire, et qu’elle ne le soit pas au sujet en question, il est clair que la différence posée est bien attribuée à ce sujet. § 9[411]. En général, puisque la définition se compose du genre et des différences si la définition du contraire est évidente, celle du sujet en question ne le sera pas moins. En effet, comme le contraire est ou dans un même genre, ou dans un genre contraire, de même aussi que les différences attribuées aux contraires sont contraires ou identiques, il est évident que le même genre sera attribué au sujet et au contraire, et que les différences seront contraires, soit toutes, soit quelques-unes, et que les autres seront identiques. Ou bien, à l’inverse, les différences seront les mêmes et les genres contraires. Ou bien encore, tous deux seront contraires, les genres et les différences ; car tous deux ne sauraient être les mêmes, puisqu’alors les contraires auraient une même définition.

§ 10[412]. Il faut regarder encore aux cas et aux conjugués ; car il faut nécessairement que les genres suivent les genres, et les définitions les définitions. Par exemple, si l’oubli est la perte de la science, oublier sera perdre la science, avoir oublié, avoir perdu la science. En accordant donc l’une quelconque de ces choses, il faut aussi accorder toutes les autres. Et de même, si la destruction est la dissolution de la substance, être détruite sera être dissoute pour la substance, destructif sera dissolutif ; et si destructif est dissolutif de la substance, la destruction sera la dissolution de la substance. Et de même, pour les autres termes ; de sorte que l’une quelconque de ces choses étant admise, il faut aussi que tout le reste le suit.

§ 11 Il faut voir en outre aux choses qui sont dans un rapport de ressemblance entre elles ; car si le sain est ce qui fait la santé, le fortifiant sera ce qui fait l’embonpoint, et l’utile ce qui fait le bien ; car chacune des closes citées est, relativement à sa fin propre, dans un rapport semblable ; de sorte que si la définition de l’une d’elles est d’accomplir sa fin spéciale, cette définition, à cet égard, sera semblable pour les autres.

§ 12[413]. Il faut voir aussi, pour le plus et le pareil, en combien de sens on peut établir ces rapports, en comparant ces choses deux à deux. Par exemple, si telle définition est plus la définition de telle chose, que telle autre définition ne l’est de telle autre chose, et que la définition qui semble le moins l’être le soit cependant, il faudra que celle qui semble l’être le plus le soit aussi. Si l’une l’est également pour celle-ci, et l’autre pour celle-là, et si l’autre convient à l’autre, il faudra que la définition restante convienne à la chose qui reste. § 13[414]. Quand il s’agit de comparer une seule définition à deux choses, ou deux définitions à une seule, il n’y a pas utilité à considérer le plus ; car il n’est pas possible qu’il y ait une seule définition pour deux choses, non plus que deux définitions pour la même chose.


CHAPITRE IV.

Indication générale des lieux les plus utiles.


§ 1[415]. Les plus commodes de tous ces lieux sont ceux qui viennent d’être indiqués, et ceux qui se tirent des cas et des conjugués. Aussi sont-ce ceux-là surtout qu’il faut connaître et avoir à sa disposition ; car ils sont utiles dans le plus d’occasions. Et parmi les autres, il faut s’attacher aux plus communs ; car ils sont plus puissants que tous les autres. Et, par exemple, il faut regarder en particulier à chaque cas individuel : mais aussi il faut voir si la définition convient également aux espèces, puisque l’espèce est synonyme. Ce lieu est encore utile contre ceux qui admettent les idées, ainsi qu’on l’a dit auparavant. Il faut encore voir si l’on a pris le mot par métaphore, ou si on l’attribue à lui-même comme s’il était autre. Et s’il y a encore quelque autre lieu commun et énergique, il faut s’en servir.


CHAPITRE V.

De la facilité et de la difficulté des argumentations.


§ 1[416]. On verra clairement, par ce qui sera dit plus loin, qu’il est plus facile de renverser la définition que de l’établir ; car il n’est pas aisé de découvrir soi-même, et d’obtenir de ceux qu’on interroge, des propositions du genre des suivantes : par exemple, que des choses comprises dans la définition donnée, l’une est genre et l’autre différence, et que le genre seul et les différences sont attribués essentiellement au sujet. Or, sans ces propositions, il est impossible qu’il y ait syllogisme de la définition ; car si quelques autres choses encore sont attribuées essentiellement au sujet, on ne sait plus si c’est la définition dite ou une autre qui convient au sujet, puisque la définition est l’explication qui exprime l’essence de la chose. § 2 Voici ce qui le prouve : c’est qu’il est plus facile de conclure une seule chose que d’en conclure plusieurs. Or, il suffit, quand on réfute, de détruire un seul élément de la définition ; car en détruisant une partie quelconque, nous aurons aussi détruit toute la définition. Au contraire, quand on établit la définition, il faut démontrer la réalité de toutes les choses qui sont mises dans la définition. § 3[417]. Il faut aussi, quand on établit la définition, faire une conclusion universelle ; car il faut que la définition soit applicable à tout ce à quoi l’est le mot ; et, en outre, qu’il y ait réciprocité, et que le mot s’applique à tout ce à quoi s’applique la définition, s’il faut que la définition donnée soit spéciale au défini. Quand on réfute, au contraire, il n’est pas nécessaire de démontrer universellement ; car il suffit de montrer que la définition n’est pas vraie pour l’une des choses qui sont comprises sous le nom. Et quand bien même il faudrait réfuter universellement, il ne serait pas nécessaire pour réfuter qu’il y eût réciprocité ; car il suffit, pour réfuter universellement, de montrer que la définition n’est pas attribuable à l’une des choses auxquelles le défini est attribué. Mais il n’est pas réciproquement nécessaire de montrer que le défini n’est pas attribué aux choses auxquelles la définition ne l’est pas. § 4[418]. Et de plus, tout en s’appliquant à tout le défini, la définition, si elle ne s’applique pas au défini seul, se trouve détruite par là même.

§ 5[419]. Il en est encore ainsi pour le propre et pour le genre ; car pour les deux, il est plus facile aussi de renverser que d’établir. § 6[420]. Cela est évident pour le propre, d’après ce qui a été dit. En effet, comme le propre est donné le plus souvent en combinaison avec d’autres termes, on peut le réfuter en ne détruisant qu’un seul élément, tandis que nécessairement, quand on établit la proposition, on doit prouver tout par syllogisme. § 7[421]. Du reste, on pourrait dire convenablement du propre presque tout ce qui s’applique à la définition. Ainsi il faut, quand on établit la thèse, montrer que la chose est à tout ce qui est compris sous le mot, tandis qu’il suffit, quand on réfute, de montrer qu’elle n’est pas à un seul terme quelconque. Et si le propre est bien à tout le sujet, mais qu’il ne soit pas à ce sujet tout seul, on a par cela même réfuté, ainsi qu’on l’a dit également pour la définition.

§ 8 Quant au genre, il n’y a nécessairement, quand on a démontré qu’il est à tout le sujet, qu’une seule façon de l’établir. Mais quand on réfute, il y en a deux manières ; car si l’on a démontré qu’il n’est à aucune partie du sujet, ou qu’il n’est pas à quelque partie du sujet, on a détruit le genre posé dans le principe. § 9 De plus, quand on établit la proposition, il ne suffit pas de montrer que le genre est au défini : mais il faut aussi montrer qu’il lui appartient comme genre. Quand on réfute, il suffit de montrer qu’il n’appartient pas à quelque partie du sujet, ou qu’il n’est à aucune. § 10 Il semble que, comme en toute autre chose il est plus facile de détruire que de faire, ici aussi il soit plus facile de réfuter que d’établir la thèse.

§ 11 Pour l’accident, il est plus facile de le réfuter universellement que de l’établir. Et, en effet, quand on l’établi, il faut montrer qu’il est à tout le sujet ; et quand on réfute, il suffit de montrer, pour un seul terme, que l’accident ne lui appartient pas. Pour le discuter particulièrement, c’est tout le contraire ; car il est plus aisé ici d’établir que de réfuter la proposition. Ainsi, quand on l’établit, il suffit de montrer que l’accident est à quelque terme ; et quand on réfute, il faut montrer qu’il n’est à aucun.

§ 12 On voit clairement pourquoi le plus aisé de tout, c’est de réfuter la définition ; car le grand nombre des éléments qui la forment fournit aussi plus de données pour la réfutation, et le syllogisme se forme d’autant plus vite qu’on a plus d’éléments. Il semble, en effet, que l’erreur est d’autant plus fréquente que le nombre même des choses est plus grand. § 13[422]. De plus, pour la définition, on peut aussi la combattre par les autres moyens indiqués ; car, soit que l’explication qu’elle donne ne soit pas propre au défini, soit que le terme attribué ne soit pas le genre, soit que quelqu’une des choses comprises dans la définition n’appartienne pas au défini, la définition est détruite. Pour les autres questions, au contraire, on ne peut les attaquer, ni par les lieux relatifs aux définitions, ni par tous les autres. En effet, il n’y a que les lieux relatifs à l’accident qui soient communs à toutes les questions indiquées, puisqu’il faut que chacun de ces termes appartienne au sujet. Quant au genre, il peut ne pas être au sujet comme propre, sans pour cela être détruit. De même, il n’est pas nécessaire que le propre soit au sujet comme genre, et l’accident n’a pas besoin d’y être comme genre ou comme propre ; mais il faut seulement qu’il y soit. Ainsi donc, il n’est pas possible de se servir des arguments d’une des questions contre les autres, si ce n’est contre la définition ; donc, il est évident que le plus facile de tout, c’est de réfuter la définition. § 14[423]. Et le plus difficile, c’est de l’établir ; car il faut prouver d’abord tous ces éléments par syllogisme, c’est-à-dire que toutes les parties énumérées appartiennent bien au sujet, et que c’est le genre qui a été donné, et que l’explication est propre au défini ; et en outre, il faut prouver que la définition exprime bien l’essence de la chose ; et il faut faire tout cela régulièrement.

§ 15 Parmi les autres questions, le propre est le plus semblable à la définition ; car il est plus facile de le réfuter, parce qu’il se compose ordinairement de plusieurs éléments ; et le plus difficile, c’est de l’établir, parce qu’il faut réunir plusieurs choses : et, qu’en outre, il faut prouver qu’il n’est qu’au seul terme en question, et qu’il peut être pris réciproquement pour la chose dont il est le propre.

§ 16[424]. Le plus facile de tout c’est d’établir l’accident ; car pour les autres questions, il faut montrer non seulement que le terme indiqué est au sujet, mais encore qu’il y est de telle façon : pour l’accident, au contraire, il suffit de montrer qu’il y est d’une façon quelconque.

§ 17 Le plus difficile est de réfuter l’accident, parce qu’on y donne le moins possible d’éléments, puisqu’on n’ajoute pas pour l’accident comment il est au sujet. Et dès lors pour les autres questions, on peut réfuter de deux façons, en montrant que le terme n’est pas au sujet, ou bien qu’il n’y est pas de telle manière, tandis que pour l’accident on ne peut réfuter qu’en montrant qu’il n’est pas au sujet.

§ 18[425]. Nous avons donc à peu près énuméré tous les lieux qui fournissent les moyens de traiter chacune des questions indiquées.


{{t2| LIVRE HUITIÈME.}}


DE LA PRATIQUE DIALECTIQUE. {6}


CHAPITRE PREMIER

Des règles de l’interrogation


§ 1[426]. Après cela, il faut traiter de l’ordre à mettre dans les arguments, et dire comment il faut interroger. La première chose, quand on doit faire une question, c’est de trouver le lieu par où il faut s’y prendre ; c’est ensuite, d’interroger en soi-même et de disposer chaque chose à part soi ; et enfin, en troisième lieu, d’exposer tout cela pour celui à qui l’on s’adresse. Jusqu’à ce qu’on ait trouvé le lieu nécessaire, cette recherche appartient tout aussi bien au philosophe qu’au dialecticien. Mais, disposer toutes ces choses, et ensuite interroger, c’est l’étude spéciale du dialecticien ; car tout cela ne s’adresse toujours qu’à autrui. Mais, quant au philosophe et à celui qui étudie pour lui-même, peu importe, quand les choses par lesquelles il fait le syllogisme sont vraies ou connues, que celui qui répond ne les accorde pas, parce qu’elles seraient voisines du principe, et qu’il pressentirait la conséquence que l’adversaire en va tirer. Mais peut-être le philosophe prendra-t-il soin que les axiomes soient les plus connus possible et les plus proches de la question ; car c’est de là que viennent les raisonnements qui apprennent réellement quelque chose. On a déjà dit antérieurement d’où il faut tirer les lieux propres à l’argumentation ; il faut maintenant parler de l’ordre qu’on y doit mettre, et aussi de l’interrogation, après avoir indiqué les propositions qui peuvent être prises outre les propositions nécessaires. § 2[427]. On appelle nécessaires celles dont on fait le syllogisme. § 3. Celles qui sont admises outre celles-là sont de quatre espèces : on les pose, ou en vue d’une induction, afin que l’adversaire accorde l’universel, ou pour grandir l’expression, ou pour dissimuler la conclusion, ou pour éclaircir la discussion. Il n’y a point à prendre d’autre proposition après celles-là : mais c’est par celles-là seules qu’il faut essayer de développer la discussion et d’interroger l’adversaire.

§ 4. Celles qui dissimulent ne sont faites que pour le combat ; mais puisque toute recherche du genre de celle-ci n’est jamais faite que dans la supposition d’un interlocuteur, il est nécessaire de se servir aussi de propositions qui ne sont pas nécessaires.

§ 5[428]. Il ne faut donc pas mettre aussitôt en avant les propositions nécessaires par lesquelles se fait le syllogisme, mais il faut les prendre d’aussi haut qu’on le peut. Par exemple, si l’on pense que la notion des contraires soit la même, et que l’on veuille soutenir cette thèse, il ne faut pas aller directement aux contraires ; il faut remonter jusqu’aux opposés ; car, ceci une fois admis, on pourra conclure par syllogisme que la notion des contraires est la même, puisque les contraires sont aussi des opposés. Si l’adversaire n’accorde pas cela, il faut le prendre par induction en s’adressant à des contraires particuliers ; car il faut prendre les propositions nécessaires, soit par syllogisme, soit par induction, ou bien les unes, par induction et les autres par syllogisme. Quant à celles qui sont de toute évidence, il ne faut pas moins les produire ; car la conséquence à conclure est toujours plus obscure, quand on la laisse à l’écart et dans l’induction. Et il n’est pas moins convenable d’avancer ces propositions utiles au syllogisme, même quand on ne pourrait les obtenir de l’adversaire. § 6. C’est pour ces propositions nécessaires elles-mêmes qu’il faut aussi poser les propositions subsidiaires, et voilà comment l’on doit se servir de chacune. § 7. Par l’induction, l’on passe du particulier au général, et du connu à l’inconnu. Les choses de sensation sont plus connues, ou absolument parlant, ou du moins pour le vulgaire. § 8. Il faut, quand on veut dissimuler sa conclusion, chercher à établir par des prosyllogismes les propositions au moyen desquelles on prouvera le principe : et il faudra multiplier ces propositions le plus possible. On le fera, si l’on prouve par syllogisme, non pas seulement les propositions nécessaires, mais aussi quelques-unes des propositions subsidiaires qui leur sont utiles.

§ 9. Il ne faut pas non plus énoncer les conclusions des prosyllogismes, mais il faut ensuite les donner en masse ; car c’est ainsi qu’on s’éloignera le plus de la proposition primitive. § 10. En général, il faut interroger, quand on veut cacher sa pensée, de manière que, toute l’interrogation étant faite, et la conclusion même étant donnée, l’interlocuteur en soit encore à demander le pourquoi : et l’on atteindra surtout ce résultat par la méthode qui vient d’être indiquée. En effet, en n’énonçant que la conclusion extrême, l’interlocuteur ne pourra savoir comment ont l’obtient, parce qu’il n’a pas vu préalablement comment on y arrive, les syllogismes antérieurs n’ayant pas été posés membres à membres. Le syllogisme de la conclusion extrême a encore bien moins ses membres réguliers, puisque nous en avons donné, non pas les éléments initiaux, mais seulement les principes, par lesquels le syllogisme de ceux-là se produit. § 11. Il est utile aussi de ne pas prendre d’une manière toute continue les assertions dont on forme les syllogismes. Il faut prendre successivement des assertions qui se rapportent à des conclusions différentes ; car, en plaçant les assertions spéciales les unes auprès des autres, la conclusion qui en doit résulter sera plus évidente.

§ 12. Il faut aussi, pour la définition, prendre, quand on le peut, la proposition universelle, non dans les choses même, mais dans les choses de même ordre ; car les adversaires se réfutent eux-mêmes quand on tire la définition d’une chose de même ordre, parce qu’ils ne l’accordent pas universellement. Par exemple, s’il fallait faire accorder cette proposition que l’homme en colère désire la vengeance à cause du mépris qu’on a fait de lui, et que l’on se fît accorder celle-ci que la colère est un désir de vengeance à cause du mépris manifesté, il est évident que, cette proposition une fois accordée, on aurait la proposition universelle qu’on cherché. Mais quand on s’arrête aux choses même dont il s’agit, il arrive souvent que celui qui répond refuse les propositions, parce que la réfutation lui est plus facile sur ce point : et il soutient, par exemple, que, quand on est en colère, on ne désire pas toujours la vengeance : ainsi, nous pouvons bien nous emporter contre nos parents, et, cependant, nous ne désirons pas les punir. Mais peut-être cette réfutation n’est pas très vraie ; car, dans certains cas, c’est une vengeance suffisante quand on a fait du chagrin aux gens, et qu’on les fait repentir de leur action. Cependant, il y a dans cette objection une apparence de vérité, qui fait que l’adversaire ne paraîtra pas déraisonnable de repousser la proposition d’abord avancée. Mais, quant à la définition de la colère, il n’est pas aussi facile d’en trouver la réfutation.

§ 13. Il faut, du reste, avancer ces propositions comme si c’était, non pour la chose même, mais pour une autre chose ; car l’adversaire est toujours sur ses gardes pour les concessions qui peuvent être utiles à la proposition. § 14. En un mot, il faut rendre aussi obscur que possible, le point de savoir si l’on veut prendre ou la chose en question ou l’opposée ; car lorsque ce qui peut être utile à la discussion reste obscur, on se laisse aller davantage à sa véritable opinion. § 15[429]. Il faut interroger aussi par la ressemblance ; car elle peut suffire à persuader, et cache plus les choses que la proposition universelle. Par exemple, on peut dire que, de même que la notion ou l’ignorance des contraires est unique, de même aussi la sensation des contraires est unique : ou réciproquement, puisque la sensation des contraires est la même, la science l’est aussi. Cela ressemble à l’induction, mais cependant ne lui est pas identique ; car, pour l’induction, on tire le général du particulier : et, pour les semblables, on ne prend pas le terme général sous lequel sont compris tous les semblables ensemble.

§ 16. Il faut aussi faire parfois la réfutation contre soi-même ; car ceux qui répondent sont tout à fait sans défiance, quand on paraît présenter les arguments avec loyauté. § 17. Il est utile encore d’ajouter que ce que l’on soutient est habituel ; car on répugne à ébranler une opinion reçue, quand on n’a pas de réfutation toute prête : et précisément parce qu’on est bien obligé de se servir soi-même d’arguments de ce genre, on se garde de les repousser. § 18. Il ne faut pas non plus montrer trop d’ardeur pour un argument tout utile qu’il peut être ; car l’adversaire résiste davantage quand il remarque un si vif empressement. § 19. Il faut encore n’avancer son opinion que comme une comparaison ; car on accorde plus aisément ce qui est avancé non pour soi, mais pour autre chose. § 20. Il ne faut pas non plus avancer directement la chose qui doit être posée, mais ce dont celle-là est la conséquence nécessaire. L’adversaire accorde plus facilement ce qu’on lui demande, parce que la conséquence qui doit en résulter n’est pas alors aussi évidente. : et en prenant l’un, on prend aussi l’autre. § 21. Ce n’est qu’en dernier lieu qu’il faut demander ce qu’on veut par-dessus tout obtenir ; car l’adversaire repousse surtout les premières choses qu’on lui demande, parce que la plupart de ceux qui interrogent énoncent tout d’abord les choses qui les préoccupent le plus. § 22. Avec certains interlocuteurs, il faut tout d’abord avancer ces choses-là précisément ; car les gens à difficultés accordent surtout les premières choses, quand la conclusion qui doit résulter n’est pas fort évidente : mais ils font des difficultés à la fin. Et de même font ceux qui se piquent d’être fins dans leurs réponses ; car, après avoir fait de nombreuses concessions, ils élèvent des arguties vers la fin, en prétendant que la conclusion ne sort pas des données admises. Ils concèdent au contraire sans peine, se fiant à leur talent, et supposant toujours qu’il ne leur arrivera rien de fâcheux. § 23. Il faut encore allonger la discussion, et ajouter bien des choses qui ne sont pas utiles au sujet, comme ceux qui tracent de faux dessins ; car, lorsque les choses sont si nombreuses, on ne sait pas au juste dans laquelle est l’erreur. Aussi parfois ceux qui interrogent ne s’aperçoivent pas qu’ils ont avancé dans cette obscurité des choses, qui, présentées en soi, n’auraient pas été accordées certainement. § 24[430]. Il faut donc se servir des moyens qui viennent d’être indiqués pour cacher sa pensée.

§ 25[431]. Pour l’orner, au contraire, il faudra recourir à l’induction, et à la division des choses de même genre. On voit clairement ce qu’est l’induction. La division c’est, par exemple, de dire que telle science est meilleure que telle autre science, ou parce qu’elle est plus exacte, ou parce que le sujet en est plus élevé ; c’est-à-dire que parmi les sciences les unes sont théoriques, les autres pratiques, et d’autres productives. Chacune de ces choses, en effet, embellit le discours, mais elles ne sont pas nécessaires à dire pour la conclusion qu’on poursuit.

§ 26[432]. Pour éclairer la discussion, ce sont des exemples et des comparaisons qu’il faut prendre. Il faut choisir des exemples familiers, tirés de choses que nous connaissons, comme fait Homère, et non comme fait Chærile ; car de cette façon ce qu’on a avancé devient plus clair.


{{t3| CHAPITRE II.}}

Suite des règles de l’interrogation : de l’emploi du syllogisme et de l’induction suivant les interlocuteurs.


§ 1[433]. Il faut quand on discute se servir du syllogisme plutôt avec les dialecticiens qu’avec le vulgaire ; et au contraire, il faut se servir plutôt de l’induction avec le vulgaire. On a déjà parlé de cela précédemment. § 2[434]. Dans certains cas, il est possible en interrogeant de demander l’universel par voie d’induction ; dans certains cas, cela n’est pas facile parce qu’il n’y a pas un nom commun pour toutes les ressemblances. Mais quand il faut obtenir l’universel, c’est de cette façon, dit-on, qu’il faut procéder pour toutes les choses de ce genre ; or il est extrêmement difficile de déterminer quelles sont, parmi les choses avancées, celles qui sont telles qu’on le dit, et celles qui ne le sont pas : et c’est là ce qui fait souvent qu’on se querelle dans les discussions, les uns soutenant que des choses qui ne sont pas semblables le sont, d’autres doutant que des choses semblables le soient. Il faut, pour éviter ces embarras, essayer de forger soi-même des mots, afin que celui qui répond ne conteste pas que ce qui est énoncé soit dit semblablement, ni que celui qui interroge puisse chicaner sur la ressemblance, attendu que beaucoup de choses paraissent dites semblablement qui cependant ne le sont pas.

§ 3[435]. Lorsque, après une induction faite pour plusieurs termes, l’adversaire ne donne pas l’universel, il est juste alors de demander à l’adversaire son objection. Si l’on n’a pas désigné soi-même pour quels termes il en est ainsi, il n’est pas juste, de demander pour quels termes il n’en est pas ainsi ; car ce n’est qu’après avoir fait d’abord cette induction, qu’on peut réclamer l’objection de l’adversaire. § 4[436]. Et l’on peut demander qu’on ne fasse porter les objections sur le sujet lui-même, que dans le cas où ce sujet serait le seul de cette façon, comme la dyade qui est le seul nombre premier parmi les nombres pairs ; car il faut que celui qui fait l’objection la fasse porter sur une autre chose, ou qu’il prétende que le sujet en question est le seul qui soit de cette façon.

§ 5[437]. Quant à ceux qui réfutent en faisant porter l’objection non sur la chose même, mais sur un homonyme, et par exemple, qui soutiennent qu’on peut avoir une couleur qui n’est pas la sienne, ou le pied, ou la main, comme le peintre pourrait avoir une couleur qui n’est pas à lui, et le cuisinier un pied qui ne lui appartient pas, il faut pour interroger ces gens-là faire la division ; car tant que l’homonymie reste cachée, l’objection à la proposition paraîtra bonne. § 6[438]. Si au contraire l’objection faite, non plus sur un homonyme mais bien sur la chose même, est de nature à empêcher toute question, il faut, en retranchant la partie atteinte par la réfutation, soutenir le reste de la proposition en la faisant générale, jusqu’à ce qu’on ait obtenu un terme qui puisse servir, comme dans cet exemple : L’oubli, et avoir oublié ; car, les adversaires n’accordent pas que celui qui a perdu la science ait oublié, parce que, disent-ils, la chose étant disparue, on a bien perdu la science, mais on ne l’a pas oubliée. Il faut dans ce cas soutenir le reste de la proposition, en retranchant ce sur quoi porte la réfutation : et par exemple dire que si la chose subsistant on en a perdu la science, c’est qu’alors on l’a oubliée. Et de même encore pour ceux qui réfutent cette proposition que le mal plus grand est opposé au bien plus grand ; car ils soutiennent qu’à la santé qui est un moindre bien que la force, un mal plus grand est opposé, attendu que la maladie est un mal plus grand que la faiblesse de constitution. Il faut donc faire disparaître ici aussi ce sur quoi porte la réfutation ; car, ceci retranché, l’adversaire accordera mieux la proposition : et dans l’exemple cité, il faudra dire qu’un mal plus grand est opposé à un plus grand bien, quand l’un n’implique pas l’autre, comme la force de constitution implique la santé. § 7[439]. Non seulement il faut faire cela quand l’adversaire oppose des objections, mais même lorsque, sans élever d’objection, il nie la proposition avancée, prévoyant bien quelque chose de pareil. En effet, quand on a fait disparaître ce sur quoi porte l’objection, l’adversaire sera forcé d’admettre la proposition initiale, parce qu’il n’aura pas découvert dans le reste une partie qui ne serait pas ainsi qu’on l’a dit : et s’il ne l’admet pas, il sera hors d’état, qu’on lui demandera son objection, de pouvoir en donner une. Ces propositions, du reste, sont celles qui sont à moitié vraies et à moitié fausses ; car on peut, en enlevant une partie, ne laisser que ce qui est vrai dans ces propositions. Que si, lorsqu’on étend son assertion à plusieurs choses, l’adversaire n’élève pas d’objection, il faut penser qu’il l’a admise ; car la proposition dialectique est celle qui, s’appliquant ainsi à plusieurs choses, n’a point subi d’objection.

§ 8[440]. Quand on peut conclure syllogistiquement une même chose, soit sans la réduction à l’absurde, soit par réduction à l’absurde, peu importe, si l’on démontre et qu’on ne discute pas dialectiquement, de faire le syllogisme de l’une ou l’autre façon. Mais quand on discute contre quelqu’un, il ne faut pas se servir du syllogisme par l’absurde ; car l’adversaire ne peut contester, quand on conclut sans réduction à l’impossible. Mais quand, au contraire, on a conclu par l’absurde, si l’erreur n’est pas parfaitement manifeste, l’adversaire soutient qu’il n’y a pas d’absurdité : et alors ceux qui interrogent n’en viennent pas du tout ou ils veulent.

§ 9. Il faut avancer les assertions qui sont le plus ordinairement de la façon qu’on dit ; car alors, ou la réfutation n’est pas du tout possible, ou bien il n’est pas facile de la découvrir à première vue. En effet, ne pouvant pas voir les choses pour lesquelles il n’en est pas ainsi, l’adversaire accepte l’assertion comme étant vraie.

§ 10. Du reste il ne faut pas de la conclusion faire une question ; sinon, dans le cas où l’adversaire la nie, il semble ne plus y avoir de syllogisme ; car souvent même, sans qu’on fasse d’interrogation, et en présentant la proposition comme conséquence de ce qui précède, les adversaires la nient ; et en faisant cela, ils ne paraissent même pas être réfutés, pour ceux qui n’ont pas pressenti la conclusion des données admises. Lors donc que, même sans avoir dit que c’est la conclusion, on interroge, et que l’adversaire répond négativement, il semble qu’il n’y ait pas du tout de syllogisme.

§ 11[441]. Toute proposition universelle ne semble pas toujours être une proposition dialectique : par exemple, qu’est-ce que l’homme ? En combien de sens entend-on le bien ? La proposition dialectique est celle à laquelle on peut répondre oui ou non ; mais on ne le peut pour celles qu’on vient d’énoncer. Aussi ces questions-là ne sont-elles pas dialectiques, si l’on n’a point soi-même défini ou divisé en disant, par exemple : Le bien est-il dit dans tel ou tel sens ? car la réponse, dans ce cas, est très-facile, soit qu’on affirme, soit qu’on nie. Aussi est-ce sous cette forme qu’il faut tâcher d’avancer les propositions de ce genre. Il est peut-être aussi également loyal de ne demander en combien de sens on entend le bien, que lorsque, ayant fait une division et avancé une proposition, l’adversaire ne l’accorde pas.

§ 12[442]. Celui qui pendant longtemps se borne à faire une seule question interroge mal ; car une fois que celui qui a interrogé a répondu à ce qu’on lui demandait, il est clair, ou qu’on lui demande plusieurs choses à la fois, ou plusieurs fois les mêmes choses, de sorte que, ou c’est une vaine plaisanterie, ou bien l’on ne fait pas de syllogisme ; car le syllogisme se compose toujours de peu d’éléments. Si l’adversaire ne répond pas, pourquoi alors ne pas le reprendre et ne pas cesser la discussionn


CHAPITRE III.

De la facilité ou de la difficulté des argumentations.


§ 1[443]. Il est difficile d’attaquer et facile de défendre les mêmes suppositions ; et ces suppositions sont celles qui naturellement sont les premières et les dernières. Les propositions premières ont besoin de définition ; et les dernières sont conclues après beaucoup d’autres, quand on veut prendre la série continue des arguments à partir des premières : ou bien les arguments paraissent sophistiques, puisqu’il est impossible de rien démontrer si l’on ne commence par les principes propres au sujet, et si l’on ne va jusqu’aux derniers termes. Ceux donc qui répondent ne croient pas devoir définir, et ils n’écoutent pas celui qui interroge quand il définit. Or, lorsqu’on ne voit pas clairement ce qu’est le sujet, il n’est pas facile d’attaquer la proposition, et cela se présente surtout pour les principes ; car c’est au moyen des principes que le reste est démontré, tandis qu’eux ne peuvent l’être par d’autres termes. Il faut donc nécessairement qu’on ne connaisse chacun d’eux que par la définition.

§ 2. Les propositions qui sont très rapprochées du principe sont aussi difficiles à attaquer ; car on ne peut pas trouver beaucoup d’arguments contre elles, parce qu’il y a peu de termes entre elles et le principe ; et c’est par ces termes qu’il faut nécessairement démontrer tout ce qui vient ensuite. § 3. Les plus difficiles à attaquer de toutes les définitions, sont précisément celles qui se servent de mots dont il est incertain de dire tout d’abord, s’ils sont pris dans un sens absolu ou dans plusieurs sens, et dont, en outre, on ne sait s’ils sont employés par celui qui définit, soit absolument, soit par métaphore. Précisément par ce qu’ils sont obscurs, il n’y a pas d’argument contre eux, et l’on ne saurait les attaquer à ce titre, parce qu’on ignore si ces mots sont obscurs uniquement parce qu’ils sont pris par métaphore.

§ 4. En général, pour toute question qui est difficile à attaquer, il faut supposer, ou qu’elle a besoin d’être définie, ou que c’est une des choses à plusieurs sens ou une des choses à sens métaphorique, ou bien qu’elle n’est pas loin des principes, ou bien enfin que notre doute vient uniquement de ce que nous ne savons pas à quel de tous les titres énumérés ici, cet objet nous l’inspire. En effet, une fois fixés sur la manière dont cette question est difficile, il est évident qu’il faut ou définir, ou diviser, ou rétablir les propositions intermédiaires ; car c’est par elles qu’on démontre les plus reculées.

§ 5[444]. Quand la définition n’a pas été bien donnée, il y a bien des thèses qu’il n’est pas facile de discuter ou d’attaquer, celle-ci, par exemple : Une seule chose a-t-elle un ou plusieurs contraires ? Mais une fois que les contraires sont définis comme il faut, il est facile d’en conclure si une même chose peut ou non avoir un ou plusieurs Contraires. Et de même pour toutes les propositions qui ont besoin de définition. § 6[445]. Dans les mathématiques même, il y a aussi certaines choses qui ne paraissent difficiles à démontrer que par le défaut de définition : par exemple, ce théorème : que la droite qui coupe par le côté la surface, divise également la ligne et l’aire de la figure. Mais, la définition une fois donnée, la chose est sur-le-champ évidente ; car les lignes et les aires éprouvent la même soustraction, et cette définition s’applique de part et d’autre à la même idée. En général, les premiers éléments, quand les définitions ont été données, comme celle de la ligne et du cercle, sont faciles à démontrer, sans compter qu’il n’y a pas beaucoup d’arguments possibles contre chacun d’eux, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’intermédiaires. Mais si l’on ne donne pas les définitions des principes, les attaquer devient difficile et même tout à fait impossible ; et il en est de même pour les termes qu’on fait entrer dans les définitions.

§ 7. Il ne faut donc pas oublier, quand la proposition est difficile à attaquer, qu’elle présente l’un des défauts qui viennent d’être indiqués. § 8[446]. Quand il est plus difficile de discuter contre l’axiome et contre la proposition que contre la thèse, on peut douter s’il faut ou non poser les choses mêmes ; car si on ne les pose pas, et qu’on prétende les discuter, ce sera plus difficile que ce qui avait d’abord été donné ; et si on les pose, on tirera sa croyance de choses moins croyables. Si donc on ne veut pas rendre la question plus difficile, il faut poser la thèse, et si l’on peut raisonner par des principes plus connus, il ne faut pas la poser. Ou bien ne doit-on pas dire qu’il ne faut pas la poser quand on apprend, si la thèse n’est pas plus connue, mais qu’il faut la poser quand on s’exerce, pourvu qu’elle semble vraie ? Il est donc évident qu’il ne faut pas indifféremment poser la thèse, selon qu’on interroge ou qu’on enseigne.

§ 9[447]. Ce qu’on vient de dire suffit à peu près pour montrer comment il faut faire les questions et les disposer.


CHAPITRE IV.

Règles générales de la réponse et de l’interrogation : devoirs et but des deux adversaires.


§ 1[448]. Quant à la réponse, il faut fixer d’abord ce que doit faire celui qui répond bien, de même que ce que doit faire celui qui interroge bien. § 2. Il faut que celui qui interroge pousse la discussion, de manière que celui qui répond lui réponde les choses les plus insoutenables possible, d’après les données nécessaires de la question. § 3[449]. Et celui qui répond doit faire en sorte que ce qu’il dit d’impossible ou de paradoxal paraisse venir, non pas de lui, mais de la question même ; car c’est peut-être une erreur toute différente de poser d’abord ce qui ne doit pas être posé, et de ne pas défendre comme il faut ce qui a été posé.


{{t3| CHAPITRE V.}}

Manque de toute théorie pour régler les discussions qui n’ont pour but qu’un simple exercice de paroles.


§ 1[450]. On n’a point encore déterminé la marche que doivent suivre ceux qui ne discutent que par manière d’exercice et d’essai. C’est, qu’en effet, le but n’est pas du tout le même, quand on enseigne ou quand on instruit, que quand on combat, non plus qu’il n’est pas le même quand on combat que lorsqu’on ne converse entre soi, que par simple curiosité théorique. Avec un disciple, il faut toujours poser des principes qui semblent vrais ; et, en effet, personne ne pense à enseigner ce qui est faux. Quand on lutte dans la discussion, il faut que celui qui interroge semble toujours faire ce qui est convenable, et que celui qui répond ne paraisse absolument point succomber. Ainsi donc pour les rencontres dialectiques où l’on discute, non pour se combattre, mais pour s’essayer et s’éclairer, personne n’a encore fixé nettement le but que doit se proposer celui qui répond, et ce qu’il doit accorder ou ne pas accorder, pour défendre bien ou mal la thèse posée. Dans cette absence de toute méthode transmise à nous par les autres, essayons nous-même d’en dire quelque chose.

§ 2[451]. Il y a donc nécessité que celui qui répond soutienne la discussion en posant une thèse quelconque, qu’elle soit probable ou improbable, ou qu’elle ne soit ni l’un ni l’autre : je veux dire absolument probable ou improbable, ou limitativement, par exemple, pour telle ou telle personne, pour soi-même ou pour tel autre. § 3. Peu importe, du reste, comment elle est probable ou improbable ; car la manière de bien répondre sera toujours la même, ainsi que d’accorder ou de ne pas accorder ce qui est demandé. § 4[452]. La proposition étant improbable, il est nécessaire que la conclusion soit probable, comme elle est improbable pour une proposition probable ; car celui qui interroge conclut toujours l’opposé de la thèse. Si le sujet en question n’est ni probable ni improbable, la conclusion sera aussi de ce genre. Puisque celui qui raisonne bien démontre la question par des principes plus probables et plus connus qu’elle, il est clair que le sujet étant tout à fait improbable, il ne faut pas que celui qui répond accorde ni ce qui lui semble faux absolument, ni ce qui lui paraît vrai, mais cependant moins vrai que la conclusion. § 5. En effet, quand la proposition est improbable, la conclusion est probable, de sorte qu’il faut, que toutes les données admises soient probables et plus probables que la thèse, puisqu’il faut conclure le moins connu par le plus connu. Ainsi donc, si rien parmi les choses demandées n’est tel, il ne faut pas que celui qui répond l’accorde.

§ 6. Si la proposition est absolument probable, il est clair que la conclusion sera absolument improbable. Il faut donc accorder tout ce qui semble vrai, et parmi ce qui ne semble pas vrai, tout ce qui est moins improbable que la conclusion ; car ainsi l’on paraît avoir bien discuté. § 7. Et de même encore, si la proposition n’est ni probable ni improbable ; car, dans ce cas aussi, il faut accorder tout ce qui paraît vrai, et de ce qui ne paraît pas vrai, tout ce qui est plus probable que la conclusion ; car, de cette façon, les arguments deviendront plus probables. § 8. Si donc le sujet est absolument probable ou improbable, il faut faire la comparaison des arguments avec ce qui semble absolument vrai. § 9. Si le sujet n’est pas absolument probable ou improbable, mais qu’il le soit seulement pour celui qui répond, il faut, pour accorder ou ne pas accorder, s’en référer à ce qui lui paraît vrai et à ce qui ne le lui paraît pas. § 10[453]. Si celui qui répond défend la pensée d’un autre, il est évident qu’il faut accorder ou rejeter chaque proposition, en se reportant à la pensée de cet autre. Ainsi, ceux mêmes qui soutiennent des opinions autres que les leurs, par exemple que le bien et le mal sont identiques, comme le dit Héraclite, repoussent cependant cette opinion que les contraires ne peuvent être à la fois à une même chose, non pas comme une opinion qui leur paraît fausse, mais seulement parce qu’il faut se prononcer ainsi, d’après Héraclite. C’est encore ce que font les interlocuteurs qui reçoivent mutuellement l’un de l’autre les données de la discussion ; car alors ils visent à raisonner comme aurait fait celui qui les a posées.

§ 11. On voit donc clairement quelles choses celui qui répond doit avoir en vue, soit que le sujet soit absolument probable, ou qu’il le soit pour certains interlocuteurs.


CHAPITRE VI.

Cas divers où il faut accorder la proposition demandée par l’adversaire, selon qu’elle tient ou ne tient pas nécessairement au sujet en discussion, selon qu’on l’approuve on qu’on ne l’approuve pas.


§ 1[454]. Comme il faut nécessairement que toute chose demandée par l’interlocuteur soit ou probable ou improbable, ou ni l’un ni l’autre, et qu’elle soit relative au sujet ou ne soit pas relative, si elle paraît vraie sans tenir au sujet, il faut l’accorder en disant qu’on la trouve vraie ; car, en l’admettant, on ne détruit pas le principe qu’on a d’abord posé.

§ 2[455]. Si elle ne paraît pas vraie, et qu’elle ne soit pas contraire au sujet, il faut l’accorder encore, mais ajouter aussi qu’on l’accorde quoiqu’on ne la trouve pas vraie, afin de se donner l’avantage de la condescendance. § 3[456]. Quand cette nouvelle opinion est contre le sujet et qu’elle paraît vraie, il faut dire qu’on la trouve vraie, mais qu’elle est trop près du principe, et que, si on l’admet, le sujet d’abord posé est détruit.

§ 4. Si la proposition, tout en étant relative à la discussion, paraît trop improbable, il faut reconnaître que, ceci posé, la conclusion posée en sort ; mais il faut ajouter que la proposition avancée est par trop simple.

§ 5. Si la proposition n’est ni probable ni improbable, dans le cas où elle ne contredit pas la discussion, il faut l’accorder sans rien ajouter. § 6. Si elle la contredit, il faut ajouter que, ceci admis, le principe d’abord posé est détruit ; § 7. car c’est ainsi que celui qui répond paraîtra n’être pour rien dans la défaite, s’il sait prévoir à l’avance la suite des données qu’il va concéder : et celui qui interroge pourra former son syllogisme, puisqu’on lui aura donné toutes les propositions qui sont plus probables que la conclusion. Mais tous ceux qui essayent de raisonner en parlant de choses moins probables que la conclusion, raisonnent évidemment mal : aussi ne faut-il pas accorder ces propositions à ceux qui interrogent.


CHAPITRE VII.

Suite des règles de la réponse quand la question est obscure.


§ 1. Il faut traiter par la même méthode les cas où les propositions sont obscures ou ont plusieurs sens. Comme il est toujours permis à celui qui répond, s’il ne comprend pas, de dire : Je ne comprends pas, et quand une chose a plusieurs sens, comme il n’est pas dans la nécessité de l’accorder ou de la refuser, il est évident d’abord que, si l’expression employée n’est pas claire, il ne faut pas hésiter à dire qu’on ne la comprend pas ; car souvent il résulte des difficultés de ce qu’on a répondu à une question qui n’a pas été faite clairement. § 2. Mais si la chose qui a plusieurs sens est bien connue, selon qu’elle est vraie ou fausse de tous les termes auxquels on veut l’appliquer, il faut l’accorder ou la refuser absolument. § 3. Si la chose est en partie vraie, en partie fausse, il faut ajouter qu’elle a plusieurs sens, et pourquoi ceci est vrai et cela est faux ; car, si l’on ne fait cette distinction que plus tard, il reste incertain qu’on ait vu l’ambiguïté même qui est dans le principe. § 4. Mais si l’on n’a pas vu cette ambiguïté et qu’on ait admis la proposition, en songeant à l’un des sens, il faut dire à celui qui mène la discussion à l’autre sens, que c’est en regardant à l’autre et non pas à celuilà qu’on admettait la proposition avancée. C’est qu’en effet, du moment qu’il y a plusieurs choses comprises sous le même mot ou la même définition, le doute devient très-facile. § 5. Si ce qu’on demande est clair et simple, il faut répondre par oui ou par non.


CHAPITRE VIII.

Quand il s’agit d’induction, il ne faut faire porter son objection que sur l’universel.— Il faut éviter l’apparence même de toute chicane.


§ 1[457]. Toute proposition syllogistique est une de celles dont on tire le syllogisme, ou une proposition faite en vue de l’une de celles-là. Quand donc c’est pour une autre proposition qu’on en demande une, la question portant sur plusieurs choses pareilles, car c’est ou par induction ou par ressemblance qu’on prend ordinairement l’universel, il faut évidemment accorder toutes les propositions particulières si elles sont vraies et probables. Et il ne faut essayer de faire porter l’objection que sur l’universel ; car, sans objection, qu’elle soit vraie ou qu’elle le paraisse être, empêcher la discussion, c’est faire de vaines difficultés. Si donc, sans avoir d’objection à faire, on n’accorde pas l’universel, bien qu’on ait accordé plusieurs propositions particulières, il est évident qu’on ne cherche qu’à chicaner. Si l’on n’a pas même à objecter que la chose n’est pas vraie, on paraîtra bien plus encore n’élever qu’une chicane. Cependant, cette remarque même n’est pas très-juste : car nous trouvons beaucoup d’assertions opposées à nos opinions et qu’il nous serait très-difficile de réfuter : par exemple, celles de Zénon quand il soutient qu’il est impossible qu’il y ait du mouvement, qu’on ne saurait parcourir le stade. Mais il ne faut pas à cause de cet embarras accorder les assertions opposées à celles-là. Si donc l’on repousse la proposition sans avoir rien à y opposer, sans avoir d’objection à faire, il est clair qu’on ne fait que chicaner ; car la chicane, en fait de discussion, est une réponse qui est contre tous les modes indiqués plus haut et qui détruit le syllogisme.


CHAPITRE IX.

Il faut se faire d’abord à soi-même toutes les objections que l’adversaire pourrait élever : il ne faut pas surtout défendre une thèse qui est moralement blâmable.


§ 1. Il faut, pour se bien préparer à soutenir sa thèse et sa définition, se faire d’abord à soi-même toutes les objections ; car il est clair qu’il faut pouvoir repousser les arguments par lesquels ceux qui interrogent renverseront la proposition avancée.

§ 2[458]. Il faut aussi bien prendre garde de soutenir une proposition improbable. Or, elle peut être improbable de plusieurs façons. D’abord, elle est improbable quand les conséquences en sont absurdes : par exemple, si l’on prétend que tout est en mouvement ou que rien ne se meut. On peut regarder encore comme improbables toutes les propositions qui ne peuvent être adoptées que par un cœur dépravé et qui sont contraires à la conscience : par exemple, que le plaisir est le bien, et que faire une injustice vaut mieux que la souffrir ; car on déteste celui qui soutient ces maximes, parce qu’on croit qu’il les soutient, non pas seulement pour le besoin de la discussion, mais par conviction.


CHAPITRE X.

Pour rectifier une conclusion fausse, il faut rectifier la proposition erronée d’où elle résulte. — Il y a d’ailleurs quatre moyens d’empêcher de conclure : énumération de ces moyens.


§ 1. Tous les raisonnements dont la conclusion est erronée peuvent être redressés en leur ôtant ce qui constitue l’erreur. Ce n’est pas, du reste, en leur retranchant une partie quelconque qu’on les rectifie, ni même en retranchant une partie erronée ; car la proposition peut renfermer plus d’une erreur : par exemple, si l’on suppose que celui qui est assis écrit, et que Socrate soit assis, on peut se tromper en concluant que Socrate écrit. En ôtant donc cette proposition que Socrate est assis, la rectification n’en est pas faite davantage, et cependant cette proposition était fausse. Mais ce n’était pas elle précisément qui rendait le raisonnement faux. En effet, si quelqu’un est assis, mais sans écrire, la même rectification ne conviendra plus sur ce point ; de sotte, que ce n’est pas là ce qu’il faut retrancher, mais c’est l’assertion que celui qui est assis écrit ; car tout homme assis n’écrit pas en général. Donc, on rectifie le raisonnement en ôtant ce qui donne naissance à l’erreur. § 2[459]. Mais on sait faire cette rectification en sachant que le raisonnement tient à ce point-là, comme pour les figures fausses ; car il ne suffit pas de faire une objection, ni même de retrancher la partie erronée, mais il faut démontrer encore pourquoi c’est une erreur ; alors en effet, on verra clairement si l’on fait l’objection parce qu’on a, ou non, prévu la conséquence fausse.

§ 3. On peut pour empêcher de conclure s’y prendre de quatre façons, § 4, soit en ôtant ce en quoi consiste l’erreur, § 5, soit en adressant l’objection à celui-là même qui interroge ; car souvent, sans même qu’il y ait de solution, celui qui interroge ne peut pas aller plus loin. § 6. En troisième lieu, on peut adresser l’objection à la question elle-même ; car il peut se faire que la question, telle qu’elle est posée, ne suffise pour amener la conclusion que nous voulons, parce qu’on nous a mal interrogés, et qu’en ajoutant quelque chose nous obtenions la conclusion désirée. Si donc celui qui interroge ne peut aller plus loin, l’objection sera dirigée contre l’interrogateur, et s’il le peut, contre les choses qu’il demande. § 7. La quatrième et la plus mauvaise des objections est celle du temps ; car quelquefois l’on fait, cette objection qu’il faut plus de temps qu’on n’en a dans le moment, pour discuter le sujet. § 8. Ainsi donc, les objections sont comme nous venons de le dire de quatre sortes : la première seulement peut servir de véritable solution ; quant aux autres, elles ne sont que des empêchements et des obstacles à la conclusion.


CHAPITRE XI.

Pour rectifier une conclusion fausse, il faut rectifier la proposition erronée d’où elle résulte. — Il y a d’ailleurs quatre moyens d’empêcher de conclure : énumération de ces moyens.


§ 1[460]. La critique du raisonnement n’est pas la même, et quand elle s’adresse directement au raisonnement et quand il est remis en interrogation par l’interlocuteur ; car souvent celui qui est interrogé ainsi, se trouve cause que le raisonnement n’a pas été bien conduit, parce qu’il n’accorde pas les propositions qui pouvaient servir à bien discuter la question. En effet, il ne suffit pas ici de la volonté d’un seul interlocuteur pour que l’œuvre commune soit bien faite. Il est donc parfois nécessaire d’attaquer personnellement celui qui parle, et non pas la thèse, quand en répondant, l’interlocuteur cherche à présenter des choses tout a fait défavorables à celui qui l’interroge ; car alors, avec ces chicanes, ce sont des discussions qui arrivent à la dispute, et qui ne sont plus de la dialectique. § 2. Du reste, comme les discussions dont il s’agit ici ne sont plus qu’un exercice et une épreuve, et ne sont plus un moyen d’instruction, il est clair qu’il faut conclure non plus seulement le vrai, mais aussi le faux, et procéder, non pas seulement par des propositions vraies, mais quelquefois aussi par de fausses ; car souvent, en posant le vrai, il y a nécessité en discutant de le détruire, de sorte qu’il faut avancer des choses fausses. Et quelquefois, quand c’est le faux qui est posé, il faut le réfuter par des propositions également fausses ; car rien n’empêche que l’interlocuteur ne croie ce qui n’est pas plus que ce qui est réellement. Alors la discussion s’établissant d’après des principes qu’il approuve, il peut en tirer plus de persuasion que de profit. § 3[461]. Il faut aussi, quand on veut déplacer convenablement la discussion, la déplacer non pas en disputant, mais dialectiquement, que la conclusion d’ailleurs soit vraie ou fausse. On a dit plus haut ce que c’est que les syllogismes dialectiques.

§ 4. Puisque le compagnon est mauvais, qui empêche la besogne commune, il est clair que cela aussi s’applique tout aussi bien à la discussion ; car une œuvre commune est aussi ce qu’on s’y propose, si ce n’est pour ceux qui n’y cherchent qu’un combat. En effet, dans ce cas, les interlocuteurs ne sauraient atteindre tous les deux le même but, puisqu’il est impossible que plusieurs concurrents remportent un seul prix. Peu importe, du reste, qu’on le fasse soit en interrogeant, soit en répondant ; car celui qui interroge pour disputer discute mal, de même que celui qui, en répondant, n’accorde pas ce qui lui semble vrai, et n’admet pas les questions que celui qui interroge veut lui faire. Il est donc clair, d’après ce qu’on vient de dire, qu’il ne faut pas critiquer de la même façon et le raisonnement en lui-même et celui qui interroge, parce que rien n’empêche que le raisonnement ne soit mauvais, et que celui qui interroge ne discute le mieux possible, relativement à celui qui lui répond ; car, contre ceux qui chicanent, il n’est pas toujours possible de faire sur-le-champ les syllogismes qu’on veut : on ne fait que ceux qu’on peut.

§ 5. Parfois on néglige de déterminer si les interlocuteurs adoptent les contraires ou les principes d’abord posés ; car souvent, quand on parle de soi seul, on admet les contraires ; et, après avoir refusé certaines propositions, on finit par les accorder ensuite. De là il arrive souvent, quand on est interrogé, qu’on admet et les contraires et les principes d’abord posés. Il s’ensuit nécessairement que les discussions sont mauvaises, et c’est celui qui répond qui en est cause, soit en ne donnant pas certaines choses, soit en les donnant d’une certaine façon. Il est donc évident qu’il ne faut pas critiquer de la même manière ceux qui interrogent et leurs raisonnements.

§ 6. Il y a cinq critiques possibles contre le raisonnement même. § 7[462]. D’abord, quand, d’après les interrogations posées, il ne conclut pas pour le sujet en question, ou ne conclut pas du tout ; ce qui a lieu du moment qu’on a posé fausses et improbables, soit toutes, soit la plupart des propositions dans lesquelles est contenue la conclusion, et quand la conclusion ne peut s’obtenir, ni en enlevant certaines choses ou en les ajoutant, ni en ôtant celles-ci et en ajoutant celles-là. § 8[463]. La seconde critique, c’est lorsque le syllogisme n’a pas lieu contre la thèse avec les propositions, et d’après les procédés indiqués auparavant. § 9. La troisième, c’est lorsque le syllogisme a lieu en ajoutant certaines données, et que ces données sont moins bonnes que les questions mêmes, et moins probables que la conclusion. § 10[464]. Et, de plus, si cela se produit en ôtant certaines parties du raisonnement ; car souvent on prend plus de données qu’il n’en faut ; de sorte que le syllogisme n’a pas du tout lieu parce que ces données-là y figurent. § 12. Enfin, on peut critiquer le raisonnement, s’il part de principes plus improbables et moins croyables que la conclusion ; ou si l’on part de principes qui, tout en étant plus vrais, exigent plus de peine que la question même pour être démontrés.

§ 13. Il ne faut pas vouloir, du reste, que, pour toutes les questions, les syllogismes soient également probables et persuasifs ; car dans les questions qu’on cherche à résoudre, les unes sont naturellement plus faciles, les autres plus difficiles. Par conséquent, l’on a bien discuté en prenant les propositions les plus probables qu’on peut. Il s’ensuit évidemment que la critique ne doit pas être la même et relativement à l’argumentation, et relativement au sujet en question ; car il se peut très-bien que l’argumentation soit en elle-même fort attaquable, et qu’elle soit fort bonne pour la question dont il s’agit ; ou bien, tout à l’inverse, louable en soi et mauvaise pour la question posée, lorsqu’il est facile de tirer la conclusion de plusieurs principes vrais et connus. Quelquefois même, une argumentation concluante pourrait être moins bonne qu’une argumentation sans conclusion, quand la première, par exemple, est conclue de propositions très-faibles, sans que la question ait ce caractère, tandis que l’autre a besoin, outre ses principes propres, d’autres principes vrais et connus, et que l’argumentation ne consiste pas dans les données qui sont ajoutées. § 14<ref>On ne peut attaquer, suivant Alexandre, quelques manuscrits donnaient : on peut.

Par les Analytiques, Voir Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 2, et suiv. Voir aussi pour cette citation des Analytiques mon Mémoire sur la logique, tom. 1, p. 417.</ref>. On ne peut attaquer en rien ceux qui concluent le vrai de données fausses ; car s’il faut toujours conclure nécessairement le faux de données fausses, l’on peut quelquefois conclure le vrai même de données fausses ; c’est ce qui a été prouvé clairement par les Analytiques.

§ 15. Mais quand l’argumentation dont il s’agit est la démonstration de quelque chose, s’il y a quelque autre proposition qui ne se rapporte pas du tout à la conclusion, ce n’est pas de cette proposition que viendra le syllogisme ; et s’il paraît en venir, c’est un sophisme et non une démonstration. § 16[465]. Le philosophème est un syllogisme démonstratif ; l’épichérème, un syllogisme dialectique ; le sophisme, un syllogisme contentieux, et le doute, un syllogisme dialectique de contradiction.

§ 17[466]. Si l’on démontre quelque chose par deux propositions qui paraissent probables, mais qui ne le paraissent pas également, rien n’empêche que le démontré ne paraisse plus vrai que l’une et l’autre. Mais si l’une des propositions, paraît vraie et que l’autre ne paraisse ni vraie ni fausse, ou bien que l’une paraisse vraie et que l’autre ne le paraisse pas, dans le cas où les propositions sont égales, la conclusion sera vraie ou fausse également ; et si l’une est plus que l’autre vraie ou fausse, la conclusion suivra celle qui est la plus forte.

§ 18[467]. Il y a encore une faute qu’on peut commettre dans les syllogismes, et qui consiste à démontrer par un plus grand nombre de termes, quand on pourrait démontrer par un moindre, en ne prenant que des termes qui se trouvent dans l’argumentation même. Ainsi, par exemple, on commettrait cette faute si, voulant démontrer que telle opinion est plus probable que telle autre, on raisonnait ainsi : Dans chaque genre, la chose en soi est celle qui a le plus de réalité, et il existe bien réellement une chose probable en soi, de sorte que la chose en soi existe plus que les individus même. Or, ce qui est dit plus doit se rapporter à ce qui est plus. Il y a une opinion en soi qui est vraie, et qui est plus exacte qu’aucune opinion particulière. On a posé aussi comme principe, que cette opinion en soi est vraie, et que la chose en soi est celle qui a le plus de réalité. On en conclut que cette opinion, qui est aussi la plus vraie, est plus exacte que les autres. Où est ici le vice du raisonnement ? Ne consiste-t-il pas en ce qu’il cache précisément la cause qui fait l’objet de l’argumentation


{{t3| CHAPITRE XII.}}

De la clarté du raisonnement : un raisonnement peut être clair de deux façons. — Un raisonnement peut être faux de quatre manières.


§ 1. Un raisonnement est parfaitement clair d’une façon, et dans le sens le plus vulgaire, quand la conclusion est telle, qu’il n’y a plus rien à demander après elle. § 2. Et d’une autre façon, et la plus spéciale, quand les données admises sont celles d’où l’on doit tirer la conclusion nécessairement, et qu’elles ont été conclues au moyen de conclusions antérieures. § 3[468]. Le raisonnement est clair encore, malgré l’omission de quelque élément, si la chose omise est tout à fait probable.

§ 4. Le raisonnement peut être faux de quatre façons : l’une, quand il paraît conclure bien qu’il ne conclue pas, et alors il est appelé syllogisme contentieux. § 5. Une autre, c’est quand il conclut, sans conclure cependant relativement au sujet donné, ce qui se présente surtout quand on procède par réduction à l’absurde. § 6. Ou bien, quand il conclut relativement au sujet donné, mais non cependant par la méthode propre au sujet ; et ce défaut a lieu, par exemple, lorsque, n’étant pas médical, le raisonnement paraît médical ; ou géométrique, n’étant pas géométrique ou dialectique, n’étant pas dialectique ; que le résultat d’ailleurs soit vrai ou feux, § 7[469]. Une autre manière, enfin, c’est quand le raisonnement conclut au moyen de propositions fausses, et alors la conclusion pourrait être tantôt fausse et tantôt vraie ; car le faux est toujours conclu de propositions fausses ; le vrai peut l’être aussi, même de données qui ne le sont pas, ainsi qu’on l’a dit plus haut.

§ 8[470]. Ainsi donc, quand l’argumentation est fausse, c’est bien plutôt la faute de celui qui argumente que de l’argumentation même. Ce n’est pas non plus toujours la faute de celui qui argumente ; mais, par exemple, c’est sa faute, quand c’est sans le savoir qu’il a fait quel ? que raisonnement faux. C’est qu’en effet nous admettons plus volontiers que bien des propositions vraies, celle qui parvient à détruire la proposition qui nous semblait la plus vraie, parce que si l’argumentation est telle, elle est par cela même la démonstration certaine de la vérité des autres choses. En effet, l’une des propositions est absolument fausse et elle le démontrera. Si l’on conclut le vrai par des propositions fausses et par trop faibles, le raisonnement sera plus mauvais que beaucoup d’autres qui concluraient le faux : ce qu’il pourrait être aussi, tout en concluant le faux. § 9[471]. Ainsi donc, évidemment, ce qu’on doit examiner d’abord dans un raisonnement, c’est s’il conclut en soi ; en second lieu, s’il conclut le vrai ou le faux, et en troisième, de quelles données il part pour conclure. S’il part de données fausses, mais probables, il est logique ; et il est mauvais s’il part de données qui sont vraies, mais improbables ; et si elles sont fausses et trop improbables, il est clair que le raisonnement est mauvais, ou absolument, ou du moins pour la chose en question.


CHAPITRE XIII.

De la pétition de principe et de la pétition des contraires. — Cinq espèces de la pétition de principe. — Autant d’espèces de la pétition des contraires que de la pétition de principe. — Différence de l’une et de l’autre pétition.


§ 1[472]. Comment celui qui interroge fait une pétition de principe et prend les contraires, c’est ce qu’on a dit au point de vue de la vérité dans les Analytiques ; c’est ce qu’il faut dire maintenant au point de vue de la simple opinion.

§ 2. On peut faire une pétition de principe de cinq façons. § 3[473]. La plus évidente et la première, c’est quand on prend la chose même qui est à démontrer. Il n’est pas facile de commettre cette erreur à son insu pour la chose même en question ; mais cette faute se cache bien plutôt dans les synonymes, et pour tous les cas où le nom et la définition expriment la même chose. § 4. La seconde façon, c’est quand on prend universellement ce qu’il faut démontrer au particulier. C’est, par exemple, comme si, ayant à prouver que la notion des contraires est unique, on supposait d’une manière générale qu’elle est unique pour les opposés ; car ce qu’il fallait démontrer à part et en soi, se trouve alors supposé implicitement dans plusieurs autres choses. § 5. Troisièmement, on fait une pétition de principe, si l’on prend au particulier ce qui était à démontrer universellement. Par exemple, si, ayant à prouver que la notion de tous les contraires est unique, on suppose qu’elle l’est pour quelques-uns d’entre eux ; car alors, aussi, ce qu’il fallait démontrer avec plusieurs autres paraît être supposé tout seul et en soi. § 6. On commet encore une pétition de principe si, dans la division qu’on fait, on suppose le sujet en question. C’est, par exemple, si, devant démontrer que la médecine s’occupe de la santé et de la maladie, on suppose chacune de ces choses à part. § 7. Ou bien, l’on se trompe encore, si l’on suppose l’une des choses qui se suivent mutuellement de toute nécessité. Par exemple, si l’on suppose que le côté est incommensurable au diamètre, pour démontrer que le diamètre est incommensurable au côté.

§ 8. Il y a tout juste autant de pétitions pour les contraires que pour les principes. § 9. Premièrement, si l’on pose les affirmations et les négations opposées. § 10. En second lieu, si l’on pose les contraires par antithèse : et par exemple si l’on pose qu’une même chose est bonne et mauvaise. § 11. Troisièmement, si, après avoir admis l’universel, on en pose en particulier la contradiction ; par exemple, si, tout en admettant que la notion des contraires est unique, on pense qu’elle est autre pour la santé et la maladie : ou bien, si, ayant admis cette dernière proposition, ou essaie de prendre l’antithèse universellement. § 12. On se trompe encore, si l’on pose le contraire de ce qui résulte nécessairement des données admises. § 13. Et enfin, si, tout en ne prenant pas les opposés mêmes, ou prend cependant les deux termes dont se forme la contradiction opposée.

§ 14. Il y a différence à faire pétition des contraires au lieu de pétition de principe, en ce qu’il y a faute d’un côté relativement à la conclusion ; car c’est en regardant à la conclusion que nous disons qu’on fait une pétition de principe ; tandis que pour les contraires, la faute est dans les propositions, parce qu’elles sont dans un certain rapport les unes à l’égard des autres.


{{t3| CHAPITRE XIV.}}

De la pratique des discussions dialectiques.


§ 1[474]. Pour s’exercer et se rendre habile à ces argumentations, il faut d’abord s’accoutumer à convertir les raisonnements ; car, de cette façon, nous serons plus à même de discuter le sujet en question, et de peu de données nous saurons tirer beaucoup de raisonnements. Convertir des raisonnements, c’est en effet, en transformant la conclusion, détruire, à l’aide des propositions qui restent, une de celles qui ont été données ; car il faut nécessairement, si la conclusion est fausse, détruire l’une des propositions, puisque, en admettant que toutes sont vraies, la conclusion qui en sort est vraie de toute nécessité. § 2[475]. Quelle que soit la thèse, il faut examiner l’argument qui soutient qu’elle est ou qu’elle n’est pas ainsi, et dès qu’on a trouvé ce qu’elle est, il faut chercher sur-le-champ la solution ; car, de cette façon, on s’exerce à la fois et à bien interroger et à bien répondre : et si l’on n’a point d’interlocuteur, on s’exerce du moins soi-même. Il faut en outre comparer les choses parallèles en choisissant les arguments propres à former l’antithèse ; car ceci donne tout ensemble une grande facilité pour presser l’adversaire, et en même temps aide beaucoup à réfuter, quand on peut soutenir à la fois que la chose est ou n’est pas de telle façon. Par là l’on se met d’autant plus en garde contre l’admission des contraires. Ce n’est pas, du reste, pour la connaissance et la réflexion vraiment philosophiques, un faible instrument que de pouvoir embrasser, ou d’avoir embrassé déjà d’un coup d’œil, tout ce qui résulte de l’une et l’autre hypothèse ; car alors il ne reste plus qu’à bien choisir l’une ou l’autre. § 3. Mais il faut pour cela être favorisé de la nature : et cette heureuse et naturelle disposition pour la vérité consiste à pouvoir bien choisir le vrai et fuir le faux. C’est ce que font aisément ceux qui sont naturellement bien doués ; car ceux qui aiment ou qui repoussent convenablement les sujets proposés, savent aussi fort bien juger le meilleur.

§ 4. Il faut avoir des raisonnements tout prêts pour celles des questions qui se présentent le plus fréquemment. § 5. Et c’est surtout pour les propositions initiales qu’il faut être ainsi pourvu ; car ce sont celles-là que repoussent souvent ceux qui répondent. Il faut encore avoir provision de définitions, et être tout prêt à donner les plus probables et les premières de toutes ; car c’est de celles-là que se tirent les syllogismes. § 6. Et il faut tâcher aussi de posséder les questions sur lesquelles retombent le plus souvent les discussions. § 7[476]. De même, en effet, qu’en géométrie il est très utile de s’être exercé sur les éléments, et qu’en arithmétique c’est un grand avantage que de bien posséder les produits des nombres simples, pour se rendre compte d’un autre nombre multiplié, de même, dans les discussions, il n’est pas moins utile d’être bien préparé sur les principes, et de savoir toujours par cœur les propositions. § 8[477]. En effet, de même que les lieux communs suffisent dans la mémoire pour qu’on se rappelle les choses sur-le-champ, de même ces propositions feront raisonner le plus régulièrement possible, parce qu’on pourra toujours les avoir sous les yeux, limitées comme elles le sont numériquement. § 9. Il vaut mieux, du reste, placer dans sa mémoire une proposition commune plutôt qu’un raisonnement.

§ 10. Il faut encore s’accoutumer à faire plusieurs raisonnements d’un seul, en cachant ceci de la manière la plus complète qu’on peut ; et l’on y parviendra en s’éloignant le plus possible de tout ce qui ressemble aux choses dont il est question. Les raisonnements les plus généraux seront ceux qui pourront le mieux donner ce résultat : et par exemple, l’on dira qu’il n’y a pas une notion unique de plusieurs choses ; car, de cette façon, ceci s’applique et aux relatifs, et aux contraires, et aux conjugués. § 11. Il faut aussi, quand on rappelle les raisonnements antérieurs, le faire toujours comme s’ils étaient universels, bien que dans la discussion on les ait présentés comme particuliers ; car, de cette façon, c’est ainsi que d’un seul on en fait plusieurs. Il en est d’ailleurs tout à fait ainsi en rhétorique pour les enthymèmes. Il faut, du reste, le plus possible, éviter de présenter soi-même les syllogismes sous forme universelle. § 12[478]. Et il faut toujours regarder si les raisonnements s’étendent à plusieurs choses communes. En effet, tout raisonnement particulier est aussi prouvé d’une manière universelle : et dans la démonstration particulière est comprise celle de l’universel, parce qu’on ne peut faire aucun syllogisme sans proposition universelle.

§ 13. Il faut employer, avec un débutant, l’exercice des inductions, et celui des syllogismes avec l’homme habile. § 14. Et ce sont des propositions qu’il faut tâcher de se faire accorder par les interlocuteurs qui se servent des procédés syllogistiques, et des comparaisons, par ceux qui se bornent aux inductions ; car c’est sur ces deux points-là que les uns et les autres se sont surtout exercés. § 15 En général, de ces exercices de discussion, il faut savoir tirer ou un syllogisme sur quelque sujet, ou une solution, ou une proposition, ou une objection. Il faut voir si l’on a bien ou mal interrogé, qu’il s’agisse de soi-même ou d’un autre, et se rendre compte en quoi consiste le bien ou le mal ; car c’est de là qu’on tire sa force, et l’on ne s’exerce que pour se fortifier surtout dans ce qui concerne les propositions et les objections. Celui-là seul qui sait faire les unes et les autres est, à proprement parler, un dialecticien. Faire une proposition, c’est de plusieurs choses diverses n’en faire qu’une seule, puisqu’il faut prendre dans toute son étendue le terme dont il s’agit. Faire une objection, c’est d’une seule chose en faire plusieurs ; car ou l’on divise, ou l’on détruit la thèse, en accordant ou en refusant telle ou telle des propositions avancées.

§ 16[479]. Il ne faut pas discuter avec tout le monde ni s’exercer avec le premier venu ; car il est des gens aven lesquels nécessairement on ne peut faire que de très mauvais raisonnements. Contre un adversaire qui essaie de tous les moyens pour échapper, il est juste aussi d’employer tous les moyens pour établir le syllogisme, mais ce n’est pas toujours très honorable. Et voilà pourquoi il ne faut pas se commettre aisément avec les premiers venus ; car alors on sera forcé de ne faire que de mauvais raisonnements ; et ceux qui s’exercent de cette façon ne peuvent plus s’empêcher de discuter avec les formes d’un combat.

§ 17. Il faut aussi avoir des argumentations toutes prêtes pour ces sortes de questions, où, avec le moins de ressources possible, on saura s’en servir le plus souvent qu’on pourra. Telles sont les argumentations générales et celles qu’il est difficile de tirer des circonstances les plus habituelles.

NOTES


On a pu remarquer que j’ai toujours parlé du commentaire d’Alexandre comme s’il lui appartenait bien réellement ; c’est un point qui serait peut-être contestable, mais sur lequel je n’ai point à élever ici de discussion. Le commentaire sur les Réfutations des Sophistes qui lui est également attribué, ne lui appartient certainement pas. Voir plus loin ce traité, chap. 1, § 1 en note.

On a pu remarquer encore que je n’ai fait aucun usage des Topiques de Cicéron : cependant Cicéron lui-même les donne pour un abrégé des Topiques d’Aristote. Mais ceux qui connaissent l’ouvrage de l’orateur latin et l’ouvrage du philosophe, savent qu’ils n’ont que bien peu de rapports. D’abord, toute l’ordonnance si s sur le simple et si régulière de la composition a disparu. Les grandes divisions de la dialectique sont omises : tout est confondu. D’autre part, la pensée d’Aristote, quand elle est rappelée, est presque méconnaissable. Cicéron ne l’a pas toujours bien comprise : le plus souvent on ne peut pas même dire qu’il la refasse : il y substitue la sienne qui est tout à fait différente. C’est dans une traversée par mer, de mémoire, et sans aucun livre, que Cicéron écrit, c’est pour son ami Trébatius, qui désire connaître ces fameux Topiques, que si peu de rhéteurs, dit Cicéron, si peu de philosophes même, sont en état de comprendre. Ainsi donc, Cicéron se hâte de travailler sans les secours nécessaires ; et de plus, il est probable qu’il y a fort longtemps qu’il n’a lu l’ouvrage qu’il veut analyser ; sa mémoire est tout à fait infidèle. Toutes ces causes réunies font que cette analyse prétendue des Topiques d’Aristote n’a pu me servir à expliquer aucun passage. Le témoignage de Cicéron eût pu être précieux à bien des égards, et par sa date, et par l’homme lui-même. Ses Topiques ne sont pas certainement sans importance, mais ils ont été pour moi sans aucune utilité.

 

  1. De propositions simplement probables, c’est, là ce qui distingue la dialectique de l’analytique, qui ne doit jamais tirer ses démonstrations que de principes vrais.
  2. Le syllogisme est donc… C’est la définition du syllogisme déjà donnée dans les Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 3. Elle est répétée mot à mot ici, sauf une différence insignifiante.
  3. C’est une démonstration, voir les Derniers Analytiques, passim, et surtout liv. 1, ch. 6, où cette théorie est développe.
  4. Le syllogisme dialectique, Voir la différence de la proposition démonstrative et de la proposition dialectique, Première Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 6.
  5. Le syllogisme contentieux, Voir une définition toute pareille, Réfutations des Sophistes, ch. 2, § 2. L’exposition d’Aristote n’est pas ici très-claire : j’ai traduit fidèlement ; mais la pensée reste obscure ou du moins fort embarrassée. En rapprochant ce passage de celui des Réfutations des Sophistes et du Commentaire d’Alexandre, on voit qu’Aristote distingue deux espèces de syllogismes contentieux, l’un régulier dans sa forme, l’autre irrégulier ; l’un et l’autre d’ailleurs partant de principes qui semblent probables, mais qui ne le sont pas, comme on le reconnaît en y regardant avec plus d’attention.
  6. Paralogisme, voir Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 12, § 9.
  7. Une simple esquisse,… ces généralités,… se bornent,… par aperçu… Toutes ces questions ayant été exposées tout au long dans les Premiers et Derniers Analytiques, il suffit de les rappeler brièvement ici. — Dont nous parlerons plus tard, dans les Réfutations des Sophistes.
  8. Ce traité peut être utile, Aristote n’a point placé la dialectique aussi haut que l’a fait Platon, mais il tient à prouver qu’elle est loin d’être inutile.
  9. Comme exercice, Alexandre fait observer avec raison que, dans un temps où les livres étaient rares, les luttes tout orales étaient de très-importants moyens d’enseignement. C’était par-là seulement qu’on pouvait apprendre quels sont les arguments généraux pour et contre une thèse donnée. Aristote et Théophraste ont écrit ensuite des ouvrages sur ce sujet spécial, où les raisons pour attaquer ou soutenir une thèse sont développées tout au long. Ces ouvrages ne sont malheureusement pas venus jusqu’à nous : mais Alexandre paraît encore les posséder. Le catalogue de Diogène les désigne à l’article d’Aristote et de Théophraste, sous les titres de : « Arguments contentieux, Solutions contentieuses. Mémorial de l’interlocuteur qui attaque, Objections, Propositions contentieuses, Arguments, Thèses propres à fournir des arguments, Combat de la théorie propre aux raisonnements contentieux, etc., etc. » Quelques-uns de ces ouvrages devaient être considérables, si l’on en juge par le nombre des livres dont ils se composaient d’après le catalogue — Pour les conversations de la vie de chaque jour, dans lesquelles il faut savoir se mettre à la portée de ses interlocuteurs, comme le remarque Alexandre, sans remonter aux vrais principes qu’ils ne comprendraient pas, et en s’en tenant à des opinions simplement probables. Voir plus bas,
  10. L’acquisition philosophique de la science ; il s’agit de la physique, de la morale, de la logique et de la métaphysique suivant Alexandre. Ceci peut s’entendre d’une manière plus générale, comme le commentateur lui-même le remarque plus loin. Toute connaissance sur un sujet quelconque est philosophique quand on est remonté jusqu’aux vrais principes, aux éléments primordiaux.
  11. L’acquisition philosophique de la science ; il s’agit de la physique, de la morale, de la logique et de la métaphysique suivant Alexandre. Ceci peut s’entendre d’une manière plus générale, comme le commentateur lui-même le remarque plus loin. Toute connaissance sur un sujet quelconque est philosophique quand on est remonté jusqu’aux vrais principes, aux éléments primordiaux.
  12. En outre, voici une quatrième utilité, bien qu’Aristote n’en ait indiqué que trois un peu plus haut ; mais cette quatrième rentre dans la troisième dont elle n’est qu’une partie, comme le remarque Alexandre. — L’objet propre de la dialectique, voir dans les Derniers Analytiques, liv. I ch. 11, § 6, un passage tout à fait analogue, où le rôle assigné à la dialectique n’est pas moins considérable : c’est par elle qu’on peut arriver à la découverte des principes. Elle est placée presqu’au niveau de la métaphysique : et dans ce sens, Platon ne s’élevait pas plus haut. C’est là aussi ce qui fait que Cicéron appelle la topique, inventionis artem. Les premiers principes sont par eux-mêmes indémontrables, c’est-à-dire qu’ils ne dérivent pas de principes supérieurs. L’analytique les accepte ; elle s’en sert pour les démonstrations qui font sa force : mais, en les subissant, elle ne les explique pas. On peut cependant quelquefois les révoquer en doute, les attaquer ; c’est à la dialectique de les défendre et de les entourer de tous les arguments probables qui les éclaircissent et les confirment. Elle ne les prouve pas ; mais elle sait remonter jusqu’à eux, et elle fait voir quelle en est la certitude. Elle ouvre la route, comme le dit Aristote.
  13. Ce qu’on a fait pour la rhétorique, la médecine. L’oraleur ne persuade pas toujours, le médecin ne guérit pas toujours ; et cependant, malgré leurs revers, l’un peut être excelent orateur, l’autre excellent médecin ; et c’est à la condition de posséder parfaitement l’art que chacun d’eux cultive. Et de mène pour le dialecticien qui n’arrive pas toujours à convaincre son interlocuteur, mais qui n’en est pas moins un bon dialecticien, s’il sait parfaitement la dialectique.
  14. Si en effet nous savions… Voilà les trois parties dont se compose la dialectique, et qui sont développées dans la Topique d’Àristote, suivant l’ordre même qu’il indique ici : à combien de choses, voilà le premier livre ; de quels éléments on les tire, voilà les lieux dont l’ensemble forme la topique proprement dite, et qui sont développés dans les six livres suivants ; comment on peut en avoir toujours à sa disposition, voilà le huitième livre.
  15. Les éléments dont on tire… les éléments pour lesquels, on discute au moyen de propositions ; on discute pour résoudre les questions : les propositions sont donc le moyen ; les questions sont le but. — Toute proposition, toute question, la proposition n’est que la forme même de la question : et en ce sens elles peuvent être confondues l’une avec l’autre. — Le genre de la chose, ou le propre ou l’accident, avec les deux parties dans lesquelles se divise le propre, voilà les quatre seules questions que la dialectique puisse se proposer, et auxquelles sente seront appliqués tous les lieux qui remplissent les six livres, du premier au septième inclusivement. — Placer la différence sur la même ligne que le genre, la différence peut fournir des proportions et des questions ; mais elle rentre dans le genre auquel elle appartient, et dont elle diffère, comme le dit Alexandre, parce qu’elle qu’elle n’est pas comme lui attribuée essentiellement au sujet. Quant à l’espèce, dont ne parle pas Aristote, elle se confond, soit avec le genre, quand elle est considérée relativement aux individus, aux termes inférieurs qu’elle renferme ; soit avec le sujet, quand elle est considérée relativement aux termes supérieurs qui la comprennent. Ainsi, la propre, la définition, le genre, l’accident, voilà les quatre questions dialectiques auxquelles s’appliquent toutes les ressources de la topique. Cicéron n’a point insisté sur cette division qui est essentielle cependant dans l’ouvrage qu’il se donnait la peine d’analyser. La dialectique ne s’occupe donc pas du sujet : elle ne s’occupe que de l’attribut sous les diverses espèces qu’il peut présenter ; et de là viennent, sous forme de propositions, les questions qu’elle se pose.
  16. Chacune de ces choses prise à elle seule, n’est qu’un mot : pour devenir question ou proposition, il faut, comme le dit Alexandre, qu’elles reçoivent certains développements, certaine expression.
  17. La proposition et la question… Cette différence a été indiquée d’une manière plus claire dans les Derniers Analytiques, Liv. 1, chap. 1, § 6, où les Topiques sont rappelés, par allusion peut-être à ce passage même. Sous la forme où Aristote présente ici la proposition, on sérait tenté de la confondre avec la question, parce que cette forme est interrogative, et semble admettre une réponse dans l’un ou l’autre sens. Il n’en est rien cependant : la véritable différence de la préposition à la question, c’est que la première résout dans un sens déterminé le sujet qu’on discute, tandis que la seconde est incertaine et fait dépendre la solution qu’elle emploie de la réponse de l’interlocuteur, la proposition est, on peut dire, la question tranchée : la vraie question est indécise. L’alternative exprimée formellement par Aristote dans les exemples qu’il cite, indique cette incertitude. Le mot grec de problème, que j’ai toujours rendu par question, serait peut-être plus clair dans certains cas. Du reste, Alexandre a bien vu que la différence de la proposition et de la question ne consistait pas uniquement dans la forme, comme le prétend Aristote : « La question, dit-il, comprend aussi la contradiction ; la proposition se décide pour l’une des deux parties de la contradiction. »
  18. La définition est une énonciation, voir au livre 2 des Dernièrs Analytiques, ch. 10, la définition de la définition : elle est analogue à celle qui est donnée ici. — Pour expliquer un seul mot, le défini peut être représenté par un seul mot, et c’est le cas le plus ordinaire ; ou il peut être représenté par une proposition tout entière : c’est ce qu’entend Aristote quand il dit : « Une énonciation pour expliquer une énonciation. »
  19. Au moyen d’un simple nom, on peut définir d’un seul mot, mais ce n’est pas une définition proprement dite ; car, en renversant les termes, ce mot unique serait réellement le défini, et non plus la définition.
  20. Si la sensation et la science sont une même chose, la question de l’identité et de la différence est le fond même de la définition ; car, dans toute définition, il s’agit toujours de savoir si les deux membres sont parfaitement identiques ; si la définition représente exactement le défini. — Les choses dont on parle ici, les choses pour lesquelles on discute l’identité ou la différence. — Théophraste, au rapport d’Alexandre, ne classait pas la question d’identité comme son maître : il la plaçait sous la question du genre, comme la différence même, et non point sous la question de la définition, ainsi que le fait Aristote ; on ne sait les motifs de Théophraste,
  21. Et peut être pris réciproquement pour elle, c’est le caractère principal du propre. — Ce qui peut être aussi à une autre, le propre doit être au sujet, et au sujet seul dont il est dit le propre ;— Car il n’est pas nécessaire… qu’il soit un homme, ce qui devrait être cependant, si le propre de l’homme était de dormir, si la faculté de dormir était le propre de l’homme, comme celle d’apprendre la grammaire.
  22. Et peut être pris réciproquement pour elle, c’est le caractère principal du propre. — Ce qui peut être aussi à une autre, le propre doit être au sujet, et au sujet seul dont il est dit le propre ;— Car il n’est pas nécessaire… qu’il soit un homme, ce qui devrait être cependant, si le propre de l’homme était de dormir, si la faculté de dormir était le propre de l’homme, comme celle d’apprendre la grammaire.
  23. C’est encore une question de genre ; on aurait pu en effet rapporter cette question à celle de l’identité et de la différence qui rentre dans la définition et non point dans le genre.
  24. L’accident… n’est rien de ce qui précède, première définition. — Est ce qui….peut être ou n’être pas, seconde définition, à laquelle Aristote donne la préférence. De ce que l’accident est l’attribut, qui peut être on n’être pas au sujet indifféremment, il s’ensuit qu’il n’y a pas science de l’accident, ni démonstration : c’est ce qui a été prouvé dans les Derniers Analytiquesf liv. 1, ch. 2, § 1 ; ch. 4, § 1 ; ch. 8 et ch. 30, et Métaphys. liv. 6, ch. 2
  25. Ce que c’est que la définition, le genre, le propre, puisqu’on a dit que l’accident n’était rien de tout cela, et que la négation n’est comme que par l’affirmation qui la précède, Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 25, § 5.
  26. Les comparaisons… Alexandre remarque avec raison que la comparaison s’adresse toujours à l’accident ; car le plus et le moins dont la comparaison s’occupe uniquement ne sont ni genre, ni définition, ni propre : ils sont purement accidentels ; ils peuvent être ou n’être pas au sujet.
  27. Conclure du motif qui vient d’être donné, les arguments qui détruisent le propre, le genre et l’accident, détruisent également la définition. On pourrait donc considérer ces trois termes comme des espèces de définitions. Mais les arguments qui suffisent à établir le propre, le genre et l’accident, ne suffisent pas pour établir la définition ; et c’est là ce qui fait qu’on ne doit point les confondre avec elle.
  28. Une méthode unique et générale, c’est-à-dire ne traiter que de la définition dans la topique, et n’appliquer qu’à elle-seule toute la suite des lieux communs. — Et, la trouvât-on, elle serait fort obscure, Cet avertissement d’Aristote n’a point empêché Théophraste, son disciple, de chercher et d’appliquer cette méthode unique. Il a compris sous la définition le genre et le propre, et n’en a séparé que l’accident. C’est ce que nous apprend Alexandre d’Aphrodise ; mais il ajoute encore, et l’on peut croire qu’il parle d’après l’étude approfondie de l’ouvrage de Théophraste, que cette méthode unique avait précisément le désavantage signalé par le maître : elle était beaucoup moins claire que la méthode divisée, suivie par Aristote, qui a consacré une étude particulière à chacun des quatre termes dialectiques. Pacius prétend qu’Aristote lui-même recommande la méthode unique, liv. 7, ch. 4 ; mais le passage que Pacius indique n’est pas à beaucoup près aussi formel qu’il semble le croire.
  29. La division qui a été proposée plus haut, celle qui est indiquée avec les mêmes restrictions, ch. 1, § 10 de ce livre, d’une manière générale, à titre de simple esquisse. Aristote donne à entendre qu’on pourrait sans doute trouver une méthode plus exacte, une division plus précise ; mais la dialectique n’exige pas des règles aussi rigoureuses. — À la question qui leur convient le mieux, à celui des quatre termes dialectiques avec lequel elles ont le plus de rapport. Il faut leur appliquer les lieux du genre, si elles se rapprochent davantage du genre, ceux de la définition si elles se rapprochent davantage de la définition, etc. Ainsi l’on pourra, comme le dit Alexandre, rapporter à la définition le changement de termes moins clairs pour des termes plus clairs, la recherche de l’identité ; on rapportera la recherche des différences à la question du genre et à celle du propre ; les propres relatifs et temporaires, et les comparaisons à l’accident.
  30. En trois espèces, Alexandre prétend qu’Aristote reconnaît dans d’autres ouvrages quatre sens au mot identique au lieu de trois ; mais il n’indique pas précisément ces autres ouvrages. Le quatrième sens serait l’identique par analogie, dont on fait un fréquent usage. — Vêtement et manteau ; le même exemple est cité, Métaphysique, liv. 4, ch. 4,1006, b, 26.
  31. C’est en un sens un peu différent, Suivant Héracclite on ne pouvait pas se baigner deux fois dans la même eau. Cratyle allait plus loin encore ; il prétendait qu’on ne pouvait pas dire qu’on s’y baignât même une seule, bien entendu sans doute qu’il s’agit d’eau courante. Voir la Métaphysique, liv. 4, ch. 5,1010, a, 13.
  32. À une seule espèce, l’’identité appliquée à l’eau rentre dans l’identité spécifique.
  33. Ce qui est un numériquement, l’identité numérique est celle qui porte le caractère le plus marqué d’identité.
  34. Mais ici même, c’est-à-dire en fait d’identité numérique. — La plus spéciale et la première est l’identité numérique essentielle ; la définition et le défini sont essentiellement et numériquement identiques, ils peuvent être pris l’un pour l’autre.
  35. En second lieu, le second degré d’identité numérique, c’est l’identité exprimée par un propre, au lieu de l’être par une définition.
  36. En troisième lieu, le troisième et le moindre degré d’identité numérique, c’est l’identité exprimée, non plus par une définition ni par un propre, mais par un simple accident. — Exprimer qu’une chose qui numériquement est une, c’est-à-dire Socrate, qu’on peut désigner en disant de lui : La personne qui est assise, la personne qui fait de la musique ; or ce ne sont là que des accidents. Ce ne sont des attributs ni génériques, ni propres, ni essentiels ou pouvant servir à la définition.
  37. De trois significations, en y comprenant les trois nuances distinguées pour l’une d’elles ; et la quatrième signification : l’identité par analogie.
  38. Cest l’induction qui parcourt un à un tous les cas particuliers pour les ramener à une idée générale, universelle. Toutes les propositions, toutes les questions s’appliquent à l’un des quatre termes dialectiques.
  39. Par syllogisme, par le simple raisonnement et indépendamment des faits que l’induction pourrait fournir. — Une attribution réciproque ou non réciproque, tout attribut est ou d’égale extension à son sujet, ou d’extension inégale ; et alors le sujet et l’attribut peuvent être pris réciproquement l’un pour l’autre, ou ne le peuvent pas. Si l’attribution est d’égale extension et qu’elle soit essentielle, c’est une définition ; si elle est d’égale extension, et sans être essentielle, c’est un propre ; si elle est d’égale extension, et qu’elle soit essentielle, genre ou différence, elle rentre dans la question du genre ; enfin si elle est d’inégale extension, sans être essentielle, c’est un simple accident. — Car nous avons appelé propre, voir plus haut, ch. 5, § 5. — Ce qui peut recevoir l’attribution réciproque de la chose, parce que le propre est à la chose seule. — Si l’attribut ne peut pas recevoir l’attribution réciproque, si l’attribut est d’inégale extension à celle du sujet. — Nous avons nommé accident, On peut voir cette définition, plus haut, ch. 6, § 8.
  40. Les quatre attributs différents, le genre, le propre, la définition, l’accident. Alexandre n’avait pas dans son manuscrit le mot différents, et il fait remarquer qu’il faut nécessairement le suppléer. L’édition de Berlin, sans en donner de motif, garde la leçon initiale d’Alexandre. Pacius, Sylburge, etc., ont tous la leçon complète, et Pacius en particulier affirme l’avoir trouvée dans tous les manuscrits qu’il a consultés. Le sens, d’ailleurs, est parfaitement clair. Averroës paraît avoir eu la leçon complète qu’Albert-le-Grand a certainement, au XIII siècle.
  41. Les catégories sont au nombre de dix, voilà le seul passage des œuvres d’Aristote où les catégories, en dehors du petit ouvrage qui porte ce titre, soient énumérées sans lacune : elles le sont de plus dans l’ordre même où il les a classées dans son ouvrage spécial. C’est une preuve en faveur de l’authenticité. Voir mon Mémoire sur la logique, tom. 1, pages 51 et 340.
  42. Quand on exprime ce qu’est la chose, c’est-à-dire qu’il y a de l’essence encore dans les catégories inférieures, comme dans la première, où il n’y a qu’elle. — Soit qu’on lui attribue son genre, l’attribution est nécessairement essentielle, quand le sujet et l’attribut sont dans la même catégorie. — Quand, au contraire, l’attribut est différent du sujet, en d’autres termes, quand le sujet et l’attribut sont dans des catégories différentes, quand le même ne s’applique pas au même. — Ou toute autre des catégories, Alexandre fait remarquer ici combien le Traité des catégories est indispensable à la dialectique ; c’est une nouvelle réponse indirecte à ceux qui nieraient l’authenticité de ce Traité.
  43. Les éléments auxquels s’appliquent les raisonnements dialectiques, les questions.— Ou dont on les tire, les propositions. — Que nous avons dits, voir plus haut, ch. 5.
  44. Une proposition dialectique… une question dialectique, Il a déjà donné ces définitions, ch. 4, § 4, et il a marqué la différence de la proposition à la question. Ici la définition est plus complète, parce qu’elle se trouve dans le Traité spécial de la Dialectique.
  45. La proposition dialectique, outre la définition indiquée au ch. 4, Il en a déjà donné deux de la proposition dialectique : l’une dans l’Herméneia, ch. 11, §§ 2 et 3, où il cite les Topiques, et où il compare la proposition ordinaire à l’interrogation dialectique ; l’autre dans les Première Analytiques, liv. I, ch. 1, § 5, où il compare la proposition dialectique à la proposition démonstrative. — Est donc une interrogation, Alexandre remarque, d’après Eudème et la doctrine qu’il exposait dans son Traité sur l’énonciation, que la proposition dialectique est la seule qui ait forme d’interrogation. « Toute proposition, dit-il, n’est pas une interrogation ; il n’y a que la proposition dialectique ; toute interrogation n’est pas proposition ; il n’y a que l’interrogation dialectique. » Et il cite Eudème, qui distingue trois espèces d’interrogations. — Qui doit être probable, Dans les Derniers Analytiques, il a donné une définition pareille du probable. — Qui d’ailleurs n’est point paradoxale, en d’autres termes, conforme au sens commun. Ainsi, une assertion n’est probable, au point de vue spécial de la dialectique, que si elle est généralement acceptée. « La santé n’est pas un bien aux yeux de quelques sages, dit Alexandre ; mais on ne doit pas dire que ce soit là une opinion probable, parce qu’elle est opposée à l’opinion générale. Parménide a soutenu que l’être est un et immobile ; Héraclite, que les contraires sont identiques ; Antisthène, qu’il n’est pas possible de contredire une assertion quelconque. Ce ne sont pas là des propositions, ce ne sont que de simples thèses dans le langage d’Aristote. »
  46. On peut prendre aussi, voilà deux nouvelles espèces de propositions probables : 1° celles qui ressemblent aux propositions probables ; 2° celles qui leur sont contraires, mais qui sont mises sous forme opposée, et qui par cette opposition de la forme rentrent alors sous la proposition à laquelle elles seraient contraires dans l’expression simple. Prises à l’inverse, elles sont vraies.
  47. Exemple de propositions semblables aux propositions probables.
  48. Exemple de propositions contraires aux propositions probables, mais sous forme opposée.
  49. C’est aussi dans la comparaison, et par exemple si cette proposition : il faut faire du mal à ses ennemis, ne paraît pas d’abord assez probable, on en fera ressortir la probabilité en la comparant à la proposition contraire : il faut faire du bien à ses amis.— Quand nous nous occuperons, Alexandre pense que cette indication se rapporte au second livre des Topiques, et c’est avec raison, comme on peut le voir par le ch. 7 de ce livre ; et il ajoute qu’Aristote a déjà traité ce sujet dans l’Herméneia, vers la fin ; le chapitre 14 de l’Herméneia y est en effet consacré ; mais à un point de vue plus général, et qui n’est pas relatif à la dialectique.
  50. Il est également évident, Pacius rappelle que cette quatrième espèce de probabilité est précisément celle que suppose l’axiôme bien connu : Credendum est cuique in suâ arte perito.
  51. Produisant directement par elle-même, quand la question est posée pour elle-même. — Ou contribuant du moins, quand la question ne doit être résolue qu’en vue d’une autre. — Le vulgaire ne pense ni dans l’un ni dans l’autre sens, c’est-à-dire qui n’intéresse pas le vulgaire et sur laquelle il ne prend point parti. — Contrairement aux sages… contrairement au vulgaire, ces deux espèces rentrent l’une dans l’autre et n’en font qu’une.
  52. Soit pour rechercher, soit pour fuir, ce sont les questions morales. — On se borne uniquement à savoir, les questions physiques ou de pure spéculation. — Qui peuvent pourtant y contribuer, quand la question est intéressante, non par elle-même, mais en vue de quelque autre.
  53. Ainsi que nous les avons définies dans les paragraphes qui précèdent, et dans le chapitre antérieur à celui-ci, pour la proposition.
  54. Une opinion paradoxale, opposée aux opinions généralement admises. — Pensées émises par le premier venu, la thèse, pour faire question, doit avoir en sa faveur quelque grave autorité.
  55. Par des raisonnements, qui ne seraient d’ailleurs que spécieux. — Il est impossible qu’un homme musicien, en tant que musicien, il ne peut jamais devenir grammairien ; mais l’homme qui accidentellement est musicien, peut accidentellement aussi être grammairien. — Par des raisons assez convaincantes, L’édition de Berlin supprime l’épithète assez convaincantes, sans donner de motif de cette suppression, que n’autorise aucun manuscrit, et qui laisse évidemment le sens incomplet.
  56. Une assertion ; car la thèse se prononce toujours pour l’un ou l’autre côté de la question.
  57. Mérite d’être réprimée. Le texte dit même châtiée, par un blâme énergique, au lieu d’être éclaircie par la discussion, qui ne pourrait jamais à elle seule lui ôter son immoralité.
  58. La démonstration, simplement probable, et son point scientifique et philosophique dans le vrai sens du mot
  59. Il y en a deux, parce que tous les autres raisonnements, dialectiques ou analytiques, rentrent dans l’un ou dans l’autre, comme il l’a prouvé dans les Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 23 et suiv., et au début du premier livre des Derniers Analytiques.
  60. Nous avons déjà dit. Plus haut, dans ce livre, ch. 1, § 2.
  61. Quant à l’induction, Voir la Théorie complète de l’Induction, Premiers Analytiques, liv. 2. ch. 23. Alexandre remarque que de son temps on définissait mal l’induction, en disant qu’elle était la transition du semblable au semblable. C’est là l’exemple et non pas l’induction comme on peut le voir loc. laud.
  62. La division faite plus haut, Voir plus haut, ch. 4 et suiv. — Quant aux procédés, le texte dit : instruments. — Le semblable, ce qu’il y a de semblable entre les choses, la ressemblance des choses.
  63. Trois ne sont en quelque sorte, Ce sont les trois derniers procédés qui pourraient tous être ramenés au premier ; le choix des propositions. — Des semblables, ou mieux, des ressemblances.
  64. Que nous avons distingué d’espèces, Voir plus haut, ch. 10, § 2 et suiv., où il a défini la proposition probable, et en a distingué quatre espèces. — Ou celui des plus illustres, Il faudra regarder comme opinion probable celle d’Hippocrate en médecine, dit Alexandre, d’Archimède en géométrie, d’Aristoxène en musique. — Ainsi que nous l’avons dit plus haut, ch. 10, § 5.
  65. Celles même qui se rapprochent de celles-là, c’est la seconde espèce de propositions probables, ch. 10, § 4. — En émettant quelque chose de nous, C’est ainsi que Platon expliquait la vision dans le Timée. Voir la traduction de M. Cousin, page 145. Il me paraît qu’Aristote fait ici la critique de son maître, bien qu’il ne le nomme pas.
  66. Celles d’Empédocle, qui a été si souvent attribuée à Aristote lui-même, bien qu’il la lui renvoie positivement.
  67. Les autres logiques, Logique n’a point ici le sens défavorable que lui donne habituellement Aristote. Ceci semble résulter de l’exemple qu’il cite un peu plus bas. M. Ravaisson a cherché à prouver que cette division des propositions, qui embrasserait le domaine de la philosophie tout entière, comme pour Xénocrate et ses successeurs, n’avait pas toute l’importance qu’on a voulu lui donner. Voir son Essai sur la Métaphysique, tom. 1, pag. 245 et suiv. Pacius remarque aussi que cette division, indiquée ici d’une manière peu rigoureuse, rudi et pingui Minervâ, ne comprend ni les mathématiques, ni la métaphysique, ni la médecine, ni les arts spéciaux. — Par une simple définition, La définition pour chacune de ces espèces aurait été beaucoup plus difficile ; il a préféré les faire connaître par des exemples qui n’ont rien de très rigoureux.
  68. Au point de vue de la philosophie, Différence de la philosophie et de la dialectique, de la science proprement dite et de la simple opinion.
  69. Des opposés, dont les contraires avec toutes leurs nuances ne sont qu’une espèce, ainsi que les relatifs, le bien et le mal, le blanc et le noir, ne sont que des cas particuliers. Voir les Catégories, ch. 10 et suiv., et Métaphysique, liv. 5, ch. 10.
  70. Pour la proposition, ou mieux, pour le choix des propositions, premier des quatre instruments dialectiques. Voir plus haut, ch. 13, § 1.
  71. Quant aux dénominations, Second instrument dialectique indiqué plus haut, ch. 13, § 1.—Voir aussi au livre suivant, ch. 3, sur les homonymes, et dans la Métaphysique, le livre 5 tout entier, où est traitée longuement la diversité d’acception des termes.
  72. Sous le rapport de l’espèce, c’est-à-dire sous le rapport de la définition, comme le fait remarquer Alexandre, qui s’appuie dans cette explication sur ce qui suit.
  73. Soit en espèce, soit en nom, soit par sa définition, soit par sa dénomination. Voir le début des Catégories, sur les homonymes et les synonymes.
  74. Que dans un sens, Un mot qui a plusieurs acceptions peut, dans l’une de ces acceptions, avoir un contraire, et n’en point avoir dans une autre. — Ainsi, plaisir se dit en plusieurs sens, et dans l’un de ses sens il a un contraire, tandis que dans l’autre il n’en a pas.
  75. S’il s’agit de la voix, Ceci est vrai pour la langue grecque, qui n’a point de nom pour cette nuance intermédiaire de la voix ; ce pourrait être faux dans toute autre langue qui aurait fait cette distinction. Aristote remarque que le rauque pourrait être, suivant quelques musiciens, cet intermédiaire qui lui semble manquer ici au grec ; on en pourrait dire autant pour le français et pour le latin. — Donc, blanc… ainsi que noir, ou clair et obscur, pour donner en français des mots homonymes, comme le sont les mots grecs.
  76. Pour le clair et l’obscur, le grec dit par une homonymie qui lui est propre : le blanc et le noir.
  77. Ne pas voir, terme contradictoire à voir. Si ne pas voir a plusieurs acceptions, voir, son opposé, doit nécessairement en présenter aussi plusieurs.
  78. Appliqué à l’âme et au corps, Alexandre semble s’étonner de la confusion de termes que fait ici Aristote, et lui reprocher d’identifier la pensée et la sensation. Le reproche est juste. Il est vrai qu’on peut croire qu’il ne s’agit ici que d’une simple métaphore. On peut rapprocher ce passage de celui des Derniers Analytiques, liv. 2, ch. 19, § 5 et suiv. — Alexandre remarque qu’Aristote, après avoir traité des opposés par privation et possession, omet de traiter des opposés par relation, des relatifs ; mais il ajoute que la théorie est ici parfaitement évidente. La définition même des relatifs indique assez que si l’un des deux à plusieurs sens, l’autre en a plusieurs aussi.
  79. Aux cas divers des mots, aux inflexions des mots qui se rapportent aux caractères divers qu’ils peuvent revêtir sous le rapport de la grammaire, substantifs, adjectifs, adverbes, verbes, etc.; justice, juste, justement, justifier, etc. On peut, du reste, pour prouver l’homonymie, passer du nom au cas, ou réciproquement du cas au nom. Voir dans les Catégories, ch. 1, § 3, et dans le livre suivant des Topiques, ch. 9, ce qui concerne les paronymes et les conjugués, qui ont du rapport avec les cas, mais qui s’en distinguent cependant, comme le montre Alexandre.
  80. Par exemple le bon se rapporte à quatre catégories : 1° l’action ; 2° la qualité ; 3° le temps ; 4° la quantité ; donc le mot bon est mot homonyme. — Ceux qui savent la théorie numérique de l’harmonie, les pythagoriciens, et peut-être aussi quelques disciples d’Aristote lui-même, parmi lesquels le fameux Aristoxène, dont l’ouvrage très-important sur la musique est parvenu jusqu’à nous.
  81. La définition qui répond à ce mot, L’expression qu’emploie ici Aristote est tout à fait pareille à celle dont il se sert au début des Catégories ; c’est pour l’authenticité de ce traité une preuve qu’il faut ajouter à tant d’autres. — Nous disons vase, ceci se rapporte à l’homonymie citée plus haut du mot âme, lequel n’est point homonyme en français comme il l’est en grec.
  82. Examiner en outre les genres du contraire, c’est le troisième et dernier lieu tiré des catégories.
  83. Regarder à la définition, lieux de la définition ; — de ces mots qu’on croit homonymes, et qui pourraient ne pas l’être.
  84. À la suite ; passant des mots eux-mêmes qui désignent les choses dans la définition qui les explique.
  85. Car tout mot synonyme, Est synonyme ce qui est identique par le nom et par la définition essentielle tout à la fois. Les espèces sont synonymes par rapport au genre. On conçoit alors qu’on puisse les comparer entre elles. Voir les Catégories, ch. 1,§ 2.
  86. Les différences aussi sont différentes, Lieu pris de la différence après le lieu de la comparaison. Il sera développé au chapitre suivant.
  87. Les différences sont identiques, ce qui n’a pas lieu pour les acceptions diverses du mot couleur. Ce mot par conséquent est homonyme.
  88. Quant aux différences, troisième instrument dialectique. Voir ch. 13, § 1, plus haut.
  89. Ne sont pas fort éloignés, et que l’on peut facilement les confondre. La discussion a pour but précisément de les distinguer.
  90. Les différences sont parfaitement évidentes, et alors il n’est besoin d’aucune discussion.
  91. Pour la ressemblance, quatrième et dernier instrument dialectique. Voir plus haut, ch. 13, § 1.
  92. Faire porter les syllogismes sur la chose même, seconde utilité.
  93. Pour qu’on ne nous fasse pas de paralogismes, troisième utilité. — Nous pourrons faire des paralogismes, il faut se rappeler qu’il s’agit ici de dialectique, et que la discussion peut n’y être pas parfaitement loyale. Aristote, du reste, blâme lui-même ce recours à la ruse, § 5, plus bas ; et il semble le laisser à la sophistique.
  94. Trouver les différences, troisième instrument dialectique, comme la distinction de l’homonymie est le second. Le troisième instrument a deux utilités indiquées dans ce paragraphe, et développées dans les deux suivants.
  95. La démonstration ; toujours au sens dialectique et non plus au sens analytique.
  96. Les voici, cette fin du premier livre et le début du second prouvent bien que ce n’est pas Aristote lui-même qui a divisé les Topiques par livres. Voir mon Mémoire sur la Logique, tom. 1, p. 122 et suiv., où cette question est discutée tout au long.
  97. Parmi les questions, on peut ajouter aussi : et les propositions, car les propositions, mieux encore que les questions, sont universelles et particulières, comme on l’a dit dans les Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 5 et suiv., et dans l’Herméneia, ch. 7 tout entier.
  98. Pour les deux genres de questions, c’est-à-dire, pour les universelles et les particulières. La proposition universelle, soit qu’elle affirme, soit qu’elle nie, enveloppe toujours, et nécessairement, la proposition particulière de même qualité qu’elle.
  99. Des négations universelles, Eudème, dans ses Analytiques, ou dans son Commentaire sur les Analytiques d’Aristote, remarquait, au rapport d’Alexandre, que le dialecticien a bien plus souvent occasion de renverser des propositions que d’en établir. C’est donc avec raison qu’Aristote commence par les propositions dont l’emploi est le plus fréquent. — Des thèses affirmatives, ou des questions sous forme affirmative.
  100. Qui n’appartient pas réellement au sujet, Alexandre cite comme une erreur de ce genre l’opinion de l’immatérialité et de l’immortalité de l’âme. C’est pour lui une erreur aussi manifeste que de croire que les corps se composent de simples surfaces, que le mouvement vient du vide, que deux et deux font cinq, que le plaisir est la fin de l’homme. On sait assez, du reste, quelle est l’opinion d’Alexandre sur l’âme ; mais il ne l’a nulle part exprimée d’une manière plus formelle qu’ici. — Quand on appelle le platane homme ; parfois l’erreur n’est pas aussi évidente, et ceux qui soutiennent, par exemple, que le sage est le seul riche, le seul noble, le seul bon, le seul éloquent, détournent ces mots, bien que moins évidemment, du sens qu’ils ont pour le vulgaire. C’était, comme l’on sait, l’opinion des stoïciens, dans le portrait de leur sage idéal.
  101. Un premier lieu, Théophraste, au rapport d’Alexandre, distinguait, avant le lieu lui-même, le précepte général qui l’indique et le recommande. Ce précepte vient nécessairement avant le lieu ; et ici, par exemple, le précepte serait : Il faut examiner si ce qui appartient au sujet à un titre autre que l’accident lui est cependant attribué comme simple accident ; et le lieu proprement dit serait : Si ce qui est attribué comme accident au sujet lui appartient à un titre autre que l’accident. Cette distinction est vraie, mais on peut la regarder comme bien minutieuse. — Pour l’accident, Aristote commence l’étude des termes dialectiques par l’accident, qui est, disent les commentateurs, le plus commun de tous. On peut voir dans Alexandre les motifs divers qui doivent faire donner la priorité à l’étude des lieux relatifs à l’accident. Aristote n’a pas cru devoir donner aucune raison ici ; mais il donne celle des commentateurs, bien que d’une manière indirecte, liv. 4, ch. 1, § 1. — C’est surtout relativement aux genres, parce que le genre a plus de rapport avec l’accident que n’en ont la définition et le propre. En effet la définition et le propre n’appartiennent qu’au sujet, le genre et l’accident, au contraire, sont plus étendus que lui. — Par dérivation paronyme, voir les Catégories, ch. 1, § 3, où est donnée la définition de ce mot.
  102. Aux cas particuliers, c’est-à-dire aux individus. — Commencer cet examen par les primitifs, par les genres les plus étendus. — Aux individus, il faut entendre seulement les dernières espèces qui ne peuvent plus être divisées ; car, dans le sens habituel du mot, ceci serait contradictoire à ce qui précède. — Pour les relatifs, et pour les contraires, en d’autres termes, pour toutes les espèces d’opposés. Voir les Catégories, ch. 10 et 11. — Jusqu’aux individus, qui sont encore ici des espèces, comme l’exemple même le prouve. — Juste et injuste, opposés contraires ; double et moitié, opposés relatifs ; aveuglement et vue, opposés par privation et possession ; l’être et le non-être, opposés par contradiction.
  103. Le grondeur, Je n’ai point trouvé dans notre langue un mot plus convenable que celui-là, qui ne l’est guère. Pour rendre le mot grec, il m’aurait fallu prendre une très-longue périphrase, qui aurait en plus d’inconvénients encore qu’un mot impropre. Nous n’avons rien d’ailleurs dans nos croyances modernes qui réponde à la Némésis des anciens. Le grondeur doit s’entendre ici d’un honnête homme toujours mécontent des choses de ce monde parce que sa vertu s’en indigne, dans le genre où l’est le misanthrope de Molière.
  104. On peut encore réfuter la question, le texte dit objecter. Voir sur l’objection Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 26. — Est à peu près le même que le second indiqué au § 8 ci-dessus.
  105. L’un ou l’autre des sens divers, en admettant que le mot homonyme n’ait que deux acceptions. — D’obtenir de concession de l’adversaire, Alexandre fait remarquer qu’Aristote appelle ici concession ce qu’à la fin du premier livre des Topiques il a nommé, comme dans les Premiers Analytiques, hypothèse, et il confond par conséquent les syllogismes par concession et les syllogismes par hypothèse. Voir plus haut, liv. 1. ch. 18, la note sur le § 9, et sur cette question si souvent controversée de savoir si Aristote a connu les syllogismes hypothétiques ; voir aussi plus loin, liv. 3, ch. 6, § 6. — Comme le fait le géomètre, qui procède toujours par démonstration universelle, et, par exemple, dans le théorème bien connu que cite Aristote.
  106. Parfaitement évidents, c’est ce qui distingue ce lieu du précédent où l’on supposait que l’homonymie était cachée ; ici elle est parfaitement claire et ne peut échapper en aucune façon.
  107. Ainsi, c’est en soi que le triangle, parce que le triangle est ici le primitif universel, comme il a été prouvé dans les Dernière Analytiques, liv. 1, ch. 4, § 12. Théophraste citait aussi cet exemple, selon Alexandre, dans son Traité sur les mots à plusieurs acceptions.
  108. De passer à un mot plus connu, parce qu’alors il est plus facile de discuter sur un mot clair que sur un mot obscur
  109. Les contraires sont à un même sujet, non pas simultanément et réellement, ce qui est impossible, mais logiquement, dans des espèces diverses, dans des moments divers. — Sentir, c’est juger, ce qui est le contraire de l’axiome sensualiste, que juger, c’est sentir. Voir toute la discussion du Théétète de Platon.
  110. Par dérivation paronyme, voir les Catégories, ch. 1, § 3. — L’une quelconque des espèces du mouvement, voir les Catégories, ch. 14, où les diverses espèces de mouvement sont réduites à six. Platon, dans le Timée, en distingue jusqu’à dix, mais d’un point de vue différent de celui d’Aristote, et qui n’est point applicable ici.
  111. Les tirer des définitions, Alexandre remarque, et à la suite les autres commentateurs ont remarqué, que ce lieu se rapproche du troisième, dont il a été question ch. 2, § 3, de ce livre. — Simplement apparentes ; il ne faut pas oublier qu’on est ici en dialectique, et que par conséquent on ne s’occupe que de la simple probabilité, En philosophie, en analyse, une chose n’a et ne peut avoir qu’une seule définition. — Contre les définitions, voir les liv. 6 et 7, consacrés tout entiers à la définition et aux lieux communs qui la concernent.
  112. Savoir c’est se souvenir ; c’est la doctrine de Platon dans le Phédon, et surtout dans le Ménon. Aristote l’a déjà combattue dans les Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 7 ; on peut voir aussi le Traité de la mémoire et de la réminiscence, — L’un des sens, on sait le passé, mais on sait aussi l’avenir ; et par conséquent la réminiscence n’explique pas toute la science quoiqu’en dise Platon.
  113. Une manière sophistique ; c’est le procédé dont se sert Protagoras le sophiste, dans le Dialogue de Platon, comme le rappelle Alexandre. — A fait une induction, Pacius, d’après la remarque de Gruchius, voudrait, contre l’avis unanime des manuscrits, substituer abduction à induction, ainsi que quelques lignes plus bas. Alexandre, qui n’a pas eu de variante sur ce passage, l’explique par l’idée seule de l’induction, sans recourir à l’abduction définie dans les Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 25. « Si pour démontrer, dit-il, que l’âme est immortelle, on pose d’abord en principe, qu’elle se meut pour arriver à prouver qu’elle se meut spontanément ; et que l’adversaire nie que l’âme se meuve, on passe du premier point, sur lequel on n’a pas d’arguments, à ce second, qu’on discute en prouvant que l’âme se meut, en pensant, en apprenant, en éprouvant plaisir ou peine, en sentant, en espérant, en craignant. Et c’est une transition à l’argumentation nécessaire pour prouver le point même qu’on discute. Cette sorte de transition s’appelle précisément induction, comme il l’a expliqué dans le second livre des Premiers Analytiques. » Pacius a conservé le texte reçu, mais il a traduit abduction au lieu d’induction. Ce changement ne semble pas indispensable, bien que le texte soit certainement obscur et puisse prêter à ces diverses explications. — En dehors de la dialectique, il faut l’abandonner à la sophistique et à ses procédés déloyaux.
  114. Des deux attributs contraires, voir les Catégories, ch. 11, et surtout ch. 10, § 8, et Métaphysique, liv. 5, ch. 10.
  115. L’âme est le génie de chacun de nous, il y a ici en grec une sorte de jeu de mots que le français ne peut pas rendre, parce que les mots génie et heureux, presque identiques en grec, n’ont aucun rapport dans notre langue.
  116. Les unes sont de toute nécessité, voir sur la théorie du nécessaire, du plus habituel et du fortuit, Herméneia, ch. 9, § 11 ; Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 8, § 1 ; Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 30, et Métaphysique, liv. 5, ch. 5. — Les enfants abandonnés ou déshérités. Alexandre rappelle que la tradition faisait de Thémistocle un enfant de ce genre.
  117. Prodicus, c’est Platon lui-même qui atteste que le talent particulier de Prodicus était de saisir les nuances les plus délicates des synonymes. Protagoras, trad. de M. Cousin, p. 69, 78, et Charmide, p. 301. Ce talent le distinguait parmi tous les sophistes.
  118. Les contraires se combinent, voir sur la théorie des contraires, Catégories, ch. 11, Herméneia, ch. 14, et Métaphysique, liv. 5, ch. 10. — À moins que l’un ne soit dit en excès et l’autre en défaut, comme les deux vices contraires à chaque vertu morale dans la théorie d’Aristote, l’un en excès, l’autre en défaut, sont contraires à la vertu intermédiaire ; et de plus ils sont contraires l’un à l’autre. Ainsi la prodigalité est contraire à l’avarice, et toutes les deux le sont à la générosité qui tient le milieu entr’elles.
  119. Il est impossible que les contraires, c’est le fondement même du principe de contradiction, voir les Catégories, ch. 11.
  120. Les idées sont en nous, c’est ce qu’implique la théorie platonicienne de la réminiscence, voir le Ménon. — À la fois en mouvement et en repos, et par conséquent on supposera que les contraires sont à la fois dans un même sujet.
  121. C’est une même chose, substantielle, voit les Catégories, ch. 5, § 21 ; c’est même la propriété spéciale et caractéristique de la substance. — Dans la partie irascible de l’âme, voir le Traité de l’âme, liv. 3, ch. 9, § 2 et passim, où toute cette théorie est développée.
  122. Sont au nombre de quatre, c’est ce qui a été dit plus haut dans le chapitre précédent, § 1. — Les contradictions, c’est-à-dire, les combinaisons des opposés où les termes s’excluent. — En renversant la consécution régulière, en mettant dans le premier membre le sujet le premier, l’attribut le second, et en prenant dans le membre opposé, l’attribut pour sujet et réciproquement, comme dans l’exemple cité, qui du reste porte sur des opposés par affirmation et négation, contradictoires et consécutifs. Voir les catégories, ch. 10, § 21.
  123. Consécution des simples contraires après la consécution des contradictoires. Voir les catégories, ch. 10 et 11.
  124. Aux opposés par privation et possession, voir les Catégories, ch. 10, et la Métaphysique, liv. 5, ch. 10, 23 et 23.
  125. Pour les relatifs, Catégories, ch. 7 et 10. — Ainsi qu’on l’a dit dans ce paragraphe même. — Comme le font plusieurs philosophes, Platon dans le Théetète, et Aristote lui-même dans les Derniers Analytiques, passim : la science ne vient que du syllogisme.
  126. On appelle conjugués. « La différence des conjugués aux cas, dit Alexandre, c’est que les premiers sont des choses particulières, tandis que les cas indiquent, non pas des choses qui peuvent servir de sujets, mais la manière d’agir ou la manière d’être de ces choses. » — Justement est un cas par rapport à juste ; courageusement, par rapport à courage, etc.
  127. Sera ignoramment, j’ai dû forger ce mot pour conserver l’antithèse. — On a déjà exposé, chapitre précédent, § 2.
  128. La science… l’opinion, voir les Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 33, consacré tout entier à la distinction de la science et de l’opinion. — On ne peut pas en penser plusieurs à la fois ; l’acte de la pensée étant instantané ; la science étant au contraire une disposition, une faculté qui peut s’appliquer successivement à plusieurs choses.
  129. Par l’induction, c’est-à-dire en examinant un certain nombre de cas particuliers pour arriver à conclure l’universel.
  130. Sans que cette autre chose fût auparavant bonne ou blanche, Alexandre fait remarquer que ce lieu est vrai pour les choses naturelles, et ne l’est pas pour les choses qui viennent de l’art humain ou de conventions humaines. Une once ajoutée à onze autres onces fait une livre, et n’est pas livre elle-même. Le lieu devient vrai en considérant l’once non plus comme mesure de convention, mais comme poids ; car alors, ajoutée au poids des autres onces, elle rend le tout plus pesant ; ce sont là certainement des distinctions très-subtiles.
  131. Qui ne sont pas susceptibles de plus, c’est le cas, de toutes les substances, Catégories, ch. 5, § 20 ; et passim.
  132. Laquelle est préférable ou meilleure, il a dit plus haut, liv. 1, ch. 6, § 10, que les comparaisons des choses rentraient dans les lieux de l’accident; et ceci est évident, puisque l’accident seul peut être susceptible de plus ou de moins. Le propre, le genre, la définition, sont à ce à quoi ils s’appliquent, mais d’une manière absolue et non avec possibilité de plus et de moins. Du reste, pour comparer les choses entre elles, Aristote s’arrête d’abord à l’idée du préférable, parce qu’en effet c’est celle qui a le plus d’importance en philosophie, en morale, comme le fait remarquer Alexandre. Plus tard il en viendra, sans cette idée de préférence, à comparer les accidents entre eux. Voir plus loin, ch. 5. C’est qu’elle n’est pas nécessaire à la comparaison.
  133. La majorité ou l’unanimité des gens habiles. — Car toutes choses tendent au bien, c’est le principe de Platon, comme le fait observer Alexandre : il pouvait ajouter aussi, et de Socrate.
  134. Quand même ils seraient aux Indes, il me semble que ce passage se rapporte à l’expédition du disciple d’Aristote, et à sa conduite injuste et atroce envers Callisthène, neveu de son précepteur. Voir mon Mémoire sur la Logique, tom. 1, pag. 125 et 360.
  135. Est aussi la meilleure, l’édition de Berlin supprime cette phrase, bien qu’elle soit indiquée par un manuscrit cité au bas même de la page et que toutes les éditions la donnent. Elle n’est pas indispensable au sens, mais elle le complète et l’éclaircit.
  136. Il faut alors regarder aux conséquents, voir la théorie des conséquents et des antécédents, Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 27, § 5, et suiv. Le conséquent peut être antérieur ou postérieur, comme Aristote l’explique très clairement un peu plus bas.
  137. Se guérir, ou se bien porter : du reste le grec peut employer le même mot pour se guérir et pour la santé. Le rapport est alors plus évident qu’en français.
  138. La prudence est préférable dans la vieillesse, cependant on en a plus besoin quand on est jeune.
  139. Tout le monde étant juste.., c’est le mot d’Agésilas, comme le remarque Pacius. Voir Plutarque, Apophthegmes des Lacédémoniens, 55e apophth.
  140. Tirer des arguments des destructions, voir une théorie pareille plus haut, liv. 2, ch. 9.
  141. Le cheval ressemble à l’âne, il semble qu’il faudrait dire plutôt l’âne ressemble au cheval, comme le singe ressemble à l’homme ; car on ne peut pas faire de consécution inverse ; mais il n’y a pas de manuscrit qui autorise ce changement que je n’ai pas voulu faire.
  142. Et aux cas des mots, cas étant pris ici comme il l’a été plus haut. Voir liv. 2, chap. 9, § 1, la définition des conjugués et des cas.
  143. N’est pas absolument préférable, à la faulx.
  144. Il faut éviter la maladie plus que la honte, le précepte sous cette forme paraît tout au moins singulier ; mais il ne faut pas l’étendre au-delà des limites même où Aristote le prend ici.
  145. Ces lieux, qui sont utiles pour connaître la supériorité d’un accident sur un autre, peuvent l’être également pour estimer à sa juste valeur chacun des accidents, pris à part, et sans aucune idée de comparaison ni de supériorité dans l’un des deux.
  146. Pour ces lieux, relatifs au plus et au moins, après avoir étudié les lieux qui indiquent la supériorité d’un accident sur un autre, et la préférence qu’on doit donner à l’un des deux, il passe aux lieux qui ne concernent que la comparaison des accidents quelconques, qu’ils soient d’ailleurs à rechercher ou à fuir. Voir plus haut, ch. 1, § 1 ; et il commence ici par les lieux du plus et du moins.
  147. Parmi ceux qu’on a exposés dans les chapitres précédents, depuis le commencement de ce livre.
  148. Est plus tel, est doué à un plus haut degré de telle qualité. J’ai cru devoir garder cette expression, quoique assez bizarre, parce qu’elle est plus concise et plus rapprochée du grec. Ce lieu a déjà été donné sous forme particulière, ch. 1, § 10, au lieu d’être présenté avec la généralité qu’il a ici comme le fait observer Pacius.
  149. Et si l’un des accidents, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 3, § 3.
  150. Qui le modifie davantage, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 3, § 4.
  151. De plus, si relativement à une même chose, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 3,§ 7.
  152. En supposant que le terme est ajouté, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 3, § 11.
  153. Si ajouté à ce qui est moins tel, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 3, § 18.
  154. Si l’on retranche au lieu d’ajouter, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 3, § 13.
  155. Les choses qui se mêlent moins aux contraires, lieu déjà présenté sous forme particulière, ch. 2, § 16. — Sauf cette différence tous ces lieux sont semblables.
  156. Si la question est particulière, tous les lieux indiqués jusqu’à présent dans le second livre et dans celui-ci, supposaient que la proposition était universelle. Mais ces mêmes lieux sont applicables également, quand la proposition est particulière. — Soit constructifs, soit destructifs, on pourrait dire aussi soit affirmatifs, soit négatifs ; mais l’expression serait à la fois moins fidèle et moins juste. On peut réfuter, détruire une thèse par l’affirmation ; on peut l’établir, la construire par la négation. Du moment que l’attribut est à tout le sujet, même théorie, Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 1, et plus haut, liv. 2 des Topiques, § 2.
  157. Quelque plaisir est utile, les manuscrits donnent habituellement est bon au lieu d’utile ; le plus petit nombre donne utile, leçon meilleure, et qu’a préférée l’édition de Berlin, sans d’ailleurs indiquer les variantes.
  158. Les générations et les destructions des choses, voir plus haut, liv. 2, ch. 9, § 3. — Le probable, que poursuit la dialectique, sans pousser d’ailleurs jusqu’au vrai comme la philosophie.
  159. Plus ou moins ou semblablement, Voir plus haut, liv. 2, ch. 10. — Les deux argumentations, en sens opposé, pour établir ou pour renverser la thèse selon le besoin de la discussion.
  160. Pacius remarque que dans le 6e livre de la Morale à Nicomaque, ch. 8 (1141, b. 11), Aristote semble distinguer la sagesse de la science ; ce qui contredirait la doctrine présentée ici.
  161. On pose cette hypothèse, par convention faite entre les deux interlocuteurs ; ce qui donne lieu aux syllogismes hypothétiques. Voir plus haut, liv. 1, ch. 18, § 9, et liv. 2, ch. 3, § 2.
  162. Reste indéterminé, sans aucun signe d’universalité ou de particularité. Voir les Première Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 5 et suiv., et dans l’Herménéa, ch. 7, § 3, où ceci est expliqué.
  163. Quand la proposition est déterminée, quand elle a un signe spécial d’universalité ou de particularité : tout ou quelque.
  164. De quatre façons, il semble, d’après le Commentaire d’Alexandre, qu’il aurait eu pour variante cinq au lieu de quatre. Il ajoute aussi que Théophraste traitait la question ici indiquée à la fin de son Traité sur l’affirmation, qui n’est pas venu jusqu’à nous.
  165. Comme on l’a fait dans les questions universelles, liv. a, ch. 2, § 2. Il faut, du reste, entendre ici l’expression individus dans le sens qui lui était donné pour cet autre passage, c’est-à-dire, d’espèces qui ne peuvent plus être divisées qu’en individus proprement dits.
  166. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, liv. 2, ch. 2, § 2.
  167. Après qu’on a compté toutes les espèces du mouvement, Voir les catégories, ch. 14. — L’âme n’est pas un nombre, contre l’opinion de Xénocrate. Voir plus haut, liv. 3, ch. 4, § 3.
  168. Qu’on vient de dire, dans le second et le troisième livres.
  169. Des choses qu’examinent rarement ceux qui discutent, il a commencé par les lieux de l’accident, a-t-il dit, parce que c’est la question la plus fréquente dans les discussions dialectiques. Voir plus haut, liv. 2, ch. 2. § 1, en note.
  170. L’âme n’est pas non plus ce qui se meut soi-même, théorie platonicienne, Timée, et passim.
  171. Nous avons appelé accident, liv. 1, ch. 5, § 8.
  172. La même division, c’est-à-dire la même catégorie. Voir les Catégories. — La science fait partie des relatifs, voir les Catégories, ch. 8, § 32. — Qualitatif, j’ai cru pouvoir forger ce mot qui se comprend sans peine.
  173. À ce qui est supposé dans le genre, c’est-à-dire à l’espèce, comme il le dit d’ailleurs un peu plus bas dans ce paragraphe même.
  174. Si l’espèce donnée pour une certaine chose est vraie, ce qui reçoit l’espèce reçoit aussi le genre ; ainsi la science et l’être étant le genre du probable, si le probable s’applique comme espèce au non-être, il faut que l’être et la science s’appliquent aussi au non-être ; ce qui ne se peut pas : donc l’être et la science ne sont pas le genre du probable.
  175. Si ce qui est posé dans le genre, en d’autres termes, ce qui est pose comme genre, ce que l’on prend pour le genre doit participer a l’espèce, ou à l’une des espèces. — À moins qu’il ne soit une des espèces de la première division, une des espèces entre lesquelles le genre se divise en premier lieu chacune de ces espèces pouvant d’ailleurs se subdiviser elle-mène. — Qui participent au genre, immédiatement. — Ni destruction, ni altération, l’édition de Berlin donne déplacement, translation, au lieu de destruction ; la leçon n’est pas à repousser ; mais elle est moins conforme à la théorie exposée dans les Catégories, ch. 14, § 1, sur les diverses espèces de mouvement. — Un des mouvements individuels, l’une des espèces du mouvement. — Qui sont sous l’espèce du mouvement, ou mieux, sous le genre.
  176. Ce qui est placé dans le genre, ce qui est considéré comme genre.
  177. L’Être et l’un, voir la Métaphysique, liv. 5, ch. 6 et 7. — Le primitif et le principe, voir la Métaphysique, liv. 3, ch. 1. — La différence aussi est moins large que le genre, puisque c’est elle qui sépare et distingue les espèces qui composent le genre et qui sont moins étendues que lui.
  178. Ou peut ne pas paraître parce qu’on est tel en dialectique.
  179. Aucun de ces genres ne comprend l’autre : la science ne comprend pas la vertu ; la vertu ne comprend pas la science ; l’une à l’égard de l’autre n’est pas genre. — Certains cas : Par exemple, quelques-uns croient, il s’agit peut-être ici de Platon. — Sont possession et disposition, voir les Catégories, ch. 7, § 2 et suiv., sur les relatifs.
  180. Le genre du genre donné, en remontant de genre en genre. — S’il y a quelque part discordance, si l’un des genres ainsi examinés n’est pas attribué essentiellement aux genres inférieurs, aux espèces. — Ne peut participer à aucun des inférieurs, parce qu’il est plus large qu’eux. — Comme on l’a déjà dit, comme on vient de le dire. — La translation soit le genre de la marche, voir les Catégories, ch. 14. — Placées sous la première division, les premières espèces entre lesquelles le genre est divisé et qui le forment tout entier.
  181. Pour tous les termes supérieurs au genre, pour tous les genre plus étendus que celui qui d’abord a été indiqué et qui le comprennent par conséquent. Le lieu, développé un peu obscurément dans ce paragraphe, se réduit à cette règle formulée par Pacius : Quand un premier terme est le genre d’un second, tous les genres de ce premier terme sont attribués essentiellement à toutes les espèces du second ; et, par exemple, du moment que vivant est pris pour le genre d’animal, corps, substance, qui sont les genres supérieurs de vivant, sont attribués essentiellement à l’homme, au cheval, au lion, espèces de l’animal et qui forment l’animal tout entier.
  182. Si les genres du premier terme sont attribués au second, il faut aussi que la définition de ce premier terme et les définitions de tous ses genres s’appliquent essentiellement au second terme et à toutes ses espèces.
  183. La différence ne peut être genre de quoi que ce soit, aussi la différence ne fait-elle point partie de la substance ; et en effet, il ajoute plus bas que la différence n’exprime jamais la substance ; elle exprime plutôt la qualité.
  184. Ou comme fait Platon, dans les Lois, liv. 10, p. 134, trad. de M. Cousin. Du reste, comme le fait observer Alexandre, Aristote, qui blâme Platon de cette définition, la donne lui-même dans le 5e liv. de la Physique (p. 226, a, 32). Mais il faut ajouter aussi qu’Aristote la donne comme la définition la plus commune ; et il semble faire dans ce passage une sorte de réserve contre une expression qu’il ne repousse pas, mais qu’il n’a point choisie cependant. — C’est la continuité qui est contiguïté, voir les Catégories, ch. 6.
  185. Si l’on a placé les différences dans l’espèce, la différence, étant plus large que l’espèce, n’y peut être renfermée ; tout au plus la différence est-elle aussi étroite que l’espèce qu’elle constitue.
  186. Si ce qui est dans le genre, c’est-à-dire l’espèce. — Ne défaillit jamais, ne manque jamais à ses espèces. — Ou peut participer au contraire, parce que les espèces peuvent être contraires les unes aux autres.
  187. L’âme n’est pas une espèce de nombre, nouvelle critique contre la définition de Xénocrate. Voir au chapitre précédent, § 11.
  188. Des procédés indiqués plus haut, liv. 1, ch. 15. — Car le genre et l’espèce sont synonymes, voir le début des Catégories, ch. 1, § 1 et suivantes.
  189. Du genre dénommé, de ce qui est donné pour genre.
  190. Est attribué proprement, essentiellement ; et par conséquent cette attribution n’est point une métaphore.
  191. Il faut voir si le contraire de l’espèce donnée.
  192. Si le contraire de l’espèce n’est dans aucun genre, voir le chap. 11 des Catégories sur les contraires, espèce des opposés.
  193. On objecte à cela, Alexandre a raison de dire que l’objection n’est que vraisemblable, et qu’au fond elle n’est pas vraie ; car, entre la santé et la maladie, il est possible de distinguer une foule de nuances intermédiaires.
  194. Sans que ce soit de la même manière, si les contraires sont affirmatifs pour les genres, ils doivent être affirmatifs pour les espèces ; s’ils sont négatifs pour les genres, ils doivent l’être aussi pour les espèces. — Comme sujet, comme affirmation. — Les intermédiaires sont négatifs, ne sont ni vice ni vertu, ni justice ni injustice. Ainsi les intermédiaires des genres vice et vertu sont négatifs : ceux des intermédiaires de ces genres, justice et injustice, le sont également.
  195. On objecte, c’est une sorte d’exception à la règle posée antérieurement.
  196. Une objection peut se tirer, c’est encore une exception. — La vertu et le vice, la justice et l’injustice, l’édition de Berlin donne : La vertu au vice, la justice à l’injustice ; toutes les autres éditions ont la leçon que j’ai traduite. La variante n’a point d’ailleurs d’importance.
  197. Aux cas et aux conjugués, voir liv. 2, ch. 9.
  198. Si apprendre c’est se souvenir, comme Platon le veut, dans le Ménon, etc.
  199. Pour les puissances et les usages des choses, puissances à l’état de simples possibilités.
  200. Si la vue est dans le dernier genre, dans celui-ci est la possession — L’aveuglement ne sera pas sensation, il sera dans le genre insensibilité. — En second lieu, il faut supposer ici quatre termes ; le premier opposé au second, le troisième au quatrième, par privation ; si le quatrième n’est pas l’espèce du second, le troisième ne sera pas l’espèce du premier. — Et que l’opposé ne soit pas dans le genre opposé, le quatrième n’étant pas l’espèce du second, le genre indigné n’est pas non plus dans le genre indiqué, le troisième n’est pas non plus l’espèce du premier. — Car si l’opposé est dans l’opposé, si le quatrième est l’espèce du second, — L’objet en question sera aussi dans l’objet en question, le troisième sera aussi l’espèce du premier.
  201. Comme on l’a dit pour l’accident, voir plus haut, liv. 2. ch. §, 3, et liv. 3, ch. 2, § 8..
  202. Le double et le multiple, Catégories, ch. 7, § 17. — La science est un relatif, ibid., § 18. — Est ce qu’est le bon, ce qu’est le beau, se confond essentiellement avec le bon, avec le beau.
  203. N’est pas dite, et c’est une faute, attendu qu’elle doit être, et pour soi et pour le genre, relative à une même chose. — Il faut aussi que le multiple, genre du double.
  204. Le surpassant, genre du multiple, comme le multiple lui-même l’est du double. — Tous les genres supérieurs, c’est-à-dire plus larges. — On objecte, c’est une exception.
  205. Straton, au rapport d’Alexandre, avait développé ce lieu et, en avait ajouté un autre qui s’en rapprochait. Alexandre ne dit pas si c’était dans un commentaire ou dans un ouvrage original que Straton faisait cette addition.
  206. Une égale réciprocité, si le terme réciproque n’exige pas le même cas, dont on prétend qu’il est le réciproque, c’est qu’il n’est pas le genre de ce terme, ou que ce terme n’en est pas le geste : évidemment l’on s’est trompé.
  207. Sont relatifs à un nombre égal de choses, si le nombre des cas est égal pour le genre et pour l’espèce. — Sont relatifs dans une étendue égale, s’appliquent à un même nombre de relatifs.
  208. La science est la sensation, voici un passage formel où Aristote nie que la science et la sensation se confondent. Il se prononce rarement d’une manière aussi nette. Voir le dernier chapitre des Derniers Analytiques. — Tout ce qui est su n’est pas sensible, c’est la théorie tout entière de Théététe.
  209. À ce que l’âme ait la connaissance d’elle-même, voilà l’acte de conscience très clairement indiqué. — Cette même science peut fort bien être aussi dans une autre, Alexandre propose ici une variante, qu’il ne paraît pas d’ailleurs emprunter à un manuscrit ; il vaudrait mieux dire, suivant lui : « Puisque cette même science (que l’âme applique à elle-même) peut fort bien aussi s’appliquer à une autre chose. » Il est évident que c’est là la véritable pensée d’Aristote ; les mots du texte, que j’ai fidèlement traduits, peuvent donner aussi ce sens en grec, comme le commentateur l’observe ; mais il n’en est pas tout à fait de même dans notre langue. — La mémoire est la permanence de la science, ceci peut se rapporter à la définition que Platon donne de la mémoire, Phédon, pag. 227, trad. de M. Cousin, ou peut-être à quelqu’autre définition encore.
  210. Ce qu’on a pris pour genre n’est pas véritablement genre, l’édition de Berlin a omis tout ce membre de phrase que donnent toutes les éditions, et elle n’a justifié cette lacune par aucune autorité. Cette phrase est presque indispensable, si ce n’est pour la pensée générale qui est claire, du moins grammaticalement. — Car la sensation est une faculté, sensation est pris ici dans l’acception de sensibilité. — Car aucune mémoire n’est faculté, il faut entendre mémoire dans le sens de souvenir.
  211. En plaçant la faculté dans la puissance qui en est la suite, c’est-à-dire en faisant la puissance genre de la faculté. Voir, pour la théorie du courage et de la douceur, la Morale à Nicomaque, liv. 3, ch. 6, et liv. 4, ch. 5.
  212. Les espèces indiquées, ou les genres, la colère, la certitude, par exemple. — Douleur… certitude, Ces mots ne rendent pas parfaitement la nuance du mot grec ; mais notre langue ne m’a pas offert d’équivalents plus exacts. — Comme égales, on les considérera l’une et l’autre comme deux genres égaux, d’étendue parfaitement égale.
  213. Si les deux, genre et espèce. — Là où est l’espèce là est le genre, ce qui reçoit l’espèce reçoit aussi le genre, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Le genre peut se passer d’une espèce : l’espèce ne peut jamais se passer du genre. — Est dans l’âme raisonnable, c’est-à-dire la partie raisonnable de l’âme. Voir le Traité de l’âme, liv. 3, ch. 9, page 432, a, 25. — Cessera d’être un acte volontaire, Voir pour la théorie de l’amitié, les liv. 8 et 9 de la Morale à Nicomaque. — Sont dans le même objet, sont compris dans le même genre. L’accident, en effet, suit toujours le sujet dans lequel il est.
  214. Mais non par son âme, L’âme n’est ni sensible ni visible ; par conséquent elle est immatérielle. C’est toute la doctrine platonicienne, dans le Phédon, la République, les Lois, le Timée.
  215. La puissance sans l’intention, Voir dans la Morale à Nicomaque, liv. 3, la théorie de la volonté morale.
  216. De mortel on peut devenir immortel, C’est celle même impossibilité qui a dicté à Platon la théorie de l’éternité de l’âme. Voir le Phèdre et le Timée.
  217. Si l’on dit que le vent c’est l’air agité, C’est peut-être l’opinion d’un philosophe antérieur que critique ici Aristote, ou simplement aussi l’opinion vulgaire qui explique ainsi le vent. La première supposition est la plus probable.
  218. Mais la neige n’est pas de l’eau, absolument parlant : c’est de l’eau modifiée de certaine manière. — De l’eau tournée, ou bien aigrie.
  219. Les choses participant au genre donné, Il est clair qu’il s’agit ici des individus, et il vaudrait mieux dire : participant à l’espèce donnée. — Ne doivent différer en rien spécifiquement, parce que ce sont des Individus. — Par exemple, les choses blanches, Prises individuellement et une à une, elles sont toutes de la même espèce. — Or les espèces de tout genre sont différentes, et par conséquent les individus semblables entre eux ne sont pas des espèces : l’espèce à laquelle on les rapporte n’est pas genre. — Donc le blanc ne serait le genre de rien, ce n’est qu’une espèce de la couleur et non point un genre.
  220. N’est attribué uniquement qu’aux espèces qui le composent.
  221. Est placé dans l’espèce subordonnée, fait partie comme qualité du sujet auquel on l’applique et qu’on prétend moins large que lui puisqu’on le lui subordonne. — Comme le blanc pour la neige, le blanc est dans la neige comme dans son sujet : il ne peut donc en être le genre ; car le genre est toujours plus large que le sujet qui le reçoit.
  222. Est attribué synonymiquement, Voir les Catégories, ch. 1, § 2 et suiv.
  223. Lorsqu’il y a un contraire au genre et à l’espèce, il y a donc ici quatre termes : deux genres contraires, deux espèces contraires. — Le meilleur des contraires relatifs aux espèces. — Devoir appartenir aussi au meilleur, à l’espèce meilleure.
  224. Il l’a placé dans le pire, il en a fait une espèce du pire.
  225. Quand on réfute, Plus loin, § 2. il indiquera les lieux qu’on peut tirer du plus et du moins, quand on établit la thèse, au lieu de la réfuter. — Soit ce qui s’y rapporte, les individus dénommés d’après l’espèce.
  226. Si ce qui paraît être plus ou également doué d’une certaine qualité qu’on attribue au sujet en discussion. — La douleur et le sentiment du mépris ; de ces deux attributs, quel est celui qui est le genre véritable de la colère ? C’est ce qui n’est pas déterminé ; c’est ce qu’il n’est pas facile de dire.
  227. Quelqu’autre espèce à l’espèce en discussion. — Plus ou également dans le genre : être plus ou également espèce. — N’est absolument pas non plus dans le genre, n’est pas espèce.
  228. Ce lieu n’est pas applicable. Ainsi, de ce qu’un genre et une espèce reçoivent le plus en sont et sont susceptibles d’accroissement, il ne s’ensuit pas que ce genre soit vraiment le genre de cette espèce.
  229. Puisque quelques-uns croient aussi, Ceci indique que les théories exposées dans les Topiques et les Catégories trouvaient des contradicteurs. — Que la différence est attribuée aux espèces essentiellement, tout comme le genre, opinion que combat Aristote. — Indiqués plus haut, dans ce même livre, ch. 9, § 10.
  230. Puis donc que le musicien, Le texte dit d’une manière plus générale : Le musical, — et que la musique paraît être une science. Ce lieu consiste à passer, comme le disent les scholastiques, du concret à l’abstrait : si le musicien un savant, on peut en conclure la musique est une science. — Est ce qu’est la certitude, est essentiellement la certitude. L’exposition d’Aristote, dans ce §, est un peu embarrassée, comme l’a remarqué Alexandre, qui propose une variante pour éclaircir le texte.
  231. Sans lui être réciproque, sans avoir une étendue égale, c’est-à-dire, en ayant une étendue plus grande ou plus petite suivant les divers cas.
  232. Ainsi qu’on vient de le dire, dans tout ce 4e livre.
  233. Si le terme indiqué est propre, Le propre est la deuxième question dialectique. Voir liv. 1, ch. 5, § 5.
  234. Ou en soi et toujours.. On peut reconnaître ici deux espèces principales du propre dont chacune se subdiviserait en deux, ou bien quatre espèces. Cette division est d’ailleurs indifférente, la pensée est parfaitement claire. — L’âme est faite pour commander ; théorie platonicienne.
  235. Le propre relativement à une autre chose. Non plus en soi, mais comparativement à une chose ou à un être différent.
  236. Il explique dans ce paragraphe les quatre espèces de propre qu’il a données dans le § 2 ; il y a peut-être eu ici quelque déplacement : les commentateurs, du reste, n’en parlent pas. Mais on peut voir qu’à la fin de ce paragraphe, Aristote revient, et pour la pensée et pour l’expression même, a ce qu’il a déjà dit dans le second. — C’est de se promener dans la place publique, plus haut il a dit : C’est de se promener dans le gymnase. On pourrait sans inconvénient mettre le § 4 après le § 2, et le § 3 après le § 4. Cette interversion serait d’autant plus justifiée, que dans le § 5 il revient au propre relatif.
  237. La partie raisonnable,…. la partie irascible, la partie concupiscible, Voir le Traité de l’âme, liv. 3, ch. 9, p. 432, a, 25. On sait d’ailleurs que cette division appartient à Platon. Voir la République, liv. 9, p. 305 et passim, traduct. de V. Cousin. Voir aussi la fameuse comparaison des trois êtres dont l’homme est composé, dans la République, liv. 9, p. 226 et suiv.
  238. Les plus logiques, Ceux qui peuvent fournir le plus de lieux communs, d’arguments, et les meilleurs. — Les propres en soi…. Le moins logique est le propre temporaire. Voir, sur le mot logique, d’abord la fin même de ce §, l’Essai sur la Métaphysique de M. Ravaisson, tom. 1, p. 247, et mon mémoire sur la Logique, tom. 2, pag. 60 et 65. — Nous l’avons dit plus haut, dans ce chapitre, § 3.
  239. Par les lieux indiqués pour l’accident dans le second et le troisième livres. Voir aussi liv. 1, ch. 5, § 11.
  240. Si le propre a été bien ou mal donné, Il examinera plus tard, ch. 4 et suivants, si le terme donné pour propre est ou n’est pas réellement un propre.
  241. Aux termes qui ne sont pas plus connus, Car alors on pourra repousser l’explication du propre comme moins claire que le sujet lui-même. — Aux termes qui sont plus connus, Car alors on pourra soutenir que l’explication donnée est bien exacte.
  242. Et c’est pour s’instruire, etc. L’édition de Berlin n’admet pas cette phrase dans le texte, bien que toutes les éditions l’y conservent ; mais elle la cite dans les variantes sur l’autorité d’un manuscrit. La leçon qu’elle donne présente de plus une légère modification : « Et c’est pour s’instruire que de même qu’on fait la définition, on fuit aussi le propre. » J’ai cru devoir garder le texte vulgaire, bien que l’autre soit aussi très-acceptable, et qu’il ait de plus l’avantage de la concision. — Nous savons plutôt ce qu’est le feu, Ceci est fort contestable.
  243. Quand on dit que le propre du feu, Il s’agit ici du feu intérieur, de la chaleur interne qui est dans l’homme la condition indispensable de la vie. — Plus connus dans l’un et l’autre sens, il entend parler ici des deux sens indiqués dans le § précédent et dans celui-ci.
  244. Ou bien si la phrase toute entière. C’est ce qu’on appelle précisément en grec, amphibolie ; l’équivoque n’est relative qu’à un mot. — Et que la définition totale, C’est qu’en effet, comme le remarquait Théophraste, dans son Traité sur les mots à plusieurs acceptions, il y a des mots qui, pris isolément, présentent plusieurs sens, et qui, combinés avec d’autres, n’en présentent plus qu’un seul.
  245. Tout ce qu’on a dit plus haut, Dans ce chapitre, § 3.
  246. Si la même chose est répétée plusieurs fois, S’il y a quelque répétition inutile dans l’énoncé du propre. — Sera bien donné sous ce rapport, eu égard à la tautologie qu’on aura su éviter.
  247. Du moins à cet égard, Comme ne contenant aucun mot commun qui puisse également convenir à toute autre chose.
  248. Il ne faut dans les définitions rien ajouter. Voir, dans le 6e livre, ch. 3, le développement de cette règle pour les définitions.
  249. Si l’adversaire emploie, dans l’énonciation qu’il fait du propre, la chose même dont il prétend donner le propre, c’est une sorte de pétition de principes. C’est mettre le défini dans la définition. — Ou quelqu’une des choses qui appartiennent à celle-là, Le texte dit : Ou de quelqu’une des choses de celles-là, en d’autres termes, de quelque sujet subordonné à la première, de l’une de ses espèces. — Ce qui est aux choses qui lui appartiennent lui est postérieur, Les attributs des sujets subordonnés sont toujours postérieurs aux attributs du genre de ces sujets, c’est-à-dire, moins larges, et par conséquent moins connus. — Une des choses qui appartiennent à l’animal, Une des espèces de l’animal. — Ni d’une de celles qui lui appartiennent, ni d’une de ses espèces. — Ni de rien de ce qui lui appartient, ni d’aucune de ses espèces à quelque titre que ce puisse être.
  250. Ou d’opposé…. ou d’absolument simultané…. ou de postérieur, Voir les Catégories, ch. 10, pour les opposes, ch. 12 pour postérieur, et ch. 13 pour simultané, et Métaphysique, liv. 5, ch. 10 et 11. — On se sert à tort de l’opposé du bien, pour définir le bien, et cet opposé ne se comprend que par le bien lui-même. C’est presque se servir du bien pour expliquer le bien ; c’est une sorte de pétition de principe.
  251. Pour propre ce qui ne suit pas toujours le sujet, La pensée serait plus claire, et plus régulièrement exprimée, s’il y avait : Pour propre, non pas ce qui suit toujours le sujet, mais, etc. C’est ainsi que Niphus traduit et explique ce passage : il a peut-être eu raison ; mais, pour moi, j’ai conservé fidèlement la nuance du texte, qui n’est pas tout à fait celle que je propose d’y substituer. — À laquelle nous supposons que le propre est attribué, Cette exposition est obscure, comme l’ont remarqué tous les commentateurs. Aristote veut dire que tel sujet qui reçoit le propre peut fort bien ne pas recevoir le nom même de la chose à laquelle ce propre s’applique : et à l’inverse, que tel sujet qui ne reçoit pas le propre, peut fort bien recevoir le nom même de la chose à laquelle s’applique le propre. Et ici la raison en est évidente : c’est qu’il s’agit d’un propre temporaire, et non d’un propre absolu et perpétuel. L’exemple qu’il cite un peu plus loin éclaircit sa pensée. — Peut servir d’attribut, est bien réellement le propre. — Ce propre cesse aussi d’exister, parce qu’il est temporaire. — Ce qui est toujours nécessairement, le propre absolu et perpétuel au lieu du propre relatif et temporaire.
  252. En donnant le propre actuel, Ce qui est propre dans le moment même où l’on parle, et peut ne pas l’être dans un autre moment : c’est une nuance du propre temporaire. Dans le paragraphe précédent, il s’agissait du propre qui n’est pas toujours : dans celui-ci, il est question du propre qui est actuellement. — Et qu’on a coutume, dans le langage vulgaire, auquel la dialectique, si ce n’est la philosophie, doit se conformer autant qu’elle le peut.
  253. Un propre qui n’est pas évident autrement que par les sens : par exemple, le mouvement du soleil, qui n’est sensible que tant que le soleil est sur l’horizon, comme Aristote le dit un peu plus bas dans ce paragraphe. — L’astre roulant au-dessus de la terre, Aristote admet ici le mouvement du soleil et l’immobilité de la terre. Il y avait de son temps des théories tout opposées et vraies par conséquent, qui remontaient aux pythagoriciens ; mais il ne les avait pas adoptées. Dans les Derniers Analytiques, au contraire, il semble admettre que dans les éclipses, c’est le mouvement de la terre qui est cause des phénomènes. Derniers Analytiques, liv. 2, ch. 1, 82. Je dis qu’il semble, parce que le texte peut se prêter à un double sens. Voir mon Mémoire sur la Logique, tome 1, p. 312, 377 et 390. — Ce qui est d’abord coloré, La surface est la première et la seule chose que les sens aperçoivent dans le corps ; c’est la raison qui induit le reste. — Comme cette chose, la couleur qu’a toujours la surface.
  254. La définition comme propre, Voir la différence du propre et de la définition, liv. 1, ch. 5, § 8 2 et 5. — Le propre… exprimant son essence, c’est alors une définition. Voir la théorie de la définition, Derniers Analytiques, livre 2. — Qui soit de même étendue que le sujet, mais qui ne montre pas l’essence ; c’est en résumé la définition même du propre.
  255. N’a point placé le propre dans le genre ; c’est-à-dire, comme l’explique Alexandre, si l’adversaire, en donnant le propre, a négligé d’indiquer le genre du sujet, ainsi qu’on le fait pour les définitions essentielles. — Annexer les autres termes qui doivent compléter la définition, et ces autres termes, sont les différences qui doivent séparer le sujet de tout autre objet avec lequel, sans la définition ou le propre, on pourrait le confondre. — Le soin de placer dans le genre, dans son genre essentiel, — ce dont on donne le propre, le sujet. — Et d’y annexer tout le reste, et d’y joindre les différences. — Comme on a donné le propre dans le genre, parce que le propre doit comprendre le genre.
  256. Si l’on a bien ou mal donné le propre, C’est la première question qu’il s’est posée. Voir plus haut dans ce livre, ch. 2, § 1. Et, en effet, le propre indiqué peut bien être réellement le propre du sujet en discussion ; mais si la forme sous laquelle on l’a donné est incorrecte et irrégulière, on peut ne pas le reconnaître, et par conséquent l’adversaire pourrait le contester sans aucune déloyauté.
  257. Voici comment, ce qu’on donne pour le propre peut ne pas l’être, quelque régulière que soit d’ailleurs la forme sous laquelle on l’a présenté. — Absolument, c’est-à-dire sans regarder s’il est bien ou mal donné quant à la forme. — Que le propre est bien donné, cette nuance nouvelle dans l’étude du propre semble se confondre avec celle des chapitres précédents, et cependant elle s’en distingue. Aristote ajoute ici : d’une manière absolue, tandis que, dans tout ce qui précède, il recherchait si le propre avait été bien ou mal donné, relativement à telle considération particulière qui pouvait le rendre faux et incomplet. Aussi ajoutait-il toujours après chaque lieu : en ceci, sous ce rapport, à cet égard. Ici, au contraire, il n’y a plus de ces restrictions. Il faut donc distinguer trois degrés : 1° Le propre a été bien ou mal donné, relativement à tel point de vue spécial et particulier ; 2° il a été donné bien ou mal d’une manière absolue ; 3° il est ou n’est pas absolument parlant. Ce sont ces deux dernières nuances qu’Aristote confond dans une seule étude ; car on sent que, si le propre n’est pas, il ne peut pas avoir été bien donné ; et voilà comment il peut traiter à la fois ces deux espèces de lieux, toutes distinctes qu’elles sont cependant.
  258. Si le nom cesse d’être vrai, dans ce paragraphe, la pensée obscure qui termine le précédent devient, en effet, très-claire, comme le fait observer Pacius.
  259. En participation, c’est-à-dire par le genre dont il fait partie et par la différence qui constitue l’une des espèces de ce genre. — Ce qui est en participation, le genre. — Que la chose soit réciproquement attribuée, au propre, c’est-à-dire de même étendue que lui. — Un propre en participation, c’est-à-dire le genre.
  260. S’il est impossible que le propre soit en même temps, le propre doit toujours être contemporain de la chose dont il est le propre : si donc le propre donné n’est pas contemporain, c’est qu’il n’est pas le propre et sous ce rapport il est réfutante.
  261. Quand deux choses sont identiques, le propre de l’une doit être le propre de l’autre. — L’âme divisée en trois parties, voir plus haut, dans ce même livre, ch. 1, § 5, en note. § 8. Il s’agissait dans le paragraphe 7 de choses identiques en nombre, et qui se confondaient l’une avec l’autre ; il s’agit ici de choses identiques en genre ou en espèce.
  262. Un attribut qui est de nature, peut fort bien n’être pas toujours au sujet. Ainsi, par nature, l’homme est fait pour avoir deux pieds ; mais, en réalité, il ne les a pas toujours, soit par suite d’une monstruosité, soit par suite d’un accident. Un attribut doit s’entendre ici du propre. J’ai précisé les mots, quoique le texte ne le fasse pas et dise : Ce qui est de nature. — Sous prétexte que, de fait, un certain nombre d’hommes ne sont pas capables de science : ceci est vrai, en fait ; mais, en nature, tout être humain doit en être capable.
  263. Si l’on donne pour propre de la surface d’être colorée, la surface étant le terme relatif au corps ; le corps étant primitif relativement à la surface. — Le nom ne sera pas vrai pour la chose, la surface n’est pas le corps, le corps n’est pas la surface, bien que le propre de la surface, c’est-à-dire la coloration, puisse être attribué au corps.
  264. Comment et de quelles choses, c’est ce qu’il fera dans le paragraphe suivant, en énonçant toutes les nuancés que le propre peut revêtir et il les parcourra soigneusement une à une.
  265. La pensée de ce paragraphe se trouve déjà dans le § 1.
  266. Simplement ce qui est, sans que ce soit essentiellement de nature.
  267. De laquelle l’explication est vraie, c’est l’exemple du § 2.
  268. Pour propre du savant ou de la science, c’est le savant qui possède la science ; c’est la science qui est possédée par le savant : il faut distinguer cette nuance en donnant le propre.
  269. En ce qu’il participe ou en ce qu’il est communiqué, le texte dit : En ce qu’il participe ou est participé. — En ce qu’il participe, s’applique aux espèces qui participent du genre ; ou est communiqué, s’applique au genre qui se communique aux espèces.
  270. Qu’on donne le propre pour l’espèce, ou pour l’une des choses placées sous l’espèce. — Ce qui est dit par excellence, le propre placé au superlatif, donné sous forme de superlatif, ne peut appartenir qu’à une seule chose ou à une seule espèce relativement au genre.
  271. Car il faudra qu’il n’y ait qu’une seule espèce, parce que le propre ne peut convenir à la fois à plusieurs choses : il ne convient qu’à celle dont il est le propre. — Quand le nom n’est pas plus attribué à la chose, ainsi, le nom de feu n’est pas plus attribué à la lumière qu’à la flamme, et pourtant, les parties de la lumière étant plus ténues que celles du feu, l’explication du propre donnée pour le feu s’applique plus à la lumière qu’à la flamme. — Le nom ne sera pas plus applicable, et il le faudrait, cependant, puisque le nom et le propre doivent toujours être d’extension, et, pour ainsi dire, d’intensité égale. — Et pour le feu pris absolument, l’édit. de Berlin retranche ces mots, ainsi que le font aussi quelques autres éditions ; je les ai conservés, comme présentant la pensée d’une manière plus complète ; mais ils ne sont pas indispensables.
  272. De quelle manière, de l’une des manières énumérées plus haut, dans le § 4.
  273. Un terme d’attribution réciproque, c’est-à-dire d’extension parfaitement égale.
  274. Dans les choses à parties semblables, dans les choses dont les parties sont semblables au tout, sous le rapport qu’on étudie. — Car, telle mer, la mer des Cyclades comparée à la Méditerranée tout entière ; ou la Méditerranée elle-même comparée à la mer entière.
  275. Examiner les opposés, et d’abord… les contraires, voir les Catégories, ch. 10 et 11.
  276. Examiner les relatifs, seconde espèce des opposés. Voir les Catégories, ch. 10 et 11.
  277. Le terme tiré de la possession, autre espèce des opposés, par possession et privation. — Ce terme est commun aussi à d’autres choses, l’édition de Berlin supprime, sans citer d’autorités, cette phrase, que Sylburge avait déjà mise entre crochets. Je crois qu’il vaut beaucoup mieux la conserver.
  278. Les affirmations et les négations, autre espèce des opposés. — Et d’abord les choses mêmes attribuées, regarder d’abord aux attributs qui peuvent être affirmés et niés, d’un même sujet, comme l’indique l’exemple cité à la fin de ce paragraphe.
  279. Les choses attribuées ou non attribuées, les attributs peuvent être différents : les sujets peuvent l’être aussi. Il y aura donc, dans l’exemple cité plus bas, deux sujets et deux attributs, tantôt niés et tantôt affirmés.
  280. Examiner les sujets eux-mêmes, l’attribut peut être nié de tel sujet et affirmé de tel autre sujet différent.
  281. Mais ce lieu est faux, quand on veut l’employer pour établir affirmativement la proposition. — L’affirmation n’est pas le propre de la négation, ainsi, on ne peut pas dire : la vertu n’est pas le propre de l’animal ; donc elle est le propre du non-animal. — Ni la négation le propre de l’affirmation, on ne peut pas dire davantage : la vertu n’est pas le propre du non-animal ; donc elle est le propre de l’animal. — L’affirmation, en effet, n’est pas du tout dans la négation, la vertu n’est pas du tout dans le non-animal. — La négation est bien de son côté dans l’affirmation, la non-vertu sera bien l’attribut de l’animal, mais ce n’en sera pas le propre ; car il y a bien des choses qui ne sont pas vertu, et le propre ne s’applique jasais qu’à une seule.
  282. Quand on établit la proposition, l’affirmation après la négation. — Les quatre termes sont ici : la réflexion et la tempérance, la partie raisonnable et la partie concupiscible.
  283. Car alors l’autre cas, il faut supposer encore ici, comme plus haut, quatre termes, qui sont les cas deux à deux l’un de l’autre : bien, bon ; justement, juste.
  284. Le propre de l’homme…. ce qui est propre à l’homme, les cas consistent ici en ce que c’est d’àbord le génitif qui est employé, puis ensuite le datif. Le mot cas est donc pris dans son sens le plus commun, comme dans notre langue.
  285. Comme on l’a dit pour les lieux antérieurs, comme, par exemple, liv. 9, ch. 9, § 8, et passim.
  286. Aux choses semblables, ou mieux, qui sont en proportion : ici les quatre termes sont évidents dans tous les exemples qui suivent.
  287. Car ce qui est de la même façon, l’attribut qui se rapporte de la même façon à plusieurs sujets. On ne peut donc pas établir qu’il est le propre ni de l’un ni de l’autre, puisque le propre ne doit jamais se rapporter qu’à un seul terme.
  288. Pour l’être simple, la simple notion d’existence : le texte dit seulement : Pour l’être. Du reste, l’exemple cité plus bas éclaircit fort bien la pensée.
  289. Ainsi qu’on l’a dit, dans le paragraphe précédent.
  290. Il faut aussi regarder à l’idée du sujet, Aristote semble ici admettre l’existence des idées qu’il a combattues cependant, dans tout le cours de l’Organon, et particulièrement dans les Topiques, liv. 1, ch. 7, § 3 — Dans le sens applicable à l’objet, Pacius a, dans son texte et sa traduction, cette variante que j’ai adoptée et qui est empruntée à Isingrinius. L’édition de Berlin donne cette autre leçon un peu différente : dans le sens où est dit l’objet dont, etc
  291. À l’animal en soi, c’ est-à-dire à l’idée d’animal, — L’animal en tant qu’animal, l’animal réel.
  292. Ni le moins du moins, c’est ici le superlatif, tandis que, dans le membre de phrase précédent, c’est le comparatif. — Ni le terme absolu, c’est-à-dire le terme simple, le positif, sans idée d’accroissement ou de diminution. — Ni être coloré simplement, sans l’être plus ou moins.
  293. Les règles de ce paragraphe sont celles du précédent ; seulement elles sont affirmatives au lieu d’être négatives.
  294. Partir du terme absolu, au lieu de partir du terme modifié en plus ou en moins, pour le comparer aux quatre termes modifiés, plus, moins, le plus et le moins.
  295. De l’un de ces termes à tous les autres, on pourrait prendre moins, pour le comparer aux autres termes, comme il a d’abord pris plus, puis le terme absolu : on prendrait également le moins ou le plus. — Dans les lieux précédents, il s’agit toujours de comparer un seul objet avec un seul attribut.
  296. En second lieu, la comparaison porte ici sur deux sujets et deux attributs.
  297. Troisièmement, comparaison d’un attribut avec deux sujets.
  298. En quatrième lieu, comparaison d’un sujet avec deux attributs. — Le propre de l’animal, qui est le sujet, sensible et divisible étant les attributs.
  299. Pacius prétend que la règle établie ici est contraire à celle qui a été donnée par l’exemple cité au chapitre précédent, § 8 ; et c’est, pour lui, une raison de plus de croire à l’interpolation de ce paragraphe.
  300. Par exemple, comparaison de deux sujets et de deux attributs.
  301. En second lieu, deux attributs dans un même sujet
  302. Qu’une de ses parties soit animée de désirs, voir pour toute cette théorie le Traité de l’Ame, liv. 3, ch. 9 et passim.
  303. Troisièmement, deux sujets pour ou seul attribut. — Ce ne pourra pas être le propre du charbon, cet exemple ne paraît pas très-bien choisi.
  304. Ce lieu n’a pas d’utilité, parce que le propre ne peut Être à plusieurs sujets.
  305. Des propres qui sont également au sujet, voir plus haut, ch. 7 § 6, des considérations tout à fait analogues.
  306. Donc, respirable ne sera pas le propre de l’air, ceci peut paraître un peu subtil. L’air n’est pas respirable, ne peut pas être respiré, quand il n’y a pas d’animal pour le respirer ; mais il n’en est pas moins respirable, en ce sens qu’il pourrait être respiré s’il y avait un animal pour le respirer. Il est, du reste, assez remarquable qu’Aristote, en supposant l’air antérieur à l’animal, s’accorde en cela avec les théories modernes les plus certaines. Ces idées, d’ailleurs, sont empruntées par Aristote à l’école d’Ionie, et en particulier à Anaximène de Milet et à Diogène d’Apollonie.
  307. Le propre dans l’excès, c’est-à-dire sous forme de superlatif, comme le prouve l’exemple qui suit.
  308. Pacius proposait de supprimer ce paragraphe, qu’Alexandre d’Aphrodise n’a pas commenté, et que, peut-être, il n’a pas connu. La règle, d’ailleurs, ici donnée est juste ; de plus, il faut la règle affirmative après la négative, comme pour les lieux précédents.
  309. L’étude des définitions, La définition est la seule des questions dialectiques qui reste à étudier : elle sera traitée dans ce livre et dans le suivant. Voir liv. 1, ch. 5, § 2. — A cinq parties, La définition peut avoir cinq défauts. — Ou bien il n’est pas du tout vrai, j’ai conservé fidèlement la forme du texte : la pensée serait plus claire et plus directe en disant : On ne peut pas, avec vérité, appliquer la définition à tout la chose qui reçoit le nom. C’est ce ne prouve l’exemple même cité par Aristote. — On n’a point placé la chose dans le genre, on a omis, dans la définition, d’indiquer le genre du défini. — La définition n’est pas spéciale au défini, j’ai mis spéciale pour être plus clair : le texte dit : propre ; c’est-à-dire la définition ne convient pas seulement au défini. — Ainsi qu’on l’a dit auparavant, voir plus haut liv. 1, ch. 6. § 1, et ch. 8, § 2 ; et voir aussi le second livre des Derniers Analytiques, ou, comme l’a dit Alexandre, de l’Apodictique passim, et particulièrement ch. 3 et 10. — Les cinq défauts de la définition peuvent donc se l’estimer ainsi : 1° La définition ne s’applique pas à tout le défini ; 2° elle n’indique pas le genre propre du défini ; 3° elle ne s’applique pas au seul défini ; 4° elle n’explique pas l’essence de la chose ; 5° enfin, elle est irrégulière dans sa forme.
  310. Si donc, premier défaut. — Le nom, c’est-à-dire le défini. — Aux lieux donnés pour l’accident, liv. 2 et 3.
  311. Si on n’a pas placé, second et troisième défaut. — Aux lieux expliqués pour le genre, liv. 4, et pour le propre, liv. 5.
  312. Il nous reste donc, c’est le quatrième et le cinquième défauts, bien qu’on puisse croire d’abord qu’il ne s’agisse ici que du cinquième seulement.
  313. Si l’on n’a pas bien défini, c’est le cinquième défaut : il viendra plus tard au quatrième.
  314. Est homonyme à quelque autre, Voir les Catégories, ch. 1, § 1
  315. Dans le cas où le défini a plusieurs sens, Après avoir indiqué l’homonymie dans la définition, il la signale aussi dans le défini. — L’explication, la définition. — Tout ce dont on a donné la définition, tout le défini.
  316. La science était inébranlable, Cette définition et les deux qui suivent sont platoniciennes. — Qu’il ne s’est pas servi des mots au propre, L’édition de Berlin ne donne pas la négation : c’est sans doute une faute d’impression.
  317. Ophryosquie, ombragé par le sourcil : j’ai conservé le mot grec avec intention, pour que, par sa bizarrerie même, il fit d’autant mieux comprendre la pensée du texte. — Sepsidace, dont la morsure corrompt les chairs. — Ostéogène, d’après la théorie du Timée, il faut entendre que ce mot signifie plutôt : qui produit les os, que produite par les os.
  318. L’image ou la mesure des choses justes, Je crois qu’on pourrait trouver dans Platon des définitions analogues, et cette critique sans doute, s’adresse encore à lui.
  319. Si donc on n’a pas défini clairement, Voir plus haut, ch. 1, § 6.
  320. Si l’on a donné une définition trop étendue, Voir plus haut, ch. 1, § 6. — Que le défini, La plupart des éditions, Sylburge, Pacius, etc., ont le pluriel : que les définis. Je préfère le singulier que donne l’édition de Berlin, sans doute d’après l’autorité de quelques manuscrits. — Sépare, C’est ce qu’indique le mot même de définition, dans toutes les langues : il exprime toujours une limite, c’est-à-dire une séparation.
  321. Qu’elle est un nombre se mouvant de lui-même, C’est la définition donnée par Platon et surtout par Xénocrate. Voir le premier livre du Traité de l’âme, p. 406, a, b, et suiv. — L’humide primitif, venant de la nourriture, C’est sans doute une définition empruntée à l’école d’Hippocrate.
  322. Sous la même espèce que l’on définit. — Elle ne pourra pas être prise réciproquement, parce qu’elle ne sera pas d’égale extension. — Pour la chose, pour le défini qui est en discussion.
  323. L’appétit de l’agréable de l’agréable, Sylburge et Pacius suppriment le second : de l’agréable ; quelques manuscrits ont aussi cette omission que n’a point admise l’édition de Berlin ; je l’ai suivie. La répétition est indispensable. Niphus ne l’a pas, et il pense qu’elle consiste ici en ce que l’idée de désir renferme déjà celle d’agréable. La leçon de l’édition de Berlin, sans doute empruntée à l’autorité de quelques manuscrits, me semble très préférable. — Mais peut-être n’y a-t-il rien là d’absurde, Le effet, l’objection faite contre la définition précédente est un peu subtile et fausse. — N’est pas attribué deux fois, L’édition de Berlin supprime : deux fois, qu’on peut laisser cependant. — La définition, c’est-à-dire, la faculté de définir. — Ceux qui prétendent, Il est difficile de savoir à qui s’adresse précisément cette critique. — Toute privation s’applique à ce qui est naturel, Voir la Métaphysique, liv. 5, ch. 22. p. 1022, b, 22.
  324. La loi est l’image, Il a déjà critiqué cette définition, plus haut, ch. 2, § 4. — Bien ou mal défini, Voir plus haut, ch. 1, § 4.
  325. Indiqué et défini l’essence de la chose, Voir plus haut, ch. 1, § 4.
  326. De même que dans les démonstrations, Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 2, § 6 et suiv. — Tout enseignement, toute science, C’est l’axiome par lequel débute le traité même de la Démonstration. Voir les Derniers Analytiques liv. 1, ch. 1, § 1. les expression sont presque identiques.
  327. On peut comprendre de deux manières, Voir, sur ces deux sens de l’antérieur et du plus notoire, les Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 2, § 11. — Le point est plus connu que la ligne, le point est antérieurs la ligne puisque la ligne est composée de points. — L’unité est plus connue, absolument parlant, comme pour le point.
  328. Le point est, dit-on, C’est la définition vulgaire que donne ici Aristote.
  329. Le genre détruit avec lui l’espèce, la destruction du genre entraîne nécessairement la destruction de l’espèce, tandis que la réciproque n’est pas vraie — La différence en fait autant, puisque c’est elle qui distingue l’espèce. — Est plus inconnue que le genre et que la différence.
  330. Quand on prétend, Cette critique s’adresse sans doute à l’école platonicienne. — Absolument parlant, plus connues en soi, plus connues par nature et non pas seulement relativement à nous.
  331. Comme nous venons de le dire, depuis le § 2 jusqu’à celui-ci.
  332. Il y a trois lieux, ou plutôt trois nuances d’un même lieu exposées dans les paragraphes suivants — Par les choses antérieures, C’était la seconde portion du lieu général indiqué au § 2 ci-dessus.
  333. Le premier est tiré des choses simultanées, dont l’une ne peut servir à définir l’autre : car l’une n’est pas antérieure à l’autre, l’une n’est pas plus connue que l’autre. Voir les Catégories, ch. 10, 11, 12 et 13. — Car pour tous ces termes, l’existence se confond, C’est la doctrine, et ce sont les expressions mêmes des Catégories. Voir tout le ch. 7, et particulièrement le § 24.
  334. Un autre lieu, Une seconde nuance de même lieu. — Si on se sert du jour, si l’on emploie le mot jour, c’est employer aussi, implicitement il est vrai, le mot soleil. — Le mouvement du soleil, Voir plus haut, liv. 5, ch. 3, § 5. Ici Aristote admet sans hésitation l’opinion vulgaire sur le mouvement de soleil.
  335. Encore, Troisième nuance du lieu Indiqué au § 12.
  336. Et de même encore, La définition a été mal donnée, Si la choses supérieures etc.
  337. Il n’y a qu’un seul lieu, Indiqué au § 1, et ce lieu a toutes les parties, toutes les nuances qui forment comme autant de lieux distincts.
  338. Un second lieu, Voir plus haut, ch. 1, 4, et ch. 4, § 1. — On ne la place pas dans ni genre, on néglige d’énoncer le genre dans la définition. — Ce qui,… ce qui, sans indiquer de genre précis. — Le genre vise à exprimer ce qu’est la chose, Voir la définition du genre, liv. 1, ch. 5, § 6.
  339. Un autre lieu, Une seconde nuance du même lieu. — Où le terme n’est pas dit en soi, où les relations que soutient le défini, ne sont pas toutes essentielles ; mais que l’une est essentielle, tandis que l’autre est accidentelle.
  340. Un autre lieu, Une troisième nuance du même lieu. — Car toute activité, Le texte dit : Toute puissance ; j’ai pris en français un mot qui est aussi vague dans ce cas que le mot grec.
  341. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, dans ce livre, ch. 1, § 3.
  342. Un autre lieu, Une quatrième nuance du même lieu. — Si l’on a sauté des genres, C’est qu’il faut toujours définir par le genre le plus prochain, comme Aristote le dit lui-même quelques lignes plus bas. — Rattacher au genre supérieur toutes les différences, Pace qu’ainsi on définit le genre le plus voisin au lieu de le donner directement lui-même. — Déterminé le genre inférieur, définît le genre le plus voisin.
  343. Et, par exemple, l’animal ou la substance, qui sont des genres et non pas des différences. — Ne sont les différences de rien, puisque ce sont des genres.
  344. Pour leur genre spécial, pour le genre auquel elles appartiennent bien réellement.
  345. Le genre participe de l’espèce ; c’est-à-dire que le genre reçoit la définition de l’espèce, et est compris dans l’espèce au lieu de la comprendre. — Est nécessairement attribuée au genre, puisque nécessairement la longueur a ou n’a pas de largeur.
  346. Comment attribuera-t-on au genre ? Toutes les éditions ordinaires donnent cette phrase sous forme d’interrogation : et alors elle offre quelque difficulté, qui disparaît en mettant une négation dans le premier membre, comme l’a fait Sylburge, je ne sais d’après quelle autorité. On pourrait avec Niphus supprimer la forme interrogative, et alors la pensée serait parfaitement claire ; si l’on admet une longueur en soi, il faudra nécessairement alors lui attribuer à la fois, et de quelque façon qu’on s’y prenne, les contraires, ce qui est absurde. Loin de là, dans le système d’Aristote, le genre n’existant point en soi, mais seulement dans ses espèces, reçoit logiquement les contraires puisque les espèces sont contraires, comme le reconnaît le platonisme lui-même par la méthode de division. Je préfère garder l’interrogation vulgairement admise ; et ceux qui l’ont prétendu changer n’ont pas fait assez attention peut-être, qu’Aristote ne dit pas : Comment attribuera-t-on au genre qu’il est avec largeur et sans largeur, comme il aurait dû le dire si l’on admettait l’explication de Niphus ; mais qu’il dit : Avec largeur ou sans largeur. Dans la réalité, mathématique s’entend, toute langueur a ou n’a pas de largeur ; comment pourra-t-on appliquer ceci à la longueur en soi ? — Car l’on suppose ici, J’ai ajouté ici, pour rendre la pensée plus claire. — Des longueurs sans largeur et avec largeur, Aristote dit : Et avec largeur, et non plus ou, comme dans la phrase précédente. Je crois qu’avec cette distinction le texte ordinaire est à l’abri de tout reproche, et il contient l’une des objections les plus fortes que l’on puisse faire contre la théorie des idées. — Que le genre est un numériquement, C’est l’opinion platonicienne qui a toujours été combattes par Aristote. Les genres pour lui n’ont pas d’existence substantielle, individuelle, comme pour son maître.
  347. C’est une espèce de l’injure.
  348. Ou plutôt le bien n’est-il pas, Objection qu’Aristote fait lui-même à sa propre critique de la définition de la vertu. — Que le bien n’est pas le genre de la disposition. — Le bien n’exprime pas ce qu’est la chose, comme il devrait le faire s’il en était le genre.
  349. Beaucoup d’animaux seraient attribués à l’espèce, C’est-à-dire, toutes les différences de l’animal, indépendamment du genre lui-même auquel s’appliquent toutes ces différences.
  350. De la même manière, qu’on vient de le faire pour le genre.
  351. Il n’est pas nécessaire que toute différence, Cette version me paraît la vraie. L’édition de Berlin comme Pacius, dans sa première édition, donnait cette variante : il n’est pas nécessaire que la différence implique son genre propre tout entier. L’édition de Berlin n’a pas cité, du reste, la divergence des manuscrits.
  352. Aquatique et terrestre, L’édition de Berlin supprime et terrestre.
  353. Sort l’être de sa substance, Change la nature de la substance et finit par la détruire.
  354. Active, Ce mot ne rend pas bien le mot grec ; mais notre langue ne m’en offre point d’autre. Je n’ai point pris le mot poétique, comme on l’a fait quelquefois, parce que ce mot a déjà un sens tout différent. — L’action de quelque chose, Le vrai sens est : la production de quelque chose, mais j’ai dû conserver l’analogie.
  355. À aucune autre chose, L’édition de Berlin met ici le membre de phrase qui est plus bas : d’autres relatifs au contraire, etc. Je préfère conserver le texte vulgaire : la pensée se suit mieux.
  356. Nous ne disons pas que l’être soit tel maintenant. L’édition de Berlin, au lieu de cette phrase qui est dans toutes les éditions, donne la suivante qu’elle ne justifie pas par l’autorité des manuscrits : Nous disons que l’être est maintenant tel, qu’il ne peut jamais être détruit. Le sens est bien le même ; mais la première version a l’avantage d’être plus explicite et de mieux répondre aux développements qui précèdent : voilà ce qui me l’a fait conserver.
  357. Est la faculté distributrice, C’est dans le mot faculté qu’il faut chercher le vice de cette définition : la justice consiste, non pas à pouvoir rendre à chacun ce que veut l’équité : la justice n’est pas une simple puissance, une simple faculté ; c’est la résolution bien arrêtée, et passée en acte, de rendre à chacun ce que l’équité réclame. Autrement, il s’ensuivrait, chose absurde, que celui-là est le plus juste qui peut rendre à chacun ce qui est équitable, sans d’ailleurs le rendre réellement : l’acte seul constitue vraiment la justice.
  358. Si la chose, C’est-à-dire le défini.
  359. La définition relative à deux termes. Qui renferme deux termes auxquels le défini s’applique également, qui définit la chose par deux termes compris dans une seule et même définition.
  360. Puisqu’on a établi, Ceci se rapporte formellement aux Catégories, ch. 7, § 24 : l’expression même est identique dans les deux ouvrages. — La conception de ce qui est su. La science est relative à ce qui est su. — Relativement à laquelle la grammaire est dite, La grammaire étant l’art de lire et d’écrire, comme il l’a indiqué plus haut, dans ce liv., ch. 5, § 3. — Ou celle relativement à laquelle est dit le genre ; c’est-à-dire la science, genre de la grammaire, et qui est relative à ce qui est su : il faut être voir nettement la relation.
  361. Selon les autres différences, c’est-à-dire les autres Catégories. — Il faut toujours attaquer, Il faut toujours faire porter ses arguments sur l’omission faite dans la définition.
  362. Du bien qui paraît, De ce qui paraît bien, du bien soit réel soit apparent.
  363. Il faut conduire aux idées, Il faut faire porter la discussion sur les idées. — Il n’y a pas d’idée pour ce qui ne fait que paraître, Parce que l’idée est l’essence même de la chose, et, au sens platonicien, toute sa réalité.
  364. Pour toutes les autres choses de ce genre, Les relatifs et les opposés. — Des lieux pris des contraires et des conjugués, comme on l’a fait plus haut, liv. 2, ch. 8, 9 ; liv. 4, ch. 3, 4 ; liv. 5, ch. 6
  365. D’une combinaison simple des contraires. Voir, pour les combinaison diverses des contraires, livre 2, chap 7.
  366. Soit semblablement donnée, Pour l’un et l’autre contraires.
  367. Si la définition donnée s’accorde avec l’idée, Critique de la théorie platonicienne.
  368. Car ce sont les termes synonymes, Voir pour les synonymes les Catégories, chap. 1, §§ 1 et 2.
  369. La définition que Denys a donnée de la vie, Ce Denys est fort peu connu : on le croit un philosophe de l’école de Platon.
  370. Avec intention, et sans s’apercevoir de l’homonymie.
  371. S’applique à tout, C’est-à-dire à tous les sujets qui reçoivent cette dénomination. — Il faut distinguer. C’est-à-dire qu’il faut indiquer celui des sens qu’on prétend adopter pour le mot homonyme.
  372. Quand on ne prévoit pas, Quand l’adversaire ne prévoit pas le conséquence, il est plus disposé à accorder ce qu’on lui demande. — Ne s’applique pas à tout ce qui est compris sous le nom du défini. — Mais si, sans convention préalable, Voici le sens de ce passage, qui est obscur, parce qu’Aristote ne cite pas d’exemple, comme il le fait ordinairement : Il faut avoir le soin en général, pour éviter tout malentendu, d’indiquer la nature du mot dont on se sert et de dire s’il est homonyme ou synonyme ; mais si l’on a oublié de le faire, et qu’à cet égard on ne soit convenu de rien avec l’adversaire, celui-ci peut, dans le cours de la discussion, soutenir que le mot est homonyme, parce que la définition donnée ne convient pas à cet individu ou à telle espèce comprise cependant sous le mot qu’on a prétendu définir. A cette objection, il faut répondre en recherchant les diverses espèces auxquelles le mot convient comme synonyme, en exceptant la seule que l’adversaire a désignée ; car il est évident que pour toutes ces espèces, le mot doit être synonyme. S’il n’était pas synonyme pour elles, il faudrait alors convenir qu’il est homonyme ; car le mot en discussion pourra recevoir deux définitions, purement nominales il est vrai, et celle qui a été d’abord donnée et celle qui aura été donnée ensuite, d’après les remarques de l’adversaire. Tel est, je crois, le sens de ce passage.
  373. Si l’adversaire prétend que le nom défini ne convient pas à toutes les espèces qui sont comprises sous lui, parce que la définition ne leur convient pas, il faut recourir à l’usage qu’on fait habituellement de ce nom pour désigner même les choses auxquelles la définition ne convient pas, et soutenir qu’il ne faut rien changer à l’expression vulgaire.
  374. Qu’il puisse y avoir changement réciproque des mots, Qu’on puisse prendre les définitions pour des mots dans le sens de la définition même, ou substituer de simples mots à des définitions. — Puisqu’on n’a point ajouté plus de noms, Et ce changement n’ajoute rien aux éléments intégrants de la définition. — On n’aura pas défini, L’édition de Berlin, d’accord avec une variante d’Isingrinius, dit au contraire : On aura défini. La suite de la pensée exige ici la négation : mais il est certain qu’en substituant un mot plus clair à un mot obscur, on fait en quelque sorte une définition, puisque le but de la définition est surtout de faire connaître les choses. Le paragraphe suivant semble confirmer aussi la leçon vulgairement reçue et que j’ai cru devoir garder. La définition à membres égaux, c’est-à-dire, composée précisément d’autant d’éléments que le défini, est mauvaise, parce qu’elle ne fait que substituer des mots à des mots, tandis qu’il faut au contraire substituer des définitions à des mots.
  375. Il faut, quand on substitue un mot à un mot, remplacer plutôt une différence que le genre, parce que le genre est ordinairement plus connu, et par conséquent à moins besoin qu’on l’explique. — Puisqu’il est le plus commun, L’édition de Berlin, d’après quelques éditeurs, supprime ce petit membre de phrase, sans d’ailleurs citer d’autorités de manuscrits ; il est utile de le conserver.
  376. Ce paragraphe semble devoir appartenir plutôt au chapitre précédent, comme le remarque Pacius avec grande raison.
  377. Si ce dont on donne la définition, Le défini. — Ce qui est dans la définition, Les éléments de la définition.
  378. La science de ce qui est, Définition que l’école hippocratique donnait sans doute de la médecine, et qui est ambitieuse comme toutes celles que les sciences spéciales donnent d’elles-mêmes, le droit, la physiologie, etc. — Ainsi que cela est pour tous les autres relatifs, Voir les Catégories, ch. 7.
  379. Car rien n’empêche que la même chose, etc., Et par conséquent la médecine peut être la science non seulement de ce qui est, mais de ce qui est bon, de ce qui est blanc, etc., car tout cela existe et rentre dans son domaine prétendu.
  380. Puisque le voleur n’est pas tant,… Ceci semble contredire un peu ce qui précède.
  381. En définissant ainsi, C’est-à-dire, comme désirable en vue d’une autre chose et non en soi.— Surtout cela, C’est-à-dire que la chose est désirable en soi.
  382. Est plusieurs choses, Au lieu de dire la seule chose qu’il est, ce qui est le but de la définition.
  383. Si l’on a défini plusieurs choses, Le texte dit simplement : Si ces choses, Si l’on dit que le défini est telles et telles choses, au lieu de dire uniquement qu’il est telle chose spéciale.
  384. Tous les arguments qu’on peut employer, Ces arguments seront indiqués tout au long dans le livre suivant.
  385. Si l’on a dit, C’est la seconde partie du lieu général énoncé au § 1. — Qu’elle vient de plusieurs choses, Si l’on dit dans la définition que le défini est un composé de choses diverses. — Il ne peut pas ressortir un tout de ce qui a été dit, Il est possible que les éléments divers introduits dans la définition ne puissent jamais former un tout.
  386. Sont dans un seul primitif, Toutes les parties de la définition pourront être dans un seul primitif : le défini lui-même peut être aussi dans un seul primitif ; mais il est possible que ce primitif ne soit pas le même et pour la définition et pour le défini.
  387. Pour les choses qui ne sont pas bonnes par elles-mêmes, L’édition de Berlin ne donne pas celle phrase qui sert à rendre le sens plus précis ; mais elle la cite dans les variantes. J’ai cru devoir la conserver à l’imitation des éditions ordinaires. — Comme dans les cas que nous venons de citer, plus haut au § 12.
  388. Si l’on a donné le défini avec telle autre chose, C’est la troisième partie du lieu général indiqué au § 1 : si l’on a dit que le défini est telle chose accompagnée de telle autre. — Qu’il y a telle et telle chose, qu’il y a deux choses séparées ou bien deux choses unies et mélangées. — Ceci avec cela, Le défini est telle chose accompagnée de telle autre. — Ce qu’on a dit plus haut, dans plusieurs des paragraphes qui précèdent, d’abord de 1 à 6, puis de 6 à 17.
  389. Si pour les choses dont on a dit,… L’édition de Berlin laisse aux variantes cette phrase telle que je l’ai traduite et telle qu’elle est dans toutes les éditions, et elle donne celle-ci ; Si pour les choses divisées, il est vrai que l’une et l’autre, etc. Le membre de phrase supprimé est presque indispensable au sens et il vaut mieux le conserver. La pensée est alors beaucoup plus claire.
  390. Ainsi définies, C’est-à-dire dont on dit que l’une est accompagnée de l’autre. — Sous la division indiquée, dans les sens divers que peut recevoir cette expression ; être avec une autre, comme on l’a dit plus haut § 17. — Dans aucun des sens indiqués plus haut, ibid.
  391. Est la composition de telles choses, Aristote emploie ici à dessein le mot abstrait au lieu du concret, parce qu’il blâme précisément cette manière peu exacte de donner la définition.
  392. Telle est la définition de l’âme, Aristote ne dit pas a qui appartient cette définition, inexacte comme il le remarque, mais fort belle cependant : il est probable qu’elle est de l’école platonicienne.
  393. Tout ce qu’il y avait à dire sur les définitions, Pour les attaquer ; car il montrera dans le livre suivant, ch. 3 et suiv., par quels procédés on doit défendre la définition donnée.
  394. Il faut traiter maintenant. L’édition de Berlin supprime ces mots sans citer d’autorité. — De tous ceux que l’on a indiqués du mot identique, Voir liv. 1, ch. 7, § 1 et suiv. — Comme on s’en souvient, J’ai cru devoir rendre, par l’addition de ces mots, la nuance du temps passé donnée au verbe qu’emploie Aristote. Voir livre 1, chap. 7, § 5.
  395. Xénocrate prétend, Voir plus haut, liv. 2, ch. 6, § 2, où cette opinion de Xénocrate est déjà rappelée. — Il n’y a qu’une seule et unique chose, Donc la vie vertueuse et la vie heureuse se confondent ; donc le bonheur et la vertu ne font qu’un. C’est ce qu’Aristote semble dire implicitement au paragraphe qui suit ; mais il le nie, et avec une sorte de raison, au § 5.
  396. .Seront réciproquement meilleurs que les autres. Ce qui est absurde, et résulte pourtant de la proposition. — Il faut que l’une soit comprise dans l’autre, Que la vie heureuse soit comprise dans la vie vertueuse ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de bonheur sans vertu, tandis qu’il semble qu’il y a souvent vertu sans bonheur, du moins sans bonheur extérieur et apparent.
  397. Deux choses identiques à une troisième sont identiques entre elles. Ce principe, dont la géométrie fait tant d’usage, n’est employé ici que dans une de ces applications Indirectes, et à l’inverse.
  398. Dans un seul genre de catégorie, Dans l’une quelconque des dix catégories.
  399. Soit théorique, et qu’elle soit pratique, On sait qu’Aristote divisait la science en théorique, pratique et poétique, en prenant ce dernier mot dans son sens le plus large. Voir, sur ce point, la discussion de M. P. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique, tome 1, page 250 et plus bain, liv. 6, ch. 6, § 23.
  400. L’amour et le désir de cohabitation, Il a déjà cité cet exemple, liv. 6, ch. 7, § 3.
  401. Vide et plein d’air sont la même chose, Erreur soutenue par quelques philosophes.
  402. D’après ce qui a été dit plus haut, Dans le chapitre précédent. — Tous les lieux relatifs à l’identité, Ceux par lesquels on l’attaque, comme il l’ajoute au § 2. — De la façon qu’on a exposée précédemment, liv. 1, ch. 5, § 4.
  403. De tous les lieux qui établissent, C’est-à-dire, qui sont affirmatifs. — Toutes les conditions dont on a parlé, Voir le liv. 6 tout entier, et particulièrement les chapitres 2 et 3.
  404. C’est donc toujours, Il semble qu’il est été mieux de faire voir ici le sixième livre et de commencer le septième. Les expressions d’Aristote sembleraient exiger cette division. J’ai de suivre la division reçue. Il est clair que la discussion contenue dans les chapitres 1 et 2 de ce livre, continue et achève celle du livre 6. Avec le ch. 3 commence une discussion nouvelle et toute différente : c’est comme l’affirmation après la négation.
  405. Que jamais…. on ne conclut la définition, C’est parce que la définition doit faire connaître l’essence que l’essence ne peut être la définition d’un syllogisme ; il en a donné les raisons les plus fortes et les plus développées, Derniers Analytiques, liv. 2, ch. 4 et suiv. — On la pose comme principe, la démonstration ne peut s’appliquer qu’à l’attribut et non point au sujet.
  406. C’est à un autre traité, Les derniers Analytiques, où cette théorie est exposée tout au long — Ici… au besoin actuel, Il ne s’agit que de dialectique, et non de philosophie, de science proprement dite. — Qu’il est possible d’obtenir. Dans les Derniers Analytiques, liv. 2, ch. 8, il a montré comment cela est possible. — Si la définition est l’explication,.. Il s’agit ici de la première espèce de démonstration de l’essence qui n’est, comme le dit Aristote lui-même, qu’une démonstration dialectique : de l’essence, le syllogisme logique de l’essence, Derniers Analytiques, liv. 2. ch. 8, § 3. — On peut, par conclusion de syllogisme, En mettant pour majeure, que la réunion des attributs essentiels d’une chose forme sa définition, et pour mineure que la réunion de tels attributs est bien la réunion des attributs essentiels de telle chose, on en conclurait régulièrement que la réunion de ces attributs est la définition de cette chose. Mais déjà la conclusion se trouve impliquée dans la mineure, et voilà pourquoi ce n’est qu’un syllogisme logique et non point un syllogisme vrai.
  407. C’est ce qui a été expliqué ailleurs, Derniers Analytiques, dans les première et troisième sections, et spécialement ch. 4. §, 13 et 14. — Plus rigoureusement, parce qu’ici le philosophe se met au point de vue de la dialectique, du probable et non du vrai.
  408. Aux contraires et aux autres opposés, Voir Catégories, chapitre 10 où toute cette théorie se trouve développée.
  409. Comme il y a plusieurs combinaisons possibles, On peut voir ces combinaisons diverses, liv. 2, ch. 7. — Comme on l’a dit, Comme on vient de le dire, § 4.
  410. La vertu et le vice peuvent appartenir aussi au corps, Ceci pourrait être contesté dans notre langue : la vertu ne s’applique qu’à l’âme pour nous ; mais dans la langue grecque ce mot a un sens plus étendu, et il s’entend du physique aussi bien que du moral.
  411. En général… Pour bien comprendre ceci, il faut se représenter qu’il s’agit ici de deux espèces contraires dont il faut donner la définition. Quatre cas alors pourront être supposés, puisque la définition de chaque espèce se compose du genre et des différences : 1° Le genre est le même et les différences sont contraires ; 2° le genre est différent et les différences sont les mêmes ; 3° ou le genre est contraire et les différences sont contraires ; 4° ou enfin le genre est le même et les différences sont les mêmes. Ce quatrième cas n’est pas possible ; car alors, les espèces supposées contraires, ayant même genre et mêmes différences, n’auraient qu’une seule et même définition ; ce qui est absurde, puisque les contraires ne peuvent avoir la même définition. — Dans un même genre, 1er cas. — Ou dans un genre contraire, 2e cas. — Ou identiques, comme l’est le genre. — Les différences seront contraires, 1er cas complet. — Les différences seront les mêmes et les genres contraires, 2e cas complet. — Tous deux seront contraires. 3e cas. — Car tous deux ne sauraient être les mêmes, 4e cas déclaré absurde et Impossible.
  412. Les genres, les définis eux-mêmes.
  413. Il y a ici quatre termes : d’abord une définition et un défini, puis une autre définition avec un autre défini.
  414. Il n’y a plus ici que trois termes : une seule définition et deux sujets, ou bien deux définitions et un seul sujet.
  415. Qui viennent d’être indiqués, Ceux de la comparaison des définis et des définitions. — Ainsi qu’on l’a dit, Voir plus haut, liv. 6, ch. 6, § 5. — Pacius semble croire que ce chapitre est une sorte de méthode générale pour toutes les questions dialectiques, bien qu’Aristote ait dit positivement, liv. 1, ch. 6, § 2, qu’il ne peut y avoir de méthode de ce genre, ou bien qu’elle serait obscure et d’un emploi presque impossible. Il me semble qu’il ne s’agit ici que de la définition et non point des autres questions dialectiques. Ces préceptes généraux ne se rapportent qu’à cette partie de la dialectique et non point à la dialectique tout entière.
  416. Dans ce chapitre, au contraire, commencent des règles générales qui s’appliquent à toute la topique, à toutes les question, dialectiques ; et il semble que l’on devrait, sinon joindre tout ce qui va suivre au huitième livre, du moins en faire un livre à part. J’ai dû respecter la division généralement admise ; mais je ne la crois pas bonne, et l’on sait qu’elle n’est pas d’Aristote même. — Par ce qui sera dit plus loin, Dans tout ce chapitre et particulièrement § 2. — Il est impossible qu’il y ait syllogisme de la définition, et encore syllogisme logique comme il l’a dit plus haut, ch. 3, § 2.
  417. Et que le mot s’applique à tout ce à quoi, etc., L’édition de Berlin supprime cette phrase et la cite seulement dans les variantes, d’après un manuscrit. Cette partie de phrase n’est pas indispensable au sens, mais elle le complète bien, et elle doit être conservée. — Qu’il y eût réciprocité, Au sens qui a été expliqué dans la phrase précédente, et comme d’ailleurs il l’explique de nouveau dans celle-ci. — Que le défini n’est pas attribué, L’édition de Berlin dit au contraire par l’affirmation : que le défini est attribué, et elle cite le texte ordinaire dans les variantes. J’ai préfère conserver la leçon reçue qui peut très bien se justifier aussi. Les manuscrits offrent d’ailleurs ici des variantes que les éditeurs, et Pacius entre autres, ont connues et discutées. Le choix qu’ils ont fait paraît le meilleur et j’ai dû m’y tenir.
  418. Et de plus, Pacius trouve tout ce § inutile.
  419. Pour le propre et pour le genre, Après la définition viennent deux autres questions dialectiques qui s’en approchent mais ne se confondent pas avec elle.
  420. D’après ce qui a été dit, en traitant du propre, liv. 5.
  421. Ainsi qu’on l’a dit, § 4.
  422. Les autres moyens indiqués, Pour le propre, le genre et l’accident, tandis que ces trois termes ne sont pas réfutés par les moyens indiqués pour la définition. — Appartienne au sujet, Ce qui est le caractère le plus général de l’accident.
  423. Toutes les parties énumérées, L’édition de Berlin se donne pas toutes dans le texte, elle le donne seulement en variante.
  424. Qu’il y est d’une façon quelconque, Voir plus haut, § 13.
  425. Chacune des questions indiquées, Voir liv. 1, ch. 5. Ici finit la théorie ; le livre huitième traitera de la pratique.
  426. On a déjà dit antérieurement, dans le cours des six livres précédents.
  427. Celles dont on fait le syllogisme, que ce soit d’ailleurs un véritable syllogisme ou simplement une induction.
  428. Remonter jusqu’aux opposés, Voir les Catégories, ch. 10.
  429. Que la proposition universelle, L’édition de Berlin donne un sens tout contraire à celui-là : la proposition universelle cache mieux les choses. Cette différence de sens n’est causée que par le changement d’une lettre ; et je crois que ce n’est qu’une faute d’impression. La pensée ne peut d’ailleurs offrir de doute.
  430. Pour cacher sa pensée, voir plus haut, § 3.
  431. Les unes sont théoriques, voir plus haut, liv. 7, ch. 1, § 10.
  432. Pour éclairer la discussion, voir plus haut, § 3. — Et non comme fait Chærile, mauvais poète du VIe siècle av. J.-C.
  433. On a déjà parlé de cela précédemment, voir plus haut, liv. 1, ch. 12, § 5 et passim.
  434. C’est de cette façon, c’est-à-dire par l’induction. — Forger soi-même des mots, expédient qu’il a déjà recommandé pour bien comprendre la nature des relatifs, Catégories, ch. 7, § 11, et dont il a fait lui-même usage plusieurs fois.
  435. Faite pour plusieurs termes, et qu’il serait inutile de faire pour tous, l’induction ne parcourant jamais la totalité des cas particuliers.
  436. Le seul nombre premier, n’étant divisible que par lui-même et l’unité.
  437. Qui n’est pas la sienne, qui n’appartient pas à l’individu dont on parle, et qu’il a cependant.
  438. L’oubli, et avoir oublié, voir plus haut, liv. 7, ch. 3, § 10, et surtout, Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 6, § 7.
  439. Quelque chose de pareil, une conséquence qui tournera contre lui, comme la restriction de la fin du § 6. — La proposition dialectique est celle,…. il en a donné une définition beaucoup plus juste et beaucoup plus spéciale, voir plus haut, liv. 1, ch. 10, § 2.
  440. Réduction à l’absurde, voir toute cette théorie, Premiers Analytiques, liv. 1 ch. 3, § 9 ; ch. 23, § 2 ; ch. 44, § 2, liv. 2, ch. 12, et Derniers Analytiques liv. 1, ch. 26. — Si l’on démontre, si l’on travaille philosophiquement, c’est-à-dire, en cherchant le vrai d’après la méthode posée tout au long dans le Traité de la Démonstration, dans les Dernière Analytiques. — Contre quelqu’un, les éditions ordinaires ne donnent pas ces mots que j’emprunte à l’édition de Berlin, et qui complètent le sens, bien qu’ils n’y soient pas indispensables.
  441. Une proposition dialectique, voir liv. 1, ch. 10 et tous les passages cités en note sur les définitions qu’en a données Aristote.
  442. Pourquoi alors ne pas le reprendre, j’ai préféré avec Pacius et Sylburge, la forme interrogative. L’édition de Berlin conserve la forme simple, et alors il faut faire dépendre ce membre de phrase de celui qui précède et modifier un peu le sens comme il suit : il est clair…. que l’adversaire n’est point arrêté et qu’il continue la discussion.
  443. Il est impossible de rien démontrer, c’est toute la doctrine des Derniers Analytique, liv. 1, ch. 6 et suiv. Elle peut trouver sa place même en dialectique.
  444. Si une même chose, Pacius a le pluriel : les mêmes choses. Le singulier que donne l’édition de Berlin est préférable ; elle ne semble pas d’ailleurs connaître l’autre variante que donnent cependant des manuscrits.
  445. Ce théorème : que la droite qui coupe,… la figure, serait un quadrilatère rectangle partagé par une ligne parallèle à l’un des côtés. Le côté et l’aire du rectangle seraient divisés proportionnellement, ou même également. Si la ligne coupe le côté au quart, l’aire partielle sera le quart de l’aire totale.
  446. Quand on apprend, quand on étudie philosophiquement par la méthode analytique, soit qu’on étudie pour s’instruire, ou bien qu’on enseigne à un autre, en ne recherchant que les principes vrais.
  447. Comment il faut faire les questions et les disposer, c’est la première partie de ce livre.
  448. Quant à la réponse, seconde partie de ce livre.
  449. D’impossible, d’absurde.
  450. Personne n’a encore fixé nettement, il est probable que les sophistes s’étaient occupés de ces matières, mais incomplètement. — Dans cette absence de toute méthode, il faut rapprocher ce passage de celui qui termine les Réfutations des sophistes.
  451. Absolument, et en soi, indépendamment de l’opinion particulière de tel ou tel philosophe considérable. — Limitativement, il explique lui-même ce qu’il entend par ce mot : pour telle ou telle personne, etc.
  452. Sera aussi de ce genre, sans caractère bien distinct de probabilité ou d’improbabilité. — Par des principes plus probables et plus connus, c’est là évidemment toute la doctrine des Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 6.
  453. Le bien et le mal sont identiques, c’est le scepticisme. Voilà pourquoi Sextus réclame Héraclite parmi les siens.
  454. Car, en l’admettant, on ne détruit pas…. L’édition de Berlin supprime cette phrase tout entière sans d’ailleurs citer aucune autorité. Le sens le plus naturel et le plus simple est celui que je donne, et que Pacius donne aussi ; mais Sylburge fournit une variante dont il n’indique pas la source et qui est beaucoup moins bonne que le texte vulgaire : il faudrait traduire d’après cette variante : Car cette proposition n’est pas détruite en admettant le principe d’abord posé. Évidemment l’autre sens est beaucoup plus d’accord avec la suite naturelle de la pensée, et c’est celui-là certainement qu’il faut garder.
  455. L’avantage de la condescendance, c’est là, je crois, le vrai sens d’après tout ce qui précède ; les traducteurs latins l’ont en général un peu dénaturé en prenant les mots du texte dans une acception un peu trop générale, et qui n’est pas assez claire.
  456. L’avantage de la condescendance, c’est là, je crois, le vrai sens d’après tout ce qui précède ; les traducteurs latins l’ont en général un peu dénaturé en prenant les mots du texte dans une acception un peu trop générale, et qui n’est pas assez claire.
  457. Toute proposition syllogistique, voir les Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 6. — Zénon, d’Élée. — Qu’il est impossible qu’il y ait du mouvement, voir dans le petit traité sur Xénopbane, Zénon et Gorgias, le chapitre spécial à Zénon, et Physique, liv. 6, ch. 9, éd. de Berlin, p. 239, b, 5, où les quatre arguments de Zénon contre le mouvement sont rapportés. Voir aussi dans les Nouveaux Fragments philosophiques de M. Cousin toute la discussion sur Zénon et ses sophismes. — On ne saurait parcourir le stade, c’est le second argument de Zénon, appelé l’Achille, comme nous l’apprend Aristote.
  458. De plusieurs façons, l’édition de Berlin donne cette leçon dans les variantes, et met dans le texte : de deux façons, ce qui s’accorde mieux, en effet, avec ce qui suit. J’ai cru devoir conserver le texte vulgairement reçu, qui peut aussi très-bien se justifier.
  459. Pour les figures fausses, Pacius pense qu’il s’agit ici des figures du syllogisme ; je crois, avec la plupart des commentateurs, qu’il s’agit de figures géométriques. Le mot dont se sert Aristote prête beaucoup mieux à ce dernier sens qu’à l’autre, et l’exemple est tout aussi juste pris ainsi que comme Pacius veut le prendre.
  460. La critique du raisonnement, l’édition de Berlin supprime les deux derniers mots sans citer d’autorité ; et plus bas, elle dit encore, sans citer de manuscrit : est mis, au lieu de : est remis. — L’expression de la pensée d’Aristote paraît obscure ici, bien qu’au fond la pensée soit fort claire et fort simple : Les fautes commises dans le raisonnement pourront tenir, soit au raisonnement lui-même, soit à l’interlocuteur qui ne se prête pas à la discussion. On peut donc critiquer ou le raisonnement, ou l’interlocuteur. Ce dernier cas représente notre argument ad hominem.
  461. On a dit plus haut, liv. 1, ch. 1, § 5.
  462. Il ne conclut pas pour le sujet en question, L’édition de Berlin donne cette leçon dans les variantes, et change un peu le texte ; il ne conclut pas le sujet proposé. C’est aussi la leçon qu’avait adoptée déjà Sylburge, et elle a peut-être cet avantage que, grammaticalement, elle s’accorde mieux avec ce qui suit. Du reste, elle est sans importance, parce qu’elle ne change rien au sens.
  463. Indiqués auparavant, dans le paragraphe qui précède : Herminus, au rapport d’Alexandre, divisait cette seconde critique en deux parties.
  464. Si cela se produit, si le syllogisme a lieu.
  465. Tout ce paragraphe semble une sorte de digression inutile, c’est peut-être une interpolation.
  466. Celle qui est la plus forte, soit en vérité, soit en erreur.
  467. On raisonnait ainsi ; le raisonnement qui suit est fort obscur, mais c’est à dessein, puisqu’il s’agit de démontrer l’obscurité que jette dans le raisonnement un nombre exagéré de données parfaitement inutiles. — La chose en soi, au sens des idées platoniciennes. — Une chose probable en soi, une idée de la probabilité, de l’opinion. — Que les individus même, que les opinions particulières : l’idée de l’opinion est plus opinion qu’aucune opinion spéciale, particulière : donc elle est plus exacte qu’aucune opinion particulière. Voilà le raisonnement dans sa forme la plus simple.
  468. Malgré l’omission de quelque élément, au lieu de toute cette phrase, l’édition de Berlin dit seulement : S’il manque un élément tout à fait probable ; elle ne cite pas même en variante le texte vulgairement reçu. Sylburge dit : Si l’élément le plus probable vient à manquer ; et il cite dans les notes, en rempruntant à un manuscrit d’Isingrinius, la leçon adoptée par l’édition de Berlin ; j’ai préféré celle de Pacius qui est plus complète et plus claire.
  469. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, Voir dans le chapitre précèdent, § 14 et Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 2, 3 et 4.
  470. La pensée de ce paragraphe est obscure vers la fin ; la voici sous une autre forme : Dans un syllogisme par rédaction à l’absurde, nous admettons la proposition absurde plus volontiers que nous n’admettons bien des propositions vraies, parce que cette proposition même nous prouve la vérité certaine de la contradictoire ; si, au contraire, on obtient une conclusion vraie de prémisses fausses, ou de prémisses dont la vérité n’est pas très-frappante, la conclusion vraie ainsi obtenue porte avec elle peu de conviction, et il vaudrait certainement mieux avoir une conclusion fausse dont l’absurdité serait frappante : elle servirait du moins comme on vient de le dire. Il se peut d’ailleurs, mais ce n’est pas le cas qu’on suppose ici, que la fausseté de la conclusion absurde soit aussi peu frappante que la vérité de la conclusion vraie, dans le cas qu’on supposait tout à l’heure.
  471. Il est logique ou dialectique, puisqu’il repose simplement sur le probable.
  472. Dans les Analytiques, Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 16. — De la simple opinion, de la probabilité au delà de laquelle la dialectique ne prétend point aller.
  473. Le nom et la définition, voir les Catégories, ch. 1, § 2 et suiv.
  474. Voir Premiers Analytiques, liv. 2, chap. 8, 9 et 10. — Convertir des raisonnements, c’est… On peut voir que c’est à peu près pour les termes et tout à fait pour le fond la définition même qu’il donne dans les Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 2, § 2. — Est vraie de toute nécessité, Voir pour les développements de cette règle Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 2, § 2.
  475. Les discussions, L’édition de Berlin donne ceci en variante, et met dans le texte d’après Sylburge : les autres raisonnements, c’est-à-dire, les raisonnements autres que les syllogismes. J’ai préféré avec Pacius la leçon vulgaire qui me semble plus simple.
  476. Les produits des nombres simples. C’est ce que nous appelons la table de Pythagore, et qu’alors on apprenait déjà par cœur.
  477. Les produits des nombres simples. C’est ce que nous appelons la table de Pythagore, et qu’alors on apprenait déjà par cœur.
  478. À plusieurs choses communes, L’édition de Berlin ne donne : plusieurs, que dans les variantes, Pacius ne le donne pas dans le texte non plus : Sylburge l’y admet, et je crois qu’il a raison ; Il est probable qu’il a pour lui l’autorité de quelque manuscrit. — Sans proposition universelle, Voir Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 24, § 1.
  479. On sera forcé de ne faire, C’est une répétition de ce qui est quelques lignes plus haut dans ce même paragraphe.