Tout s’en va

La bibliothèque libre.
Les ChâtimentsHetzel-QuantinO.C. tome 4 (p. 241-243).


IV

TOUT S’EN VA


LA RAISON.

Moi, je me sauve.


LE DROIT.

Moi, je me sauve.Adieu ! je m’en vais.


L’HONNEUR.

Moi, je me sauve. Adieu ! je m’en vais.Je m’exile.


ALCESTE.

Je vais chez les hurons leur demander asile.


LA CHANSON.

J’émigre. Je ne puis souffler mot, s’il vous plaît,
Dire un refrain sans être empoignée au collet
Par les sergents de ville, affreux drôles livides.


UNE PLUME.

Personne n’écrit plus ; les encriers sont vides.
On dirait d’un pays mogol, russe ou persan.
Nous n’avons plus ici que faire ; allons-nous-en,
Mes sœurs, je quitte l’homme et je retourne aux oies.


LA PITIÉ.

Je pars. Vainqueurs sanglants, je vous laisse à vos joies,
Je vole vers Cayenne où j’entends de grands cris.


LA MARSEILLAISE.

J’ouvre mon aile et vais rejoindre les proscrits.


LA POÉSIE.

Oh ! je pars avec toi, pitié, puisque tu saignes !


L’AIGLE.

Quel est ce perroquet qu’on met sur vos enseignes,
Français ? de quel égout sort cette bête-là ?
Aigle selon Cartouche et selon Loyola,
Il a du sang au bec, français ; mais c’est le vôtre.
Je regagne les monts. Je ne vais qu’avec l’autre.
Les rois à ce félon peuvent dire : merci ;
Moi, je ne connais pas ce Bonaparte-ci !
Sénateurs ! courtisans ! je rentre aux solitudes !
Vivez dans le cloaque et dans les turpitudes,
Soyez vils, vautrez-vous sous les cieux rayonnants.


LA FOUDRE.

Je remonte avec l’aigle aux nuages tonnants.
L’heure ne peut tarder. Je vais attendre un ordre.


UNE LIME.

Puisqu’il n’est plus permis qu’aux vipères de mordre,
Je pars, je vais couper les fers dans les pontons.


LES CHIENS.

Nous sommes remplacés par les préfets ; partons.


LA CONCORDE.

Je m’éloigne. La haine est dans les cœurs sinistres.


LA PENSÉE.

On n’échappe aux fripons que pour choir dans les cuistres.
Il semble que tout meure et que de grands ciseaux
Vont jusque dans les cieux couper l’aile aux oiseaux.
Toute clarté s’éteint sous cet homme funeste.
Ô France ! je m’enfuis et je pleure.


LE MÉPRIS.

Ô France ! je m’enfuis et je pleure.Je reste.


Jersey, novembre 1852.