Toute Royauté qui/1587
»
Oute Royauté qui deſdaigne
» D’auoir la vertu pour compaigne,
» Et la loger en ſa maiſon,
» Touſiours de l’heur outrecuidée
» Court vague ſans eſtre guidee
» Du frein qui pend à la raiſon.
O Roy par Deſtin ordonné
Pour commander ſeul à la France,
Dieu de ſa grave t’a donné
Ce double honneur dés ton enfance :
Dieu ſeul (apres la longue horreur
De Mars vomiſſant ſa fureur,
Et l’aſpre venin de ſa rage
Sur ton pays noircy d’orage)
Par l’effort d’vn bras ſouuerain
A fait raualler la tempeſte,
Et ardre à l’entour de ta teſte
Vn air plus tranquille & ſerain.
» Touſiours le bon eſprit du ſage
» Accroiſt les vertus d’auantage
» Que ieune il emprunta des Cieux.
Ta Maieſté ieune & prudente
Au double les ſiennes augmente
D’vn artifice ingenieux :
Außi mille felicitez
Ont bien-heuré toute ta race.
Et toy Roy de tant de Citez
Qui ſe courbent deuant ta face,
Dés long temps tu fus honoré
Comme ſeul Prince décoré
Des biens & des vertus enſemble
Que le Deſtin en vn t’aſſemble.
Mais ce bien qu’ores tu nous fais,
Paſſe ton valeureux courage,
Pour auoir faict reuerdir l’âge
Où floriſſoit l’antique Paix.
La Paix oſta le debat
Du Chaôs, quand la premiere
Aſſoupit le lourd combat
Qui aueugloit la lumiere.
Elle ſeule oſa tenter
D’effondrer le ventre large
Du grand Tout, pour enfanter
L’obſcur fardeau de ſa charge :
Puis deſmembrant l’Vniuers
En quatre quartiers diuers,
Sa main artizane & ſainte
Les lia de cloux d’aimant,
Tous les quatre s’entre-aimant
D’vne paiſible contrainte.
Adonc meſtant en ce grand Monde
Sa douce force vagabonde,
Les aſſeura d’vn doux repos :
Elle fiſt bas tomber la Terre,
Et tournoyer l’Eau qui la ſerre
De ſes bras vagues & diſpos :
Du Soleil allongea les yeux
En forme de fleches volantes,
Et d’ordre fiſt danſer aux Cieux
Le bal des eſtoiles roulantes :
Elle courba le large tour
De l’Air qui cerne tout autour
Le rond du grand parc où ſommes,
Peuplant ſa grande rondeur d’hommes
D’vn mutuel accroiſſement :
Car par tout où voloit la belle,
Les Amours voloient auec elle,
Chatouillans les cœurs doucement
Lors pour ſa iuſte recompenſe
Le ſainct Monarque qui diſpenſe
Tout en tous (dont le graue front
En ſe clinant pour faire ſine,
Croulle la terre & la racine
Du firmament iuſques au fond)
A la Paix aßigna le lieu
Du droict coſté de ſa puiſſance,
Le gauche ordonna pour le Dieu
Qui teta le ſang dés enfance.
De l’vne les Princes il oingt,
De l’autre durement les poingt,
Tous effroyez d’ouyr les armes
Craquer ſus le doz des gendarmes :
De l’vne iadis honora
Les bons Peres du premier âge,
Et de l’autre il aigrit la rage
Contre Ilion, que deuora
Le feu Grec, quand mille naus,
Ainçois mille eſtranges foudres
Eſclaterent mille maux
Deſſus les Troyennes poudres.
Tandis que le feu tournoit
Forcenant parmy la villa,
Et que l’Argiue s’ornoit
De la deſpouille ſeruile,
Vne aſpre fureur d’eſprit :
Et comme Phœbus l’affole
Son corps tremblant ça & là
Au petit Francus parla,
Ignorant telle parole.
Bien que le feu Gregeois nous arde,
Tant ſoit violent, il n’a garde
D’eſtoufer pourtant ton renom,
Enfant dont la race fatale
Dedans la terre Occidentale
Fera re-germer noſtre nom.
Ia deſia le Danube attend
Ton camp deſſus ſa riue humide,
Et ce grand mareſt qui s’eſtend
Pres des léures de l’eau Pontides :
C’eſt là c’eſt là c’eſt où tu dois
Pour quelque temps donner tes lois :
C’eſt où l’arreſt des Dieux t’ottroye
Fonder encore vne autre Troye,
Reſuſcitant par ton moyen
L’honneur des tiens & leur proëſſe,
Ayant vangé deſſus la Grece
L’outrage fait au ſang Troyen.
Apres le cours de quelque année,
L’ire de Cerés forcenée
Pour deuot n’auoir ſatisfait
A ſes honneurs, toute mutine
Te contraindra par la famine
De quitter ton mur imparfait.
Horriblant ton corps de la peau
D’vn Tigre, deſia ce me ſemble
Ie te voy guider vn troupeau
De vingt mille Troyens enſemble :
Ie voy ce troupeau pelerin
Deſia bien loin outre le Rhin
Enrichir Troye de loüanges
Et du butin des Rois eſtranges,
Ayant trompé mille peris,
Ains que baſtir aux bords de Seine
Les murs d’vne ville hautaine
Du nom de mon frere Pâris.
Ia defia i’entens la vois
De Seine qui te deſire,
Et la deſfaite des Rois
Eſclaues de ton Empire :
I’entens le bruit de Cheuaux
Et le cliquetis des armes,
Et toy noble de trauaux
Commander à tes gendarmes.
Ores tu ne puis ſçavoir
Comme enfant, ny conceuoir
Ton heur que ie prophetiſe :
Quand l’âge t’animera,
Alors ton bras s’armera
Pour acheuer l’entrepriſe.
A-tant acheua la Preſtreſſe
Et folle du Dieu qui luy preſſe
L’eſtomac chagrin & felon,
En rechignant s’en eſt allée
Nuds pieds & toute eſcheuelée
Deſſous l’image d’Apollon.
Andromache qui remâcha
Les mots de Caſſandre eſuolée,
Son fils ſecrettement cacha
Sous vne voûte reculée.
Car Iunon qui ne vouloit plus
Que le nom Troyen reuint fus,
Ardoit d’en abbatre la race,
Et Francus tuer ſur la place,
Sans Iupin qui l’enfant mua
En vne ſemblance animée,
Que Pyrrhe de ſa main armée
D’vne tour à terre rua.
De faux ſang la glace fut teinte :
Ainſi la fraude de la feinte
Le corps de Francion ſauua.
En Buthrote, viuant ſa mere,
Feignit le tombeau de son pere,
Qu’entre les Grecs il eſleua.
Son cœur elle ouurit d’vn couteau,
Ayant ſceu la fauſſe merueille,
Comme l’orage auoit ſous l’eau
Noyé ſon fils pres de Marſeille.
De pleurs la tombe il honora,
Et de beaux jeux la decora,
Par touſtes eſprouuant l’adreſſe
De la Phyrgienne ieuneſſe :
Puis faiſant la vague eſcumer,
Inuoquant Iunon & Neptune,
Hazardeux chercha ſa fortune
Au gré des vents & de la mer.
Muſe, repren l’auiron,
Et racle la prochaine onde
Qui nous baigne à l’enuiron
Sans eſtre ainſi vagabonde.
» Touſiours vn propos deſplaiſt
» Aux oreilles attendantes,
» Si plein, outre reigle, il eſt
» De paroles abpndantes.
» Celuy qui en peu de vers
» Eſtraint vn ſuiet diuers,
» Se met au chef la couronne :
» De ceſte fleur que voici,
» Et de celle & celle außi
» La mouſche ſon miel façonne
Diuerſement. O Paix heureuſe
Tu es la garde vigoureuſe
Des peuples & de leurs Citez :
Des royaumes les clefs tu portes,
Tu ouures des villes les portes,
Serenant leurs aduerſitez.
Bien qu’vn Prince vouluſt darder
Les flots armez de ſon orage,
Et tu le viennes regarder,
Ton œil appaiſe ſon courage.
L’effort de ta diuinité
Commande à la neceßité
Ployant ſous ton obeyſſance :
Les hommes ſentent ta puiſſance
Allechez de ton doux repos :
De l’air la vagabonde troupe
T’obeyſt, & celle qui coupe
De l’eſchine l’azur des flots.
C’eſt toy qui deſſus ton eſchine
Souſtiens ferme ceſte machine,
Medecinant chaque Element
Quand vne humeur par trop abonde,
Pour ioindre les membres du monde
D’vn contrepois egalement.
Ie te ſaluë heureuſe Paix,
Ie te ſaluë & re-ſaluë :
Toy ſeule Déeſſe tu fais
Que la vie ſoit mieux voulue.
Ainſi que les champs tapiſſez
De pampre, ou d’eſpics heriſſez
Deſirent les filles nues
Apres les chaleurs ſuruenues,
Ainſi la France t’attendoit,
Douce nourriciere des hommes,
Douce roſee qui conſommes
La chaleur qui trop nous ardoit.
Tu as eſteint tout l’ennuy
Des guerres iniureuſes,
Faiſant flamber auiourd’huy
Tes graces victorieuſes.
En lieu du fer outrageux,
Des menaces & des flames,
Tu nous ramenes les jeux,
Le bal & l’amour des Dames,
Trauaux mignars & plaiſans
A l’ardeur des ieunes ans.
O grand Roy non-imitable,
Tu nous aumoſnes cecy,
Ayant creu Montmorency,
Et ſon conſeil veritable.
Qui ſeul mettant en euidence
Les ſaints treſors de ſa prudence,
Ne s’eſt iamais accompaigné
Du ſot enfant d’Epimethée,
Mais de celuy de Promethée
Par longues ruſes enſeigné,
Et certes vn tel ſeruiteur
Merite que ta main royale
R’encontre-balance vn grand heur
A ſa diligence loyale.
Il me plaiſt or’de deſcocher
Mes traits Thebains pour les lâcher,
Montmorency, dedans ta gloire,
Afin qui ie te face croire,
Que la nourriture d’vn Roy
De bien loin nos rimeurs ſurmonte,
Lors que hardie elle raconte
Vn vaillant-ſage comme toy.
» Nul n’eſt exempt de la Fortune :
» Sa rouë chacun importune,
» Tourmente peuples & Seigneurs.
Œdipe ſentit ſa ſecouſſe,
Et de quel tonnerre elle pouſſe
Les grands Princes de leurs honneurs.
Mais tout ainſi que les flambeaux
Ou du Soleil ou d’vne eſtoile
Tout ſoudain reluiſent plus beaux
Apres qu’ils ont brisé leur voile :
Ainſi apres ton long ſeiour
Tu nous eſclaires d’vn beau iour,
Ayant cognu par ta preſence
Combien nous nuiſoit ton abſence,
Priuez de ton œil qui ſçait voir
Les pieds boiteux de la malice,
Si pres œilladant la police,
Que rien ne le peut deceuoir.
» Et qu’eſt-ce que des mortels ?
» Si au matin ils fleuriſſent,
» Le ſoir ils ne ſont plus tels,
» Pareils aux champs qui feniſſent.
Nul iamais ne s’eſt vanté
D’euiter la riue noire,
Si la Muſe n’a chanté
Les Hynnes de ſa memoire.
C’eſt à toy Roy, d’honorer
Les vers, & les decorer
Des preſens de ta hauteſſe :
Soufle ma Nef, ie feray
Le premier qui paſſeray
Mes compagnons de viſteſſe.
Plustoſt que les feux ne s’eſlancent,
Quand au Ciel les foudres nous tancent,
Ie courray dire aux eſtrangers
Combien l’effort de ta main dextre
Maniant le fer, eſt adextre
A briſer l’horreur des dangers :
Et de quel ſoin prudent & caut
Ton peuple iustement tu guides,
Appris au mestier comme il faut
Luy laſcher & ſerrer les brides.
Ta vieille ieuneſſe, & tes ans
En mille vertus reluiſans
M’inſpirent vne voir hardie,
Et me commandent que ie die
Ce regne heureux & fortuné,
Sous qui l’heureuſe Deſtinee
Auoit chanté dés mainte annee
Qu’vn ſi grand Prince ſeroit né.
Pour gouuerner comme vn bon pere
La France qui en mieux proſpere
Par les effects de ſa vertu
» Rien icy bas ne s’accompare
» A l’equité dont ſe repare
» Vn Roy de prudence veſtu :
» Außi rien n’eſt tant vicieux
» Qu’vn grand gouuerneur de Prouince
» Quand il faut, d’autant que mille yeux
» Auiſent la faute d’vn Prince.
Ne preſte l’oreille aux menteurs,
Et fuy de bien loin les flateurs,
S’ils veulent oindre tes oreilles
De fauſſes & vaines merueilles,
Fardans ſous vaine authorité
Le vain abus de leurs vains ſonges,
Subtils artizans de menſonges,
Et bons pipeurs de verité.
L’vn ſe ronge le cerueau
L’autre meſdit & rapporte,
S’il ſent qu’vn eſprit nouueau
Nouuelles chanſons apporte.
Ce-pendant l’innocent faict
Preuue de ſa patience,
Sçachant que Dieu tout parfait
(Dieu la meſme ſapience)
Ne ſçauroit iamais laiſſer
L’orgueuil ſans le rabaiſſer
Pour hauſſer la choſe baſſe.
» Oſtant l’honneur d’vn qui l’a
» Il le donne à ceſtuy-là
» Qui par raiſon ſe compaſſe.
Il faut qu’en me parant i’euite
L’eſcrime de leur langue viſte
A tirer l’eſtoc dangereux :
Si eſt-ce que i’oy touſiours dire
» Qu’vn homme engreßé de meſdire
» Maigriſt à la fin mal-heureux.
Ils n’ont point le taper ſi beau,
Que leur caquet te force à croire
Qu’vn blanc habit orne vn corbeau,
Ou bien que la neige ſoit noire :
Ton iugement cognoiſt aſſez
Les vers qui ſont bien compaſſez,
Et ceux qui trainent vne ennuie,
Et ceux qui languiſſent ſans vie,
Enroüez, durs & mal-plaiſans.
» Par trait de temps les flateurs meurent :
» Mais les beaux vers touſiours demeurent
» Opiniaſtres ſur les ans.
Prince, ie t’enuoye ceſte Ode,
Trafiquant mes vers à la mode
Que le marchant baille ſon bien,
Troque pour troq’: toy qui es riche,
Toy, Roy des biens, ne ſois point chiche
De changer ton preſent au mien.
Ne te laſſe point de donner,
Et tu verras comme i’accorde
L’honneur que ie promets ſonner,
Quand vn preſent dore ma corde.
Preſque le loz de tes ayeux
Eſt preßé du temps enuieux,
Pour n’auoir eu l’experience
Des Muſes, ne de leur ſcience :
Mais le rond du grand Vnivers
Eſt plein de la gloire eternelle,
Qui fait flamber ton pere en elle
Pour auoir tant aimé les vers.
Dieu vueille continuer
Le ſommet de ton Empire,
Et iamais ne le muer
Eſchangeant ſon mieux au pire.
Dieu vueille encor deſſous toy
Donter l’Eſpagne affoiblie
Grauant bien-auant ta loy
Dans le gras champ d’Italie.
Auienne außi que ton fils
Suruiuant ton iour prefis
Borne aux Indes ſa victoire,
Riche de gain & d’honneur :
Et que ie ſois le ſonneur
De l’vne & de l’autre gloire.