Toutes les femmes/10

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A. Méricant (3p. 165-200).

LES OCÉANIENNES

Malaises.

Pendant longtemps, les Malais ont été regardés comme originaires de l’étroite péninsule de Malacca qui a gardé leur nom. On sait aujourd’hui qu’ils ne s’y sont installés qu’à une époque assez récente. On les retrouve dans tout l’archipel que nous nommons la Malaisie, sans tenir compte des similitudes de types et des ressemblances de mœurs avec des peuples habitant en dehors de cet archipel.

Il est à remarquer toutefois que, dans les îles de la Sonde même, ont subsisté des tribus de race indonésienne qui, très probablement, ont été refoulées dans les forêts et les montagnes par les Malais envahisseurs : tels sont les Battaks de Sumatra, les Dayaks de Bornéo, les Alfourous des Célèbes, etc., etc.

Les femmes malaises sont, en général, de taille moyenne ou petite, mais leur corps est robuste autant que souple, leur teint est d’un rouge brun, parfois olivâtre et tirant sur le jaune, chez celles qui n’ont point à subir l’influence de l’air et du soleil. Les membres sont remarquablement bien proportionnés, les attaches fines, les mains et les pieds très petits, la poitrine superbement développée. Le visage, aux pommettes saillantes, est plutôt rond qu’ovale ; les yeux sont petits, légèrement bridés, le nez petit avec de larges narines, les lèvres un peu épaisses. L’ensemble de la physionomie dénote l’intelligence, la finesse et la fierté.

Elles se coiffent en relevant leurs cheveux, rudes et d’un beau noir, sur le sommet de la tête où ils sont maintenus par de longues épingles de corne ou de cuivre. Leurs dents, naturellement très blanches, sont, comme dans tout l’Extrême-Orient, noircies à l’aide de diverses substances dont la plus commune est le bétel.

Les mères prévoyantes et coquettes de leur progéniture prennent grand soin d’enlever à leurs enfants l’émail qui recouvre la partie antérieure des dents. Si on leur demande la raison de cette coutume, elles répondent que « les dents blanches sont des dents de chien ! » Et elles ne veulent pas que, plus qu’elles-mêmes, leurs chers petits aient des dents de chien.

Le costume ordinaire est formé d’une pièce d’étoffe enroulée de diverses façons. Dans l’intérieur des maisons, les femmes gardent souvent le sein découvert. Les dames de la noblesse, qui ne se montrent que rarement en public, se font remarquer par les bracelets d’or et d’argent et les colliers de coraux et de fils de cuivre dont elles entourent leurs bras et leurs jambes. En quelques îles, presque toutes les parties de leur corps sont marquées ou tatouées de petits points noirs en forme de fleur, pratiqués avec un instrument pointu trempé dans de l’indigo.

Pour les grandes fêtes, elles sortent du harem vêtues d’un pagne qui leur descend jusqu’aux pieds et que recouvre encore une longue robe ne s’arrêtant qu’à mi-jambe, fermée sur la poitrine par des épingles d’or. Elles se parfument d’essences et d’huiles odorantes. Leurs habillements exhalent le benjoin et le bois de santal. Elles mâchent même du kakioudel, qui donne à l’haleine une odeur suave. Cette passion pour les parfums est poussée si loin, parmi ces femmes, qu’elles jonchent leurs lits de fleurs embaumées ; elles en font des guirlandes, des colliers et des bracelets. Les fleurs ne sont pas seulement un ornement pour les Malaises : elles deviennent un langage. La manière de plier une fleur ou des feuilles de bétel a pour elles, comme pour ceux de qui elles veulent se faire comprendre, une signification qui pourrait souvent, à bon droit, inquiéter leur maître et seigneur.

Amoureuses, elles ignorent, de même que les Japonaises, un des chapitres les plus exquis de l’art d’aimer. Le baiser leur est inconnu. Mais, alors que la gracieuse Mousmé s’enfuit en poussant des cris d’effroi, croyant que l’on veut la mordre, la belle Malaise, au contraire, si un galant fait mine de pencher son visage sur son visage, s’approche, frémissante d’aise. Ce n’est pas la bouche de l’amant qui, brûlante, se posera sur sa peau, c’est son nez ; les narines dilatées, il aspirera le parfum de celle qu’il aime et cette odeur capiteuse lui semblera s’exhaler de la plus enivrante des fleurs.

Trois sortes d’unions conjugales sont pratiquées : le mariage Djoudjour, le mariage par Ambel-anak et le mariage Semoundo. Le djoudjour est un prix d’achat donné en retour de l’épousée, au moyen de quoi elle devient la propriété du mari. Quelquefois ce prix stipulé se compense dans les familles où l’on a, tout à la fois, des garçons et des filles à établir : c’est ainsi qu’un homme, étant considéré comme ayant un droit de propriété sur ses sœurs, peut se procurer une femme en en donnant une en échange. En cas de divorce ou de répudiation, l’époux peut réclamer la valeur du djoudjour,
Femme malaise.

moins 25 piastres. Le mariage par ambel-anak détermine une position inverse : c’est le jeune homme qui, moyennant une faible indemnité, devient le commensal et l’hôte du beau-père. Sa femme est alors le chef du ménage ; elle répond de ses dettes, paie des amendes quand il en encourt. Le mari vit ainsi dans un état intermédiaire entre celui de fils et celui de débiteur. Ce qu’il cultive n’est point à lui, ce qu’il gagne est versé dans la caisse commune. Ce régime de famille et de parenté maternelles, qui est le plus ancien, domine encore généralement. Enfin, le mariage semoundo, terme moyen entre l’ambel-anak et le djoudjour, est simplement l’alliance libre, établie sur le pied de réciprocité, et présentant une grande similitude avec notre mariage par contrat : les époux sont égaux et leurs droits respectifs garantis par un accord conclu entre les familles.

La polygamie est, chez les Malais, plus rare que dans les autres nations musulmanes. Les chefs seuls contractent plusieurs alliances par djoudjour. À Timor, les filles sont simplement vendues contre de l’or ou du bétail. Si le gendre ne remplit pas les promesses qu’il a faites, le beau-père reprend sa fille et les enfants qui ont pu résulter de l’union ainsi rompue. Dans la presqu’île malaise, ce n’est pas le jeune homme qui se cherche une épouse ; c’est la mère de la jeune fille qui se met en quête d’un gendre ; le mari n’a aucun droit sur la fortune de sa femme et, si la dot qu’il a apportée n’est pas au moins égale aux biens qu’elle possède, c’est elle qui a la propriété des enfants.

Les peines édictées, en cas d’adultère, frappent toujours beaucoup plus lourdement la femme que l’homme. Elles comportent presque constamment la mort et la jalousie malaise ne plaisante pas. À Lombock, par exemple, une femme risque sa vie en acceptant d’un étranger un cigare ou une fleur. À Achim, on livre la coupable aux parents de l’offensé, qui forment autour d’elle un cercle serré. Alors on lui donne une arme avec laquelle elle doit s’ouvrir un passage au travers de ses exécuteurs ; si elle y parvient, elle est désormais à l’abri de toute poursuite ; mais, d’ordinaire elle est mise en pièces au même moment.

Dans toute la Malaisie, l’existence de la femme est vouée au travail ; elle n’a cependant que rarement à subir de mauvais traitements. Aux îles Bow, elles vont cueillir les noix de pandanus ou bien chercher sur les récifs de corail des coquillages comestibles. En revenant à la case, elles ont à préparer le repas des hommes qui dévorent les meilleurs morceaux jetant seulement aux femmes, comme à des animaux domestiques, les restes de
Femme tagale.

leur repas. C’est là, d’ailleurs, une coutume assez commune dans les peuplades primitives.

Tagales.

Les Tagals qui, aux Philippines, sont la race dominante, au moins par l’intelligence, se trouvent être, à l’heure actuelle, un des peuples les plus civilisés de l’Asie.

Le type est malais ; petit, mais bien proportionné ; le front est bas, le nez un peu épaté, les pommettes fortes, la bouche large, les lèvres épaisses, mais de beaux yeux noirs fendus en amande illuminent un visage gracieux et fin. Les belles Tagales sont charmantes à voir quand elles déambulent, sveltes et vives, par les rues de Manille, avec le balancement des hanches qui leur est particulier et contre lequel ont été impuissantes les éloquentes imprécations des moines espagnols.

Presque toutes portent une longue jupe traînante que serre, autour de la taille, une large pièce de soie noire ; le buste est recouvert d’une chemisette flottante de batiste ou de toile fine, décolletée à souhait. Il est vrai que, sur la chemisette, flotte, plutôt qu’il n’est posé, un fichu brodé ; mais ce fichu peut passer pour un raffinement de coquetterie, car il n’est point attaché par devant et les deux côtés ainsi que les deux bouts, pendent négligemment sous les bras. Les cheveux, d’un beau noir et soigneusement lavés avec des huiles odoriférantes, sont parfois relevés en un chignon opulent ; parfois aussi, ils ruissellent en cascades de jais jusqu’à la chute des reins. Peu de femmes peuvent s’enorgueillir d’aussi belles chevelures ; il n’est pas rare d’en voir qui touchent terre quand leur propriétaire se tient debout.

On conçoit fort bien que d’aussi agréables créatures aient sur leurs heureux possesseurs le plus grand ascendant. D’une propreté méticuleuse, bonne ménagère, douée d’un goût exquis pour la décoration de son intérieur, l’épouse tagale décide, taille et rogne au mieux des intérêts de la communauté.

Si jamais le hasard d’une promenade à travers le monde vous conduit jusqu’à l’île de Luçon, peut-être nous saurez-vous gré de vous révéler le secret au moyen duquel les jolies Indiennes en quête d’aventures trouvent le moyen d’entrer en conversation ?

Tout le monde fume le cigare à Manille, les femmes comme les hommes. Bien rarement on en rencontre dans la rue qui n’aient pas un cigare à la bouche. Le galant cherchant fortune a, lui aussi, son cigare ; mais il est éteint. Lorsqu’il rencontre une


Femme javanaise.

femme d’allure sympathique, il l’aborde et lui demande la permission de prendre de son feu. La belle, sans faire de façons, prend le cigare, à la mode espagnole, et l’approche du sien ; pendant ce temps, on a toute liberté d’entamer un dialogue que la femme peut faire durer le temps qu’il lui plaît ; elle n’a qu’à ne pas se hâter d’allumer le cigare.

Javanaises.

Les peuples qui habitent l’île de Java appartiennent, eux aussi, à cette race malaise qui s’est répandue sur la longue chaîne d’îles se prolongeant de l’extrémité occidentale de Sumatra à la pointe sud de Timor. Les femmes beaucoup plus petites que les hommes sont, comme eux, robustes et bien prises, sveltes, élancées, néanmoins avec des membres un peu graciles ; leur visage aux traits délicats est d’un ovale plus régulier que chez la plupart des Malaises, leurs yeux sont bien ouverts et très horizontaux, le nez est droit et peu saillant, les pommettes peu apparentes ; elles ont la bouche large, les yeux petits, mais vifs et d’un beau noir, les cheveux très bruns et fort longs. Leur teint varie du jaune pâle à l’olivâtre foncé ; celui qui est l’apanage des beautés renommées est d’un jaune d’or, et ce teint orangé est chanté dans les poésies javanaises, de même que « les lis et les roses », qui embellissent celui de nos dames, sont célébrés dans nos madrigaux et dans nos romances.

Elles s’habillent d’une jupe à carreaux que recouvre un vêtement serrant le haut du corps, à la façon d’un spencer un peu allongé. Ainsi que les hommes, elles marchent pieds nus ; mais, tandis que ceux-ci se coiffent d’un mouchoir roulé en forme de turban, celles-là se contentent de relever sur le sommet de la tête leurs longs cheveux tressés, pour se garantir des ardeurs du soleil. De larges pendants d’oreilles sont un complément indispensable de leur toilette.

Peut-être jugera-t-on curieuse, comme caractéristique de la civilisation indigène, la description d’une beauté javanaise, écrite, il y a plus de cinq siècles, avant l’introduction du mahométisme dans ces régions. C’est un des morceaux les plus appréciés de la littérature malaise qui n’est pas sans compter quelques chefs-d’œuvre. Le poète, naturellement, parle de celle qui lui a ravi son cœur.

« Son visage a l’éclat de la lune ; la splendeur du soleil est éclipsée par sa présence, elle lui a dérobé ses rayons. Elle est tellement belle qu’on ne peut décrire sa beauté. Rien ne manque à sa taille ; ses cheveux, lorsqu’ils ne sont pas attachés, tombent à ses pieds en boucles noires ondoyantes. Ses sourcils sont comme deux feuilles de l’arbre appelé imbo ; ses yeux sont étincelants ; son nez est aquilin ; ses dents sont noires, brillantes et bien rangées ; ses lèvres sont de la couleur de l’écorce fraîche du mangoustan ; ses joues ressemblent à la forme du douran. Ses deux seins, semblables à l’ivoire, sont parfaitement ronds et s’inclinent l’un vers l’autre. Ses bras sont comme un arc ; ses doigts longs et flexibles ressemblent aux épines de la forêt ; ses ongles sont des perles, sa peau est d’un jaune éblouissant ; son pied est aplati sur la terre, sa démarche est majestueuse comme celle de l’éléphant. Cette belle personne était parée d’un chinditapola de couleur verte, entouré d’une ceinture d’or ; à son doigt était une bague, production de la mer ; ses boucles d’oreilles étaient d’émeraudes enchâssées de diamants ; l’épingle qui attache ses cheveux était d’or ; un rubis enchâssé d’or et d’émeraudes la terminait ; son collier était formé de sept pierres précieuses. Elle était parfumée de manière qu’il était impossible de distinguer l’odeur d’aucun parfum. »

Comme dans toutes les contrées où règne l’islamisme, la polygamie est pratiquée à Java, mais l’usage en est restreint aux hommes des classes riches, qui ont seuls la faculté d’avoir des femmes à prix d’or et d’entretenir un harem. D’ordinaire, les princes et les chefs du premier rang ont quatre femmes légitimes, outre les servantes ; les chefs d’un rang inférieur n’ont que deux femmes, trois au plus ; enfin, le simple habitant des campongs ou villages doit se contenter d’une seule épouse. Il est vrai que la loi, très facile sur ce point, permet de nombreux divorces ; il n’en coûte à l’époux désireux de recouvrer sa liberté qu’une somme variant, selon l’espèce, de cent à deux cent cinquante francs ; mais souvent la femme, soit qu’elle ait des enfants, soit que, grâce aux qualités, qu’elle possède généralement, d’ordre, de travail et d’économie, elle ait réussi à s’emparer de l’autorité dans le ménage, parvient à faire renoncer son mari à l’exercice de cette liberté.

Les princes et les grands chefs ont une première femme en titre qu’ils ne répudient presque jamais, parce qu’elle est généralement d’une famille égale par son rang à celle de l’époux. Dans ce cas, les conventions matrimoniales ont été stipulées de telle sorte que des causes majeures peuvent seules motiver un divorce. Une femme de cette classe jouit, d’ailleurs, de certaines prérogatives ; elle reçoit les mêmes témoignages de respect que son mari, fait les honneurs de son palais, y est la souveraine des autres épouses, dont elle arbitre les prétentions et les droits. La règle du harem est moins stricte que dans les pays arabes ou turcs. Des étrangers, des Européens même ont été admis à y pénétrer.

Quant aux femmes du peuple, elles circulent librement, sans être voilées, se livrant à leur guise à tous les métiers que leur grande habileté leur permet d’exercer. Celles qui ne sont pas épuisées de travail ont plus d’intelligence, d’énergie et de fierté que les hommes.

La cérémonie du mariage sert toujours de prétexte au déploiement d’un très grand luxe. C’est là surtout que la toilette javanaise révèle toutes ses splendeurs. Couvert, de la ceinture aux talons, d’un magnifique pagne ; les bras et le buste nus, mais garnis de bracelets et de plaques d’or ; coiffé d’un diadème dentelé, d’où tombent plusieurs rangs de perles, le fiancé marche en avant du cortège qui se rend au temple où l’imam doit bénir son union. La fiancée le suit, vêtue comme lui de ses atours les plus beaux : long pagne avec un justaucorps prenant au-dessous des bras et retenu par une ceinture ; sa gorge est à demi découverte, ses bras sont nus ; comme lui encore, elle est parée de plaques d’or, de bracelets et d’un diadème.

De même que l’Inde, Java a ses bayadères. Elles prennent part aux grandes fêtes, aux divertissements donnés par les riches, drapées dans de riches étoffes, la tête coiffée de casques dorés.

Le haut du torse, les bras, les jambes et les pieds sont nus et, ainsi que le visage, recouverts d’une couche de safran ; les cils, les sourcils sont teints, les yeux maquillés. On ne saurait dire qu’elles dansent ; leurs évolutions se bornent à de lents mouvements cadencés des bras, du buste et de la tête, mais les jambes restent immobiles et les pieds ne quittent pas le sol.

Par contre, les danses populaires, auxquelles prennent part les hommes et les femmes des classes inférieures, sont d’une joyeuse animation.

Près de Java est l’île de Bali ou Petite Java. Sœurs de race des Javanaises, les Balinaises sont plus grandes et plus fortes. Le goitre les dépare trop souvent, mais il n’est jamais accompagné du crétinisme, comme dans les Alpes ou dans les Pyrénées.

En dépit de l’instruction qui leur est donnée et qui atteint parfois un niveau relativement très élevé, elles vivent dans un complet état d’avilissement, considérées uniquement comme un objet de trafic.

Le régime des castes sévit, à Bali, dans toute sa rigueur. Jadis, une fille de Brahmane qui se laissait courtiser par un amant d’un rang inférieur encourait la mort par le feu. Les magistrats hollandais eux-mêmes
Femme javanaise.

doivent céder, sur ce point, au préjugé général, et prononcer la peine du bannissement contre les jeunes gens qui enfreignent les limites des castes. Par contre, les hommes appartenant aux classes supérieures peuvent, à volonté, prendre des femmes de naissance moins élevée ; la noblesse du père se transmet à ses descendants.

Il y a peu de temps, la barbare coutume du suicide des veuves faisait encore des victimes. La flamme du dernier sutti s’était, depuis vingt ans, éteinte dans l’Inde, que des malheureuses montaient encore, à Bali, sur le bûcher qui consumait le corps de leur époux défunt.

Indonésiennes.

Plus grandes que les Malaises et mieux musclées, les femmes des races purement indonésiennes ont le teint plus clair, le nez plus saillant, le front plus élevé. Leur mâchoire est légèrement prognathe, mais leurs yeux sont parfaitement horizontaux. Les mieux connues d’entre elles sont les Battas ou Battakas de Sumatra et les Dayakes de Bornéo.

Les Battas jouissent d’une civilisation très ancienne qui s’est à peu près parfaitement conservée. Leurs coutumes admettent cependant l’anthropophagie à laquelle ils ont donné un caractère judiciaire. Leur code relève les cas où l’on peut manger de la chair humaine ; il condamne, entre autres, à être dévorés vivants ceux qui se rendent coupables d’adultère et ceux qui, étant de la même tribu, se marient ensemble, les contractants étant censés descendre du même père et de la même mère.

Le mariage se pratique, en général, par achat. Mais il n’est pas rare de voir la femme acquérir son époux. Celui des deux époux qui a été acheté devient une véritable propriété mobilière susceptible d’être léguée ou même saisie et vendue, sur requête d’un créancier.

Les Dayakes, qui forment la plus grande partie des habitants de l’île de Bornéo, ne doivent pas être confondus avec les Pounans, tribus sauvages, vivant au plus profond des forêts, fuyant tous rapports avec les autres races et qui ne sont autres que ces hommes à queue, sur lesquels les anciens voyageurs ont raconté de si merveilleuses histoires.

Les femmes dayakes se recouvrent les bras, les mains, les pieds, les jambes, parfois même la poitrine, de beaux tatouages bleus qui ressortent admirablement sur le fond cuivré de leur peau. Elles se liment, se teignent et se perforent les dents pour y
Femme des îles Marquises.

enchâsser des morceaux d’or. Aux lobes de leurs oreilles pendent des morceaux de bois, des anneaux, des croissants de métal qui retombent sur leurs épaules.

Ce sont des beautés cruelles. Libres de choisir leur époux, elles n’agréeraient pas un jeune homme qui se serait montré inhabile à la chasse aux têtes. Cette chasse est un simple assassinat. On s’embusque pour tomber sur le premier passant venu afin de lui couper la tête. Le trophée est offert tout sanglant à la timide fiancée qui le plonge dans l’eau et se lave ensuite dans cette eau toute rougie. La tête de la victime, préparée et ornée comme un objet d’art, est destinée à décorer le foyer conjugal.

Une autre coutume, également cruelle, veut que les filles de familles nobles soient, dès l’âge de huit ou dix ans, enfermées dans une étroite cellule où elles restent étroitement détenues, sans voir ni parents ni amis, jusqu’à ce qu’elles soient en âge d’être mariées. Lorsqu’elles sortent de cette prison, faibles, le teint pâli, on les arrose du sang d’un esclave, sacrifié pour la circonstance ; elles sont alors dignes d’être présentées à un riche prétendant.

Polynésiennes.

La race polynésienne, comme l’indique son nom, occupe de nombreux groupes d’îles, disséminés dans les régions intertropicales de l’océan Pacifique. Les peuples qui la composent sont restés ignorés des Européens jusqu’à la fin du dix-huitième siècle et, à l’époque où les voyages de Cook, de Bougainville et de la Pérouse en révélèrent l’existence, certains d’entre eux étaient restés des primitifs, au sens propre du mot, et n’avaient pas dépassé l’âge de la pierre polie.

Depuis la découverte, le type ancien, qui s’affirmait comme relativement homogène d’un bout à l’autre du monde polynésien, s’est, en maints endroits, européanisé. La stature est haute, plus encore à l’ouest qu’à l’est, les muscles forts, l’embonpoint fréquent ; la couleur de la peau varie du blanc jaunâtre à la teinte cuivrée ; le visage est ovale et allongé, le crâne large, les oreilles grandes, le nez, droit ou aquilin, un peu épaté aux narines, les yeux horizontaux et bien ouverts, les lèvres épaisses mais bien dessinées.

Poétique, joyeuse, aimant la musique et la danse, cette race a supporté difficilement le contact des Européens. Ses nouveaux maîtres lui ont communiqué des maladies et des vices qui l’ont décimée ; les mœurs d’importation auxquelles il lui faut s’habituer, les vêtements dont les missionnaires, propagateurs de notre morale, lui enjoignent de se vêtir, sont également des facteurs de sa régression physique.
Femme fidjienne.

Il est à espérer, cependant, que cette période de décadence n’est que passagère, et que, s’accoutumant peu à peu à des modes d’existence inconnus de leurs ancêtres, les Polynésiens trouveront dans la civilisation qui leur fut un peu brutalement imposée une bienfaitrice et non plus un bourreau.

Comme dans presque toutes les sociétés primitives, le rôle social de la femme est, en Polynésie, celui d’un être inférieur. Aux îles Samoa seules elle jouissait d’un certain respect. Chaque village y avait sa patronne, ordinairement la fille du chef ; dans les fêtes civiles ou religieuses, elle représentait la communauté ; le soin de recevoir les étrangers lui était dévolu ; par sa grâce et par sa beauté, elle était la vivante image de toutes les divinités bienfaisantes qui devaient assurer le bonheur de la tribu.

Partout ailleurs, la femme subissait le dur joug du maître. C’est elle surtout que frappaient les prohibitions de la loi du tabou. On connaît cette bizarre institution religieuse par laquelle, soit temporairement, soit d’une façon permanente, il était interdit, sous peine de mort, de toucher ou même de regarder certains individus, certains animaux, de se servir de certains objets, de traverser certains lieux.

Ce sont les filles dont l’infanticide, jadis pratiqué en grand, réduisait surtout le nombre, à tel point que le beau sexe ne formait parfois qu’un quart, ou même qu’un cinquième de la population totale.

Dans presque toutes les îles, les hommes et les femmes ne pouvaient manger ensemble. Leurs aliments différents étaient préparés sur des foyers séparés. Seuls, les dieux et les hommes avaient droit de se nourrir de viande de porc ; les femmes devaient se contenter de la chair du chien et d’une sorte de ragoût fait des fruits de l’arbre à pain et du lait des noix de coco.

Il est à remarquer, cependant, que la féodalité polynésienne admettait, en général, les femmes à gouverner au même titre que les hommes lorsqu’elles s’y trouvaient appelées par droit d’hérédité.

De l’aveu de tous les voyageurs, les plus beaux types féminins de cette race se rencontrent aux îles Hawaï et surtout aux îles Marquises. Les Hawaïennes ont les traits fins et réguliers, de beaux yeux noirs et de superbes cheveux bouclés, mais leurs sœurs des Marquises sont grandes, sveltes, et la couleur légèrement cuivrée de leur peau ne les dépare pas, même à des yeux européens.

Coquettes et dissolues, elles sont peu portées à considérer la chasteté comme une vertu. Jeunes filles, elles pratiquent à leur gré l’amour libre et les petits bénéfices que peut leur valoir la générosité de leurs compagnons de passage viennent accroître le pécule de la famille ou la liste civile du chef. Mariées, elles doivent à leur époux une fidélité au moins relative dont celui-ci est parfois le premier à les affranchir, estimant bien sot quiconque dédaigne une occasion de profit.

Ces mœurs, qui ont valu aux Polynésiennes une renommée d’amabilité très appréciée des matelots, étaient générales dans toute cette région du Pacifique. Le mariage même n’y était guère considéré que comme une union temporaire ; sa conclusion ne comportait presque aucune cérémonie ; chez les chefs seuls on l’accompagnait d’un imposant apparat, qui ne rendait pas, d’ailleurs, le lien conjugal plus solide. Dans toutes les îles florissaient à la fois le divorce et la polygamie ; à Nouka-Hiva subsistaient des unions polyandriques. Certaines femmes, de classe riche, étaient bigames : l’un des maris était le principal, le mari-chef ; l’autre était un mari suppléant. Les reines, surtout, avaient ainsi un époux secondaire qui portait fièrement le titre d’« allumeur du feu du roi » ; sa mission, toute de confiance, était de remplacer Sa Majesté, lorsqu’elle s’absentait, auprès de la souveraine, afin que celle-ci n’ait jamais à supporter les affres de la solitude.

Sous l’influence des missionnaires, cette morale tend peu à peu à se réformer, à la grande joie des puritains à la mode d’Europe, au grand dam des amateurs de pittoresque.

À Taïti, surtout, dans cette terre enchanteresse que les marins de Bougainville avaient nommée la Nouvelle Cythère, l’amour était, et — en dépit d’une christianisation plus apparente que réelle — est resté encore le souci le plus important de la vie. Une société aristocratique, celle des aréois, sorte de franc-maçonnerie à la fois religieuse et libertine, ayant ses épreuves d’initiation, ses mots de passe, ses mystères et sa hiérarchie, n’avait pas d’autre but que d’assurer à ses membres l’absolue satisfaction de leurs désirs affectueux. Très respectés, accueillis partout avec le plus profond respect, les aréois donnaient des représentations, des fêtes ; leur existence se passait en danses et en jeux de toutes sortes. Jamais ils ne se mariaient : des femmes dépendant de l’ordre leur étaient communes, en même temps qu’elles étaient tabouées pour tous les profanes. La société n’admettait pas les enfants ; tous ceux qui naissaient dans son sein étaient impitoyablement mis à mort.

Sous un climat moins chaud et moins humide, et aussi par suite de leur mélange ethnique avec des envahisseurs papous, les Maoris de la Nouvelle-Zélande ont acquis un degré d’énergie et de vigueur remarquable. Moins agréables que les autres Polynésiennes, les Néo-Zélandaises manquent d’expression et de délicatesse dans le visage, leurs membres sont trop gros, leur poitrine trop forte, leur taille trop courte et trop ramassée. Dès qu’elles deviennent mères, elles perdent toute la fraîcheur de la jeunesse. Il en est qui, plus favorisées, conservent leurs traits gracieux, leurs longs cheveux noirs, leurs yeux pleins de feu et de vivacité ; ce ne sont cependant que de très rares exceptions.

Les jeunes filles maoris ne sont guère plus réservées que les Taïtiennes, mais dès qu’elles sont mariées, elles perdent toute liberté. Elles acquièrent même un très vif sentiment de la fidélité conjugale qui se retrouve jusque chez les esclaves s’en venant offrir leurs faveurs à bord des navires ; qu’un matelot déclare à l’une d’elles qu’il la prend pour femme, à l’instant même elle s’impose les devoirs que commande ce titre et rien ne saurait l’y faire manquer. Il n’est pas rare de voir des veuves désespérées se donner volontairement la mort, et celles qui accomplissent cet acte d’héroïsme sont un grand objet d’admiration. Quelquefois, mais bien plus rarement, c’est le mari qui s’immole sur le cadavre de sa femme. La veuve qui se remarie encourt une sorte de déchéance et, pour éviter cet affront, les amis du défunt et ses propres parents vont parfois jusqu’à la mettre à mort.

En quelques îles, aux Marquises et à Nouka-Hiva, par exemple, la veuve devait séjourner pendant plusieurs mois auprès du cadavre de son mari, l’oindre d’huile de coco, le tenir constamment propre et le transformer en une momie sèche et parfumée. Il lui était strictement interdit, tant qu’elle n’avait pas terminé ce travail, de se laver elle-même.

Ressemblant beaucoup aux Polynésiennes, les Micronésiennes ont le visage moins allongé, le teint plus foncé, les cheveux moins longs et parfois frisés, le nez plus rarement aquilin et les narines plus larges ; mais leur bouche est plus jolie et leurs lèvres sont, en général, plus fines.

Leurs mœurs, sauf aux îles Palaos, sont également empreintes d’une douce facilité. Aux Mariannes, les jeunes filles ont toute licence d’apprendre à conjuguer le verbe « aimer » avec qui bon leur semble ; fût-ce avec leurs frères, elles ne sont passibles d’aucun blâme. Le mariage leur impose des devoirs plus étroits ; il est vrai que, dans le ménage, c’est la femme qui porte la culotte. A-t-elle à se plaindre de son mari, elle court quérir ses voisines, puis avec leur aide, dévalise le malheureux qu’elle abandonne pour reprendre sa liberté.