Toutes les femmes/15

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A. Méricant (3p. 289-296).

III

Conclusion

Quand on remonte un fleuve de l’embouchure à la source, on le voit progressivement se restreindre et devenir humble ruisseau. Tel nous a paru le cours de l’humanité quand nous remontons, en quête des origines, le grand fleuve humain. Nous avons vu se souder les peuples aux peuples et lentement se réduire le nombre des nationalités. Même au delà de nos temps historiques, sous le contrôle d’une logique sévère, nous avons pu préjuger d’un passé disparu que le génie humain ou le hasard des découvertes permettra peut-être de restituer.

Depuis que notre globe gravite autour du soleil, combien de peuples ont dû vivre et s’agiter à la surface pour disparaître ensuite, sans retour, dans l’abîme des siècles ! Les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Hébreux, les Chinois et les Hindous sont ceux qui pour nous représentent la plus haute antiquité, et si l’Histoire remonte plus haut, ce n’est que pour nous parler de la barbarie préhistorique ou de cette période de destruction et de renouvellement que l’on nomme le déluge.

Les nations que nous venons d’énumérer ne sont pas les seules qui aient occupé la terre durant la longue succession des siècles qui ont précédé l’Histoire, bien d’autres sans doute antérieures ou contemporaines, et dont les noms mêmes ne sont pas arrivés jusqu’à nous, ont eu des lois, des institutions, des cités florissantes, des arts et une industrie plus ou moins riche, plus ou moins perfectionnée, et tout cela a disparu avec les monuments artistiques et littéraires qui auraient pu nous en transmettre le souvenir.

Cette hypothèse est moins problématique qu’elle peut le paraître. Si l’on considère l’état des sciences à l’aurore des temps historiques, on remarque une ignorance profonde des causes et cependant des produits perfectionnés de ces causes. En astronomie, la pratique des observations sans résultats et des résultats sans observations. On y voit l’emploi de méthodes que les plus savants mettent en œuvre sans les comprendre. Il semble que toute la science antique est faite non de tâtonnements mais de ressouvenirs ; car l’usage de méthodes sans la connaissance des principes prouve que ces méthodes ne sont pas l’ouvrage du peuple qui les emploie.

On ne pourrait prétendre que des principes peuvent s’oublier. Un peuple peut perdre le souvenir de certains faits historiques, de certaines connaissances particulières isolées. Mais une science comme l’astronomie, par exemple, forme un corps d’idées qui mutuellement se conservent et se défendent. Nous pensons donc qu’à une époque antérieure à toutes celles que l’on connaît il a existé des peuples éminemment civilisés, inventeurs d’une foule de théories savantes dont quelques débris sont arrivés jusqu’à nous par les Égyptiens, les Assyriens, les Hébreux, etc.

Dans le vie ou le viie siècle avant notre ère, on croyait assez généralement que l’espèce humaine était dans sa décadence. On le disait en Égypte, en Chaldée, en Phénicie, dans l’Inde et dans la Chine. Zoroastre et Confucius expriment plusieurs fois cette opinion, opinion justifiée, ce nous semble, par les grandes révolutions qui éclatèrent vers cette époque.

Ce que Moïse et les historiens grecs disent de Babylone et de Ninive prouve que ces deux villes étaient déjà célèbres vers le xve ou le xvie siècle avant l’ère chrétienne.

Plusieurs autres grandes villes existaient certainement à cette époque dans diverses contrées : Memphis, Thèbes, Abydos, en Égypte, l’ancienne Sidon, la fameuse Troie étaient déjà fondées. Il y en avait probablement en Italie chez les Étrusques, peuple très ancien dont la civilisation était en décadence lors de la fondation de Rome, huit siècles avant notre ère. Pline le Naturaliste. Plutarque nous fournissent des preuves à l’appui de cette opinion. L’Amérique elle-même renfermait des cités florissantes qui, après avoir subi plusieurs révolutions, sont retombées dans l’état sauvage, les ruines qu’on y a découvert ne laissent pas de doute sur ce point.

Que doit-on penser ? Faut-il quand on pèse ces faits s’en tenir aux conventions admises ?

N’est-il pas plus sage de penser que dans sa recherche des origines l’homme a négligé l’étude d’un facteur puissant qui est la terre.

Si, dès que la terre, au cours de sa lente gestation a pu nourrir des mammifères, l’homme a existé, ce qui est logiquement possible. Il peut avoir vécu pendant le pliocène, dernière phase de ce que les géologues nomment les temps tertiaires. Si cette ère tertiaire, comparée aux temps antérieurs, a été courte, elle n’en a pas moins duré des milliers d’années, comme le démontre la progressive évolution de ses formes animales et végétales qui ont avec les espèces actuelles des analogies de formes indéniables.

Quels qu’aient été les représentants de l’humanité à ces époques reculées, s’ils ont vécu, c’est au sein des bouleversements géologiques considérables, puisque c’est pendant l’ère tertiaire que les mers et les continents terrestres ont pris à peu près la forme définitive (?) que nous leur voyons de nos jours.

Deux points du globe ont surtout subi des modifications profondes : les terres qui occupaient en partie la place du Pacifique et de l’Atlantique.

Si l’on considère que les traces de communications terrestres sont indéniables entre l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale ; entre l’Amérique du Sud et l’Afrique, que d’autre part l’Australie et les nombreuses îles qui constituent le continent océanien sont incontestablement les vestiges de terres disparues, on admettra qu’il ne devait émerger de ce que nous appelons l’Ancien Monde, qu’une très faible partie.

Une hypothèse s’offre à l’esprit : ne peut-on concevoir une ou des civilisations puissantes édifiées au sein de ces terres aujourd’hui sombrées sous les flots de l’océan par le fait d’une révolution du globe.

Voici comme nous concevons l’hypothèse : les hommes de la race la plus anciennement créée dans un milieu favorable ont pendant des siècles développé leurs facultés intellectuelles, sociales et artistiques : ils ont rayonné dans les limites de leur action soit par terre, soit par mer et fondé quelques colonies au sein de tribus barbares ; supposons que ces peuplades étaient les Chinois, les Hindous, les Assyriens, les Égyptiens, les Phéniciens, etc… et qu’un jour, dans un cataclysme effroyable, la mère patrie disparaisse entièrement, entraînant dans sa ruine toute la science et tous les arts ; que tout soit englouti, jusqu’au souvenir ; que se produirait-il ?


Femme juive d’Algérie.

Les quelques aventuriers colonisateurs nécessairement plus guerriers que savants, mettront en œuvre leur connaissance des méthodes, tout en ignorant les principes. Supposons que l’Ancien Monde s’effondre, que feraient les quelques Européens placés aux colonies ? Ils essayeraient de suppléer à tout, mais se heurteraient nécessairement à leur ignorance des principes et poursuivant des résultats, ils s’efforceraient de se remémorer des formules sans en rechercher le pourquoi.

Or, un fait qui domine les plus anciennes traditions, c’est que partout l’invention des arts et des procédés utiles est attribuée à des rois, à des héros que les peuples ont déifiés. Ne peut-on voir dans ces hommes d’élite les aventureux colons d’une civilisation plus avancée, dominant de leur supériorité intellectuelle les barbares au sein desquels la destinée les a conduits. Dans les traditions chinoises, c’est Sin-Gin-Tchi qui enseigne aux hommes la manière d’allumer et d’entretenir le feu. Le roi Gin-Houang invente l’agriculture et rassemble les hommes qui vivaient dispersés dans les bois. Houang-ti leur apprend l’art de teindre.

Chez les Égyptiens, c’est Osiris qui invente l’agriculture et la charrue ; il fait construire des digues pour contenir le fleuve, invente des écluses pour remédier aux inconvénients de la sécheresse en procurant aux cultivateurs le moyen d’irriguer les terres.

C’est Isis, épouse d’Osiris, qui a inventé le filage et le tissage, etc.

Les traditions grecques, assyriennes et hindoues sont conçues dans le même genre.

Si l’on considère que ce ne sont pas les Sémites qui jetèrent dans la Mésopotamie les fondements de la brillante civilisation chaldéenne, mais que cette gloire revient à des peuples reculés : les Accadiens et les Sumériens, qui apportèrent sur les bords de l’Euphrate la connaissance de l’écriture, une industrie relativement avancée, un gouvernement, des lois, une religion, on admettra que notre opinion prend, à cette constatation, une nouvelle force ; surtout si nous référant aux travaux des historiens, nous tenons pour exact le degré de parenté qui leur fait voir dans les antiques fondateurs de l’empire chaldéen et assyrien, les frères de Schesouhor, qui peuplèrent primitivement la vallée du Nil et furent antérieurs même à l’ancien Empire égyptien.

On percevra dans les brumes des traditions lointaines, mères de ces doctrines, la vision de ce peuple antérieur, énergique et savant, disparu subitement à jamais ; mais dont quelques colonies d’aventuriers guidèrent l’humanité barbare dont nous sommes issus, dans la voie du progrès où, depuis eux, l’humanité n’a cessé de marcher.

De quelle race auraient-ils pu être ces hommes ? Ils n’étaient pas blancs, puisque ils ont colonisé les blancs comme aussi les jaunes et les noirs ; ils étaient donc probablement rouges.

Nous n’irons pas plus loin dans cet essai, nous aurions trop à dire, car nous n’avons pas émis cette opinion sans l’avoir sévèrement contrôlée. Mais il serait au moins étrange si l’Australie et l’Amérique nous livraient un jour leur secret, que ce que nous appelons le Nouveau Monde fût un monde plus vieux que l’ancien, et que cette race misérable qui s’éteint, étouffée peu à peu sous l’étreinte d’une civilisation d’un utilitarisme sans pitié, ait été l’éducatrice des nations dont notre science et nos arts sont issus, et qu’elle meure de vieillesse aujourd’hui, décrépite et caduque, âgée de quinze à vingt mille ans.

En concluant par cette hypothèse ce livre sur les femmes de tous les pays, nous sommes moins loin de notre sujet qu’il ne paraît, car, si elle était un jour démontrée, les Hindous, les Sémites égyptiens, assyriens, phéniciens et arabes seraient un produit des types caucasiens et Peaux-Rouges. Cela étant acquis, la généalogie des autres peuples serait à peu près déterminée.


FIN DU TOME III ET DERNIER