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Traduction de la Septante et du Nouveau Testament/Préface

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Traduction de la Septante et du Nouveau Testament
La Sainte Bible de l'Ancien Testament d’après les Septante et du Nouveau Testament d’après le texte grec par P. GIGUET - tomes 1 à 4, 1872.djvuPoussielgue (p. v-xii).
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PRÉFACE




Peu de personnes en France, parmi les laïques, même les plus lettrés, connaissent à fond la Bible. Ce livre des livres a place dans toutes les bibliothèques, plutôt consulté que lu. La plupart l’ouvrent aux passages célèbres, et s’en tiennent là ; cependant, s’il arrive que quelques-uns le lisent avec suite, ils sont comme transportés dans un monde inconnu, dont ils admirent la magnificence. Quoi qu’il en soit, l’indifférence générale a été longtemps telle, que l’on s’est contenté de la traduction très-prosaïque de Le Maistre de Sacy. De nos jours seulement, on en a reconnu l’insuffisance ; plusieurs se sont mis à l’œuvre, et de louables travaux ont ouvert au public, étranger aux langues anciennes, avec une forme plus attrayante qu’autrefois, le plus inestimable trésor. Mais tous ont pris pour point de départ, soit la Vulgate, soit le texte hébreu, sur lequel saint Jérôme l’a composée, en latin du quatrième siècle. Nul n’a songé à la version grecque des Septante, tellement accréditée dans l’Église primitive par les hommes apostoliques et les saints Pères Orientaux, que, pendant quatre siècles, on eut regardé comme téméraire toute tendance à s’en écarter.

Cette version se recommandait et se recommande encore autant par le fond que par la forme. Quant au fond, nous ne pouvons mieux en parler que le savant éditeur Morin, prêtre de l’Oratoire, qui l’a traduite en latin, commentée, annotée et publiée, au commencement du dix-septième siècle,

Voici une courte analyse de sa préface, dans laquelle toutes les assertions que l’on va lire sont appuyées de passages des saints Pères, discutés et coordonnés de manière à donner à ces assertions le sceau de l’évidence :

« La traduction des Septante, dit-il, est remarquable surtout par la noblesse et l’utilité. Combien d’hommes éminents ont consacré à son étude toute une vie en quelque sorte cachée ! Mais l’édition du souverain Pontife Sixte-Quint[1] se signale entre tous leurs travaux ; nulle n’est plus propre à affermir la foi ; nulle n’a pénétré plus à fond les divins mystères ; nulle ne revêt de plus de magnificence le nom de chrétien.

« On sait avec quels soins Ptolémée Philadelphe, né environ 300 ans avant l’ère chrétienne, a fait faire cette très-célèbre traduction de la Bible. Josèphe et Philon les ont racontés. Les Apôtres et les hommes apostoliques se sont servis de celle-là, et non d’aucune autre ; par la foi qu’ils ont eue en elle, ils ont confirmé ses préceptes et sa doctrine ; ils l’ont développée au peuple dans leurs sermons et leurs homélies ; enfin, c’est elle seule qu’ils ont déposée au sein des Églises, et confiée à la foi des évêques. Lorsque ceux-ci ont eu toute facilité pour faire, d’après l’hébreu, une traduction nouvelle, ils ont ajourné ce travail, convaincus que celle-là était divine, démontrant d’ailleurs qu’on en attendrait vainement une plus fidèle.

« Non-seulement l’Église chrétienne, dès sa naissance, a reçu d’elle les premiers soins d’une nourrice et d’une mère, mais encore, devenue enfant à la mamelle, elle n’a point bu, elle ne s’est point nourrie d’autre lait de la parole divine que du lait exprimé de cette traduction ; en grandissant, elle n’a pas eu d’autre aliment, ni même enfin quand elle a étendu ses bras sur l’univers.

« En effet, pendant près de quatre cents ans, c’est-à-dire jusqu’à saint Jérôme, nul catholique n’eût osé traduire autrement que l’avaient prescrit les Septante ; toutes les versions catholiques, et (comme le témoigne saint Augustin) il y en eut une quantité presque innombrable, furent toutes faites sur les Septante : cette traduction fut l’index de toutes les versions, soit latines, soit barbares, et comme la pierre de touche servant à les examiner ou à les corriger. Il faut toutefois excepter de nouvelles traductions grecques, que firent, avec grand apparat, en haine des Septante et de la religion catholique, soit des apostats juifs, soit des demi-chrétiens hérétiques.

« Nos très-saints Pères s’abstinrent des traductions faites de cette manière [2]. Tous, autant qu’il y en eut, crurent sainte la traduction des Septante ; ils la crurent prophétique, canonique, divine en toutes ses parties, inspirée par Dieu. Ils déclarèrent partout, en particulier comme en public, qu’il n’y avait en elle rien de surabondant ; qu’il n’y avait rien d’ajouté ni d’effacé, rien enfin qui n’eût été dicté par une admirable et prophétique impulsion du Saint-Esprit, et par inspiration divine. Telle fut la foi de l’Église chrétienne, la tradition apostolique, l’opinion de tous les Pères grecs et latins.

« Saint Jérôme, de même que les autres saints Pères, parle avec enthousiasme des Septante ; il les dit impeccables, inspirés par Dieu ; il se défend, comme d’une calomnie, de l’accusation, portée contre lui, de les avoir voulu décréditer. Quoique pénétré de la sainteté des Septante, le saint Père, versé dans les langues grecque, hébraïque, chaldaïque, se chargea, par inspiration divine, du grand fardeau d’une version nouvelle faite sur l’hébreu ; il mena à fin son œuvre, quoique beaucoup, comme il s’en plaint souvent dans ses lettres, le désapprouvassent.

« Peu à peu, sa traduction occupa, dans toutes les Églises latines, le même rang que l’ancienne version faite sur les Septante ; finalement, elle y prévalut. Toutefois, les Septante continuèrent d’être seuls lus publiquement dans les Églises de l’Orient ; en Occident, l’Église, non-seulement ne cessa pas de les louer et de les conserver en plusieurs endroits des Bréviaires, des Missels, ainsi qu’en beaucoup de livres liturgiques, mais encore elle préféra publiquement à quelques livres de saint Jérôme la version des Septante. »

Voilà donc, au fond, la place qu’occupe la version des Septante ; elle domine dans une très-grande partie de la chrétienté, et, où elle ne domine pas, elle s’est conservée dans plusieurs livres et notamment dans celui des Psaumes, de sorte qu’à tout prendre, elle l’emporte encore sur saint Jérôme, en ce qui concerne le rituel.

Pour la forme, indépendamment de l’inspiration divine que l’Église reconnaît aux Septante, et, à ne les considérer qu’au point de vue littéraire, on conçoit que les soixante-douze docteurs, choisis parmi les plus doctes dans les douze tribus, ayant à faire passer les beautés d’une langue alors savante, réservée à la classe cultivée, en la langue grecque devenue populaire et universelle, ont fait leur traduction dans des conditions uniques, pour que la copie reflétât l’original aussi parfaitement que l’exigeait le sujet, et plus parfaitement qu’il n’appartient aux choses humaines. Il leur fut donné de saisir jusqu’aux moindres nuances des deux idiomes, et de trouver toujours les mots grecs les plus heureux, pour rendre la pensée exprimée en hébreu.

En effet, outre le souffle divin, on sent dans l’ensemble de leur œuvre le souffle poétique, et dans le style l’effusion, l’onction, l’énergie de ces hommes de foi, qu’animait le désir et l’espoir de vulgariser pour tout l’Orient le testament, le témoignage de l’alliance que le Seigneur avait faite avec leur peuple, pour qu’il fût un peuple à part parmi les nations que la postérité d’Abraham devait transformer.

Leur mission fut d’ailleurs plus grande qu’eux-mêmes ne l’avaient cru. En mettant la parole divine à la portée de tous avant que la langue de Moïse fût entièrement effacée, ils contribuèrent à maintenir l’unité de la grande Synagogue, de l’Église juive, dont les membres étaient disséminés dans tout l’empire d’Alexandre. Ils entretinrent en elle l’habitude et le besoin des lectures publiques de l’Écriture et des prédications ; ils la préparèrent à recueillir, quand les temps seraient accomplis, l’enseignement des Apôtres. Le grec était alors la langue universelle qui reliait l’Orient et l’Occident ; et c’est grâce aux Septante que les prophéties purent se répandre partout, même chez les païens, et rendre universelle, comme leur idiome, l’attente du Messie. Ils ouvrirent donc d’avance aux Gentils les portes de l’enseignement révélé, qui leur eussent été closes si l’audition de l’Ancien Testament et de ses interprètes leur fût demeurée interdite, s’il ne s’était plus produit, même dans les grands centres de population, que de rares hébraïsants, dont le nombre et le savoir eussent diminué de siècle en siècle.

Ce qu’ont fait les Septante sous la loi nouvelle, Morin l’a dit, et on vient de le lire.

Nous avons conçu la pensée de traduire en français cette version, où, avec la saveur et le coloris du texte original, se trouvent tantôt. les grâces naïves, tantôt la grandeur qui conviennent aux annales du monde naissant, et à la présence de Dieu conversant familièrement avec les hommes.

Notre travail achevé, frappé de notre incompétence en matière théologique, nous eussions hésité à le faire paraître si le R. P. Duley, de l’ordre des Frères Prêcheurs, n’eût acquiescé, avec une simplicité cordiale digne des temps bibliques, à notre demande de collaboration, tant pour l’exégèse que pour le style.

C’est notre œuvre commune que nous offrons au public, après l’avoir soumise aux approbations ecclésiastiques. Puissions-nous attirer enfin l’attention sur ces livres si longtemps négligés, quoique le mot de l’Apôtre leur soit applicable : « In eis vivimus, et movemur, et sumus ; C’est par eux que nous vivons, que nous marchons, que nous sommes [3]. »

  1. Cette édition, vulgairement appelée Romaine, est celle que nous avons suivie.
  2. Sur l’hébreu.
  3. Actes, XVII, 28.