Tragédies de Sophocle (Artaud)/Les Trachiniennes
DÉJANIRE.
UN MESSAGER.
UNE ESCLAVE.
LICHAS.
HYLLOS, fils d'Hercule et de Déjanire.
UNE NOURRICE.
UN VIEILLARD.
CHŒUR DE JEUNES TRACHINIENNES.
HERCULE.
La scène est à Trachine, ville de Thessalie, au pied du mont Œta : elle représente l’entrée du palais habité par Céyx, roi du pays, et par Déjanire.
C’est parmi les hommes un antique adage bien souvent répété, qu’on ne saurait juger de la vie des mortels, et décider si elle est heureuse ou malheureuse, avant leur mort[1]. Mais moi, avant même d’aller chez Pluton, je sais combien la mienne est malheureuse et pénible, moi qui, dans la maison de mon père Œneus, à Pleuron[2], eus plus qu’aucune autre Étolienne de cruelles épreuves à subir, au moment de l’hymen. Pour prétendant j’avais un fleuve, Achéloos[3], qui, sous une triple forme, me demandait à mon père ; tantôt sous la figure d’un taureau tout entier, tantôt dragon à la croupe tortueuse, ou enfin en homme avec un front de taureau, et de sa barbe hérissée coulaient à grands flots les jets d’une source abondante. Dans l’attente de cet époux, malheureuse, j’invoquais toujours la mort, plutôt que de jamais partager sa couche. Mais dans les temps qui suivirent, arriva, au gré de mes vœux[4], le glorieux fils de Jupiter et d’Alcmène, qui entra en lutte avec lui, et me délivra[5]. Les phases diverses de leur combat, je ne saurais les raconter, car je les ignore ; ce serait au témoin indifférent de ce spectacle à en faire le récit. Car pour moi, j’étais frappée de stupeur, dans la crainte que ma beauté ne me fût un jour fatale. Mais enfin Jupiter, arbitre du combat, y donna une heureuse issue, si toutefois je puis l’appeler heureuse ; car depuis le jour où la victoire me fit entrer dans la couche d’Hercule, toujours je nourris de nouvelles alarmes, tremblante sur le sort de mon époux ; chaque nuit tour à tour ramène et emporte l’image de ses dangers. Je lui ai enfanté des fils[6], qu’il a vus à peine une fois, comme le laboureur qui, éloigné de ses champs, ne les visite qu’au temps des semailles et de la moisson. Voilà sa vie continuelle, il ne rentre dans ses foyers que pour en repartir, au service de je ne sais qui[7]. Et maintenant qu’il a accompli tous ses travaux, je suis dans les plus vives alarmes. En effet, depuis qu’il a donné la mort à Iphitos[8], nous vivons exilés ici, à Trachine[9], sous le toit d’un hôte[10], et personne ne sait où il s’est arrêté[11] ; mais moi, il me laisse d’amères angoisses par son départ ; et j’ai lieu de croire qu’il lui est arrivé quelque malheur. Car ce n’est pas une courte absence, mais dix mois et cinq autres encore se sont écoulés sans que j’aie rien appris de lui ; je redoute quelque grand malheur, à en juger par ces tablettes qu’il m’a laissées en partant, et je conjure les dieux qu’elles ne contiennent rien de funeste[12].
Chère maîtresse, ô Déjanire ! tu as déjà versé bien des larmes, exhalé bien des gémissements sur l’absence d’Hercule ; mais aujourd’hui, si les conseils d’une esclave peuvent éclairer ses maîtres, laisse-moi aussi te proposer un avis : comment donc, toi qui as tant d’enfants, n’envoies-tu pas l’un d’eux à la recherche de ton époux ; Hyllos, surtout, qui doit naturellement, s’il a quelque souci de son père, s’enquérir de sa destinée[13] ? Mais le voici lui-même tout proche, il accourt vers le palais ; si donc tu trouves que je parle à propos, tu peux user de son aide et de mes conseils.
Mon enfant, mon cher fils, de la bouche même la plus humble peuvent sortir les plus sages paroles. Car cette femme, tout esclave qu’elle est, m’a parlé le langage d’une personne libre.
(Antistrophe 1.) J’apprends, en effet, que, tourmentée d’inquiétudes, Déjanire, disputée jadis par deux amants, aujourd’hui plaintive comme l’oiseau désolé, ne livre plus aux douceurs du sommeil ses yeux dont les pleurs sont taris, mais tremblante pour son époux absent et toujours pleine de son souvenir, l’infortunée s’inquiète et se consume sur sa couche solitaire, dans l’attente d’un événement fatal. (Strophe 2.) Car, ainsi qu’on voit sur la vaste mer les flots agités en sens contraires par le souffle infatigable du Notos ou de Borée, ainsi la vie d’Hercule est agitée et battue par les orages, comme la mer de Crète[21]. Mais toujours un dieu protecteur le préserve sain et sauf de la demeure de Pluton.
(Antistrophe 2.) Voilà pourquoi je blâme tes plaintes, et je veux les combattre, sans cesser de t’aimer. Car, je le dis, tu ne dois pas renoncer à la douce espérance. En effet, le fils de Saturne, qui gouverne le monde, n’a pas donné aux mortels un sort exempt de peines ; mais la joie et la douleur reviennent aussi régulièrement pour chacun de nous, que les révolutions de l’Ourse autour du pôle.
(Épode.) Rien n’est durable chez les mortels, ni la nuit parsemée d’étoiles, ni les chagrins, ni les richesses ; mais tout passe vite, et chacun est visité tour à tour par la joie et la tristesse. Aussi, reine, je te le dis, conserve toujours cette espérance ; car qui a jamais vu Jupiter si peu soucieux de ses enfants ?
que jamais encore il n’avait jugé à propos de me faire connaître, quand il allait à ses autres combats ; il y marchait alors comme à la victoire, et non à la mort. Mais aujourd’hui il parle en époux expirant, il règle l’héritage auquel j’ai droit pour ma dot, et fait le partage de ses biens entre ses fils, enfin, il marque un terme fatal ; s’il reste, dit-il, un an et trois mois absent de cette contrée, alors dans cet intervalle, il doit mourir ; ou s’il franchit ce terme, il jouira désormais d’une vie exempte de peines[23]. Tel est, dit-il, l’arrêt des dieux sur la fin des travaux d’Hercule ; ainsi parla jadis le chêne antique de Dodone[24], par la voix de deux colombes. Or, nous sommes aujourd’hui au temps même où ces prédictions doivent s’accomplir. C’est là, mes amies, ce qui pendant les douceurs du sommeil me fait tressaillir d’effroi, dans la crainte qu’il ne me faille survivre au plus grand des héros.
obtenir de toi quelque salaire, et mériter ta faveur.
tu nous envoies l’allégresse du moins, après une longue attente. Poussez toutes des cris de joie, ô femmes ! dans le palais, comme au dehors ; jouissons aujourd’hui du bonheur inespéré que fait luire pour moi cette nouvelle[29].
Je me sens enlevée dans les airs[34] ; je ne te quitterai point, flûte sacrée qui maîtrises mon âme. Évoé ! voilà que le lierre dont je suis couronnée me trouble et m’excite aux combats de Bacchus[35]. Pæan ! ô Pæan !
Mais regarde, reine chérie, ce que tu as devant les yeux doit te rassurer.Vendu à Omphale, reine barbare, il resta un an tout entier esclave, comme il le raconte lui-même ; et il conçut de cet affront un tel ressentiment, qu’il jura de punir l’auteur de cet attentat, et de le réduire un jour en servitude avec sa femme et ses enfants. Et sa parole n’a pas été vaine : mais quand il se fut purifié[38], il marcha avec une armée contre la ville d’Eurytos ; car il nommait celui-ci comme la cause unique de son affront ; Eurytos, en effet, qui l’avait reçu dans ses foyers, violant les droits d’une ancienne hospitalité, l’accabla d’outrages et médita contre lui des traitements ignominieux[39], disant qu’Hercule, quoique possesseur de flèches inévitables, le cédait toutefois à ses fils dans l’art des archers[40] ; il lui reprochait de se laisser fouler aux pieds comme un esclave par Eurysthée ; un jour enfin qu’il s’était enivré dans un banquet, il le chassa du palais. Aussi, dans sa colère, Hercule, rencontrant, sur les hauteurs voisines de Tyrinthe[41], Iphitos, qui cherchait les traces de cavales égarées, pendant que ses yeux étaient occupés d’un côté, et son esprit de l’autre, le précipita du haut de la montagne. Le maître de toutes choses, Jupiter, roi de l’Olympe, courroucé de cette action, le fit vendre en esclavage, et ne put souffrir qu’Hercule eût, pour la première fois, fait périr un homme par ruse. S’il l’eût attaqué à force ouverte, Jupiter lui eût pardonné sa juste vengeance ; car les dieux aussi détestent l’injustice. Cependant les fils d’Eurytos, qui se complaisaient insolemment à d’outrageantes paroles, sont tous maintenant dans l’empire de Pluton, et leur ville est esclave ; ces femmes que tu vois, et dont le bonheur s’est changé en des jours misérables, viennent ici pour te servir. Ainsi l’a voulu ton époux, et moi j’exécute ses ordres avec fidélité. Pour lui-même, aussitôt qu’il aura immolé des victimes pures à Jupiter Paternel[42], pour la prise de la ville, sois sûre qu’il viendra ; car de tout ce que je t’ai annoncé d’heureux, c’est là ce qu’il t’est le plus agréable d’entendre.
échappe un jour. Je me sens, en effet, mes amies, saisie d’une pitié profonde, à la vue de ces femmes infortunées, errantes sur une terre étrangère, sans parents, sans asile, qui, issues peut-être de pères libres, traînent aujourd’hui leur vie dans l’esclavage. O Jupiter, qui détournes les malheurs, puissé-je ne jamais te voir étendre ainsi ta main sur ma race, ou qu’au moins, si tu dois le faire, ce ne soit pas de mon vivant ! Telles sont les craintes que m’inspire la vue de ces femmes. O toi[44], jeune et tendre victime, qui es-tu ? vierge, ou mère ? Ton âge semble dire que tu ne portes pas encore ce titre, mais ton extérieur décèle une noble naissance. Lichas, de quelle famille est cette jeune étrangère ? quelle est sa mère ? quel père lui a donné le jour ? Parle, car j’éprouve la plus vive pitié pour elle, qui seule montre une âme si forte dans son malheur.
Omphale, ni le meurtre d’Iphitos[46] ; maintenant Lichas passe cet amour sous silence, et contredit son premier langage. Hercule, n’ayant pu persuader à Eurytos de lui livrer sa fille, pour en faire sa concubine, saisit le prétexte le plus frivole pour envahir avec une armée la patrie de cette jeune fille, où cet Eurytos régnait, disait-il, et occupait le trône[47] ; il tue le roi, son père, et ruine la ville. Et maintenant, comme tu le vois, il rentre dans ses foyers, et envoie devant lui cette jeune fille, non sans de grands égards, et non en esclave, ne le pense pas ; et ce n’est pas vraisemblable, avec la passion dont il brûle pour elle. J’ai donc cru devoir, ô ma maîtresse, te révéler tout ce que je tiens de la bouche même de Lichas. Et cela, un grand nombre de Trachiniens l’ont entendu ainsi que moi sur la place publique, et il serait aisé de le confondre. Si ce que je dis ne t’est point agréable, je le regrette, cependant je n’ai dit que la vérité.
Et nous, devons-nous rester ? ou que faut-il faire ?
pas dit que c’était Iole, fille d’Eurytos ?
il règne à son gré, même sur les dieux ; il règne sur moi-même, comment le nier ? et sur d’autres comme sur moi.Je suis donc une insensée, si je fais un crime à mon époux de la passion qui le dévore, ou si j’accuse cette femme, qui ne m’a fait ni mal ni outrage : il n’en est rien. Mais si c’est par obéissance que tu mens[53], tu fais là un triste apprentissage ; ou si c’est toi-même qui cherches à déguiser la vérité, en voulant rendre service, tu es bien coupable. Dis-moi donc toute la vérité ; car pour un homme libre il est honteux d’être appelé menteur. Quant à me tromper, tu ne peux le prétendre ; une foule de témoins, à qui tu as parlé, sont prêts à m’instruire. Si la crainte te retient, ta peur est mal fondée ; ignorer la vérité, voilà ce qui me serait funeste ; mais qu’y a-t-il de terrible à la savoir ? Hercule n’en a-t-il pas épousé beaucoup d’autres ? Et jamais aucune de ces femmes ne reçut de moi ni une mauvaise parole, ni un outrage. Il en sera de même pour celle-ci, dût-il se consumer d’amour pour elle ; car moi-même j’ai été saisie de pitié, en voyant que sa beauté lui avait été si funeste, et qu’elle était, sans le
vouloir, la cause de la ruine et de l’esclavage de sa patrie[54]. Mais en voilà assez là-dessus[55] : pour toi, je te le dis, tu peux mentir avec tout autre, mais avec moi sois toujours sincère.et reste fidèle à tes promesses. Oui, ce héros, invincible contre tous ses ennemis, s’est laissé subjuguer par cet amour.
se sont disputé Déjanire, avant l’hymen, et quels combats acharnés, parmi des tourbillons de poussière, ils ont livrés pour une telle épouse.
(Antistrophe.) L’un était Achéloos d’Œniade[59], fleuve redoutable, énorme taureau aux cornes menaçantes ; l’autre, venu de Thèbes, la ville de Bacchus, armé d’un arc, de flèches et d’une massue[60], était un héros, fils de Jupiter ; tous deux, enflammés d’amour, s’attaquent avec fureur ; et seule, au milieu de l’arène, la séduisante Vénus préside au combat.
(Épode.) Alors on entendait tour à tour le bruit des coups et des flèches retentir contre les cornes du taureau ; mutuellement entrelacés[61], les deux combattants heurtaient leurs fronts avec une violence terrible, et poussaient des gémissements[62]. La belle et tendre vierge, assise près du rivage, sur un lieu élevé, attendait son époux. Et moi, je redis ce que m’a raconté ma mère[63] ; la jeune fille attendait tristement l’issue du combat dont elle était le prix, puis elle s’éloigna de sa mère, comme une génisse délaissée.
par hasard, au moyen de ce philtre, je puis triompher de ma rivale, et ramener Hercule par ce charme, le voici tout préparé, si mon entreprise ne vous paraît pas vaine ; sinon, je renoncerai à mon projet.
précieux, comme un don de ma main[68]. En le donnant, avertis-le qu’aucun mortel ne le revêtisse avant lui, il ne doit être vu ni de la clarté du soleil, ni de l’enceinte sacrée[69], ni du foyer domestique, avant le jour où il paraîtra devant les dieux pour leur immoler des taureaux[70]. Car j’ai fait vœu que, si jamais je le voyais ou le savais sain et sauf dans le palais, je le revêtirais solennellement de cette tunique, et il offrirait aux dieux un sacrifice dans une robe nouvelle[71]. Et pour confirmer ce message, tu lui porteras un signe qu’il reconnaîtra aisément, puisqu’il y verra l’empreinte de ce cachet. Pars donc, et en messager fidèle, observe avant tout la loi de ne rien ajouter aux ordres que tu as reçus ; par là, tu mériteras à la fois ma bienveillance et celle d’Hercule.
(Antistrophe 1 .) La flûte aux sons mélodieux va bientôt vous faire entendre ses accents retentissants, qui n’ont rien de discordant, mais qui, accompagnée des chants sacrés, égale la douceur de la lyre. Car le fils de Jupiter et d’Alcmène revient dans son palais, chargé de dépouilles conquises par son courage :
(Strophe 2.) Tandis qu’il errait sur les mers, loin de sa patrie, nous sommes restées douze mois entiers à l’attendre, sans rien savoir de lui. Hélas ! sa triste épouse, le cœur accablé de douleur, se consumait sans relâche dans les larmes ! Mais enfin Mars[74], en terminant la guerre d’Œchalie, l’a délivrée des peines qui affligeaient ses jours.
(Antistrophe 2.) Qu’il revienne, qu’il revienne ; que son vaisseau, poussé par mille rames, ne s’arrête qu’après avoir atteint notre port, et qu’abandonnant cette île[75] où il sacrifie, il arrive, appelé par nos vœux[76], le cœur changé par ce charme séducteur, selon la promesse du centaure !
souvenir ineffaçable, comme si elles avaient été gravées sur une table d’airain ; il me recommanda, et je l’ai fait exactement[79], de garder ce sang dans le réduit le plus secret, loin de la flamme et des rayons du jour, jusqu’au moment où je l’appliquerais fraîchement. Je me suis conformée à ses prescriptions ; et aujourd’hui, voulant m’en servir, je me suis retirée à l’écart, et j’ai teint une tunique avec la toison arrachée à une brebis de nos troupeaux, j’ai ensuite plié cette tunique, et l’ai renfermée dans un coffre, sans l’exposer à la lumière du soleil, pour l’envoyer à Hercule, comme vous l’avez vu. Mais en rentrant, je vois un prodige incroyable, incompréhensible pour l’homme : ces flocons de laine arrachés à la brebis pour teindre la tunique[80], je les avais jetés par mégarde au grand air, aux rayons du soleil ; à peine échauffés, ils se dissipent et se réduisent en poussière, assez semblable à celle du bois coupé par la scie ; et sur la terre où ils gisaient, bouillonnait une écume qui se figeait, comme de la grappe mûre jaillit l’épaisse liqueur de la vigne consacrée à Bacchus. Dans ma détresse, je ne sais que penser, et déjà je me vois coupable de quelque crime affreux. Quelle raison, en effet, aurait eue ce monstre, en mourant, de me montrer de l’affection, à moi qui causais sa mort ? Non ; mais il m’a flattée d’espoir, afin de perdre celui qui l’avait percé de ses flèches. Hélas ! je le comprends trop tard, quand le mal est sans remède. C’est moi seule, infortunée, si mon pressentiment ne m’abuse, qui l’aurai fait périr ! Je sais, en effet, qu’une de ses flèches causa d’insupportables douleurs à Chiron[81], qui était immortel, et qu’elles donnent la mort à toutes les bêtes sauvages qu’elles atteignent ; comment donc échapperait-il au venin qui découla de la blessure du monstre, du moins autant que j’en puis juger ? Mais je suis résolue, s’il lui arrive malheur, de mourir aussi, du même coup. Car vivre déshonorée n’est pas supportable, pour une femme qui préfère à tout le renom d’une âme bien née.
réservées aux dieux, il s’arrêta en Eubée, sur le cap Cénée battu des deux côtés par les flots, où il éleva des autels à Jupiter[85] son père, et les orna de feuillage, et c’est là que j’eus le bonheur de le voir, après l’avoir si longtemps désiré. Au moment où il allait faite couler sur l’autel le sang des victimes, arriva le héraut Lichas, apportant ton présent, la tunique mortelle. Hercule la revêtit selon ton désir ; il immole douze taureaux superbes[86], prémices de ses dépouilles, puis il présente aux autels d’autres victimes, en tout, cent de toute espèce. Et d’abord l’infortuné, le cœur joyeux, satisfait de sa nouvelle parure, adressait aux dieux ses prières ; mais à peine la flamme du sacrifice s’éleva-t-elle du bûcher pour consumer les victimes, la sueur coule de son corps, la tunique s’attache à ses flancs et se colle sur sa chair[87] ; une douleur cuisante pénètre jusqu’à la moelle de ses os, puis un venin mortel comme celui de l’hydre fatale dévore ses membres. Alors il appelle le malheureux Lichas, qui était innocent de ton crime, et lui demande par quelle trahison il lui a apporté cette tunique ; l’infortuné, qui ne savait rien, répond que le présent venait de toi seule, qui l’avais chargé de l’apporter. En ce moment, une convulsion violente déchire les entrailles d’Hercule, il prend Lichas par le talon[88], et le lance contre un rocher battu par les flots ; de sa tête entr’ouverte, la cervelle jaillit sur sa chevelure avec le sang. Tout le peuple jette un cri lamentable, à la vue de Lichas broyé et d’Hercule en délire, et personne n’osait l’approcher, il se roulait à terre, puis se relevait en poussant des cris aigus, qui faisaient retentir les rochers d’alentour, les montagnes escarpées des Locriens et les promontoires de l’Eubée. Enfin épuisé, l’infortuné, tantôt retombant à terre, tantôt jetant des cris affreux, maudit le funeste hymen qui l’unit à toi, malheureuse, et cette alliance avec Œneus, devenue le fléau de sa vie ; puis, levant ses yeux hagards et troublés[89], il m’aperçoit dans la foule où je fondais en larmes, et m’appelle : « Viens, mon fils, ne me fuis pas dans mon malheur, dusses-tu expirer avec moi ; enlève-moi de ces lieux, et surtout dépose-moi en un lieu où nul mortel ne puisse me voir ; mais si tu as quelque pitié, porte-moi au plus tôt loin de cette ile, ne me laisse pas mourir ici. » Après cette demande, nous le plaçons sur un esquif, et nous l’avons à grand’peine amené sur ces bords, rugissant au milieu des convulsions ; vous allez le voir tout à l’heure, ou vivant encore, ou venant d’expirer. Tel est, ô ma mère, l’attentat que tu as médité et accompli contre mon père ; puisse la Justice vengeresse, puisse Érinnys en tirer le châtiment mérité, s’il m’est permis de former un pareil vœu ! Oui, je le puis, car tu as la première violé tout devoir, en faisait périr le plus grand des hommes qui aient paru sur la terre, et dont tu ne verras jamais l’égal.
rien d’une mère ? Qu’elle parte donc contente ; le bonheur qu’elle a donné à mon père, puisse-t-elle l’obtenir à son tour !
(Antistrophe 1.) Si la perfidie fatale du centaure l’enveloppe des ombres du trépas[93], en livrant ses flancs au poison enfanté par la mort et par l’hydre monstrueuse, comment pourrait-il voir encore la lumière, lorsque le sang de l’hydre terrible le consume, et que le venin meurtrier du centaure à la noire crinière, mêlé dans ses veines, dévore ses entrailles[94] ?
(Strophe 2.) Cette infortunée, imprévoyante de ces effets funestes, et voulant prévenir le malheur dont la menaçait ce nouvel hymen, ne remarqua pas que ces conseils partaient d’une âme ennemie, dont le commerce devait être fatal ; et maintenant la malheureuse gémit, elle verse des torrents de larmes ; mais le destin s’avance et révèle un grand désastre perfidement préparé.
(Antistrophe 2.) Une source de larmes s’est ouverte, le mal se répand et s’accroît ; ô dieux ! jamais le noble fils de Jupiter n’eut à souffrir de ses ennemis mêmes des maux si dignes de pitié. O trop funestes armes, qui, renversant les murs élevés d’Œchalie, amenèrent ici cette jeune captive ! Mais c’est Vénus qui, en servant secrètement leurs amours, a été la cause[95] véritable de tous ces maux.
Bien certainement j’entends des cris, ce sont des cris de douleur ; il est arrivé quelque chose de nouveau dans cette demeure.
Mais vois cette vieille qui s’avance vers nous, le visage attristé, le front obscurci ; elle nous apprendra ce qui se passe.
Déjanire à se frapper, pour se punir d’avoir été induite par le Centaure à cet acte odieux. Alors, ce fils infortuné, donnant un libre cours à ses larmes, ne cessait de gémir et de la couvrir de ses baisers, puis il se jetait auprès d’elle, et restait étendu à ses côtés, se désolant de l’avoir injustement accusée[101], et d’être à la fois privé de sa mère et de son père pour le reste de sa vie. Telles sont leurs infortunes. Celui donc qui compte sur deux ou plusieurs jours de vie est insensé, car on n’est pas sûr même du lendemain, avant d’avoir heureusement passé le jour présent.
(Antistrophe l.) Ici, nous avons un douloureux spectacle, là une attente cruelle ; spectacle ou attente également déplorables.
(Strophe 2.) Puisse un vent favorable, soufflant sur nos demeures, m’enlever loin de ces lieux[102], de peur que la seule vue du vaillant fils de Jupiter ne me fasse mourir aussitôt de terreur ! Car on dit qu’il revient devant ce palais, déchiré par des souffrances incurables, triste objet d’effroi !
(Antistrophe 2.) Il est donc près de nous, et son approche me fait gémir comme le rossignol plaintif. Voici, en effet, un cortège inaccoutumé d’étrangers. Où le portent-ils ? avec une sollicitude amie, ils s’avancent d’un pas lent et silencieux. Hélas ! il est lui-même sans voix. Que dois-je penser ? est-il mort, ou sommeille-t-il ?
(Ici l’on voit s’avancer le cortège qui accompagne le corps d’Hercule, que l’on apporte endormi sur le devant de la scène.)
les envoie.
Hésites-tu à me le donner ? refuserais-tu de me complaire ?
avant que ce mal ne se réveille, mets à ma bouche un frein d’airain, et comprime tes cris, pour accomplir avec joie, toute pénible qu’elle est, cette dernière épreuve.
DES TRACHINIENNES.
Sed videamus Herculem ipsum, qui tum dolore frangebatur, quum immortalitatem ipsa morte quærebat. Quas bic voces apud Sophoclem in Trachiniis edit ? Cui quum Dejanira sanguine Centauri tinctam tunicam induisset, inhæsissetque ea visceribus, ait ille :
- ↑ Le scholiaste reproche ici un anachronisme à Sophocle, pour avoir mis dans la bouche de Déjanire une sentence attribuée à Solon. (V. Hérodote, I, 32, et 86.) Mais Balzac observe très-bien que le sens commun est antérieur à tous les philosophes. La même pensée termine l’Œdipe Roi. Elle a été reproduite aussi par Euripide, Andromaque, 100 ; Troyennes, 517 ; par Ovide, Mét. III, 135 ; et par d’autres.
- ↑ Ville d’Étolie.
- ↑ Fleuve qui sépare l’Étolie de l’Acarnanie, et se jette dans la mer Ionienne.
- ↑ Ἀσμένη δέ μοι ἤλθε : cette élégante expression se trouve aussi dans la Paix d’Aristophane, v. 582 : ὡς ἀσμένοις ἡμῖν ἤλθες ! « combien ta venue nous est agréable ! »
- ↑ En effet, Œneus, père de Déjanire, avait résolu de donner sa fille au vainqueur d’Achéloos.
- ↑ Le scholiaste nous dit leurs noms : Hyllos, Ctésippos, Glénos, Oditès.
- ↑ On sait les travaux qu’Eurysthée, roi de Mycènes, imposa à Hercule. Et de plus, il s’était mis au service d’Augias et de Laomédon.
- ↑ Hercule s’était exilé, selon l’usage, pour expier son crime involontaire. Iphitos était fils d’Eurytos, roi d’Œchalie.
- ↑ Ville de la Phthiotide, en Thessalie, au pied du mont Œta et près du golfe Maliaque.
- ↑ Céyx, roi de Trachine.
- ↑ Le récit de Lichas, aux vers 248 et suivants, fera connaître l’exil d’Hercule chez Omphale, qui lui fut imposé par Jupiter.
- ↑ Ces tablettes, dont Déjanire ne dit ici qu’un mot, et qu’elle fera connaître avec plus de détails, v. 155-165, contenaient le testament d’Hercule.
- ↑ Littéralement : « s’il passe pour jouir d’un heureux sort. »
- ↑ Omphale, comme on le verra plus bas.
- ↑ Œchalie, ville de Thessalie, dans Homère. Mais plus tard les poètes en mirent une dans l’Eubée.
- ↑ Le même vers se trouve dans les Phéniciennes d’Euripide, v. 707, avec la seule différence de ταῦτα, pour μῆτερ.
- ↑ Il sera question de ces oracles aux vers 822 et suivants.
- ↑ L’édition de Dindorf supprime ces deux vers : au contraire, l’édition de F. Didot supprime les deux vers suivants. J’ai adopté la ponctuation de M. Boissonade.
- ↑ Il entend ici la Grèce et l’Asie.
- ↑ Ainsi Antigone, v. 879, appelle le soleil l’œil sacré de la lumière. Dans les Nuées, v. 285, « l’œil infatigable de l’éther. » Eschyle, dans les Perses, v. 428, appelle la lune l’œil de la nuit.
- ↑ Littéralement : « une sorte de mer de Crète possède Hercule, et accroît les travaux de sa vie. » Horace parle aussi des tempêtes de la mer de Crète. Od. l. I, 26 :
Tristitiam et metusTradam protervis in mare CreticumPortare ventis.
- ↑ C’est l’idée que Racine a développée dans Andromaque, acte III, sc. 4 :
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ;Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,En quel trouble mortel son intérêt nous jette,Lorsque de tant de biens qui pourraient nous flatter,C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.
- ↑ Les éditions de Dindorf et de F. Didot suppriment ces trois derniers vers.
- ↑ Sur l’oracle de Dodone, voyez Iliade, XVI, 233-53 et II, 750 ; Odyssée, XIV, v. 327-8 ; Hérodote, II, c. 56 et 57. Hésiode avait aussi parlé du chêne sacré des Pélasges à Dodone, dans un fragment conservé par Strabon, l. VII. Voir aussi Religions de l’antiquité, par Guigniaut, t. II, p. 536 et suivantes.
- ↑ Les messagers, porteurs d’heureuses nouvelles, se couronnaient la tète. Voir Œdipe Roi, v. 82 ; Agamemnon d’Eschyle, v. 493 ; Hippolyte d’Euripide, v. 806 ; Plutus d’Aristophane, v. 757.
- ↑ Les prémices du butin étaient consacrées aux dieux. Virgile, Énéide, XI, v. 15 :
Hæc sunt spolia et de rege superboPrimitiæOvide, Fast III, 729 :Te memorant, Gange totoque Oriente subacto,Primitias magno seposuisse Jovi.
- ↑ Ville de Thessalie, près de Trachine.
- ↑ ῍Ατομον, intacte : qui jamais n’avait reçu l’atteinte de la faux, ni des troupeaux. Telle est aussi la prairie consacrée à Diane, dont parle Hippolyte, v. 73 et suivants, dans Euripide.
- ↑ Littéralement : « car nous jouissons à présent de la lumière inespérée de cette nouvelle, qui s’est levée pour moi. » ῍Ομμα φήμης, expression hardie, comme il s’en trouve souvent dans Sophocle. — Voir la note sur le vers 304 de Philoctète.
- ↑ Pindare, Pythiq. IX, 45, appelle Apollon εὐρυφαρέτρας.
- ↑ Pæan, nom d’Apollon, comme dieu qui guérit.
- ↑ Nom de l’île de Délos.
- ↑ ᾿Αμφιπυρον, qui porte une torche dans chaque main. C’est un attribut d’Hécate. (Voir Œdipe Roi, v. 198, et les Grenouilles d’Aristophane, v. 1406.)
- ↑ Ce passage prouve que le Chœur dansait aussi en chantant. Voyez aussi Ajax, v. 701 et suivants.
- ↑ C’est-à-dire à la danse.
- ↑ Du nom de Cénée, promontoire de l’Eubée.
- ↑ Ζὲυς ὅτου πράκτωρ φανῆ. Plus bas, v. 680, nous verrons encore : Κύπρις τῶν δ᾽έφάνη πράκτωρ. Cette expression est imitée des Euménides d’Eschyle, v. 319-320 :
Πράκτορες αῖματοςΑὺτῷ τελέως ὲφάνημεν.
- ↑ Du meurtre d’Iphitos. Voir plus haut, v. 38.
- ↑ Voyez un peu après, vers 268.
- ↑ Eurytos était lui-même habile archer, d’après l’Odyssée, VIII, v. 224. V. aussi Théocrite, Idyll. 24, v. 103 et suivants.
- ↑ Ville de l’Argolide, près d’Argos, non loin du golfe Argolique.
- ↑ On sait que Jupiter était le père d’Hercule. Voyez plus bas, v. 753, où πατρῴῳ Διὶ est employé dans ce sens. Mais ici l’épithète a un caractère plus général,comme dans l’Électre d’Euripide, v. 671. Au vers l468 des Nuées, Strepsiade engage son fils à révérer Jupiter paternel ; sur quoi Phidippide répond qu’il le trouve bien arriéré, ὰρχαῖος.
- ↑ Les captives qu’Hercule a envoyées à Déjanire.
- ↑ Ici, Déjanire s’adresse à la jeune Iole.
- ↑ Ces paroles indiquent bien clairement que ce personnage est le même qui est venu précédemment informer Déjanire, de la prochaine arrivée d’Hercule, nouvelle qu’il tenait de Lichas.
- ↑ Ces deux vers sont supprimés dans les éditions de Dindorf et de F. Didot.
- ↑ Même observation pour les vers qui précèdent.
- ↑ Allusion ironique aux paroles de Lichas. Voir plus haut, vers 317.
- ↑ C’est-à-dire, dont tu prétends ne pas connaître la naissance. — Voyez au commencement de la scène, v. 401.
- ↑ Omphale, et le désir de se venger de son esclavage.
- ↑ Littéralement : « et qu’il n’est pas dans la nature de cette condition humaine, que les mêmes soient toujours heureux. »
- ↑ Littéralement : « quiconque veut, comme un lutteur, en venir aux mains avec l’amour. »
- ↑ Plus exactement : « si c’est de lui que tu apprends à mentir. » et deux vers plus bas : « Mais si c’est toi qui te l’enseigne à toi-même... »
- ↑ Sénèque le tragique a imité ce passage dans Herc. Œt., v. 219 :
Proh, sæve dolor,Formaque mortem paritura mihi :Tibi cuncta domus concidit uni.
- ↑ Littéralement : « que ceci soit livré au cours des vents. »
- ↑ Epicharme, le premier, a dit :
Θνατὰ χρὴ τὸν θνατὸν, οὺκ ὰθάνατα τὀν θνατὁν φρονεὶν.« Mortel, tu dois conserver les sentiments d’un mortel, et non d’un immortel. »
- ↑ Le Chœur fait allusion à l’enlèvement de Proserpine. Sénèque a imité ce passage. Herc. Œt., v. 558 :
Tu fulminantem sæpe domuisti Jovem,Tu furva nigri sceptra gestantem poli,Turbæ ducem majoris, et dominum Stygis.
- ↑ Allusion au passage d’Homère cité par Longin, Iliade, XX, 57 et suivants.
- ↑ Ville de l’Acarnanie, non loin de l’embouchure de l’Achéloos.
- ↑ Virgile, Énéide, VIII, 220 :
Rapit arma manu, nodisque gravatumRobur.
- ↑ ᾿Αμφιπλεκτοι κλἱμακες, sorte de lutte qui consistait à saisir l’adversaire par derrière, et à grimper sur son dos comme par une échelle. Ovide, Métam. IX, 51, décrit ainsi la lutte des deux champions :
QuartoExuit amplexus, adductaque brachia solvit :Impulsumque manu (certum mihi vera fateri)Protinus avertit, tergoque onerosus inhæsit.Si qua fides, neque enim ficta mihi gloria voceQuæritur, imposito pressus mihi monte videtur.
- ↑ Cicéron, Tusculanes ; II, c. 23, donne l’explication de ces gémissements : « Pugiles vero, etiam quum feriunt adversarium, in jactandis cæstibus ingemiseunt ; non quod doleant, animo ve succumbant, sed quia profandenda voce omne corpus intenditur, venitque plaga vehementior. »
- ↑ Cette opposition des jeunes Trachiniennes, qui ne connaissent l’amour que par les récits maternels, avec Déjanire, qui n’avait pas même les consolations de sa mère, n’est pas sans délicatesse.
- ↑ ᾽Εμπόλημα, emplette.
- ↑ Fleuve d’Étolie, qui baigne Calydon.
- ↑ L’aventure du Centaure avec Hercule et Déjanire est racontée par Apollodore, l. II, c. 7, 6 ; Ovide, Métam. 10, 104-133 ; Sénèque, Herc. Œt., 499-534.
- ↑ Hercule avait traversé le fleuve avant Déjanire. Ovide, ibid. :
Nam clavam et curvos trans ripam miserat arcus...Jamque tenens ripam, missos dum tolleret arcus,Conjugis agnovit vocem.Le récit de Sénèque est différent.
- ↑ Sénèque, Herc. Œt., 570 :
Fidele semper regibus nomen, Licha,Cape hos amictus nostra quos nevit manus.
- ↑ L’enceinte qui entourait l’autel.
- ↑ Littéralement : « avant que paraissant lui-même en public, il ne le montre aux dieux, le jour où il immolera des taureaux. »
- ↑ « Et de le montrer aux dieux, sacrificateur nouveau, dans un nouveau vêtement. » — C’était un usage chez les anciens, de revêtir des habillements nouveaux, ou nouvellement lavés, quand on offrait des sacrifices.
- ↑ Épithète homérique, Iliade, XIV, 183.
- ↑ Chaque mot de cette strophe contient un détail caractéristique pour la topographie des contrées voisines de Trachine. Ainsi on y voit figurer le mont Œta, le golfe Maliaque, l’Artémisium, détroit formé par la côte de la Thessalie et l’île d’Eubée, sur laquelle s’élevait le temple de Diane ; enfin les Thermopyles, où se trouvaient des sources d’eaux chaudes, et où se tenaient les assemblées des Amphictyons (Hérodote, VII, 200). — Ici le poète a étendu jusqu’aux Thermopyles et au pays de Trachine la circonscription de l’Artémisium, que les géographes ont beaucoup plus restreinte. — Qu’on nous permette, pour tout commentaire, une courte citation d’Hérodote (l. VII, 176) : « Les Thermopyles touchent, du côté du couchant à une montagne absolument impraticable, remplie de précipices, et qui se rattache à l’Œta. Du côté de l’orient, le chemin est borné par la mer et par des marais. Dans l’intérieur du défilé, on trouve des bains d’eaux chaudes, que les naturels du pays appellent les Chytres (chaudières ou baignoires), et l’on voit près de ces bains un autel consacré à Hercule. »
- ↑ Οἱστρηθεἱς, furieux. — Dindorf et Ahrens donnent στρωθεὶς, qui signifie au contraire apaisé, calmé.
- ↑ L’Eubée.
- ↑ Πανἰμερος, au lieu de πανάμερος.
- ↑ Littéralement : « une confiance non justifiée par la certitude. »
- ↑ « Par aucun des gens de la maison. »
- ↑ Ce vers est supprimé dans les éditions de Dindorf et de F. Didot.
- ↑ Vers également supprimé dans les mêmes éditions.
- ↑ Sur la blessure de Chiron, l’on peut lire le récit d’Ovide, Fastes, l. V, v. 387 et suivants, et Apollodore, bibl. II, c. 5.
- ↑ ᾽Οργὴ πέπειρα, mollis, mitis : métaphore tirée des fruits que la maturité amollit.
- ↑ Le texte ajoute : « je préférerais une de ces trois choses.... »
- ↑ Dans Ajax, v. 377, le Chœur exprime la même pensée. Le scholiaste cite aussi ce passage de Pindare, Olymp. II, v. 29 : « Le temps même, le père de tous les êtres de tous les êtres, ne saurait anéantir les actions accomplies, justes ou injustes. »
- ↑ Plus haut, v. 236-7, Lichas a rapporté les mêmes faits, à peu près dans les mêmes termes. Pour πατρώω Διὶ, voyez la note sur le vers 288.
- ↑ Ἐντελεῖς, sans défaut. — On ne pouvait immoler, dans les sacrifices, que des victimes sans tache.
- ↑ Le texte ajoute : ῶστε τεκτονος, c’est-à-dire, comme les draperies d’un statuaire sont adhérentes au corps ; comparaison appropriée au goût d’un public chez qui le sentiment des arts était développé au plus haut degré. Voir Alceste v. 349.
- ↑ Littéralement : « par le pied, là où s’attache l’articulation. »
- ↑ Le texte dit : « par la fumée : » sans doute celle du sacrifice. »
- ↑ Le texte ajoute : « avec ton accusateur. » Ce départ silencieux et inopiné de Déjanire, qui va bientôt se donner la mort, est plus éloquent que toutes les paroles. Telle est aussi la sortie de Jocaste, dans l’Œdipe Roi, v. 1061. (Voy. encore Antigone, v. 1238.)
- ↑ Dans l’Électre d’Euripide, v. 1154, on trouve δεκέτεσι σποραῖσιν, après dix semailles.
- ↑ La contradiction que l’on croit voir ici avec des passages précédents, où il s’agit de quinze mois, et non de quinze années, s’explique par un oracle que cite Apollodore (II, 4, 12), et qui annonçait qu’Hercule verrait après douze ans le terme de ses travaux.
- ↑ Φονίᾳ νεφέλᾳ χρίει est ici l’équivalent de l’expression d’Homère,
Θανὰτον μελαν νέφος ὰμφεκὰλυψεν,dans l’Iliade, XVI, v. 349 ; a l’Odyssée, IV, v. 180.
- ↑ Il y a dans le texte κέντρ´ ἐπιζέσαντα, les aiguillons qui le brûlent.
- ↑ Πράκτωρ. Voir plus haut la note sur le vers 251.
- ↑ Littéralement : « Elle est partie pour le dernier des voyages, d’un pied immobile »
- ↑ Le Chœur appelle ici Déjanire αἰχμᾷ βέλεος κακοῦ, la pointe d'un trait funeste, parce qu'elle a donné la mort à Hercule, au moyen de cette tunique teinte du sang du Centaure, empoisonnée par la flèche du héros.
- ↑ Quelques traits de ce récit ont été reproduits par Virgile, lorsqu’il peint les derniers moments de Didon (Æn., ch. IV, v. 645 et suivants) :
Altos.Conscendit furibunda rogos...Incubuitque toro, dixitque novissima verba.
- ↑ On peut comparer toute ce passage avec le récit de la mort de Polyxène, dans Hécube, v. 564 et suivants.
- ↑ Ainsi, dans l’Odyssée, IX, 301 :
Πρὁς στῆθος, ὃθι φρένες ἥπαρ ἒχουσεν.
- ↑ ῍Ως νιν ματαίως αἰτίᾳ βάλοι κακῇ: la même expression se retrouve dans Œdipe Roi, v. 656-7.
- ↑ Les exemples de pareils vœux, de la part des malheureux, sont fréquents dans les poètes. Odyssée, XX, v. 63. Eschyle, Suppliantes, v. 792 et suiv. Hippolyte, v. 729 et suiv. Ion, v. 795 et suiv.
- ↑ Le texte dit : « en mordant tes lèvres. »
- ↑ J’adopte, avec Hermann, le point d’interrogation, qui seul donne à cette phrase un sens raisonnable.
- ↑ On trouve un vœu semblable, dans Philoctète, v. 747-9.
- ↑ Littéralement : « frappe-moi à la clavicule. »
- ↑ Voir encore Philoctète, v. 794-5, et 1040-2.
- ↑ Tout ce passage, dans lequel Hercule mourant exhale ses plaintes, a été traduit par Cicéron, Tusculanes, II, 8-9, jusqu’au vers 1103 ; on trouvera cette imitation à la fin de la pièce. On peut en rapprocher aussi l’imitation d’Ovide, Métam. IX, 176-204.
- ↑ Allusion au soulagement qu’il procura au géant Atlas, fatigué de porter le ciel sur ses épaules.
- ↑ Avant Sophocle, Eschyle avait dit dans Agamemnon', v. 1580 :
Ἰδὡν ύφαντοῖς ἐν πέπλοις ἘρινύωνΤὸν άνδρα τόνδε κεἰμενον.Cicéron traduit ainsi :Hac me irretivit veste furiali inscium.Le mot ἁμφίβληστρον, qui désigne ici la tunique, est employé par Eschyle, Choéphores, v. 492.
- ↑ Ἀφράστῳ, inexprimable, inexplicable, mystérieux. C’est ce que plus bas vers 1104, il appelle τυφλῆν ἄτην, un poison insaisissable
- ↑ Cicéron a resserré ce passage en deux vers :
Heu ! virginalem me ore ploratum edere.Quem vidit nemo ulli ingemiscentem malo ?
- ↑ Sénèque, Herc. Œt., 1277 :
Urit ecce iterum fibras,Incaluit ardor : unde nunc fulmen mihi ?
- ↑ Sophocle suit ici Hésiode, qui fait naître Cerbère d’Échidna et de Typhon, ainsi que Hygin, dans son préambule : mais dans l’Œdipe à Colone (v. 1574), il lui donne une autre origine.
- ↑ Sur les nymphes Hespérides, v. Hésiode, Théogonie, v. 214, et l’Ènéide, IV, v. 480 et suivants.
- ↑ Δός μοι σεαυτὸν, « livre-toi à moi. » Comme Térence, Adelphes, acte V, sc. 3, v. 32 : Da te hodie mihi.
- ↑ Dans l’Hercule furieux d’Euripide, v. 339, Amphitryon dit de même :
΅Ω Ζεῦ, μάτην άρ᾿ όμόγαμον σ᾽ἑκτησαμην.« O Jupiter, c’est donc en vain que tu as partagé ma couche nuptiale ! »
- ↑ On a vu, au vers 270, que Tyrinthe était sur le golfe Argolique.
- ↑ Les enfants d’Hercule étaient très-nombreux ; Apollodore, l. II, c. 7 et 8, en compte soixante-douze, dont il donne les noms.
- ↑ Prêtres de Jupiter, à Dodone. Ces détails sont pris de l’Iliade, XVI, 235 — Voir plus haut, la note sur le vers 172.
- ↑ Littéralement : « deviens le fils d’un autre père, et ne sois plus appelé le mien. »
- ↑ Littéralement : « bientôt, à ce qu’il semble, tu diras que tu es saisi par ton mal. »
- ↑ Platon, dans le Phédon, cite un passage de l’Odyssée, XX, v. 17, où Ulysse apostrophe aussi son cœur.
- ↑ Ici, le reproche s’adresse à Jupiter.
- ↑ Un manuscrit de Brunck, et les anciennes éditions attribuaient ces quatre derniers vers au Chœur, dans la personne des coryphées parlant ainsi aux jeunes filles qui composent. Mais Hermann a prétendu que c’est Hyllos qui continue, et il est suivi par Bothe, Dindorf et Ahrens. Cependant, il n’y a nulle raison de manquer à l’usage constant de terminer le drame par les paroles du Chœur, auquel il appartient de servir d’organe au poète ; et de plus, après les amers reproches que vient d’adresser aux dieux le jeune Hyllos, blessé dans sa tendresse filiale, par la mort de sa mère et de son père, c’est le Chœur qui doit manifester, eu finissant, l’impression religieuse de l’action tragique, et rappeler que, même parmi ces luttes terribles du Destin, prévalait toujours l’ordre du monde réglé par les dieux.