Traité élémentaire de chimie/Partie 1/Chapitre 9

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CHAPITRE IX.


De la quantité de calorique qui se dégage des différentes espèces de combustion.


Nous avons vu qu’en opérant une combustion quelconque dans une sphère de glace creuse, & en fournissant pour l’entretenir de l’air à zéro du thermomètre, la quantité de glace fondue dans l’intérieur de la sphère, donnait une mesure, sinon absolue, du moins relative des quantités de calorique dégagé. Nous avons donné, M. de la Place & moi, la description de l’appareil que nous avons employé dans ce genre d’expériences. Voyez Mémoires de l’Acad. des Sciences, année 1780, page 355. Voyez aussi la 3e partie de cet Ouvrage. Ayant essayé de déterminer les quantités de glace qui se fondoient par la combustion de trois des quatre substances combustibles simples, savoir, le phosphore, la carbone & l’hydrogène, nous avons obtenu les résultats qui suivent.

Pour la combustion d’une livre de phosphore,.... 100 livres de glace.

Pour la combustion d’une livre de carbone,........ 96 liv... 8 onces.

Pour la combustion d’une livre de gaz hydrogène, 295 livres 9 onces 3 gros & demi.

La substance qui se forme par le résultat de la combustion du phosphore, étant un acide concret, il est probable qu’il reste très-peu de calorique dans cet acide, & que par conséquent cette combustion fournit un moyen de connoître, à très-peu de chose près, la quantité de calorique contenue dans le gaz oxygène. Mais quand on voudroit supposer que l’acide phosphorique retient encore une quantité considérable de calorique, comme le phosphore en contenoit aussi une portion avant la combustion, l’erreur ne pourroit jamais être que de la différence, & par conséquent de peu d’importance.

J’ai fait voir, page 60, qu’une livre de phosphore en brûlant absorboit 1 livre 8 onces d’oxygène ; & puisqu’il y a en même temps 100 livres de glace fondue, il en résulte que la quantité de calorique contenue dans une livre de gaz oxygène, est capable de faire fondre 66 livres 10 onces 5 gros 24 grains de glace.

Une livre de charbon en brûlant ne fait fondre que 96 livres 8 onces de glace ; mais il s’absorbe en même temps 2 livres 9 onces 1 gros 10 grains de gaz oxygène. Or, en partant des resultats obtenus dans la combustion du phos-phore, 2 liv. 9 onc. 1 gros 10 grains de gaz oxygène, devroient abandonner assez de calorique pour fondre 171 livres 6 onces 5 gros de glace. Il disparoît donc dans cette expérience une quantité de calorique qui auroit été suffisante pour faire fondre 74 liv. 14 onc. 5 gros de glace ; mais comme l’acide carbonique n’est point, comme le phosphorique, dans l’état concret après la combustion, qu’il est au contraire dans l’état gazeux, il a fallu nécessairement une quantité de calorique pour le porter à cet état, & c’est cette quantité qui se trouve manquante dans la combustion ci-dessus. En la divisant par le nombre de livres d’acide carbonique qui se forment par la combustion d’une livre de charbon, on trouve que la quantité de calorique nécessaire pour porter une livre d’acide carbonique de l’état concret à l’état gazeux, feroit fondre 20 liv. 15 onces 5 gros de glace.

On peut faire un semblable calcul sur la combustion de l’hydrogène & sur la formation de l’eau ; une livre de ce fluide élastique absorbe en brûlant 5 liv. 10 onc. 5 gros 24 grains d’oxygène, & fait fondre 295 livres 9 onces 3 gros & demi de glace.

Or, 5 liv. 10 onces 5 gros 24 grains de gaz oxygène, en passant de l’état aériforme à l’état solide, perdroient, d’après les résultats obtenus dans la combustion du phosphore, assez de calorique pour faire fondre une quantité de glace égale à

  liv. onc. gros.
  377 12 3
Il ne s’en dégage dans la combustion du gaz hydrogène que 295 2 3 ½
 
Il en reste donc dans l’eau qui se forme, lors même qu’elle est ramenée à zéro du thermomètre, 82 9 7 ½

Or, comme il se forme 6 liv. 10 onc. 5 gros 24 grains d’eau dans la combustion d’une livre de gaz hydrogène, il en résulte qu’il reste dans chaque livre d’eau, à zéro du thermomètre, une quantité de calorique égale à celle nécessaire pour fondre 12 liv. 5 onc. 2 gros 48 grains de glace, sans parler même de celui contenu dans le gaz hydrogène, dont il est impossible de tenir compte dans cette expérience, parce que nous n’en connoissons pas la quantité. D’où l’on voit que l’eau, même dans l’état de glace, contient encore beaucoup de calorique, & que l’oxygène en conserve une quantité très-considérable en passant dans cette combinaison.

De ces diverses tentatives on peut résumer les résultats qui suivent.

Combustion du Phosphore.


  liv. onc. gros. gr.
Quantité de phosphore brûlé, 1 " " "
Quantité de gaz oxygène nécessaire pour la combustion, 1 8 " "
 
Quantité d’acide phosphorique obtenu, 2 8 " "
 
Quantité de calorique dégagé par la combustion d’une livre de phosphore, exprimée par la quantité de livres de glace qu’il peut fondre,
100,00000
Quantité de calorique dégagé de chaque livre de gaz oxygène dans la combustion du phosphore, 66,66667
Quantité de calorique qui se dégage dans la formation d’une livre d’acide phosphorique, 40,00000
Quantité de calorique resté dans chaque livre d’acide phosphorique, 0,00000

On suppose ici que l’acide phosphorique ne conserve aucune portion de calorique, ce qui n’est pas rigoureusement vrai : mais la quantité (comme on l’a déjà observé plus haut) en est probablement très-petite, & on ne la suppose nulle que faute de la pouvoir évaluer.

Combustion du Charbon.


  liv. onc. gros. gr.
Quantité de charbon brûlé, 1 " " "
Quantité de gaz oxygène absorbé pendant la combustion, 2 9 1 10
 
Quantité d’acide carbonique formé, 3 9 1 10
 
Quantité de calorique dégagé par la combustion d’une livre de charbon, exprimée par la quantité de livres de glace qu’il peut fondre,
96,50000
Quantité de calorique dégagé de chaque livre de gaz oxygène, 37,52823
Quantité de calorique qui se dégage dans la formation d’une livre de gaz acide carbonique, 27,02024
Quantité de calorique que conserve une livre d’oxygène dans cette combustion, 29,13844
Quantité de calorique nécessaire pour porter une livre d’acide carbonique à l’état de gaz, 20,97960



Combustion du Gaz hydrogène.


  liv. onc. gros. gr.
Quantité de gaz hydrogène brûlé, 1 " " "
Quantité de gaz oxygène employé pour la combustion, 5 10 5 24
 
Quantité d’eau formée, 6 10 5 24
 
Quantité de calorique dégagé par la combustion d’une livre de gaz hydrogène,
295,58950
Quantité de calorique dégagé par chaque livre de gaz oxygène, 52,16280
Quantité de calorique qui se dégage pendant la formation d’une livre d’eau, 44,33840
Quantité de calorique que conserve une livre d’oxygène dans sa combustion avec l’hydrogène, 14,50386
Quantité de calorique que conserve une livre d’eau à zéro, 12,32823


De la Formation de l’Acide nitrique.


Lorsque l’on combine du gaz nitreux avec du gaz oxygène pour former de l’acide nitrique ou nitreux, il y a une légère chaleur produite ; mais elle est beaucoup moindre que celle qui a lieu dans les autres combinaisons de l’oxygène ; d’où il résulte par une conséquence nécessaire que le gaz oxygène, en se fixant dans l’acide nitrique, retient une grande partie du calorique qui lui étoit combiné dans l’état de gaz. Il n’est point impossible sans doute de déterminer la quantité de calorique qui se dégage pendant la réunion des deux gaz, & on en concluroit facilement ensuite celle qui demeure engagée dans la combinaison. On parviendroit à obtenir la première de ces données, en opérant la combinaison du gaz nitreux & du gaz oxygène dans un appareil environné de glace : mais comme il se dégage peu de calorique dans cette combinaison, on ne pourroit réussir à en déterminer la quantité, qu’autant qu’on opéreroit très en grand avec des appareils embarrassans & compliqués ; & c’est ce qui nous a empêché jusqu’ici, M. de la Place & moi, de la tenter. En attendant, on peut déjà y suppléer par des calculs qui ne peuvent pas s’écarter beaucoup de la vérité.

Nous avons fait détoner, M. de la Place & moi, dans un appareil à glace une proportion convenable de salpêtre & de charbon, & nous avons observé qu’une livre de salpêtre pouvoit, en détonant ainsi, fondre 12 livres de glace.

Mais une livre de salpêtre, comme on le verra dans la suite, contient :

  onc. gros grains   grains
Potasse 7 6 51,84 = 4515,84.
Acide sec 8 1 20,16 = 4700,16.

Et les 8 onces 1 gros 20 grains 16 d’acide, sont eux-mêmes composés de

  onc. gros grains   grains
Oxygène 6 3 66,34 = 3738,34.
Mofète 1 5 25,82 = 961,82.
On a donc réellement brûlé dans cette opération 2 gros 1 grain 1/3 de charbon, à l’aide de 3738,grains 34, ou 6 onces 3 gros 66,grains 34 d’oxygène ; & puisque la quantité de glace fondue dans cette combustion a été de 12 livres, il en résulte qu’une livre de gaz oxygène brûlé de la même manière, fondroit
29,58320
À quoi ajoutant pour la quantité de calorique que conserve une livre d’oxygène dans sa combinaison avec le charbon, pour constituer l’acide carbonique dans l’état de gaz, & qui est, comme on l’a vu plus haut, de, 29,13844
 
On a pour la quantité totale de calorique que contient une livre d’oxygène, lorsqu’il est combiné dans l’acide nitrique, 58,72164

On a vu par le résultat de la combustion du phosphore, que dans l’état de gaz oxygène, il en contenoit au moins
66,66667
 
Donc, en se combinant avec l’azote pour former de l’acide nitrique, il n’en perd que 7,94502
 

Des expériences ultérieures apprendront si ce résultat déduit par le calcul, s’accorde avec des opérations plus directes.

Cette énorme quantité de calorique que l’oxygène porte avec lui dans l’acide nitrique, explique pourquoi dans toutes les détonations du nitre, ou pour mieux dire, dans toutes les occasions où l’acide nitrique se décompose, il y a un si grand dégagement de calorique.


Combustion de la Bougie.


Après avoir examiné quelques cas de combustions simples, je vais donner des exemples de combustions plus composées ; je commence par la cire.

Une livre de cette substance, en brûlant paisiblement dans l’appareil à glace destiné à mesurer les quantités de calorique, fond 133 liv. 2 onces 5 gros 1/3 de glace.

Or une livre de bougie, suivant les expé-riences que j’ai rapportées, Mém. de l’Acad. année 1784, page 606, contient :

    onc. gros grains.
  Charbon 13 1 23
  Hydrogène 2 6 49
Les 13 onces 1 gros 23 grains de charbon, d’après les expériences ci-dessus rapportées, doivent fondre
liv. de glace
79,39390
Les 2 onces 6 gros 49 grains d’hydrogène, devoient fondre 52,37605
 
Total,
131,76995

On voit par ces résultats, que la quantité de calorique qui se dégage de la bougie qui brûle, est assez exactement égale à celle qu’on obtiendroit en brûlant séparément un poids de charbon & d’hydrogène égal à celui qui entre dans sa combinaison. Les expériences sur la combustion de la bougie ayant été répétées plusieurs fois, j’ai lieu de présumer qu’elles sont exactes.


Combustion de l’Huile d’olives


Nous avons enfermé dans l’appareil ordinaire une lampe qui contenoit une quantité d’huile d’olives bien connue ; & l’expérience finie, nous avons déterminé exactement le poids de l’huile qui avoit été consommée, & celui de la glace qui avoit été fondue ; le résultat a été qu’une livre d’huile d’olives en brûlant pouvoit fondre 148 livr. 14 onc. 1 gros de glace.

Mais une livre d’huile d’olives, d’après les expériences que j’ai rapportées, Mémoires de l’Acad. année 1784, & dont on trouvera un extrait dans le chapitre suivant, contient :

    onc. gros grains.
  Charbon 12 5 5
  Hydrogène 3 2 67
La combustion de 12 onces 5 gros 5 grains de charbon, ne devoit fondre que
liv. de glace
76,18723
Et celle de 3 onces 2 gros 67 grains d’hydrogène, 62,15053
 
Total,
138,33776
Il s’est fondu 148,88330
 
Le dégagement de calorique a donc été plus considérable qu’il ne devoit l’être d’une quantité équivalente à 10,54554
 

Cette différence qui n’est pas au surplus très-considérable peut tenir ou à des erreurs inévitables dans les expériences de ce genre, ou à ce que la composition de l’huile n’est pas encore assez rigoureusement connue. Mais il en résulte toujours qu’il y a déjà beaucoup d’ensemble & d’accord dans la marche des expériences relatives à la combinaison & au dégagement du calorique.

Ce qui reste à faire dans ce moment & dont nous sommes occupés, est de déterminer ce que l’oxygène conserve de calorique dans sa combinaison avec les métaux pour les convertir en oxides ; ce que l’hydrogène en contient dans les différens états dans lesquels il peut exister ; enfin de connoître d’une manière plus exacte la quantité de calorique qui se dégage dans la formation de l’eau. Il nous reste sur cette détermination une incertitude assez grande qu’il est nécessaire de lever par de nouvelles expériences. Ces différens points bien connus, & nous espérons qu’ils le seront bientôt, nous nous trouverons vraisemblablement obligés de faire des corrections, peut-être même assez considérables, à la plupart des résultats que je viens d’exposer ; mais je n’ai pas cru que ce fût une raison de différer d’en aider ceux qui pourront se proposer de travailler sur le même objet. Il est difficile quand on cherche les élémens d’une science nouvelle, de ne pas commencer par des à-peu-près ; & il est rare qu’il soit possible de la porter dès le premier jet à son état de perfection.