Traité élémentaire de physique (Haüy)/1803/Chapitre III

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iii. DE L’EAU.

Dans l’exposé que nous avons fait jusqu’ici des propriétés générales des corps, nous nous sommes bornés à citer quelques exemples tirés de ceux qui manifestent ces propriétés d’une manière plus sensible. Nous allons reprendre successivement certains liquides ou certains fluides particuliers qui ont une influence remarquable dans les phénomènes de la nature.

Le premier est l’eau, que nous considérerons d’abord dans son état ordinaire, qui est celui de liquidité, ensuite dans l’état de glace, puis dans celui de vapeurs, qui sont comme les extrêmes entre lesquels se trouve l’eau liquide.

1. De l’Eau à l’état de Liquidité.

170. Les principales propriétés physiques de l’eau liquide, consistent en ce qu’elle est insipide, inodore, transparente, sans couleur, et susceptible de mouiller la plupart des corps qu’on met en contact avec elle.

171. Tout le monde sait avec quelle abondance ce liquide est répandu dans la nature, et combien sont diversifiées les fonctions qu’il y exerce. Rassemblé en masses immenses dans les bassins des mers, entraîné par un mouvement progressif sur le lit des fleuves et des rivières, il sert de véhicule aux navires et à différentes espèces de bâtimens, pour établir, par les voyages et par le commerce, une communication entre les peuples des diverses contrées. Il devient, par son impulsion, le moteur d’une multitude de machines aussi utiles qu’ingénieuses ; et si l’homme a en sa disposition une puissance supérieure encore à celle qui agit dans ce cas, il la doit au même liquide converti en vapeurs. L’eau est l’élément dans lequel vivent une infinité d’êtres organisés ; elle sert de bois son à l’homme et aux animaux qui peuplent la terre et les airs ; elle est un des principaux agens de la végétation ; c’est dans son sein que se sont formés une multitude de minéraux, et ces précieuses substances métalliques auxquelles l’industrie humaine semble donner une nouvelle existence, en les élaborant pour nos usages.

172. L’eau a été regardée, pendant long-temps, comme une substance simple ; et, sous ce rapport, les anciens philosophes en faisoient un des quatre élémens qui donnoient naissance à tous les corps de la nature ; savoir, la Terre, l’Eau, l’Air et le Feu. Cette opinion, quoique éloignée de la vérité, avoit cela de séduisant, qu’elle faisoit concourir à la formation de tous les autres êtres, ceux qui existent le plus généralement dans l’univers, qui occupant comme autant de domaines distincts, l’un dans les espaces célestes, les trois derniers dans la région qu’habite l’homme, sont néanmoins toujours en commerce les uns avec les autres et avec le reste de la nature, qui enfin sembloient seuls être fixes et inaltérables, au milieu des alternatives qui faisoient varier sans cesse la scène des animaux, des plantes et des minéraux.

La chimie moderne a substitué, à ces systèmes nés de considérations abstraites, des théories fondées sur des faits ; et parmi ces derniers, un des plus remarquables est la décomposition en oxygène et en hydrogène de ce même liquide que l’on avoit rangé parmi les substances élémentaires. Nous nous bornons encore ici à indiquer ce résultat, dont le détail n’entre pas dans notre plan.

173. L’eau de pluie est celle qui approche le plus de l’état de pureté. Chaptal a observé que celle qui accompagne les orages est plus mélangée que celle d’une pluie douce, et que cette dernière devient plus pure à proportion de sa durée[1]. L’eau qui baigne la surface du globe, ou coule dans son intérieur, est toujours chargée de matières hétérogènes. On sait que celle de la mer et de plusieurs fontaines contient plus ou moins abondamment un sel qu’on en retire par l’évaporation, et qui est connu sous le nom de sel marin. On appelle eaux minérales, celles qui renferment différentes substances salines, métalliques ou autres ; elles sont employées, avec succès, dans le traitement de diverses maladies : elles empruntent des substances unies avec elles une saveur et quelquefois une odeur particulière. À l’égard de l’eau des rivières, elle tient en dissolution diverses matières pierreuses, et en particulier des molécules calcaires ; et celle qui coule dans le sein de la terre forme des incrustations de ces mêmes molécules, tantôt à l’intérieur des canaux qui la reçoivent, tantôt autour des corps organisés qui y sont plongés.

174. On a tenté inutilement de comprimer l’eau en employant une très-grande force ; et cette propriété d’être sensiblement incompressible est générale pour tous les liquides. Une des expériences qui ont servi à la reconnoître, par rapport à l’eau, consiste à charger ce liquide d’une colonne de mercure, en employant un tube recourbé en forme de syphon, dont la branche la plus courte est fermée par sa partie supérieure, et contient de l’eau, en même temps que la branche la plus longue est occupée par le mercure, qui presse la surface de l’eau. La colonne formée par ce dernier liquide ne se raccourcit pas de la plus petite quantité sensible, lors même que celle de mercure a 227 centimètres ou sept pieds de hauteur, auquel cas elle exerce sur l’eau un effort triple de celui d’une colonne d’eau de près de 10 mètres 4/10, ou 32 pieds de hauteur. Il y a tout lieu cependant de présumer que l’eau est réellement compressible, mais dans un degré inappréciable, au moins par les efforts que l’on a employés jusqu’ici pour la condenser ; car la faculté qu’elle a de transmettre les sons, prouve qu’elle est élastique, et cette qualité suppose nécessairement la compressibilité.

De l’Hygrométrie.

175. L’observation des divers phénomènes produits par ce qu’on appelle humidité, a donné naissance à une branche de physique qui porte le nom d’hygrométrie. Nous allons exposer les principes relatifs à la théorie générale de ces phénomènes, et nous décrirons ensuite l’hygromètre, ou l’instrument qui sert à mesurer l’humidité de l’air.

176. Tous les corps susceptibles de s’imbiber d’eau, ont une disposition plus ou moins grande à s’unir avec ce liquide, par l’effet d’une attraction semblable à l’affinité chimique, jointe à la texture de leurs parties et aux autres circonstances.

Si l’on plonge dans l’eau plusieurs de ces corps, tels que du bois, une éponge, du papier, etc., ils s’approprieront une quantité de ce liquide, qui variera d’un corps à l’autre ; et comme à mesure qu’ils tendent vers le point de saturation, leur affinité pour l’eau va en diminuant, lorsque ceux qui attiroient l’eau plus puissamment seront parvenus au point où leur force attractive se trouvera seulement égale à celle des corps qui agissoient plus foiblement sur le même liquide, il s’établira entre tous ces corps une espèce d’équilibre, en sorte qu’à ce terme l’imbibition s’arrêtera.

On voit qu’il y a ici une parité entre la manière dont les corps enlèvent le calorique, et celle dont ils s’imbibent d’eau ; que la principale condition qui détermine l’équilibre est la même de part et d’autre, et qu’elle dépend des différentes capacités des corps pour le fluide qui échauffe ou pour celui qui mouille.

Que l’on mette en contact deux corps humectés, dont les affinités pour l’eau ne soient pas en équilibre ; celui dont l’affinité sera plus foible cédera de son fluide à l’autre, jusqu’à ce que l’équilibre s’établisse ; et c’est dans cette disposition d’un corps à mouiller un autre corps qui le touche, que consiste proprement ce qu’on appelle humidité.

177. L’air est celui de tous les corps dont nous ayons le plus d’intérêt de connoître les différens degrés d’humidité, et c’est aussi vers les moyens propres à nous procurer cette connoissance, que les physiciens ont dirigé principalement leurs recherches ; de là les diverses espèces d’instrumens que l’on a imaginés pour mesurer l’humidité de l’air.

178. On connoît une multitude de corps dans lesquels l’humidité, à mesure qu’elle augmente ou diminue, occasionne divers degrés de dilatation ou de contraction, suivant que le corps se prête à l’un ou à l’autre de ces effets, à raison de son organisation, de son tissu, ou de la disposition des fibres dont il est l’assemblage. Par exemple, l’eau, en s’introduisant dans l’intérieur des cordes faites de fibres tortillées et situées obliquement, produit entre ces fibres un écartement qui fait gonfler la corde, et par une suite nécessaire, la raccourcit. Les fils tords dont on fabrique les toiles, peuvent être considérés comme de petites cordes qui éprouvent de même un raccourcissement par l’action de l’humidité ; ce qui fait que les toiles, surtout lorsqu’on les mouille pour la première fois, se retirent dans les deux sens où leurs fils se croisent ; au contraire, le papier, qui n’est qu’un assemblage de filamens très-déliés, très-courts, et disposés irrégulièrement dans toutes sortes de directions, s’allonge dans toutes les dimensions de sa surface, à mesure que l’eau, en s’insinuant dans les intervalles de ces mêmes filamens, agit, pour les écarter, en allant du milieu vers les bords.

179. On a employé successivement à la construction des hygromètres, différens corps choisis parmi ceux dans lesquels l’humidité produit les mouvemens les plus sensibles. On a cherché aussi à mesurer l’humidité de l’air par l’augmentation de poids que subissent certaines substances, telles qu’un flocon de laine, ou un sel, en absorbant l’eau contenue dans l’air.

Mais, outre que ces moyens étoient par eux-mêmes très-imparfaits, les corps qu’on y employoit etoient sujets à des altérations qui leur faisoient perdre plus ou moins promptement leur qualité hygrométrique ; ils avoient le double inconvénient, de servir mal, et de n’être pas d’un long service.

180. Pour tirer de l’hygromètre des avantages réels, il falloit le mettre en état de rivaliser avec le thermomètre, en offrant une suite d’observations exactes, et qui fussent comparables dans les différens hygromètres.

Le célèbre Saussure, à qui nous devons un ouvrage très-estimé sur l’hygrométrie, est parvenu à remplir cet objet, par un procédé dont nous allons donner une idée.

La pièce principale de cet hygromètre est un cheveu, auquel Saussure fait d’abord subir une préparation, dont le but est de le dépouiller d’une espèce d’onctuosité qui lui est naturelle, et qui le garantiroit, jusqu’à un certain point, de l’action de l’humidité. Cette préparation se fait en même temps sur un certain nombre de cheveux formant une touffe, dont l’épaisseur ne doit pas excéder celle d’une plume à écrire, et renfermés dans une toile fine qui leur sert d’étui. On plonge les cheveux ainsi enveloppés dans un matras à long col, rempli d’eau, qui tient en dissolution à peu près un centième de son poids de sulfate de soude, et l’on fait bouillir cette eau pendant trente minutes ; on passe ensuite à deux reprises les cheveux dans l’eau pure, pendant qu’elle est aussi en ébullition ; on les retire de leur enveloppe, et on les sépare, puis on les suspend pour les faire sécher à l’air, après quoi il ne reste plus qu’à faire un choix de ceux qui étant plus nets, plus doux, plus brillans et plus transparens, méritent d’être employés de préférence.

On sait que l’humidité allonge le cheveu, et que le desséchement le raccourcit. Pour rendre l’un et l’autre effet plus sensibles, Saussure attache un des deux bouts du cheveu à un point fixe, et l’autre à la circonférence d’un petit cylindre mobile, qui porte à l’une de ses extrémités une aiguille légère. Le cheveu est bandé par un contre-poids de 16 centigrammes, ou d’environ trois grains, suspendu à une soie déliée, qui est roulée en sens contraire autour du même cylindre. À mesure que le cheveu s’allonge ou se raccourcit, il fait tourner le cylindre dans un sens ou dans l’autre, et, par une suite nécessaire, la petite aiguille, dont les mouvemens se mesurent sur la circonférence d’un cercle gradué, autour duquel l’aiguille fait sa révolution comme dans les cadrans ordinaires. De cette manière, une variation très-petite dans la longueur du cheveu, devient sensible, par le mouvement beaucoup plus considérable qu’elle occasionne dans l’extrémité de l’aiguille ; et l’on conçoit aisément qu’à des degrés égaux d’allongement ou de raccourcissement dans le cheveu, répondent des arcs égaux parcourus par l’aiguille.

Pour donner à l’échelle une base qui puisse mettre en rapport tous les hygromètres construits d’après les mêmes principes, Saussure prend deux termes fixes, dont l’un est l’extrême de l’humidité, et l’autre celui de la sécheresse : il détermine le premier, en plaçant l’hygromètre sous un récipient de verre, dont il a mouillé, exactement, avec de l’eau, toute la surface intérieure ; l’air, en se saturant de cette eau, agit par son humidité sur le cheveu, pour l’allonger. On humecte de nouveau l’intérieur du récipient, autant de fois qu’il est nécessaire ; et l’on reconnoit que le terme de l’humidité extrême est arrivé, lorsque, par un séjour plus long sous le récipient, le cheveu cesse de s’étendre.

Pour obtenir le terme de l’extrême sécheresse, le même physicien se sert d’un récipient chaud et bien desséché, sous lequel il renferme l’hygromètre, avec un morceau de tôle pareillement échauffé et couvert d’alkali fixe. Ce sel, en exerçant sa faculté absorbante sur ce qui reste d’humidité dans l’air environnant, détermine le cheveu à se raccourcir jusqu’à ce qu’il ait atteint le dernier terme de sa contraction.

L’échelle de l’instrument est divisée en cent degrés. Le zéro indique le terme de l’extrême sécheresse, et le nombre cent, celui de l’humidité extrême. L’inventeur a senti les avantages de la division décimale, pour la facilité des calculs, et n’a pas balancé à l’adopter.

Les effets de l’humidité et de la sécheresse sur le cheveu, sont modifiés par ceux de la chaleur, qui agit sur lui, tantôt dans le même sens, et tantôt en sens contraire ; en sorte que si l’on suppose, par exemple, que l’air s’échauffe autour de l’hygromètre, d’une part, cet air, dont la faculté dissolvante à l’égard de l’eau sera augmentée, ainsi que nous l’exposerons dans la suite, enlèvera au cheveu une portion de l’eau dont celui-ci étoit imbibé, ce qui tendra à raccourcir le cheveu ; tandis que d’une autre part la chaleur, en le pénétrant, agira, quoique beaucoup plus foiblement, pour l’allonger ; et ainsi l’effet total se trouvera compliqué de deux effets partiels et contraires, l’un hygrométrique, et l’autre pyrométrique. Dans les observations qui exigent une certaine précision, il est donc nécessaire de consulter le thermomètre en même temps que l’hygromètre ; et en conséquence l’inventeur a construit, d’après l’observation, une table de correction qui mettra les physiciens à portée de démêler toujours l’effet principal, ou le degré d’humidité de l’air, d’avec l’effet accessoire produit par la chaleur.

181. Deluc, qui s’est occupé du même objet, a suivi une méthode différente. Ce physicien emploie, pour la construction de ses hygromètres, une bandelette très mince de baleine, qui fait le même office que le cheveu dans l’hygromètre de Saussure. Il maintient cette baleine tendue au moyen d’un ressort, dont il préfère l’action à celle d’un poids ; il détermine le degré d’humidité extrême, en plongeant la bandelette de baleine tout à fait dans l’eau ; et pour fixer la limite opposée, qui est celle de l’extrême sécheresse, il se sert de chaux calcinée, qu’il renferme avec l’hygromètre sous une cloche de verre. Le choix de cette substance est fondé sur ce que la calcination l’ayant amenée au plus haut degré de sécheresse, si on la laisse ensuite refroidir, jusqu’au point de pouvoir être placée, sans inconvénient, sous la cloche de verre destinée à l’expérience, elle se trouvera encore sensiblement dans le même état de sécheresse, parce qu’elle est très-lente à reprendre de l’humidité ; et ainsi, toute sa faculté absorbante sera employée à dessécher peu à peu l’air renfermé sous le récipient, et à faire passer l’hygromètre lui-même à un état qui se rapprochera le plus qu’il est possible de l’extrême sécheresse.

182. L’hygromètre a été long-temps négligé dans les observations météorologiques ; il est nécessaire de l’associer au thermomètre et au baromètre, pour être en état de débrouiller la complication des différentes causes qui influent sur les variations de l’atmosphère ; et ce n’est qu’à l’aide d’une longue suite d’observations, faites par le concours de ces divers instrumens, jointes à toutes les indications qui se tirent de l’état du ciel, que nous obtiendrons des données pour présager, avec une grande vraisemblance, les changemens de temps, et parvenir à une théorie plausible sur cet objet si intéressant, et naturellement fait pour piquer notre curiosité. Nous sommes dans une dépendance continuelle de l’atmosphère et de l’alternative des jours sereins et pluvieux, pour les travaux de l’agriculture, pour nos voyages, pour nos diverses entreprises, et même pour nos fêtes. Nous trouverions à la fois l’utile et l’agréable dans un art qui nous mettroit à portée de nous précautionner contre ce qui fait nos craintes, et d’aller au devant de ce qui fait nos espérances.

Des Tubes capillaires.

183. Les phénomènes des tubes capillaires sont liés, jusqu’à un certain point, à ceux des hygromètres, par l’analogie qu’ont entre elles les causes qui produisent les uns et les autres. Nous allons essayer d’éclaircir l’espèce de paradoxe qu’ils présentent, en ce qu’ils semblent faire exception aux lois ordinaires de l’hydrostatique.

Si l’on plonge dans l’eau un tube ouvert par ses deux extrémités, et dont le diamètre intérieur ait une certaine étendue, le niveau subsistera encore ; mais si le tube est capillaire, c’est-à-dire, si sa cavité représente un cylindre assez délié pour être comparé à un cheveu, au moment de l’immersion, l’eau s’élancera dans son intérieur, et y demeurera suspendue à une hauteur très-sensible au-dessus du niveau.

Nous venons de supposer l’expérience dans un des cas où le phénomène est le plus frappant ; mais ce phénomène est soumis à la loi de continuité, et marche, par nuances, comme les autres. Dans les tubes d’un diamètre ordinaire, déjà la surface de l’eau intérieure forme une petite concavité, dont les bords s’élèvent un peu au-dessus du niveau, en s’appliquant contre le verre. Si l’on emploie des tubes toujours plus étroits, il y aura un terme où l’axe même de la colonne commencera à dépasser visiblement le niveau ; et cet effet ira toujours en croissant, à mesure que le diamètre du tube sera plus petit.

184. La loi du phénomène, telle que la donne l’expérience, consiste en ce qu’un même fluide s’élève, dans différens tubes homogènes, à des hauteurs qui sont en raison inverse des diamètres de ces tubes.

185. L’observation fait voir encore que les hauteurs, auxquelles différentes liqueurs s’élèvent dans un même tube, ne sont pas proportionnelles aux densités de ces liqueurs ; par exemple, l’alkohol s’y élève moins que l’eau.

186. Le mercure, au contraire, se tient au-dessous du niveau, et son abaissement est en raison inverse du diamètre du tube. Mais ces effets supposent que l’on prenne le tube tel qu’il se présente ; car nous verrons bientôt qu’au moyen de certaines précautions on peut obtenir de même l’élévation du mercure au-dessus du niveau.

187. Enfin, si l’on enduit l’intérieur du tube d’une couche de matière grasse, telles que l’huile ou le suif, les mêmes effets cesseront d’avoir lieu, et le fluide conservera son niveau.

188. L’explication de ces phénomènes a fort exercé la sagacité des physiciens. Les uns ont essayé d’en rendre raison, en supposant que l’air ne pouvant s’introduire dans le tube que difficilement et en petite quantité, y exerçoit sur la colonne intérieure, une pression moins forte que celle de l’air environnant sur le liquide extérieur ; et si on leur objectoit que les mêmes effets ont lieu dans le vide, ils répondoient que, comme on ne pouvoit jamais faire un vide parfait, l’air qui restoit sous le récipient dans toutes les parties extérieures au tube, conservant le même rapport avec l’air intérieur, l’inégalité de pression et la différence de niveau qui en étoit la suite, devoient encore subsister : d’autres avoient recours à un fluide subtil, pour expliquer le phénomène, et les opinions se partageoient de nouveau sur la manière d’agir de ce fluide. Suivant les uns, ses parties étoient d’une forme globuleuse qui ne leur permettoit pas de s’arranger exactement dans un tube d’un petit diamètre, pour exercer, sur la colonne qui occupoit ce tube, une pression égale à celle que les colonnes extérieures éprouvoient de la part du même fluide ; selon d’autres, la matière subtile formoit de petits tourbillons, dont les molécules ayant un mouvement circulaire dans des plans qui passoient par l’axe du tube, et venant à rencontrer l’orifice inférieur, poussoient de bas en haut la colonne renfermée dans ce tube.

Une seule considération suffisoit pour renverser toutes ces hypothèses ; c’est que les hauteurs auxquelles s’élèvent différentes liqueurs dans un même tube, ne sont pas proportionnelles aux densités de ces liqueurs, ce qui auroit pourtant lieu dans ces mêmes hypothèses, puisque le fluide subtil qui produiroit les phénomènes, de quelque manière qu’il agît, devroit favoriser davantage l’élévation des liquides moins denses, qui seroient par là moins susceptibles de s’opposer à son action.

Ainsi, les physiciens s’agitoient inutilement pour trouver, dans des agens extérieurs et invisibles, la véritable cause du phénomène ; tandis que cette cause existoit dans le tube même qu’ils avoient entre les mains, et dépendoit de cette espèce d’attraction que l’on a désignée par le nom d’attraction dans les petites distances.

189. Newton, après avoir trouvé, dans la gravitation universelle, le principe des mouvemens célestes et des phénomènes où la nature agit en grand sur des masses, quelquefois séparées par d’immenses intervalles (49), avoit observé aussi les effets d’une certaine attraction qui n’agissoit que près du contact, et de molécule à molécule. Les chimistes, qui avoient continuellement sous les yeux des exemples de l’action de cette force, dans la composition et la décomposition des corps, l’adoptèrent sous le nom d’affinité. Les physiciens ont été plus tardifs à la reconnoître dans d’autres effets, où les substances qu’elle sollicite conservent leur état naturel, comme cela a lieu par rapport au phénomène des tubes capillaires. Ils aimoient mieux attribuer ces effets à la pression de quelque effluve, ou de quelque tourbillon de matière subtile, qui s’offroit sous l’apparence spécieuse d’une cause mécanique, mais que les phénomènes démentoient toujours par quelque endroit, quoiqu’on fût le maître de l’y adapter d’avance, en la modifiant à volonté, C’étoit comme le dernier refuge des tour billons qui, après avoir été bannis des espaces célestes, cherchoient à se maintenir dans les recoins de la nature où l’attraction, reproduite sous une autre forme, leur disputoit encore la place. On comparoit cette attraction à la première ; et comme elle sembloit en différer par sa manière d’agir, à raison des distances, et que d’ailleurs elle se modifie suivant la diversité des circonstances où elle agit, on accusoit les physiciens qui l’adoptoient, de la multiplier arbitrairement, et d’imaginer autant d’attractions particulières qu’il se présentoit de nouveaux faits à expliquer. Mais un examen attentif suffisoit pour faire reconnoître qu’en supposant même que cette attraction soit distinguée de la gravitation universelle, elle n’en est pas moins une force unique dans son genre, qui s’étend à une classe nombreuse de phénomènes, et dont les diversités dépendent de celles qui existent entre les corps mêmes sur lesquels son action s’exerce. Newton remarquoit que cette force une fois admise, la nature entière devenoit simple et partout d’accord avec elle même ; tandis que l’astronomie physique d’une part, et la physique ordinaire de l’autre, avoient chacune leur attraction, et partageoient entre ces deux forces l’explication des mouvemens qui, de loin, frappent nos regards, et de ceux qui demandent à être suivis de près. Mais peut-être même n’étoit-ce pas en dire assez, puisqu’à l’aide d’une hypothèse plausible dont nous avons parlé plus haut (55), on parviendroit à simplifier encore le tableau, en ramenant les deux attractions à l’unité.

190. Pour revenir maintenant aux phénomènes des tubes capillaires, il n’est pas difficile de concevoir d’abord par le simple raisonnement, comment un liquide s’y élève au-dessus du niveau, quoique dans les tubes d’un plus grand diamètre, il reste sensiblement à la même hauteur que le liquide environnant ; sur quoi il faut observer que l’attraction du tube, qui n’est sensible que près du contact, n’agit que sur la couche presque infiniment mince de liquide qui adhère, sous la forme d’un cylindre creux, à sa surface intérieure. Les molécules de cette première couche agissent ensuite par leur attraction propre sur celles de la seconde, et ainsi de proche en proche, jusqu’aux molécules qui répondent à l’axe de la colonne.

Or, plus le tube est étroit, et plus sa courbure est rentrante ; d’où il suit que les molécules exercent sur le liquide des actions plus rapprochées ; en sorte que si l’on suppose une molécule de ce liquide placée à la même distance d’un point attirant, pris sur les courbures de deux tubes différens, le petit arc dont ce point occupera le milieu dans le tube le plus étroit, s’infléchira davantage vers la même molécule, en agissant sur elle par des attractions plus voisines du contact : d’où l’on voit qu’il pourra y avoir un terme de rétrécissement, où l’attraction du tube devienne capable de tenir le liquide suspendu à une hauteur sensible : par une suite nécessaire, les attractions mutuelles des couches qui vont de la surface à l’axe, partiront d’un plus haut degré de force, dans un tube plus étroit ; elles diminueront plus lentement ; enfin, elles auront à parcourir un moindre nombre de degrés décroissans, entre la surface et l’axe : d’où il résulte que leur effet total sera de même plus considérable.

191. Plusieurs des physiciens qui ont attribué à l’attraction les effets des tubes capillaires, ont cru pouvoir démontrer rigoureusement le rapport inverse entre la hauteur et le diamètre de la colonne, lorsqu’on plonge différens tubes dans un même liquide. Jurin, qui a fait une suite d’expériences intéressantes sur les phénomènes dont il s’agit, attribue la suspension du liquide à l’action de l’anneau de verre situé immédiatement au-dessus de la colonne de liquide. Dautres physiciens pensent que le même effet provient, au contraire, de l’anneau qui termine inférieurement le tube, en supposant que l’orifice de ce tube soit contigu à la surface de l’eau. Or, en combinant la force de l’anneau attirant avec la quantité de liquide qui s’élève dans le tube, on parvenoit à un résultat qui s’accordoit assez bien avec l’observation. Par exemple, dans la seconde hypothèse, les attractions des deux tubes étoient comme les circonférences de ces tubes, ou, ce qui revient au même, comme leurs diamètres ; mais elles étoient en même temps comme les poids des cylindres de liquide, suspendus dans les tubes, c’est-à-dire, comme les carrés des diamètres multipliés par les hauteurs, ce qui donne le rapport inverse entre le diamètre et la hauteur[2].

192. La vérité est que quand on compare l’élévation d’un même liquide dans deux tubes différens, l’attraction de chaque surface est le résultat de toutes les attractions particulières exercées par les différentes molécules du verre sur toutes celles du liquide, qui sont à des distances assez petites pour subir l’effet de ces attractions. C’est la remarque de Clairault, dans son excellent ouvrage sur la figure de la terre[3], où cet illustre géomètre traite la question des tubes capillaires d’après les lois générales de l’hydrostatique, en faisant entrer comme élémens, dans l’expression de la force qui tient le fluide suspendu, les différentes actions qui concourent à la production de l’effet.

Nous allons essayer de donner une idée de la manière dont il parvient à exprimer généralement ce concours d’actions combinées.

Soit ABCDEFGH (fig. 21, Pl. iii) une section du tube capillaire faite à l’aide d’un plan qui passe par l’axe, MNP le niveau de l’eau dans laquelle il est plongé, Ii la hauteur à laquelle ce liquide s’élève dans le tube, YIZ la petite concavité que forme sa surface, par l’effet de l’attraction ; concevons, à l’endroit de l’axe du tube, une colonne infiniment déliée IK, dont l’extrémité inférieure K soit hors de la sphère sensible d’activité du tube, et prenons de même dans l’eau environnante une colonne ML située aussi verticalement, à une telle distance du tube que celui-ci ne puisse agir sur aucun de ses points ; enfin, imaginons un petit canal horizontal LK, à l’aide duquel les deux colonnes soient en communication. L’objet du problème est de rechercher si, en combinant les différentes forces qui sollicitent ces deux colonnes, on parviendra à quelque cas d’équilibre possible entre l’une et l’autre.

Or, la colonne extérieure ML est sollicitée par deux forces différentes : l’une est la force de la pesanteur qui agit dans toute l’étendue de cette colonne ; l’autre est l’attraction réciproque des molécules qui agit de même dans tous les points de la colonne, mais qui n’a d’effet que vers l’extrémité M. Pour représenter l’élément de cette action, on suppose une molécule e située dans la colonne, à une distance du niveau moindre que celle où se termine en général l’attraction du liquide, et l’on imagine en dessous un plan mn parallèle au niveau, à la même distance de la molécule : il est visible que celle-ci sera également attirée en bas et en haut par l’eau comprise entre les deux plans MN, mn, puisqu’il y a égalité entre les quantités de liquide situées de part et d’autre. Mais l’eau qui est en dessous du plan inférieur, et dont l’action n’est balancée par aucune autre, attirera la molécule à elle, et cet effet aura lieu jusqu’à la distance où l’attraction devient nulle.

Maintenant, si nous considérons les forces qui sollicitent l’autre colonne IK prise à l’endroit de l’axe du tube, nous avons d’abord la force de la pesanteur qui agit aussi dans toute l’étendue de cette colonne. À l’égard des autres forces, il faut distinguer entre celles qui sont relatives à la partie supérieure de la colonne, et celles qui concernent la partie voisine de l’extrémité inférieure du tube.

Or, il y a deux forces qui agissent vers la partie supérieure ; savoir, l’attraction du tube sur les molécules de l’eau, et l’attraction réciproque de ces mêmes molécules. Mais le tube étant supposé d’une longueur indéfinie par sa partie élevée au-dessus de l’eau, et son extrémité inférieure CDGH étant à une distance des molécules aqueuses voisines du point I, beaucoup plus grande que celle à laquelle peut s’étendre l’attraction du verre, chaque molécule située vers le même point est autant attirée vers le haut que vers le bas par la force du tube ; et ainsi on peut faire ici abstraction de cette force. Maintenant, pour évaluer l’attraction réciproque des molécules aqueuses, on mène un plan horizontal VX, qui soit tangent à la petite concavité formée par la partie supérieure de l’eau. Cela posé, une molécule p située infiniment près de I est attirée par toutes les molécules situées au dessus de VX, à la distance convenable pour que cette attraction ait lieu, et en même temps par toutes les molécules situées en dessous de VX, qui sont dans le même cas ; mais parce que le liquide forme un vide à sa partie supérieure, il y aura de ce côté moins de molécules attirantes dans un espace donné, entre deux plans parallèles à VX, que dans la partie inférieure ; d’où il suit que la force réelle qui sollicite les molécules situées vers l’extrémité I, s’exerce de haut en bas.

Reste à considérer ce qui se passe vers la partie inférieure O du tube. Or, pour évaluer les forces qui agissent en cet endroit, il faut supposer que le tube ait un prolongement, jusqu’au fond du vase, qui soit d’une matière égale à l’eau en densité ; ce qui met à portée de tenir compte de l’action qu’exerce la surface de l’eau qui fait continuité avec la surface intérieure du tube. Cela posé, on considère les actions que subissent deux molécules attirées, R, Q, dont l’une est située en dedans du tube, un peu au-dessus de son extrémité, et l’autre extérieure au tube et à la même distance en dessous de cette extrémité. Il est d’abord évident que les actions exercées sur les molécules situées en cet endroit, par l’eau renfermée entre les parois BD, EG du tube, et entre le prolongement fictif du même tube, se détruisent mutuellement, parce que l’eau s’étend autour de ces molécules, bien au delà du rayon de sa sphère d’activité. Nous n’avons donc à considérer que l’action du tube et de son prolongement sur chacune des molécules R, Q. Or, la première est attirée de bas en haut par les parties supérieures du tube, dont cette molécule est plus éloignée que de l’anneau inférieur du même tube ; ce que l’on concevra, en appliquant ici ce qui a été dit par rapport à l’action du liquide, c’est-à-dire, en supposant deux plans cdgh, CDGH, qui interceptent de part et d’autre les parties qui se font équilibre : mais la même molécule est attirée de haut en bas, quoique plus foiblement, par le prolongement que l’on a supposé au tube ; et c’est la différence entre les deux actions qui donne l’effet réel. D’une autre part, la molécule Q située en dessous de l’extrémité du tube, est attirée de bas en haut par le tube, et avec la même force que la première molécule, puisque par l’hypothèse elle est autant éloignée des points D, G, situés à la naissance du tube, que la molécule R est éloignée des points d, g, où commence, à son égard, l’attraction réelle du tube. Mais elle est pareillement attirée de haut en bas par le prolongement du tube, et la différence entre les deux actions est encore ici la même. Ainsi, en la doublant, on a la somme des actions qui s’exercent vers le bas du tube ; ces actions réunies à celles qui sont relatives à la partie supérieure du tube, et à celle de la pesanteur qui sollicite la colonne entière, donnent l’expression totale qui doit être comparée avec celle des forces qui agissent sur la colonne extérieure.

Or, quoique ces expressions ne représentent que d’une manière générale les intensités des attractions et les fonctions de la distance, qui sont inconnues, on voit cependant qu’il y a une infinité de lois d’attraction possibles, dont chacune donnera une quantité sensible pour l’élévation au-dessus du niveau, lorsque le diamètre du tube sera très-petit ; et au contraire, une quantité presque nulle pour les cas où le diamètre du tube seroit un peu considérable ; et parmi les mêmes lois d’attraction, on pourra en choisir une qui donne le rapport inverse entre le diamètre du tube et la hauteur du liquide, à partir du niveau, conformément à l’expérience.

L’expression obtenue par Clairault conduit à cette conséquence singulière, que quand même l’attraction du tube capillaire auroit une intensité moindre que celle de l’eau, pourvu que cette intensité ne fût pas deux fois plus petite, l’eau ne laisseroit pas de monter.

193. À l’égard de l’abaissement du mercure au dessous de son niveau, lorsqu’on y plonge un tube capillaire, on a supposé qu’il provenoit de ce que les molécules de ce métal liquide s’attiroient beaucoup plus fortement les unes les autres, qu’elles n’étoient attirées par le tube ; et effectivement, dans cette hypothèse, on doit avoir des effets contraires à ceux qui ont lieu par rapport aux liquides ordinaires.

Mais les expériences faites à Metz, par le professeur Casbois, prouvent que quand le tube et le mercure sont l’un et l’autre parfaitement desséchés, le métal s’élève au-dessus du niveau, comme les liquides aqueux. Ce physicien a soudé ensemble deux tubes de verre, dont l’un, qui avoit un diamètre sensible, sur une longueur d’environ trois pouces, étoit fermé à l’une de ses extrémités ; l’autre extrémité, qui étoit ouverte, communiquoit avec un tube capillaire d’environ ¼ de ligne de diamètre, et d’environ 36 pouces de longueur. L’ensemble des deux tubes étoit courbé à l’endroit de leur jonction, comme dans le syphon, et le tube capillaire se replioit vers son extrémité, qui portoit un réservoir en forme de boule ouverte, comme dans plusieurs des baromètres ordinaires. On a rempli le tout de mercure, que l’on a fait bouillir, à plusieurs reprises, pour le dépouiller, autant qu’il étoit possible, de son humidité. Ayant ensuite disposé les tubes de manière que la branche capillaire étoit située verticalement, et que la partie qui portoit le réservoir étoit tournée vers le bas, on a vu le mercure descendre à peu près à la hauteur de 28 pouces dans la branche capillaire. Au moyen de la lampe d’émailleur, on a détaché de cette branche la portion qui excédoit la longueur de 30 pouces ; et l’extrémité de cette portion, ainsi que celle de la branche dont elle avoit été séparée, ont été fermées hermétiquement par l’opération même. On avoit alors, d’une part, un baromètre capillaire, et de l’autre, un syphon composé d’une grosse branche et d’une branche capillaire, toutes deux scellées à leur extrémité ; et comme une partie du mercure étoit restée suspendue dans la grosse branche, tandis que le reste descendoit dans le baromètre capillaire à la hauteur de 28 pouces, lorsqu’ensuite ce syphon étoit situé de manière que sa convexité regardoit la terre, le mercure s’y élevoit en même temps dans les deux branches.

Or, en comparant le baromètre capillaire avec les autres baromètres, on remarquoit que le mercure s’y tenoit deux ou trois lignes plus haut ; et à l’égard du syphon, la hauteur de la colonne de mercure qui occupoit la branche capillaire, excédoit de la même quantité celle de la colonne correspondante[4].

Il paroît, d’après ces expériences, que l’abaissement du mercure au-dessous du niveau, dans le cas ordinaire, est l’effet d’une petite couche d’humidité qui s’attache à la surface intérieure du tube, et dont l’interposition suffit pour affoiblir sensiblement la vertu attractive du verre à l’égard du mercure, et pour rendre prépondérante l’affinité mutuelle des molécules de ce métal. Lorsqu’on parvient à supprimer cette humidité, le mercure rentre dans l’analogie des autres liquides. Ceux-ci ont aussi leur cas d’exception, qui est celui où l’on enduit l’intérieur du tube d’une couche de matière grasse, qui, ne permettant pas au liquide de parvenir à une assez grande proximité du verre, et n’ayant, par elle-même, que peu d’action sur le liquide, détruit l’influence du tube, pour troubler l’effet des lois ordinaires de l’hydrostatique.

194. On peut, en poussant à l’extrême le desséchement du mercure et celui du tube qui le renferme, se procurer des baromètres, dans lesquels la colonne de mercure se terminera par une face plane. Laplace et Lavoisier ont construit de ces baromètres, et même ils sont parvenus à rendre concave la surface du mercure ; mais ils ne regardoient pas ces instrumens comme plus parfaits que les baromètres ordinaires, parce que si, d’une part, le desséchement donnoit de l’avantage à la pression de l’atmosphère, en supprimant l’action contraire de la petite vapeur qui se forme ordinairement au-dessus du mercure, d’une autre part, l’excès d’adhérence que ce liquide contractoit avec le verre, ôtoit à la colonne de sa mobilité ; en sorte qu’il falloit secouer le baromètre pour faire disparoître l’effet de cette adhérence ; et ainsi on ne faisoit que substituer une gêne d’une nouvelle espèce à celle dont on avoit débarrassé l’instrument.

Nous avons dit (185) que les hauteurs auxquelles s’élèvent différentes liqueurs dans un même tube, ne suivent pas le rapport des densités ; et il est facile d’en concevoir la raison, au moins d’une manière générale, lorsqu’on attribue le phénomène à l’attraction, parce que cette force varie suivant la forme et la disposition des molécules, suivant la figure des pores, et autres circonstances qui peuvent déterminer une plus grande intensité d’attraction, relativement à des liquides d’une moindre pesanteur spécifique.

195. On a cherché à comparer les hauteurs auxquelles s’élevoient différens fluides dans un même tube, avec le diamètre de ce tube. Les résultats donnés sur cet objet, par différens physiciens, varient sensiblement entre eux ; ce qui provient des différentes compositions des verres employés aux expériences ; mais ils ont cela de commun, que les hauteurs des colonnes, au-dessus du niveau, ne sont pas proportionnelles aux densités. Dans les expériences faites par Musschenbroek, avec un tube de verre, composé de plomb et de caillou, ayant une longueur de sept pouces, mesure du Rhin[5], sur un diamètre intérieur de 1/50 de pouce, l’eau monta à 13 lignes ½ au-dessus du niveau, le vin rouge à 8 lignes ½, et l’alkohol à 6 lignes.

Newton cite une expérience faite au moyen de deux lames de verre, situées parallélement, à une distance d’environ 1/100 de pouce, mesure de Londres[6], entre lesquelles l’eau s’élevoit à un pouce au-dessus du niveau.

196. On peut disposer les deux lames de verre de manière qu’elles se touchent par un de leurs bords, et forment entre elles un angle très-aigu : si on les plonge dans l’eau de manière que leur ligne de jonction soit perpendiculaire à la surface de ce liquide, on le verra s’élever subitement entre les deux lames, en formant une courbe qui tournera sa convexité vers la ligne de jonction, et qui passera par les extrémités des différentes hauteurs auxquelles doit s’élever le liquide, à proportion que l’intervalle diminue entre les deux lames de verre. Or, il est facile de concevoir que cette courbe doit être une hyperbole. Soit aa′x′x (fig. 22) une des deux sur faces de l’eau contiguës aux parois intérieures des lames de verre, ax étant la ligne de jonction de cette même surface avec celle de l’eau, dans laquelle les lames de verre sont plongées, et b′x′la courbe formée par les points les plus élevés de l’eau renfermée entre ces lames. Nous pouvons considérer cette eau comme un assemblage d’une infinité de petits cylindres, qui auront pour hauteurs les perpendiculaires xx′, tt′, rr′, etc., menées sur la ligne ax jusqu’à la rencontre de la courbe. Soit zax (fig. 23) la surface inférieure de l’eau renfermée entre les lames de verre, auquel cas la ligne ax sera la même que fig. 22. Si nous menons xz, tu, rs, etc., (fig. 23) perpendiculaires sur ax, de manière que les distances xt, tr, ro, etc., soient les mêmes que fig. 22, ces perpendiculaires pourront être considérées comme les diamètres des bases des petits cylindres, dont les hauteurs sont les lignes xx′, tt′, rr′, etc. Or, d’après la loi à laquelle est soumis le phénomène, les hauteurs xx′, tt′, rr′, etc., sont en raison inverse des diamètres xz, tu, rs, etc., (fig. 23) des bases ; mais ces diamètres sont entre eux comme leurs distances ax, at, ar, etc., au point a. Donc les lignes xx′, tt′, rr′, etc., (fig. 22) sont aussi en raison inverse des lignes ax, at, ar, etc. ; d’où il suit que la courbe b′x′ est une hyperbole, qui a pour asymptotes les lignes ax, aa′, de manière que les lignes xx′, tt′, rr′, etc., sont les ordonnées à l’asymptote ax, et les lignes ax, at, ar, etc., les abcisses. C’est une suite du rapport inverse dont nous avons déjà parlé. Cette expérience, comme on le voit, est intéressante, en ce qu’elle généralise son objet, et présente une expression géométrique du phénomène tracée par le liquide même qui le produit,

197. On peut ramener les effets des tubes capillaires à une autre expérience très-facile à faire. Elle consiste à incliner un de ces tubes et à laisser tomber sur sa surface une goutte de liquide, puis à redresser le tube au moment où cette goutte, entraînée par son poids, arrive à l’orifice inférieur ; on la voit à l’instant s’élancer par cet orifice dans l’intérieur du tube.

Cette expérience, qui présente le phénomène dégagé, autant qu’il est possible, des lois de l’hydrostatique, qui se combinent toujours plus ou moins avec l’affinité, dans le cas où il a lieu, peut servir de transition pour arriver à l’explication d’une multitude d’effets analogues, qui se passent continuellement sous nos yeux. Tels sont ceux que présentent un tronçon de branche d’arbre plongé dans l’eau par une de ses extrémités, et qui s’imbibe de cette eau ; un morceau de sucre que l’on plonge de même par une pointe dans le café, et qui, en un instant, se trouve humecté jusqu’au haut ; un monceau de sable ou de cendre, dont le pied est dans l’eau, qui y monte peu à peu, et parvient jusqu’à la cime ; la mêche de coton, qui attire de bas en haut l’huile d’une lampe, et ainsi d’une infinité de corps que Musschenbroek appeloit les aimans des fluides, dénomination très-impropre, si ce physicien l’eût prise à la rigueur. Toutes les différentes substances hygrométriques viennent ici se ranger sur une même ligne, qui commence aux tubes capillaires.

198. Les dendrites ou herborisations qui ornent la surface de certaines pierres calcaires ou argileuses, sont dues à une cause semblable. Parmi ces pierres, les unes sont pleines de fissures, dans lesquelles un fluide chargé de molécules ferrugineuses ou autres s’est introduit, et a laissé de petits dépôts métalliques ; et comme les fissures forment des espèces de ramifications, qui, même assez souvent, communiquent à une fissure principale, l’artiste a soin de couper la pierre dans le sens convenable, pour que toutes ces ramifications se développent sur un même plan ; en sorte qu’elles ressemblent à un petit arbre, dont la fissure principale représente le tronc. Il y a d’autres pierres composées de feuillets, entre lesquels un fluide semblable a pénétré, et s’est étendu par veines, en formant des dendrites composées de globules métalliques, rangés à la file les uns des autres. Dans ce cas, on se contente de détacher les feuillets, et l’on a un petit tableau qui est tout entier l’ouvrage de la nature.

199. C’est encore à des actions du genre de celles qui produisent les phénomènes des tubes capillaires, que l’on doit attribuer les mouvemens à l’aide desquels deux petits corps qui flottent sur un liquide, à une petite distance l’un de l’autre, s’approchent jusqu’au contact, ou se fuient, suivant les circonstances. Ces corps étant de ceux qui sont à l’état de solidité, ne peuvent exercer l’un sur l’autre aucune attraction ou répulsion sensible ; et ce qui se passe dans les actions dont il s’agit ici, est uniquement dû à l’action des molécules du liquide en contact avec ces mêmes corps.

200. Si aucun des deux corps n’est susceptible d’être mouillé par le liquide ; si ce sont, par exemple, deux globules de cire qui flottent sur l’eau, et que la distance qui les sépare soit assez petite, on les verra s’approcher et se réunir. Pour en entrevoir la raison, on peut observer que, dans ce cas, la surface bd (fig. 24, Pl. IV) du liquide commence à s’infléchir en partant d’un point d ou g situé à une certaine distance de celui où se fait l’immersion du globule a ; en sorte qu’elle forme en cet endroit une courbe, dont la convexité est tournée vers le haut. La même chose a lieu par rapport au globule c, qui flotte sur le même liquide. Tant que les deux globules sont à une distance respective assez grande, pour qu’une partie de la surface intermédiaire du liquide, telle que db, conserve son niveau, les pressions latérales que ce liquide exerce de part et d’autre sur chaque globule étant égales, l’équilibre subsiste ; mais si l’on suppose que la distance diminue continuellement entre les deux globules, il y aura un terme où les deux courbes tendront à s’entrecouper ; alors la partie du liquide située entre ; les deux globules éprouvera un abaissement qui rompra l’équilibre, et les pressions latérales qui agissent du côté opposé devenant prépondérantes, pousseront les deux globules l’un vers l’autre.

201. Si l’un des deux globules, tel que a (fig. 25), est susceptible d’être mouillé, et que l’autre globule b ne le soit pas ; par exemple, si le premier est de liége, et l’autre de cire, le liquide s’élèvera autour du globule a, tandis qu’au contraire il formera un enfoncement autour du globule b ; en sorte que si on les fait avancer l’un vers l’autre jusqu’à une petite distance, la pression qui agit latéralement sur b, du côté de d, étant plus forte que celle qui a lieu dans la partie opposée g, à cause de l’élévation du liquide entre d et le globule a, l’autre globule b sera forcé de reculer, comme s’il étoit repoussé par le globule a.

On peut varier cette expérience, en plaçant sur l’eau un globule de cire, puis en plongeant dans cette eau, à quelques millimètres du globule, l’extrémité d’un corps susceptible d’être mouillé, tel qu’un petit bâton de bois, de même diamètre que le globule. Celui-ci s’éloignent du bâton ; et si l’on réitère les immersions toujours à la même distance, on pourra diriger à volonté le mouvement du globule, par une action qui paroîtra s’exercer à distance sur ce petit corps.

202. Enfin, si les globules sont tous les deux susceptibles d’être mouillés, ils se porteront l’un vers l’autre, et finiront par s’unir. Dans ce cas, l’intervalle entre les deux globules peut être considéré comme un tube capillaire dans lequel l’eau s’élève à une plus grande hauteur que dans les parties opposées à celles par lesquelles les globules se regardent. Or si, pour aider nos conceptions, nous imaginons, à la place des globules, deux lames de verre plongées dans l’eau, par une de leurs extrémités, et situées parallélement entre elles à une petite distance ; parmi les différentes actions qui se combinent dans ce cas, il y en a une qui dépend de ce que la surface intérieure de chaque lame est attirée dans le sens latéral par la couche d’eau en contact avec elle ; cette couche, à son tour, est de même attirée par celle qui lui est contiguë, et ainsi de suite, de manière que les deux lames sont sollicitées l’une vers l’autre par l’intermède des couches aqueuses qui les séparent ; et le résultat fait voir que cette action l’emporte sur les autres qui tendent à la balancer. À mesure que la distance diminue entre les lames, l’eau s’élève à une plus grande hauteur, et la force qui agit pour rapprocher les lames augmente en même temps que la surface de contact entre le liquide et le verre. On a la limite de l’effet, que nous considérons ici, lorsque l’on presse tellement l’une contre l’autre deux lames de verre, que leur contact immédiat n’est empêché que par une couche d’eau presque infiniment mince qui reste entre elles. Dans cet état elles contractent, l’une pour l’autre, une forte adhérence, qui est due à l’attraction qu’exercent sur elles les molécules de la couche aqueuse qu’elles interceptent.

203. On peut substituer aux globules deux aiguilles déliées que l’on posera doucement sur l’eau, où elles flotteront, par l’effet de la petite couche d’air qui est adhérente à leur surface, comme cela a lieu en général pour tous les corps. Le volume de cet air étant comparable au volume de l’aiguille, fait croître ce dernier dans un rapport plus grand que celui de l’augmentation de poids ; en sorte que le tout est spécifiquement plus léger qu’un pareil volume d’eau. Si l’on fait avancer une des aiguilles vers l’autre, dans une direction oblique, jusqu’à ce que les deux extrémités se touchent, elles s’inclineront l’une vers l’autre, de manière que l’angle qu’elles formoient, au moment du contact, diminuera peu à peu, et elles finiront par adhérer entre elles dans toute leur longueur. Si lorsqu’elles se sont rencontrées, l’extrémité de l’une a touché un point situé, par exemple, au milieu de la longueur de l’autre, le point de contact restera fixe jusqu’à ce que les deux aiguilles adhèrent ensemble, en se dépassant mutuellement de la moitié de leur longueur, et à l’instant elles glisseront l’une sur l’autre pour se mettre de niveau par leurs extrémités,

Tous ces divers phénomènes, que plusieurs physiciens ont attribués aux actions réciproques des corps qui les présentent, dépendent donc uniquement de l’attraction qu’exercent les molécules de l’eau, soit entre elles, soit par rapport aux corps eux-mêmes ; et ce liquide est ici le véritable moteur déguisé sous l’apparence d’un simple véhicule[7].

Dans l’exposition que nous avons faite de ces phénomènes, nous n’avons pu donner, relativement aux forces dont ils dépendent, que les aperçus qui se présentent comme d’eux-mêmes, lorsqu’on fait attention aux différentes figures que prend, suivant les circonstances, le liquide sur lequel flottent les corps. Mais la détermination précise des résultats donnés par l’expérience, seroit l’objet d’un calcul analytique très compliqué, et qui exigeroit une main dont l’habileté répondît à la délicatesse du problème.

2. De l’Eau à l’état de Glace.

La congélation de l’eau, dont nous allons maintenant nous occuper, est de tous les phénomènes produits par le passage de la liquidité à la solidité, le plus général, et celui qui mérite le mieux de nous intéresser. Nous joindrons au développement des circonstances qui le déterminent et l’accompagnent, quelques détails relatifs au même phénomène offert par d’autres corps, lorsqu’il en résultera des rapprochemens propres à fixer l’attention.

204. Lorsqu’une masse d’eau exposée dans un vase à une température convenable, passe à l’état de solide, et que la congélation n’est pas trop hâtée, on voit d’abord se former, à la surface, de petites aiguilles triangulaires, dont une des faces est de niveau avec l’eau. À mesure que ces aiguilles se multiplient, elles s’insèrent les unes sur les autres, et les interstices qu’elles laissent se trouvant occupés successivement par de nouvelles aiguilles, tout cet assemblage finit par ne plus former qu’un même corps.

Dans le cas d’une congélation très-lente, les aiguilles ont des espèces de dentelures, et imitent, par leur assortiment, les cristallisations ébauchées que le refroidissement qui succède à la fusion fait naître sur la surface de la plupart des métaux, et que l’on a comparées à des rameaux de fougère. On observe aussi de ces congélations ramifiées à la surface des vitres pendant les temps de gelée.

Une circonstance remarquable de ces mêmes assortimens, est la tendance des aiguilles à se réunir sous l’angle de 120 degrés ou de 60d. Cette disposition se montre, avec un caractère particulier de symétrie, dans la neige, qui tombe assez souvent en forme de petites étoiles à six rayons, exactement situés comme ceux d’un hexagone régulier.

205. Descartes, pour expliquer ce phénomène, pensoit que les molécules de l’eau étant sphériques, six globules de cette eau s’arrangeoient d’abord autour d’un septième, et servoient ensuite comme de points d’attache à des files de globules semblables, dirigées suivant des lignes qui passoient par les centres des premiers et par celui du globule du milieu. Mais cette explication ressembloit à beaucoup d’autres, qui amènent le fait à elles, au lieu d’être amenées par le fait lui-même.

206. Mairan, dans sa Dissertation sur la glace, où l’on trouve une suite d’observations très-soignées, réunie à ce que la théorie pouvoit alors dire de mieux, se borne à regarder la disposition angulaire dont il s’agit, comme l’effet d’une certaine tendance qui dépend de la figure des molécules, qu’il présume être de petites aiguilles ; et il cite, entre autres exemples qui viennent à l’appui de son opinion, celui de la pyrite cubique, dont les faces sont striées alternativement dans trois directions perpendiculaires l’une à l’autre[8]. Cette pyrite n’est, selon lui, qu’un assemblage d’aiguilles déterminées, par elles-mêmes, à affecter constamment ces directions croisées ; mais nous avons prouvé depuis[9], que la pyrite striée est, comme les autres, un assemblage de molécules cubiques, et doit être regardée comme une cristallisation ébauchée du dodécaèdre à plans pentagones (101).

On pourroit plutôt présumer que les molécules de la glace sont des tétraèdres réguliers, composant des octaèdres, par un assortiment semblable à celui qui a lieu pour la chaux fluatée, ou le spath fluor[10], puisque les congélations qui offrent des indices de formes régulières, ont un rapport marqué avec les dendrites métalliques, que nous savons être des assemblages d’octaèdres implantés, dont la structure ressemble à celle du spath dont il s’agit : ce sont les mêmes traits de part et d’autre, les mêmes dentelures, les mêmes apparences de triangles équilatéraux aux extrémités.

Or, telle est la structure de l’octaèdre régulier, que si on le coupe parallélement à deux de ses faces opposées, et à égale distance entre l’une et l’autre, on mettra à découvert un hexagone régulier, et que, de plus, six des tétraèdres qui le composent auront chacun une de leurs faces située sur le plan de cet hexagone. Si donc on suppose des files de petits cristaux implantés, qui, en partant des différens côtés de l’hexagone, aient leurs faces analogues de niveau avec lui, ce qui n’est autre chose qu’une continuation d’un effet qui est dans le sens de la structure, ces files formeront nécessairement entre elles des angles de 60 degrés ou de 120 degrés, suivant qu’elles naîtront des côtés adjacens à l’hexagone, ou des côtés pris de deux en deux. On peut même supposer que le cristal situé, à l’origine de ces différentes files soit une portion d’octaèdre terminée par un hexagone. Il n’est pas rare de rencontrer de ces portions d’octaèdre, même parmi les cristaux isolés. Au reste, ce n’est ici qu’une hypothèse, à laquelle nous n’attachons que le degré de valeur qu’elle nous paroit avoir, comme étant puisée dans l’analogie, et indiquée par l’observation.

207. Nous avons parlé plusieurs fois du degré de la congélation, et nous avons désigné par là le terme où, soit que la glace commence à se fondre, soit que l’eau liquide commence à se glacer, la liqueur du thermomètre répond à zéro ; c’est effectivement ce qui a toujours lieu. Mais il ne s’ensuit pas que la température de l’eau ne puisse descendre au-dessous de zéro, sans que cette eau ne se congèle. Farenheit observa, le premier, et ce ne fut pas sans surprise, que l’eau contenue dans un matras de verre, dont le tube étoit fermé par le haut, conservoit encore sa fluidité, après avoir été exposée, pendant un jour et une nuit, à une température de beaucoup inférieure au terme de la congélation. Ayant cassé la pointe du tube, il vit à l’instant une multitude de petits glaçons se former au milieu de l’eau, et il attribua d’abord cet effet au contact de l’air ; mais une autre fois qu’il portoit un semblable matras, où l’eau étoit encore liquide, il fut tiré d’erreur par un accident assez singulier, en faisant un faux pas, qui produisit dans l’eau une agitation suivie d’une congélation subite.

Cet effet est analogue à ce qui se passe dans la cristallisation des sels. Un mouvement léger, imprimé au vase dans lequel est contenue une dissolution saline, où l’on ne voyoit encore rien paroître, quoique elle eût déjà passé le point de saturation, suffit pour déterminer tout à coup la naissance d’une multitude de petits cristaux.

On peut concevoir que, dans ce cas, l’agitation du liquide, en même temps qu’elle aide les molécules salines à se dégager d’entre les molécules aqueuses, qui opposent encore un petit obstacle à leur réunion, occasionne, dans les premières, une multitude de mouvemens divers, d’où résultent, pour un certain nombre d’entre elles, les positions qui donnent le plus d’avantage à l’affinité.

208. On a remarqué aussi qu’un petit cristal de sel, placé dans une dissolution du même sel, favorise la cristallisation, parce que les molécules qui composent ce cristal ayant déjà les positions respectives qu’exige l’affinité pour être satisfaite, sollicitent ensuite leurs voisines aux mouvemens les plus favorables à l’action de la même force, et cette disposition se communique, de proche en proche, à toutes celles qui faisoient effort pour cristalliser. La présence d’un petit glaçon, que l’on place de même dans une eau qui est déjà au-dessous du degré de la congélation, devient comme le signe de ralliement de toutes les molécules qui ont une tendance prochaine à se réunir.

209. Les deux effets dont nous venons de parler, savoir, l’abaissement de température que l’eau peut subir au-dessous du terme de la congélation, en restant toujours liquide, et le passage subit à l’état solide, en vertu de certaines circonstances, ont été le sujet d’une suite intéressante d’observations faites par M. Blagden, de la Société Royale de Londres[11]. Ce savant a remarqué qu’en général les substances qui altèrent la pureté et la transparence de l’eau, déterminent un moindre abaissement dans la température que ce liquide peut atteindre, sans se congeler, que s’il eût été pur et limpide, Ainsi l’eau distillée étoit celle qui donnoit, à cet égard, comme le maximum d’abaissement de température ; et, de plus, il y avoit cette différence entre l’eau distillée que l’on avoit fait bouillir et celle qui n’avoit point subi l’ébullition, que la première pouvoit être refroidie plus que l’autre sans se congeler. Le terme ordinaire auquel la première parvenoit avant d’entrer en congélation, répondoit à 24 degrés à peu près de Farenheit, ou 4d 5/9 au-dessous de zéro sur le thermomètre divisé en 80 parties ; mais l’eau qui n’avoit point bouilli arrivoit à une température de 21d de Farenheit, près de 5d de l’autre thermomètre, avant de se congeler. M. Blagden attribue cette différence à l’air que l’eau renferme naturellement, et qui se dégage pendant l’ébullition. L’eau qui n’avoit point été distillée se congeloit, après être parvenue à une température toujours moins basse, à proportion que cette eau étoit moins pure ; et M. Blagden ayant soumis à l’expérience de l’eau de rivière très-chargée de particules limoneuses, ne put jamais l’amener à descendre au-dessous de 32d de Farenheit, ou du zéro du thermomètre en 80 parties, avant de se congeler.

On entend dire assez communément que l’eau qui a bouilli se gèle plus facilement que celle qui n’a point été exposée au feu. M. Blagden aperçoit, dans les résultats de ses observations, ce qui a pu donner naissance à cette opinion : car si l’eau contient de la terre calcaire qui y soit tenue en dissolution par l’acide carbonique, ce qui a lieu très-fréquemment par rapport aux eaux de source, la terre calcaire, en se précipitant, par l’effet de l’ébullition, troublera la transparence de l’eau, qui acquerra ainsi une disposition plus prochaine à entrer en congélation.

Ces expériences faites sur l’eau commune ont été suivies de beaucoup d’autres où l’eau étoit modifiée par différentes substances salines, acides ou alkalines, susceptibles d’être dissoutes par ce liquide, ou combinées chimiquement avec lui. On savoit déjà que l’union de ces substances avec l’eau avoit la propriété de faire baisser plus ou moins son point de congélation. M. Blagden a observé de plus qu’en vertu de cette même union, l’eau pouvoit aussi être refroidie au-dessous de son nouveau point de congélation, en restant toujours liquide, et il détermine l’abaissement de température qui a lieu dans chaque cas particulier.

210. Pour compléter le tableau de toutes les circonstances relatives à cet objet, nous remarquerons qu’il y a ici deux effets distincts qui dépendent du calorique : d’abord la température du liquide s’abaisse au-dessous de zéro, parce que les corps environnans, qui sont plus froids que l’eau, lui enlèvent le calorique, par leur affinité prépondérante pour ce fluide ; mais dès qu’une fois l’eau est déterminée à se congeler, en vertu d’une cause quelconque, il se fait un dégagement particulier de la quantité de calorique qui doit se développer, pour que la congélation ait lieu.

211. On sait que l’eau congelée absorbe, en se fondant, 60d de chaleur ; car si l’on mêle ensemble un kilogramme d’eau à 60d, et un kilogramme de glace à zéro, toute la chaleur de l’eau sera employée à fondre la glace : par un effet contraire, une masse d’eau qui se congèle développe 60d de chaleur.

D’après cela on peut expliquer pourquoi l’eau, dont la température descend au-dessous de zéro, reste liquide ; car si les circonstances sont telles, que le calorique qui se développeroit par l’effet de la congélation dût mettre beaucoup de lenteur à se communiquer aux corps environnans, il en résultera une cause de retard par rapport à la congélation elle-même, parce que plus la portion de calorique qui, en la supposant développée, tendroit à rester dans la masse est considérable, et plus elle contrarie une des conditions nécessaires à la congélation ; savoir, que la température ne s’élève pas au-dessus de zéro, puisqu’à ce terme la glace commence à se fondre.

Cet obstacle, que la transmission lente du calorique forme à la congélation, est tel, que si l’on suppose l’eau exactement renfermée dans un vase non conducteur du calorique, elle ne pourra se congeler toute entière, dans cette hypothèse mathématique, qu’à une température au moins de 66d ⅔ au-dessous de zéro, en supposant, avec M. Kirwan et plusieurs autres physiciens, que les chaleurs spécifiques de la glace et de l’eau à l’état de liquide, soient entre elles dans le rapport de 9 à 10 ; car la quantité de chaleur que développe l’eau pendant qu’elle se congèle, est, comme nous l’avons dit, égale à celle qui éleveroit de 60d la température de ce liquide. Or, lorsque le développement de cette quantité de chaleur, que nous supposons rester toute entière dans l’eau, a déterminé le point de la congélation, la glace est dans le même cas que si sa température ayant été primitivement d’un nombre n de degrés au-dessous de zéro, elle s’étoit élevée jusqu’à zéro, par un accroissement de chaleur capable de faire monter de 60 degrés la température de l’eau. Donc, puisque les élévations de température de deux corps, par un même accroissement de chaleur, suivent le rapport inverse des chaleurs spécifiques (126), on aura cette proportion, 60d : n :: 9 : 10, ce qui donne n=66d ⅔ ; c’est-à-dire, que l’élévation de température qui feroit naître la congélation dans l’hypothèse présente, seroit de 66d ⅔, ou, en d’autres termes, il faudroit que la température de l’eau eût été originairement de ce nombre de degrés.

Si, dans la même hypothèse, la température étoit plus voisine de zéro, il pourroit encore y avoir congélation, mais seulement par rapport à une partie de l’eau ; et l’on trouveroit une infinité de cas possibles d’équilibre, en supposant que tout ce qui seroit susceptible de congélation se congelât en effet ; en sorte que l’on pourroit déterminer, à l’aide d’un calcul simple, la partie qui se congeleroit par chaque degré de température. Mais ces circonstances n’ont point lieu dans la nature, parce que les corps environnans prennent toujours leur part du calorique développé[12].

212. À l’égard de la congélation occasionnée par l’agitation de la liqueur, M. Blagden, en essayant des mouvemens de différentes espèces, est parvenu à distinguer ceux dont l’effet est le plus sûr pour commander, en quelque sorte, la réunion subite des molécules aqueuses. Il a observé qu’en général cet effet dépend d’une agitation particulière produite dans le liquide, plutôt que d’un mouvement rapide imprimé à toute la masse. Ainsi l’on réussira, en frappant légèrement avec le fond du vase la table qui le soutient, ou en froissant les parois intérieures ou le fond du même vase avec un tube ou avec une plume. Mais de tous ces excitateurs de la congélation, celui qui manque le plus rarement son effet, est un petit morceau de cire avec lequel on frotte les parois du vase, dans quelques points inférieurs au niveau de l’eau, de manière à faire naître des espèces de vibrations sonores. On voit paroître à l’instant une croûte de glace à l’endroit du vase situé au-dessous de la cire.

213. Pendant que l’eau passe à l’état de glace, son volume subit différentes variations, dont la marche mérite d’être suivie avec attention. Si on expose à la gelée un matras rempli d’eau jusque vers le milieu de sa hauteur, on verra cette eau descendre d’abord à me sure qu’elle se refroidira ; arrivée à un certain terme, elle y restera stationnaire pendant quelques instans, puis elle commencera à monter ; en sorte qu’au moment de sa congélation, elle se trouvera au-dessus de son premier niveau.

On voit par là que le volume de l’eau congelée est plus grand que n’étoit celui de la même eau à l’état de liquide. Il en résulte que la pesanteur spécifique de l’eau diminue par la congélation, ce qui est d’ailleurs prouvé par la propriété qu’ont les glaçons de nager sur l’eau qui les charrie.

214. L’observation que nous venons de citer indiquoit déjà que la dilatation de l’eau, à l’état de glace, n’étoit pas produite tout à coup, et comme par un saut brusque, au moment même de la congélation, mais qu’elle commençoit plutôt ; en sorte que le point de la plus grande contraction étoit à quelques degrés au dessus du zéro du thermomètre.

On pouvoit objecter, cependant, qu’il y avoit ici un effet qui n’étoit qu’apparent, et qui provenoit de ce que le verre se condensant en même temps que l’eau, à mesure qu’il se refroidissoit, éprouvoit, aux approches de la congélation, une contraction qui étoit plus grande à proportion que celle de l’eau. C’est ainsi que le fait a été expliqué par plusieurs physiciens, qui ont pensé que, dans ce cas, l’eau paroissoit seulement acquérir une extension de volume, qui étoit due à l’excès de la contraction du verre sur celle de l’eau elle-même.

Mais les expériences faites par Lefèvre-Gineau, avec le cylindre qui lui a servi à déterminer la nouvelle unité de poids, ne laissent aucun lieu de douter que la dilatation de l’eau ne soit réelle. Ce physicien a pesé le cylindre dont il s’agit, à diverses reprises et avec un soin extrême, tandis que la température de l’eau dans laquelle cet instrument étoit plongé, varioit en se rapprochant du terme de la glace fondante. Il a trouvé que le cylindre commençoit à perdre toujours davantage de son poids, à mesure que l’eau se refroidissoit, et cela jusque vers le quatrième degré au-dessus de zéro du thermomètre centigrade, qui répond à 3d ⅕ sur le thermomètre en 80 parties. Depuis ce terme, la perte de poids diminuoit à mesure que la température approchoit du point de la congélation. Dans le premier cas, la force de l’eau, pour soutenir le cylindre, alloit en croissant ; d’où il suit que ce liquide se contractoit de plus en plus. La même force diminuoit dans le second cas, ce qui indiquoit une dilatation dans le liquide ; et ainsi, le maximum de densité répond à peu près au quatrième degré de chaleur sur le thermomètre centigrade.

215. La marche ordinaire du thermomètre est toujours un peu compliquée du double effet de la température, pour dilater ou resserrer en même temps le liquide et le verre qui le contient ; en sorte que la variation du mercure paroit moindre qu’elle n’est réellement ; mais cette différence n’influe pas sur les résultats des observations ordinaires, parce qu’on suppose qu’entre les deux termes fixes auxquels se rapporte la construction du thermomètre, les degrés de dilatation ou de contraction du mercure et du verre suivent sensiblement le même rapport.

216. Selon les observations de M. Blagden, la dilatation que subit l’eau, par l’effet du refroidissement, depuis un certain terme, est susceptible de s’accroître encore, lorsque le liquide continue de se refroidir au-dessous du point de la congélation, sans passer à l’état de solidité. Il a paru même à ce savant que l’expansion avoit une marche croissante, en sorte qu’elle étoit beaucoup plus grande vers les derniers degrés du refroidissement qu’elle ne l’avoit été au commencement.

217. Une circonstance remarquable, qui accompagne la formation de la glace, est le dégagement de l’air renfermé dans l’eau. Cet air s’échappe sous la forme de petites bulles qui se réunissent plusieurs ensemble, pour former des bulles plus considérables, dont le diamètre a quelquefois jusqu’à six lignes, ou même un pouce de longueur.

Quelquefois les bulles ont la forme de petits tubes plus ou moins inclinés, par rapport à l’axe du vase où s’opère la congélation : c’est ce qu’on observe en particulier dans l’eau distillée qui passe à l’état de glace.

218. L’augmentation de volume que subit cette glace peut être attribuée, en partie, au dégagement de l’air. Il en seroit ici de l’eau et de l’air, comme de certaines substances qui paroissent se pénétrer en se mêlant, de manière que la somme de leurs volumes, pris séparément, étoit plus grande avant le mélange.

Mais l’eau que l’on a purgée d’air le plus exactement qu’il a été possible, avant de la faire congeler, ne laisse pas d’augmenter sensiblement de volume ; ainsi, cet effet dépend en grande partie du nouvel arrangement que prennent entre elles les molécules intégrantes du liquide, en se réunissant par leur force d’affinité ; et l’on sait que ce même effet n’est point particulier à l’eau. Réaumur a observé que le fer acquiert un volume plus considérable par le refroidissement qui suit la fusion de ce métal et qui le congèle, tandis que le mercure, au contraire, dans le même cas, se contracte d’une quantité très-sensible.

219. Mairan attribue la dilatation de l’eau congelée à une espèce de désordre produit par le mouvement plus ou moins rapide qui agite les molécules tandis qu’elles se réunissent. Il en résulte, selon lui, qu’elles se croisent et s’embarrassent mutuellement sous une infinité de positions différentes, en laissant de petits vides entre elles, ce qui tend à leur faire occuper un plus grand espace que dans l’état de simple liquidité.

On conçoit effectivement que, toutes choses égales d’ailleurs, une cristallisation confuse, en donnant lieu à une multitude de petits interstices qui auroient été remplis, dans le cas d’une cristallisation plus lente et mieux graduée, puisse tendre à augmenter le volume de la masse solide produite par cette opération. Mais il paroît que l’acte seul de la cristallisation est, par lui même, au moins relativement à certaines substances, et en particulier à l’égard de l’eau, une cause immédiate d’augmentation de volume. Telle est, dans ces sortes de cas, la figure des molécules, jointe aux autres circonstances, que pour suivre les espèces d’alignemens qui déterminent leurs nouvelles positions respectives, elles sont forcées de se développer dans un espace plus étendu que celui qu’exigeoit l’état de liquidité.

220. Mairan ayant cherché la pesanteur spécifique de la glace, au moyen de la balance hydrostatique, a trouvé que le volume de l’eau augmentoit d’environ 1/14 par la congélation : mais cet effet varie suivant les circonstances ; et comme il provient en général d’un arrangement particulier que prennent tout à coup les molécules de l’eau, en vertu de l’affinité qui, dans ce cas, agit très-puissamment pour les fixer, on entrevoit comment il peut en résulter dans la glace une force expansive considérable. De là les efforts qu’elle exerce contre les parois des différens vases qui la contiennent. Si le vase est d’une forme plate et présente une large ouverture, la force de la glace s’exerce en partie sur la croûte supérieure, qu’elle soulève vers le milieu, en lui faisant prendre une figure convexe ; en sorte que les parois du vase n’ayant à soutenir que le résidu de la même force, lui opposent ordinairement une résistance suffisante : mais si le vase est étroit, il arrive rarement qu’il ne soit pas rompu par l’effort de la glace, qui alors agit presque entièrement dans le sens latéral ; et il n’est personne qui n’ait eu plus d’une fois sous les yeux des vases d’un usage ordinaire mis hors de service par la congélation du liquide que l’on y avoit laissé séjourner.

221. Plusieurs physiciens ont désiré d’éprouver jusqu’où pourroit aller cette force d’expansion. Un canon de fer, épais d’un doigt, rempli d’eau et fermé exactement, ayant été exposé, par Buot, à une forte gelée, se trouva cassé en deux endroits au bout de douze heures. Les philosophes de Florence firent crever, par la même cause, une sphère de cuivre très-épaisse, et Musschenbroek ayant calculé l’effort qui avoit dû occasionner la rupture, a trouvé qu’il auroit été capable de soulever un poids de 27 720 livres.

222. Lorsqu’à la suite d’un dégel, le retour de la gelée convertit en glace l’eau dont la terre étoit imbibée, cette glace, qui a subi une augmentation de volume, serre les végétaux naissans par le collet de leur racine, et attaque d’une manière funeste cette partie, qui leur sert à pomper les sucs nourriciers que la terre leur fournit. Un froid vif qui survient pendant le printemps produit aussi des effets nuisibles, dans l’intérieur même des plantes qui déjà commençoient à se développer. La séve, composée d’eau en grande partie, se dilate en se congelant, tandis qu’au contraire, les fibres de la plante éprouvent une contraction ; et il en résulte des espèces de déchirures qui occasionnent un dérangement dans l’organisation.

223. La même cause étend son influence destructive jusque sur les êtres inorganiques. Les pierres qui ont été mouillées avant la gelée s’exfolient ; les marbres que l’on a fait sauter au moyen de la poudre à canon, et où il s’est formé des gerçures, par l’ébranlement qu’ils ont éprouvé, sont sujets, dans le même cas, à éclater en divers endroits. Il est bon que les artistes connoissent la cause de ces accidens, pour être à portée de les prévenir.

224. L’eau qui tient un sel en dissolution le laisse précipiter lorsqu’elle se convertit en glace. Dans quelques contrées du nord, on profite du froid de l’atmosphère, comme d’un moyen préparatoire, pour extraire le sel des eaux de la mer. On fait entrer une couche d’eau peu épaisse dans des fosses préparées à cet effet. Une partie de cette eau, en se congelant, abandonne les molécules salines, qui se concentrent dans la portion encore fluide, en sorte que celle-ci n’a plus besoin que d’être exposée à une chaleur modérée, pour que son évaporation permette au sel, dont elle est chargée, de se cristalliser.

De la congélation du Mercure.

225. Le mercure est, après l’eau, celui de tous les liquides dont la congélation ait donné lieu aux observations les plus intéressantes. Cette substance, qui paroît jouer un rôle si singulier dans la nature, n’est réellement qu’un métal capable d’entrer en fusion par une température incomparablement moins élevée que celle qu’exigent les métaux ordinaires pour se fondre, ce qui seul indique que le degré de froid nécessaire pour le solidifier, est bien en deçà du zéro de nos thermomètres. Déjà Delisle et Gmelin avoient vu le mercure se congeler naturellement en Sibérie, dans les thermomètres dont ils faisoient usage. Mais ce phénomène étoit resté inconnu, ou avoit été révoqué en doute, lorsqu’au mois de décembre 1759, M. Braun, membre de l’Académie de Pétersbourg, ayant profité d’un froid très rigoureux qui régnoit alors dans ce pays, et qui étoit de −34d de Farenheit (ce qui répond à 29 ⅓ au-dessous du zéro du thermomètre en 80 parties), parvint, à l’aide d’un mélange de glace pilée et d’acide nitrique, à faire descendre le mercure dans le tube de son thermomètre, jusqu’à −69d de Farenheit (−44d 8/9 du thermomètre en 80 parties). Il vit alors qu’une partie du mercure s’étoit congelée, et encouragé par ce premier succès, il poursuivit ses expériences, en substituant de la neige à la glace ; le mercure continua de descendre, et parvint, dans une dernière expérience, jusqu’à −352d (−170d ⅔ du thermomètre en 80 parties). M. Braun ayant retiré du mélange son thermomètre, et en ayant soigneusement examiné la boule, n’y aperçut aucune fissure ; en même temps il vit que le mercure étoit immobile, ce qui dura pendant environ douze minutes. Quelques jours après, il répéta l’expérience avec Æpinus, et étant encore parvenu à fixer le mercure, il brisa la boule de son thermomètre, et en retira le métal sous la forme d’une masse solide brillante, qui s’étendit par la percussion, en rendant un son sourd semblable à celui du plomb, dont elle se rapprochoit aussi beaucoup par sa dureté[13].

On ne pouvoit plus douter alors que le mercure ne fut susceptible d’une congélation proprement dite, mais on étoit loin de connoître le véritable degré de froid qui suffisoit pour la produire. M. Braun et plusieurs autres physiciens ont jugé ce degré beaucoup plus bas qu’il n’étoit en effet, pour avoir confondu deux effets très-distincts, savoir, la température qu’avoit ce métal au moment de la congélation, et la contraction considérable qu’il éprouvoit en achevant de se fixer, ce qui le mettoit en contraste, sous ce rapport, avec l’eau, qui, comme nous l’avons vu, éprouve au contraire une dilatation, avant d’atteindre le terme où elle se congèle.

226. L’idée qui devoit conduire à la détermination de cette limite, qui est relativement au mercure ce qu’est à l’égard de l’eau le zéro du thermomètre en 80 parties, se présenta en même temps à Black et à Cavendish, deux des hommes les plus faits pour se rencontrer. Ils raisonnèrent du mercure comme de l’eau elle-même, dont la température est sensiblement constante, depuis le moment où ce liquide commence à se congeler, jusqu’à celui où toute la masse est devenue solide. M. Cavendish, pour rendre encore plus frappante l’analogie suggérée par cette observation, en fit l’application à des métaux aisément fusibles, tels que le plomb et l’étain ; et il trouva qu’un thermomètre plongé dans l’un ou l’autre de ces métaux, demeuroit stationnaire pendant tout le temps du passage de la liquidité à la solidité[14].

L’appareil destiné pour les expériences relatives au mercure, consistoit en un petit thermomètre à mercure, que l’on introduisoit dans un matras de verre dont la boule étoit remplie du même métal, et environnée d’un mélange de matières frigorifiques. On voyoit le mercure descendre progressivement dans le tube du thermomètre, jusqu’au moment où commençoit la congélation de celui qui étoit dans le matras, et s’arrêter ensuite au même point, pendant tout le temps qu’elle continuoit de s’opérer. On trouva que le terme indiqué alors par le mercure du thermomètre répondoit environ à −39d de Farenheit (−31d ½ du thermomètre en 80 parties). Si l’on employoit un thermomètre à alkohol construit d’après cette même division, on avoit à peu près 28 degrés au-dessous de zéro, pour le terme correspondant.

227. L’expérience de la congélation du mercure a été répétée plusieurs fois à Paris, depuis quelques années. Les personnes qui ont eu le courage de prendre avec la main le métal figé, ont éprouvé une sensation douloureuse, dont elles n’ont pu donner une plus juste idée qu’en la comparant à celle que produit une forte brûlure. Rien ne justifioit mieux le langage des poëtes qui, pour peindre un froid très-vif, l’ont appelé un froid brûlant.

228. Plusieurs métaux, en se solidifiant après avoir été fondus, subissent une cristallisation régulière. Le calorique agit ici par rapport à un métal en fusion, comme les liquides ordinaires à l’égard d’un sel qu’ils tiennent à l’état de dissolution. Dans l’un et l’autre cas, c’est la retraite de la substance d’abord interposée entre les molécules métalliques ou salines, qui leur permet de se rapprocher et de s’unir sous des formes géométriques, lorsqu’elle se fait assez lentement pour leur donner le loisir de prendre l’arrangement qui s’accorde avec les lois de la cristallisation.

Les premiers indices que l’on ait observés de ces phénomènes, paroissent avoir été ces espèces d’étoiles branchues qui se forment sur la surface de l’antimoine. Ce fut aux yeux des alchimistes qu’elles se présentèrent d’abord, et ils expliquèrent le fait en alchimistes : c’étoit une étoile d’heureux présage, qui leur promettoit la métamorphose de l’antimoine en or.

Les expériences faites sur le bismuth par Brongniart, professeur au Muséum d’histoire naturelle, ont offert le premier exemple d’un métal converti en cristaux saillans, par un procédé semblable à celui que Rouelle avoit employé par rapport au soufre, et qui consiste à laisser d’abord figer la surface du métal, puis à percer cette espèce de croûte et à survider le creuset. Lorsqu’on brise ensuite ce creuset, après l’entier refroidissement, on en trouve la cavité toute tapissée de cristaux, qui présentent, suivant les circonstances, des groupes d’octaèdres ou de cubes disposés sur des lignes perpendiculaires entre elles, et rentrantes comme les contours d’une volute.

On a cru que le vide laissé par le métal qui étoit sorti du creuset, en donnant accès à l’air, favorisoit la production des cristaux. La vérité est que ces cristaux se forment au milieu même du métal encore en fusion, par le rapprochement des parties qui se refroidissent les premières. Il en est de ce métal, à peu près comme de l’eau qui se congèle au milieu de l’eau même encore fluide. On ne fait autre chose, en survidant le creuset, que mettre à nu les cristaux déjà formés, et les dégager de la matière métallique enveloppante, avec laquelle ils ne feroient bientôt plus qu’une masse solide après le refroidissement. C’est ce dont on peut s’assurer en cernant, avec la pointe d’un canif, la croûte qui s’est formée à la surface ; on retirera cette croûte couverte en dessous de cristallisations semblables à celles que nous avons décrites. Le bismuth est un des métaux qui se prête le plus facilement à cette observation.

3. De l’Eau à l’état de Vapeur.

229. Nous avons déjà parlé (135) d’un phénomène qui présente comme le dernier résultat de l’accumulation du calorique entre les molécules d’un corps, et qui consiste dans la conversion de ces molécules en fluide élastique. On a distribué ces sortes de fluides en deux classes : l’une comprend ceux qui conservent leur fluidité élastique sous les plus fortes pressions que nous puissions leur faire subir, et à tous les degrés connus de refroidissement : on leur a donné le nom de fluides aériformes, emprunté de celui de l’air atmosphérique, qui semble tenir le premier rang parmi eux. On les a aussi appelés fluides élastiques permanens ou gaz. Dans l’autre classe sont renfermés les fluides élastiques qui perdent facilement leur état par la pression ou par le refroidissement : de ce nombre sont l’eau commune, l’alkohol, l’éther, etc. Ces fluides ont été appelés vapeurs ou fluides élastiques non permanens, et le phénomène qui consiste dans le passage d’un corps de l’état de liquidité à celui de vapeur, prend le nom de vaporisation, lorsqu’il est uniquement dû à l’action du calorique, et celui d’évaporation, lorsque l’air intervient dans sa production, par l’affinité qu’il exerce sur les molécules de la vapeur. Nous nous bornerons ici à ce qui concerne le premier de ces effets, et nous le considérerons surtout par rapport à l’eau. Quant à l’autre effet, nous nous réservons à le faire connoître plus particulièrement, lorsque nous traiterons des propriétés de l’air atmosphérique.

230. L’ébullition est, en général, par rapport aux liquides, le signe de la vaporisation naissante. Elle s’annonce par des bulles qui partent du fond du vase, et se succèdent rapidement à travers le liquide, dont elles soulèvent la surface. Ces bulles ne sont autre chose que des portions du liquide déjà converties en vapeur par l’action du calorique, et qui tendent à s’échapper en vertu de leur force élastique. Lorsque l’ébullition est produite au moyen du feu que nous supposons agir en dessous du vase qui contient le liquide, la couche inférieure de celui-ci recevant immédiatement le calorique qui s’introduit dans le vase, doit aussi être la première à se vaporiser. Mais le même effet a lieu sous un récipient où l’on fait le vide, pour déterminer l’ébullition par une température beaucoup plus basse que celle qui seroit nécessaire sous la pression de l’atmosphère (141). Dans ce cas, le refroidissement occasionné par la raréfaction de l’air renfermé sous le récipient (148), agit sur la couche supérieure, et de proche en proche sur les suivantes, par des degrés toujours décroissans ; d’où il suit que la couche la plus basse qui conserve le plus de chaleur, doit encore fournir les premières bulles.

231. On a observé les différentes températures auxquelles répond l’ébullition de certaines substances, par une pression de 28 pouces de mercure. D’après les recherches faites par Deluc sur l’alkohol, l’ébullition de ce liquide commence à 67 degrés du thermomètre en 80 parties. Les CC. Laplace et Lavoisier ont trouvé que, dans le même cas, l’éther entre en ébullition à 32 ou 33 degrés. Une autre expérience des mêmes savans fait voir avec quelle rapidité l’éther se dilate en se vaporisant dans le vide. L’expérience consiste à couvrir d’une couche de ce liquide la surface du mercure renfermé dans la cuvette d’un baromètre ordinaire, puis à incliner légèrement le tube en le soulevant un peu, de manière qu’il reste plongé, et que ce petit mouvement détermine une goutte d’éther à s’introduire dans la partie inférieure du tube : cette goutte s’élève à travers la colonne de mercure ; arrivée à la surface, elle se vaporise, et à l’instant on voit baisser le mercure d’une quantité considérable.

232. Mais la vapeur de l’eau est de tous les fluides élastiques que l’on a soumis à l’expérience, celui qui a fourni les résultats les plus intéressans, par l’application qu’on a faite de sa force expansive à la mécanique, ainsi que nous l’exposerons bientôt.

La vaporisation de l’eau commence, comme l’on sait, à 80d du thermomètre dit de Réaumur, sous la pression moyenne de l’atmosphère ; et nous avons fait voir, de plus, que la température reste la même pendant tout le temps de la conversion du liquide en vapeur (135). Mais cette uniformité de chaleur n’a lieu qu’autant que la vapeur est libre de s’échapper à mesure qu’elle se forme ; car si l’eau qui se vaporise est renfermée dans un vase qui ne lui laisse aucune issue, alors la vapeur, en s’accumulant dans la partie supérieure du vase, exerce sur l’eau encore liquide une pression qui, étant parvenue à un certain terme, s’oppose à l’effet de la force élastique du calorique, pour vaporiser de nouvelle eau ; en sorte que le calorique s’accumule à son tour, soit dans le liquide, soit dans la vapeur elle-même, et que la température continue de s’élever bien au delà du terme de 80d.

C’étoit sur ce principe qu’étoit construite la machine si connue sous le nom de marmite de Papin, et dont ce physicien a publié une description à Paris, en 1682, sous le nom de machine propre à amollir les os, pour en faire du bouillon. La chaleur qui se produit dans cette machine est si forte, que l’eau y devient capable, non-seulement de dissoudre des os, d’en extraire la gélatine, mais encore de fondre le plomb, et même le cuivre, ainsi que l’ont observé différens physiciens.

233. Lorsque l’eau vaporisée rencontre les corps voisins dont la température est beaucoup plus basse que la sienne, elle leur cède à l’instant une grande partie du calorique qui la tenoit à l’état de fluide élastique, et reprenant l’état de liquide, elle adhère à la surface de ces corps sous la forme d’une couche d’humidité. De là cette vive impression de chaleur que ressent la main ou toute autre partie du corps qui se trouve exposée subitement à la vapeur de l’eau.

234. L’extinction du feu, produite par l’injection de l’eau sur le corps embrasé, n’est autre chose, dans les idées du vulgaire, que l’effet d’une espèce de lutte entre deux substances ennemies, dont l’une arrête les progrès de l’autre. La véritable explication du phénomène est que l’eau intercepte d’une part le contact de l’air avec le corps combustible, et d’une autre part enlève, en se vaporisant, une partie du calorique nécessaire pour produire entre les molécules du même corps un écartement qui les dispose à s’unir avec l’oxygène de l’air.

235. Lorsque l’eau encore liquide s’échauffe de plus en plus, ses dilatations varient dans un rapport sensiblement plus grand que les accroissemens de chaleur, et cette différence est surtout marquée aux approches de l’ébullition. C’est ce que l’on concevra en faisant attention que quand la distance entre les molécules aqueuses s’est accrue à un certain point, par la force élastique du calorique, l’affinité, qui n’agit très-sensiblement que près du contact, doit diminuer toujours plus rapidement, même en supposant des augmentations égales de chaleur ; en sorte que les dilatations, au contraire, croîtront dans un très grand rapport. Cependant l’effet total de la dilatation, depuis le terme de la glace fondante jusqu’à celui de l’eau bouillante, se borne à augmenter d’environ 1/26 le volume de l’eau. Mais au moment de l’ébullition, la dilatation fait un saut brusque ; et suivant les expériences les plus modernes, la vapeur se développe rapidement dans un espace dix-sept cent vingt-huit fois plus grand que celui qu’occupoit l’eau dans l’état de simple liquidité, en sorte que chaque pouce cube de cette eau produit un pied cube de vapeur.

236. C’est à cette grande expansion de l’eau vaporisée qu’est dû l’effet de l’éolipile, que l’on a si long-temps attribué à la dilatation de l’air. On appelle ainsi un vase de métal en forme de poire creuse, dont la queue est un tube étroit. On chauffe le vase pour chasser une grande partie de l’air qu’il renferme, puis on plonge l’orifice du tube dans l’eau, jusqu’à ce que ce liquide, que la pression de l’air environnant introduit dans la capacité du vase, en remplisse la moitié ou au plus les deux tiers. On place ensuite l’éolipile, le fond tourné en bas, sur des charbons ardens, et l’on anime le feu, jusqu’à ce qu’un souffle violent sorte par l’orifice du tube. Enfin, on incline l’éolipile de manière que son tube soit situé verticalement, l’orifice en haut, et l’on continue de le chauffer. Aussitôt la partie de l’eau encore liquide, chassée par la vapeur, s’élance sous la forme d’un jet qui s’élève quelquefois à la hauteur de 8 mètres ou d’environ 25 pieds. Si la liqueur est de l’alkohol, on aura un jet de feu en présentant un flambeau allumé à peu près à un décimètre au-dessus de la naissance du jet.

237. La vapeur de l’eau devient capable de produire des effets beaucoup plus étonnans par sa force expansive. On trouve dans les Mémoires de l’Académie des Sciences pour l’année 1707, des observations communiquées par Vauban, d’où il résulte que 140 livres d’eau convertie en vapeur, produisent une explosion capable de faire sauter une masse de 77 000 livres, tandis que 140 livres de poudre, ne peuvent opérer un semblable effet que sur une masse de 30 000 ; en sorte que la force de l’eau en vapeur, seroit plus que double de celle de la poudre.

Des Machines à Vapeur.

238. Des effets aussi puissans que ceux dont nous venons de parler ne devoient pas demeurer stériles pour les besoins des arts : c’étoit une nouvelle force motrice que la mécanique demandoit au génie qui l’avoit créée, et en avoit mesuré l’énergie. Cette science, pendant longtemps, n’avoit employé l’eau, sous ce rapport, qu’en profitant de son cours naturel, ou en lui ménageant une chute, pour lui soumettre le jeu des machines qu’elle dirigeoit par une impulsion toujours renaissante. Les expériences entreprises sur la force de l’eau réduite en vapeur, firent naître l’idée de l’appliquer avec d’autant plus d’avantage au même objet, qu’indépendamment de sa grande énergie, elle peut-être transportée partout où l’appelleront les intérêts du commerce et de l’industrie.

239. L’exécution des machines à vapeur a eu, comme celle de toutes les autres machines, ses différentes époques, auxquelles répondent successivement de nouveaux degrés de perfection. Diminuer, autant qu’il est possible, la quantité de la vaporisation nécessaire à l’effet qu’on a en vue, et par là ménager le combustible ; joindre à cette première économie celle de la matière et de la main d’œuvre, en resserrant les dimensions des pièces, sans nuire aux résultats ; prévenir les explosions, par de sages précautions prises contre un agent dont la puissance devient destructive quand elle n’est pas limitée : tels sont en général les objets qui ont fixé l’attention des constructeurs, et excité entre eux une sorte de rivalité. Nous nous bornerons aux moyens de perfection qui marquent le plus, et nous n’entrerons dans la description des machines, qu’autant qu’elle sera nécessaire pour l’intelligence de l’effet principal.

Tous les mouvemens de la machine à vapeur, tirent leur origine du jeu d’un piston qui s’élève et s’abaisse alternativement dans un tuyau cylindrique, en communication avec une chaudière où la vapeur se forme par l’action du feu que l’on entretient en dessous. La manière dont la vapeur contribue au jeu du piston varie suivant les différentes méthodes ; et notre objet est sur tout de comparer ces méthodes, et de faire voir les nouveaux avantages qu’elles amenoient avec elles à mesure qu’elles se succédoient l’une à l’autre.

240. La première méthode dont le succès se soit annoncé par un empressement général à l’imiter, est celle qu’on attribue communément à un Anglais, nommé Savery, mais dont l’invention est due à deux autres Anglais ; l’un s’appeloit Newcomen, et l’autre Jean Cawley. La machine qui appartient réellement à Savery, avoit beaucoup de rapport avec la fontaine de compression que nous décrirons à l’article de l’Air, et dans laquelle ce fluide condensé exerce sur l’eau une pression qui la détermine à s’élancer par un canal qui lui offre une libre issue : toute la différence consistoit en ce que Savery substituoit la force de la vapeur à celle de l’air comprimé. Savery, en s’associant Newcomen, s’empara de sa découverte, et son ambition éclipsa bientôt l’homme simple et modeste qui bornoit la sienne à bien faire.

Pour concevoir le jeu de la machine dont il s’agit, supposons que le piston soit descendu au point le plus bas de sa course ; à l’instant la communication s’ouvre entre la chaudière et le fond du cylindre, par un mouvement de côté que fait un cercle nommé régulateur, qui, auparavant, fermoit cette communication ; la vapeur s’introduit en dessous du piston, et le pousse de bas en haut par sa force expansive. Lorsqu’il a fini de monter, le régulateur se remet à sa place et, au moyen d’un robinet qui s’ouvre à l’instant, un jet d’eau froide sort d’un tuyau abouché au cylindre, et va frapper la base inférieure du piston, d’où retombant sous la forme d’une pluie, il condense la vapeur, et en détruit l’effet. Alors l’air atmosphérique, qui agit par sa pression sur la base supérieure du piston, le détermine à descendre ; après quoi l’émission de la vapeur et les autres effets se succèdent de nouveau, de manière à perpétuer les mouvemens alternatifs du piston.

Le haut de la tige du piston est attaché à l’une des extrémités d’un balancier, dont l’extrémité opposée fait mouvoir en sens contraire la tige d’un second piston adapté à une véritable pompe, dans laquelle l’eau s’élève à l’ordinaire.

Cette machine avoit surtout deux inconvéniens dont on ne tarda pas à s’apercevoir : d’une part, l’injection d’eau froide en se faisant dans le cylindre même, en refroidissoit les parois ; d’une autre part, on étoit obligé de tenir la base supérieure du cylindre toujours couverte d’eau, tant pour empêcher le desséchement des cuirs, que pour fermer tout accès à l’air dans la partie inférieure du cylindre où s’introduisoit la vapeur, d’où il arrivoit que le piston, pendant sa descente, humectoit à son tour les parois du cylindre. Pour compenser l’effet du refroidissement produit par les deux causes dont nous venons de parler, il falloit fournir une plus grande quantité de vapeurs, d’où résultoit un double défaut d’économie dans l’emploi du métal dont on faisoit la chaudière qui devoit avoir une plus grande capacité, et dans la consommation du combustible.

241. La machine imaginée par le célèbre Wats, réunit à l’avantage de faire disparoître ces inconvéniens, une perfection qui semble l’avoir rendue neuve sous tous les rapports. Ce qui la distingue principalement, est le double emploi de la vapeur, dont une partie s’introduit en dessous du piston, comme dans la machine attribuée à Savery, et l’autre en dessus du même piston ; en sorte que l’intérieur du cylindre n’a aucune communication avec l’air atmosphérique, qui n’entre pour rien dans le jeu de la machine. De plus, l’extrémité du balancier, opposée à celle qui conduit le piston du cylindre à vapeur, est chargée d’un contre-poids dont nous verrons l’usage dans un instant. Enfin, le bas du cylindre communique avec un tuyau nommé condenseur, qui est placé de côté, et dans lequel s’opère la condensation.

Supposons maintenant le piston arrivé au point le plus haut de sa course, en sorte qu’il y ait un vide dans toute la partie du cylindre située en dessous, et que le piston ne soit retenu dans sa position que par l’action du contre-poids dont nous avons parlé. Dans cet état de choses, la vapeur entre par dessus le piston, et sa force prépondérante, à l’égard de celle du contre-poids, détermine le piston à descendre jusqu’à ce qu’il ait terminé son jeu. À l’instant une nouvelle vapeur s’introduit en dessous du piston, et le force de monter, jusqu’à ce qu’il se trouve en équilibre entre les deux vapeurs : alors il continue de s’élever par l’action du contre-poids, que rien n’empêche plus d’obéir à la pesanteur. À mesure que le piston monte, il refoule la vapeur qui est en dessus, et qui va se rendre sous sa base inférieure, pour remplir l’espace qu’il laisse vide par son ascension. Ce mouvement terminé, le condenseur s’ouvre, et permet à la vapeur de s’introduire dans sa cavité, où elle est condensée par une injection d’eau froide. Le piston redescend ensuite, et remonte alternativement, en vertu d’une combinaison semblable des différentes actions produites par les deux vapeurs et par le contre-poids.

On voit aisément que cette construction est beaucoup mieux ordonnée que la précédente, pour prévenir la dépense superflue de vapeur et de combustible occasionnée par le refroidissement du cylindre. La machine de Chaillot, près Paris, dans laquelle on l’a employée, et dont l’exécution est due aux talens des frères Perrier, a pour objet, comme l’on sait, d’élever l’eau d’un puisard qui communique avec la Seine, pour la distribuer ensuite dans différens quartiers de Paris. Suivant le prospectus publié par les auteurs, cette machine peut fournir, dans l’espace de 24 heures, environ treize mille sept cent onze mètres cubes, ou quatre cent mille pieds cubes d’eau.

242. On ne connoissoit encore ici rien de plus parfait en ce genre, lorsqu’en 1788, Betancourt ayant fait un voyage à Londres, y vit une nouvelle machine à vapeur, exécutée par les soins de Wats et de Bolton. On se contenta de lui dire que cette machine avoit beaucoup d’avantages sur les autres ; mais du reste, on lui fit mystère du mécanisme, et le secret étoit bien gardé par la machine elle-même, pour un observateur qui ne faisoit guère que passer devant un ensemble de pièces, les unes tout-à-fait intérieures, les autres masquées en partie par la disposition du bâtiment. Cependant Betaucourt devina le principe, et, de retour à Paris, il construisit un modèle, où il fit l’application de ce principe par des moyens également simples et ingénieux.

Dans cette nouvelle machine, la vapeur s’introduit aussi en dessous et en dessus du piston ; mais la perfection du mécanisme consiste en ce que l’injection d’eau froide se répète des deux côtés, en sorte qu’elle condense tour à tour la vapeur supérieure, en laissant à celle qui agit par dessous toute sa force pour élever le piston, et la vapeur inférieure, pour donner lieu à celle qui passe dans le haut du cylindre d’exercer de même tout son effort sur la base supérieure du piston. Il en résulte que le piston est poussé avec la même force, en montant et en descendant ; et de là naissent plusieurs avantages très-marqués.

D’abord le contre-poids se trouve supprimé, et c’est une surcharge de moins pour la machine ; ensuite, l’égalité d’impulsion qui a lieu dans quelque sens que se meuve le piston, permet de l’appliquer comme une puissance uniforme à un mouvement de rotation qui agit sans interruption pour produire l’effet que l’on a en vue. Ainsi, au lieu que, dans la première machine, le piston ne contribue à l’effet principal, que quand il s’abaisse, ici le piston, soit en montant, soit en descendant, agit toujours efficacement. Supposons que celui de la première machine ait une base double de celle du piston de la seconde ; la colonne de vapeur, qui presse sur la base de celui-là, exercera, toutes choses égales d’ailleurs, une pression double de celle qu’éprouve la base de l’autre. Mais dans les deux mouvemens du premier, il y en a un qui n’est que de renvoi ; d’où il suit que si le second piston, qui travaille sans cesse utilement, agit sur un lévier double, il fera en deux temps ce que l’autre ne produit que pendant sa descente.

De là résulte d’abord une épargne sur la matière du cylindre, et ensuite sur celle des pièces qui en dépendent. De plus, on peut diminuer la capacité et l’épaisseur de la chaudière, parce que la vapeur n’a pas besoin de s’y accumuler comme dans l’autre, d’où elle ne sort que par intervalles. Enfin, la surface de l’eau, encore liquide dans la chaudière, y étant moins comprimée par la vapeur qui se forme au-dessus, cette eau se vaporise à son tour par un moindre degré de chaleur, ce qui, joint aux autres causes, procure une grande économie de combustible.

On voit à Paris, dans l’île des Cygnes, une machine construite d’après le principe que nous venons d’exposer, et qui est employée à faire mouvoir des moulins à blé.

Nous n’avons pu qu’ébaucher la description de cette machine, ainsi que des précédentes. Nous passerions les bornes que nous sommes obligés de nous prescrire, si nous entreprenions de parcourir tous les différens accessoires employés à introduire ou à condenser la vapeur, et de faire connoître les moyens qui ont été pris pour entretenir l’uniformité du mouvement, pour prévenir les accidens que pourroit occasionner une trop forte condensation, etc. Nous devons observer, à ce sujet, que dans les premiers essais de la machine à feu, il falloit des hommes spécialement chargés de tourner à chaque instant les robinets qui donnent passage à la vapeur ou à l’injection de l’eau froide. Aujourd’hui, tout se réduit à la surveillance de celui qui entretient le feu ; le reste marche de soi-même. La force de la vapeur qui anime le corps de la machine, se transmet aux différentes pièces qui lui tiennent lieu de bras et de mains ; et le même génie qui a su convertir un peu d’eau pénétrée de chaleur en un agent capable de produire les mouvemens qui exigent de puissans efforts, est parvenu encore à pouvoir s’en reposer sur cette cause aveugle, de ceux même qui semblent demander une attention vigilante et des soins assidus.

Ainsi, en comparant les effets de l’eau dans ses deux états extrêmes, celui de solidité et celui de fluidité élastique, on voit, avec une double surprise, la grande énergie qu’elle déploie pour rompre ses barrières, soit lorsque ses molécules restent abandonnées à la force qui agit pour les enchaîner, soit lorsqu’elles sont lancées par la force qui tend à les écarter les unes des autres.

  1. Élémens de Chimie, 3e. édit., t. i, p. 139.
  2. Soient D, d les diamètres, et H, h les hauteurs. On aura, par l’hypothèse, D : d :: D2×H : d2×h ; d’où l’on tire H : h :: d : D.
  3. P. 105 et suiv.
  4. Dictionnaire Encyclopédique, supplément, tom. iv, p. 981.
  5. Le pied du Rhin vaut à peu près 11 pouce ½ de notre ancienne mesure.
  6. Le pied de Londres répond à environ 11 pouces 3 lignes de notre ancienne mesure.
  7. Voyez le Traité du Mouvement des eaux, par Mariotte, Paris, 1700, p. 118 et suiv. ; et un Mémoire du célèbre Monge, inséré parmi ceux de l’Acad. des Sc., an. 1787, p. 506 et suiv.
  8. P. 156 et suiv.
  9. Traité de Minér., t. IV, p. 75.
  10. Ibid., t. II, p. 249.
  11. Philosophical transactions, vol. LXXXVII, p. 125.
  12. Voyez le Mémoire publié par Lavoisier et Laplace, parmi ceux de l’Acad. des Sciences, 1780, p. 355 et suiv.
  13. Nov. Commenta. Acad. Scient., imper. Petropol, t. XI.
  14. Philosoph. transact., 1783, p.313.