Traité d’astrologie générale/Préface

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Traduction par Pierre Piobb.
H. Daragon, libraire-éditeur (p. III-IX).

PRÉFACE



À l’heure où le domaine de la Science paraît s’élargir, où le positiviste commence à comprendre que la réalité existe peut-être aussi dans maint fait que jusqu’ici il avait considéré comme mystérieux, surnaturel et indigne par conséquent de considération, à l’heure où, par la découverte à jamais mémorable de la radio-activité, le matérialiste voit ses idées sur la matière légèrement bouleversées, où enfin le rationaliste est obligé d’admettre que les alchimistes du vieux-temps n’étaient pas autant à mépriser qu’on a bien voulu le dire, à l’orée de ce vingtième siècle qui sera certainement encore plus fécond en trouvailles que le dix-neuvième, le nom glorieux de Robert Fludd doit être remis en lumière.

Robert Fludd, par son savoir, par son esprit froid et positif, par sa pensée libérée de toute contrainte, par son génie enfin, a été, parmi les philosophes du commencement du dix-septième siècle, celui qui a eu la compréhension la plus grande, la plus nette, la plus belle de l’Univers en entier.

C’est, avant tout, un philosophe synthétique, un métaphysicien si l’on veut, mais un métaphysicien sans rêverie, sans mysticisme, sans littérature, qui raisonne, qui explique, qui prouve.

C’est ensuite un kabbaliste ; initié dans les cénacles de la Rose-Croix aux mystères de la cosmogonie et de la théosophie, il est féru de cet admirable système de philosophie qu’est la kabbale. Il s’en sert comme d’un outil merveilleux à l’aide duquel il ouvre à ses lecteurs les portes de la Connaissance.

« L’école kabbaliste, dit Ad. Franck[1], commence avec Paracelse au début du XVIe siècle et se prolonge avec Saint-Martin jusqu’à la fin du XVIIIe. Elle se divise en deux branches : l’une populaire et plus théologique que philosophique, plus mystique que savante, l’autre érudite, raisonneuse, plus philosophique que théologique, plus mystique en apparence qu’en réalité. À la première se rattachent Paracelse, Jacob Boehme et Saint-Martin, à la seconde Cornélius Agrippa, Valentin Weigel, Robert Fludd, van Helmont…

Chacun de ces noms que nous venons de citer représente véritablement un système distinct qui demande à être étudié séparément. »

Le système de Robert Fludd est vaste et complet. Il est éminemment matérialiste et panthéiste ; il exclut toute intervention volontaire d’un Dieu supérieur à la Nature, il admet la matérialité de tout : de la matière d’abord et de la substance ensuite. D’après lui, la Nature, réduite à sa plus simple expression, a évolué au point de donner naissance à un Agent universel, lequel s’est subdivisé en quatre Éléments et ceux-ci en plusieurs Élémentaires. Cela fonctionne comme une immense pyramide régulière à base carrée et par analogie, tout atome, tout corps, tout système de corps, toute partie de l’Univers et l’Univers lui-même est constitué de la même façon. C’est là la pure essence de la doctrine ésotérique, celle dont la Table d’Émeraude, d’Hermès Trismégiste, donne la clef dès le premier verset : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose ».

Robert Fludd a concentré son système dans un ouvrage qui porte le titre de Utriusque Cosmi Tractatus, qui, de même que ses autres œuvres, n’a jamais été réédité ni traduit en aucune langue, bien que chacun, depuis Kant jusqu’à Auguste Comte, ait été y puiser quelque idée sur l’Infini. Cet ouvrage est en deux parties : Le Traité du Macrocosme et le Traité du Microcosme.

L’un est un tableau de la Connaissance depuis la Divinité jusqu’à l’Homme, l’autre une étude de l’Homme au point de vue des Causes Premières. Chacun de ces traités généraux est subdivisé en traités particuliers. L’œuvre est homogène, quoique diverse, et conçue sur un plan préalable, donné dès le début, dont l’auteur ne s’écarte jamais avec cette admirable maîtrise de soi qui le caractérise.

Sous leur forme encyclopédique, ces traités constituent des ouvrages fondamentaux qui se recommandent à tous par leur clarté, leur précision et leur érudition : les occultistes, ces hardis novateurs qui osent reprendre des études que les savants des écoles craignent ou n’avouent pas, y trouvent une exposition logique et rationnelle de la doctrine éternelle ; et les savants des écoles, ces hommes de science pure, qui n’ont, au demeurant, que le tort d’affecter de croire que le positivisme n’existait pas avant eux, y verront, non sans surprise, que leurs conceptions les plus hardies, — les plus rationalistes — avaient été déjà formulées par Robert Fludd et prouvées surabondamment, ce qui est mieux.

Néanmoins, cette œuvre grandiose présente un défaut capital pour le lecteur de notre époque. Elle est conçue selon la méthode déductive. C’est-à-dire que, après avoir, au début du Macrocosme, établi les grandes lignes de son système et en avoir démontré l’excellence, l’auteur part du point le plus élevé où la Connaissance humaine puisse atteindre, pour descendre progressivement jusqu’au monde sublunaire. Dans ces conditions, le lecteur, qui n’a pas, avant d’ouvrir le livre, la moindre idée de cette conception immense, ne se trouve avoir compris que lorsqu’il a parcouru l’ouvrage tout entier. Cette manière est du reste, celle qui a prévalu jusqu’à l’ère de la prépondérance de l’analyse et de l’induction, — c’est-à-dire jusqu’à nos jours. Nous ne raisonnons plus ainsi maintenant et le lecteur se rebuterait dès les premières lignes si on lui présentait un ouvrage établi de cette façon.

Il a donc fallu employer un artifice pour permettre au public de pénétrer la pensée de l’auteur : cet artifice consiste simplement à morceler d’abord l’œuvre tout entière en la publiant par fractions. Heureusement elle s’y prête : elle est, sous ce rapport, à l’image de la Nature qu’elle décrit : on peut en détacher une de ses parties, celle-ci n’en constituera pas moins un tout complet.

C’est ainsi que la présente traduction débute par le de Astrologia. Le lecteur se familiarisera avec la manière très simple, un peu sèche même, de Robert Fludd ; il verra comment les Astres, ces truchements des Éléments, ces « doigts de la Nature » gouvernent les événements et déterminent les êtres ; il possédera aussi certaines clefs, vainement cherchées jusqu’ici, des mouvements astraux et des correspondances planétaires ; il pourra les étudier tout à son aise et les expérimenter, puisque l’ouvrage lui expose une manière de dresser un thème de nativité, manière un peu démodée que le traducteur, dans son souci de compléter la pensée de l’auteur, a cru devoir rajeunir dans son avant-propos ; et quand, enfin, il possédera ces indispensables éléments de la science astrale, alors il sera mûr pour aborder des sphères plus hautes.

Le texte original est en latin. Robert Fludd, qui vécut de 1574 à 1637, était d’une époque où l’on n’écrivait guère d’ouvrages de science et de philosophie qu’en cette langue.

Il avait, étant de nationalité anglaise, fait ses études à Oxford et pris en cette université le grade de docteur en médecine. Mais il avait beaucoup voyagé, en France, en Allemagne, en Italie ; il avait été militaire, puis littérateur, puis homme de science : tour à tour philosophe, théologien, médecin, naturaliste, alchimiste, astrologue, théosophe, si bien qu’on l’appelait « le chercheur » et que Ad. Franck, après Gassendi du reste, qui fut son adversaire, l’appelle « un des hommes les plus érudits et les plus célèbres de son temps ». Cette diversité d’existence et d’études a influé considérablement sur son style. Il parle abominablement mal le latin : il n’hésite pas à créer des néologismes, à hasarder des barbarismes, il fait table rase de toute syntaxe et ne craint pas de multiplier les pléonasmes, pourvu qu’il explique le plus clairement possible sa pensée. C’était avant tout un esprit passionné de vérité. On ne pouvait donc faire une traduction élégante, une de ces jolies versions latines devant laquelle se fussent pâmés les littérateurs. Il fallait avant tout rendre le texte avec une grande fidélité, dans une langue facile, où les redites étaient nécessaires, et rester, comme l’auteur l’avait cherché, dans la simple et la pure vérité.

C’est ce que, en toute modestie, pensant qu’il travaillait surtout pour les hommes de sciences, le traducteur a cherché à faire.

Pierre PIOBB.
  1. Dictionnaire des sciences philosophiques.