Traité de Tianjin (1885)

La bibliothèque libre.
République Française
Traité de Tianjin (1885)
Texte établi par Lucien de ReinachParis, E. Leroux (tome 1 - tome 2p. 229-232).

Traité de paix, d’amitié, et de commerce, conclu entre la France et la Chine, le 9 juin 1885, à Tien-Tsin. (Éch. des ratif. à Pékin, le 20 novembre 1885).


  Le Président de la République Française et sa Majesté l'Empereur de Chine, animés l'un et l'autre d'un égal désir de mettre un terme aux difficultés auxquelles a donne lieu leur intervention simultanée dans les affaires de l'Annam, et voulant rétablir et améliorer les anciennes relations d'amitié et de commerce qui ont existe entre la France et la Chine, ont résolu de conclure un nouveau Traité répondant aux intérêts communs des deux nations en prenant pour base la Convention préliminaire signée à Tien-Tsin, le 11 Mai 1884, ratifiée par décret impérial, le 13 Avril 1885.

  A cet effet, les deux Hautes Parties Contractantes ont nomme pour leurs Plénipotentiaires savoir:

  Le Président de la République Français, M. Jules Patenôtre, Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire de France en Chine, Officier de la Légion d'Honneur, Grand-Croix de l'étoile polaire de Suède, etc;

  Et Sa Majesté l'Empereur de Chine, Li-Hong-Chang, Commissaire impérial, premier grand secrétaire d'État, grand précepteur honoraire de l'héritier présomptif, surintendant du commerce des ports du Nord, gouverneur général de la Province du Tchéli, appartenant au premier degré du troisième rang de la noblesse, avec le titre de Souyi;

  Assisté de Si-Tchen, Commissaire impérial, membre du conseil des Affaires étrangères, président au Ministère de la Justice, administrateur du Trésor au ministère des Finances, directeur des écoles pour l'éducation des officiers héréditaires de l'aile gauche de l'armée tartare à Pékin, commandant en chef le contingent Chinois de la bannière jaune à bordure;

  Et de Teng-Tcheng-Sieou, Commissaire impérial, membre du cérémonial d'État;

  Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, qu'ils ont reconnus en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants:

  ART.1er. La France s'engage à rétablir et à maintenir l'ordre dans les provinces de l'Annam qui confinent à l'Empire Chinois. A cet effet, elle prendra les mesures nécessaires pour disperser ou expulser les bandes de pillards et gens sans aveu qui compromettent la tranquillité publique et pour empêcher qu'elles ne se reforment. Toutefois, les troupes Française ne pourront, dans aucun cas, franchir les frontières qui séparent le Tonkin de la Chine, frontière que la France promet de respecter et de garantir contre toute agression.

  De son côté, la Chine s'engage à dispenser ou à expulser les bandes qui se réfugient dans ses provinces limitrophes du Tonkin, et à disperser celles qui chercheraient à se former sur son territoire pour aller porter le trouble parmi les populations placées sous la protection de la France, et, en considération des garanties qui lui sont données quant à la sécurité de sa frontière, elle s'interdit pareillement d'envoyer des troupes au Tonkin.

  Les Hautes Parties Contractantes fixeront, par une Convention spéciale, les conditions dans lesquelles s'effectuera l'extradition des malfaiteurs entre la Chine et l'Annam.

Les Chinois, colons ou anciens soldats, qui vivent paisiblement en Annam, en se livrant à l'agriculture, à l'industrie, ou au commerce, et dont la conduite ne donnera lieu à aucun reproche, jouiront pour leurs personnes et pour leurs biens de la même sécurité que les Protégés Français.

  ART. 2. La Chine, décidée à ne rien faire qui puisse compromettre l'œuvre de pacification entreprise par la France, s'engage à respecter, dans le présent et dans l'avenir, les Traités, Conventions, et Arrangements, directement intervenus ou à intervenir entre la France et l'Annam.

  En ce qui concerne les rapports entre la Chine et l'Annam, il est entendu qu'ils seront de nature à ne point porter atteinte à la dignité de l'Empire Chinois et à ne donner lieu à aucune violation du présent Traité.

  ART. 3. Dans un délai de six mois à partir de la signature du présent Traité, des commissaires désignés par les Hautes Parties Contractantes se rendront sur les lieux pour reconnaître la frontière entre la Chine et le Tonkin. Ils poseront partout, où besoin sera, des bornes destinées à rendre apparente la ligne de démarcation. Dans le cas où ils ne pourraient se mettre d'accord sur l'emplacement de ces bornes ou sur les rectifications de détail, qu'il pourrait y avoir lieu d'apporter à la frontière actuelle du Tonkin, dans l'intérêt commun des deux pays, ils en référeraient à leurs Gouvernements respectifs.

  ART.4. Lorsque la frontière aura été reconnue, les Français, ou Protégés Français et les habitants étrangers du Tonkin, qui voudront la franchir pour se rendre en Chine, ne pourront le faire qu'après s'être munis préalablement de passeports délivrés par les Autorités Chinoises de la frontière sur demande des Autorités Françaises. Pour les sujets Chinois, il suffira d'une autorisation délivrée par les Autorités Impériales de la frontière.

  Les sujets Chinois qui voudront se rendre de Chine au Tonkin par voie de terre, devront être munis de passeports réguliers, délivrés par les Autorités Françaises sur la demande des Autorités Impériales.

  ART. 5. Le commerce d'importation et d'exportation sera permis aux négociants Français ou Protégés Français et aux négociants Chinois par la frontière de terre entre la Chine et le Tonkin. Il devra se faire toutefois par certains points qui seront déterminés ultérieurement, et dont le choix, ainsi que le nombre, seront en rapport avec la direction comme avec l'importance du trafic entre les deux pays. Il sera tenu compte, à cet égard, des règlements en vigueur dans l'intérieur de l'Empire Chinois.

  En tout état de cause, deux de ces points seront désignes sur la frontière Chinoise, l'un au-dessus de Lao-Kaï, l'autre au-delà de Lang-Son. Les commerçants Français pourront s'y fixer dans les mêmes conditions et avec les mêmes avantages que dans les ports ouverts du commerce étranger. Le Gouvernement de Sa Majesté l'Empereur de Chine y installera des Douanes et le Gouvernement de la République pourra y entretenir des consuls dont les privilèges et les attributions seront identiques à ceux des agents de même ordre dans les ports ouverts.

  De son côté, Sa Majesté l'Empereur de Chine pourra, d'accord avec le Gouvernement Français, nommer des consuls dans les principales villes du Tonkin.

  ART. 6. Un règlement spécial, annexé au présent Traité, précisera les conditions dans lesquelles s'effectuera le commerce par terre entre le Tonkin et les provinces Chinoises du Yunnan, du Kouang-Si, et du Kouang-Tong. Ce règlement sera élaboré par des commissaires qui seront nommés par les Hautes Parties Contractantes, dans un délai de trois mois après la signature du présent Traité.

  Les marchandises faisant l'objet de ce commerce seront soumises, à l'entrée et à la sortie, entre le Tonkin et les provinces du Yunnan et du Kouang-Si, à des droits inférieurs à ceux que stipule le tarif actuel du commerce étranger. Toutefois, le tarif réduit ne sera pas appliqué aux marchandises transportées par la frontière terrestre entre le Tonkin et le Kouang-Tong et n'aura pas d'effet dans les ports déjà ouverts par les Traités.

  Le commerce des armes, engins, approvisionnements, et munitions de guerre de toute espèce sera soumis aux lois et règlements édictés par chacun des États contractants sur son territoire.

  L'exportation et l'importation de l'opium seront régies par des dispositions spéciales qui figureront dans le règlement commercial susmentionné.

  Le commerce de mer entre la Chine et l'Annam sera également l'objet d'un règlement particulier. Provisoirement il ne sera innové en rien à la pratique actuelle.

  ART. 7. En vue de développer dans les conditions les plus avantageuses les relations de commerce et de bon voisinage que le présent Traité a pour objet de rétablir entre la France et la Chine, le Gouvernement de la République construira des routes au Tonkin et y encouragera la construction de chemins de fer.

  Lorsque, de son côté, la Chine aura décidé de construire des voies ferrées, il est entendu qu'elle s'adressera à l'industrie Française, et le Gouvernement de la République lui donnera toutes les facilités pour se procurer en France le personnel dont elle aura besoin. Il est entendu aussi que cette clause ne peut être considérée comme constituant un privilège exclusif en faveur de la France.

  ART. 8. Les stipulations commerciales du présent Traité et les règlements à intervenir pourront être revisés après un intervalle de dix ans révolus à partir du jour de l'échange des ratifications du présent Traité. Mais, au cas où six mois avant le terme, ni l'une ni l'autre des Hautes Parties Contractantes n'aurait manifesté le désir de procéder à la revision, les stipulations commerciales resteraient en vigueur pour un nouveau terme de dix ans et ainsi de suite.

  ART. 9. Dès que le présent Traité aura été signé, les forces Françaises recevront l'ordre de se retirer de Kelung et de cesser la visite, etc., en haute mer. Dans le délai d'un mois après la signature du présent Traité, l'île de Formose et les Pescadores seront entièrement évacuées par les troupes Françaises.

  ART. 10. Les dispositions des anciens Traités, Accords et Conventions entre la France et la Chine, non modifiées par le présent Traité, restent en pleine vigueur.

  Le présent Traité sera ratifié dès à présent par sa Majesté l'Empereur de Chine et, après qu'il aura été ratifié par le Président de la République Française, l'échange des ratifications se fera à Pékin dans le plus bref délai possible.

Fait à Tien-Tsin en quatre exemplaires, le 9 Juin 1885, correspondant au vingt-septième jour de la quatrième lune de la onzième année Kouang-Siu.


          (L.S.) PATENÔTRE.


          (L.S.) LI-HONG-CHANG.

          (L.S.) TENG-TCHENG-SIEOU.

          (L.S.) SI-TCHEN.