Traité de documentation/Le Livre et le Document/Le Livre en général

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Editiones Mundaneum (p. 43-46).

21 LE LIVRE EN GÉNÉRAL

211 Notion et Définition du Livre et du Document.

1. Définition générale.

Les livres — étant entendu par ce terme générique les manuscrits et imprimés de toute espèce qui, au nombre de plusieurs millions, ont été composés ou publiés sous forme de volumes, de périodiques, de publications d’art — constituent dans leur ensemble la Mémoire matérialisée de l’Humanité, en laquelle jour par jour sont venus s’enregistrer les faits, les idées, les actions, les sentiments, les rêves, quels qu’ils soient, qui ont impressionné l’esprit de l’homme.

Les livres sont devenus les organes par excellence de la conservation, de la concentration et de la diffusion de la Pensée, et il faut les considérer comme des instruments de recherche, de culture, d’enseignement, d’information et de récréation. Ils sont à la fois le réceptacle et le moyen de transport des idées.

Le développement de la production, le bon marché et l’excellence des éditions, la variété des matières traitées, la refonte à intervalles rapprochés des ouvrages fondamentaux selon des ensembles de plus en plus complets, de mieux en mieux ordonnés, ce sont là des circonstances qui concourent à accroître l’importance du rôle social des livres.

À côté des livres proprement dits, il y a la multitude des documents de toute espèce qui n’ont pas été publiés ou ne sont pas destinés à l’être.

La définition la plus générale qu’on puisse donner du Livre et du Document est celle-ci : un support d’une certaine matière et dimension, éventuellement d’un certain pliage ou enroulement sur lequel sont portés des signes représentatifs de certaines données intellectuelles.

2. Les plus petits documents.

Le plus petit document c’est une inscription, la borne millaire qui porte le nom d’une localité et un kilométrage. Le poteau qui porte « stop » ou ralentissement, une simple figure conventionnelle de la signalisation (rond, triangle, barrière fermée). C’est même moins, c’est le signe que le boyscout trace à la craie sur les arbres ou les rochers ; sur papier c’est la carte de visite un nom suivi éventuellement des titres et de l’adresse ; c’est le timbre-poste tout petit, plus petit encore le timbre réclame et toutes les petites étiquettes.

3. Le Biblion.

Il y a désormais un terme générique (Biblion ou Bibliogramme ou Document) qui couvre à la fois toutes les espèces : volumes, brochures, revues, articles, cartes, diagrammes, photographies, estampes, brevets, statistiques, voire même disques phonographiques, verres ou films cinématographiques.

Le « Biblion » sera pour nous l’unité intellectuelle et abstraite mais que l’on peut retrouver concrètement et réellement mais revêtue de modalités diverses. Le biblion est conçu à la manière de l’atome (ion) en physique, de la cellule en Biologie, de l’esprit en psychologie, de l’agrégation humaine (le socion) en sociologie. L’atome a donné lieu à une représentation de plus en plus précise et sur la base de laquelle se sont engagées toutes les recherches et discussions. (C’est Bohr qui en a donné la première figure.)

a) Dans le cosmos (ensemble des choses) le livre ou Document prend place parmi les choses corporelles (non incorporelles), artificielles (non naturelles), et ayant une utilité intellectuelle (non matérielle).

Les créations matérielles sont ou des productions ou des moyens de produire. Il y a : a) les moyens de produire les choses utiles et consommables (les machines) ; b) les moyens pour produire des phénomènes naturels, abstraction de toute préoccupation d’utilité (les appareils) ; c) les moyens de mesurer les phénomènes (les instruments). Le Livre est un moyen de produire des utilités intellectuelles.

b) Les choses ont avec les documents des rapports de diverses espèces :

1o Rapport de choses signifiantes à choses insignafiées, ce qui constitue le fondement même de la documentation.

2o Les choses elles-mêmes traitées comme objet de documentation quand à titre de spécimen et échantillon elles figurent dans des collections documentaires (musées, expositions).

3o Les choses créées, modèles et mécanismes pour démonstration scientifique, éducative ou publicitaire.

4o Les marques de toute nature portées sur les objets et qui servent à leur identification et signalisation.

5o L’application par analogie des méthodes de la documentation à l’administration des choses elles-mêmes (Documentation administrative).

c) Les écrits ont la propriété dite par l’adage « scripta manent verba volant », Les écrits restent si les paroles s’envolent. Mais au point de vue de la rigueur de la pensée on peut proposer en termes latins cet autre adage, les termes s’échelonnant en degré :

verba divagantur
scripta concentrant
constructiones coordinant
mechanica logicant

1o La parole peut divaguer. Autant dit, autant en emporte le vent. La parole étant successive peut se traduire sans qu’elle soit autre chose qu’une série de points, dont le lien matériel simplement sonore, est si léger qu’elle peut flotter en tous sens.

2o Les écrits concentrent la pensée de qui les établit. Ils sont en surface. On les lit, pouvant revenir dans le texte d’avant en arrière. Les liens logiques de la vérité s’ils ne sont pas réels peuvent facilement être décélés.

3o Les constructions, stéréogrammes à trois dimensions, coordonnent strictement les idées. Par les vides et les surcharges, par les trois directions de l’idée qui doivent être concordantes, qui permettent un contrôle facile, il est déjà plus difficile de s’aventurer dans des développements superficiels et mal étudiés.

4o Les machines enfin sont les logiciennes par excellence. Elles ne sauraient entrer en mouvement et s’y maintenir que par le jeu rigoureusement exact, concordant et simultané de toutes leurs parties.

d) Le Document offre de la Réalité une image à la sixième dérivation. On a en effet les termes intermédiaires suivants : 1o Le Monde (ou la Réalité elle-même) ; 2o Les Sens de l’homme qui perçoivent le monde exactement et complètement ; 3o L’Intelligence, qui élabore les données sensorielles ; 4o La Langue, instrument social de communication ; 5o La Science, ou connaissances collectives ; 6o Le Document composé par l’Intelligence et pour exprimer la Science.

Chacun de ses intermédiaires est une cause de déformations et de frictions absorbant l’énergie intellectuelle.

Tout effort doit donc être fait : a) pour supprimer ou atténuer les déformations et les frictions intermédiaires ; b) pour créer des moyens de percevoir ou se représenter la réalité.

5. Définitions littéraires du Livre.

L’homme passe, le livre reste. — Le livre porte aux générations futures la lumière, la consolation, l’espérance et la force (Milton). — L’imprimerie c’est l’artillerie de la pensée (Rivarol). — Le livre forme un cercle distingué, nullement bruyant, mais toujours vivant, dans l’intimité duquel on se repose à loisir (Montaigne). — Les livres réalisent la conversation imprimée (Ruskin). — Les livres sont des amis muets qui parlent aux sourds (Proverbe flamand). — L’organisation humaine la plus puissante, l’avantage le plus grand pour une société, c’est la mise à la portée de tous des trésors du monde emmagasinés dans les livres (Carnegie). — La littérature est le souffle vital de la civilisation, le sel du corps social (Wells).

Le livre, c’est la passion de répandre ses idées sur le monde et de les faire partager à tous les hommes (Suarez).

« Le livre, mais qu’est-ce donc pour qu’il attire à ce point qu’on l’aime avec passion quand on l’a connu ? Un livre est une voix qu’on entend, une voix qui nous parle, qui gagne notre confiance, d’autant mieux qu’elle s’insinue plus doucement, plus intimement ; c’est la pensée vivante d’une personne séparée de nous par l’espace et le temps. C’est une âme, une âme dont nul ne peut prévoir le destin, la durée et qui va auprès et au loin souvent, on ne sait où, dans l’univers connu, communiquer avec d’autres âmes, leur apporter ses beautés et ses laideurs aussi, la vérité et l’erreur, hélas, souvent ; une âme prenante, à peu près toujours, à cause de son contact intime, seule à seule, avec l’autre âme qu’elle touche, capable par conséquent de la faire magnifique et sublime, perverse ou dégradée. Et donc âme qui réclame des soins délicats, âme qui exige des attentions spéciales de tous ceux qui l’entourent et lui facilitent son élan. » (Gabriel Beauchesne.)

Le plus grand personnage qui, depuis 3000 ans peut-être fasse parler de lui dans le monde, tour à tour géant ou pygmée, orgueilleux ou modeste, entreprenant ou timide, sachant prendre toutes les formes et tous les rôles, capable tour à tour d’éclairer ou de pervertir les esprits, d’émouvoir les passions ou de les apaiser, artisan de factions ou conciliateur de partis, véritable Protée qu’aucune définition ne peut saisir, c’est le Livre. (Egger.)

L’Humanité est un homme qui vit toujours et qui apprend sans cesse. (Pascal.)

In Bibliothecis loquuntur defunctorum immortales animæ. (Plinius senior.)

Nullus esse librum tam malum ut non aliqua parte prodesset. (Plinius senior.)

Libri muti magistri sunt. (Aulus Gellius.)

212 Analyse des caractéristiques du Livre et du Document.

Du nombre immense des livres particuliers existants, on dégage par analogie la notion du livre en général.

Il en est du livre comme des machines. Dans les premiers temps, chaque machine était considérée comme un tout, composé de parties qui lui étaient propres. À de rares exceptions près, les yeux de l’esprit ne distinguaient pas encore, dans les machines, le groupe de précision que nous désignons aujourd’hui sous le nom de mécanisme. Une machine était un moulin, un brocard était un procédé et pas autre chose. C’est qu’en réalité, il faut que la pensée sur un sujet donné ait déjà fait bien des progrès pour être à même de distinguer ce qu’il y a de général dans ce qui est propre à ce sujet : c’est la première distinction entre la pensée scientifique et la pensée ordinaire. (Reuleaux. Cinématique, p. 11.)

Il faut envisager les caractéristiques du livre à la manière dont le naturaliste considère les espèces animales, végétales et minérales. La conception d’un type général et abstrait, le livre, s’en dégage à la manière dont la Zoologie, la Botanique, la Minéralogie, conçoivent l’animal parallèlement aux animaux, la plante parallèlement aux plantes, le minéral parallèlement aux minéraux. Il y a lieu d’examiner successivement :

1o Les éléments constitutifs du livre ou document ;

2o Ses diverses parties et leur structure ;

3o Les espèces ou familles d’ouvrages.

L’examen de ces données a sa raison d’être en soi et à toute fin. Il sert aussi de base aux opérations de collationnement, de bibliographie, de catalogue et de classement et leur donne un fondement scientifique et rationnel.

La détermination des caractéristiques d’un livre est indispensable pour le reconnaître et l’identifier. Cette détermination individuelle ne saurait se faire qu’en fonction des caractéristiques générales.

212.1 Caractéristiques générales.

Le livre peut être envisagé au point de vue des caractéristiques suivantes :

1o La Vérité (le vrai) ; 2o La Beauté (le beau) ; 3o La Moralité (le bien) ; 4o L’Originalité ; 5o La Clarté (compréhensibilité) ; 6o La Valeur économique (commercialité) ; 7o La Nouveauté.

Les documents ont en commun avec la parole de pouvoir ne pas exprimer la vérité. Ils ont en plus d’elle la possibilité de se présenter sous des dehors fallacieux, fausses attributions aux auteurs erronés ou pseudonymes, fausses dates, fausses indications d’éditeur, d’imprimeur, d’édition, etc. L’erreur volontaire, le mensonge volontaire peut être le fait de l’auteur. La propagation des documents apocryphes, trouvés ou défigurés, la diffusion intentionnelle d’informations mensongères peut être le fait de tiers. L’une et l’autre sont de nature à causer un dommage à la Vérité en soi, et aux personnes, physiques ou morales dont elles viendraient à diminuer la situation.

La nouveauté entraîne toute la documentation comme elle entraîne toute la vie contemporaine. Le journal, la T. S. F., le film, luttent de vitesse pour procurer au public insatiable le maximum d’informations dans le minimum de temps.

212.2 Qualités et défauts des livres.

Les qualités d’un livre-document répondent aux trois critères supérieurs : vrai, beau, bon. On dira par exemple un vrai et un faux bilan, les fausses Décrétales : la bonne presse, les beaux livres.

Dans un ensemble de livres, les variations individuelles oscillent autour d’une moyenne (fluctuations). Un grand nombre ont une valeur moyenne ; sont peu nombreux les réels mauvais livres, très rares les livres supérieurs. Dans un diagramme ou statistique on retrouve la courbe dite en cloche ou de fréquence (Polygone de Quetelet).

Les défauts d’un livre sont : Erreur ; lourdeur, désordre dans l’exposé ; confusion de l’essentiel et de l’accessoire ; lacunes, arriéré.

212.3 Le livre, capital et outil.

Le livre est un capital d’idées qui s’amasse et se tient en réserve. L’homme accumule les idées et les faits comme il accumule les produits.

Le livre est une arme, un outil.

« Martin Luther, qu’on juge mal parce qu’on s’obstine à le considérer comme un théologien, fut surtout un patriote allemand, le plus grand idéologue contesté de ce pays. Il manie le pamphlet au lieu du cimeterre, mais il sait l’art d’armer les nobles contre les clercs. »

(Péladan.)
212.4 Unité, multiples et sous-multiples.

L’unité physique, matière du document, est marquée soit par la continuité matérielle de sa surface (ex. : la surface d’une lettre, d’un journal), soit par un lien matériel entre plusieurs surfaces (ex. : les feuilles reliées d’un livre), soit par un lien immatériel (ex. : les divers tomes d’un même ouvrage).

L’unité intellectuelle est la pensée.

Comme en toutes choses, on peut distinguer aussi dans le document : 1o l’unité ; 2o les parties ; 3o leur totalité ; 4o une pluralité d’unités ; 5o la totalité des unités.

On a vu précédemment ce qu’on peut considérer comme unité intellectuelle. Il y a des multiples et sous multiples des unités matérielles et intellectuelles.

Toute chose considérée dans son ordre propre est placée au degré d’une échelle dont les deux extrémités sont le néant d’une part et la totalité d’autre part. Dans l’échelle de la série ainsi établie, on choisit plus ou moins arbitrairement une unité d’où l’on puisse procéder dans les deux directions montante et descendante. En ce qui concerne la Documentation, l’unité sera le livre, ses multiples seront les ensembles formés par le livre tels que les collections (bibliothèques) et ses sous-multiples seront des divisions telles que ses parties (chapitres, etc.).

212.5 Équation du Livre.

Sous une forme condensée et en se reportant aux tableaux ci-après des éléments et de la structure du livre, la définition générale peut prendre la forme suivante d’une équation énumérant les facteurs :

Ce qui se lit : Livre = éléments (éléments matières + éléments graphiques + éléments linguistiques + éléments intellectuels) : Structure (reliure + frontispice + préliminaires + corps de l’ouvrage + tables + appendices).

En exprimant ainsi la détermination d’un espace (lieu) et d’un temps (date) et les données relatives à l’auteur, l’équation se complète ainsi :

Francesco Lumachi (Nella republica del Libro, Firenze Lumachi. 1907, p. 190) donne du livre la formule suivante non complète :

A = auteur ; t = typographie : e = éditeur ; l = libraire ; P = public ; L = livre.