Traité de dynamique/1758/Partie 2/Chapitre 2

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CHAPITRE II.


Propriétés du centre de gravité commun de plusieurs Corps, déduites du Principe précédent.
Définition I.

J’appellerai dans la suite centre de gravité de deux corps, un point pris dans la ligne droite qui joint ces corps, & dont les distances à chacun de ces corps, soient en raison inverse de leurs masses ; & en général, j’entendrai toujours par le mot de centre de gravité de plusieurs corps, ce qu’on entend d’ordinaire par ce mot en Mécanique, c’est-à-dire un point tel, que si on fait passer par ce point un plan de position quelconque, la somme des produits des masses qui se trouveront d’un côté de ce plan, multipliées chacune par sa distance à ce même plan, soit égale à la somme des produits des masses qui se trouveront de l’autre côté, multipliées de même chacune par sa distance au plan.

Scolie.

62. Lorsque les pesanteurs des corps sont comme leurs masses, le centre de gravité, tel que nous venons de le définir, est aussi le point par lequel le systême devroit être suspendu pour rester en équilibre, si tous les corps étoient unis l’un à l’autre par des leviers inflexibles. Il n’en est pas de même, lorsque les forces motrices ou pesanteurs des corps ne sont pas comme leurs masses. Ce que nous appellons ici centre de gravité, devroit plutôt s’appeller alors centre de masses[1]. Nous nous servirons cependant du terme de centre de gravité, pour nous conformer à l’usage reçû.

Définition II.

Lorsque plusieurs puissances agissent ensemble, j’appellerai force résultante du concours d’action de ces puissances, ou simplement force résultante de ces puissances, une puissance égale & directement opposée à celle qui seroit capable de leur faire équilibre.

Ainsi, par exemple, si (Fig. 17) est la direction de la puissance qui fait équilibre aux puissances , sur le levier , sera la direction de la force résultante des puissances , , & cette force résultante sera égale à la force suivant .

Corollaire.

63. Si plusieurs puissances se font équilibre d’une maniere quelconque, la force résultante sera nulle, s’il n’y a pas de point fixe ; & s’il y en a un, la direction de la force résultante passera par le point fixe.

Car dans le premier Cas, puisque toutes les puissances se font équilibre par elles-mêmes les unes aux autres, la puissance capable de faire seule équilibre à toutes ces puissances est donc zéro, & par conséquent aussi (déf. précéd.) la force résultante.

Dans le second Cas, il est visible que le point fixe fait l’effet d’une puissance qui soutient l’effort de toutes les autres ; donc si on détruit le point fixe, & qu’on cherche une puissance capable de faire équilibre à toutes les puissances données, la direction de cette puissance passera, nécessairement par le point fixe. Donc la direction de la force résultante y passera aussi.

J’entends au reste ici, & j’entendrai dans les Lemmes suivans par le mot de point fixe, non-seulement un point Mathématique (comme l’appui d’un levier, le point de suspension d’une verge ou d’un fil) ; mais en général tout obstacle insurmontable, qui par sa résistance soit capable de détruire l’effet commun des puissances, & de produire l’équilibre entr’elles.

Lemme I.

64. Si tant de corps qu’on voudra se meuvent uniformément suivant des directions parallèles, dans le même plan ou dans des plans différens, la direction de leur centre de gravité commun sera parallèle aux directions de ces corps, & sa vitesse sera égale à la somme des quantités de mouvement de chaque corps, divisée par la somme des masses. Cette proposition est démontrée dans plusieurs Ouvrages, & elle se déduit fort aisément du principe du levier.

Lemme II.

65. Soient sur un même plan trois corps , , , (Fig. 18) ou en général tant de corps qu’on voudra, & leur centre de gravité. Soit la ligne droite parcourue par le centre de gravité de ces corps, dans le tems qu’ils parcourent uniformément les lignes quelconques , , . Je dis, que si on décompose les vitesses , , chacune en deux autres , ; , ; , telles que les lignes , , soient parallèles entr’elles aussi-bien que les lignes , , ; & qu’on cherche la ligne que parcourroit le centre de gravité , si les corps , , , avoient les vitesses & les directions , , ,& de même la ligne que parcourroit ce même centre, si les corps , , , avoient les vitesses & les directions , , :la diagonale du parallélogramme fait sur les lignes , , sera la ligne même que parcourt le centre, lorsque les corps , , , ont les vitesses & les directions , , .

Fig. 18

Car supposons que lorsque les corps , , , sont parvenus en , , , & que par conséquent (hyp.) le centre est en , on leur donne suivant , , , des vitesses égales & parallèles aux vitesses suivant , , ; il est clair qu’ils arriveront aux points , , des lignes , , . Or, par la supposition, lorsque les corps , , sont en , , , le centre est en ; donc tandis que les corps , , , parcourent les lignes , , , le centre de gravité parcourra la ligne . Cette ligne sera (Lem. I.) parallèle aux lignes , , , & . Mais la ligne que parcourrait le centre de gravité , tandis que les corps , , et , décriroient les lignes , , , parallèles & égales à , , , cette ligne , dis-je, seroit parallèle aux lignes ; , , & seroit . Donc la ligne est égale & parallèle à :donc est la diagonale du parallélogramme fait sur les côtés , . Ce qu’il falloit démontrer.

Scolie.

66. Il est visible que cette démonstration peut s’éten dre à tel nombre de corps qu’on voudra, & qu’ainsi la proposition est générale.

Leme III.

67. Si (Fig. 18 & 19) est la ligne parcourue par le centre de gravité des corps , , , tandis que ces corps décrivent uniformément les lignes quelconques , , ; & qu’ayant transporté ces corps en d’autres endroits , , du même plan, de maniere qu’ils soient disposés l’un par rapport à l’autre comme on voudra, & que soit leur centre de gravité, on suppose qu’ils décrivent les lignes , , , égales & parallèles à , , , chacune à sa correspondante : je dis que la ligne décrite par le centre de gravité, sera égale & parallèle à .

Fig. 19
Car soient , , égales & parallèles à , , ; , , , égales & parallèles à , , , chacune à sa correspondante ; le chemin du centre , lorsque les corps décrivent les lignes , , ; le chemin du même centre, lorsqu’ils décrivent , , . Il est clair que sera égale & parallèle à , & égale & parallèle à . Donc sera aussi égale & parallèle à :mais (Lem. préced.) ces deux lignes sont celles que décrivent les centres de gravité , , quand les corps , , & , , parcourent les lignes , , , & , , . Donc &c. Ce qu’il falloit démontrer.
Lemme IV.

68. Les mêmes choses étant supposées que dans le Lem. II. ci-dessus, avec cette différence que , , , & , , , (Fig. 20) ne soient point parallèles : si est le chemin du centre de gravité, lorsque les corps , , , décrivent uniformément les lignes , , ; le chemin de ce même centre, lorsque ces corps décrivent les lignes , , ; & le chemin du centre, lorsque les corps , , , décrivent les lignes , , ; je dis que sera la diagonale du parallélogramme fait sur les côtés , .

Fig. 20

Car l’on prouvera comme dans le Lem. II. que est le chemin du centre, lorsque les corps , , , décrivent les lignes , , . Mais à cause que , , sont égales & parallèles à , , , chacune à chacune ; il s’ensuit (Lem. III.) que est égale & parallèle à . Donc &c.

Corollaire I.

69. Si on avoit décomposé les mouvemens , , chacun en trois autres quelconques, ou en général en tant d’autres qu’on eût voulu, le chemin du centre de gravité auroit toujours été la derniere diagonale des parallélogrammes, qui auroient eu pour côtés les lignes particulieres que le centre de gravité auroit parcourues, si les corps , , , avoient eu séparément & successivement chacun des mouvemens composans. Cela est clair par le Lemme précédent.

Corollaire II.

70. La même proposition seroit encore vraie, si les mouvemens composans n’étoient pas en nombre égal dans tous les corps ; par exemple, si le mouvement de l’un étoit décomposé en trois, le mouvement d’un autre en deux, &c. Car le Lemme précédent n’en seroit pas moins véritable, quand on supposeroit par exemple , c’est-à-dire que le mouvement n’eût point été décomposé.

Lemme V.

71. Si tant de corps , , , &c. qu’on voudra sont liés ou joints ensemble d’une maniere quelconque, sans néanmoins qu’il y ait dans le systême aucun point fixe ; & qu’on leur imprime les mouvemens , , , &c. tels qu’en vertu de ces mouvemens ils soient en équilibre ; je dis que si les corps , , , &c. pouvoient suivre librement les mouvemens , , , &c. le centre de gravité demeureroit en repos.

Car si on décompose les mouvemens , , , &c. chacun en deux autres , ; , ; , ; &c. parallèles à deux lignes données de position quelconque, que j’appelle & ; il faudra pour trouver le chemin du centre de gravité en vertu des mouvemens , , , &c. chercher le chemin de ce même centre en vertu des mouvemens , , &c. qui sera (Lem. I.) parallèle à , & ; & le chemin de ce même centre en vertu des mouvemens , , &c. qui sera parallèle à , & . La diagonale du parallélogramme fait sur ces deux lignes, sera (Lem. II.) le chemin du centre de gravité. Il faut donc prouver que chacune de ces deux lignes sera zéro, pour faire voir que le chemin du centre de gravité eft , ou, ce qui est la même chose, il faut démontrer que , & .

Or puisque (hyp.) les corps , , , &c. animés des mouvemens , , , &c. sont en équilibre, & qu’il n’y a dans le systême aucun point fixe, la force résultante des puissances , , &c. sera (art. 63). Or comme les puissances , , &c. se décomposent dans les puissances , ; , ; , ; &c. la force résultante de ces puissances est celle qui provient de la force résultante des puissances , , &c. & de la force résultante des puissances , , &c. Mais ces deux dernieres forces résultantes sont parallèles à deux lignes différentes & . Donc pour que la force qui en provient soit zéro, chacune en particulier doit être . Or la premiere est la seconde Donc cha cune de ces deux quantités est . Ce qu’il falloit démontrer.

Lemme VI.

72. Les mêmes choses étant supposées que dans le Corollaire précédent, si ce n’est que les mouvemens , , , &c. soient quelconques, c’est-à-dire tels que les corps , , , &c. animés de ces mouvemens, si fassent équilibre ou non, & qu’il y ait de plus, si l’on veut, un point fixe dans le systême : je dis que si l’on supposoit que les corps , , , &c. suivissent les mouvemens , , &c, abstraction faite de leur action mutuelle, le chemin du centre de gravité seroit parallèle à la direction de la force résultante des puissances , , ; &c.

Car pour avoir la direction de cette force, il faut (les mêmes choses étant posées que dans la démonstration du Lemme précédent) tirer la diagonale d’un parallélogramme dont les côtés, parallèles à & à , soient entr’eux comme à . Mais pour avoir le chemin du centre de gravité en vertu des mouvemens , , , &c. il faut (Lem. II.) tirer la diagonale d’un parallélogramme dont les côtés parallèles à & à , soient entr’eux comme à ; donc les côtés de ces deux parallélogrammes seront parallèles chacun à son corres pondant, & seront l’un à l’autre dans le même rapport. Donc les diagonales seront parallèles. Donc &c. Ce qu’il falloit démontrer.

Corollaire.

73. Si les corps , , , &c. avoient les mouvemens , , , &c. le chemin du centre de gravité seroit parallèle à la direction de la force résultante, mais en sens contraire.

Scolie I.

74. Tous les Lemmes démontrés ci-dessus sont encore vrais, lorsque les corps sont supposés dans des plans différens. Car 1°. le Lemme I. est vrai dans ce cas comme dans les autres. 2°. La démonstration du Lemme II. ne suppose pas à la rigueur que les corps , , , soient dans le même plan ; elle suppose seulement que les mouvemens , , puissent se décomposer chacun en deux autres parallèles à deux lignes données. D’où il s’ensuit que le Lemme III. sera vrai, lors même que les corps sont dans des plans différens, au moins dans la supposition que les mouvemens imprimés à chaque corps : puissent se décomposer chacun en deux autres parallèles à deux lignes données de position. Or lorsque les corps sont dans des plans différens, on peut décomposer les mouvemens imprimés, chacun en deux autres, dont l’un soit parallèle à une ligne donnée de position, & dont le second puisse aussi se décomposer en deux autres paral lèles chacun à deux autres lignes données de position. D’où il s’ensuit que le Lemme III. est vrai dans tous les cas, & qu’ainsi les Lemmes IV. V. & VI. qui ne sont appuyés que sur les trois premiers, & qui ne demmandent point que les corps soient dans un même plan, sont aussi vrais dans tous les cas.

Au reste, nous avons supposé dans les Lemmes précédens, la proposition démontrée par M. Newton, que le centre de gravité de plusieurs corps qui se meuvent uniformément & en ligne droite, sans agir les uns sur les autres, se meut aussi uniformément & en ligne droite. Cependant il est facile de voir que par la Méthode de la décomposition des mouvemens en d’autres parallèles à des lignes données, on pourrait aussi démontrer très facilement cette proposition. Ainsi notre Méthode a cet avantage, qu’on peut s’en servir pour démontrer que le centre de gravité de plusieurs corps, se meut uniformément & en ligne droite, soit que ces corps agissent, soit qu’ils n’agissent pas les uns sur les autres.

Scolie II.

75. Ajoûtons que si plusieurs corps, considérés comme des points, se meuvent en ligne droite, dans un milieu résistant en raison de la vitesse, leur centre de gravité se mouvra aussi en ligne droite, avec un mouvement retardé en raison de la vitesse. En effet quand la résistance est comme la vitesse, les espaces que les corps décriraient à chaque instant, sont diminués dans la raison de ces mêmes espaces. Donc le chemin du centre de gravité continue d’être en ligne droite, & l’espace qu’il parcourt est seulement diminué à chaque instant d’une quantité qui lui est proportionnelle. Donc &c.

THÉORÊME I.

76. L’état de Mouvement ou de repos du centre de gravité de plusieurs Corps, ne change point par l’action mutuelle de ces corps entr’eux, pourvû que le systême soit entierement libre, c’est-à-dire qu’il ne soit point assujetti a se mouvoir autour d’un point fixe.

Car (art. 60) les mouvemens , , &c. étant composés des mouvemens , ; , ; , ; &c. les mouvemens , , , &c. peuvent être regardés comme composés des mouvemens , ; , ; , ; &C. d’où il s’ensuit que le chemin du centre de gravité quand les corps sont animés des mouvemens , , , &c. est le même (Lem. IV.) que si on les supposoit animés d’abord des mouvemens , , , &c. & ensuite des mouvemens , , , &c. Or puisque par l’hypothese, il n’y a dans le systême aucun point fixe, & que le systême demeureroit en repos, si les corps n’avoient reçû que les mouvemens , , , &c. Il s’ensuit (Lem. V. & Coroll. Lem. VI.) qu’en vertu des mouvemens , , , &c. le chemin du centre de gravité est zéro. Donc le chemin du centre de gravité est le même quand les corps ont les mouvemens , , , &c. que s’ils suivoient les mouvemens , , , &c. qu’on leur a imprimés.
Remarque.

77. S’il y a dans le systême quelque point fixe, alors les corps animés des mouvemens , , , &c. peuvent se faire équilibre, sans que la force résultante de ces mouvemens soit zéro : il suffit que la direction de la force résultante de ces mouvemens passe par le point fixe. Dans ce cas, le chemin du centre de gravité en vertu des mouvemens , , &c. sera (Coroll. Lem. VI.) parallèle à la direction de cette force & en sens contraire, & par conséquent ne sera point . Donc alors l’action mutuelle des corps changera l’état du centre de gravité.

THÉORÊME II.

78. Les mêmes choses étant supposées que dans le Théorême I. ; si la pesanteur ou une force accélératrice, constante pour chaque corps, & différente, si l’on veut, pour chacun d’eux, agit sur ces corps suivant des lignes parallèles, le centre de gravité ou plutôt le centre de masses commun décrira la même courbe qu’il auroit décrite, se ces corps eussent été libres.

Pour le démontrer, ne prenons que deux corps , , (Fig. 21) & supposons que et, , soient les petites lignes qu’ils parcourroient naturellement en vertu des vitesses primitivement imprimées , , & de la force accélératrice suivant , ; soit le centre de masses des corps & , c’est-à-dire un point dont les distances aux points & soient en raison inverse des masses & , (& non pas des poids & qui peuvent ici n’être pas comme les masses) ; & que les corps & , au lieu de parcourir les lignes , , parcourent les lignes , ; il est clair (art. 76) que le chemin du centre de gravité au premier instant, sera le même que si les corps & eussent décrit les lignes , . Dans l’instant suivant, les corps tendent à décrire a , & , & le centre tend à parcourir la droite , la même qu’il eût parcourue, si les corps eussent continué à se mouvoir suivant , ; mais comme, en vertu de la force accélératrice, les corps & , décriroient les lignes parallèles , dans ce dernier cas, & dans l’autre cas les lignes , qui leur sont égalés & parallèles chacune à chacune, il s’ensuit que le chemin du centre de masses sera le même, soit que les corps décrivent , , soit qu’ils décrivent les lignes , . Mais quelque autre ligne que les corps , parcourent au lieu de , , à cause de leur action mutuelle, le chemin du centre sera toujours le même (Théor. I.). Donc &c. On voit aisément que la démonstration s’étend au cas où il y auroit un plus grand nombre de corps. Ce Q. F. D.

Fig. 21
Remarque I.

79. Cette démonstration n’auroit pas lieu, si la force accélératrice n’était pas constante pour chaque corps, & n’agissoit pas suivant des lignes parallèles. Car alors on ne pourroit pas supposer égale & parallèle à ; égale & parallèle à ; & par conséquent le chemin du centre ne seroit pas le même dans les deux cas.

Remarque II.

80. Il y a cependant un cas à excepter, c’est celui où la force accélératrice seroit dirigée vers un point fixe, & agiroit en raison de la distance. Car dans ce cas, comme il est aisé de le prouver, & comme plusieurs Géometres l’ont fait voir, le centre de gravité seroit le même que le centre de masses, & ce centre seroit attiré ou poussé vers le point fixe avec une force proportionnelle à la distance où il est de ce point. D’où il est aifé de démontrer que le Théorême précédent aura encore lieu dans le cas dont il s’agit.

En effet, puisque l’action mutuelle des corps ne change point l’état du centre de masses, qui est ici le même que le centre de gravité, le centre de gravité se trouvera donc à chaque instant à la même distance du point fixe où il auroit été sans cette action. Donc il sera attiré avec la même force. Sa vitesse de projection est d’ailleurs la même dans les deux cas. Donc &c.

Ainsi dans ce dernier cas, suivant la Théorie connue des forces centrales, le centre de masses ou de gravité décrira une ellipse dont le point fixe sera le centre, soit que les corps agissent ou n’agissent pas les uns sur les autres ; & dans le cas du Théorême précédent, le centre de masses décrira une parabole.
Corollaire.

81. Les deux Théorêmes précédens fournissent des moyens très-simples de trouver le mouvement des corps inflexibles. Nous pourrons en donner quelques usages dans la suite.

Scolie.

82. Si on considere chaque corps comme un point, & qu’ils se meuvent dans un milieu résistant en raison de la vitesse, 1º. Le centre de masses se mouvra en ligne droite si les corps ne sont animés par aucune force accélératrice ; & il se mouvra d’un mouvement retardé en raison de la vitesse, précisément comme si les corps eussent été libres. 2°. Le centre de gravité décrira la même ligne & avec la même loi de vitesse, soit que les corps agissent ou n’agissent pas les uns sur les autres, pourvû que la pesanteur des corps soit constante, ou dirigée vers un point fixe & proportionnelle à la distance. C’est une suite évidente des propositions démontrées ci-dessus articles 75, 79 & 80.

THÉORÊME III.

83. Si tant de corps qu’on voudra sont liés ensemble d’une maniere quelconque, & qu’un ou plusieurs de ces corps soient forcés de se mouvoir sur un plan ou sur des plans parallèles ; je dis que le chemin du centre de gravité parallèlement à ces plans sera uniforme. [Ainsi, par exemple, & pour fixer l’imagination, si un corps , (Fig. 29) forcé de se mouvoir dans la rainure droite dont il ne puisse sortir, traîne après lui un autre corps par le moyen d’une verge , le centre de gravité de ces deux corps décrira une courbe telle, que les parties de la ligne répondantes aux arcs parcourus par le centre en tems égaux, seront égales.]

Fig. 29

Car en général, si on réduit en une seule force tous les mouvemens perdus par ces corps à chaque instant, il est clair qu’à cause de l’équilibre de ces mouvemens, la direction de la force résultante sera nécessairement perpendiculaire aux plans. Donc le centre de gravité sera continuellement écarté de la ligne droite par une force dont la direction sera (Lem. VI. & art. 77) perpendiculaire à ces plans, & dont par conséquent l’action sera toujours parallèle à une ligne donnée. Donc &c.

Corollaire.

84. La même proposition seroit encore vraye, si les corps étaient animés de forces accélératrices quelconques, constantes ou non, mais de directions perpendiculaires à ces plans. D’où il s’ensuit, que si les corps se mouvoient par la seule action de ces forces sans aucune impulsion primitive, le centre de masses décriroit une ligne droite perpendiculaire à ces plans. Car dans ce dernier cas, si les corps étoient libres, le centre de gravité décriroit une droite perpendiculaire à ces plans ; or son mouvement ne sera altéré que par une force dont la di rection sera perpendiculaire à ces plans : donc le centre de gravité ne sortira jamais de la perpendiculaire.

Si les corps pesent vers un point fixe en raison de la distance, & que la ligne tirée du centre de gravité au point fixe dans le premier instant du mouvement, soit perpendiculaire au plan, on peut prouver de la même maniere que le centre de gravité ne sortira jamais de la perpendiculaire.

Scolie I.

85. Les propositions qu’on a démontrées (art. 76 & 78) sont également vrayes, quand les corps agissent les uns sur les autres par une force d’attraction mutuelle. Car les chemins qu’ils feroient les uns vers les autres en vertu de cette attraction, étant réciproques à leurs masses, la somme des mouvemens de même part seroit zéro ; par conséquent le chemin du centre de gravité ne seroit point changé par l’action réciproque de ces corps les uns sur les autres. On peut d’ailleurs appliquer ici la démonstration donnée du Théorême I, en imaginant tous ces corps joints les uns aux autres par des verges inflexibles. Car alors en n’ayant égard qu’à leur attraction mutuelle, il est clair qu’ils resteroient en équilibre. Donc &c.

Scolie II.

86. Il me semble que par les principes établis jusqu’ici, on peut démontrer ou plutôt expliquer cette fameuse loi de Mécanique, que dans un systême de corps pesans en équilibre, le centre de gravité est le plus bas qu’il est possible. Car supposons le systême dans un état infiniment proche de l’état d’équilibre ; il est certain qu’il y aura dans chaque corps un petit mouvement pour se remettre à l’état d’équilibre, & l’effort de la pesanteur de chaque corps doit être regardé comme composé de ce petit mouvement, & d’un autre qui est détruit. Or comme l’état est infiniment proche de l’état d’équilibre, les mouvemens détruits sont infiniment peu différens de l’effort total de la pésanteur, qui est détruit dans l’état d’équilibre ; ainsi les mouvemens réels de chaque corps sont infiniment petits par rapport à ceux qu’ils auraient eus, s’ils avaient pû se mouvoir librement par leur pesanteur ; & le mouvement du centre de gravité est infiniment moindre, que si les corps se fussent mûs librement. Cela ne seroit pas ainsi, si des deux états infiniment proches que l’on considere ici, l’un n’était pas l’état d’équilibre. D’où il s’ensuit, qu’on peut regarder le centre de gravité comme n’ayant point changé de place depuis l’état jusqu’à l’état d’équilibre ; c’est-à-dire qu’entre ces deux états la descente du centre de gravité est . Donc dans l’état d’équilibre la descente du centre de gravité est un maximum, & dans certains cas un minimum. Elle est par exemple un maximum dans le cas de la chaînette, & un minimum dans le cas de plusieurs globules égaux, qui se soutiennent en formant une voûte ; ce qui n’est, comme l’on fait, que le cas de la chaînette renversé.

Peut-être s’exprimeroit-on avec plus d’exactitude, en disant simplement que dans le cas d’équilibre la différentielle de la descente du centre de gravité est ; car on fait que l’égalité d’une différentielle à zéro, n’indique pas toujours nécessairement un maximum ou un minimum.

Au reste cette remarque suffit pour montrer qu’on aurait tort de déduire avec quelques Auteurs les loix de l’équilibre des fluides, de cette loi prétendue, que le centre de gravité d’une masse fluide en équilibre doit descendre le plus bas qu’il est poffible. En effet si le fluide , (Pl. V. fig. 8) dont toutes les parties pesent vers en raison de la distance, est en équilibre dans le vase , le centre de gravité de ce fluide ne sera pas le plus près du centre qu’il sera possible. Car soit ; il est certain 1º. que le centre de gravité de chacune de ces parties sera ici le même que leur centre de masses. 2°. Que les parties , prises ensemble sont égales à , & que , , qui sont plus près du centre , doivent avoir leur centre de masses au-dessus de , & par conséquent plus près de que celui de , qui est au-dessus de . Donc puisque la partie est d’ailleurs commune à & à , il s’ensuit qu’en supposant ou , le centre de masses du fluide est plus près de que celui du fluide :cependant la premiere de ces masses fluides est en équilibre, & la seconde n’y est pas. Donc &c.

Fig. V-08

J’avois déja fait cette remarque dans mon Traité de l’équilibre & du mouvement des fluides, article 13. Elle est présentée ici d’une maniere encore plus frappante, afin de précautionner les Géometres contre ces sortes d’applications fautives de principes Mécaniques, auxquels on donne quelquefois trop de généralité.



  1. Ce terme de centre de masses a été employé par M. Daniel Bernoulli ; Traité du flux & reflux, Chap. III, §. III.