Traité de dynamique/1758/Partie 2/Chapitre 4

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CHAPITRE IV.


Du Principe de la conservation des forces vives.

186. Si des corps agissent les uns sur les autres, soit en se tirant par des fils ou des verges inflexibles, soit en se poussant, pourvû qu’ils soient à ressort parfait dans ce dernier cas, la somme des produits des masses par les quarrés des vitesses, fait toujours une quantité constante ; & si ces corps sont animés par des puissances quelconques, la somme des produits des masses par les quarrés des vitesses à chaque instant, est égale à la somme des produits des masses par les quarrés des vitesses initiales, plus les quarrés des vitesses que les corps auroient acquises, si étant animés par les mêmes puissances, ils s’étoient mûs librement chacun sur la ligne qu’il a décrite. C’est dans ces deux principes que consiste ce qu’on appelle la conservation des forces vives.

M. Huyghens est le premier, que je sache, qui ait fait mention de ces deux principes, & M. Bernoulli le premier qui en ait fait voir l’usage, pour résoudre élégamment & avec facilité plusieurs Problêmes de Dynamique. J’entreprends de donner dans ce Chapitre, sinon une démonstration générale pour tous les cas, au moins les principes suffisans pour trouver la démonstration dans chaque cas particulier.

187. Imaginons d’abord deux corps , (Fig. 60), d’une étendue infiniment petite, attachés à la verge inflexible ; & supposons qu’on imprime à ces corps des directions & des vitesses quelconques, représentées par les lignes infiniment petites , . Il faut par notre principe, faire les parallélogrammes , , tels que , & ; & seront les vitesses & les directions des corps & . Or , & ; donc qui se réduit à , à cause que & .

Fig. 60

On a donc .

Corollaire I.

188. Si , sont infiniment petites, c’est-à-dire si les vitesses , , ne différent qu’infiniment peu de vitesses , , la conservation des forces vives aura lieu. Car négligeant dans l’équation les lignes , , on aura .

Corollaire II.

189. Si , ne sont pas infiniment petites, & qu’on fasse , , & en sens contraire, il est aisé de prouver que , & . Donc , parce que & .

Donc la conservation des forces vives a encore lieu ici. Mais, si l’on y fait attention, ce cas est précisément celui du choc de deux corps élastiques (art. 168).

De la conservation des forces vives dans les corps qui se tirent par des fils ou par des verges inflexibles.

190. Nous avons vû dans l’article précédent, que si deux corps sont attachés au bout d’une verge inflexible, & qu’on leur donne à chacun une vitesse quelconque, la conservation des forces vives n’a lieu que quand les vitesses qu’ils prennent différent infiniment peu des vitesses qu’ils ont reçûes. Or la vitesse initiale réelle de chacun de ces corps, peut différer d’une quantité finie de celle qu’on a imprimée à chacun suivant une direction quelconque. Mais quand ils ont une fois commencé à se mouvoir chacun sur sa courbe, leur vitesse ne varie qu’infiniment peu d’un instant à l’autre[1]. Ainsi dans le cas de l’article 188 la somme des produits de chaque masse par le quarré de sa vitesse est toujours égale, non à la somme des produits de chaque masse par le quarré de la vitesse imprimée à chacune au premier instant, mais par le quarré de la vitesse initiale réelle de chacune.

191. Il faut donc présentement démontrer en général, que si des corps se meuvent en se tirant par des fils ou par des verges inflexibles, & que la vitesse de chacun ne varie à chaque instant qu’infiniment peu, la somme des produits des masses par les quarrés des vitesses sera constante, si les corps ne sont animés d’aucune puissance ; & que s’ils le sont, elle sera égale à la somme des effets des forces motrices pour chaque corps.

Or j’observe d’abord, que le second de ces deux cas suit immédiatement du premier ; c’est-à-dire que le premier étant supposé vrai, le second l’est aussi nécessairement. Car supposons deux corps , (Fig. 61) attachés l’un à l’autre par la verge , & animés par des puissances motrices dirigées suivant les lignes quelconques , , dont la position à chaque instant soit telle qu’on voudra ; que , soient les lignes que ces corps ont décrites pendant un même instant, & qui peuvent par conséquent représenter leurs vitesses. Si chacun de ces corps étoit libre, ils décriroient dans l’instant suivant les lignes , égales & enligne droite avec , ; supposant que , représentassent l’effet des puissances motrices pendant cet instant, leurs vitesses seroient changées en , ; & menant les perpendiculaires , sur , , on auroit , & ; mais comme les vitesses , sont les vitesses réelles que les corps ont dans le premier instant, & que les vitesses , n’en différent qu’infiniment peu, ces mêmes vitesses , ne différeront qu’infiniment peu des vitesses dans lesquelles elles seront changées par l’action réciproque des deux corps. Donc, si on nomme , les vitesses , ; , les vitesses des corps , au second instant, c’est-à-dire les vitesses qu'ils ont au lieu de , , on aura . Donc , c’est-à-dire , ou (supposant & au commencement du mouvement) . Mais si les corps , se mouvoient librement sur les courbes , , il est clair que seroit l’effet de la force motrice de depuis jufqu'en , & de même l’effet de la force motrice de depuis jufqu'en [2]. Donc &c.

Si au commencement du mouvement, on avoit , , il est évident qu'on auroit alors .

On voit aisément que cette démonstration peut s’étendre à tel nombre de corps qu’on voudra ; car tout ce qu’on y a supposé, c’est que si la vitesse ne varie qu’infiniment peu d’un instant à l’autre, & que les corps ne soient point animés de forces accélératrices, la somme des produits des masses par les quarrés des vitesses fait toujours une somme constante. C’est donc ce qui nous reste à démontrer en général. Pour cela nous avons besoin des Lemmes suivans.

Lemme XII.

192. Soit un parallélogramme quelconque (Fig. 62) ; je dis, que si par un de ses angles quelconques , on tire à volonté la ligne de grandeur & de position quelconque, & que du point on tire les perpendiculaires , , sur , , prolongées ; on aura .

Fig. 62
Démonstration.
Des points , , soient menées les perpendiculaires , , sur prolongée ; on peut regarder les côtés , comme représentant des puissances décomposées chacune dans les deux , , & , ; & de même la diagonale comme une puissance décomposée dans les deux , . Donc, puisque la puissance équivaut aux deux , , on aura :or à cause des triangles semblables , , on a . Ce qu’il falloit démontrer[3].
Remarque.

193. On voit aisément, que selon la position des points , l’un par rapport à l’autre & par rapport au point , il faudra au lieu de la somme des produits , & prendre leur différence, & la faire égale à .

De la conservation des forces vives quand les corps, regardés comme des points, se tiennent par des fils.

191. Imaginons que trois corps , , (Fig. 63), soient attachés au fil , & qu’on imprime à ces corps les vitesses , , , qu’ils soient forcés de changer par leur action mutuelle dans les vitesses , , , qui seront telles, que ; :il faudra regarder par notre principe les vitesses , , , comme composées des vitesses , , , & des vitesses , , par lesquelles seules les corps , , se feroient équilibre ; il faut donc prouver que , c’est-à-dire [4] que . Or , & , à cause de l’équilibre. De même , & . Donc &c.

Fig. 63

Si au lieu du corps on supposoit un point fixe autour duquel les corps , tournassent, on auroit , , & la proposition seroit encore vraie. Il est visible par la nature de la démonstration précédente, qu’elle est générale pour tel nombre de corps qu’on voudra.

Si le point n’était pas fixe en sa place, mais pouvait couler librement le long du fil, alors diviseroit l’angle en deux également, & on auroit ; ; ; & enfin , parce que ; donc .

On voit donc suffisamment que la conservation des forces vives a lieu dans tous les cas possibles, quand les corps ne sont regardés que comme des points, & se tiennent par des fils.

Lemme XIII.

195. Soient trois corps , , animés des puissances , , (Fig. 64), & en équilibre sur un levier de figure quelconque ; & soient , les distances de ces corps l’un à l’autre. Imaginons le levier dans une autre situation quelconque infiniment proche de celle-là, & que les points , , soient alors le lieu des corps , , , de sorte que ; :je dis qu’en menant les perpendiculaires , , , on aura .

Fig. 64
Démonstration.

Tant que le levier n’est pas droit, cette proposition peut se démontrer de la même maniere que si étoit un fil, parce que chacune des puissances peut toujours se changer en deux autres, dont la direction passe par les points où les deux autres sont appliqués, & que l’on aura ainsi six puissances, égales deux à deux & directement opposées. Voy. les art. 192, 193, 194.

Il n’y a que le seul cas où le levier (Fig. 65) ) est droit, dans lequel une pareille décomposition ne se peut faire, & pour lequel il est nécessaire de trouver une démonstration particuliere. Soient donc , , perpendiculaires au levier , on aura [5] ; mais les lignes , ; , ; , ne différent l’une de l’autre que d’une quantité infiniment petite par rapport à elles. Donc . Donc &c. Ce qu’il falloit démontrer.

Fig. 65
Remarque.

196. Si le levier (Fig. 66) étoit fixe en quelque point, en par exemple, & qu’on imaginât le levier dans une autre fituation , la proposition seroit encore vraie, & se démontreroit d’une maniere semblable.

Fig. 66
De la conservation des forces vives, quand les corps se tiennent par des verges inflexibles, & qu’on les regarde comme des points.

197. Il est clair que par le Lemme précédent[6] on démontrera la conservation des forces vives, quand les corps se tiennent par des verges inflexibles, & que chacun de ces corps est fixe à la verge. Si l’un des corps comme (Fig. 64) pouvoit couler le long de la verge, alors la vitesse qu’il perdroit, devroit être perpendiculaire à la verge, & il se trouveroit dans l’instant suivant, non au point tel que , mais à un point infiniment proche de celui-là[7]. Or à cause que les points , sont infiniment proches, & que , doivent être censées parallèles, la ligne doit être regardée comme perpendiculaire à , & partant on peut prendre & l’une pour l’autre, parceque leur différence est infiniment petite du second ordre. Donc la conservation des forces vives a encore lieu dans ce cas.

De la conservation des forces vives, quand les corps sont masses finies, & qu’ils se tiennent par des fils ou par des verges inflexibles.

198. Nous avons vû dans le Lemme XIII, que si trois corps , , animés des forces , , de directions quelconques, sont en équilibre, on aura . D’où il s’ensuit, que si on prend égale & contraire à (Fig. 64), c’est-à-dire si on cherche la force résultante des deux puissances , , on réduira toujours à un seul produit . Ainsi quel que soit le nombre des corps attachés à une verge inflexible, si on prend le point par où passe la force résultante, & qu’on imagine ce point parvenu en , il suffira de prendre le produit de par la force résultante, au lieu de la somme de tous ces produits.

Or pour que la conservation des forces vives ait lieu, il faut, comme nous l’avons vû, que la somme de tous ces produits soit . Donc il faut, ou que la force résultante soit , ou que soit . Or 1°. quand il n’y a pas de point fixe, la force résultante est . 2°. Quand il y en a un, la vitesse du point doit être nulle, ou au moins sa direction est nécessairement perpendiculaire à la direction de la force résultante. En effet, si l’obstacle est un point Mathématique, comme le point d’appui d’un levier, la direction de la force résultante passe par ce point d’appui, & le mouvement du point est un mouvement de rotation autour de ce point, ou le point n’est autre chose que le point d’appui même, dont le mouvement est zéro. Si l’obstacle est une surface immobile, le point par où passe la direction de la force résultante est nécessairement un point qui touche cette surface, & dont le mouvement instantané est suivant la direction de cette surface même, tandis que la direction de la force résultante est perpendiculaire à cette surface. Donc en général , quand il y a un point fixe. Il est donc démontré, que quand les corps se tiennent par des leviers inflexibles, fixes ou non fixes, la conservation des forces vives a lieu.

199. Si les corps se tiennent par des fils, alors on imaginera aux extrémités de chaque portion de fil qui est entre deux corps, deux puissances égales & opposées qui tirent dans la direction du fil, & la démonstration se déduira aisément de ce qui a été dit ci-dessus (art. 194) quand les corps étaient regardés comme des points.

200. Si le fil passe à travers un ou plusieurs de ces corps, de maniere qu’ils puissent y couler librement, alors comme la direction de la force résultante des mouvemens perdus â chaque instant passe (art. 153) par le point de concours (Fig. 67) des lignes , , & divise cet angle, en deux également ; il faudra, au lieu de cette force résultante, imaginer deux puissances égales qui tirent suivant , & dans la direction des fils , ; de plus si on suppose que , soient les chemins des points , , & qu’on mene les perpendiculaires , , on aura, à cause de constante, . Moyennant ces deux remarques, on viendra aisément à bout de démontrer dans tous les cas, la conservation des forces vives.

Fig. 67
De la conservation des forces vives dans le choc des Corps élastiques.

201. Nous pourrions démontrer la conservation des forces vives dans le choc des corps élastiques, en regardant ces corps comme durs, & supposant que la com pression & la restitution du ressort se fît dans un instant, nous avons même déja donné dans l’article 189 un essai de démonstration de cette espece ; mais comme nous avons observé (art. 176 & suiv.) que cette hypothese pourroit tromper sur les véritables loix du choc des corps élastiques, nous l’abandonnerons ici, & nous démontrerons la proposition dont il s’agit, en supposant un ressort placé entre les deux corps, & qui leur donne en sens contraires des forces motrices égales.

202. Soient , (Fig. 68), deux points unis par un ressort , lesquels ayant reçû des impulsions quelconques , , décrivent les courbes , ; pendant le tems de la compression & de la restitution du ressort : soit la force motrice variable, qui est égale à chaque instant pour les deux corps, & qui les pousse en sens contraires dans la direction du ressort , la vitesse de , celle de , la vitesse de , celle de , , , , , on aura , & . Mais lorsque , on a ; car est la quantité dont le ressort se comprime ou se dilate à chaque instant, & quand , le ressort est remis dans son premier état. Donc , lorsque la compression est finie.

Fig. 68

Il est clair que cette démonstration peut s’étendre à tant de points qu’on voudra, liés ensemble d’une maniere quelconque. On voit donc que la conservation de forces vives a lieu pour des points liés par des ressorts.

Quand les corps sont finis, il suffit (art. 198) pour prouver la conservation des forces vives, de prouver que cette conservation a lieu dans les points par où passe la direction de la force résultante des forces qui se font équilibre ; ces points sont dans l’un & dans l’autre corps le point par lequel ils se touchent, & que nous supposons demeurer toujours le point touchant pendant la compression & la restitution, que nous regardons ici comme achevées dans un tems très-court. C’est par ces points qu’il faut imaginer que passe le ressort, qui leur communique en sens contraire à chaque instant des forces motrices égales, qui se distribuent ensuite dans toute la masse. Donc ce cas se trouve par-là réduit au précédent.

203. Si les corps , (Fig. 69) se choquoient par le moyen d’une verge fixe en , alors les forces motrices appliquées en & en ne seroient plus égales, mais elles seroient en raison inverse des bras , , & comme les chemins des points & en tems égaux, sont en raison directe de ces bras de levier ; il s’ensuit que le produit des forces motrices par le chemin des points , seroit égal de part & d’autre. Ainsi on peut encore ici démontrer la conservation des forces vives ; fait par le principe de l'art. 189, en supposant les corps incompressibles, soit en imaginant un ressort infiniment petit placé en & un autre en . Ce qu’il est inutile d’expliquer plus en détail pour des Lecteurs intelligens.

Fig. 69

Donc la conservation des forces vives aura encore lieu dans le cas dont il s’agit ici ; & il est clair en combinant les principes établis ci-dessus, qu’on pourra toujours la démontrer dans le choc des corps élastiques.

Scolie Général.

204. Il résulte de tout ce que nous avons dit jusqu’à présent, qu’en général la conservation des forces vives dépend de ce principe, que quand des puissances se font équilibre, les vitesses des points où elles sont appliquées, estimées suivant la direction de ces puissances, sont en raison inverse de ces mêmes puissances. Ce principe est reconnu depuis long-tems par les Géometres pour le principe fondamental de l’équilibre ; mais personne, que je sache, n’a encore démontré ce principe en général, ni fait voir que celui de la conservation des forces vives en résulte nécessairement.

Le principe de l’équilibre dont nous venons de parler, peut toujours se démontrer facilement. Car, ou les puissances sont égales & directement opposées, ou elles sont appliquées à des bras de levier différens, ou enfin la force résultante de ces puissances passe par quelque obstacle fixe & insurmontable, comme dans le Problême X. Tout ce que nous avons dit ci-dessus esy, ce me semble, suffisant pour démontrer les deux premiers cas : à régard du dernier cas, il est visible que les puissances décomposées dans une direction perpendiculaire à la force résultante seront égales, & que les vitesses dans ce même sens seront égales aussi. Or de là il est aisé de tirer la démonstration en la cherchant sur quelque cas, par exemple sur celui du Problême X. où elle est aisée à trouver.

Si la force accélératrice qui anime les corps est la gravité , & que , &c. soient les abscisses verticales des courbes qu’ils décrivent, on aura (art 191) en supposant, comme dans la démonstration de cet art. 191, que les corps partent du repos ; & si les corps partoient avec les vitesses initiales , , on auroit Il est à remarquer que si est négative par rapport à , c’est-à-dire si le corps monte tandis que le corps descend, il faudra mettre . Par exemple si deux corps égaux sont attachés à un levier dont les bras soient , & que celui de ces deux corps qui agit par le plus long bras de levier , entraîne l’autre & le force à se mouvoir de bas en haut, on aura ou ; d’où l’on tire ; équation qu’on trouveroit aisément d’ailleurs, soit par notre principe, soit par d’autres.

Il est de plus aisé de voir que la quantité est égale en général au produit de la somme des poids par le double de la descente du centre de gravité. Car la descente du centre de gravité, comme il est aisé de le démontrer par la Statique, est . Ainsi dans le cas où les corps sont pesans, la somme des forces vives à chaque instant est égale à la somme des forces vives initiales, plus à la force vive d’un poids unique égal à la somme de tous les poids, lequel descendroit librement d’une hauteur égale à la quantité dont le centre de gravité est descendu.

De la conservation des forces vives dans les fluides

205. Soit un vase de figure quelconque & indéfini (Fig. 70) dont la partie terminée par les parallèles , soit remplie de fluide. Soit imaginé ce fluide divisé en tranches parallèles à ; & que tous les points de chaque tranche soient animés par une force accélératrice représentée par l’ordonnée correspondante de la courbe , (les ordonnées représentant les forces accélératrices positives, c’est-à-dire qui tendent de vers , & les ordonnées celles dont la direction est en sens contraire) ; je dis que si le fluide en cet état est en équilibre, l’aire ou surface sera zéro, c’est-à-dire la somme des aires positives égale à la somme des aires négatives.

Fig. 70

Car pour l’équilibre, il faut qu’une tranche quelconque soit pressée également de bas en haut, & de haut en bas : or la pression de la tranche suivant , est la même que si elle étoit chargée du cylindre , dont le poids, en appellant , , & la force accélératrice de chaque tranche, sera ; ou ; on prouvera de même que la pression de suivant , sera & comme ces deux pressions doivent être égales, on aura , & . Donc &c. Ce qu’il falloit démontrer.

Corollaire I.

206. Si au lieu de la force accélératrice on substitue la petite vitesse qui lui seroit proportionnelle, le tems étant constant, c’est-à-dire la petite vitesse avec laquelle chaque tranche, considérée comme isolée, descendroit dans un instant, on aura . Donc si le fluide se meut vers , & que dit représente la vitesse perdue ou gagnée par chaque tranche, c’est-à-dire (art. 60) la vitesse par laquelle chaque tranche seroit restée en équilibre avec les autres, on aura .

Corollaire II.

207. Nous avons fait voir ci-dessus en général (art. 191) que la conservation des forces vives quand les corps sont animés par la pesanteur ou par une force accélératrice quelconque, dépend de la conservation des forces vives quand il n’y a point de forces accélératrices. Nous nous contenterons donc de prouver, que si un fluide , poussé & mis d’abord en mouvement par quelque cause (comme par un piston) se meut dans le vase , abstraction faite de la pesanteur, la conservation des forces vives aura lieu.

Pour cela, nous imaginerons le fluide partagé en tranches égales & infiniment petites, dont la masse sera appellée , & dont l’épaiseur sera & la largeur ; on aura ainsi . Si on appelle la vitesse de chaque tranche, & sa vitesse dans l’instant suivant ; il faudra par notre principe, que les tranches animées des vitesses se fassent équilibre, c’est-à-dire que sera (Cor. précéd.). Mais pour démontrer la conservation des forces vives, il faut prouver[8] que :or , puisque la vitesse de chaque tranche est en raison inverse de sa largeur ; ; donc . Donc &c.

AVERTISSEMENT.

M. Daniel Bernoulli dans son excellent Ouvrage qui a pour titre : Hydrodynamica &c. a tiré les loix du mouvement des fluides dans des vases, de la conservation des forces vives, mais sans la démontrer. Comme notre principe général exposé art. 60. nous a conduit à en trou ver la démonstration, il est évident que nous aurions pû déduire immédiatement de ce même principe le mouvement du fluide, ce qui auroit encore été plus lumineux & plus direct. Mais comme notre dessein n’est point de traiter ici des fluides, nous nous sommes contentés de faire voir en deux mots l’usage de notre principe dans une matiere qui paroît si épineuse. Nous nous contenterons donc ici de ce leger essai, & nous renverrons ceux qui désireroient un plus grand détail, à notre Traité de l’équilibre & du mouvement des Fluides, dans lequel nous avons déduit de notre principe général, la solution des Problêmes les plus difficiles qu’on ait jusqu’à présent proposés sur cette matiere.


FIN.

  1. Que les corps & joints par la ligne inflexible (Pl. V. fig. 11) ayent décrit dans un instant les lignes infiniment petites , , & que dans l’instant suivant au lieu de décrire , , (comme ils l’auroient fait s’ils eussent été libres) ils décrivent , ; je dis que les lignes & qui représentent les mouvemens perdus seront infiniment petites du second ordre.
    Fig. V-11

    Car quelle que puisse être la position des points & , le centre de gravité doit être dans la ligne droite qu’il a décrite au premier instant, & l’on doit avoir (art.76) ; donc ; mais (art. 91) ou (ce qui est ici la même chose) est égal à moins une quantité infiniment petite du second ordre ; donc puisque , est infiniment petite du second ordre, donc l’est aussi ; la démonstration est la même pour . Donc &c.

    Note Wikisource : Correction d’auteur dans Fautes à corriger pour le numéro de la figure.

  2. La force accélératrice en étant représentée par , son action suivant la courbe sera; donc si est la vitesse du corps mû librement sur , on aura , ou :donc ; or ce qu'on appelle ici l’effet d’une force motrice, est le produit de la masse par le quarré de la vitesse que cette force peut imprimer.
  3. On pourroit démontrer cette proposition, par des principes purement géométriques, sans avoir recours à la Mécanique ; mais la démonstration que nous avons donnée, fait voir comment les différentes parties des Mathématiques peuvent s’éclairer mutuellement.
  4. Cette équation revient au même que la précédente, en substituant dans celle-ci à la place de , , &c. leurs valeurs qu’on trouve aisément par les propriétés connues des quarrés des côtés des triangles, en ayant de plus égard à l’article 193 précédent, & en négligeant les quantités infiniment petites du second ordre.
  5. Par la propriété connue des momens de plusieurs forces en équilibre entr’elles.
  6. Il n’y aura qu’à considérer , ; , ; , (fig. 64) comme les vitesses détruites, & les vitesses restantes aux corps , , , & suivre exactement le même procédé qu’à l’article 195.
  7. On suposse ici que le levier est une courbe aussi-bien que , & que est perpendiculaire à cette courbe en . Il a paru inutile de faire pour cela une nouvelle figure.
  8. Si , & qu’on nomme la vitesse de la même tranche dans l’instant suivant, on aura (en faisant ou constant, ce qui est permis), (puisque ) ; donc .