Traité de la législation relative aux cadavres/Introduction

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INTRODUCTION


À aucune époque, dans aucun pays, ce qui a trait au respect dû aux morts, aux sépultures, aux mesures d’hygiène qu’il convient de prendre après le décès d’un individu, n’a pu rester indifférent à l’autorité religieuse ou civile entre les mains de laquelle se trouvait placée la garde des grands intérêts sociaux. Ces questions sont d’une importance extrême : complexes dans leurs termes, elles réclament dans leur solution des tempéraments nombreux, et c’est surtout en ces matières délicates qu’on peut dire avec raison que les lois ne valent que par la manière dont elles sont appliquées.

Si, soucieux de sa mission, sentant combien la vigueur d’un tel sentiment, base de l’esprit de famille et des grandes traditions, importe à la santé morale des peuples, le pouvoir social accorde au culte des morts sa sympathie la plus éclairée, sa protection la plus large, il doit cependant veiller à ce que l’ordre public ne souffre pas des manifestations extérieures de cette piété ; s’il permet à la forme des funérailles la plus grande liberté, il ne doit pas tolérer que celles-ci deviennent un scandale et blessent la décence publique ou les sentiments les plus recommandâmes des citoyens. Si, respectant la liberté du défunt et même cette passion si naturelle qui fait que l’homme reporte sur un cadavre les soins et la pitié qu’il avait pour une personne aimée, le législateur permet au défunt ou aux survivants de disposer, en quelque sorte, du corps en indiquant le lieu de la sépulture, les conditions de l’inhumation, il ne doit pas oublier les grandes règles de l’hygiène, et son devoir est d’imposer à la volonté des particuliers des limites, des conditions dont il ne leur sera pas loisible de s’écarter. Si enfin, prenant en considération ce sentiment qui pousse les familles à se recueillir au décès d’un de leurs proches, et à ne souffrir qu’avec peine les formalités les plus simples, le législateur s’efforce de ne pas imposer des mesures qui, pour avoir leur utilité, n’en seraient pas moins odieuses, il doit cependant, dans un haut intérêt de justice, ne pas permettre qu’à l’ombre de cette religion on puisse dissimuler un crime.

Cette revue incomplète nous montre sur combien de points délicats le devoir de l’autorité sociale se trouve en contact avec les droits des particuliers, et comme il doit être malaisé parfois de trouver une juste conciliation entre des intérêts trop souvent opposés. Si on accorde trop à la liberté des particuliers, l’hygiène du pays en souffre, et quelquefois aussi sa morale ; si on fait la part trop large aux pouvoirs de l’autorité, il en résulte trop souvent des froissements de mœurs et d’habitudes, qui, en cette matière pieuse plus que partout ailleurs, ne vont pas sans quelque révolte de l’opinion publique ou sans quelque affaiblissement de ce culte des morts dont nous indiquions plus haut d’un mot l’importance sociale.

On peut dire généralement qu’à l’origine des sociétés, tout ce qui touche aux cérémonies mortuaires, aux sépultures, au culte des morts était du domaine exclusif de la religion confondue, avec l’État. Et il faut convenir, sans regretter outre mesure l’esprit des temps anciens, que, par la force et la nature de l’autorité dont elle dispose, la religion, est plus à même que le pouvoir civil d’imposer, aux mœurs et à la liberté des citoyens, avec moins de peine et des froissements moindres, certaines contraintes que commande avant tout la préoccupation de la salubrité publique. C’est ce qui s’est produit notamment pour la religion juive, qui a su imposer au peuple qui la suivait des pratiques mortuaires qu’une pensée d’hygiène a seule dictée à ses fondateurs. Ajoutons que d’autres religions n’ont pas été aussi heureusement inspirées, par exemple celle de Mahomet, en ce qui a trait aux sépultures des croyants.

Quoi qu’il en soit, une fois que l’État a eu conquis son indépendance et revendiqué avec succès contre l’Église la garde des grands intérêts matériels et moraux de la nation, un départ d’attributions s’est forcément imposé en cette matière entre l’autorité religieuse, et l’autorité civile : celle-là prêtant son concours aux funérailles de ceux qui suivent la religion, sous la condition de respecter les s lois de police générale et la liberté de conscience des citoyens. Ces rapports entre l’Église, l’État et les particuliers ont soulevé des questions intéressantes et tout aussi délicates que celles d’un autre ordre que nous indiquions plus haut.

Nous nous proposons d’étudier les diverses mesures prescrites par la loi ou prises par l’administration en vue de constater les décès, d’empêcher les inhumations précipitées, de prévenir les fraudes coupables qui auraient pour but de cacher à la justice les traces d’un crime. Nous examinerons ensuite dans leurs rapports respectifs les droits de l’administration, de l’autorité religieuse et des particuliers en ce qui concerne le choix, le mode des funérailles et la police des convois. Nous nous attacherons spécialement à la législation relative aux lieux de sépulture, qui soulève encore aujourd’hui des controverses juridiques du plus grand intérêt ; nous nous demanderons quelle est la nature et quelle est l’étendue des droits des concessionnaires de terrains dans les cimetières publics. Enfin, après avoir exposé les règles des exhumations et parlé du droit de police des diverses autorités administratives sur les cimetières, nous étudierons les sanctions pénales établies contre les actes graves que la loi qualifie violations de tombeaux ou de sépultures.

Tel est, dans ses grandes lignes, le cadre de l’étude que nous avons entreprise. Nous nous efforcerons surtout de donner aux questions d’ordre purement juridique l’attention qu’elles méritent et les développements qu’elles comportent.