Traité de la lumière/Chapitre III

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Gauthier-Villars (p. 34-53).

CHAPITRE III

DE LA RÉFRACTION


De même que les effets de la réflexion ont été expliqués par les ondes de la lumière réfléchie à la surface des corps polis, nous expliquerons la transparence, et les phénomènes de la réfraction, par les ondes qui s’étendent au dedans et au travers des corps diaphanes, tant solides, comme le verre, que liquides, comme l’eau, les huiles, etc. Mais afin qu’il ne paraisse pas étrange de supposer ce passage des ondes au dedans de ces corps, je ferai voir auparavant qu’on peut le concevoir possible en plus d’une manière.

Premièrement donc quand la matière éthérée ne pénétrerait aucunement les corps transparents, leurs particules mêmes se pourraient communiquer successivement le mouvement des ondes, de même que celles de l’éther, étant supposées, comme celles-ci, de nature à faire ressort. Et cela est aisé à concevoir pour ce qui est de l’eau, et des autres liqueurs transparentes, comme étant composées de particules détachées. Mais il peut sembler plus difficile à l’égard du verre, et des autres corps transparents et durs, parce que leur solidité ne semble pas permettre qu’ils puissent recevoir du mouvement que dans toute leur masse à la fois. Ce qui pourtant n’est pas nécessaire, parce que cette solidité n’est pas telle qu’elle nous paraît, étant probable que ces corps sont plutôt composés de particules, qui ne sont que posées les unes auprès des autres, et retenues ensemble par quelque pression de dehors d’une autre matière, et par l’irrégularité des figures. Car premièrement leur rareté paraît par la facilité avec laquelle y passe la matière des tourbillons de l’aimant, et celle qui cause la pesanteur. De plus l’on ne peut pas dire que ces corps soient d’un tissu semblable à celui d’une éponge, ou du pain léger, parce que la chaleur du feu les fait couler, et change par là la situation des particules entre elles. Il reste donc que ce soient, comme il a été dit, des assemblages de particules qui se touchent, sans composer un solide continu ; ce qui étant ainsi, le mouvement que ces particules reçoivent pour continuer les ondes de lumière, ne faisant que se communiquer des unes aux autres — sans qu’elles sortent pour cela de leur place, ou qu’elles se dérangent entre elles — il peut fort bien faire son effet sans préjudicier en rien à la solidité du composé qui nous paraît.

Par la pression du dehors dont j’ai parlé, il ne faut pas entendre celle de l’air, qui ne serait pas suffisante, mais une autre d’une matière plus subtile, laquelle pression se manifeste dans cette expérience que le hasard m’a fait rencontrer il y a longtemps, savoir de l’eau purgée d’air, qui demeure suspendue dans un tuyau de verre ouvert par le bout d’en bas, nonobstant que l’air soit ôté du vaisseau où ce tuyau est enfermé.

L’on peut donc de cette manière concevoir la transparence sans qu’il soit besoin que la matière éthérée, qui sert à la lumière, y passe, ni qu’elle trouve des pores pour s’y insinuer. Mais la vérité est que cette matière non seulement y passe, mais même avec grande facilité, de quoi l’expérience de Torricelli, dessus alléguée, est déjà une preuve. Par ce que le vif-argent et l’eau, quittant la partie haute du tuyau de verre, il paraît qu’elle est remplie aussitôt de la matière éthérée, puisque la lumière y passe. Mais voici un autre argument qui prouve cette pénétrabilité aisée, non seulement dans les corps transparents, mais aussi dans tous les autres.

Lorsque la lumière passe à travers d’une sphère creuse de verre, fermée de toutes parts, il est constant qu’elle est pleine de la matière éthérée, autant que les espaces au dehors de la sphère. Et cette matière éthérée, comme il a été montré ci-devant, consiste en des particules qui se touchent près-à-près. Si elle était donc tellement enfermée dans la sphère qu’elle ne pût sortir par les pores du verre, elle serait obligée de suivre le mouvement de la sphère lorsqu’on la fait changer de place ; et il faudrait par conséquent la même force à peu près pour imprimer une certaine vitesse à cette sphère, lorsqu’elle serait posée sur un plan horizontal, que si elle était pleine d’eau ou peut-être de vif-argent : parce que tout corps résiste à la vitesse du mouvement, qu’on veut lui donner, selon la quantité de la matière qu’il contient, et qui doit suivre ce mouvement. Mais on trouve au contraire que la sphère ne résiste à l’impression du mouvement que selon la quantité de la matière du verre dont elle est faite : donc il faut que la matière éthérée, qui est dedans, ne soit point enfermée, mais qu’elle coule à travers avec très grande liberté. Nous ferons voir ci-après que la même pénétrabilité se conclut aussi, par ce moyen, en ce qui est des corps opaques.

La seconde manière donc d’expliquer la transparence, et qui paraît plus vraisemblable, c’est en disant que les ondes de lumière se continuent dans la matière éthérée, qui occupe continuellement les interstices ou pores des corps transparents. Car puisqu’elle y passe continuellement, et avec facilité, il s’ensuit qu’ils s’en trouvent toujours remplis. Et l’on peut même démontrer que ces interstices occupent beaucoup plus d’espace que les particules cohérentes qui constituent les corps. Car s’il est vrai ce que nous venons de dire, qu’il faut de la force pour imprimer certaine vitesse horizontale aux corps, à proportion qu’ils contiennent de la matière cohérente ; et si la proportion de cette force suit la raison des pesanteurs, ce qui se confirme par l’expérience, donc la quantité de la matière constituante des corps suit aussi la proportion des pesanteurs. Or nous voyons que l’eau ne pèse que la quatorzième partie autant qu’une portion égale de vif-argent : donc la matière de l’eau n’occupe pas la quatorzième partie de l’espace que tient sa masse. Même elle en doit occuper bien moins, puisque le vif-argent est moins pesant que l’or, et que la matière de l’or est fort peu dense : comme il s’ensuit de ce que la matière des tourbillons de l’aimant, et de celle qui cause la pesanteur, y passe très librement.

Mais on peut objecter ici que, si le corps de l’eau est d’une si grande rareté, et que ses particules occupent une si petite portion de l’espace de son étendue apparente, il est bien étrange comment elle résiste pourtant si fort à la compression, sans se laisser condenser par aucune force qu’on ait essayée jusqu’ici d’y employer, conservant même toute sa liquidité, pendant qu’elle souffre cette pression.

Ce n’est pas ici une petite difficulté. Laquelle pourtant on peut résoudre en disant que le mouvement très violent et rapide de la matière subtile qui rend l’eau liquide, en ébranlant les particules dont elle est composée, maintient cette liquidité malgré la pression que jusqu’ici on se soit avisé d’y appliquer.

La rareté des corps transparents étant donc telle que nous avons dit, l’on conçoit aisément que les ondes puissent être continuées dans la matière éthérée qui emplit les interstices des particules. Et de plus l’on peut croire que le progrès de ces ondes doit être un peu plus lent au dedans des corps, à raison des petits détours que causent les mêmes particules. Dans laquelle différente vitesse de la lumière, je ferai voir que consiste la cause de la réfraction.

J’indiquerai auparavant la troisième et dernière manière dont on peut concevoir la, transparence, qui est en supposant que le mouvement des ondes de lumière se transmet indifféremment et dans les particules de la matière éthérée, qui occupe les interstices des corps, et dans les particules qui les composent, en sorte que ce mouvement passe des unes aux autres. L’on verra ci-après que cette hypothèse sert beaucoup à expliquer la réfraction double de certains corps diaphanes.

Que si l’on objecte que les particules de l’éther étant plus petites que celles des corps transparents, puisqu’elles passent par leurs intervalles, il s’ensuivrait qu’elles ne leur pourraient communiquer que peu de leur mouvement, l’on peut répondre, que les particules de ces corps sont encore composées d’autres particules plus petites ; et qu’ainsi ce seront ces particules secondes qui recevront le mouvement de celles de l’éther.

Au reste, si celles des corps transparents ont leur ressort un peu moins prompt que n’est celui des particules éthérées, ce que rien n’empêche de supposer, il s’ensuivra derechef que le progrès des ondes de lumière sera plus lent au dedans de ce corps, qu’elle n’est au dehors dans la matière éthérée.

C’est là tout ce que j’ai trouvé de plus vraisemblable pour la manière dont les ondes de la lumière passent à travers les corps transparents. À quoi il faut encore ajouter en quoi ces corps diffèrent de ceux qui sont opaques ; et d’autant plus qu’il peut sembler, à cause de la facile pénétration des corps par la matière éthérée, dont il a été parlé, qu’il n’y aurait point de corps qui ne fût transparent. Car par la même raison de la sphère creuse que j’ai employée pour prouver le peu de densité du verre, et la pénétrabilité aisée à la matière éthérée, l’on peut aussi prouver que la même pénétrabilité convient aux métaux et à toute autre sorte de corps. Car cette sphère étant d’argent par exemple, il est certain qu’elle contient de la matière éthérée qui sert à la lumière, puisque cette matière y était aussi bien que l’air, lorsqu’on bouchait l’ouverture de la sphère. Cependant étant fermée, et posée sur un plan horizontal, elle ne résiste au mouvement qu’on lui veut donner que suivant la quantité de l’argent dont elle est faite, de sorte qu’il en faut conclure, comme dessus, que la matière éthérée, qui est enfermée ne suit point le mouvement de la sphère ; et que partant l’argent, aussi bien que le verre, est très facilement pénétré par cette matière. Il s’en trouve donc continuellement et en quantité entre les particules de l’argent et de tous les autres corps opaques ; et puisqu’elle sert à la propagation de la lumière, il semble que ces corps devraient aussi être transparents, comme le verre, ce qui pourtant n’est point.

D’où dira-t-on donc que vient leur opacité ? est-ce que les particules qui les composent sont molles, c’est-à-dire que ces particules, étant composées d’autres moindres, sont capables de changer de figure en recevant l’impression des particules éthérées, desquelles par là elles amortissent le mouvement, et empêchent ainsi la continuation des ondes de lumière ? Cela ne se peut ; car si les particules des métaux sont molles, comment est-ce que l’argent poli et le mercure réfléchissent si fortement la lumière ?! Ce que je trouve de plus vraisemblable en ceci, c’est de dire que les corps des métaux, qui sont presque les seuls véritablement opaques, parmi leurs particules dures en ont de molles entremêlées, de sorte que les unes servent à causer la réflexion et les autres à empêcher la transparence ; au lieu que les corps transparents ne contiennent que des particules dures, qui ont la faculté de faire ressort, et servent ensemble avec celles de la matière éthérée, ainsi qu’il a été dit, à la propagation des ondes de la lumière.

Figure 11 : Réfraction d’un rayon lumineux.
Fig. 11.

Passons maintenant à l’explication des effets de la réfraction, en supposant comme nous avons fait, le passage des ondes de la lumière à travers les corps transparents, et la diminution de vitesse que ces mêmes ondes y souffrent.

La principale propriété de la réfraction est, qu’un rayon de lumière, comme A B (Fig. 11), étant dans l’air, et tombant obliquement sur la surface polie d’un corps transparent comme F G, se rompt au point d’incidence B, en sorte qu’avec la droite D B E, qui coupe la surface perpendiculairement, il fait un angle C B E moindre que A B D, qu’il faisait avec la même perpendiculaire étant dans l’air. Et la mesure de ces angles se trouve en décrivant un cercle du point B, qui coupe les rayons A B, B C. Car les perpendiculaires A D, C E menées des points d’intersection sur la droite D E, lesquelles on appelle les sinus des angles A B D, C B E, ont entre elles une certaine raison, qui est toujours la même dans toutes les inclinaisons du rayon incident, pour ce qui est d’un certain corps transparent : étant dans le verre fort près comme de 3 à 2, et dans l’eau fort près comme de 4 à 3, et ainsi différente dans d’autres corps diaphanes.

Une autre propriété, pareille à celle-ci, est que les réfractions sont réciproques entre les rayons entrant dans un corps transparent, et ceux qui en sortent. C’est-à-dire que si le rayon A B en entrant dans le corps transparent se rompt en B C, aussi C B, étant pris pour un rayon au dedans de ce corps, se rompra, en sortant, en B A.

Pour expliquer donc les raisons de ces phénomènes suivant nos principes, soit la droite A B (Fig. 12), qui représente une surface plane, terminant les corps transparents qui sont vers C et vers N. Quand je dis plane, cela ne signifie pas d’une égalité parfaite, mais telle qu’elle a été entendue en traitant de la réflexion, et par la même raison. Que la ligne A C représente une partie d’onde de lumière, dont le centre soit supposé si loin, que cette partie puisse être considérée comme une ligne droite. L’endroit C donc, de l’onde A C, dans un certain espace de temps sera avancé jusqu’au plan A B suivant la droite C B, que l’on doit imaginer qu’elle vient du centre lumineux, et qui par conséquent coupera A C à angles droits. Or dans le même temps l’endroit A serait venu en G par la droite A G, égale et parallèle à C B ; et toute la partie d’onde A C serait en G B, si la matière du corps transparentFigure 12 : Réfraction d’une onde lumineuse plane, expliquée par le principe de Huyghens.
Fig. 12.
transmettait le mouvement de l’onde aussi vite que celle de l’éther. Mais supposons qu’elle transmette ce mouvement moins vite, par exemple, d’un tiers. Il se sera donc répandu du mouvement depuis le point A, dans la matière du corps transparent, par une étendue égale aux deux tiers de C B, faisant son onde sphérique particulière, suivant ce qui a été dit ci-devant ; laquelle onde est donc représentée par la circonférence S N R, dont le centre est A, et le demi-diamètre égal aux deux tiers de C B. Que si l’on considère ensuite les autres endroits H de l’onde A C, il paraît que dans le même temps que l’endroit C est venu en B, ils ne seront pas seulement arrivés à la surface A B, par des droites H K parallèles à C B, mais que de plus ils auront engendré, des centres K, des ondes particulières dans le diaphane, représentées ici par des circonférences dont les demi-diamètres sont égaux aux deux tiers des lignes K M, c’est-à-dire aux deux tiers des continuations de H K jusqu’à la droite B G ; car ces demi-diamètres auraient été égaux aux K M entières, si les deux diaphanes étaient de même pénétrabilité.

Or toutes ces circonférences ont pour tangente commune la ligne droite B N : savoir la même qui du point B est faite tangente de la circonférence S N R, que nous avons considéré la première. Car il est aisé de voir que toutes les autres circonférences vont toucher à la même B N, depuis B jusqu’au point de contact N, qui est le même où tombe A N perpendiculaire sur B N.

C’est donc B N, qui est comme formée par de petits arcs de ces circonférences, qui termine le mouvement que l’onde A C a communiqué dans le corps transparent, et où ce mouvement se trouve en beaucoup plus grande quantité que partout ailleurs. Et pour cela cette ligne, suivant ce qui a été dit plus d’une fois, est la propagation de l’onde A C dans le moment que son endroit C est arrivé en B. Car il n’y a point d’autre ligne au-dessous du plan A B qui, comme B N, soit tangente commune de toutes lesdites ondes particulières. Que si l’on veut savoir comment l’onde A C est venue successivement en B N, il ne faut que dans la même figure tirer les droites K O parallèles à B N, et toutes les K L parallèles à A C. Ainsi l’on verra que l’onde C A, de droite est devenue brisée dans toutes les L K O successivement, et qu’elle est redevenue droite en B N. Ce qui étant évident par ce qui a déjà été montré, il n’est pas besoin de l’éclaircir davantage.

Figure 13 : Réfraction d’une onde lumineuse plane, expliquée par le principe de Huyghens.
Fig. 13.

Or dans la même figure, si on mène E A F (Fig. 13), qui coupe le plan A B à angles droits au point A, et que A D soit perpendiculaire à l’onde A C, ce sera D A qui marquera le rayon de lumière incident, et A N, qui était perpendiculaire à B N, le rayon rompu : puisque les rayons ne sont autre chose que les lignes droites suivant lesquelles les parties des ondes s’étendent.

D’où il est aisé de reconnaître cette principale propriété des réfractions, savoir que le sinus de l’angle D A E, a toujours une même raison au sinus de l’angle N A F, quelle que soit l’inclinaison du rayon D A, et que cette raison est la même que celle de la vitesse des ondes dans le diaphane qui est vers A E, à leur vitesse dans le diaphane vers A F. Car considérant A B comme rayon d’un cercle, le sinus de l’angle B A C est B C, et le sinus de l’angle A B N est A N. Mais l’angle B A C est égal à D A E, puisque chacun d’eux, ajouté à C A E, fait un angle droit. Et l’angle A B N est égal à N A F, puisque chacun d’eux avec B A N fait un angle droit. Donc le sinus de l’angle D A E est aussi au sinus de N A F comme B C à A N. Mais la raison de B C à A N était la même que celle des vitesses de la lumière dans la matière qui est vers A E et dans celle qui est vers A F : donc aussi le sinus de l’angle D A E au sinus de l’angle N A F sera comme lesdites vitesses de la lumière.

Pour voir ensuite quelle doit être la réfraction, lorsque les ondes de lumière passent dans un corps, où le mouvement s’étend plus vite que dans celui d’où ils sortent (posons derechef selon la raison de 3 à 2), il ne faut que répéter toute la même construction et démonstration que nous venons de mettre, en substituant seulement partout 3/2 au lieu de 2/3. Et l’on trouvera par le même raisonnement, dans cette autre figure (Fig. 14), que lorsque l’endroit C de l’onde A C sera parvenu jusqu’à la surface A B en B, toute la partie d’onde A C sera avancée en B N, en sorte que B C perpendiculaire sur A C soit à A N perpendiculaire sur B N comme 2 à 3. Et que cette même raison de 2 à 3 sera enfin entre le sinus de l’angle E A D, et le sinus de l’angle F A N.

D’ici l’on voit la réciprocation des réfractions du rayon entrant et sortant d’un même diaphane : savoir que si N A tombant sur la surface extérieure A B, se rompt en A D, aussi le rayon D A se rompra, en sortant du diaphane, en A N.

Figure 14 : Réfraction d’une onde plane expliquée par le principe de Huyghens.
Fig. 14.

L’on voit aussi la raison d’un accident notable qui arrive dans cette réfraction, qui est que depuis une certaine obliquité du rayon incident D A, il commence à ne point pouvoir pénétrer dans l’autre diaphane. Car si l’angle D A Q ou C B A est tel que dans le triangle A C B, C B soit égal aux 2/3 de A B, ou plus grande, alors A N ne peut pas faire un côté du triangle A N B, parce qu’elle devient égale à A B, ou plus grande : de sorte que la partie d’onde B N ne se trouve nulle part, ni par conséquent A N, qui lui devait être perpendiculaire. Et ainsi le rayon incident D A ne perce point alors la surface A B.

Quand la raison des vitesses des ondes est de 2 à 3, comme dans notre exemple, qui est celle qui convient au verre et à l’air, l’angle D A Q doit être plus grand que de 48 degrés 11 minutes, afin que le rayon D A puisse passer en se rompant. Et quand la raison de ces vitesses est de 3 à 4, comme elle est à fort peu près dans l’eau et l’air, cet angle D A Q doit excéder 41 degrés 24 minutes. Et cela s’accorde parfaitement avec l’expérience.

Mais on pourrait demander ici, puisque la rencontre de l’onde A C contre la surface A B doit produire du mouvement dans la matière qui est de l’autre côté, pourquoi il n’y passe point de lumière. À quoi la réponse est aisée si l’on se souvient de ce qui a été dit ci-devant. Car bien qu’il s’engendre une infinité d’ondes particulières dans la matière qui est de l’autre côté de A B, il n’arrive point à ces ondes d’avoir une ligne tangente commune (soit droite ou courbe) en un même instant ; et ainsi il n’y a point de ligne qui termine la propagation de l’onde A C au delà du plan A B, ni où le mouvement soit ramassé en assez grande quantité pour produire de la lumière. Et l’on verra aisément la vérité de ceci, savoir que C B étant plus grande que les 2/3 de A B, les ondes excitées au delà du plan A B n’auront point de commune tangente, si des centres K l’on décrit alors des cercles, ayant les rayons égaux aux 3/2 des L B qui leur répondent. Car tous ces cercles seront enfermés les uns dans les autres, et passeront tous au delà du point B.

Or il est à remarquer que, dès lors que l’angle D A Q est plus petit qu’il ne faut pour permettre que le rayon D A rompu puisse passer dans l’autre diaphane, l’on trouve que la réflexion intérieure, qui se fait à la surface A B, s’augmente de beaucoup en clarté, comme il est aisé d’expérimenter avec un prisme triangulaire : de quoi l’on peut rendre cette raison par notre théorie. Lorsque l’angle D A Q est encore assez grand pour faire que le rayon D A puisse passer, il est manifeste que la lumière de la partie d’onde A C est ramassée dans une moindre étendue, lorsqu’elle est parvenue en B N. Il paraît aussi que l’onde B N devient d’autant plus petite que l’angle C B A ou D A Q est fait plus petit ; jusqu’à ce qu’étant diminué jusqu’à la détermination peu auparavant marquée, cette onde B N se ramasse toute comme dans un point. C’est-à-dire que quand l’endroit C de l’onde A C est alors arrivé en B, l’onde B N, qui est la propagation de A C, est toute réduite au même point B ; de même que, quand l’endroit H était arrivé en K, la partie A H était toute réduite au même point K. Ce qui fait voir qu’à mesure que l’onde C A est venue rencontrer la surface A B, il s’est trouvé grande quantité de mouvement le long de cette surface ; lequel mouvement se doit être répandu aussi en dedans du corps transparent, et avoir renforcé de beaucoup les ondes particulières, qui produisent la réflexion intérieure contre la surface A B, suivant les lois de la réflexion ci-devant expliquées.

Et parce qu’un peu de diminution à l’angle d’incidence D A Q, fait devenir l’onde B N, d’assez grande qu’elle était, à rien (car cet angle étant dans le verre de 49 degrés 11 minutes, l’angle B A N est encore de 11 degrés 21 minutes, et le même angle D A Q étant diminué d’un degré seulement, l’angle B A N est réduit à rien, et ainsi l’onde B N réduite à un point) : de là vient que la réflexion intérieure d’obscure devient subitement claire, dès lors que l’angle d’incidence est tel qu’il ne donne plus passage à la réfraction.

Or pour ce qui est de la réflexion extérieure ordinaire, c’est-à-dire qui arrive lorsque l’angle d’incidence D A Q est encore assez grand pour faire que le rayon rompu puisse pénétrer au delà de la superficie A B : cette réflexion se doit faire contre les particules de la matière qui touche le corps transparent par dehors. Et c’est apparemment contre les particules de l’air et autres, mêlées parmi la matière éthérée, et plus grossière qu’elle. Comme d’autre côté la réflexion extérieure de ces corps se fait contre les particules qui les composent, et qui sont aussi plus grosses que celles de la matière éthérée, puisque celle-ci coule dans leurs intervalles. Il est vrai qu’il reste en ceci quelque difficulté dans les expériences où cette réflexion intérieure se fait sans que les particules de l’air y puissent contribuer, comme dans des vaisseaux ou tuyaux d’où l’air a été tiré.

L’expérience au reste nous apprend que ces deux réflexions sont à peu près d’égale force, et que dans les différents corps transparents elles en ont d’autant plus que la réfraction de ces corps est plus grande. Ainsi l’on voit manifestement que la réflexion du verre est plus forte que celle de l’eau, et celle du diamant plus forte que celle du verre.

Je finirai cette théorie de la réfraction en démontrant une proposition remarquable qui en dépend ; savoir qu’un rayon de lumière pour aller d’un point à un autre, quand ces points sont dans des diaphanes différents, se rompt en sorte à la surface plane qui joint ces deux milieux, qu’il emploie le moindre temps possible, tout de même qu’il arrive dans la réflexion contre une surface plane. M. Fermat a proposé le premier cette propriété des réfractions, tenant comme nous, et directement contre l’opinion de M. Descartes, que la lumière passe plus lentement à travers le verre et l’eau qu’à travers l’air. Mais il supposait outre cela la proportion constante des sinus, que nous venons de prouver par ces seuls divers degrés de vitesse ; ou bien, ce qui vaut autant, il supposait outre ces diverses vitesses, que la lumière employait en ce passage le moindre temps possible, pour en conclure la proportion constante des sinus. Sa démonstration, qui se voit dans ses ouvrages imprimés et dans le livre des lettres de M. Descartes, est fort longue ; c’est pourquoi je donne ici cette autre plus simple et plus facile.

Soit la surface plane K F (Fig. 15) ; le point A dans le diaphane que la lumière traverse plus facilement, comme l’air ; le point C dans un autre plus difficile à pénétrer, comme l’eau ; et qu’un rayon soit venu de A, par B en C, ayant été rompu en B suivant la loi peu auparavant démontrée ; c’est-à-dire qu’ayant mené P B Q, qui coupe le plan à angles droits, le sinus de l’angle A B P au sinus de l’angle C B Q ait la même raison que la vitesse de la lumière dans le diaphane, où est A, à sa vitesse où est C. Il faut démontrer que les temps du passage de la lumière par A B et B C, pris ensemble, sont les plus courts qu’ils peuvent être. Prenons qu’elle soit venue par d’autres lignes, et premièrement par A F, F C, en sorte Figure 15 : Démonstration que les lois de la réfraction satisfont au principe de Fermat.
Fig. 15.
que le point de réfraction F soit plus distant que B du point A, et soit A O perpendiculaire sur A B, F O parallèle à A B ; B H perpendiculaire sur F O, et F G sur B C.

Puisque donc l’angle H B F est égal à P B A, et l’angle B F G égal à Q B C, il s’ensuit que le sinus de l’angle H B F aura aussi au sinus de B F G la même raison que la vitesse de la lumière dans le diaphane A, à sa vitesse dans le diaphane C. Mais ces sinus sont les droites H F, B G, en prenant B F pour demi-diamètre d’un cercle. Donc ces lignes, H F, B G ont entre elles ladite raison des vitesses. Et partant le temps de la lumière par H F, supposé que le rayon fut O F, serait égal au temps par B G au dedans du diaphane C. Mais le temps par A B est égal au temps par O H, donc le temps par O F est égal au temps par A B, B G. Derechef le temps par F C est plus long que par G C, donc le temps par O F C sera plus long que par A B C. Mais A F est plus grande que O F, donc le temps par A F C excédera d’autant plus le temps par A B C.

Prenons maintenant que le rayon soit venu de A en C par A K, K C, le point de réfraction A K étant plus près de A que n’est le point B ; et soit C N perpendiculaire sur B C, K N parallèle à B C, B M perpendiculaire sur K N, et K L sur B A.

Ici B L et K M sont les sinus des angles B K L, K B M, c’est-à-dire des angles P B A, Q B C ; et partant elles sont entre elles comme la vitesse de la lumière dans le diaphane A, à la vitesse dans le diaphane C. Donc le temps par L B est égal au temps par K M ; et puisque le temps par B C est égal au temps par M N, le temps par L B C sera égal au temps par K M N. Mais le temps par A K est plus long que par A L : donc le temps par A K N est plus long que par A B C. Et K C étant plus long que K N, le temps par A K C surpassera d’autant plus le temps par A B C. Ainsi il paraît que le temps par A B C est le plus court qu’il peut être : ce qu’il fallait démontrer.