Traité de la peinture (Cennini)/CLXVI

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Traduction par Victor Mottez.
Jules Renouard et L. Lefort (p. 145-147).

CLXVI.Comment on jette sur l’homme le plâtre pour faire l’empreinte, comment on l’enlève, la conserve et la coule en métal.

Ceci fait, l’homme ou la femme doivent se renverser, placer ces petits tubes dans les narines, et les tenir, lui ou elle-même, avec la main. On prépare du plâtre de Bologne ou de Volterre fait et cuit fraîchement, bien tamisé. Aie près de toi de l’eau tiède dans un bassin, et prestement mets sur l’eau de ton plâtre. Sois prompt, il prend vite. Fais le plâtre courant, ni trop ni trop peu ; aie un verre, prends de ce plâtre, coule-le remplissant tout autour du visage ; quand tu as également rempli, réserve les yeux pour ne les couvrir qu’après tout le visage. Fais tenir la bouche et les yeux fermés (sans effort, cela ne vaudrait rien), mais comme s’il dormait. Quand tu as tout recouvert à la hauteur d’un doigt au-dessus du nez, laisse reposer un peu tant que le plâtre soit pris.

Rappelle-toi que si celui que tu moules[1] était en grande position, comme seigneur, roi, pape ou empereur, tu pétrirais ton plâtre avec de l’eau de rose tiède ; pour d’autres personnes, l’eau de fontaine, de pluie ou de fleuve, si elle est tiède, est suffisante. Ce que tu viens de faire, une fois pris et sec, enlève gentiment avec un grattoir, une pointe de couteau ou des ciseaux tout autour la bande que tu as cousu. Enlève les tubes du nez avec précaution ; fais redresser le patient sur son séant ou debout, soutenant des deux mains le plâtre qu’il a sur la figure, forme ou masque dont il essayera doucement de retirer son visage. Reprends-la et conserve-la avec soin.

Cette opération terminée, aie une bandelette à emmailloter les enfants, et tourne-la tout autour de cette forme afin que la bandelette dépasse de deux doigts les bords de la forme. Aie un gros pinceau d’écureuil, et avec telle huile que tu voudras enduis le vide de la forme avec grand soin, afin qu’il ne t’arrive par malheur aucun accident ; puis de la manière susdite prépare ton plâtre ; si tu voulais y mêler de la poussière de brique écrasée, il n’en vaudra que beaucoup mieux. Avec ton verre ou une écuelle prends de ce plâtre, tiens-le au-dessus de ladite forme, que tu placeras sur une planche, afin que quand tu verseras le plâtre dedans tu puisses avec l’autre main battre sur la planche doucement pour que le plâtre ait occasion de pénétrer également partout, comme fait la cire dans un cachet, et qu’il n’y ait ni soufflures ni parties galeuses ; la forme remplie, laisse-la reposer un demi-jour ou un jour pour le plus.

Aie un petit marteau : avec délicatesse vas tâtant et rompant l’écorce du dehors, c’est-à-dire le premier moule, ayant soin de ne pas casser le nez ou autre chose. Si tu voulais trouver ce moule plus facile à rompre, avant de le remplir prends une petite scie et scie dans plusieurs endroits les épaisseurs du dehors, que la scie n’entre pas dedans, cela gâterait tout : il t’arriverait que quand le moule serait plein, avec de petits coups de marteau, tu le briserais facilement. De cette manière tu auras l’effigie, la physionomie ou l’empreinte de tout grand personnage ; et sache qu’avec un moule tel que le premier, tu peux faire jeter une empreinte de métal de cuivre, de bronze, d’or, d’argent, de plomb et de tout autre métal que tu voudras choisir. Procure-toi cependant des maîtres suffisamment habiles dans l’art de fondre.

  1. De ce passage, comme du reste de cette partie de l’ouvrage, nous recevons assez de lumière sur l’art de la statuaire en ces temps. Car les précautions à prendre avec des personnages illustres, comme enseigne Cennino, ne peuvent être de son invention, mais bien des conseils suggérés par l’expérience, qu’il avait reçus de son maître et qui étaient descendus par tradition dans les écoles. L’artifice avec lequel il moule une tête ou des nus entiers démontre que la chose ne pouvait être récente ; d’où on peut croire que Nicolas Pisano et les autres sculpteurs jusqu’au temps de notre auteur s’en servaient. (Cav. Tambroni.)