Traité de la peinture (Cennini)/CLV

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Traduction par Victor Mottez.
Jules Renouard et L. Lefort (p. 137-138).

CLV.Du temps et de la manière de vernir les tableaux.

Sache que le plus beau et meilleur vernis qui soit est celui qui attend pour être placé le plus longtemps après que la peinture a été faite ; et je tiens pour dit qu’en attendant plusieurs années ou pour le moins une, ton travail en ressortira plus frais. La raison en est que les couleurs sont comme l’or qui ne veut pas d’autre alliage, et par ainsi les couleurs une fois ensemble avec leurs tempère repoussent un nouveau mélange.

Le vernis[1] est une liqueur forte, démonstrative, qui veut être obéi en tout et annulle toute autre tempera. Dès que tu l’étends sur ton travail, aussitôt toute couleur perd sa force, il faut qu’elle obéisse au vernis, et il n’y a plus moyen de faire des retouches avec la tempera ; d’où il est nécessaire d’attendre pour vernir le plus possible, car vernissant seulement lorsque les couleurs et les tempera ont fait leur effet, elles redeviennent ensuite plus fraîches et belles, et l’éclat obtenu se conserve toujours le même. Donc, prends ton vernis le plus liquide, transparent et clair que tu auras pu trouver. Mets ton panneau au soleil, époussette-le, dégage-le de la poussière et de toute ordure autant que possible, et choisis un temps sans vent, car la poussière est légère, et si toutefois le vent la transportait sur ton tableau, il ne serait plus possible, quelque habile que l’on soit, de lui rendre sa propreté ; il n’y aurait que dans certains coins de prairie ou sur mur que la poussière ne pourrait venir te gêner. Quand tu as chauffé au soleil le panneau et le vernis, mets le panneau à plat et avec la main étends le vernis bien légèrement ; mais garde-toi d’aller sur l’or, il n’aime la compagnie ni du vernis ni d’autre liqueur. Si tu ne veux pas le faire avec la main, prends un petit morceau d’éponge bien nette trempée dans le vernis, en la roulant avec la main sur le panneau, elle vernit avec ordre, enlève et replace selon le besoin. Si tu voulais que le vernis séchât sans soleil, cuis-le bien d’abord ; il est bon que le vernis n’ait pas trop à lutter contre la force du soleil.

  1. Il est vraiment déplorable que Cennino ait gardé le silence sur la nature de ce vernis. Cependant ce chapitre enlève tous les doutes, à savoir si les peintures à tempera étaient vernies ou non. Le comte Cicognara fut bien avisé quand il dit que les peintures à tempera des vieux maîtres étaient travaillées de différentes façons et recouvertes de vernis. Armenino décrit différents vernis, « dont le plus ancien, dit-il, était fait de l’huile de sapin et de pierre. » Il était étendu a la main sur les panneaux qui avaient été séchés au soleil, comme Cennino nous le démontre. Ce vernis, dit Armenino, était très-léger et transparent. (Cav. Tambroni.)