Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Note 09

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NOTE IX.

SUR LA FORME DES RACINES IMAGINAIRES.


1. Lorsqu’on eut trouvé les formules générales des racines des équations du troisième et du quatrième degré, on remarqua que les racines imaginaires de ces équations se réduisaient, comme celles des équations du second degré, à la forme et étant des quantités réelles, et l’on fut porté à conclure que les racines imaginaires de toutes les équations étaient toujours réductibles à la même formè. Cependant on ne pouvait pas adopter cette proposition générale sans démonstration, et ce n’est qu’après plusieurs tentatives qu’on est parvenu à s’en convaincre par des preuves rigoureuses. Comme ce point de la théorie des équations est un de ceux dont les Géomètres se sont le plus occupés dans ce siècle, j’ai cru qu’on ne serait pas fâché de trouver ici un exposé succinct des différentes recherches qu’il a occasionnées.

2. D’Alembert est le premier qui ait envisagé cette question d’une manière générale dans sa Pièce Sur les Vents et dans les Mémoires de l’Académie de Berlin pour l’année 1746.

Il démontre d’abord qu’une quantité algébrique quelconque, composée de tant d’imaginaires qu’on voudra de la forme peut toujours se réduire à la même forme. Cela se voit facilement pour les quantités formées par multiplication, division et élévation aux puissances entières ; on pourrait le démontrer en général pour les quantités de la forme

par le développement ordinaire du binôme ; mais, pour avoir des expressions finies, d’Alembert emploie d’une manière ingénieuse la différentiation et l’intégration, en faisant varier les quantités et dans l’équation

Cependant il faut avouer que l’emploi du Calcul différentiel est peu naturel dans une question comme celle-ci, où la considération des infiniment petits ou des fluxions est tout à fait étrangère, puisqu’il ne s’agit que d’une simple transformation algébrique. Mais les fonctions dérivées se présentent au contraire très-naturellement et offrent même ici un des exemples les plus propres à montrer l’usage de leur algorithme dans l’Algèbre.

3. En effet, si l’on considère l’équation identique

en regardant comme une fonction donnée de et comme des fonctions inconnues de qu’il s’agit de déterminer, les fonctions dérivées des deux membrés formeront encore une équation identique ; on aura ainsi

divisant cette équation par l’équation primitives on aura

équation qui sera, par conséquent, encore identique.

Qu’on multiplie le haut et le bas de la fraction du premier membrè par et le haut et le bas de la fraction du second membre par pour faire disparaître le radical du dénominateur, et qu’ensuite on compare la partie réelle du premier membre avec la partie réelle du second et l’imaginaire avec l’imaginaire, on aura ces deux équations

Qu’on prenne maintenant les fonctions primitives, on aura, en désignant par log les logarithmes hyperboliques et par arc\operatorname{tang}l’angle de la tangente,

et étant deux constantes arbitraires qu’il s’agit de déterminez conformément à l’équation primitive donnée. Or, en faisant dans cette équation et on a et et ces suppositions, étant introduites dans les équations précédentes, donnent et

Si donc on fait pour plus de simplicité ce qui donne

et ensuite

on aura

et, en repassant des logarithmes aux nombres,

étant le nombre dont le logarithme hyperbolique est l’unité.

Ainsi et et par conséquent et seront des fonctions réelles, en supposant des quantités réelles.

4. On peut, par ces formules, réduire à une forme réelle l’expression des racines des équations du troisième degré dans le cas irréductible ; car, l’expression générale de dans l’équation

étant, comme l’on sait,

laquelle, dans le cas irréductible où devient

si l’on fait dans les formules précédentes

on aura

et de là

donc on aura

et la somme des deux radicaux sera

Or, comme à la même tangente répondent les angles étant l’angle droit, l’expression aura ces trois valeurs différentes

qui seront les trois racines de l’équation proposée, et qu’on trouvera ainsi facilement par les Tables trigonométriques.

5. Au reste, il est bon de remarquer que, lorsqu’il ne s’agit que de radicaux pairs, on peut faire la réduction dont il s’agit par les simples opérations de l’Algèbre ordinaire. En effet, soit la quantité

à réduire ; je considère la quantité

j’aurai, en élevant au carré,

quantité toujours nécessairement positive en prenant le radical positivement ; donc sera une quantité réelle.

Je considère ensuite la quantité

je trouve de même, en carrant,

quantité essentiellement négative ; ainsi l’on aura

étant une quantité réelle ; de là on aura

Considérons de même la quantité

on aura, en carrant,

quantité essentiellement positive, en prenant le radical positivement ; donc sera une quantité réelle.

Considérons ensuite la quantité

on aura de la même manière

quantité essentielleiient négative, car

et par conséquent

Donc, faisant on aura

étant une quantité réelle ; donc

et ainsi de suite.

6. Ces réductions supposées, d’Alembert considère une courbe quelconque, dont l’ordonnée soit nulle ou infinie lorsque l’abscisse est nulle, et il observe que, quelle que puisse être l’équation de la courbe, on peut toujours, lorsque est très-petit, avoir la valeur de en au moyen du parallélogramme de Newton, exprimée par une série très-convergente de la forme

dans laquelle les exposants de sont imaginés aller en augmentant, et dont on peut toujours supposer que tous les termes sont réels, en fai-

sant positive, car on peut faire répondre les positives à la branche où les sont réelles.

En faisant négative, les termes où se trouve élevée à des puissances fractionnaires dont le dénominateur est un nombre pair deviennent imaginaires, et, par le théorème précédent, ils seront toujours réductibles à la forme et étant des quantités réelles. Donc toute la série, et par conséquent la valeur de lorsqu’elle devient imaginaire, sera aussi de la même forme tant que sera très-petite.

Maintenant, quelle que soit la valeur de pour une quelconque, on peut toujours supposer et étant des quantités indéterminées, et, comme cette valeur est réellement double à raison du radical les quantités et seront exprimées par deux équations qu’on aura en substituant au lieu de dans l’équation de la courbe, et égalant séparément à zéro la partie toute réelle de la transformée et la partie multipliée par ces équations contiendront les quantités et mêlées ensemble, mais on pourra, par les méthodes connues, les changer en deux autres, dont l’une ne referme que et et l’autre et

Or, si n’est pas toujours de la même forme et étant des quantités réelles pour toutes les valeurs de soit la plus grande valeur de pour laquelle sera de cette forme, et soit lorsque Supposons et en substituant ces valeurs dans les deux équations en et on aura deux équations, l’une en et et l’autre en et dans lesquelles donnera et et qui, par la démonstration précédente, donneront et de la forme lorsque sera très-petite, si et deviennent imaginaires. On aura donc alors

étant des quantités réelles ; donc

et par conséquent

c’est-à-dire de la même forme

Donc n’est pas, comme on l’a supposé, la plus grande valeur de qui donne de cette forme ; donc la valeur de , lorsqu’elle est imaginaire, sera toujours de cette même forme, quelle que soit la valeur de .

Cette conclusion générale s’applique naturellement aux équations d’un degré quelconque, à une seule inconnue, car, nommant l’inconnue de l’équation et supposant le dernier terme égal à on aura une équation entre et dans laquelle donnera et qui sera susceptible de la démonstration précédente. Donc, quelle que soit la valeur du dernier terme celle de si elle devient imaginaire, sera de la forme

L’équation ayant ainsi une racine imaginaire de cette forme en aura nécessairement une autre de la forme puisque le calcul est le même pour les deux racines, à cause de l’ambiguïté du radical elle aura donc les deux facteurs

qui forment le facteur double réel

et sera par conséquent divisible par ce facteur, ce qui l’abaissera à un degré moindre de deux unités, et l’on pourra appliquer à cette nouvelle équation les mêmes raisonnements et les mêmes conclusions, et ainsi de suite.

7. Cette démonstration est incomplète, car, quoique dans une équation à deux indéterminées on puisse toujours exprimer l’une des indéterminées par une série de puissances ascendantes de l’autre indéterminée, il peut arriver que les coefficients des termes de la série dépendent eux-mêmes d’équations qui n’aient point de racines réelles, ce qui introduirait dans la série d’autres imaginaires que celles qui viennent des puissances de l’indéterminée. Maison peut, sur les mêmes principes, fonder une, démonstration plus rigoureuse, et en même temps plus générale et plus simple, de la manière suivante.

Soit l’équation

que nous représenterons, pour plus de simplicité, par

étant une fonction rationnelle et entière de qui contient dans tous ses termes. Nous supposerons que cette équation n’ait point de racines réelles, parce que, si elle en a, on peut les éliminer en divisant l’équation par les facteurs simples réels qui résultent de ces racines.

Il est clair que, si l’équation proposée n’a pas de racines réelles dans l’état où elle est, c’est-à-dire tant que ses coefficients ont les valeurs données, elle peut en recevoir en changeant seulement la valeur du dernier terme car, en prenant une quantité quelconque et faisant l’équation

aura la racine réelle Considérons donc une des racines imaginaires de l’équation

laquelle devienne réelle en faisant varier la valeur de et supposons qu’elle ne demeure imaginaire que tant que la valeur de sera entre les limites et étant de manière que ait une valeur réelle dans l’équation

et une valeur réelle dans l’équation

et que cette racine soit imaginaire dans les équations

étant une quantité quelconque positive, aussi petite qu’on voudra. Soit la valeur imaginaire de dans l’équation

la fonction deviendra, par la substitution de à la place de

par la formule connue du développement des fonctions ; mais, puisque est la racine de l’équation

on a donc ainsi l’équation

deviendra

Or, si le coefficient n’est pas nul, il est évident qu’en supposant une quantité très-petite, à volonté, on pourra toujours avoir par une série très-convergente et toute réelle, car on aura d’abord

ensuite, en substituant cette première valeur de on aura

et ainsi de suite. Donc sera une quantité réelle, contre l’hypothèse.

Il faudra donc, pour que devienne imaginaire, que l’on ait alors l’équation deviendra

et la première valeur approchée de sera

laquelle sera réelle ou imaginaire, suivant que sera une quantité négative ou positive, puisque est supposée positive.

Si le premier terme de est réel, il est aisé de voir que tous les autres le seront aussi ; par conséquent, toute la valeur de sera réelle. Si le coefficient est positif, le premier terme de sera imaginaire de la forme

et les termes suivants seront réels ou imaginaires de la même forme, de sorte que toute la valeur de sera de la forme et étant réelles.

Mais, si l’on avait en même temps alors, l’équation devenant

il est aisé de voir que la valeur de serait de nouveau réelle, à moins que le terme qui contient ne disparaisse et que ne soit positif, car, dans ce cas, on aurait

mais, par le théorème démontré plus haut (no 5), est réductible à la forme et étant des quantités réelles ; donc la première valeur approchée de sera de la forme et les termes suivants seront aussi de la même forme, en sorte que toute la valeur de sera encore de cette forme, et ainsi de suite.

8. Il résulte de là cette conclusion que, lorsqu’une racine de l’équation

est dans le passage du réel à l’imaginaire, on a non-seulement mais encore et et que, si on aura de plus et et ainsi de suite. Or, en

faisant on a

donc, par ce qu’on a vu dans la Note précédente (no 4), sera la condition pour que la racine de l’équation

soit double, sera la condition pour que cette racine soit triple, etc.

D’où il s’ensuit qu’une racine ne peut passer du réel à l’imaginaire sans devenir double ou quadruple, et, en général, multiple d’un ordre pair.

On prouvera de la même manière, en faisant dans l’équation

que la valeur de ne pourra devenir imaginaire, à moins que l’on n’ait et et, si il faudra de plus que l’on ait et et ainsi de suite ; d’où l’on conclura que, dans le passage de l’imaginaire au réel, la racine devient aussi double, ou quadruple, ou etc.

Cette proposition n’avait été démontrée jusqu’ici que par la théorie des courbes, ou comme une suite du théorème sur la forme des racines imaginaires.

9. Maintenant, puisque, quand la valeur de est très-près des limites et une des racines imaginaires de l’équation

est nécessairement de la forme si cette racine n’est pas toujours de la même forme pour toutes les valeurs de comprises entre ces limites, soit la plus grande valeur de pour laquelle sera de cette forme, de manière que dans l’équation

on ait et étant des quantités réelles, et soit

la valeur de lorsque sera étant une quandtité positive et très-petite à volonté. On aura donc

développant la valeur de dans la seconde équation et retranchant la première, on aura

Mais les fonctions dérivées

ne contenant que des puissances de sont toutes réductibles à la forme ainsi, en prenant des quantités réelles l’équation précédente deviendra

Donc la première valeur approchée de sera

et par conséquent de la forme et l’on trouvera que tous les termes suivants de la série, qu’on peut rendre aussi convergente que l’on veut en prenant très-petite à volonté, seront aussi de la même forme, de sorte que la série entière le sera aussi. On aura donc, pour une valeur de aussi petite qu’on voudra,

donc la valeur de sera

et par conséquent encore de la même forme contre l’hypothèse. Donc il n’y a aucune valeur de intermédiaire entre les limites et pour laquelle la racine ne soit pas de cette même forme.

Si la fonction devenait nulle, alors l’équation en serait

et l’on prouverait de même que la valeur de serait toujours de la forme et ainsi de suite.

Cette démonstration a l’avantage de pouvoir s’appliquer également aux équations qui renfermeraient des fonctions logarithmiques ou circulaires, et, en général, à toute équation de la forme dans laquelle la fonction dérivée sera réductible à la forme en faisant car alors toutes les autres fonctions dérivées seront aussi réductibles à la même forme ; mais ce détail nous écarterait trop de notre objet.

10. Nous venons de démontrer que, dans les équations qui n’ont que des racines imaginaires, il y en a au moins deux de la forme on pourra donc trouver les valeurs de et par la méthode du Chapitre II (no 17), et l’équation sera divisible par

après la division, elle ne contiendra plus que les autres racines imaginaires, et, en y appliquant les mêmes raisonnements, on prouvera de même que deux de ces racines seront nécessairement de la forme et ainsi de suite.

Quoique la démonstration précédente soit suffisante pour prouver la vérité de la proposition dont il s’agit, on ne peut disconvenir qu’elle ne soit indirecte et qu’elle ne laisse encore à désirer une démonstration tirée uniquement des principes de la chose. En effet, nous avons déjà observé que toute racine imaginaire de la forme suppose le facteur réel du second degré

ainsi la question se réduit à prouver que toute équation est toujours

divisible par des facteurs réels du premier et du second degré, et, comme les équations d’un degré impair ont toujours une racine réelle et sont, par conséquent, divisibles par un facteur réel du premier degré, ce qui les rabaisse à un degré moindre d’une usité, il s’ensuit qu’il suffit de considérer les équations des degrés pairs.

11. Descartes a trouvé que l’équation du quatrième degré

a ces deux facteurs du second degré

la quantité étant donnée par l’équation

Donc, comme cette équation a son dernier terme négatif, elle a toujours nécessairement une racine réelle (Chap. I, no 3) ; par conséquent, les deux facteurs seront réels en employant cette racine.

Hudde a considéré ensuite l’équation générale du sixième degré dans son Traité De reductione æquationum, imprimé à la suite du Commentaire de Schooten sur la Géométrie de Descartes, et il a trouvé que cette équation est divisible par une équation du second degré, comme

dans laquelle le coefficient est donné par une équation du quinzième degré et le coefficient est une fonction rationnelle de Or, l’équation du quinzième degré ayant nécessairement une racine réelle, il s’ensuit que le diviseur du second-degré pourra toujours êire réel en employant cette racine, de sorte que, l’équation se trouvait ensuite abaissée au quatrième degré, on aura encore deux autres diviseurs réels.

Hudde n’a pas été plus loin, et, comme il n’avait trouvé l’équation en du quinzième degré qu’en faisant le calcul tout au long, il a dû sentir qu’il tomberait dans des calculs impraticables par leur longueur s’il voulait traiter de même les équations des degrés plus élevés.

12. On trouve à la fin de l’Algèbre de Saunderson, imprimée en 1740, après sa mort, cette remarque importante, que, dans le diviseur

de l’équation du quatrième degré, le coefficient est donné par une équation du sixième degré, parce que, ce coefficient devant être la somme de deux racines de l’équation du quatrième degré, l’équation en doit avoir pour racines toutes les différentes sommes qu’on peut faire des quatre racines de la proposée, prises deux à deux, et, comme ces combinaisons sont au nombre de six, l’équation en doit être du sixième degré, comme Descartes l’a trouvé ; mais l’Auteur n’applique cette remarque qu’à un exemple particulier et n’en tire d’ailleurs aucune autre conséquence.

Le Seur, l’un des commentateursdes Principes de Newton, a généralisé ce résultat dans un petit Ouvrage sur le Calcul intégral, imprimé à Rome en 1748. Il prouve par la théorie des combinaisons que, quand on cherche à diviser une équation du degré par une équation d’un degré moindre les coefficients de celle-ci sont donnés nécessairement par des équations du degré

parce que, le diviseur devant avoir, ce qui est évident, racines communes avec l’équation proposée, on peut former autant de diviseurs différents qu’il y a de manières de prendre choses sur choses ; et de là il conclut que toute équation du degré est toujours divisible par un facteur réel du second degré, parce que ce facteur dépend d’une équation qui se trouve d’un degré impair et qui aura, par conséquent, une racine réelle ; mais on n’en peut rien conclure pour la réalité des diviseurs du second degré des équations dont le degré est

un nombre qui n’est pas de la forme parce que ces diviseurs dépendent alors d’équations de degrés pairs.

13. Euler a approfondi cette théorie dans un Mémoire imprimé en 1751 dans le Recueil des Mémoires de l’Académie de Berlin pour l’année 1749, et il s’est attaché principalement à prouver que toute équation d’un degré exprimé par une puissance de est décomposable en deux équations réelles d’un degré moindre de la moitié pour cela, il suppose que l’équation proposée est privée de son second terme, ce qui fait que le coefficient du second terme est le même avec des signes contraires dans les deux équations dont elle est le produit, et il trouve, par la théorie des combinaisons, que ce coefficient est donné par une équation d’un degré impairement pair, qui manque de toutes les puissances impaires, et dont le dernier terme est le carré d’une fonction des racines de la proposée, précédé du signe

Euler suppose que cette fonction des racines peut toujours être déterminée sans irrationnalité par les coefficients de l’équation proposée, et il en conclut que son carré est nécessairement une quantité positive et que par conséquent l’équation qui détermine le coefficient dont il s’agit a deux racines réélles ; il arrive en effet que cela a lieu lorsque l’équation proposée n’est que du quatrième degré, comme on le voit par les formules de Descartes rapportées ci-dessus ; mais, pour les équations des degrés plus élevés, il faut une démonstration a priori, qu’Euler n’a point donnée, et qui est même d’autant plus nécessaire que cette fonction, ne contenant pas toutes les racines de la même manière, ne paraît pas déterminable par une fonction rationnelle des coefficients, qui sont eux-mêmes, comme l’on sait, des fonctions où toutes les racines entrent également.

Euler considère, de plus, les équations dont les degrés sont exprimés par les nombres étant un nombre impair quelconque, et il trouve qu’elles admettent des diviseurs réels des degrés parce que les équations dont ces diviseurs dépendent sont toutes de degrés impairs de sorte que par ce moyen toute équation peut se décomposer en équations réelles de degrés exprimés par des puissances de mais la difficulté de décomposer ensuite celles-ci, lorsqu’elles passent le quatrième degré, reste en son entier dans la théorie d’Euler.

14. On peut éviter cette difficulté, comme Foncenex l’a fait dans le premier Volume des Miscellanea de Turin, imprimé en 1759, en ne considérant que les diviseurs du second degré. Car, soit le degré de l’équation proposée, étant un nombre impair ; si l’on cherche à la diviser par une équation du second degré

on trouve, par la théorie des combinaisons, que le coefficients est déterminé par une équation du degré

étant, comme l’on voit, un nombre impair.

Donc, si cette équation sera d’un degré impair et aura nécessairement une racine réelle ; de sorte que, comme le dernier terme est exprimé généralement par une fonction rationnelle de l’équation proposée aura un diviseur rationnel du second degré et s’abaissera par là à un degré moindre de deux unités.

Si est plus grand que l’unité, on cherchera à diviser pareillement l’équation en par une équation du second degré, comme

et le coefficient sera donné par une équation du degré

étant, comme l’on voit, un nombre impair, et le terme sera exprimé généralement par une fonction rationnelle de .

Donc, si cette équation sera d’un degré impair et aura une racine réelle ; donc et auront des valeurs réelles, et l’équation

donnera pour une valeur réelle ou imaginaire de la forme Dans le premier cas, et seront des quanti tés réelles ; dans le second, ces quantités seront imaginaires de la même forme, puisque est une fonction rationnelle de Mais l’équation

donne

donc, par la réduction des radicaux imaginaires, cette valeur deviendra aussi de la forme

Si est un nombre plus grand que on continuera le même calcul, et l’on divisera l’équation en du degré par une équation du second degré, comme

on aura, pour la détermination de une équation du degré

étant, comme l’on voit, un nombre impair, et la quantité sera généralement une fonction rationnelle de .

Donc, si cette équation, étant d’un degré impair, aura une racine réelle ; donc et auront des valeurs réelles ; donc l’équation

donnera pour une valeur réelle ou imaginaire de la forme Donc, dans l’équation

les coefficients et auront des valeurs réelles ou imaginaires de la même forme ; et de là résultera aussi pour une valeur réelle ou

imaginaire de la même forme comme nous l’avons vu ci-dessus, parce que

donc enfin l’équation

donnera aussi pour une valeur réelle ou imaginaire de la même forme.

Si est plus grand que on continuera le calcul de la même manière, et l’on parviendra nécessairement à un diviseur du second degré dont les coefficients seront réels ; et de là, en remontant successivement aux diviseurs précédents du second degré, on trouvera que leurs coefficients seront réels ou imaginaires de la forme jusqu’au diviseur

de l’équation proposée, lequel donnera aussi pour une valeur réelle ou imaginaire de la même forme.

Telle est la démonstration donnée par Foncenex ; on voit qu’elle est très-rigoureuse, en admettant le principe que les coefficients de l’équation du second degré, qui est un diviseur d’une équation du degré ne dépendent que d’une seule racine d’une équation du degré Ce principe est vrai généralement ; mais j’ai remarqué depuis qu’il était sujet à des exceptions qui pouvaient mettre la démonstration précédente en défaut. En effet, lorsqu’on cherche à rendre un polynôme d’un degré quelconque divisible par un autre polynôme d’un degré moindre soit qu’on fasse la division à la manière ordinaire et qu’on égale ensuite à zéro chaque terme du reste, soit qu’on multiplie ce polynôme par un autre du degré et que l’on compare le produit terme à terme avec le polynôme proposé, on parvient toujours par l’élimination successive, en prenant un des coefficients du polynôme diviseur pour l’inconnue principale, à déterminer les autres coefficients du même polynôme par des fonctions rationnelles de celui-ci, et ensuite on trouve, par les substitutions, une équation où il n’y a plus que celui-ci d’inconnue et où l’inconnue monte au degré

comme on l’a dit plus haut.

15. Mais, s’il arrive que cette équation ait deux ou plusieurs racines égales, alors, à moins que les valeurs des autres coefficients qui répondent à ces racines égales ne soient aussi égales, ce qui n’a-lieu que lorsque le diviseur est lui-même un diviseur double ou triple, etc., il est visible que ces valeurs ne peuvent plus être exprimées en fonctions rationnelles de ces mêmes racines, mais qu’elles doivent dépendre elles-mêmes d’équations du second, du troisième degré, etc., suivant le degré d’égalité des racines. Dans ce cas, en substituant dans les fonctions rationnelles trouvées une des racines égales, les fonctions deviendront indéterminées par l’évanouissement simultané du numérateur et du dénominateur, et, en revenant sur les éliminations, on se trouvera arrêté à une équation du second ou du troisième degré, etc., parce que l’équation à laquelle il faudrait la comparer pour l’abaisser à un degré moindre sera identique avec elle. C’est de quoi l’on peut se convaincre par le calcul, et nous en donnerons dans la Note suivante une démonstration générale. Comme la même difficulté peut se présenter dans toutes les éliminations, je suis bien aise d’appeler l’attention du lecteur sur ce point, pour qu’il ne se trouve point embarrassé dans l’occasion.

On voit que cette circonstance peut mettre en défaut la théorie que nous venons d’exposer sur les diviseurs du second degré, car, lorsque l’équation d’où dépend un des coefficients a des racines égales, l’autre coefficient, en employant ces racines, dépendra d’une équation d’un degré égal au nombre des racines égales, et qui par conséquent, si elle n’est pas d’un degré impair, demandera de nouvelles combinaisons pour pouvoir s’assurer qu’elle a une racine réelle de la forme et, si l’on ne voulait pas employer ces racines égales, alors, en les éliminant par la division, on aurait une équation d’un degré moindre, à la vérité, mais qui ne serait plus exprimée par un nombre de la même forme ou etc.

Si l’on considère, par exemple, la formule trouvée par Descartes, pour la résolution des équations du quatrième degré, que nous avons rapportée ci-dessus, et d’après laquelle nous avons conclu tout de suite que l’équation est toujours décomposable en deux facteurs réels du second degré, on voit qu’il y a néanmoins un cas qui échappe à cette conclusion c’est celui où l’on aurait car alors la réduite en a deux racines égales et, en employant ces racines, le terme du facteur du second degré devient

On pourrait employer d’autres racines ; mais l’équation en étant divisée par devient

laquelle étant de nouveau du quatrième degré, et son dernier terme n’étant pas essentiellement négatif, la difficulté est ramenée au même point. Ce n’est pas que dans ce cas particulier on ne puisse prouver, par ces formules mêmes, la réalité des deux facteurs ; car, si le dernier terme de l’équation en sera négatif, et par conséquent il y aura deux racines réelles. Si alors l’équation proposée, devenant, à cause de

aura les deux facteurs réels

16. Ces difficultés ont occasionné les recherches que j’ai données sur cette matière à l’Académie de Berlin en 1772, et dans lesquelles je me suis particulièrement attaché à compléter la théorie commencée par Euler[1].

J’ai démontré d’une manière rigoureuse que, si l’on veut décomposer un polynôme du degré en deux polynômes du degré tels que étant

et qu’on fasse

étant des quantités quelconques, on pourra déterminer généralement les coefficients des deux polynômes par des fonctions rationnelles de et que l’on trouvera pour une équation d’un degré impairement pair, n’ayant que des puissances paires de dont le dernier terme sera essentiellement négatif ; et, à cause des arbitraires , on pourra toujours faire en sorte que le dernier terme de cette équation ne soit pas nul, ce qui lui donnerait les deux racines égales ni qu’elle ait d’autres racines égales. De sorte qu’on sera toujours assuré d’avoir par là des valeurs réelles pour les coefficients dont il s’agit, et par conséquent de pouvoir décomposer l’équation du degré en deux du degré et ensuite chacune de celles-ci en deux du degré et ainsi de suite, jusqu’aux équations du second degré.

À l’égard des équations du degré étant un nombre impair, Euler avait trouvé qu’en employant un diviseur du degré on tombe dans une équation d’un degré impair pour la détermination d’un quelconque de ses coefficients, et j’ai remarqué que, si elle a des racines égales, les racines doubles, quadruples, etc. pourront être éliminées, parçe que l’équation restante sera encore d’un degré impair, et que les racines triples, quintuples, etc. pourront être employées dans la détermination des autres coefficients, parce qu’elle dépendra alors d’équations du troisième, du cinquième degré, etc., qui auront, par conséquent, toujours des racines réelles.

17. De cette manière, la décomposition des équations en diviseurs réels du premier et du second degré était rigoureusement démontrée mais Laplace a donné depuis, dans les Leçons de l’École Normale, un moyen plus simple d’établir cette vérité, en partant de l’analyse employée par Foncenex. Au lieu de considérer simplement l’équation qui détermine le coefficient du diviseur quadratique

il considère l’équation qui détermine la quantité que je désignerai par étant un coefficient quelconque. Cette équation sera, par la théorie des combinaisons, du même degré que l’équation en Donc, si l’équation proposée est du degré étant impair, l’équation en sera d’un degré impair et aura toujours une racine réelle, et, comme on peut donner à une infinité de valeurs, on aura une infinité d’équations qui auront toutes une racine réelle. Parmi ces racines, il y en aura nécessairement plusieurs qui se rapporteront au même diviseur. Soient deux de ces racines, et les deux valeurs du coefficient on aura

d’où l’on tirera les valeurs de et qui seront par conséquent réelles.

Si l’équation proposée est du degré étant un nombre impair quelconque, l’équation en sera du degré étant aussi un nombre impair. Cette équation aura donc, par ce qu’on vient de démontrer, un diviseur quadratique réel de la forme

qui donnera pour une valeur de la forme et, en donnant à une infinité de valeurs, on aura une infinité d’équations en dont chacune aura une racine de la forme parmi ces racines, il y en aura nécessairement deux qui se rapporteront au même divi-

seur ; en les désignant par et et par les deux valeurs de qui y répondent, on aura

donc et seront l’une et l’autre de la forme et la valeur de tirée de l’équation

sera encore de la même forme. Donc, toute équation du degré aura deux racines de la forme et par conséquent un diviseur réel du second degré, et ainsi de suite.

Cette démonstration ne laisse rien à désirer comme simple démonstration mais, si l’on voulait résoudre effectivement une équation donnée en ses facteurs réels de deux dimensions, il serait comme impossible de suivre le procédé indiqué par l’analyse que nous venons d’exposer. Cependant cette résolution est nécessaire pour trouver les fonctions primitives ou les intégrales des fonctions rationnelles fractionnaires d’une seule variable, et on la suppose dans tous les Traités de Calcul intégral. Cette raison m’engage à m’arrêter encore sur cet objet important et à en faire le sujet de la Note suivante.


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  1. Œuvres de Lagrange, t. III, p. 479.