Traité de radioactivité/Tome 2/10

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Gauthier (2p. 216-268).


CHAPITRE X.

DIVERS PHÉNOMÈNES OBSERVÉS EN PRÉSENCE
DES CORPS RADIOACTIFS.




Ce Chapitre comprend la description de divers effets qui peuvent être observés en présence de substances radioactives. Plusieurs de ces effets peuvent être considérés comme provoqués directement ou indirectement par les rayons , et émis par les substances ; certains d’entre eux ne seront pas décrits en détail, leur étude ayant déjà été faite dans les Chapitres précédents.


148. Effets lumineux. Excitation de substances phosphorescentes. — Les rayons émis par les nouvelles substances radioactives provoquent la fluorescence de certains corps, P. Curie et moi[1], nous avons tout d’abord découvert ce phénomène en faisant agir le polonium au travers d’une feuille d’aluminium sur une couche de platinocyanure de baryum. La même expérience réussit encore plus facilement avec du baryum radifère suffisamment actif. Quand la substance est fortement radioactive, la fluorescence produite est très belle.

Peu de temps après nous avons remarqué que les sels de baryum radifères sont spontanément lumineux[2].

L’excitation de la phosphorescence par les rayons du radium a été étudiée par H. Becquerel[3] qui a examiné l’effet produit sur les sels d’urane, le diamant, la blende, les sulfures de calcium et strontium, le rubis, etc. On constate que la sensibilité des substances phosphorescentes à l’action de la lumière, des rayons X et des rayons du radium ne conserve pas la même valeur relative. C’est ainsi que le rubis, qui est sensible à la lumière ultraviolette, n’est pas sensible aux rayons du radium, et que le diamant, qui est sensible aux rayons du radium, n’est pas sensible aux rayons X ; avec ces derniers le sulfate double d’uranyle et de potassium est plus sensible que la blende hexagonale, tandis que l’inverse a lieu pour les rayons du radium. La phosphorescence obtenue est fortement réduite par l’interposition d’une feuille de papier noir entre la source et la substance phosphorescente, ce qui prouve qu’une grande partie de l’effet est due aux rayons

M. Bary a montré que les sels des métaux alcalins et alcalinoterreux qui sont tous fluorescents, sous l’action des rayons lumineux et des rayons Röntgen, sont également fluorescents sous l’action des rayons du radium[4]. On peut également observer la fluorescence du papier, du coton, du verre, etc., au voisinage du radium. Parmi les différentes espèces de verre, le verre de Thuringe est particulièrement lumineux. Les métaux ne semblent pas devenir lumineux.

Le platinocyanure de baryum convient le mieux quand on veut étudier le rayonnement des corps radioactifs par la méthode fluoroscopique. On peut suivre l’effet des rayons du radium à des distances supérieures à 2m. Le sulfure de zinc phosphorescent est rendu extrêmement lumineux, mais ce corps a l’inconvénient de conserver sa luminosité pendant quelque temps, après que l’action des rayons a été supprimée.

On peut observer la fluorescence produite par le radium quand l’écran fluorescent est séparé du radium par des écrans absorbants. Nous avons pu observer l’éclairement d’un écran au platinocyanure de baryum à travers le corps humain. Cependant, l’action est incomparablement plus intense, quand l’écran est placé tout contre le radium et qu’il n’en est séparé par aucun écran solide. Tous les groupes de rayons sont capables de produire la fluorescence.

Pour observer l’action du polonium il est nécessaire de mettre la substance très près de l’écran fluorescent, sans interposition d’écran solide, ou tout au moins avec interposition d’un écran très mince seulement.

On observe de très beaux effets lumineux avec des cristaux de platinocyanure de baryum, de lithium, de sodium, de calcium. Le sel de lithium émet une fluorescence rouge, les sels de baryum et de calcium une fluorescence verte, le sel de sodium une fluorescence jaune. La willemite (silicate de zinc) donne une belle fluorescence verte, la kunzite (variété de spodumène découverte par M. Kunz) donne une fluorescence rouge avec les rayons du radium et jaune avec les rayons cathodiques. La spartéite (calcite contenant un peu de manganèse) donne une fluorescence orangée avec les rayons et On peut réaliser une belle expérience en introduisant dans un récipient en verre des fragments de ces divers cristaux, et en y introduisant ensuite une grande quantité d’émanation du radium.

La sensibilité des différentes substances aux rayons et n’est pas la même. Ainsi le platinocyanure de baryum et la willemite offrent la plus grande sensibilité pour les rayons et tandis que le sulfure de zinc est particulièrement sensible aux rayons

L’emploi du sulfure de zinc pour mettre en évidence l’action de l’émanation du radium a été décrit par P. Curie et M. Debierne. M. Giesel s’est servi du même procédé pour l’étude de l’émanation de l’actinium. La production de scintillations sur un écran de sulfure de zinc soumis à l’action des rayons a été décrite dans le Chapitre précédent, et l’on a vu l’usage qui peut être fait de cette propriété pour l’étude de ces rayons.

Le diamant qui est rendu lumineux par l’action des rayons du radium est très sensible aux rayons et donne une belle luminosité avec le polonium. La fluorescence observée sur le diamant permet de distinguer cette pierre précieuse de ses imitations, dont la luminosité est faible.

La description d’un grand nombre d’effets de phosphorescence a été faite par MM. Kunz et Baskerville[5].

La luminosité des substances fluorescentes exposées à l’action des substances radioactives baisse avec le temps. En même temps la substance fluorescente subit une transformation. En voici quelques exemples :

Les rayons du radium transforment le platinocyanure de baryum en une variété brune moins lumineuse (action analogue à celle produite par les rayons Röntgen et décrite par M. Villard). Ils altèrent également le sulfate d’uranyle et de potassium en le faisant jaunir. Le platinocyanure de baryum transformé est régénéré partiellement par l’action de la lumière. Plaçons le radium au-dessous d’une couche de platinocyanure de baryum étalée sur du papier, le platinocyanure devient lumineux ; si l’on maintient le système dans l’obscurité, le platinocyanure s’altère, et sa luminosité baisse considérablement. Mais exposons le tout à la lumière ; le platinocyanure est partiellement régénéré, et si l’on rétablit l’obscurité, la luminosité reparaît assez forte. On a donc, au moyen d’un corps fluorescent et d’un corps radioactif, réalisé un système qui fonctionne comme un corps phosphorescent à longue durée de phosphorescence.

Le verre, qui est rendu fluorescent par l’action du radium, se colore en brun ou en violet. En même temps, il devient moins fluorescent. Si l’on chauffe ce verre ainsi altéré, il se décolore et, en même temps que la décoloration se produit, le verre émet de la lumière. Après cela le verre a repris la propriété d’être fluorescent au même degré qu’avant la transformation.

Le sulfure de zinc qui a été exposé à l’action du radium pendant un temps suffisant s’épuise peu à peu et perd la faculté d’être phosphorescent, soit sous l’action du radium, soit sous celle de la lumière. Quand un récipient en verre contenant du sulfure de zinc a servi à une expérience de cours avec l’émanation du radium, et qu’on désire conserver l’appareil en bon état, il faut avoir soin d’en chasser l’émanation aussitôt après l’usage.

M. Crookes[6] a observé de même l’altération du diamant exposé aux rayons du radium. Après 78 jours d’exposition un diamant dont la teinte d’origine était jaune pâle, avait pris une teinte foncée ; chauffé ensuite à 50o pendant 10 jours avec du chlorate de potassium, ce diamant perdit la teinte sombre superficielle et apparut transparent avec une teinte vert bleu. Dans cette expérience le diamant se trouvait à l’intérieur du tube contenant le radium, et tous les rayons étaient utilisés ; la teinte sombre superficielle pouvait provenir de l’action des rayons absorbables, tandis que la coloration dans tout le volume était due aux rayons pénétrants.

La sensibilité des substances phosphorescentes à l’action des rayons peut dépendre de la température. Ainsi le sulfure de zinc est moins sensible à la température de l’air liquide qu’à la température ordinaire.

Au point de vue de la numération des particules  il est important de se rendre compte, de quelle manière, la production des scintillations est influencée quand l’écran phosphorescent reste soumis à l’action d’une source intense de rayons . M. Marsden[7] a montré que, dans ces conditions, la diminution de la luminosité doit être attribuée principalement à une baisse progressive de l’éclat de chaque scintillation, tandis que le nombre des scintillations n’éprouve qu’une légère diminution qui pourrait n’être qu’apparente, l’observation étant rendue difficile quand l’éclat des scintillations est faible. On peut suivre par une méthode photométrique la diminution de la luminosité totale de l’écran, sous l’influence d’une source radiante constante ou variable. La vitesse de diminution dépend de la substance phosphorescente utilisée, elle est bien moins grande pour le sulfure de zinc que pour le platinocyanure de baryum.

Pour interpréter les résultats obtenus, M. Rutherford[8] a supposé que l’émission de lumière est due à la dissociation d’agrégats moléculaires, répartis uniformément dans la substance phosphorescente. Chaque centre actif, rencontré par une particule cesse d’être efficace. Une scintillation résulte de la dissociation d’un grand nombre de centres actifs, rencontrés par la même particule, et l’éclat de la scintillation est d’autant plus grand que le nombre des centres inaltérés est plus grand. Il est possible d’établir ainsi une théorie susceptible de rendre compte des faits observés.

En utilisant l’action photographique de la luminosité du sulfure de zinc sous l’action des rayons on peut obtenir une bonne mesure du parcours de ces derniers[9]. Pour cela, il suffit de disposer, au-dessus de la surface active plane, un écran phosphorescent transparent, convenablement incliné ; une plaque sensible est appliquée sur l’écran. La lumière émise par le sulfure de zinc impressionne la plaque au travers de l’écran ; l’impression est assez nettement limitée et permet d’apprécier la valeur du parcours.


149. Luminosité propre des sels de radium. — Tous les composés de baryum radifère sont spontanément lumineux[10]. Les sels haloïdes, anhydres et secs, émettent une lumière particulièrement intense. Cette luminosité ne peut être vue à la grande lumière du jour, mais on la voit facilement dans la demi-obscurité ou dans une pièce éclairée à la lumière du gaz. La lumière émise peut être assez forte, pour qu’on puisse lire en s’éclairant avec un peu de produit dans l’obscurité. La lumière émise émane de toute la masse du produit, tandis que, pour un corps phosphorescent ordinaire, la lumière émane surtout de la partie de la surface qui a été éclairée. À l’air humide les produits radifères perdent en grande partie leur luminosité, mais ils la reprennent par dessèchement (Giesel). La luminosité semble se conserver. Au bout de plusieurs années aucune modification sensible ne semble s’être produite dans la luminosité de produits faiblement actifs, gardés en tubes scellés à l’obscurité. Avec du chlorure de baryum radifère, très actif et très lumineux, la lumière change de teinte au bout de quelques mois ; elle devient plus violacée et s’affaiblit beaucoup ; en même temps le produit subit certaines transformations ; en redissolvant le sel dans l’eau et en le séchant à nouveau, on obtient la luminosité primitive.

Les solutions de sels de baryum radifères, qui contiennent une forte proportion de radium, sont également lumineuses ; on peut observer ce fait en plaçant la solution dans une capsule de platine qui, n’étant pas lumineuse elle-même, permet d’apercevoir la luminosité faible de la solution.

Quand une solution de sel de baryum radifère contient des cristaux qui s’y sont déposés, ces cristaux sont lumineux au sein de la solution, et ils le sont bien plus que la solution elle-même, de sorte que, dans ces conditions, ils semblent seuls lumineux.

M. Giesel a préparé du platinocyanure de baryum radifère. Quand ce sel vient de cristalliser, il a l’aspect du platinocyanure de baryum ordinaire, et il est très lumineux. Mais peu à peu le sel se colore spontanément et prend une teinte brune, en même temps que les cristaux deviennent dichroïques. À cet état, le sel est bien moins lumineux, quoique sa radioactivité ait augmenté[11]. Le platinocyanure de radium, préparé par M. Giesel, s’altère encore bien plus rapidement.

Les composés de radium constituent le premier exemple de substances spontanément lumineuses.

Les conditions de la production de lumière par les composés de radium ne sont pas encore bien connues. Il est probable qu’un corps radioactif tel que le radium peut fonctionner à la fois comme source de rayons et comme substance dont les sels sont phosphorescents ainsi que tous les sels alcalino-terreux. Le degré de phosphorescence pourrait cependant être influencé par le mode de préparation et par la présence d’impuretés, ainsi que cela a lieu, en général, pour les phénomènes de phosphorescence.

M. Debierne a constaté que les sels d’actinium sont également spontanément lumineux. L’actinium appartient selon toute vraisemblance au groupe des terres rares qui ont la faculté de devenir phosphorescentes par l’action des radiations.

La figure 1 (Pl. VII) représente deux épreuves, dont l’une est la photographie ordinaire d’une ampoule contenant un sel de radium, tandis que l’autre a été obtenue dans l’obscurité par l’action de la lumière propre du sel de radium.


150. Spectre de la lumière émise par les composés de radium et d’actinium. — La lumière émise par un sel de baryum radifère peut être photographiée ; on peut aussi l’examiner au spectroscope. M. et Mme Huggins[12] ont obtenu une photographie du spectre de cette lumière au moyen d’un spectrographe en quartz, avec trois jours d’exposition. Ce spectre présentait des bandes qui ont pu être identifiées avec celles de l’azote. Des expériences analogues ont été faites par d’autres savants dans l’air, dans d’autres gaz ou dans le vide. On observe, en général, un spectre continu dû à la phosphorescence du sel et, dans certains cas, un effet dû au gaz. D’après M. Crookes et M. Dewar, le spectre de bandes de l’azote n’est pas obtenu quand le sel de radium se trouve dans un vide parfait. Il en résulte que ce spectre est dû à l’action des rayons du radium sur l’azote occlus dans le sel ou se trouvant dans son voisinage immédiat. Ce mode de production d’un spectre en dehors de l’action de la décharge électrique est fort remarquable. MM Himstedt et Meyer[13] ont pu constater que la production du spectre de bandes de l’azote a lieu à une distance de 5mm des cristaux de bromure de radium ; le spectre de l’hélium peut aussi être obtenu, mais on n’observe aucun effet avec l’hydrogène, le gaz carbonique et l’oxyde de carbone ; l’action sur l’azote est observée en présence de l’émanation du radium et du polonium. L’excitation du spectre de bandes de l’azote semble donc due aux rayons et l’on a constaté qu’elle ne se produit pas au travers du verre. MM. Stark et Giesel[14] ont observé la production du spectre de bandes de l’azote et du spectre de raies de l’hélium dans la zone lumineuse qui s’étend à 3cm,8 environ d’une lame de polonium très active placée dans ces gaz.

La lumière émise par les sels d’actinium a été examinée par M. Giesel[15] ; elle se compose de raies brillantes qui ont été attribuées au didyme contenu dans le sel examiné.


151. Production de thermoluminescence. — Certains corps, tels que la fluorine, deviennent lumineux quand on les chauffe ; ils sont thermoluminescents ; leur luminosité s’épuise au bout de quelque temps ; mais la faculté de devenir de nouveau lumineux par la chaleur est restituée à ces corps par l’action d’une étincelle, par l’action des rayons cathodiques et aussi par l’action du radium. Le radium peut donc régénérer dans ces corps leurs propriétés thermoluminescentes[16]. Lors de la chauffe, la fluorine éprouve une transformation qui est accompagnée d’une émission de lumière. Quand la fluorine est ensuite soumise à l’action du radium, une transformation se refait en sens inverse, et elle est encore accompagnée d’une émission de lumière.

Un phénomène absolument analogue se produit pour le verre exposé aux rayons du radium. Là aussi une transformation se produit dans le verre pendant qu’il est lumineux sous l’action des rayons du radium ; cette transformation est mise en évidence par la coloration qui apparaît et augmente progressivement. Quand on chauffe ensuite le verre ainsi modifié, la transformation inverse se produit, la coloration disparaît, et ce phénomène est accompagné de production de lumière. Il paraît fort probable qu’il y a là une modification de nature chimique, et que la production de lumière est liée à cette modification. Ce phénomène pourrait être général ; il pourrait se faire que la production de fluorescence par l’action du radium et la luminosité des substances radifères fussent nécessairement liées à un phénomène de transformation chimique ou physique de la substance qui émet la lumière.

La thermoluminescence est facilement observée avec la fluorine, le marbre, l’apatite. Pour la mettre en évidence il suffit de projeter des fragments de la substance sur une plaque de métal chauffée au moyen d’un bec de gaz à une température voisine de 500o. Après une exposition aux radiations actives la substance semble conserver indéfiniment la faculté d’émettre une quantité de lumière déterminée lors de la chauffe.

La transformation dont dépend la thermoluminescence peut être produite par les rayons pénétrants du radium enfermé dans une ampoule scellée. Il est bien probable que la thermoluminescence naturelle de certaines substances est due à l’action des radiations auxquelles ces substances ont pu être soumises pendant de longues époques.


152. Effet radiographique. — L’action radiographique des substances fortement radioactives est très intense. Toutefois la manière d’opérer doit être très différente avec le polonium et le radium. Le polonium n’agit qu’à très petite distance, et son action est considérablement affaiblie par des écrans solides ; il est facile de la supprimer pratiquement au moyen d’un écran très mince. Le radium agit à des distances considérablement plus grandes ; l’action radiographique des rayons du radium s’observe à plus de 2m de distance dans l’air, et cela même quand le produit radiant est enfermé dans une ampoule de verre ; les rayons qui agissent dans ces conditions appartiennent aux groupes et Grâce aux différences qui existent entre la transparence de diverses matières pour les rayons, on peut, comme avec les rayons Röntgen, obtenir des radiographies de divers objets. Les métaux sont, en général, opaques, sauf l’aluminium, qui est très transparent. Il n’existe pas de différence de transparence notable entre les chairs et les os. On peut opérer à grande distance et avec des sources de très petites dimensions ; on a alors des radiographies très fines. Il est très avantageux pour la beauté des radiographies de renvoyer les rayons de côté, au moyen d’un champ magnétique, et de n’utiliser que les rayons Les rayons en traversant l’objet à radiographier, éprouvent, en effet, une certaine diffusion et occasionnent un certain flou ; en les supprimant, on est obligé d’employer des temps de pose plus grands, mais les résultats sont meilleurs. La radiographie d’un objet, tel qu’un porte-monnaie, demande un jour avec une source radiante constituée par quelques centigrammes de sel de radium, enfermés dans une ampoule de verre et placés à 1m de la plaque sensible, devant laquelle se trouve l’objet. Si la source est à 20cm de distance de la plaque, le même résultat est obtenu en une heure. Au voisinage immédiat de la source radiante, une plaque sensible est instantanément impressionnée.

La figure 2 (Pl. VII) représente la radiographie d’une médaille en aluminium, obtenue par Becquerel au moyen des rayons de l’uranium. Une radiographie obtenue avec les rayons du radium est représentée dans la figure 3 (Pl. VII).

Tous les groupes de rayons qui ont pu être observés par la méthode d’ionisation semblent susceptibles de produire des impressions radiographiques. Cependant il n’a pas encore été possible d’obtenir l’effet radiographique des rayons de l’uranium, même après 45 jours de pose (Becquerel), alors que l’impression a été obtenue avec les rayons de l’oxyde de thorium, dont l’intensité est comparable à celle du rayonnement de l’oxyde d’uranium ; ce fait est bien particulier si l’on admet, ainsi que cela est probable, que toutes les particules sont de même nature.

L’effet radiographique des particules du radium C a été étudié par M. Kinoshita[17]. L’intensité de l’impression était mesurée par une méthode photométrique. Cette intensité ne dépend que du nombre total des particules reçues sur l’unité de surface. L’effet minimum qui ait pu être observé était produit par 105 particules reçues par centimètre carré. Quand le nombre des particules reçues augmentait, l’intensité de l’impression augmentait aussi et tendait vers une valeur limite qui était atteinte pour 4.108 particules par centimètre carré. On a constaté aussi qu’un grain de sel d’argent est influencé par le choc d’une seule particule pour cela, on examinait au microscope la plaque développée, et le nombre des grains d’argent était comparé au nombre des particules reçues. L’action radiographique des rayons sur une couche sensible très mince (épaisseur d’air équivalente, environ 2cm) s’est montrée constante le long du parcours des rayons, et c’est seulement vers la fin de celui-ci, que se produisait une diminution rapide. Ce fait s’expliquerait en admettant que l’effet final ne dépend que du nombre des grains qui ont été rencontrés par une ou plusieurs particules


153. Effets de charge des rayons. Action sur la décharge électrique. Applications de l’effet ionisant dans les gaz. — Nous avons vu qu’à l’intérieur d’une ampoule de verre mince contenant du radium il y a accumulation de charge électrique, les rayons pouvant s’échapper de l’ampoule, tandis que les rayons sont absorbés dans le verre (§ 107). L’accumulation de charge peut amener la décharge disruptive au travers du verre. Des effets analogues sont observés dans d’autres circonstances. Du polonium très actif ayant été conservé dans une coupelle de quartz, celle-ci s’est trouvée fendillée en un grand nombre d’endroits[18]. Dans un petit tube de verre épais, contenant de l’émanation de radium pure à la pression atmosphérique, on observait la production fréquente d’étincelles dans le verre et de décharges lumineuses dans le gaz ; de nombreuses fentes se sont produites dans le tube[19].

MM. Elster et Geitel[20] ont observé que, sous l’influence des rayons du radium, la distance explosive entre deux conducteurs métalliques pour une différence de potentiel donnée se trouve augmentée ; autrement dit, le passage de la décharge disruptive est facilité par l’action des rayons. P. Curie[21] a montré que ce phénomène est dû, au moins pour une large part, à l’action des rayons les plus pénétrants. Si, en effet, on entoure le radium d’une enveloppe de plomb de 2cm, l’action du radium sur l’étincelle n’est pas considérablement affaiblie, alors que le rayonnement qui traverse n’est qu’une très faible fraction du rayonnement total. On peut observer facilement l’effet signalé en employant une bobine d’induction. Les pôles du circuit induit sont reliés par des fils métalliques à deux micromètres à étincelle, éloignés l’un de l’autre, et offrant deux chemins distincts, à peu près équivalents, pour le passage de l’étincelle. On règle les micromètres de telle sorte que les étincelles passent à peu près également entre les boules de chacun des micromètres. Quand on approche le radium de l’un des deux micromètres, les étincelles cessent de passer à travers l’autre.

Le phénomène dont il s’agit a encore été peu étudié, et dans certaines conditions on a même signalé la production de l’effet inverse[22].

La décharge disruptive sans électrodes dans un gaz raréfié se produit pour une pression plus élevée, quand l’ampoule qui contient le gaz est soumise à l’action des rayons du radium[23]. Par exemple, la pression critique qui était mesurée dans une expérience par 51mm de mercure, a pris la valeur de 68mm de mercure en présence du radium.

En rendant conducteur, par l’action des substances radioactives, l’air au voisinage de deux conducteurs métalliques, dont l’un est relié au sol et l’autre à un électromètre bien isolé, on voit l’électromètre prendre une déviation permanente, qui permet de mesurer la force électromotrice de la pile formée par l’air et les deux métaux (force électromotrice de contact des deux métaux, quand ils sont séparés par l’air). Cette méthode de mesures a été employée par lord Kelwin et ses élèves, la substance radiante étant l’uranium[24] : une méthode analogue avait été antérieurement employée par M. Perrin qui utilisait l’action ionisante des rayons Röntgen[25].

On peut, par exemple, employer à cet effet un condensateur à plateaux ; l’un des plateaux est recouvert d’uranium ou d’oxyde d’uranium. La déviation fixe obtenue est indépendante de la distance des plateaux et de la pression du gaz. On n’a pas observé de variation avec la nature du gaz (air, hydrogène et gaz carbonique). Voici, par exemple, le potentiel limite du plateau isolé pour différents métaux, le plateau recouvert d’uranium étant relié au sol :

                                                  
Zinc poli 
volt
Cuivre poli 
v»
Argent 
v»
Zinc amalgamé 
5 v»
Aluminium poli 
v»


On peut se servir des substances radioactives dans l’étude de l’électricité atmosphérique. La substance active est enfermée dans une petite boîte en aluminium mince, fixée à l’extrémité d’une tige métallique en relation avec l’électromètre. L’air est rendu conducteur au voisinage de l’extrémité de la tige, et celle-ci prend le potentiel de l’air qui l’entoure. Le radium remplace ainsi avec avantage les flammes ou les appareils à écoulement d’eau, généralement employés jusqu’à présent dans l’étude de l’électricité atmosphérique. Cette application a été réalisée d’abord par M. Paulsen[26], ensuite par d’autres expérimentateurs.

L’étude du mode de fonctionnement des prises de potentiel au radium, en général, a montré que, dans l’air immobile, ces appareils ne donnent pas la même indication qu’un appareil à écoulement d’eau, l’écart pouvant être attribué à l’accumulation d’ions au voisinage de la prise[27]. Si l’air est constamment renouvelé, cette accumulation ne se produit pas.

M. Moureaux[28], à l’observatoire du Parc St-Maur, à Paris, a fait des essais à l’air libre avec des prises de potentiel au radium préparées par P. Curie ; l’une de ces prises de potentiel est restée en service régulier pendant plusieurs années et a donné des résultats tout à fait comparables à ceux obtenus avec l’appareil à écoulement d’eau ; la mise en équilibre était rapide et le fonctionnement régulier. Dans une étude détaillée des conditions de fonctionnement des prises de potentiel au radium, M. Moulin[29] a montré qu’avec un appareil installé à l’air libre, convenablement disposé et exposé au vent, on peut mesurer le potentiel avec une erreur négligeable. La prise de potentiel est un disque sur lequel on colle la surface active, constituée par du sulfate de baryum radifère ; ensuite on la recouvre d’une couche de vernis pour la protéger ; la surface du disque est parallèle aux lignes de force du champ, et l’extrémité de la tige qui le porte est dirigée normalement au champ, de manière à ne pas introduire de perturbation dans la distribution de celui-ci. On obtient de bons résultats avec un disque de 6cm de diamètre portant 0mg,5 de sulfate de baryum radifère d’activité 20 000 fois plus grande que celle de l’uranium.


154. Condensation de la vapeur d’eau sursaturée. Formation de brouillards en présence de l’émanation du radium. Influence sur le phénomène de cristallisation. — Les ions créés dans un gaz par les rayons X ou les rayons cathodiques possèdent la propriété de condenser la vapeur d’eau sursaturée. La même expérience peut être réalisée avec les rayons du radium. Quand on opère une détente brusque dans l’air purgé de poussières et contenant de la vapeur d’eau saturante, la condensation sous forme de brouillard ne se produit que si la détente représente une augmentation de volume dans le rapport 1,38 ; mais si le gaz est soumis à l’action des rayons du radium, la condensation est déjà obtenue pour une détente qui correspond à une augmentation de volume dans le rapport 1,25.

J’ai constaté que la présence de l’émanation du radium peut aussi provoquer la condensation de la vapeur d’eau, mais, contrairement à ce qui a lieu dans le cas où l’on utilise seulement les rayons pénétrants du radium, il n’est pas nécessaire que la vapeur d’eau soit sursaturée ni même saturée. Un vase qui contient de l’eau distillée et de l’air chargé d’émanation et qui est maintenu à une température constante, contient néanmoins un brouillard permanent visible à la lumière de l’arc électrique. Le même phénomène se produit quand on remplace l’eau distillée par un mélange d’eau et d’acide sulfurique à poids égaux[30]. Les centres de condensation en ce cas ne peuvent être les ions formés dans le gaz, puisque la sursaturation n’est pas nécessaire ; j’ai montré aussi que ce ne pouvaient être les molécules d’émanation, parce que le brouillard peut être supprimé quand on établit un champ électrique intense dans le gaz, et que sa réapparition n’a lieu que progressivement lors de la suppression du champ. On pouvait donc penser que les centres de condensation sont constitués soit par les particules de dépôt actif présentes dans le gaz, soit par des composés chimiques qui se forment dans le gaz sous l’action de l’émanation et qui sont susceptibles d’absorber la vapeur d’eau jusqu’à formation de gouttelettes. L’expérience est favorable à cette deuxième manière de voir. On constate, par exemple, que le brouillard obtenu avec l’eau pure et l’air chargé d’émanation est faible ; sa durée est de quelques jours ; si l’on remplace l’air par le gaz carbonique, aucun brouillard persistant n’est observé. Mais si, au lieu d’employer l’eau pure, on emploie un mélange d’eau et d’acide sulfurique à poids égaux, on obtient, aussi bien en présence de l’air qu’en présence du gaz carbonique, un brouillard intense généralement très fin au début ; ce brouillard peut être observé pendant plus d’un mois ; les gouttes deviennent de plus en plus rares et finissent par disparaître. La production du brouillard a donc été grandement facilitée par l’addition de l’acide sulfurique à l’eau, alors que la pression de la vapeur d’eau est fortement diminuée.

Dans ces expériences les particules de dépôt actif ne doivent pas servir directement comme centres de condensation ; ces particules existent, en effet dans l’air comme dans le gaz carbonique, et leur action devrait être plus énergique avec la vapeur d’eau saturante qu’avec celle non saturante. Il est assez naturel de penser que, si l’on opère avec de l’eau et de l’air, les centres de condensation sont les composés nitrés qui se forment dans l’air en présence de l’émanation. Si l’on opère avec le mélange d’eau et d’acide sulfurique, on est conduit à faire la supposition, qui peut paraître étrange, que des particules d’anhydride sulfurique se trouvent dans le gaz à la suite d’une action de l’émanation sur le liquide. Un brouillard persistant est aussi obtenu dans un ballon qui contient de l’acide sulfurique concentré et de l’émanation dans du gaz carbonique ; ce brouillard dure plus d’un mois, tandis que les brouillards bien plus intenses qu’on peut produire dans le ballon à expériences par échauffement local durent moins d’une journée.

Des expériences variées ont été effectuées pour mettre en évidence le rôle des réactions chimiques. Pour obtenir un brouillard persistant dans un vase contenant de l’eau distillée et de l’air chargé d’émanation, il suffit de placer dans l’air du ballon à expérience un fragment de soufre ou un bouchon de caoutchouc ; dans le premier cas on constate après l’expérience que l’eau contient aussi des traces d’acide sulfurique ; dans le deuxième cas on peut penser qu’il y a eu attaque du bouchon avec oxydation de la matière organique et du soufre.

On observe des brouillards très intenses au début et très persistants avec l’éther de pétrole, le sulfure de carbone ou l’éther anhydre ; il s’agit probablement dans tous ces cas d’une attaque de ces corps organiques ; l’altération est manifeste avec le sulfure de carbone. J’ai obtenu de même des brouillards intenses et très persistants en employant l’iode dans le gaz carbonique chargé d’émanation ou le camphre dans l’air chargé d’émanation ; tandis qu’avec l’iode en présence d’air et d’émanation l’effet n’est pas persistant. J’ai observé aussi un brouillard avec l’actinium en présence d’eau distillée.

Les brouillards formés en présence de l’émanation ne semblent pas chargés ; si l’on établit dans le ballon à expériences un champ électrique intense, le brouillard est rapidement supprimé ; toutefois ce n’est là probablement qu’un effet de déplacement de particules non chargées dans un champ non uniforme ; l’entraînement a lieu vers les bords des électrodes, et l’aspect du déplacement est indépendant du sens du champ.

La formation d’un brouillard dans un vase qui contient de l’émanation peut être considérée comme un indice de réaction chimique. Une concentration assez forte en émanation est nécessaire au début pour la production du brouillard (par exemple, l’émanation saturée de 5cg de chlorure de radium, dans un volume de 150cm³) ; une fois formé, le brouillard peut durer pendant un mois, alors que la concentration en émanation est devenue 200 fois plus faible.

Des effets de condensation de vapeur d’eau faiblement sursaturée ou simplement saturée ont été obtenus sous l’influence de rayons X, de la lumière ultraviolette et des rayons pénétrants du radium[31] ; la condensation a été attribuée à la formation dans le gaz de certains composés chimiques tels que les composés nitrés.

Les gouttelettes que j’ai observées sont fines et mobiles ; elles sont entraînées dans les lents mouvements du gaz dans le ballon d’expériences, et il n’a pas été possible d’observer qu’elles fussent sensibles à l’action de la pesanteur. Ces gouttelettes, qui doivent d’ailleurs être chargées de dépôt actif, sont cependant certainement plus grosses que les agglomérations qui se forment dans un gaz humide sur les particules du dépôt actif, et dont la vitesse de chute a pu être révélée (voir § 86) ; dans ces expériences la concentration de l’émanation était, en effet, beaucoup trop faible pour qu’un brouillard pût être observé. La chute des gouttelettes visibles pourrait donc, sans doute, être constatée dans une enceinte à une température parfaitement constante. Observées au microscope, ces gouttelettes manifestent un mouvement brownien.

Il semble d’après cela qu’il existe, dans les gaz contenant l’émanation du radium, des agglomérations chargées de dépôt actif dont la grosseur est très variable. Ces agglomérations utilisent pour leur formation les molécules du gaz, les molécules d’eau et les molécules des composés chimiques formés dans le gaz en présence de l’émanation. Les plus petits de ces agrégats ne se manifestent que par la manière dont ils interviennent dans le phénomène d’activation d’un corps solide au contact du gaz contenant l’émanation ; ils sont vraisemblablement formés sans le secours de molécules d’eau. Les agglomérations formées à l’aide de molécules d’eau et de certains autres composés sont plus grosses ; elles sont sensibles à la pesanteur, et peuvent même devenir visibles.


Les rayons pénétrants du radium déterminent la cristallisation de substances à l’état de surfusion. L’expérience a été faite avec le soufre soigneusement purifié[32]. Un grain de soufre étant enfermé entre un porte-objet plan et un verre de montre, on peut obtenir par distillation une couche uniforme de gouttelettes sphériques d’un diamètre de 54 à 90. La cristallisation spontanée de ces gouttes se propage lentement mais régulièrement. Pour étudier l’influence des rayons du radium, on exposait à l’action de ces rayons la moitié de la surface occupée par les gouttes, l’autre moitié étant protégée par un écran en plomb. La source des rayons était une petite ampoule de verre mince contenant une petite quantité de sel de radium. L’accroissement du nombre des gouttes cristallisées était observé au microscope pour la partie A exposée au rayonnement et pour la partie B non exposée, et l’on constatait que dans la partie A cet accroissement était plus rapide. C’est ainsi qu’après 28 jours d’exposition la partie A accusait un nombre 5 fois plus grand de centres de cristallisation ; en même temps la cristallisation se propageait plus rapidement de goutte à goutte, de sorte que le nombre total des gouttes cristallisées était 11 fois plus grand dans la partie A que dans la partie B. Cependant il restait toujours des gouttes conservant leur transparence. La préparation ayant alors été portée pendant 6 heures à une température de 70o, toutes les gouttes dans la partie A étaient après ce temps cristallisées sans exception, alors que la formation de cristaux dans la partie B n’avait fait que des progrès médiocres. Une exposition de 28 jours à l’action des rayons avait donc influencé toutes les gouttes de soufre, en donnant lieu à la formation de germes de cristallisation ; mais tous les germes formés ne s’étaient pas développés à la température ordinaire ; réchauffement à 70° en augmentant la vitesse de cristallisation, sans produire de noyaux nouveaux, a suffi pour provoquer le développement des germes restés latents.

La cristallisation du soufre surfondu est également facilitée en présence de l’émanation du radium, et l’effet semble attribuable surtout à la radioactivité induite produite par celle-ci. Les gouttelettes de soufre cristallisent de préférence sur les parties de la surface du récipient qui reçoivent le dépôt actif en vertu de l’action de la pesanteur sur ce dernier.

En exposant la préparation de soufre pendant 20 heures à l’action de rayons Röntgen, on n’a constaté aucune différence entre la partie exposée et la partie non exposée. Il est probable d’après cela que, dans les expériences avec les rayons du radium, l’effet sur la cristallisation doit être attribué aux rayons plutôt qu’aux rayons Cet effet est probablement lié à la charge électrique des rayons.


155. Action ionisante des rayons du radium sur les liquides et les solides isolants. — P. Curie a montré que les rayons du radium et les rayons Röntgen agissent sur les diélectriques liquides comme sur l’air, en leur communiquant une certaine conductibilité électrique[33]. Voici comment était disposée l’expérience (fig. 146) :

Le liquide à expérimenter était placé dans un vase métallique CDEF, dans lequel plongeait un tube de cuivre mince AB ; ces deux pièces métalliques servaient d’électrodes. Le vase était maintenu à un potentiel connu, au moyen d’une batterie de petits accumulateurs, dont un pôle était à terre. Le tube AB était en relation avec l’électromètre ; on mesurait le courant qui passait au travers du liquide. Le tube de cuivre MNM’N’, relié au sol, servait de tube de garde pour empêcher le passage du courant à travers l’air. Une ampoule contenant le sel de baryum radifère pouvait être placée au fond du tube AB ; les rayons agissaient sur le liquide après avoir traversé le verre de l’ampoule et les parois du tube métallique. On pouvait encore faire agir le radium en plaçant l’ampoule en dessous de la paroi DE.

Pour agir avec les rayons Röntgen, on faisait arriver ces rayons au travers de la paroi DE.

L’accroissement de conductibilité par l’action des rayons du radium ou des rayons Röntgen semble se produire pour tous les diélectriques liquides ; mais,

Fig. 146.


pour constater cet accroissement, il est nécessaire que la conductibilité propre du liquide soit assez faible pour ne pas masquer l’effet des rayons.

En opérant avec le radium et les rayons de Röntgen, P. Curie a obtenu des effets du même ordre de grandeur.

Quand on étudie avec le même dispositif la conductibilité de l’air ou d’un autre gaz sous l’action des rayons de Becquerel, on trouve que l’intensité du courant obtenu est proportionnelle à la différence de potentiel entre les électrodes, tant que celle-ci ne dépasse pas quelques volts : mais pour des tensions plus élevées, l’intensité du courant croît de moins en moins vite, et le courant de saturation est sensiblement atteint pour une tension de 100 volts.

Les liquides étudiés avec le même appareil et avec le même produit radiant très actif se comportent différemment ; l’intensité du courant est proportionnelle à la tension quand celle-ci varie entre 0 et 450 volts, et cela même quand la distance des électrodes ne dépasse pas 6mm. On peut alors considérer la conductivité provoquée dans divers liquides par le rayonnement d’un sel de radium agissant dans les mêmes conditions.

Les nombres du Tableau suivant multipliés par 10-14 donnent la conductivité en mhos (inverses d’ohm) pour 1cm³ :

                                                  
Sulfure de carbone 
20,3
Éther de pétrole 
15,3
Amylène 
14,3
Chlorure de carbone 
18,3
Benzine 
14,3
Air liquide 
11,3
Huile de vaseline 
11,6


On peut cependant supposer que les liquides et les gaz se comportent d’une façon analogue, mais que, pour les liquides, le courant reste proportionnel à la tension jusqu’à une limite bien plus élevée que pour les gaz. On pouvait, par analogie avec ce qui a lieu pour les gaz, chercher à abaisser la limite de proportionnalité en employant un rayonnement beaucoup plus faible. L’expérience a vérifié cette prévision ; le produit radiant employé était 150 fois moins actif que celui qui avait servi pour les premières expériences. Pour des tensions de 50, 100, 200, 400 volts, les intensités du courant étaient représentées respectivement par les nombres 109, 185, 255, 335. La proportionnalité ne se maintient plus, mais le courant varie encore fortement quand on double la différence de potentiel.

Quelques-uns des liquides examinés sont des isolants à peu près parfaits, quand ils sont maintenus à une température constante et qu’ils sont à l’abri de l’action des rayons. Tels sont : l’air liquide, l’éther de pétrole, l’huile de vaseline, l’amylène. Il est alors très facile d’étudier l’effet des rayons. L’huile de vaseline est beaucoup moins sensible à l’action des rayons que l’éther de pétrole. Il convient peut-être de rapprocher ce fait de la différence de volatilité qui existe entre ces deux hydrocarbures. L’air liquide qui a bouilli pendant quelque temps dans le vase d’expérience est plus sensible à l’action des rayons que celui qu’on vient d’y verser ; la conductivité produite par les rayons est de 25 pour 100 plus grande dans le premier cas.

P. Curie a étudié sur l’amylène et sur l’éther de pétrole l’action des rayons aux températures de +10° et de -17°. La conductivité due au rayonnement diminue de seulement de sa valeur, quand on passe de 10° à -17°. Dans les expériences où l’on fait varier la température du liquide on peut, soit maintenir le radium à la température ambiante, soit le porter à la même température que le liquide ; on obtient le même résultat dans les deux cas. Cela tient à ce que le rayonnement du radium conserve la même valeur à la température ordinaire et à la température de l’air liquide.

La découverte de cette action des rayons sur les liquides isolants a une grande importance au point de vue de la théorie de l’ionisation ; elle prouve que les rayons qui ionisent les gaz peuvent aussi communiquer aux liquides une conductibilité qui consiste, selon toute vraisemblance, dans une ionisation de ces liquides. Les différences observées dans la nature du phénomène proviennent de ce fait que les ions dans les liquides doivent être beaucoup moins mobiles que les ions créés dans les gaz.

L’étude de l’action des rayons pénétrants du radium sur les diélectriques liquides a été poursuivie par M. Jaffé[34], qui employait à cet effet un condensateur à plateaux plongé dans le liquide ; un faisceau étroit de rayons de radium pénétrait dans le condensateur normalement aux plateaux. Les recherches ont porté sur l’éther de pétrole, dont les échantillons les plus purs se sont montrés les plus sensibles à l’action des rayons ; la conductibilité spontanée de ces échantillons pouvait être négligée. La conductibilité due aux rayons augmente lentement avec le temps, l’augmentation atteignant, par exemple, 13 pour 100 en 13 jours ; mais pour un temps limité on trouvait une conductibilité bien définie. La saturation n’était jamais atteinte ; pour les champs très intenses le phénomène devenait irrégulier, annonçant l’approche de la distance disruptive ; le champ le plus fort employé était voisin de 6600

L’ordre des courants observés était entre 10-11 et 10-12 ampère par centimètre carré de surface des plateaux dont la distance variait entre 1mm et 7mm,5, la source radiante étant constituée par 2cg de sel de radium pur. M. Jaffé a constaté que la courbe qui donne l’intensité du courant en fonction du champ ne semble pas indiquer comme limite un courant de saturation indépendant du champ, mais un courant proportionnel au champ suivant la loi d’Ohm. La relation observée est de la forme


représente un courant saturable, dont l’intensité limite est atteinte pour environ, et une constante qui augmente avec la distance des plateaux ; la valeur limite de croît aussi avec la distance des plateaux. Aussi bien que sont proportionnels à la quantité du radium employée. On peut donc penser que, dans le cas des liquides isolants, deux espèces d’ions interviennent : une espèce d’ions relativement mobiles, et une deuxième espèce d’ions de mobilité beaucoup plus faible ; ces derniers interviendraient pour produire la conductibilité ohmique. La conductibilité due aux petits ions devrait fournir une valeur limite du courant proportionnelle à la distance des plateaux pour des rayons pénétrants ; en réalité croît d’abord moins vite que la distance des plateaux, ce qui tient probablement à la production de rayons secondaires absorbables sur la surface des plateaux.

La conductibilité ohmique croît aussi avec la distance des plateaux, moins vite que celle-ci ; elle ne peut donc correspondre à une production uniforme de gros ions dans le volume compris entre les plateaux, une telle production donnant lieu à une conductibilité indépendante de la distance des plateaux.

Les mêmes caractères se retrouvent pour la conductibilité d’autres liquides isolants ; le tétrachlorure de carbone, le sulfure de carbone et le benzène.

Au lieu d’admettre que les petits ions et les gros ions sont formés d’une manière indépendante dans le liquide soumis aux rayons du radium, on peut chercher à expliquer les résultats expérimentaux en admettant que les gros ions sont formés aux dépens des petits par un mécanisme analogue à celui par lequel M. Langevin a expliqué la formation de gros ions dans l’atmosphère[35] ; dans cette manière de voir, les petits ions se transforment en gros ions en se fixant sur des particules de plus grandes dimensions, vers lesquelles ils diffusent au sein du milieu qui les contient.

Il semble cependant possible d’obtenir, par une purification très soignée, des diélectriques liquides dans lesquels la formation de gros ions n’est pas sensible. M. Jaffé a pu préparer de l’hexane et de l’éther de pétrole dont la conductibilité est définie, et avec lesquels le courant de saturation est obtenu pour une différence de potentiel de 400 volts sur une longueur de 3mm ; la saturation se maintient jusqu’à une différence de potentiel de 2000 volts. Cette conductibilité spontanée est 12 fois plus grande que celle de l’air à l’état normal ; elle est due à l’action de rayons pénétrants venant de l’extérieur ; on constate, en effet, qu’on peut la diminuer en entourant le liquide par un écran épais ; la conductibilité est indépendante de la température entre 0° et 40° et ne présente pas d’effets résiduels. L’hexane pur peut être utilisé avec avantage pour l’étude de rayons très pénétrants.

La mobilité des ions dans l’éther de pétrole est de l’ordre de 10-4  pour un champ de 1 volt par centimètre, et le coefficient de recombinaison est de l’ordre de 10-10. Ces valeurs sont considérablement plus faillies que celles observées dans les gaz[36].


H. Becquerel[37] a montré que les diélectriques solides peuvent aussi acquérir une certaine conductibilité par l’action des rayons du radium. L’expérience a été faite avec de la paraffine qui remplissait l’intervalle compris entre l’électrode centrale et l’armature extérieure d’un condensateur cylindrique. L’électrode était reliée à l’électromètre et le vase extérieur à la batterie. L’isolement était parfait en l’absence du radium ; mais quand on faisait agir le radium, on pouvait observer un courant de charge de l’électromètre, La conductibilité augmente avec le temps d’exposition aux rayons du radium. Elle persiste quand on retire le radium, et peut encore être observée après 1 heure. Si, après avoir enlevé le radium, on relie au sol le vase extérieur, l’électromètre se charge en sens contraire par suite de la présence dans la paraffine de charges résiduelles qui ne se dissipent que très lentement ; la disparition de ces charges est favorisée par une exposition aux rayons du radium en l’absence du champ. Des phénomènes analogues sont observés avec le soufre. La conductibilité qui s’établit dans les diélectriques, soumis à l’action des rayons pénétrants du radium, semble se maintenir en présence du radium ; elle peut être observée pendant un grand nombre de jours.

Ainsi la production d’ions sous l’influence des rayons pénétrants des corps radioactifs a lieu dans les corps solides comme dans les corps liquides et les corps gazeux. Les effets observés rappellent les effets de polarisation résiduelle des diélectriques après action du champ électrique, de sorte qu’on peut se demander si cette polarisation n’est pas liée à la présence d’ions à l’état normal dans les diélectriques solides.

On peut étudier l’action des rayons sur les diélectriques solides, en utilisant comme source radiante le polonium[38],[39]. Les diélectriques : soufre, paraffine, sont utilisés en couche très mince. Le courant dû au rayonnement, très fort au début, en comparaison du courant spontané, se réduit rapidement à zéro. Si alors on réunit entre elles les armatures du condensateur, on observe la production d’un courant de sens inverse qui restitue la quantité d’électricité recueillie auparavant par le système. Ces résultats paraissent attribuables entièrement ou presque entièrement à la présence de bulles gazeuses entre la lame isolante et les armatures qui la recouvrent. Cependant on pourrait s’attendre à observer un phénomène analogue en admettant que les rayons produisent l’ionisation dans une couche très mince du diélectrique, et que les ions produits ne peuvent éprouver qu’un déplacement très limité ; le courant s’éteindrait quand le déplacement des charges dans la couche ionisée aurait donné lieu à la production d’un champ inverse annulant le champ primitivement établi.

Les diélectriques solides possèdent, en général, une faible conductibilité spontanée, qui augmente avec la température ; il en est de même pour la conductibilité provoquée par les rayons pénétrants du radium[40]. Les expériences étaient faites avec une couche de paraffine de 1mm d’épaisseur, contenue entre les deux plateaux d’un condensateur ; la différence de potentiel entre les plateaux était de 720 volts. Au voisinage du point de fusion on observe un accroissement rapide ; dans l’intervalle de 10 degrés les deux conductibilités sont devenues 8 fois plus grandes. Ensuite l’accroissement se ralentit. Le rapport des deux conductibilités varie peu avec la température, de sorte qu’on peut penser que la conductibilité est due dans les deux cas à des centres analogues ; la variation du courant avec la température peut être attribuée à la variation de mobilité des ions qui le transportent, le nombre de ces ions restant à peu près le même. La persistance de la conductibilité due au rayonnement, après l’arrêt de l’action des rayons, est beaucoup moins marquée pour la paraffine liquide que pour la paraffine solide ; la durée de la persistance est de quelques minutes dans le premier cas et de plusieurs heures dans le second cas. Pour la paraffine liquide l’intensité du courant croît avec la différence de potentiel entre les plateaux et tend vers la saturation pour des champs très élevés ; la mobilité des ions est dans ce cas du même ordre que celle qui a été trouvée pour l’éther de pétrole.

M. Kohlrausch[41] a étudié l’action des rayons du radium sur la conductibilité de l’eau. Quand l’eau pure est conservée dans un vase de verre, sa conductibilité augmente peu à peu, peut-être par suite de la dissolution progressive du verre. En présence du radium, l’augmentation de conductibilité est plus rapide.

MM. Kohlrausch et Henning[42] ont d’ailleurs constaté que la conductibilité des solutions de bromure de radium pur est très analogue à celle des solutions de bromure de baryum. Ce résultat n’a rien qui puisse surprendre, la conductibilité étant en ce cas trop grande pour que l’action des rayons puisse la modifier d’une manière appréciable.

D’après M. Himstedt, la résistance du sélénium est diminuée par l’action des rayons du radium comme par l’action de la lumière[43].


156. Colorations. Effets chimiques. — Les radiations émises par les substances fortement radioactives sont susceptibles de provoquer certaines transformations, certaines réactions chimiques. Les premières observations à ce sujet ont été faites par P. et M. Curie[44] qui ont constaté que les rayons du radium exercent des actions colorantes sur le verre et la porcelaine.

La coloration du verre, généralement brune ou violette, est très intense ; elle se produit dans la masse même du verre, elle persiste après l’éloignement du radium. Tous les verres se colorent en un temps plus ou moins long, et la présence du plomb n’est pas nécessaire. Il convient de rapprocher ce fait des effets de coloration observés sur le verre des tubes à vide producteurs des rayons Röntgen après un long usage.

M. Giesel a montré que les sels haloïdes cristallisés des métaux alcalins (sel gemme, sylvine) se colorent sous l’influence du radium, comme sous l’action des rayons cathodiques. On obtient des colorations du même genre en laissant séjourner les sels alcalins dans la vapeur de sodium[45].

J’ai étudié la coloration d’une collection de verres de composition connue, mais je n’ai pas observé de grande variété dans la coloration. Elle est généralement violette, jaune, brune ou grise. Elle semble liée à la présence des métaux alcalins.

Avec les sels alcalins purs cristallisés on obtient des colorations plus variées et plus vives ; le sel, primitivement blanc, devient bleu, vert, jaune brun, etc. C’est ainsi que le sulfate de potassium prend une belle coloration vert bleu.

Le quartz se colore par l’action des rayons et prend la teinte de quartz enfumé. Des plaques de quartz ainsi coloré taillées normalement à l’axe optique montrent des stries parallèles aux axes binaires ; la structure hétérogène des cristaux peut ainsi être mise en évidence[46]. D’après M. D. Berthelot[47] certains échantillons de quartz ne se colorent pas, et la coloration est due à la présence d’impuretés. Il est probable que la coloration du quartz enfumé naturel est due aussi à des radiations antérieurement reçues.

Divers corindons se colorent sous l’action des rayons du radium. On a vu plus haut qu’un effet analogue est produit sur le diamant.

La nature de toutes ces colorations est encore peu connue. Dans le cas des sels alcalins MM. Elster et Geitel ont cherché à expliquer la coloration par la mise en liberté du métal alcalin qui se trouve ensuite dans le sel à l’état de solution solide. Cette interprétation est basée sur ce fait que les sels alcalins colorés par les rayons cathodiques produisent d’une manière intense le phénomène photoélectrique (émission d’électricité négative par éclairement à la lumière ultraviolette), qui est aussi très facilement produit par les métaux alcalins.

Les colorations dues aux rayons du radium disparaissent lentement par l’action de la lumière et rapidement par l’action de la chauffe. On a vu que la thermoluminescence et la production de phosphorescence sont généralement accompagnées d’une coloration plus ou moins rapide de la substance soumise à l’action des rayons.

Tous les groupes de rayons produisent la coloration ; mais tandis que celle qui est produite par les rayons est peu profonde, l’effet des rayons pénétrants est plus homogène dans la masse de la substance.

La zone colorée due à l’action des rayons sur le verre, apparaît nettement limitée. Quand la matière active est au contact du verre, l’épaisseur de cette zone correspond bien au parcours des rayons dans le verre, tel qu’on peut le calculer (0mm,039 pour les rayons du radium)[48].

Certains minéraux (biotite, cordiérite, muscovite) contiennent des régions colorées, franchement limitées, nommées halos pléochroïques ; ces régions se forment autour de cristaux microscopiques inclus (zircone, apatite). Leur formation a été expliquée par l’action des rayons du radium contenu dans les cristaux[49]. Le halo peut se composer de zones successives qui correspondent à des rayons de parcours différents. On peut, par exemple, observer un halo constitué par une sphère intérieure sombre et par une couronne concentrique moins colorée, les rayons des deux surfaces sphériques (0mm,022 et 0mm,034) correspondant respectivement aux parcours du radium A et du radium C.

Le papier est altéré et coloré par l’action du radium. Il devient fragile, s’effrite et ressemble enfin à une passoire criblée de trous. Une action analogue a lieu sur les feuilles des plantes.

Dans certaines circonstances il y a production d’ozone dans le voisinage de composés très actifs. Les rayons qui sortent d’une ampoule scellée, renfermant du radium, ne produisent pas d’ozone dans l’air qu’ils traversent. Au contraire, une forte odeur d’ozone se dégage quand on ouvre l’ampoule. D’une manière générale l’ozone se produit dans l’air, quand il y a communication directe entre celui-ci et le radium. La communication par un conduit même extrêmement étroit est suffisante ; il semble donc que l’action de l’émanation du radium est efficace pour la production d’ozone et que l’action des rayons pénétrants ne l’est pas. Dans diverses expériences avec de l’émanation du radium, j’ai très souvent constaté une forte odeur d’ozone lors de l’ouverture d’un appareil où l’émanation avait séjourné pendant quelque temps. L’observation relative à la production d’ozone a été d’abord faite par Demarçay et a été confirmée ensuite par P. Curie[50]. Cette observation était très intéressante parce que l’on avait constaté ainsi pour la première fois que les corps radioactifs déterminent des réactions chimiques qui demandent une dépense d’énergie.

Diverses transformations chimiques qui se produisent sous l’action de la lumière ont aussi été obtenues par l’action des rayons du radium. Telles sont : la transformation de phosphore blanc en phosphore rouge par les rayons du radium, observée par H. Becquerel[51] ; la précipitation du calomel dans une solution de bichlorure de mercure en présence d’acide oxalique ; la mise en liberté d’iode dans une solution d’iodoforme dans du chloroforme[52] (action des rayons pénétrants) ; décomposition de l’acide iodique et de l’acide azotique[53], etc.

Les rayons du radium déterminent la coagulation de la globuline de la même manière que les ions métalliques des électrolytes liquides[54] ; l’effet est dû à l’action des rayons seulement, qui agissent en ce cas comme corpuscules de dimensions atomiques, portant une charge positive.

Les composés radifères semblent s’altérer avec le temps, sans doute sous l’action de leur propre radiation. On a vu (§ 43) que les cristaux de chlorure de baryum radifère qui sont incolores au moment du dépôt prennent peu à peu une coloration tantôt jaune ou orangée, tantôt rose ; cette coloration disparaît par la dissolution. Le chlorure de baryum radifère dégage des composés oxygénés du chlore : le bromure dégage du brome. Ces transformations lentes s’affirment généralement quelque temps après la préparation du produit solide, lequel, en même temps, change d’aspect et de couleur, en prenant une teinte jaune ou violacée. La lumière émise devient aussi plus violacée.

Les sels de radium purs semblent éprouver les mêmes transformations que ceux qui contiennent du baryum. Toutefois les cristaux de chlorure, déposés en solution acide, ne se colorent pas sensiblement pendant un temps qui est suffisant, pour que les cristaux de chlorure de baryum radifère, riches en radium, prennent une coloration intense.

Une solution de chlorure de radium pur contenue dans un vase de platine attaque celui-ci avec dissolution de platine ; cette réaction est probablement due à la mise en liberté de chlore dans la solution[55].

Les rayons pénétrants du radium déterminent la combinaison lente du chlore et de l’hydrogène, avec formation d’acide chlorhydrique ; cet effet est analogue à celui de la lumière[56].

Les substances radioactives sont capables de produire des effets chimiques qui demandent une dépense d’énergie. On en a vu un premier exemple dans la formation d’ozone aux dépens de l’oxygène de l’air. Mais un autre exemple très important peut être signalé ; c’est la décomposition de l’eau en présence des corps radioactifs. Cet effet a été constaté à la suite d’observations faites sur les dégagements des gaz en présence des sels de radium.

P. Curie et M. Debierne[57] ont constaté que si l’on a fait le vide sur un sel de radium contenu dans une ampoule, le vide ne se maintient pas, et la pression augmente par suite d’un dégagement de gaz par le composé de radium. M. Giesel[58] a observé qu’une solution de bromure de radium dégage des gaz d’une manière continue. Ces gaz sont principalement de l’hydrogène et de l’oxygène, et la composition du mélange est voisine de celle de l’eau ; on peut admettre qu’il y a décomposition de l’eau en présence du sel de radium. Le même effet est obtenu avec les solutions des autres sels solubles.

Les gaz qui se forment dans un sel solide (chlorure, bromure) remplissent les pores du sel et se dégagent abondamment quand on dissout celui-ci. On peut aussi les extraire au moyen d’une trompe à mercure, en chauffant le sel pour faciliter le dégagement. Le mélange de ces gaz contient aussi principalement de l’hydrogène et de l’oxygène.

Bien que le dégagement de gaz ne soit pas très rapide, il est cependant suffisant pour qu’il soit nécessaire d’en tenir compte pour le maniement et la conservation des sels de radium. On peut attribuer à des dégagements gazeux deux accidents qui se sont produits dans les expériences de P. Curie[59]. Une ampoule de verre mince scellée, remplie presque complètement par du bromure de radium solide, a fait explosion deux mois après la fermeture, sous l’effet d’un faible échauffement ; l’explosion était probablement due à la pression du gaz intérieur. Dans une autre expérience une ampoule, contenant du chlorure de radium préparé depuis longtemps, communiquait avec un réservoir d’assez grand volume dans lequel on maintenait un vide très parfait. L’ampoule ayant été soumise à un échauffement assez rapide vers 300o, le sel fit explosion ; l’ampoule fut brisée, et le sel fut projeté à distance ; il ne pouvait y avoir de pression notable dans l’ampoule au moment de l’explosion. L’appareil avait d’ailleurs été soumis à un essai de chauffage dans les mêmes conditions en l’absence du sel de radium, et aucun accident ne s’était produit.

Ces expériences montrent qu’il y a danger à chauffer du sel de radium préparé depuis longtemps, et qu’il y a aussi danger à conserver longtemps le radium en tube scellé.

M. Abbe[60] a décrit de même un accident où une ampoule scellée qui contenait 50mg de bromure de radium pur et desséché et qui était restée fermée pendant 3 mois, fit explosion violemment à la suite d’une pression légère exercée sur la pince qui la tenait ; le sel pulvérisé a été projeté à l’état de nuage. Il est vraisemblable que le sel n’était pas parfaitement sec dans cette expérience.

Les ampoules scellées contenant du sel de radium pur doivent être préparées avec beaucoup de soin. Le sel sec étant introduit dans l’ampoule, on laisse celle-ci longtemps à l’étuve avant de la fermer ; il est bon aussi de souder dans le verre de l’ampoule un fil de platine fin qui pénètre à l’intérieur et qui facilite la dissipation vers l’extérieur des charges électriques qui s’accumulent à l’intérieur de l’ampoule.

Les données quantitatives sur le volume des gaz dégagés en un temps donné par une quantité connue de radium sont peu précises. P. Curie a observé une production d’environ 0cm3,2 par gramme de bromure de radium et par heure ; la production observée par M. Ramsay[61] varie entre 0cm3,2 et 0cm³,4 par gramme et par heure, soit en moyenne environ 0cm3,3 par gramme de radium et par heure. M. Debierne[62] a obtenu 0cm3,54 de gaz tonnant par gramme de radium et par heure, comme résultat moyen de plusieurs expériences concordantes.

La production de gaz tonnant par le radium en solution est du même ordre de grandeur que celle qu’on obtiendrait, si le nombre des molécules d’eau, dissociées par les rayons émis, était égal au nombre d’ions que ces mêmes rayons peuvent produire dans l’air.

Les gaz dégagés par les sels de radium contiennent des traces de gaz hélium. Ce fait extrêmement important sera étudié dans la suite de ce Chapitre.

M. Debierne a montré que les solutions d’actinium donnent lieu à une production d’un mélange d’oxygène et d’hydrogène ; la production très régulière était évaluée à 0cm3,007 par heure pour la solution utilisée ; elle correspondait donc à celle qui aurait été obtenue avec 2cg, environ de radium.

Si les gaz dégagés proviennent de la décomposition de l’eau, la composition du mélange gazeux doit être celle du gaz tonnant ; toutefois l’analyse a montré que l’on constate toujours un excès d’hydrogène sur cette proportion. M. Ramsay a indiqué que cet excès est de 3 à 16 pour 100 ; il a donc une valeur importante. Quand on extrait par la chauffe le gaz occlus dans le bromure solide préparé depuis longtemps et fortement altéré dans son apparence et sa couleur, il peut même arriver que le gaz extrait soit presque entièrement de l’hydrogène. On peut donc se demander ce que devient l’oxygène qui a été formé. On peut penser que ce gaz a été utilisé pour la formation de composés oxygénés ; toutefois M. Ramsay n’a pu mettre en évidence dans la solution de bromure de radium ni la formation de brome, ni celle d’ozone ou d’eau oxygénée, ni celle d’un bromate.

M. Ramsay[63] a réalisé la décomposition de l’eau par l’action de l’émanation du radium. L’eau était contenue dans un ballon de verre dans lequel on introduisait de l’émanation ; les autres gaz étaient éliminés. Le ballon était alors scellé et conservé pendant un mois avec agitation fréquente. Après ce temps, M. Ramsay constatait dans le ballon la présence d’un mélange d’oxygène et d’hydrogène, dont le volume dans les diverses expériences était de 1cm3,8 à 4cm3, la quantité d’émanation employée étant égale environ à l’émanation saturée de 4mg, de radium. Dans le mélange il y avait un excès d’hydrogène de 3 à 14 pour 100 par rapport à sa proportion dans le gaz tonnant. L’examen de l’eau n’a pas révélé la présence de l’eau oxygénée,

La décomposition de l’eau en présence de l’émanation du radium constitue, d’après M. Ramsay, un phénomène réversible, et il y aurait en même temps recombinaison de l’hydrogène et de l’oxygène avec formation d’eau. Les gaz extraits d’une solution de sel de radium ont été séparés en deux portions ; l’une a été soumise à l’action de la décharge électrique, et l’on a observé un volume restant d’hydrogène d’environ 5,6 pour 100. L’autre portion dont le volume était 2cm3,12 a été conservée en tube scellé pendant un mois ; le volume après ce temps n’était plus que de 1cm3,48, il y a donc eu recombinaison de 30 pour 100 du mélange tonnant ; on a d’ailleurs constaté que l’excès d’hydrogène constituait 5 pour 100 du volume initial. L’expérience a été faite avec des gaz

Fig. 147.


desséchés, sous la pression d’environ 0,25 atmosphère.

La décomposition de l’eau en présence du radium et de son émanation ou de l’actinium apparaît comme le résultat de l’absorption de l’énergie des radiations émises, et il est naturel de supposer que l’énergie utilisée est principalement celle des rayons

M. Debierne[64] a montré que l’énergie des rayons pénétrants du radium est suffisante pour donner lieu à la décomposition de l’eau, l’effet étant cependant beaucoup plus lent que celui qui est obtenu par l’action du radium en solution. L’expérience était réalisée de la manière suivante :

Une ampoule de verre scellée, contenant une quantité importante de chlorure de radium pur, était placée dans un tube de verre plongeant dans de l’eau distillée (fig. 147) ; celle-ci était contenue dans un récipient de verre communiquant avec un manomètre à mercure. Les rayons agissant sur l’eau avaient déjà traversé le verre de l’ampoule et le verre du tube, soit une épaisseur totale d’environ 0mm,5. L’épaisseur d’eau autour du tube était de 1cm,2. Pour faire une expérience, on commençait par éliminer complètement l’air du récipient contenant l’eau, puis on plaçait l’ampoule à radium, et l’on observait la pression indiquée par le manomètre à des intervalles de temps déterminés. L’augmentation de pression était parfaitement régulière et presque exactement proportionnelle au temps. Dans une expérience ayant duré plusieurs mois, on a pu cependant observer vers la fin une légère diminution progressive du débit. Le dégagement s’arrêtait complètement lorsqu’on retirait l’ampoule à radium. Le gaz obtenu, mis en présence de cuivre et d’oxyde de cuivre chauffés et d’anhydride phosphorique, était complètement absorbé.

Le débit a été en moyenne de 0cm3,115 par jour et par gramme de radium, soit un peu moins de 1 pour 100 de celui de la solution de chlorure de radium. Si tout l’appareil est entouré d’une gaine de plomb de plusieurs centimètres d’épaisseur, le débit est un peu augmenté et l’augmentation est d’environ 5 pour 100. Cette augmentation du débit doit être attribuée à l’action des rayons secondaires émis par le plomb. La très légère diminution du débit qui se produit au bout d’un certain temps peut être attribuée à une absorption du gaz par des produits secondaires formés dans l’eau, ou à une petite recombinaison du mélange gazeux sous l’influence des rayons du radium.

Dans cette expérience, l’énergie nécessaire ne peut être empruntée qu’au rayonnement absorbé par l’eau. Cette énergie représente approximativement la dix-millième partie de l’énergie totale émise par le radium. Cependant comme les rayons sont complètement absorbés par le verre ainsi qu’une partie importante des rayons on peut penser que l’énergie du rayonnement, absorbée par l’eau, est seulement de l’ordre de 1 pour 100 de l’énergie totale. Il en résulte qu’environ 1 pour 100 de l’énergie absorbée par l’eau a été transformé en énergie chimique.

L’étude de la composition du gaz, mis en liberté par l’action des rayons du radium sur l’eau pure, a montré que ce gaz est constitué uniquement par de l’hydrogène et que l’oxygène est absent[65]. Par contre on constate après l’expérience la présence dans l’eau de petites quantités d’eau oxygénée, et en dosant celle-ci on arrive à rendre compte de l’utilisation de l’oxygène. La décomposition de l’eau par les rayons pénétrants semble donc se produire suivant la formule

Le même mode de décomposition a été observé pour l’action sur l’eau de la lumière ultraviolette émise par un arc au mercure.

Il est probable d’après ces résultats que la décomposition de l’eau en présence du radium est due surtout à l’action des rayons et, dans une mesure moindre, à l’action des rayons On peut d’ailleurs remarquer que l’énergie dégagée par le radium, mesurée par le dégagement de chaleur, est d’environ 118cal par gramme de radium et par heure : cette énergie correspond à la formation d’environ 55cm3 de gaz tonnant par heure ; la production réelle de gaz tonnant dans une solution de sel de radium est très éloignée de cette valeur, et n’en constitue qu’environ 1 pour 100. D’après les expériences de M. Ramsay, l’utilisation de l’énergie de l’émanation pour la décomposition de l’eau est bien meilleure. On verra plus loin que l’émanation saturée qui est en équilibre avec un gramme de radium peut dégager en tout une quantité de chaleur égale à 11 500cal environ (§ 161), ce qui correspond à la formation de 5700cm3 de gaz tonnant. Si l’émanation saturée de 4mg de radium peut fournir 4cm3 de ce gaz, l’énergie utilisée pour la réaction chimique constitue 17 pour 100 de l’énergie totale.

Il est facile de comprendre que la production de gaz tonnant, observée pour les solutions de radium, ne se soit pas montrée la même dans tous les cas. En effet, cette production doit dépendre de la manière dont les rayons sont utilisés, elle dépend donc du dispositif expérimental employé. D’ailleurs, les gaz naissants peuvent être soit utilisés pour des réactions chimiques, soit partiellement recombinés, soit occlus dans le liquide à l’état de dissolution sursaturée ; pour obtenir leur dégagement il est bon de faire bouillir le liquide, mais cette opération peut paraître dangereuse. Enfin il est possible que, même avec une absorption totale du rayonnement dans l’eau, l’énergie du rayonnement ne serait pas complètement utilisée pour la décomposition de celle-ci.

La décomposition de l’eau par l’action du polonium a été constatée par M. Curie et M. Debierne[66] ; la décomposition, doit être attribuée en ce cas, à l’action des rayons seulement.

Il n’est plus douteux que par l’action du radium on peut réaliser des réactions chimiques de nature diverse. On peut notamment utiliser l’émanation du radium, ce qui dispense de faire intervenir les propriétés chimiques des sels de radium. Des expériences à ce sujet ont été faites par MM. Ramsay et Cameron[67] ; les effets suivants ont été observés :

Décomposition du gaz carbonique en carbone, oxygène et oxyde de carbone. Décomposition de l’oxyde de carbone en carbone et oxygène avec formation de gaz carbonique. Décomposition du gaz ammoniac en azote et hydrogène, limitée par la réaction inverse. Décomposition de l’acide chlorhydrique en chlore et hydrogène ; nous avons vu que la réaction inverse se produit par l’action des rayons pénétrants. La décomposition de la vapeur d’eau à 130o sous l’action de l’émanation n’a pu être observée.

D’après MM. Ramsay et Cameron, la vitesse de réaction est proportionnelle à la quantité d’émanation présente, et diminue avec celle-ci en fonction du temps.

L’émanation du radium produit en présence de l’air des effets oxydants énergiques ; le mercure est attaqué, et sa surface est rapidement ternie ; il en est de même du cuivre. Les matières organiques sont oxydées. Les gaz extraits des solutions de sel de radium contiennent presque toujours des gaz carbonés qui proviennent probablement de l’oxydation de traces de matière organique ou de l’attaque de la graisse des robinets faisant partie de l’appareil. Il est possible que les phénomènes d’oxydation soient liés à la formation d’ozone.


157. Dégagement d’hélium par les corps radioactifs. — La présence constante de l’hélium dans les minéraux radioactifs est un fait qui avait été remarqué dès le début des recherches ayant en vue l’extraction des substances radioactives nouvelles. MM. Rutherford et Soddy, en formulant leur théorie de désintégration des éléments radioactifs, ont émis l’opinion que l’hélium peut constituer l’un des produits de cette désagrégation (1902). Peu de temps après, en 1903, MM. Ramsay et Soddy ont observé la production d’hélium en présence du radium, et cette découverte importante confirmée bientôt de divers côtés, a apporté un argument très sérieux en faveur de l’hypothèse d’après laquelle l’hélium se forme aux dépens du radium. Quelque temps après M.  Debierne observait la production d’hélium par l’actinium. Les travaux qui ont été effectués sur les rayons et qui sont dus principalement à M. Rutherford, ont prouvé que les particules émises par les corps radioactifs sont probablement toutes de même nature et sont constituées par des atomes d’hélium portant des charges positives.

D’après cela l’hélium doit être un des produits de désagrégation de tous les éléments radioactifs qui émettent des particules

Les nouveaux moyens de recherche fournis par la découverte des corps fortement radioactifs ont ainsi permis de pénétrer dans un domaine entièrement nouveau de la Chimie, où nous assistons à la formation d’un élément chimique ordinaire. Ce cas remarquable est encore le seul qui soit connu jusqu’à présent avec certitude, mais on peut espérer que de nouvelles découvertes pourront se produire et augmenter nos connaissances relatives à la structure des atomes.

La première expérience de MM. Ramsay et Soddy[68] a été faite avec les gaz extraits d’une solution de 30mg de bromure de radium, préparée depuis 3 mois ; ces gaz ont été soumis à l’action du cuivre et de l’oxyde de cuivre au rouge, ce qui a pour effet d’absorber l’oxygène et l’hydrogène ; la vapeur d’eau a été absorbée par de l’anhydride phosphorique ; le gaz restant a été refoulé dans un tube capillaire communiquant avec un tube en U très petit ; ce dernier étant immergé dans un bain d’air liquide, l’émanation s’y condensait ainsi que le gaz carbonique présent (fig. 71). En examinant alors le spectre du gaz dans le tube capillaire, on a pu observer la ligne jaune principale D3 de l’hélium. En répétant cette expérience avec les gaz accumulés pendant 4 mois dans une solution de même teneur en radium, on a observé le spectre presque complet de l’hélium.

Dans d’autres expériences on utilisait l’émanation saturée de 50mg de bromure de radium ; cette émanation était transportée avec de l’oxygène dans un petit tube en U refroidi dans l’air liquide ; on introduisait dans ce tube de l’oxygène, et l’on faisait le vide ; finalement le vide était fait sur l’émanation condensée. Quand on retirait l’air liquide, le spectre observé tout d’abord n’indiquait pas la présence d’hélium ; ce spectre présentait des raies inconnues qui ont été attribuées à l’émanation. Après 4 jours le spectre de l’hélium était apparu avec toutes ses lignes caractéristiques, indiquant que ce gaz s’était formé dans le tube qui contenait l’émanation.

Dans diverses expériences faites en vue de déterminer le volume de l’émanation, MM. Ramsay et Soddy ont pu observer la présence de l’hélium dans les gaz extraits de la solution du sel de radium. Un essai a été fait en vue de déterminer la quantité d’hélium obtenue ; pour cela le spectre de l’hélium extrait de la solution de bromure de radium était comparé au spectre observé avec une quantité connue d’hélium contenu dans un tube semblable. MM. Ramsay et Soddy ont conclu que la quantité d’hélium formée était de 20mm3 par gramme de radium et par an.

Les belles expériences de MM. Ramsay et Soddy ont été répétées par d’autres expérimentateurs, et le fait fondamental de la production d’hélium a été confirmé de divers côtés.

P. Curie et M. Dewar[69] ont placé 0g,4 de bromure de radium dans un tube de quartz et ont fait le vide parfait sur le sel en fusion. Le tube a été ensuite scellé sous le vide. Après 20 jours le spectre du gaz contenu dans le tube a été examiné par M. Deslandres qui a observé le spectre complet de l’hélium. La lumière émise par le tube donnait un spectre continu.

MM. Himstedt et Meyer[70] ont fait des expériences avec du radium enfermé dans le vide dans un tube scellé ; l’apparition du spectre de l’hélium a été également observée dans leurs expériences.

M. Debierne[71] a opéré avec 0g,1 environ de bromure de radium. La solution de ce sel était contenue dans un vase de verre ; on la faisait bouillir pour extraire les gaz formés. Un tube en U rempli de mercure (fig. 73) séparait la solution de l’appareil d’absorption. Le vide étant fait dans ce dernier, on laissait descendre le mercure, et on laissait pénétrer les gaz dans l’appareil qui contenait du cuivre et de l’oxyde de cuivre pour l’absorption de l’oxygène et de l’hydrogène, de l’anhydride phosphorique pour l’absorption de la vapeur d’eau, du lithium pour l’absorption de l’azote. Quand l’absorption était achevée, on laissait monter le mercure dans l’appareil d’absorption, et l’on refoulait le résidu gazeux non absorbé dans un tube capillaire sous forme de fourche ; la moitié du gaz était réservée pour l’étude du spectre ; l’autre moitié pour la mesure du volume. La production de gaz tonnant et d’hélium s’est montrée proportionnelle au temps. La production d’hélium par an et gramme de radium était évaluée à 33mm3 environ. Ce nombre, supérieur à celui de MM. Ramsay et Soddy, est encore très inférieur à la valeur prévue par M. Rutherford, et il y a lieu de penser qu’en opérant avec des solutions on n’extrait qu’une partie de l’hélium produit, la plus grande partie restant occluse dans la paroi de verre du vase qui contient la solution.

M. Debierne a montré que l’actinium donne également lieu à un dégagement d’hélium. Le dégagement de gaz tonnant et d’hélium s’est montré régulier ; la proportion d’hélium par rapport au gaz tonnant était moitié moindre que dans les expériences avec le radium.

M. Dewar[72] a fait une détermination de la quantité d’hélium produite par le radium en un temps donné. L’expérience a été faite avec un sel solide. Il y a à cela un grand avantage, parce que l’émanation, au lieu de se répandre dans le récipient qui contient le radium, reste occluse dans le sel, et il en est de même de la plus grande partie de l’hélium produit, les particules se trouvant émises dans la masse du sel et étant en forte proportion absorbées par celui-ci. En chauffant ensuite le sel on obtient le dégagement de l’hélium occlus. On employait 70mg de chlorure de radium pur (poids atomique du métal, 226) ; ce sel était contenu dans une petite ampoule placée dans un récipient de verre muni d’un tube en U contenant un gramme de charbon de noix de coco ; le récipient était aussi relié à une ampoule contenant une plus grande quantité de charbon. On faisait le vide dans tout l’appareil et l’on immergeait la plus grande des ampoules à charbon dans l’air liquide, pendant que l’ampoule à radium et la petite ampoule à charbon étaient chauffées ; on obtenait ainsi après quelque temps un vide très parfait, et alors on séparait l’ampoule à charbon froide de l’appareil. La petite ampoule à charbon étant constamment maintenue dans un bain d’air liquide, pour déterminer l’absorption de gaz étrangers qui auraient pu se former, on mesurait l’augmentation de pression dans le récipient, en fonction du temps, l’ampoule à radium étant chauffée au rouge faible pour chaque observation afin de faciliter le dégagement de l’hélium occlus. Pendant un temps voisin de 40 jours une production continue d’hélium a été constatée. Cette production était régulière ; elle était évaluée à 0mm3,50 par gramme de radium et par jour, La pureté du gaz a été contrôlée par l’apparence de son spectre ; on n’y voyait, en dehors des raies de l’hélium, que celles du mercure, et l’on pouvait constater la présence d’une trace de gaz carbonique. Dans une autre expérience, la quantité d’hélium accumulée pendant 9 mois dans le sel de radium a été mesurée : le nombre obtenu correspond à une production d’hélium de 0mm3,46 par gramme de radium et par jour.

La production d’hélium par an et par gramme de radium, d’après les expériences de M. Dewar (environ 170mm3), est en accord avec la valeur 158mm3, prévue par M. Rutherford à la suite de la détermination expérimentale du nombre des particules émises par le radium (§ 134). L’accord entre la théorie et l’expérience pour des mesures aussi délicates est tout à fait remarquable.

La production d’hélium, étant considérée comme résultant de l’émission de particules doit être une propriété commune à toutes les substances radioactives qui donnent lieu à une telle émission. Cette production a été récemment mise en évidence pour le polonium[73]. Le polonium était en solution, et les particules émises étaient presque entièrement absorbées dans le liquide. L’hélium contenu dans les gaz dégagés était séparé par la méthode de M. Debierne. Le volume d’hélium obtenu (1mm3,3) était en bon accord avec celui qu’on pouvait prévoir d’après l’activité du produit.

M. Soddy[74] a réussi à prouver la production d’hélium par l’uranium et le thorium. Cette production est nécessairement très faible, ainsi qu’on peut en juger d’après l’émission de rayons par l’uranium et le radium. En comparant l’activité de ces deux éléments dans des conditions où la couche radiante est assez mince pour ne pas donner lieu à une absorption appréciable, on trouve que l’ionisation produite par le rayonnement d’un gramme de radium au minimum d’activité est à l’ionisation produite par le rayonnement d’un gramme d’uranium dans le rapport 1,3.106. Les parcours des particules du radium et de l’uranium étant peu différents, ce nombre mesure aussi le rapport des nombres des particules émises pendant le même temps. Par conséquent un gramme d’uranium émet par an une quantité d’hélium 5,2.106 fois plus petite que celle qui est émise par un gramme de radium en équilibre radioactif, soit environ 3.10-8 centimètre cube. Le dispositif expérimental permettant de voir une quantité d’hélium égale à 10-6 centimètre cube, la production d’hélium devait pouvoir être décelée en quelques mois avec la quantité de matière employée, égale à 350g environ. Pour le thorium on peut prévoir une production du même ordre.

La solution d’uranium ou de thorium était enfermée dans un récipient dans lequel on avait fait un vide aussi parfait que possible ; on faisait bouillir la solution pour en chasser les gaz ; les gaz autres que ceux de la famille de l’argon étaient absorbés par le calcium porté à une température voisine de celle de la volatilisation. On a constaté qu’après 35 jours on ne pouvait encore apercevoir les raies de l’hélium dans le spectre du résidu gazeux provenant de la solution de thorium, mais après 203 jours on observait dans ce spectre la présence de la raie jaune de l’hélium avec les raies très fortes de l’argon. La production d’hélium par le thorium était évaluée comme étant de l’ordre de 2.10-12 gramme d’hélium par gramme de thorium et par an. En employant 1850g d’uranium (4kg de nitrate d’urane), M. Soddy a trouvé que l’hélium peut être observé après 27 jours mais non après 12 jours d’accumulation ; la production était évaluée d’après cela à 2.10-12 gramme d’hélium par gramme d’uranium et par an. Les nombres trouvés sont du même ordre que le nombre prévu qui est égal à 5,3.10-12 gramme d’hélium par gramme d’uranium et par an.

La production d’hélium par des atomes radioactifs variés prouve que l’atome d’hélium est probablement l’un des constituants fréquents des atomes plus complexes, l’un des éléments qui entrent dans la constitution des édifices atomiques. On peut d’ailleurs remarquer que la différence de 4 unités se rencontre fréquemment entre deux poids atomiques.

La destruction de l’atome de radium est accompagnée de l’émission de 4 faisceaux de particules qui contiennent probablement le même nombre de particules. Ces 4 faisceaux correspondent aux 4 transformations atomiques successives de l’atome de radium en atome d’émanation, de radium A et de radium C. La série de ces transformations rapides est suivie de la formation de polonium qui émet aussi des particules et qui en se détruisant ne laisse aucun résidu actif. Il est donc possible que la série des transformations du radium s’arrête à une matière inactive qui résulte du polonium. Si l’on admet que la destruction de chacun des atomes intermédiaires comporte l’émission d’une seule particule et qu’aucun autre fragment d’atome n’est détaché, alors la différence entre les poids atomiques du radium et de l’atome résultant est égale à  ; cet atome aurait donc un poids égal à M. Rutherford a supposé que l’atome résultant pourrait être le plomb, dont la présence dans les minéraux radioactifs peut toujours être constatée.

Le poids atomique de l’uranium est 239 ; on verra plus loin que, selon toute probabilité, le radium dérive de l’uranium par une série de transformations atomiques. La différence entre les poids atomiques de ces corps étant 12,5, la transformation peut se faire par l’émission de trois particules On sait actuellement que le parent direct du radium, l’ionium. émet des rayons l’uranium en émet également ; mais on ne sait pas quelle est la provenance de la troisième particule. Il est possible que l’atome d’uranium émette deux particules lors de sa destruction, et cette supposition est d’accord avec l’activité relative de l’uranium dans les minéraux (§ 212). Toutefois, il est possible aussi que l’uranium contienne un élément radioactif dérivant de lui et très voisin par ses propriétés chimiques, et que l’une des particules soit attribuable à cet élément.


158. Essais de transformations atomiques par l’action des corps radioactifs. — À la suite des belles recherches de M. Ramsay sur la production d’hélium par le radium, plusieurs autres expériences ont été faites par le même savant, en collaboration avec M. Cameron, pour examiner si d’autres éléments que l’hélium pouvaient être produits. Les résultats obtenus semblaient extrêmement importants, toutefois ils n’ont pas été confirmés et ne peuvent être considérés comme établis.

MM. Ramsay et Cameron[75] ont étudié l’action de l’émanation du radium sur l’eau pure et sur les solutions des sels de cuivre. Ils ont cru pouvoir conclure de leurs expériences qu’en présence de l’eau, l’émanation ne forme pas d’hélium, mais seulement du néon, et qu’en présence de solutions de sels de cuivre il ne se forme pas d’hélium, mais surtout de l’argon avec un peu de néon. De plus, en présence du cuivre il y aurait formation de petites quantités de métaux alcalins : sodium, potassium et lithium. MM. Ramsay et Cameron avaient admis que dans ces conditions on ne saurait considérer l’hélium comme résultant de la projection de particules et que l’émanation se détruit d’une manière qui dépend des corps avec lesquels elle se trouve en présence ; suivant le degré de sa dégradation elle peut produire de l’argon, du néon ou de l’hélium. La dégradation est d’autant moins complète que le travail chimique demandé à l’émanation est plus grand ; en agissant sur le cuivre, l’émanation lui fait subir une dégradation en éléments de sa famille, de poids atomique inférieur : potassium, sodium, lithium.

Les résultats signalés paraissaient d’une importance fondamentale. En effet, dans la manière de voir généralement admise, l’hélium était produit par l’émanation du radium indépendamment de toute intervention de l’expérimentateur, et son identité avec les particules paraissait très probable bien qu’elle ne fût pas encore démontrée d’une manière aussi probante qu’actuellement. La conception de MM. Ramsay et Cameron était contraire à l’opinion généralement établie au sujet des phénomènes radioactifs, d’après laquelle ces phénomènes ne semblaient pas pouvoir être influencés par les conditions de l’expérience et semblaient échapper totalement à l’influence de toute intervention étrangère. Il était donc très important de décider si les phénomènes signalés avaient lieu effectivement, car leur confirmation nécessitait un changement profond des théories de la radioactivité.


Voici en quoi consistent les expériences principales :


1o Action de l’émanation du radium sur les solutions des sels de cuivre. — Une solution de sel de cuivre (sulfate ou azotate) est placée dans un petit ballon de verre dans lequel on introduit une forte quantité d’émanation qu’on laisse s’y détruire spontanément. Ensuite on sépare le cuivre ; la solution restante est évaporée à sec et l’on examine le résidu. Les mêmes opérations sont effectuées avec une solution du même sel de cuivre qui n’a pas subi l’action de l’émanation. Les expériences ont été répétées plusieurs fois. Le résidu consistait surtout en sel de sodium (avec un peu de potassium et de calcium) ; dans les quatre expériences décrites, où l’on a fait agir l’émanation, la présence du lithium était observée à l’aide du spectroscope ; dans les expériences témoins, le résidu était notablement inférieur, et l’on ne constatait pas la présence du lithium. MM. Ramsay et Cameron ont fait un essai de détermination de la quantité de lithium observée et ont indiqué la présence d’environ 0mg,00017 de lithium dans le résidu qui pesait 1mg,67 pour 0g,27 de cuivre employé (0g,815 d’azotate de cuivre), tandis que dans l’expérience témoin correspondante le résidu était seulement de 0mg,79.

2o Gaz obtenus par l’action de l’émanation sur l’eau et sur d’autres liquides. — Les expériences étaient faites dans un ballon de quartz de 5cm à 6cm de volume. L’émanation était introduite dans ce ballon avec de l’hydrogène ; le ballon étant plongé dans un bain d’air liquide, on enlevait l’hydrogène et l’hélium en faisant le vide parfait, tandis que l’émanation restait condensée. Le ballon était alors fermé, et on laissait l’action se produire ; après quelque temps on extrayait les gaz formés et on les examinait. Quand le liquide employé est l’eau, la composition des gaz est, par exemple, la suivante :

                                                  xxxcm3
H2 
8,84
O2 
3,51
Az + CO2 
0,29

12,64

La partie du gaz considérée comme étant principalement de l’azote était soumise à l’absorption par le charbon refroidi dans un bain d’air liquide. Le résidu gazeux obtenu donnait le spectre de l’hélium et du néon, les deux gaz étant en quantité comparable et occupant un volume de 0mm3,8. L’argon était certainement présent dans le gaz avant l’absorption, mais comme MM. Ramsay et Cameron ne pensaient pas avoir pu éviter complètement toute rentrée d’air dans l’appareil d’expérience, ils n’attachaient pas d’importance à la présence de ce gaz qui est relativement abondant dans l’atmosphère. Par contre ils considéraient comme certain que le néon est produit par l’émanation. Avec des liquides autres que l’eau la présence de néon n’a pu être constatée. Dans les gaz extraits des solutions de sels de radium on constatait la présence d’hélium et de néon.

Des expériences ont été faites en vue de vérifier les résultats de MM. Cameron et Ramsay. Si en présence du radium, le cuivre donne lieu à la formation de lithium, on peut espérer de trouver du lithium dans les minéraux du radium qui contiennent du cuivre. Les recherches faites à ce sujet ont mis en évidence la présence du lithium dans les minéraux radioactifs[76],[77] (chalcolite, autunite, pechblende, etc.). Toutefois en dosant le lithium dans les minéraux au moyen du spectroscope, on ne constate aucune relation entre les proportions de cuivre, de radium et de lithium ; de plus la gangue dans laquelle se trouvent les cristaux est souvent plus riche en lithium que le minéral lui-même ; si donc le lithium est présent à l’état de trace, on ne peut affirmer que cette trace n’appartient pas à la gangue plutôt qu’au minerai. On constate, par exemple, que la thorite qui ne contient presque pas de cuivre contient beaucoup de lithium, que l’autunite qui ne contient pas de cuivre contient incontestablement du lithium ; il en est de même de la gummite. La chalcolite contient beaucoup de cuivre, et à peine une trace de lithium qui peut provenir de la gangue. Ces résultats n’apportent donc aucune confirmation des expériences de M. Ramsay.

En collaboration avec Mlle Gleditsch, j’ai cherché à reproduire les expériences de MM. Ramsay et Cameron sur les solutions des sels de cuivre dans des conditions de sécurité aussi grandes que possible[78]. L’expérience est, en effet, délicate et comporte plusieurs causes d’erreur dont la principale est l’emploi d’un vase de verre, ainsi que M. Ramsay l’a fait remarquer lui-même.

Nos expériences préliminaires ont montré qu’il est extrêmement difficile d’avoir des produits chimiques exempts de lithium. On en trouve dans l’eau distillée, dans presque tous les réactifs ; si un réactif n’en contient pas et qu’on le laisse séjourner dans un vase de verre, il en contient des traces après quelque temps. L’expérience suivante a été faite : l’eau qui a été distillée dans un alambic en platine et conservée dans une bouteille de platine ne laisse aucun résidu visible après évaporation de 250cm3 dans une capsule de platine, et la dernière goutte résultant de la concentration ne donne pas le spectre du lithium. Mais si de l’eau obtenue de la même manière est conservée dans un flacon de verre pendant 24 heures, on peut constater après évaporation l’existence d’un petit résidu constitué principalement par un sel de sodium, mais contenant aussi une trace de lithium.

Il était indispensable de remplacer le verre par une autre matière. Cependant il est également dangereux d’employer le quartz, parce que les vases de quartz du commerce contiennent du lithium. Quand on traite par de l’acide fluorhydrique exempt de lithium un débris d’une capsule de quartz opaque et un morceau d’un tube de quartz transparent, on obtient un résidu qui contient du lithium en proportion notable ; le quartz transparent en contient bien plus que le quartz opaque.

L’expérience a donc été faite dans un récipient en platine, et le dispositif expérimental était tel que la solution de sel de cuivre ne se trouvait à aucun moment en contact avec le verre de l’appareil. L’eau et les acides nécessaires pour l’expérience étaient redistillés dans un alambic en platine et conservés dans des bouteilles en platine. Le sel de cuivre a été soigneusement purifié par cristallisation, afin d’éliminer autant que possible le lithium qui s’y trouve toujours en quantité notable. L’émanation utilisée était fournie par une solution contenant 0g,19 de radium, et l’émanation introduite dans l’appareil était mesurée directement par le rayonnement pénétrant du récipient. Le volume du récipient était de 13cm3, et le volume de la solution de sulfate de cuivre était de 7cm3. Deux expériences ont été faites, en même temps que deux expériences témoins sur une solution qui n’a pas subi l’action de l’émanation. Après l’expérience, le cuivre était séparé ; le résidu de l’évaporation du liquide était pesé et étudié au spectroscope. Bien que la quantité de cuivre employée ait été voisine de celle employée par M. Ramsay, et que la quantité d’émanation utilisée ait aussi été approximativement la même, les résidus finalement obtenus ont été beaucoup plus faibles (0g,0004 et 0g,0005 pour les expériences directes et de 0g,0003 et 0g,0002 pour les expériences témoins). L’examen spectroscopique a montré que le résidu contient principalement du sodium et un peu de potassium ; la présence de lithium n’a pu être constatée. Par comparaison avec des solutions contenant du lithium en proportion connue, on a pu juger que la quantité de métal lithium présente était inférieure à 0,6.10-5 milligramme. Avec les mêmes quantités de cuivre et d’émanation, MM. Ramsay et Cameron ont indiqué la présence de 1,7.10-4 milligramme de lithium. La différence des poids des résidus obtenus par nous dans les expériences directes et les expériences témoins est très faible (0mg,1 à 0mg,3) ; elle s’explique probablement par le fait que, dans l’expérience faite avec l’émanation, la rentrée de celle-ci peut amener l’introduction de traces de matières étrangères. Dans l’expérience la plus complète de MM. Ramsay et Cameron cette même différence est 0mg,88 et peut être attribuée à l’attaque plus énergique du verre par la solution en présence de l’émanation. Les résultats de MM. Ramsay et Cameron n’ont donc pas été confirmés et doivent être attribués à l’attaque des vases sous l’action de l’émanation,

MM. Rutherford et Royds[79] ont entrepris l’examen des gaz qui se forment dans un récipient contenant de l’eau et de l’émanation du radium. La principale cause d’erreur, relativement à la production de néon, consiste en ce fait que le néon se trouve en petite proportion dans l’air atmosphérique ; la réaction spectrale du néon dans le mélange des gaz inertes de l’air n’est pas sensible parce que son spectre est masqué par celui de l’argon ; mais quand l’argon est absorbé par le charbon à la température de l’air liquide, la sensibilité de la réaction spectrale du néon est considérablement augmentée. Une expérience directe a montré qu’on peut découvrir le néon provenant de l’introduction dans l’appareil d’expérience de de centimètre cube d’air, et qu’avec le néon provenant de de centimètre cube d’air on obtient le spectre presque complet et brillant. La quantité de néon qui peut être observée représente 10-6 centimètre cube.

Les expériences étaient faites avec 2cm3 d’eau dans un ballon de verre de 4cm3 de volume. Le vide parfait étant fait sur l’eau congelée, on introduisait dans le ballon l’émanation purifiée de 0g,150 de radium. Après 3 jours on plongeait le ballon dans l’air liquide, et l’on séparait les gaz non condensables dont le volume était environ 4cm3. L’hydrogène était éliminé par explosion avec de l’oxygène introduit en faible quantité ; le résidu gazeux privé de gaz condensables, au moyen de charbon maintenu à la température de l’air liquide, était examiné au spectroscope ; ce résidu était constitué par de l’hélium, et aucune raie du néon n’était observée. En introduisant alors dans l’appareil le résidu gazeux de 0cm3,1 d’air après absorption par le charbon, on constatait que, dans le mélange d’hélium et de néon, les spectres des deux gaz étaient visibles avec un éclat comparable, ce qui prouve que la présence de l’hélium ne masque pas celle du néon.

MM. Rutherford et Royds ont conclu de leurs expériences que la quantité de néon qui pouvait être présente avec l’hélium était certainement inférieure à 1 pour 100 du volume gazeux. Ils n’ont pas constaté non plus la présence de néon dans les gaz provenant d’une solution de 0g,2 de radium dans l’eau, et ils ont attribué les résultats obtenus par MM. Cameron et Ramsay à la rentrée d’air dans leur appareil d’expérience.

Dans plusieurs expériences, faites sur les gaz extraits des solutions de sel de radium, M. Debierne n’a jamais observé la présence du néon dans le résidu gazeux obtenu après absorption des gaz autres que l’hélium. L’appareil utilisé ne comportait pas de robinets dans sa partie essentielle, et quand le vide avait été fait très complètement, aucune rentrée d’air n’était possible ni pendant l’accumulation, ni pendant l’absorption des gaz.

Ces expériences montrent qu’il est très difficile de prouver la production dans l’appareil d’expériences de l’un des gaz inertes qui se trouvent dans l’atmosphère.

À la suite d’expériences plus récentes, MM. Ramsay et Gray ont annoncé la production de gaz carbonés dans des solutions de sels de thorium, de zirconium, etc., soumises à l’action de l’émanation du radium[80]. La production de gaz carbonés ayant toujours lieu en présence de l’émanation et de traces de matières organiques, il est difficile de prouver que le carbone a été produit par une transformation atomique.

En résumé, on peut considérer qu’il n’y a pas encore actuellement de raisons suffisantes pour admettre que la formation de certains éléments puisse être provoquée à volonté en présence de corps radioactifs. La production d’hélium reste acquise ; mais elle est reliée à une propriété essentielle des éléments radioactifs et n’est pas influencée par l’intervention de l’expérimentateur.


159. Effets physiologiques. — Les rayons du radium exercent une action sur l’épiderme. Cette action a été d’abord observée par M. Walkhoff[81] et confirmée ensuite par M. Giesel[82] par H. Becquerel et P. Curie[83].

Si l’on place sur la peau une capsule en celluloïd ou en caoutchouc mince, renfermant un sel de radium très actif, et qu’on l’y laisse pendant quelque temps, une rougeur se produit sur la peau, soit de suite, soit au bout d’un temps qui est d’autant plus long que l’action a été plus faible et moins prolongée ; cette tache rouge apparaît à l’endroit qui a été exposé à l’action ; l’altération locale de la peau se manifeste et évolue comme une brûlure ; dans certains cas il se forme une ampoule. Si l’exposition a été prolongée, il se produit une ulcération très longue à guérir. Dans une expérience, P. Curie a fait agir sur son bras un produit radiant relativement peu actif pendant 10 heures ; la rougeur se manifesta de suite, et il se forma plus tard une plaie qui mit 4 mois à guérir ; l’épiderme a été détruit localement et n’a pu se reconstituer à l’état sain que lentement et péniblement avec formation d’une cicatrice très marquée. Une brûlure au radium avec exposition d’une demi-heure apparut au bout de 15 jours, forma une ampoule et guérit en 15 jours. Une autre brûlure, faite avec une exposition de 8 minutes seulement, occasionna une tache rouge qui apparut au bout de 2 mois seulement, et son effet fut insignifiant.

L’action du radium sur la peau peut se produire à travers les métaux, mais elle est affaiblie. Pour se garantir de l’action, il faut éviter de garder trop longtemps le radium sur soi autrement qu’enveloppé dans une feuille de plomb. Les brûlures complètement guéries peuvent laisser subsister des taches rouges qui de temps en temps redeviennent sensibles, ainsi que cela m’est arrivé. Les extrémités des doigts peuvent devenir rouges et douloureuses et subir la desquamation.

Aussitôt après la découverte de l’action physiologique des rayons du radium, on a cherché à en réaliser des applications médicales. Les premiers essais à ce sujet ont été faits par le Dr Danlos, à l’hôpital Saint-Louis, en vue d’utiliser les rayons du radium, comme procédé de traitement de certaines maladies de la peau, procédé comparable au traitement par les rayons Röntgen ou la lumière ultraviolette. Le radium donne à ce point de vue de très bons résultats ; son action est plus profonde que celle de la lumière, et son emploi est plus facile que celui de la lumière ou des rayons Röntgen. L’étude des conditions de l’application est nécessairement un peu longue, parce qu’on ne peut se rendre compte immédiatement de l’effet de l’application.

M. Giesel a remarqué l’action du radium sur les feuilles des plantes. Les feuilles soumises à l’action jaunissent et s’effritent.

M. Giesel a également découvert l’action des rayons du radium sur l’œil[84], Quand on place dans l’obscurité un produit radiant au voisinage de la paupière fermée ou de la tempe, on a la sensation d’une lumière qui remplit l’œil. Ce phénomène a été étudié par MM. Himstedt et Nagel[85]. Ces physiciens ont montré que tous les milieux de l’œil deviennent fluorescents par l’action du radium, et c’est ce qui explique la sensation de lumière perçue. Les aveugles, chez lesquels la rétine est intacte, sont sensibles à l’action du radium, tandis que ceux dont la rétine est malade n’éprouvent pas la sensation lumineuse due aux rayons.

Les rayons du radium empêchent ou entravent le développement des colonies microbiennes, mais cette action n’est pas intense[86].

Les rayons du radium agissent énergiquement sur la moelle et sur le cerveau. Après une action d’une heure, des paralysies se produisent chez les animaux soumis aux expériences, et ceux-ci meurent généralement au bout de quelques jours[87].

M. Bohn[88] a montré que l’action des rayons se produit surtout sur les tissus en voie de formation.

L’émanation du radium à forte dose introduite dans les poumons des animaux produit des effets toxiques[89]. Mais l’émanation à faible dose peut produire des effets stimulants, ainsi que cela a été constaté dans le cas du développement des têtards. On a constaté de même que les rayons émis par le radium peuvent exercer une action stimulante sur la respiration des plantes.

La littérature relative aux effets physiologiques du radium est déjà considérable, et il ne serait pas possible de décrire ici tous les résultats obtenus. Au point de vue des applications médicales les recherches effectuées sont également très nombreuses, et il n’est pas douteux que le radium peut rendre en ce sens des services importants. Les résultats les mieux établis et couramment obtenus sont ceux relatifs au traitement des cancers superficiels, des lupus, des taches de lie de vin, des granulations des paupières.


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