Traité des aliments de carême/Approbation (Berthe)

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Jean-Baptiste Coignard (Tome Ip. i-iv).



APPROBATION DE M. BERTHE,

Docteur en Theologie de la Maison & Societé de Sorbonne, Bibliothecaire de la même Maison, ancien Recteur de l’Université de Paris, & Censeur Roïal des Livres.



Tel est le genie des hommes : Esclaves de leurs préjugez & de leurs passions ; ils en suivent les erreurs au hazard, sans en appercevoir les consequences. Un Chrêtien sensuel & moins éclairé attache sa vie à l’usage de la viande, & croit toute autre nourriture une source de corruption & de mort. Un Chrêtien plus spirituel, mais d’un goût singulier, transforme presque la viande en poison, & prête à de vils légumes une excellence & des delices qui les relevent infiniment au dessus du gras le plus exquis, & qui devroient captiver la délicatesse des Rois. Là c’est un aveuglement de sensualité, ici c’est un enthousiasme de zele ; l’un repugne à la charité de l’Eglise : l’autre deshonore sa sagesse. Quoi donc ! la plus sage & la meilleure des meres voudroit-elle sous le nom d’une severité salutaire, prescrire à ses enfans une abstinence meurtriere ? ou d’un autre costé, voudroit-elle caresser leur chair & la mieux nourrir pour en fortifier les convoitises ? Toûjours inspirée du celeste Epoux qui la dirige dans leur conduite, elle n’en veut point à leur vie, elle n’est ennemie que de leurs passions : pleine de tendres ménagemens pour leur santé, dont elle craint l’altération, bien plus la ruine, elle mesure leur pénitence à leur foiblesse ; & tout son but, lorsqu’elle les assujettit au maigre les jours de jeûne, c’est de rétablir l’ordre primitif, de ranger le corps sous le joug, en l’abbattant & l’affoiblissant avec modération, & de restituer par le même moïen, la force & l’empire à l’esprit. Le juste milieu qu’il y a donc à prendre, si l’on veut, comme l’on doit, soûtenir l’honneur du sage discernement de l’Eglise dans le choix des alimens du Carême, c’est de montrer qu’ils conviennent parfaitement à ses vûës & à nos besoins : qu’ils sont bons & innocens, mais qu’ils nourrissent & fortifient moins que ceux qu’elle nous défend dans ce saint temps d’expiation. C’est sur ce plan-là qu’a déjà écrit le judicieux Auteur du Regime, Ouvrage applaudi & goûté des maîtres de l’Art. C’est sur le même plan qu’il nous donne aujourd’hui l’excellent Ouvrage que voici, de plus de moitié plus riche que le premier, & par consequent plus précieux. En développant son sujet, il en fait sortir la lumiere de tous côtez, & nous apprend à démêler en mille choses qui interessent notre vie, le bon d’avec le mauvais, & le moins sain de ce qui l’est plus : avec de nouvelles forces il revient à la charge contre le Traité des Dispenses, & loin d’en laisser aucune partie à couvert des vifs & justes traits de sa censure, il frappe par tout plus fortement qu’il n’avoit fait : plus convaincu que jamais de la necessité des dissolvans, il retombe à coups redoublez sur la trituration, & acheve d’en pulveriser le sistême. Point indisposé contre les viandes de Carême, il en explique dans un beau détail, les principes & les qualitez : il avertit des dangers, sans oublier les précautions ; & conservant au maigre son innocence, il se contente d’en rabattre les vains triomphes, & de se joüer agréablement des raisonnemens & des exemples dont on les appuïe. Tout équitable à l’égard du gras, il rend, il confirme à ses sucs & leur vertu, par le suffrage même de la nature, la superiorité de bonté qu’on leur avoit voulu ôter par de faux titres ; & l’idée avantageuse sous laquelle il le represente, non plus que le bien qu’il en donne à esperer, ne va point jusques à dissimuler le mal qui en est à craindre. Il justifie pleinement de l’accusation de gras, les Amphibies usitez en Carême ; & s’interessant à la reputation des ordres de l’Eglise les plus pénitens, il renvoïe avec honneur à l’abstinence de leurs tables, ces animaux qu’injustement on y trouvoit scandaleux. Il prouve, il convainc sur l’article des Assaisonnemens, qu’on outre également la loüange & le blâme du maigre ; & pour éviter ces extrémitez, lorsque le maigre devient nuisible, il enseigne les moïens d’en adoucir l’usage, ce qu’il fait avec une reserve édifiante : de-là il passe à la discussion des Dispenses ; mais, dés l’entrée, il attaque des maximes qui lui paroissent neuves & tout-à-fait rares par leur nouveauté. Il se plaint qu’on attribue au jeûne la vertu de prolonger les jours, qui appartient à la sobrieté. Il trouve étrange qu’on croïe le jeûne le plus rigoureux incapable d’alterer la santé ; & plus inoüi encore d’avancer, que l’aïant bonne, mais occupée de violens exercices, on puisse selon les forces ordinaires, se passer pendant quatorze jours de tout aliment sans devenir malade : il montre ensuite qu’on est quelquefois aussi relâché qu’on affecte de paroître rigide, & là-dessus il rappelle la permission de trois ou quatre petits repas les jours de jeûne, laquelle lui semble assez commode, & d’une morale à ne pas déplaire à la dévotion aisée ; il conteste, & peut-être avec raison, comme antidatee de quelque tems, l’obligation d’un jeûne exact, dont on fixeroit l’Epoque à l’âge de 12. à 14. ans selon la difference des sexes : moins décisif où la retenuë sied bien, il s’abstient de prononcer d’un ton de Maître, & en termes si généraux ; il distingue dans certains états entre les personnes, & les oblige de jeûner, ou les en exempte avec un égal temperamment d’équité & de prudence : il combat le double paradoxe du travail sans dissipation d’esprits, & du grand travail sans plus grand besoin de nourriture ; il prend en partie la défense des femmes grosses & des nourrices, des graveleux, & des goûteux, sans leur être trop favorable ; & au sujet de la décadence de la discipline jusque dans le Sanctuaire & dans les grotes, il ne peut souffrir qu’on accuse de relâchement nos modelles de regularité, ni se resoudre d’entrer dans le dessein de ramener les Moines à l’eau pure, moins à cause de la difficulté qu’il prevoit d’y réüssir, que pour la dureté qu’il y auroit de l’entreprendre. Il reconnoît la lâcheté du commun des Chrétiens, il dit de cœur, beaux jours de la penitence ne reviendrez-vous jamais. Mais instruit que l’Eglise d’à présent est la même que celle de ces tems heureux, il ne se croit pas obligé d’encherir sur son zele, ni de s’élever contre les adoucissemans qu’elle tolere ; & au lieu d’assujettir ses regles saintes aux menües & subtiles discussion d’une Physique obscure & incertaine, il croit faire honneur à cette science de l’assujettir à ces regles, & il en reçoit pour fidelle interprette l’exemple des gens de bien les plus reguliers & les plus irreprochables. Aprés cela il examine les diverses sortes de boissons, & à ce sujet il traite plusieurs questions importantes ; il se récrie sur la peinture affreuse qu’on fait de la soif pour en ordonner la souffrance, & tout Medecin qu’il est, il n’est point si prévenu du merveilleux mérite de l’eau, principalement sur la sagacité & l’industrie qu’on met au nombre de ses présents, qu’il ne lui préfere l’usage moderé du vin trop de fois & trop hautement canonisé par la parole divine, pour qu’il soit permis d’en médire. Au reste l’Auteur toujours égal ou plûtôt superieur à lui-même dans la justesse de la critique, la force du raisonnement, dans l’étendue des lumieres, dans la pureté de l’expression, ne laisse rien à desirer au public dans les matieres qu’il touche, soit pour l’utilité, soit pour l’agrément ; & à mesure qu’il fatigue peut-être son pieux & sçavant adversaire en le menant à chaque pas aux prises avec lui-même, il dérobe à son Lecteur, par les attraits continuels d’un sens droit & pur, le pouvoir de se lasser. Enfin, sans s’ériger en Casuiste, ni pointillier non plus jusqu’à suspendre l’odorat de ses fonctions en Carême, & à trouver dans une legere pincée de tabac, ou dans un petit verre d’eau, une plaïe, un attentat à la Loi ; il nous fournit de bons principes pour décider solidement la plûpart des cas particuliers ou publics qu’on peut proposer sur l’abstinence & sur le jeûne. Fait en Sorbonne le 2. Mars 1713.


Berthe.


Les autres Approbations sont à la fin du Volume.