Traité des sièges et de l’attaque des places/13

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OBSERVATIONS À FAIRE
SUR LA RECONNAISSANCE DES PLACES.

Il y a présentement peu de places dans l’Europe, à notre portée, dont nous n’ayons des plans ; la plupart même sont imprimés et se vendent dans les boutiques des graveurs et libraires de Paris, avec privilége, notamment les nôtres. Pour peu qu’on en fasse rechercher, il se trouve toujours quelqu’un qui en a de celles des ennemis. Bien que la plupart soient fautifs et peu exactsUtilité des plans des places, même fautifs., on ne laisse pas de s’en aider, et d’en tirer des lumières qui ne sont pas inutiles ; c’est pourquoi je suis d’avis de ne les pas négliger, non plus que les cartes des environs.

On trouve encore moyen d’apprendre quelque chose de l’état des places par des gens du pays ; notamment par des ouvriers un peu intelligens, comme maçons, tailleurs de pierre, appareilleurs, terrassiers, entrepreneurs, etc. avec quelques libéralités. On peut encore introduire quelqu’un dedans qui, après y avoir demeuré quelque temps, vous apporte des nouvelles de ce que vous avez envie de savoir.

À tout ce qu’on peut apprendre de la sorte, à quoi il ne se faut pas trop fier, on doit y ajouter ce que l’on en peut découvrir par soi-même. C’est pourquoi il faut les reconnaître en personne, ou faire reconnaître par gens sûrs et intelligens ; ce qui se doit faire à petit bruit, de jour et de nuit.

De jour, on n’a pas la liberté de s’approcher de bien près, à moins qu’on ne le fasse presque seul, parce que les gardes avancées de la place, et le canon vous inquiètent quand vous êtes accompagné, et vous empêchent d’approcher.

Comment Vauban reconnaissait une place.Le mieux est d’avoir de petites gardes avancées derrière soi, cachées dans des haies ou dans quelque fossé, soutenues par d’autres un peu plus éloignées, à la faveur desquelles on s’avance seul ou très-peu accompagné ; c’est ce que j’ai presque toujours fait, et ce qui m’a bien réussi.

Ce sont de ces sortes de choses qu’il faut dérober comme on peut, et les revoir plusieurs fois.

Ces manières de reconnaître, n’instruisent guère que du chemin à tenir pour les attaques, du nombre et grandeur des bastions, cavaliers, demi-lunes, ouvrages à corne, redans, chemins couverts, etc., qui est toujours beaucoup. Mais s’il y a des fonds près de la place, et autres couverts qui vous puissent être bons à quelque chose, on a peine à les bien démêler, et d’ordinaire on ne les reconnaît que fort imparfaitement, non plus que les eaux dormantes et courantes qui sont près de la place.

Pour bien démêler tout ceci, il faut les reconnaître de nuit, bien accompagné, afin de les pouvoir approcher et toucher, comme on dit, du bout du doigt, ce qui ne se fait pas sans péril, et si on ne voit pas grand’chose ; mais le matinInstant le plus favo­rable pour découvrir ce qu’on veut voir. en se retirant peu à peu avec le jour, on découvre ce qu’on voulait voir d’une manière plus parfaite.

C’est en quoi il ne faut rien négliger, car d’une place bien reconnue vous en tirez de grands avantages.

Au surplus, ce n’est pas une chose aisée que de bien démêler le fort et le faible d’une place ; vous avez beau la reconnaître de jour et de nuit, vous ne verrez pas ce qu’elle renferme dans soi, si vous ne l’apprenez par d’autres ; c’est sur quoi il ne faut encore rien négliger.

L’ignorance de la nation sur l’attaque des places a été autrefois si grande, que j’ai vu mettre en question fort sérieusement, s’il n’était pas plus à propos d’attaquer une place par son fort que par son faible, et sur cela disputer du pour et du contre avec chaleur.

Il n’y a point de place qui n’ait son fort et son faible, à moins qu’elle ne soit d’une construction régulière, dont les pièces de même qualité soient toutes égales entre elles, et situées au milieu d’une plaine rase qui l’environne à perte de vue, et qui n’avantage en rien une partie plus que l’autre. Pour lors, on la peut dire également forte et faible partout ; et en ce cas il n’est plus question que d’en résoudre les attaques par rapport aux commodités, c’est-à-dire par le côté le plus à portée du quartier du roi, du parc de l’artillerie, des lieux dont on peut tirer des fascines et gabions, et des accès plus commodes. Mais comme il se trouve peu de places fortifiées de la sorte, et que presque toutes sont régulières en des parties, et irrégulières en d’autres par rapport à leurs fortifications presque toujours composées de vieilles et de nouvelles pièces, ou à quelque défaut ou avantage de la situation plus grand à un côté qu’à l’autre, ou de la campagne des environs, cela fait une diversité qui vous oblige à autant de différentes observations.

Développons ceci le mieux que nous pourrons,
la chose en vaut bien la peine.

Si la fortification d’une place a quelque côté situé sur un rocherFronts inat­taquables. de 25, 30, 40, 50 ou 60 pieds de haut, que ce rocher soit sain et bien escarpé, nous la dirons inaccessible par ce côté. Si ce rocher est battu au pied d’une rivière, ou d’eau courante ou dormante, ce sera encore pis. Si quelque côté en plein terrain est bordé par une rivière qui ne soit pas guéable et qui ne puisse se détourner, que ladite rivière soit bordée du côté de la place d’une bonne fortification capable d’en défendre le passage, on pourra la dire inattaquable par ce côté ; que si son cours est accompagné de prairies basses et marécageuses en tout temps, elle le sera encore davantage. Si ladite place est environnée d’eau et de marais qui ne se puissent dessécher, et si elle est en partie accessible par des Pièces à revers inac­cessibles ; sont à éviter.terrains secs qui bordent lesdits marais ; que ces avenues accessibles soient bien fortifiées, et qu’il y ait des pièces dans les marais qui ne soient pas abordables, et qui puissent voir à revers les attaques du terrain ferme qui les joint, ce ne doit pas être là un lieu avantageux aux attaques, attendu ces pièces inaccessibles, et qu’il faut pouvoir embrasser ce que l’on attaque. Si ladite place est toute environnée de terres basses et de marais, comme il s’en trouve aux Pays-Bas, et qu’elle ne soit abordable que par Place envi­ronnée de terres basses et de marais. Objets à considérer.des chaussées, il faut :

1o  Considérer si on ne peut point dessécher les marais, et s’il n’y a point de temps dans l’année qu’ils se dessèchent d’eux-mêmes, et en quelle saison ? En un mot, si on ne peut pas les faire écouler et mettre à sec.

2o  Si les chaussées sont droites ou tortues, enfilées en tout ou en partie de la place, et de quelle étendue est la partie qui ne l’est pas, et à quelle distance de ladite place ? quelle en est la largeur, et si on peut y tournoyer une tranchée en la défilant ?

3o  Si on peut asseoir des batteries dessus ou à côté sur quelque terrain moins bas que les autres, qui puissent croiser sur les parties attaquées de la place ?

4o  Voir si elles sont si fort enfilées qu’il n’y ait point de transversale peu considérable qui fasse front à la place d’assez près, et par quelqu’endroit qui puisse faire un couvert considérable contre, en relevant une partie de leur épaisseur sur l’autre, et à quelle distance de la place elle se trouve ?

5o  Si des chaussées voisines l’une de l’autre, qui aboutissent à ladite place, se joignent, et en quel endroit ? et si étant occupées par les attaques, elles se peuvent entre-secourir par des vues de canon croisées, ou en revers sur des pièces attaquées ?

Et 6o  de quelle nature est le rempart de la place et de ses dehors ? si elle a des chemins couverts ? si les chaussées qui les abordent y sont jointes ? et s’il n’y a point quelque-avant-fossé plein d’eau courante ou dormante qui les sépare ? Où cela se rencontre, nous concluons qu’il ne faut jamais attaquer par là, pour peu qu’il y ait d’apparence d’approcher de la place par ailleurs, attendu qu’on est presque toujours enfilé et continuellement écharpé du canon, sans moyen de s’en pouvoir défendre, ni de s’en rendre maître, ni d’embrasser les parties attaquées de la place.

À l’égard de la Plaine, il faut :

1o  Examiner par où on peut embrasser les fronts de l’attaque, parce que ceux-là sont toujours à préférer aux autres.

2o  La quantité de pièces à prendre, avant de pouvoir arriver au corps de la place ; leur qualité, et celle du terrain sur lequel elles sont situées.

3o  Si la place est bastionnée et revêtue.

4o  Si la fortification en est régulière, ou à peu près équivalente.

5o  Si elle est couverte par quantité de dehors, quels et combien ? parce qu’il faut s’attendre à autant d’affaires qu’il y aura de pièces à prendre.

6o  Si les chemins couverts sont bien faits, contre-minés et palissadés ? et si les glacis en sont roides et non commandés des pièces supérieures de la place.

7o  S’il y a des avant-fossés, et quels ?

8o  Si les fossés sont revêtus et profonds ? secs ou pleins d’eau ? de quelle profondeur ? si elle est dormante ou courante ? et s’il y a des écluses, et la pente qu’il y peut avoir de l’entrée des eaux à leur sortie ?

9o  Fossés les plus mau­vais.S’ils sont secs, et quelle en est la profondeur ? et compter que les plus mauvais de tous sont les pleins d’eau quand elle est dormante, si les bords en sont bas et non revêtus.

Fossés les meilleurs. Ceux de Landau sont de cette nature. (V.) Après cela, ceux qui sont secs, profonds et revêtus sont bons ; mais les meilleurs sont ceux qui étant secs, peuvent être inondés d’une grosse eau dormante et courante quand on le veut ; parce qu’on peut les défendre secs, et ensuite les inonder, et y exciter des torrens qui en rendent les trajets impossibles. Tels sont les fossés de Valenciennes du côté du Quesnoy qui sont secs, mais dans lesquels on peut mettre telle quantité d’eau dormante ou courante qu’on voudra, sans qu’on le puisse empêcher. Tels sont encore les fossés de Landau, place moderne, dont le mérite n’est pas encore bien connu des médiocrement intelligens, bien que toute neuve et sans être achevée, elle 1702, 82 jours.
1703, 28 jours.
ait déjà soutenu deux grands siéges.

Les places qui ont de tels fossés avec des réservoirs d’eau qu’on ne leur peut ôter, sont très-difficiles à forcer, quand ceux qui les défendent savent en faire usage.

Les fossés revêtus dès qu’ils ont 10, 12, 15, 20 et 25 pieds de profondeur, sont aussi fort bons, parce que les bombes ni le canon ne peuvent rien contre ces revêtemens, et qu’on n’y peut entrer que par les descentes, c’est-à-dire en défilant un à un, ou deux à deux au plus, ce qui est sujet à bien des inconvéniens ; car on vous chicane par de fréquentes sorties sur votre passage et vos logemens de mineurs, ce qui cause beaucoup de retardement et de perte ; outre que quand il s’agit d’une attaque, on ne le peut que faiblement, parce qu’il faut que tout passe par un trou ou deux, et toujours en défilant avec beaucoup d’incommodité.

Difficulté du passage des fossés taillés dans le roc. Il faut encore examiner si les fossés sont taillés dans le roc ; si ce roc est continu et dur : car s’il est dur et malaisé à mine, vous serez obligé à combler ces fossés, jusqu’au rez du chemin couvert pour faire votre passage, qui est un travail long et difficile, notamment s’il est profond, car ces manœuvres demandent beaucoup d’ordre et de temps ; pendant quoi l’ennemi qui songe à se défendre vous fait beaucoup souffrir par ses chicanes, en ce qu’il détourne les matériaux, arrache les fascines, y met le feu, vous inquiète par ses sorties, et par le feu de son canon, le feu de son canon, de ses bombes et de sa mousqueterie, contre lequel vous êtes obligé de prendre de grandes précautions, parce qu’un grand feu de près est fort dangereux ; c’est pourquoi il faut de nécessité l’éteindre par un plus grand bien disposé.

Reconnais­sance du terrain envi­ronnant. Après s’être bien instruit de la qualité des fortifications auxquelles on doit avoir affaire, il faut examiner les accès, et voir si quelque rideau, chemin creux ou bossillement de pays peut favoriser vos approches et vous épargner quelque bout de tranchée.

S’il n’y a point de commandement qui puisse vous servir ?

Si le terrain par où se doivent conduire les attaques est doux et aisé à remuer ?

S’il est dur et mêlé de pierres, cailloux et rocailles, ou de rocher pelé dans lequel on ne puisse que peu ou point s’enfoncer ?

Toutes ces différences sont considérables, car si c’est un terrain aisé à manier, il sera aisé d’y faire de bonnes tranchées en peu de temps, et on y court bien moins de risque.

S’il est mêlé de pierres et de cailloux, il sera beaucoup plus difficile, et les éclats de canon y sont dangereux.

Difficulté des cheminemens sur roc dur et pelé.Que si c’est un roc dur et pelé, dans lequel on ne puisse s’enfoncer, il faut compter d’y apporter toutes les terres et matériaux dont on aura besoin, de faire les trois quarts de la tranchée de fascines et de gabions, même de ballots de bourre et de laine, ce qui produit un long et mauvais travail qui n’est jamais à preuve du canon, et rarement du mousquet, et dont on ne vient à bout qu’avec du temps, du péril et beaucoup de dépense ; c’est pourquoi il faut éviter d’attaquer par de telles avenues, tant que l’on peut.

À front de place et terrain égal, il faut examiner et compter le nombre des pièces à prendre ; car celui qui en aura le moins ou de plus mauvaises, doit être considéré comme le plus faible, si la qualité des fossés ne s’y oppose.

Il y a beaucoup de places situées sur les rivières qui n’en occupent que l’un des côtés, ou si elles occupent l’autre, ce n’est que par de petits forts, Manière d’at­taquer les places situ­ées sur des rivières ; dans le cas où l’une des rives n’est pas occupée ou ne l’est que par un petit fort ou un dehors peu considé­rable.ou des dehors peu considérables avec lesquels on communique par un pont et par des bateaux au défaut du pont.

Telle était autrefois Stenay, et telles sont encore Sedan, Mézières, Charlemont et Namur sur la Meuse, Metz et Thionville sur la Moselle, le Vieux-Brisach, Strasbourg et Philisbourg sur le Rhin, et plusieurs autres.

Où cela se rencontre, il est plus avantageux d’attaquer le long des rivières, au-dessus ou au-dessous, appuyant la droite ou la gauche sur l’un de leurs bords et poussant une autre tranchée vis-à-vis, le long de l’autre bord, tendant à se rendre maître de ce dehors, ou d’occuper une situation propre à placer des batteries de revers sur l’opposé aux grandes attaques.

Comme à la 22e pl. (V.)Comme les batteries de cette petite attaque peuvent aussi voir le pont servant de communication de la place à ce dehors, les grandes attaques de leur côté en pourraient faire autant, moyennant quoi il serait difficile que la place y pût communiquer long-temps ; d’où s’ensuivrait que pour peu que ce dehors fût pressé, l’ennemi l’abandonnerait ou n’y ferait pas grande résistance, notamment s’il est petit et peu contenant.

Mais ce ne serait pas la même chose, si c’était une partie de ville ou quelque grand dehors, à peu près de la capacité de Wick, qui fait partie de la ville de Mastrick. Tout cela mérite d’être bien démêlé, et qu’on y fasse de bonnes et sérieuses réflexions ; car il est certain qu’on en peut tirer de grands avantages.

Après cela il faut encore avoir égard aux rivières et ruisseaux qui traversent la ville, et aux marais ou prairies qui accompagnent leur cours ; car quand les terrains propres aux attaques aboutissent contre ou les avoisinent de près, soit par la droite ou la gauche, cela donne moyen, en prolongeant les places d’armes jusque sur les bords, de barrer les sorties de ce côté-là, et encore moyen de mettre toute la cavalerie ensemble sur le côté des attaques qui n’est point favorisé de cet avantage ; ce qui en est un autre bien considérable, parce que se trouvant en état de se pouvoir porter toute ensemble à l’action, elle doit produire un bien plus grand effet que quand elle est séparée en deux parties éloignées l’une de l’autre.

Outre ce que dessus, je suis encore d’avis de commander journellement un piquet de cavalerie et dragons dans les quartiers plus voisins des attaques, les pousser de ce côté-là s’il arrivait quelque sortie extraordinaire qui bouleversât la tranchée.

Conclusion.Pour conclusion, on doit toujours chercher le faible des places, et l’attaquer par préférence à tous autres endroits ; à moins que quelque considération extraordinaire ne vous oblige d’en user autrement.

Quand on a bien reconnu la place, on doit faire un petit recueil de ces remarques avec un plan, et le proposer au général et à celui qui Agir de con­cert avec l’artillerie. commande l’artillerie, avec qui il faut agir de concert ; convenir après cela du nombre des attaques qu’on peut faire ; cela dépend de la force de l’armée et de l’abondance des munitions.

Opinion de Vauban sur les attaques fausses, séparées, doubles.Pour moi, je ne suis pas d’avis d’en faire de fausses, parce que l’ennemi s’apercevant de la fausseté dès le trois ou quatrième jour de l’ouverture de la tranchée, il n’en fait plus de cas et les méprise.

Je ne suis point d’avis non plus des attaques séparées, à moins que la garnison ne soit très-faible, ou l’armée très-forte ; parce qu’elles vous obligent à monter aussi fort à une seule qu’à toutes les deux quand elles sont jointes, et que la séparation les rend plus faibles et plus difficiles à servir.

Mais je suis pour les attaques doubles qui sont liées, parce qu’elles peuvent s’entre-secourir, sont plus aisées à servir, se concertent mieux et plus facilement pour tout ce qu’elles entreprennent, et ne laissent pas de faire diversion des forces de la garnison.

Il n’y a donc que dans certains cas extraordinaires et nécessités, pour lesquels je pourrais être d’avis de n’en faire qu’une, qui sont quand les Comme 29e pl. (V.)fronts attaqués sont si étroits qu’il n’y a pas assez d’espace pour y en pouvoir développer deux.

Il faut encore faire entrer dans la reconnaissance des places celle des couverts pour l’établissement d’un petit parc, d’un petit hôpital et du champ de bataille pour l’assemblée des troupes qui doivent monter la tranchée, et des endroits les plus propres à placer les gardes de cavalerie.

Position petit parc.Le petit parc se place en quelque lieu couvert, à la queue des tranchées de chaque attaque ; il doit être garni d’une certaine quantité de poudre, de balles, grenades, mèches, pierres à fusil, serpes, haches, blindes, mantelets, outils, etc., pour les cas survenans et pressans, afin qu’on n’ait pas la peine de les aller chercher au grand parc quand on en a besoin.

Position petit hôpital.Près de lui se range le petit hôpital, c’est-à-dire les chirurgiens et aumôniers avec des tentes, paillasses, matelas, et des remèdes pour les premiers appareils des blessures. Outre quoi, chaque bataillon mène avec soi ses aumônier, chirurgien-major et fraters qui ne doivent point quitter la queue de leurs troupes.

Champ de bataille pour l’assemblée des gardes.À l’égard du champ de bataille pour l’assemblée des gardes de tranchée qui doivent monter, comme il leur faut beaucoup de terrain, on les assemble pour l’ordinaire hors la portée du canon de la place, et les gardes de cavalerie, de même ; celles-ci sont placées ensuite sur la droite et la gauche des attaques le plus couvert que l’on peut du canon ; et quand il ne s’y trouve point de couvert, on leur fait des épaulemens à quatre ou cinq cents toises de la place pour les gardes avancées, pendant que le gros se tient plus reculé et hors la portée du canon.

Quand il se trouve quelque ruisseau ou fontaine près de la queue des tranchées ou sur leur chemin, ils sont d’un grand secours pour les soldats de la garde ; c’est pourquoi il faut les garder pour empêcher qu’on ne les gâte ; et quand il serait nécessaire d’en assurer le chemin par un bout de tranchée fait exprès, on n’y doit pas hésiter.

Chemins des troupes aux attaques.doit aussi examiner le chemin des troupes aux attaques, qu’il faut toujours accommoder et régler par les endroits les plus secs et les plus couverts du canon.

Quartier du roi.Quand le quartier du roi s’en trouve à portée, elles en sont plus commodes, mais cela ne doit pas faire une sujétion considérable.

Position du parc d’artil­lerie.Il est bien plus important que le parc d’artillerie en soit le plus près qu’il sera possible.

Quartier des ingénieurs des troupes du génie.C’est encore une espèce de nécessité de loger les ingénieurs, mineurs et sapeurs le plus près des attaques que l’on peut, afin d’éviter les incommodités des éloignemens.

Force de garde de tranchée.Les attaques étant donc résolues, on règle les gardes de la tranchée, savoir, l’infanterie sur le pied d’être du moins aussi forte que les trois quarts de la garnison, et la cavalerie d’un tiers plus nombreuse que celle de la place ; de sorte que si la garnison était de quatre mille hommes de pied, la garde de la tranchée doit être au moins de trois mille ; et si la cavalerie de la place était de 400 chevaux, il faudrait que celle de la tranchée fût de 600.

Force de l’armée assiégeante.Autrefois nos auteurs estimaient que pour bien faire le siége d’une place, il fallait que l’armée assiégeante fût dix fois plus forte que la garnison ; c’est-à-dire que si celle-ci était de 1000 hommes, l’armée devait être de 10,000 ; si 2000, l’assiégeante doit être de 20,000 ; et si de 3000, il fallait que l’armée, à peu de chose près, fût de 30,000 hommes, selon leur estimation : en quoi ils n’avaient pas grand tort ; et qui examinera bien toutes les manœuvres à quoi les troupes sont obligées pendant un siége, n’en sera pas surpris.

Car il faut tous les jours monter et descendre la tranchée, fournir aux travailleurs de jour et de nuit, à la garde des lignes, à celle des camps particuliers et des généraux, à l’escorte des convois des fourrages ; faire des fascines, aller en commandement, au pain, à la guerre, etc. De sorte qu’elles sont toujours en mouvement, quelque grosse que puisse être une armée. Ce qui était bien plus fatigant autrefois qu’à présent, parce que les siéges duraient le double et le triple de ce qu’ils font aujourd’hui, et qu’on y faisait de bien plus grandes pertes. On n’y regarde plus de si près, et on n’hésite pas d’attaquer une place à six ou sept contre un, parce que les attaques d’aujourd’hui sont bien plus savantes qu’elles n’étaient autrefois.

Il y a toutefois une chose à remarquer sur la vieille hypothèse de l’attaque des places, qui est que je ne conseillerais pas à une armée de dix mille hommes d’attaquer une place où il y en aurait mille, qu’on serait obligé de circonvaller ; la raison est que toute circonvallation devant se régler sur la portée du canon de la place, et sur les défauts et avantages de la campagne des environs, on est obligé de la faire aussi grande pour les petites armées que pour les grandes.

Développe­ment de la circonvallation d’une petite place.Or il est bien certain qu’une armée de dix mille hommes circonvallerait très-mal une place, si on voulait l’attaquer dans les formes ordinaires, et qu’une de vingt mille ne la circonvallerait même que faiblement ; par la raison qu’il n’y en a point, si petite soit-elle, qui n’ait du moins trois ou quatre cents toises de diamètre avec ses fortifications ; de là aux lignes il doit encore y avoir quatorze ou quinze cents toises, pour n’avoir pas le canon dans le derrière des camps, ce qui fait 3000 toises ; joignez-y les 400 de diamètre, viendra 3400 ; triplez cette somme, et y ajoutez un septième, vous aurez 10,686 toises pour la circonférence d’un cercle égal au circuit de vos lignes, auxquelles ajoutant pour les redans et sinuosités de la ligne 1314, on trouvera qu’il n’y a guère de circonvallation, si petite soit-elle qui n’ait au moins 12,000 toises de circuit, c’est-à-dire, près de cinq lieues de 2500 toises chacune, qui sont à peu près les communes de France.

Or il est certain que des lignes de cette étendue seraient très-faiblement gardées par une armée 10 à 12,000 hommes, qui serait chargée de l’attaque d’une place, et de toutes les autres corvées indispensables des siéges ; ce qui prouve évidemment qu’une armée de cette force ne serait pas en état de soutenir l’attaque d’une armée de secours, qui se présenterait à ses lignes ; c’est ce qui fait que cette proportion qui serait fort bonne, pour les armées au-dessus de 20,000 hommes, ne le serait pas pour celles qui sont au-dessous, à moins qu’elles ne fussent épaulées par une armée d’observation capable de tenir l’ennemi en respect, et de l’empêcher de tenter un grand secours.

Pour les petits, comme ils se font à la dérobée, quand les lignes sont faites, il n’en passe que rarement, et même l’ennemi ne le tente pas.

Revenons à la disposition des attaques.

Sur les ingénieurs.C’est ici où les ingénieurs doivent faire paraître ce qu’ils sont.

Il n’y avait autrefois rien de plus rare en France que les gens de cette profession, et le peu qu’il y en avait, subsistait si peu de temps, qu’il était encore plus rare d’en voir qui eussent vu cinq ou six siéges, et encore plus, qui en eussent tant vu sans y avoir reçu beaucoup de blessures qui, les mettant hors de service dès le commencement ou le milieu d’un siége, les empêchaient d’en voir la fin, et par conséquent de s’y rendre savans ; cela joint à bien d’autres défauts dans lesquels on tombait journellement, ne contribuait pas peu à la longueur des siéges, et aux pertes considérables qu’on y faisait.

Siége de Montmédy : pertes considérables que l’on y fit.
1657.
Je me souviens qu’à celui de Montmédy où il n’y avait que 700 hommes de garnison qui furent assiégés par une armée de 10,000 hommes, que de quatre que nous étions au commencement du siége, destinés à la conduite des travaux, je me trouvai le seul, cinq à six jours après l’ouverture de la tranchée, qui en dura quarante-six ; pendant lesquels nous eûmes plus de 1300 hommes de tués et 1800 blessés, de compte fait à l’hôpital, sans y comprendre plus de 200 qui n’y furent pas ; car dans ces temps-là, les hôpitaux étant fort mal administrés, il n’y allait que ceux qui ne pouvaient faire autrement, et pas un de ceux qui n’étaient que légèrement bléssés ; il faut avouer que c’était acheter les places bien cher.

1654.Quelques années avant cela nous prîmes Stenay, avec une perte à peu de chose près égale ; la vérité est qu’on n’y entendait pas grande finesse : aussi notre infanterie était-elle absolument ruinée. Mais depuis que le roi a commencé à faire la guerre en personne, sa présence a inspiré plus d’esprit et de conduite aux armées : et Sa Majesté ayant reconnu par elle-même combien il lui était nécessaire d’avoir des gens éclairés capables de la servir dans les siéges et dans les places, elle a mis sur pied et entretenu un bon nombre d’ingénieurs ; quantité de gens s’étant jetés dans cette profession, attirés par ses bienfaits et par la distinction qu’ils y ont trouvée ; de sorte que bien qu’on en tue et estropie beaucoup encore, le roi n’en manque pas, et on ne fait point de siége depuis long-temps, qu’il ne s’y en trouve des trente-six ou quarante, qu’on sépare ordinairement en six Force des brigades d’ingénieurs.brigades de six ou sept chacune, afin que chaque attaque en puisse avoir trois, qui se relèvent alternativement toutes les vingt-quatre heures ; ce qui fait que jamais la tranchée n’est sans ingénieurs, lesquels se partageant les soins du travail, font qu’il va toujours, et qu’il n’y a pas une heure de temps perdue.

Comme il faut de la subordination dans tous les corps, celui-ci en a plus besoin qu’aucun autre, parce que tout ce qu’il fait, doit être concerté et dirigé par un supérieur très-intelligent, qui distribue à chacun d’eux ce qu’il a à faire, et auquel tous répondent. Il y a autant de brigadiers que de brigades ; lesquels ont chacun leur sous-brigadier, qui commande aux autres en second, et qui, avec le brigadier, distribue le travail à toute la brigade. Tous se doivent relayer tour à tour, Service pénible des ingénieurs.parce qu’il n’y a guère d’hommes, si robustes soient-ils, qui puissent soutenir un aussi grand travail que le leur trente heures durant ; car pour bien s’acquitter de leurs fonctions, le jour qu’ils relèvent, ils doivent aller dès les 10 à 11 heures du matin à la tranchée avec les principaux reconnaître ce qu’ils auront à faire, et régler leurs dispositions, pour ensuite distribuer les travailleurs qui leur sont donnés, selon les besoins qu’ils ont reconnu en avoir : après quoi ils vont les recevoir au rendez-vous, où ils les séparent suivant les dispositions qu’ils ont faites ; ils peuvent bien se partager et se relayer la nuit et le jour ; mais ils ne doivent jamais quitter la tranchée, que ceux qui les relèvent ne soient arrivés et qu’ils ne leur aient consigné le travail.