Traité des sièges et de l’attaque des places/44

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DES SECOURS.

Après avoir exposé dans les chapitres précédens tout ce que j’ai appris, et ce qui m’a semblé de meilleur pour l’attaque des places, Conduite à tenir pour empêcher les secours. il me reste encore à expliquer la conduite que les assiégeans peuvent tenir pour empêcher les secours. Pour à quoi parvenir, il est premièrement nécessaire que les lignes soient bonnes, bien faites, achevées et palissadées s’il est possible, en tout ou en partie, non sur le haut du parapet, comme on les fit Voir le 1er profil, et de la pl. 33.

Palissades.
à Montmédy ; ou dans le fond du fossé comme en d’autres lieux ; les palissades ne valent rien là, ou fort peu de chose ; attendu que la première peut autant servir à l’ennemi qu’à nous, et que la deuxième n’empêche pas que le fossé ne soit rempli en fort peu de temps par la grande quantité de fascines que l’ennemi y jette. Il faut donc la planter le long du bord 2e profil. comme on le fait aux chemins couverts, observant que l’élévation de sa pointe ne doit surpasser celle dudit bord que de quinze à dix-huit pouces au plus, autrement elle pourrait nuire au feu de la ligne ; sinon et encore mieux la planter tout-à-fait hors ladite ligne, à 25 ou 50 pas du fossé, comme 3e profil. auquel elle doit être parallèle, penchée vers le dehors d’environ 45 degrés, enterrée de trois pieds mesurés à plomb, en ayant quatre de Cet expédient est nouveau et très-bon. V. saillie hors de terre, et la pointe élevée de trois pieds au-dessus de la campagne, et non plus. En cet état, elle ne fera que peu ou point d’empêchement au feu de la ligne, et l’ennemi ne la pouvant couper ni sauter, elle l’arrêtera tout court un espace de temps assez considérable, pendant quoi le feu de la ligne le fera beaucoup souffrir ; mais ce moyen est plus à désirer qu’à espérer, à cause de la difficulté et presque impossibilité d’avoir une assez grande quantité de palissades, et du Il exige beaucoup de palissades. long temps qu’il y faudrait employer, qui est absolument contraire à la diligence avec laquelle on est obligé de faire les lignes. Il faut donc se réduire à la façon commune, les faire bonnes et leur parapet à deux banquettes, quand on ne peut autrement. Mais comme elles ne sont pas toujours accessibles de tous côtés, et qu’il se peut trouver des rivières, étangs, marais, quelque grand ravin ou escarpement qui fortifie les approches et en couvre une partie, il se peut que la place assiégée se trouvant dans un pays de bois, on pourrait en armer les endroits les plus faibles, en ce cas il ne faudrait pas manquer de faire la palissade.

2o Faire, s’il est possible, quantité d’épaulemens à la moitié de la distance entre la ligne et la tête des bataillons, parallèles à l’une et à l’autre, comme les représentés à la planche 33. Ces épaulemens ayant 40 toises Épaulemens derrière les lignes.environ de long, et 9 à 10 pieds d’épais mesurés au sommet, sur autant de hauteur, en distance les uns des autres de 50 à 60 toises, servent à couvrir la cavalerie qui se met derrière, et même les bataillons, contre les plongées du canon et du mousquet pendant une attaque. Les princes d’Orange, Maurice et Frédéric-Henri, Lignes que faisaient les princes d’Orange. se faisaient une si grande application de bien faire leurs lignes, qu’ils y employaient des mois entiers ; aussi étaient-elles si bonnes, qu’on ne les y a jamais forcés, bien qu’elles aient été souvent attaquées : ils ne se contentaient pas de faire de bonnes lignes, ils y ajoutaient des forts particuliers de distance en distance, et fortifiaient leurs quartiers séparément, selon l’usage de ce temps-là ; ils ajoutaient même des dehors sur les avenues plus exposées, qui arrêtaient les ennemis, et donnaient le temps aux troupes des quartiers voisins d’arriver et de secourir les endroits attaqués, ce qui les a toujours fait échouer et mis en danger d’être battus dans leur retraite. On y faisait aussi des avant-fossés , mais l’expérience 4e profil. a fait connaître qu’ils n’étaient bons qu’à fournir un grand couvert à l’ennemi.

Cet expédient est nouveau et n’a pas encore été pratiqué. V. 3o Faire des bûchers de deux ou trois charretées de bois sec, à quelques quarante ou cinquante pas hors de la ligne, vis-à-vis des angles flanqués et sur le milieu des courtines, également espacés, et les arranger comme les vignerons font les tas d’échalas dans les vignes, après les avoir arrachés et mis en réserve pour l’année suivante ; garnissant le milieu de menu bois et de paille sèche, avec une petite trouée pour y mettre le feu, quand on a donné le signal. Les dessins de la 33e planche achèveront de faire entendre comme cela se peut faire.

Voilà quels peuvent être les préparatifs plus praticables des lignes contre les secours ; venons à l’application et disons, Une armée d’observation remédie à tous les inconvénient. que quand on peut avoir une armée d’observation, elle remédie sans contredit à tous les inconvéniens des secours, et pour lors il n’est pas nécessaire de se tant précautionner.

Nous ne connaissons que quatre manières de secourir les places, qui sont d’y introduire des secours à la dérobée, Ceux-ci n’obligent pas toujours à la levée du siége. V. qui n’obligent pas toujours à la levée du siége, ou de vive force quand l’assiégeant sortant de ses lignes va au-devant de l’armée de secours et lui donne bataille, ou quand l’ennemi prend le parti le plus sûr, qui est de faire diversion en attaquant une de nos places qui puisse lui tenir lieu d’une espèce d’équivalent, ou enfin quand il prend le parti d’attaquer les lignes de jour ou de nuit.

Nous avons dit à peu près ce qu’il y a à dire sur le premier au chapitre de l’investiture, page 17, reste à m’expliquer un peu au long sur les trois autres.

Il arrive donc assez souvent que quand l’armée assiégeante se sent supérieure ou égale à celle de secours, qu’elle sort des lignes, marche au-devant, prend poste le plus avantageusement qu’elle peut, et lui présente bataille.

Pour se mettre en cet état, l’assiégeante laisse au moins la tranchée garnie et fortifiée de quelques troupes, et le surplus faiblement investi de quelques autres pour garder le camp et les bagages. Ce moyen est très-hasardeux et peu sûr, c’est pourquoi je ne le propose pas comme bon.

Il y a celui de la diversion quand l’ennemi au lieu de secourir la place, prend le parti d’en assiéger une de son côté ; celui-ci ne secourt pas la place assiégée, mais il cherche à se consoler au meilleur marché qu’il peut de sa perte par la prise d’une autre place qui puisse lui tenir lieu d’équivalent. Ce qu’il y a pour l’assiégeant, c’est qu’il achève le siége en repos, et que si l’ennemi ne se presse, vous avez le temps de prendre la place peut-être assez tôt pour marcher au secours de celle qu’il assiége, et la sauver. Venons à la manière plus ordinaire des secours.

Dispositions d’une armée pour secourir une place. Une armée qui se dispose à secourir une place, se précautionne premièrement de tous ses besoins ordinaires et extraordinaires : les ordinaires sont les outils à remuer la terre et couper du bois, le canon et son attirail ; ceux-là la suivent partout ; les extraordinaires consistent à se munir de beaucoup de fascines et de claies pour combler les fossés des lignes ; ceux-ci se trouvent sur les lieux, et dans le temps et selon que les besoins le requièrent.

Cette armée ne manque pas de tirer aussi tout ce qu’elle peut de troupes de ses garnisons pour se renforcer. Cela fait, et l’armée en corps, elle s’approche peu à peu et prend poste près des lignes le 1654

1656.
plus avantageusement qu’elle peut. À Arras, l’armée française se campa à Mouchy-le-Preux, poste avantageux, et s’y retrancha ; à Valenciennes, les ennemis se postèrent à Famars, autre poste avantageux, où ils se retranchèrent pareillement : il ne faut pas douter que toutes les armées de secours n’en fassent autant, et qu’elles ne commencent par là, car elles n’iront pas étourdiment donner dans des lignes, au moment de leur arrivée ; on veut voir clair à ce que l’on fait ; et de plus, comme il est bon de laisser affaiblir les assiégeans, elle mesure son temps et se choisit une situation avantageuse à une lieue ou environ des lignes. Là elle se retranche et attend le moment du berger, pendant quoi elle se saisit des petits postes avantageux des environs qui peuvent lui être bons à quelque chose. Après cela, elle fait reconnaître les lignes, et ne manque pas de donner toute la jalousie possible aux assiégeans, et cela de tous côtés, ce qui ne se passe guère sans plusieurs petites affaires de cavalerie qui ne décident rien, et qu’on n’engage de la part des ennemis que pour avoir lieu d’approcher les lignes de plus près, et d’en reconnaître mieux les abords et de la part des assiégeans, que pour les en empêcher. Pendant que cela se passe, l’armée de secours se prépare des chemins, fait des ponts sur les rivières s’il y en a, et qu’il lui soit nécessaire d’en avoir, et se met en état de donner de la défiance aux assiégeans de tous côtés, donne de ses nouvelles à la place, en reçoit des siennes, et se concerte avec elle pour le temps et la manière de l’attaque. Les assiégeans qui l’observent, et qui ont dû se le tenir pour dit, dès qu’ils ont vu l’ennemi prendre poste près d’eux et s’y retrancher, donnent de leur part tout le bon ordre qu’ils peuvent à leurs affaires, en réglant et partageant les postes que chaque régiment doit soutenir. On couche réglément Dispositions de l’armée assiégeante pour recevoir l’attaque dans ses lignes. au bivouac pour n’être pas surpris pendant la nuit ; on ordonne des piquets et des corps de réserve par tous les quartiers, afin de se pouvoir porter en diligence aux lieux attaqués, à quoi les dragons sont plus propres que les autres troupes, parce qu’ils se peuvent porter avec promptitude sur les lieux, suppléer au défaut d’infanterie, border la ligne pour un temps, et charger à cheval quand il en est besoin. On distribue des munitions aux troupes afin qu’elles n’en manquent pas ; on fait de petits magasins aux postes ; on dispose le canon aux endroits où on le croit mieux placé ; on envoie de grands et petits partis hors des lignes pendant la nuit pour avoir des nouvelles des ennemis et tâcher de découvrir leurs mouvemens, et on réveille les intelligences et les espions. Le temps pris pour l’attaque étant venu, elle se fera de jour ou de nuit ; si de jour, toute feinte étant inutile, l’ennemi se met en bataille, l’infanterie en première et deuxième lignes, et la cavalerie derrière elle en deux ou trois autres, chaque bataillon portant des fascines pour combler les fossés de la ligne. En cet état, et après avoir choisi l’endroit qu’il veut attaquer, il marche droit à la ligne, toujours en bataille, avec nombre de détachemens devant lui pour essuyer les premiers feux.

L’assiégeant qui a dû se préparer à tout événement, voyant l’ennemi venir à lui, ne s’endort pas ; il règle ses dispositions sur les siennes, et fait border ses retranchemens le plus épais qu’il peut, ce qui lui tient lieu de première ligne, derrière laquelle il en range une seconde, pour servir de renfort à la première, et derrière celle-ci, une ou deux de cavalerie, et tout cela composé des troupes tirées des quartiers éloignés qui ne paraissent pas pouvoir être attaqués.

Difficultés de forcer les lignes en attaquant de jour. Quand on a le temps de se préparer de la sorte, il n’est guère possible que l’ennemi puisse forcer la ligne, et je n’ai point ouï dire qu’on y ait réussi depuis très-long-temps, si ce n’est à celles de Casal, par M. le comte d’Harcourt, qui en vint à bout comme par miracle, après y 1640. avoir été repoussé trois ou quatre fois, et il y a plus de 60 ans que cela est arrivé.

Si l’ennemi prend le parti d’attaquer de nuit, c’est-à-dire à la pointe du jour, l’affaire sera bien plus sérieuse ; car il dérobera sa marche et cachera son dessein le plus qu’il lui sera possible, fera mine de vouloir attaquer par un endroit de la ligne pendant qu’il se préparera à tomber sur l’autre, tâchant par tous moyens de donner le change par de fausses apparences, pour obliger l’assiégeant à demeurer sur ses gardes également partout ; s’il peut vous trouver en cet état, c’est hasard s’il ne réussit quand l’affaire est bien menée. Car telle partie qui sera gardée par mille hommes, peut être attaquée par dix mille, qui se portant vigoureusement et se soutenant Difficultés d’empêcher qu’elles ne soient forcées de nuit. par plusieurs corps l’un devant l’autre, il est bien difficile d’empêcher qu’il ne parvienne jusqu’à la ligne, et que, s’attachant au parapet, il ne le borde de son côté, et ne chasse les assiégeans de l’autre par un feu supérieur sur le dedans, pendant qu’avec des travailleurs, il y fera des ouvertures pour faciliter l’entrée de ses troupes. Ce coup est d’autant plus à craindre, que si on n’est pas bien averti du dessein de l’ennemi, on se tient à peu de chose près également partout sur ses gardes, qui est un très-mauvais parti à prendre.

Comme une ligne en cet état ne peut être que très-faible, l’ennemi a de grands avantages sur elle, car il se porte à la faveur de l’obscurité, jusque fort près du fossé avant que d’être découvert, où ne trouvant qu’une faible résistance il force les lignes avant que le piquet et les secours des assiégeans soient arrivés au lieu de l’attaque.

1646,
1654, 1656.
C’est ainsi que les lignes de Lérida en Catalogne, d’Arras et de Valenciennes en Flandre, furent autrefois forcées, et que toutes celles qu’on attaquera de la sorte le seront ou seront en grand danger de l’être, si on ne prend pas des mesures plus justes que celles que l’on prend ordinairement.

Ce qu’on doit faire en cas pareil, est donc à mon avis de tâcher en toute manière de découvrir le dessein de l’ennemi sur le lieu et le temps qu’il doit attaquer.

Moyens de découvrir le dessein de l’ennemi. Ce dessein qu’il a intérêt de cacher ne peut être découvert que par une exacte observation de ses mouvemens, et par avoir plusieurs espions dans son camp, qui doivent se jeter journellement dans le nôtre, notamment dans le temps qu’ils le verront partir pour venir aux lignes, et par les prisonniers qu’on fera.

Par les reconnais­sances qu’il fait ; Si on voit l’ennemi s’attacher à reconnaître un côté de la ligne plus que les autres, et que ce côté soit assez près de lui pour qu’il s’en puisse approcher assez dans une nuit de marche pour pouvoir attaquer le lendemain au point du jour ; si la place ou l’enclos des lignes est traversé par des rivières dont l’un des côtés seulement soit occupé par l’ennemi, et qu’il fasse plusieurs ponts dessus, comme 3, 4 ou 5 ; c’est un signe évident qu’il a dessein d’y faire passer plusieurs colonnes à la fois ; de même, s’il se saisit de quelque château ou maison forte au-delà de cette rivière, qui ne lui soit nécessaire que pour l’aider à cacher son dessein.

Joignant toutes ces apparences ensemble, on pourra conjecturer que l’ennemi a dessein d’attaquer par le côté plus à portée de ces ponts, notamment si le bossillement du pays y convient, ou qu’il soit composé de plaines unies et non entrecoupées de rien qui puisse retarder sa marche, et qu’il ne fera que de fausses attaques vis-à-vis de son camp et partout ailleurs, ce qui arrivera infailliblement.

Une autre observation importante à faire, est si après avoir estimé la distance qu’il y a des autres côtés de la ligne au camp de l’ennemi, on trouve qu’il n’en puisse faire le chemin, ni arriver avant le jour par la marche d’une nuit d’été qui ne dure que cinq à six heures, et voir si le temps qu’il lui faut peut s’accorder avec ce que l’on aura appris des espions, des prisonniers et des rendus.

Par des espions ; À propos d’espions, je dois dire ici qu’on n’en saurait trop avoir, et qu’il est à souhaiter qu’on en puisse recevoir tous les jours, plutôt deux fois qu’une, notamment quand l’ennemi se prépare à vous attaquer, et enfin quand il se mettra en marche pour venir aux lignes. C’est alors qu’ils peuvent, en observant de quel côté l’ennemi tourne la tête, voir sur quelle partie de la ligne il va tomber.

En envoyant des partis ; Si à tout ce que dessus, on ajoute encore la découverte des grands et petits partis qui doivent battre l’estrade pendant la nuit sous la portée du canon des lignes, il est presque impossible que l’ennemi puisse s’empêcher d’être découvert de fort bonne heure ; auquel cas, il faudra achever de bien garnir les côtés de la ligne par où il peut aborder, aux dépens de ceux qui n’en sont pas à portée par leur trop d’éloignement.

Ne pas oublier aussi de la garnir de canon, quelques jours auparavant, et de le tenir en bon état ; de faire garder les bûchers, s’il y en a, Au moyen de bûchers allumés en avant des lignes. par deux ou trois soldats à chacun, qui auront ordre d’en allumer les feux au signal qui se fera par un certain nombre de coups de canon dont on sera convenu. Quoi fait, et quand on sera assuré du côté par où l’ennemi s’approche, donner ledit signal quand il sera aux deux tiers de la portée du canon près, et aussitôt allumer les bûchers et faire retirer les boute-feux dans la ligne par des endroits qui leur auront été marqués. Ces feux allumés suppléeront au défaut de la lumière qui pourrait encore manquer, et feront un jour artificiel d’autant plus dangereux pour l’ennemi, qu’on tire beaucoup mieux et plus droit à la lueur du feu pendant la nuit que de jour. Si toutes ces observations sont faites avec soin, je me persuade qu’on parviendra à corriger le malheur des lignes attaquées de nuit, par la raison que ne provenant que de l’incertitude où l’ennemi vous tient, elle sera levée sitôt qu’on sera averti de son dessein.

Après tout ce que dessus et ce que l’on y pourrait ajouter, il faut convenir de bonne foi que de tous les retranchemens que la De tous les retranchemens, aucun n’est si mauvais que les lignes de circonvallation. guerre emploie pour attaquer et défendre, aucun n’est si mauvais que les lignes de circonvallation. La raison est que leur circuit est toujours de beaucoup trop grand pour le nombre des troupes qui doivent les défendre ; car supposé le diamètre d’une circonvallation de 3,200 toises, qui est le moins qu’il puisse avoir, la circonférence régulière sera de 10,057 toises, à laquelle ajoutant pour l’irrégularité et pour les redans 943 toises, qui est bien le moins que cela puisse avoir, le tout fera 11,000 toises, qui divisées en lieues communes de 2,500 toises chacune, vaudra 4 lieues 1/2 un peu moins. Que si, pour border une ligne de cette étendue, on donne seulement 3 pieds à chaque soldat, viendra 2,200 hommes pour un seul rang, et pour trois de hauteur 66,000 hommes de pied, sans rien compter pour la seconde ligne, ni pour les tranchées et les autres gardes qui demanderaient bien encore autant de monde pour que tout fût suffisamment garni : or, où trouver des armées de cette force, je crois qu’il est fort inutile d’en chercher, et quand on dégarnirait la moitié la moins exposée des lignes, pour renforcer celle qui le serait le plus, on ne parviendrait pas à les garnir suffisamment à beaucoup près, et ce d’autant plus que si les places assiégées sont un peu considérables, la circonvallation deviendra bien plus grande que celle qui est ici supposée, ce qui nous éloigne encore plus de la possibilité de les pouvoir bien garnir. Et partant, je conclus que de tous les retranchemens d’armée, la circonvallation des places est toujours le plus mauvais, quelque soin qu’on puisse prendre de Le mieux est d’avoir une armée d’observation. la rendre bonne, et que le mieux qu’on puisse faire dans un siége réglé, est d’avoir recours aux armées d’observation.

Il me reste à éclaircir un doute, qui est de savoir quelle doit être la force d’une armée d’observation par rapport à celle de secours ; cela n’est pas fort aisé, mais je ne laisserai pas de dire ce que j’en pense. Il est certain qu’elle doit toujours être proportionnée aux forces de l’ennemi, mais comme ce dire n’éclaircit rien, il faut avoir recours à quelques exemples.

Je dis donc qu’il est absolument nécessaire d’être bien informé des forces que l’ennemi peut mettre en campagne, et c’est à quoi on ne saurait donner trop d’attention. Supposons après cela qu’il Force de cette armée. puisse y mettre 25,000 hommes, et nous 35,000 ; s’il s’agit d’un siége, on pourra faire une armée d’observation, et si on se peut donner quelques jours d’avance pour faire les lignes, la chose n’en sera que plus aisée. Que cela soit ou non, si l’ennemi se met en état de les approcher, on pourra lui opposer 18 à 20,000 hommes en observation, qui prenant un poste avantageux à portée des lignes, s’y doivent bien retrancher ; car si une Une armée bien retran­chée peut faire tête à une armée d’un tiers plus forte. armée bien postée, ajoute un bon retranchement aux avantages de la situation qu’elle occupe, elle fera aisément tête à une qui sera d’un tiers plus forte qu’elle, et quand même elle le serait davantage, si l’armée d’observation sait bien se conduire, il est sûr que l’ennemi n’osera l’attaquer, attendu que quand elle se trouvera plus ou moins pressée, elle pourra encore tirer des secours de l’assiégeante, de même qu’elle pourra lui en donner de son côté. Or, ce qui est ici proposé par cet exemple, peut s’appliquer à de plus grandes armées, et se restreindre à de plus petites, selon la force de l’ennemi à qui l’on a affaire.

Que s’il se présente à quelque côté des lignes éloigné de l’armée d’observation, il sera au choix de celle-ci d’entrer dans les circonvallations, et de se présenter en deux lignes du côté qu’il pourrait attaquer, ou de prendre poste à côté de lui pour le charger en flanc, pendant qu’il attaquera de front. Ce sont des pensées qui peuvent recevoir de l’accroissement et différentes rectifications selon que la situation des lieux le permettra.