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Traité sur les apparitions des esprits/II/35

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CHAPITRE XXXV.

Exemples de Fantômes qui ont apparû vivans,
& ont donné pluſieurs ſignes
de vie.

LE Loyer, dans ſon livre des Spectres, ſoûtient[1] que le Démon peut faire faire des mouvemens extraordinaires & involontaires aux poſſédés. Il peut donc auſſi, avec la permiſſion de Dieu, donner le mouvement à un homme mort & inſenſible.

Il rapporte l’exemple de Polycrite Magiſtrat d’Etolie, qui apparut au peuple de Locres neuf ou dix mois après ſa mort, & leur dit de lui montrer ſon enfant qui étoit monſtrueux, & qu’on vouloit brûler avec ſa mere. Les Locriens malgré les remontrances du Spectre de Polycrite, perſiſtant dans leur réſolution, Polycrite prit ſon enfant, le mit en pieces & le dévora, ne laiſſant que la tête, ſans que le peuple le pût chaſſer ni empêcher ; après cela il diſparut. Les Etoliens vouloient envoyer conſulter l’oracle de Delphes ; mais la tête de l’enfant commença à parler, & à leur prédire les malheurs qui devoient arriver à leur patrie & à ſa propre mere.

Après la bataille donnée entre le Roi Antiochus & les Romains, un Officier nommé Buptage, demeuré mort ſur le champ de bataille, bleſſé de douze plaies mortelles, ſe leva tout d’un coup, & commença à menacer les Romains des maux qui leur devoient arriver de la part des peuples étrangers, qui devoient détruire l’Empire Romain. Il déſigna en particulier, que des armées ſortiroient de l’Aſie & viendroient déſoler l’Europe ; ce qui peut marquer l’irruption des Turcs ſur les terres de l’Empire Romain.

Après cela Buptage monta ſur un chêne, & prédit qu’il alloit être dévoré par un loup ; ce qui arriva. Après que le loup eut dévoré le corps, la tête parla encore aux Romains, & leur deffendit de lui donner la ſépulture. Tout cela paroît très-incroyable, & ne fut pas ſuivi de l’effet. Ce ne furent pas les peuples d’Aſie, mais ceux du Nord qui renverſerent l’Empire Romain.

Dans la guerre d’Auguſte contre Sextus Pompée, fils du grand Pompée[2], un ſoldat d’Auguſte nommé Gabinius eut la tête coupée par ordre du jeune Pompée, enſorte toutefois que la tête tenoit au coû par un petit filet. Sur le ſoir on ouit Gabinius qui ſe plaignoit. On accourut ; il dit qu’il étoit retourné des enfers pour découvrir à Pompée des choſes très-importantes. Pompée ne jugea pas à propos de venir ; il y envoya quelqu’un de ſes gens, auquel Gabinius déclara que les Dieux d’en haut avoient exaucé les deſtins de Pompée ; qu’il réuſſirait dans ſes deſſeins. Auſſitôt qu’il eut ainſi parlé, il tomba roide mort. Cette prétenduë prédiction fut démentie par les effets. Pompée fut vaincu, & Céſar remporta tout l’avantage dans cette guerre.

Une certaine Charlatane étant morte, un Magicien de la bande lui mit ſous les aiſſelles un charme qui lui rendit le mouvement ; mais un autre Magicien l’ayant enviſagée, s’écria que ce n’étoit qu’une vile charogne, & auſſi-tôt elle tomba roide morte, & parut ce qu’elle étoit en effet.

Nicole Aubri native de Vervins étant poſſédée de pluſieurs Diables, un de ces Diables nommé Baltazo prit à la potence le corps d’un pendu près la plaine d’Arlon, & avec ce corps vint trouver le mari de Nicole Aubri, auquel il promit de délivrer ſa femme de ſa poſſeſſion, s’il vouloit lui laiſſer paſſer la nuit avec elle. Le mari conſulta le maître d’école qui ſe mêloit d’exorciſer, & qui lui dit de ſe bien garder d’accorder ce qu’on lui demandoit. Le mari & Baltazo étant entrés en l’Egliſe, la femme poſſédée l’appella par ſon nom, & auſſitôt ce Baltazo diſparut. Le maître d’école conjurant la poſſédée, Belzebut un des Démons découvrit ce qu’avoit fait Baltazo, & que ſi le mari avoit accordé ce qu’il demandoit, il auroit emporté Nicole Aubri en corps & en ame.

Le Loyer rapporte encore[3] quatre autres exemples de perſonnes à qui le Démon a paru rendre la vie, pour ſatisfaire la paſſion brutale de deux amants.


  1. Le Loyer, des Spectres, L. 2. pg. 376. 392. 393.
  2. Pline l. 7. c. 52.
  3. P. 412. 413. & 414.