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Traité sur les apparitions des esprits/II/47

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CHAPITRE XLVII.

Raiſonnement ſur cette matiere.

CEs Auteurs ont beaucoup raiſonné ſur ces événemens. I. Les uns les ont crûs miraculeux. 2. Les autres les ont regardés comme de purs effets d’une imagination vivement frappée, ou d’une forte prévention. 3. D’autres ont crû qu’il n’y avoit en cela rien que de très-naturel & de très-ſimple, ces perſonnes n’étant pas mortes, & agiſſant naturellement ſur les autres corps. 4. D’autres ont prétendu, que c’étoit l’ouvrage du Démon même. Entre ceux-ci quelques-uns ont avancé[1], qu’il y avoit certains Démons benins, différens des Démons malfaiſans & ennemis des hommes, à qui ils ont attribué des opérations badines & indifférentes, à la diſtinction des mauvais Démons qui inſpirent aux hommes le crime & le péché, les maltraitent, les font mourir, & qui leur cauſent une infinité de maux. Mais quels plus grands maux peut-on avoir à craindre des vrais Démons & des Eſprits les plus malins, que ceux que les Revenans de Hongrie cauſent aux perſonnes qu’ils ſucent & qu’ils font mourir ? 5. D’autres veulent, que ce ne ſoient pas les morts qui mangent leurs propres chairs, ou leurs habits, mais ou des ſerpens, ou des rats, des taupes, des loups cerviers, ou d’autres animaux voraces, ou même ce que les Payens nommoient Striges[2], qui ſont des oiſeaux qui dévorent les animaux & les hommes, & en ſucent le ſang. Quelques-uns ont avancé, que ces exemples ſe remarquoient principalement dans les femmes, & ſur-tout en tems de peſte ; mais on a des exemples de Revenans de tout ſexe, & principalement des hommes ; quoique ceux qui ſont morts de peſte, de poiſon, de rage, d’ivreſſe & de maladie épidémique, ſoient plus ſujets à revenir, apparemment parceque leur ſang ſe coagule plus difficilement, & que quelquefois on en enterre qui ne ſont pas bien morts, à cauſe du danger qu’il y a de les laiſſer long-tems ſans ſépulture, de peur de l’infection qu’ils cauſeroient.

On ajoûte que ces Vampires ne ſont connus que dans certains pays, comme la Hongrie, la Moravie, la Siléſie, ou ces maladies ſont plus communes, & où les peuples étant mal nourris, ſont ſujets à certaines incommodités cauſées ou occaſionnées par le climat & la nourriture, & augmentées par le préjugé, l’imagination & la frayeur, capables de produire ou d’accroître les maladies les plus dangereuſes, comme l’expérience journaliere ne le prouve que trop. Quant à ce que quelques-uns avancent qu’on entend ces morts manger & mâcher comme des porcs dans leurs tombeaux, cela eſt manifeſtement fabuleux, & ne peut être fondé que ſur des préventions ridicules.


  1. Rudiger, Phyſio. Div. l. I. c. 4. Theophraſt. Paracelſ. Georg. Agricola, de anim. ſubterran. pag. 76.
  2. Ovid. l. 6. Vide Delrio, diſquifit. magic. l. I. p. 6 & l. 3. p. 355.