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Traité sur les apparitions des esprits/II/61

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CHAPITRE LXI.

Ce qu’on raconte des corps des Excommuniés
qui ſortent de l’Egliſe, eſt ſujet
à de très-grandes difficultés.

QUelque reſpect que j’aye pour ſaint Grégoire le Grand, qui rapporte des exemples de perſonnes mortes excommuniées, qui ſortoient de l’Egliſe à la vûe de tout le monde ; & quelque conſidération que méritent les autres Auteurs que j’ai cités, & qui racontent d’autres faits ſemblables, & même plus incroyables : je ne puis me perſuader, que nous ayons ces Hiſtoires avec toutes leurs circonſtances ; & après les raiſons de douter que j’ai rapportées à la ſuite de ces Hiſtoires, je crois pouvoir dire encore, que Dieu pour inſpirer aux peuples une plus grande terreur des Excommunications, & un plus grand reſpect pour les Sentences & les Cenſures de l’Egliſe, a voulu dans ces occaſions pour des raiſons qui ne nous ſont pas bien connues, faire éclater ſa puiſſance, opérer des miracles à la vûe des Fidéles : car comment expliquer tout cela ſans recourir au miracle ?

Tout ce qu’on dit des perſonnes mortes, qui mâchent ſous la terre dans leurs tombeaux, eſt ſi pitoyable & ſi puérile, qu’il ne mérite pas une réfutation ſérieuſe. Tout le monde convient qu’il n’arrive que trop ſouvent, qu’on enterre des perſonnes qui ne ſont pas bien mortes. On n’en a que trop d’exemples dans toutes les Hiſtoires anciennes & modernes. La Thèſe de M. Vinſlow, & les notes que M. Bruyer y a ajoûtées, ſont très-propres pour prouver qu’il y a peu de ſignes certains d’une véritable mort, hors la puanteur & la putréfaction d’un corps au moins commencée. On a une infinité d’exemples de perſonnes qu’on a crûes mortes, & qui ſont revenues, même après avoir été miſes en terre. Il y a je ne ſçai combien de maladies où le malade demeure long-tems ſans parole, ſans mouvement, ſans reſpiration ſenſible. Il y a des noyés qu’on a crû morts, & qu’on a fait revenir en les ſaignant & les ſoulageant.

Tout cela eſt connu, & peut ſervir a expliquer comment on a pû tirer du tombeau quelques Vampires, qui ont parlé, crié, hurlé, jetté du ſang ; tout cela, parce qu’ils n’étoient pas encore morts. On les a fait mourir en les décapitant, en leur perçant le cœur, en les brûlant, & en cela on a eu très-grand tort : car le prétexte qu’on a pris de leur prétendu retour pour inquiéter les vivans, les faire mourir, les maltraiter, n’eſt pas une raiſon ſuffiſante pour les traiter comme l’on fait. D’ailleurs leur prétendu retour n’a jamais été prouvé ni conſtaté d’une maniere qui puiſſe autoriſer perſonne à uſer d’une pareille inhumanité, ni à deshonorer, faire mourir ignominieuſement ſur des accuſations vagues, frivoles, non prouvées, des perſonnes certainement innocentes de la choſe dont on les charge.

Car rien n’eſt plus mal fondé que ce qu’on dit des Apparitions, des véxations, des troubles cauſés par les prétendus Vampires & par les Brucolaques. Je ne ſuis pas ſurpris que la Sorbonne ait condamné les exécutions ſanglantes & violentes, que l’on exerce ſur ces ſortes de corps morts ; mais il eſt étonnant que les Puiſſances ſéculieres & les Magiſtrats n’emploient pas leur autorité & la ſéverité des Loix, pour les réprimer.

Les dévouemens magiques, les faſcinations, les évocations dont nous avons parlé, ſont des œuvres de ténébres, des opérations de Satan, ſi elles ont quelque réalité, ce que j’ai peine à croire pour les dévouemens & les évocations des Manes, ou des Ames des perſonnes mortes : car pour les faſcinations ou les illuſions des ſens, il ſemble qu’il eſt malaiſé de n’en pas admettre quelques-unes, comme lorſqu’on croit voir ce qui n’eſt pas, ou qu’on ne voit pas ce qui eſt préſent à nos yeux, ou qu’on croit entendre ce qui ne frappe pas nos oreilles, ou au contraire. Mais dire que le Démon peut donner la mort à une perſonne, parce qu’on a formé ſa ſtatue en cire, ou qu’on lui a donné ſon nom avec quelques cérémonies ſuperſtitieuſes, & qu’on l’a dévouée, enſorte que la perſonne ſe fente mourir à meſure que la figure de cire ſe conſume ; c’eſt donner au Démon trop de pouvoir, & à la Magie trop d’efficace. Dieu peut, quand il veut lâcher la bride à l’ennemi du genre humain, & lui permettre de nous cauſer le mal, que lui-même ou ſes ſuppôts cherchent à nous faire ; mais il ſeroit ridicule de croire que la Magie puiſſe déterminer le ſouverain Maître de la nature à permettre au Démon de nous nuire, ou de s’imaginer que le Magicien ait le pouvoir de faire agir contre nous le Démon, indépendamment de Dieu.

L’exemple de ce payſan de Delme, qui donna ſon enfant au Diable, & à qui le Diable ôta la vie, & puis la lui rendit, eſt un de ces faits extraordinaires & preſqu’incroyables que l’on rencontre quelquefois dans l’Hiſtoire, & que ni la Théologie, ni la Philoſophie ne ſavent comment expliquer. Etoit-ce un Démon qui animoit le corps de cet enfant, ou étoit-ce l’ame de cet enfant qui étoit rentrée dans ſon corps par la permiſſion de Dieu ? Par quelle autorité le Démon a-t-il pû ôter la vie à cet enfant, puis la lui rendre ? Dieu l’a pû permettre pour punir l’impiété du malheureux Pere, qui s’étoit donné au Démon pour contenter une paſſion honteuſe & criminelle. Et encore comment l’a-t-il pû contenter avec un Démon, qui lui parut ſous la forme d’une fille qu’il aimoit ? Dans tout cela je ne vois que ténébres & difficultés, que je laiſſe à réſoudre à de plus habiles & plus hardis que moi.

Extractum ex Epiſtolâ quâdam è Poloniâ
Pariſios miſſâ 9 Januarij 1693.
CASUS.

QUædam Puella non pridem affligebatur à tali Spiritu, & ex dolore quem ſenſit expergefacta, clamans auxilium petiit, & dixit, quòd hic Spiritus repræſentaret ei figuram Matris jam pri- dem demortuæ. Hæc Puella perceptibiliter attenuabatur, & macie conficiebatur. Conventum eſt ad ſepulchrum Matris, & inventum eſt cadaver molle, flexibile, inflatum & rubicundum ; amputato capite, & corde aperto, effluxit ingens copia ſanguinis, & Puella convaluit à ſuâ infirmitate & languore, & benè nunc valet.

Sacerdotes fide digni fuerunt in hâc executione, & viderunt Puellam, quæ eis narravit omnem hiſtoriam.

Quaeritur, quid Confeſſarius facere debeat, & quomodò ſe gerere, tum erga illos qui faciunt has executiones, quàm erga illos qui petunt aperiri ſepulchrum, ad amputandum caput cadaveri, quandò erit tale ut ſuprà.

Reſolutio Doctorum Sorbonœ.

NOs infrà ſcripti æſtimamus, tam hos qui faciunt has executiones, quàm illos qui petunt viſitari ſepulchra ad eum finem, peccare graviſſimè, & quòd Confeſſarii debeant admonere ſimiles perſonas, & explicare eis malum, quod faciunt in his occaſionbus, & eis denegare abſolutionem, ſi perſeverent in perverſâ hâc praxi : hoc fundatur in dua- bus rationibus ; una deſumitur ex honore debito corporibus defunctorum, alia ex facto particulari, de quo agitur.

Primò magnus ſemper delatus eſt honor & reſpectus corporibus defunctorum, ita ut religioni ducatur eos ſemper haberi in honore, & velle ut ſepulchra eorum ſint inviolabilia. Cod. de ſepulchra violato, lib. 9. t. 19. ubi affignatur poena contra violatores ſanctitatis ſepulchrorum, diciturque, eos eſſe Sacrilegos, & procedendum eſſe contra illos ut tales, quandò audent invertere & aſportare aliquid ex monumentis, ubi corpora fidelium requieſcunt. Pergit audacia, (ſunt verba Codicis) ad buſta defunctorum & aggeres conſecratos cùm & lapidem hinc movere, & terram evertere, & ceſpitem evellere, proximum ſacrilegio majores noſtri ſemper habuerint. Quibus primò conſulentes, ne in piaculum incidat contaminata religio defunctorum, hoc fieri prohibemus pœnâ ſacrilegii cohibentes. Major eſt audacia, & ſecundùm vim Legis totius meretur majorem pœnam, quandò viſitantur ſepulchra, non ad illa deſtruenda, vel ad auferendum aliquod ornamentum, fed ad amputandum caput defunctorum jacentium in illo ſepulchro.

In jure Canonico, qui amputant par- tem unam vel plures corporis defuncti, ſunt excommunicati ipſo facto ; & Papa Bonifacius VIII. qui fecit hanc legem c. deteſtanda, Excrav. de ſepult. vult, ut abſolutio ejus ſit reſervata S. Sedi Apoſtolicæ, dicitque eſſe impietatem & crudelitatem fic tractare corpora defunctorum. Defunctorum corpora ſic impiè ac crudeliter non tractentur.

Verum eſt, quòd hoc capitulum loquatur de iis qui in fruſta concidunt corpora defunctorum extra Patriam, ut faciliùs ea transferantur ; certum quoque eſt, quòd caſus propoſitus non habeat prætextum tam favorabilem, & conſequenter meretur, ut majori juſtitiâ condemnetur. Et certè hujus Canonis motivum non eſt aliud, quàm hæc ratio generalis, quòd oporteat reſpectum deferre corporibus defunctorum. Et gloſſa ſic nos docet : Catholicæ fidei humana natura eſt erubeſcenda, & ideò étiam poſt mortem corpus humanum non recipit æſtimationem.

In authentico ut defunct. tit. 15. collat. 5. ſic erat priùs his verbis : qui enim hominis naturam non érubuit, dignus eſt & pecuniis, & gloriâ, & aliis omnibus condemnari. Dicitur de illis, qui mortuo injuriam inſerunt. Poſſunt videri ſupra eandem materiam plures alii Canones quos refert Antoni. 3. part. lib. 35. tit. 12. & in Canon pœnit. 8. tit. 4. l. 7.

Secundò finis intentus in his viſitationibus ſepulchrorum cum executione reddit cauſam pejorem, quia, ut fertur, hoc fit ad vitandam vexationem Dæmonis, & recuperandam ſanitatem ; manducatur panis cum illo ſanguine factus, qui defluit ex cadaveribus, vel dum amputatur caput defuncto in ſepulchro jacenti. Undè ratio præſumendi eſt, quòd hoc fiat per pactum cum Dæmone, & unum maleficium expellitur alio, quia ille panis ſanguine mixtus, ſicut etiam amputatio capitis, naturaliter non poſſunt reſtituere ſanitatem perſonæ morti proximæ, & expellere Dæmonem eam vexantem. Non poteſt etiam dici, quòd tunc fiat à Deo miraculum. Sola narratio eorum, quæ facta ſunt Matri hujus Puellæ, de quâ agitur, ſatis oſtendit, quòd Deus non inſpiravit hunc modum, neque virtutem aliquam ſupernaturalem alligaverit tali modo ad procurandam prædictæ filiæ ſanitatem. Supponendum eſt ergò, eſſe tacitum pactum cum Dæmone, & dicendum eſt, quòd Dæmon ipſemet recedat ad præſentiam talis à ſe inſpirati maleficii.

Gerſon in opuſculo quodam facto contra doctrinam cujuſdam Medici de Montpellier dicit, quòd Facultas Pariſienſis ſic argumenta ſit Seſſ. 4. propoſitio : » omnis obſervatio, cujus effectus expectatur aliter, quàm per rationem naturalem, aut per divinum miraculum, debet rationabiliter reprobari, & de pacto Dæmonum expreſſo vel occulto vehementer haberi ſuſpecta. Sic determinavit ſacra Theologiæ Facultas Univerſit. Pariſ.

Hæc cùm ita ſint, non licet unum maleficium pellere alio. S. Thomas in 4. diſt. 34. art. 3. & Decretum Facultatis Pariſienſis, quod refert in fine operum ſuorum Magiſter Sentent, art. 6. quòd licitum ſit, aut etiam permittendum maleficia maleficiis expellere. Error undè duæ ſunt ſequelæ ; & damnandam eſſe hanc praxim, cùm ſit ab utroque jure rejecta, & etiam Lege Divinâ, quæ dicit, non eſſe facienda mala, ut eveniant bona. Secundò quòd ſi facto piorum & peritorum Medicorum conſilio non poſſit oſtendi aliqua cauſa naturalis hujus effectûs, neque juvari & ſanari aliquo remedio naturali, relinquenda ſunt omnia Providentiæ Divinæ ; melius eſt enim hæc mala pati cum patientiâ, & etiam exponere ſe morti, quàm offendere Deum. In hâc occaſione poſſet haberi recurſus ad alia media ad defendendum ſe ab hâc vexatione Diaboli ; & hæc ſunt notata in capite ſi per Sortiarias, 33. q. 2. ſi per Sortiarias atque maleficas, ccculto ſed nunquàm injuſto Dei judicio permittente, & Diabolo prœparante, &. Hortandi ſunt quibus iſta eveniunt, ut corde contrito, & ſpiritu humiliato, Deo & Sacerdoti de omnibus peccatis ſuis puram Confeſſionem faciant, & profuſis lacrymis, & largioribus eleemoſynis, & orationibus, & jejuniis Domino ſatisfaciant, & per Exorciſmos, ac cætera Eccleſiaſticæ medicinæ munia, Miniſtri Eccleſiæ tales, quantùm Dominus annuerit, ſanare procurent. Hæc quoque eſt mens Bartholomæi de Spinâ, Magiſtri quondam ſacri Palatii in Tract. de Strigibus c. 33. qui enim in hujuſmodi maleficiis & in aliis curandis obſervarent ea, quæ docet caput, ſi per Sortiarias 33. q. 2. facilè per miſericordiam Dei curarentur.

Deliberatum in Sorbonâ 1693.
G. Fromageau.
C. De Precelles.
Thomas Durieraz.
Alia Reſolutio Doctoris particularis Pariſ.
ad difficultatem propoſitam.

VIdetur quòd non debeat permitti ; ut viſitentur ſepulchra, amputetur caput, aperiatur cor defuncti, excipiatur ſanguis ex illo corpore, fiat panis, manducetur vel potetur, neque aliquid ex præfatis fiat, propter quamcunque cauſam, & ſub qualicunque prætextu ; quia videtur quòd ſint mala & ſuperſtitioſa, quòd fuerint inventa & edocta à Dæmone, & ex ſe nullam habeant virtutem & efficaciam, ad minuendam vel tollendam talem vexationem Dæmonis : ſed ipſemet operatur hos effectus, qui eis attribuuntur, & quos videntur habere, & quód eorum uſus ſupponit aliquod pactum factum cum ipſo, cui adhæretur, ſaltem implicitè, eos ad executionem deducendo. Fortaſſè illi qui ſolent facere has executiones, & qui cognoſcunt ſæpè perſonas vexatas, habent aliquod commercium cum Dæmone ; & Confeſſarii debent ab eis inquirere quâ viâ cognoſcunt tales perſonas eſſe vexatas, & quis eos docuit hoc uti remedio ; tales verò perſonas oportet adducere, ut recurrant ad Deum per frequen- tes orationes, ad implorandum auxilium & interceſſionem B. Virginis, & Sanctorum Angelorum, & aliorum Sanctorum, ut per Confeſſionem factam ſint in ſtatu gratiæ, & ut nihil ſit in eorum conſcientiâ de quo poſſint à Dæmone argui : ut devotè communicent, procurent celebrari Miſſas ad eorum intentionem, ut jejunent, eleemoſynam dent, & alia bona opera faciant. Bonum etiam eſſet uti Exorciſmis, Benedictionibus, & Orationibus ab Eccleſiâ inſtitutis, & quibus utitur ad exorciſandum Diabolum, & ad impediendum ne noceat hominibus. Demùm magnum remedium eſt procurare, ut populus afflictus ſit benè inſtructus, & ſciat Myſteria & veritates Religionis, & omnes obligationes noſtras, ad quas profeſſio Chriſtianitatis nos obligat, & chriſtianè pièque vivant ; quia ubi Deus cognoſcitur, adoratur, & fideliter ſervitur, Dæmon parùm habet poteſtatis, & ſuperſtitiones ibi non habent locum. Videatur Vallenſis jus Can. lib. 3. tit. 30. §. 9. de Parœciis & Parochianis, ubi, multa & pœna civilis 100. aureorum, & capitalis criminalis ſtatuitur in violantes ſepulchra.