Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air/Appendice II

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Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air
Texte établi par Léon Brunschvicg et Pierre BoutrouxHachette (p. 281-292).
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Appendice II

APPENDICE II


NOUVELLES EXPERIENCES FAITES EN ANGLETERRE[1]


Expliquée par les principes establis dans les deux Traitez precedens De l’Equilibre des Liqueurs, et de la Pesanteur de la masse de l’Air.


Outre les experiences qui ont esté rapportées dans les Traitez precedens, il s’en peut faire une infinité d’autres pareilles, dont on rendra toûjours raison par le principe de la Pesanteur de la masse de l’Air.

Plusieurs personnes ont pris plaisir depuis 15. ou 20. ans, d’en inventer de nouvelles. Et entre les autres, un Gentilhomme Anglois, nommé Monsieur Boyle, en a fait de fort curieuses, que l’on peut voir dans un livre qu’il en a composé en Anglois, et qui a esté depuis traduit en Latin sous ce titre : Nova experimenta Physico-Mechanica de Aëre[2].

L’on a jugé à propos d’en mettre icy en abregé les principales, pour faire voir le rapport qu’elles ont avec celles qui sont contenuës dans les Traitez precedens, et pour confirmer encore davantage le principe qu’on y a estably de la pesanteur de la masse de l’Air.

Une des choses les plus remarquables qui soit dans ce livre des Experiences de Monsieur Boyle, est la machine dont il s’est servy pour les faire ; Car comme il est impossible d’oster tout l’air d’une chambre, et qu’on ne s’estoit avisé que de vuider le bout d’un tuyau bouché par en haut par le moyen du vif argent ; cet espace vuide estant si petit, l’on n’y pouvoit faire aucune experience considerable.

Au lieu que se servant d’une machine dont la premiere invention est deüe à ceux de Magdebourg[3] mais qu’il a depuis beaucoup perfectionnée, il a trouvé moyen de vuider un fort grand vase de verre qui a une grande ouverture par en haut, par le moyen de laquelle on y peut mettre tout ce que l’on veut, et voir au travers du verre ce qui arrive quand on l’a vuidé.

Cette machine est composée de deux principales parties ; sçavoir, d’un grand vase de verre, qu’il appelle Recipient à cause de la ressemblance qu’il a avec les vases dont se servent les Chimistes, et qu’ils appellent de ce nom ; et d’un autre vase qu’il appelle Pompe, à cause qu’il sert à attirer et à suçer l’Air contenu dans le Recipient.

Le premier vase, nommé Recipient est d’une figure ronde comme une boulle, pour estre plus fort, et pouvoir mieux resister à la pression de l’Air quand on le vuide. Il est d’une telle grandeur, qu’il peut contenir 60. livres d’eau à 16. onces la livre ; c’est à dire environ 30. pintes mesure de Paris. Et c’est, dit-il, le plus grand que les ouvriers ayent pû faire.

Il a par en haut une ouverture fort large, et un couvert propre pour la boucher, qui est encore persé par le milieu, et que l’on bouche avec une clef de robinet que l’on leve plus ou moins ou tout à fait, pour faire rentrer autant d’Air que l’on veut dans le Recipient que l’on a vuidé.

Outre cette ouverture d’en-haut, le Recipient en a encore une par en bas, qui va un peu en pointe, et dans laquelle entre une des ouvertures d’un robinet.

L’autre partie de la machine, appelée Pompe, est faite d’airin en forme d’un Cilindre creux, long environ de 13. ou 14. poulces, et dont la cavité en a prés de trois de diametre.

Elle a deux ouvertures par en haut, l’une dans laquelle entre l’autre ouverture du robinet, qui entre aussi par son autre costé dans l’ouverture d’en bas du Recipient, comme nous avons dit ; en sorte qu’il y a par ce moyen communication du Recipient dans la Pompe, quand le robinet est ouvert : l’autre à costé par laquelle on peut faire sortir l’Air qui est dans cette Pompe ou Cilindre creux, et à laquelle il y a une soupape qui laisse sortir l’Air de dedans, et empesche de rentrer celuy de dehors.

Cette Pompe est toute ouverte par en bas, et l’on bouche cette ouverture avec un gros Piston, qui est juste, en sorte que l’Air ne puisse passer entre deux.

Ce Piston a pour manche une lame de fer estroite, mais assez épaisse, un peu plus longue que le Cilindre, ayant un costé tout dentelé et plein de crans, dans lesquels entrent les crans d’une roüe attachée à des pieces de bois qui servent de soutien à ce Cilindre et à toute la machine : Et ainsi en faisant tourner cette roue, l’on fait monter ou descendre le Piston comme l’on veut, et l’on chasse de cette sorte l’Air qui est contenu dans le Cilindre, qui sort par le trou qui est au haut, et que l’on rebouche aussitost avec un morceau de cuivre fait exprés, qui est juste à l’ouverture.

Cette description suffit pour pouvoir entendre les Experiences que nous devons rapporter cy apres : ceux qui en desireront voir une plus ample et plus particularisée, la pourront trouver dans le livre de Monsieur Boyle, où l’on voit aussi la figure de cette machine gravée dans une planche.

Pour vuider maintenant le Recipient par le moyen de cette machine, il faut, premierement, que le Piston soit au bas du Cilindre, que le robinet qui fait la communication du Recipient dans la Pompe soit fermé, et que le trou du haut du Cilindre soit débouché.

Les choses estant ainsi disposées, il faut faire monter le Piston par le moyen de la roüe, jusques au haut du Cilindre, et en faire ainsi sortir tout l’Air qui y est par le trou d’en-haut qui est ouvert, et que l’on bouche aussitost avec le bouchon de cuivre ; puis il faut faire redescendre le Piston jusques au bas de la Pompe, en sorte qu’elle est par ce moyen toute vuide d’Air : après cela, il faut ouvrir le robinet qui fait la communication du Recipient dans la Pompe ; et ainsi l’Air du Recipient sortant par ce robinet, remplit la Pompe, qu’il faut encore vuider de la mesme maniere qu’auparavant en fermant le robinet, et puis à remplir et la revuider toûjours, jusqu’à ce qu’on n’entende plus l’Air sortir par le trou d’en haut de la Pompe, et qu’en y approchant une bougie allumée, elle ne s’éteigne plus ; par où l’on connoist que l’on ne tire plus rien du Recipient, et qu’ainsi il est autant vuidé qu’on le peut vuider par cette machine.

Mais il est facile de comprendre qu’il est impossible de le vuider entierement par ce moyen là, comme Monsieur Boyle l’avoüe luy mesme ; parce que lors qu’apres avoir vuidé la Pompe, on ouvre le robinet, tout l’air du Recipient n’entre pas dans la Pompe ; mais il se partage dans ces deux vases suivant la proportion de leurs capacitez ; et ainsi le Recipient estant beaucoup plus grand que la Pompe, il demeure une plus grande partie d’air dans le Recipient que dans la Pompe ; en sorte que l’on ne sçauroit empescher qu’il n’y en reste toûjours une quantité un peu considerable, à moins que la capacité de la Pompe ne fust incomparablement plus grande que celle du Recipient ; ce qui n’a point esté fait.

Et ainsi il ne faut pas s’estonner si quelques effets ne s’y font pas comme ils devroient se faire, s’il estoit entierement vuide ; comme, par exemple, que le vif argent n’y tombe pas entierement dans l’experience ordinaire, et que mesme quand on la fait avec de l’eau, elle y demeure suspendüe en une hauteur assez considerable.

Mais il y a cela à remarquer, que si ces effets ne s’y font pas entierement, du moins ils s’y font dans la plus grande partie, et suivant la proportion de l’Air que l’on a tiré du Recipient ; car, par exemple, comme le rapporte Monsieur Boyle dans l’experience qu’il en a faite, le vif argent n’y demeure pas suspendu à la hauteur de 27. poulces comme il feroit dans l’Air, mais seulement à celle d’un doigt, c’est-à-dire à 9. ou 10. lignes ; et l’eau n’y demeure pas suspenduë à la hauteur de 32. pieds, mais seulement à celle d’un pied, suivant la mesme proportion que le vif argent ; ce qui est une grande diminution, et qui montre aussi bien que ces effets viennent de la pesanteur de l’Air, dont il ne reste qu’une petite partie dans le Recipient, que si cette eau et ce vif argent tomboient entierement dans un lieu qui fut entierement vuide.

Car il est certain que rien ne fait mieux voir que c’est la pesanteur de la masse de l’Air qui produit tous ces effets que l’on remarque dans les Liqueurs qui demeurent suspenduës les unes plus haut, et les autres plus bas, dans l’experience ordinaire du Vuide, que de voir que, comme ces effets cessent entierement lorsque l’on oste entierement la pression et le ressort de l’Air, ce que l’on fait par l’experience du vuide dans le vuide, ils diminuent aussi tres sensiblement, et sont presque reduits à rien, lorsque l’Air qui presse le vase où la liqueur se répand, est extrémement diminué, comme en cette machine de Monsieur Boyle.

Et c’est pourquoy, encore que l’on puisse faire quelques experiences dans ce Recipient, qui paroissent toutes semblables à celles qui se feroient en plein Air ; comme, par exemple, que deux corps polis y demeurent attachez l’un contre l’autre sans se des-unir, quand on en a attiré l’Air avec la Pompe, il ne s’ensuit pas pour cela que cet effet puisse se faire aussi bien dans le Vuide que dans l’Air, et qu’ainsi il n’est point causé par la pesanteur de l’Air, ce qui seroit contraire à ce qui a esté dit dans le Traitté de la pesanteur de la masse de l’Air ; mais il s’ensuit seulement que cet effet vient de l’Air qui est resté dans ce Recipient, lequel se dilatant et se rarefiant, à cause qu’il n’est plus comprimé par l’Air exterieur, presse, par son ressort, ces deux corps l’un contre l’autre, et a encore assez de force pour les empescher de se des-unir : mais comme ils ne sont pas si pressez que dans l’Air, si l’on pouvoit mettre les mains dans ce Recipient, l’on ne sentiroit pas sans doute une si grande resistance à les separer ; ou bien si l’on en vouloit faire l’experience d’une maniere plus facile, il n’y auroit qu’à pendre au corps de dessous un poids un peu considerable, qui fit le mesme effet qu’une main qui le tireroit, et l’on verroit qu’en vuidant le Recipient, ces deux corps se separeroient beaucoup plus facilement que dans l’Air. Ainsi cette experience est toute semblable à celles que nous avons rapportées de l’eau et du vif argent que l’on fait dans cette machine ; car comme si, au lieu d’un tuyau de trois ou quatre pieds dont on se sert pour faire l’experience avec de l’eau, dans lequel l’eau se vuide jusques à la hauteur d’un pied, on se servoit d’un tuyau qui ne fut long que d’un demy pied, il arriveroit qu’en vuidant l’Air du Recipient l’eau ne tomberoit point, mais demeureroit toûjours suspenduë jusques au haut du tuyau, parce que l’Air qui y reste suffiroit encore pour la soutenir dans cette hauteur. Et, comme l’on ne pourroit pas conclurre de là que l’eau demeuroit de mesme suspenduë dans des tuyaux plus hauts, comme de 3. ou 4. pieds, ou de quelque hauteur qu’ils fussent, et qu’ainsi cet effet de la suspension de l’eau ne vient point de la pression de l’Air : l’on ne peut pas conclure aussi, de ce que deux corps pesans peut estre chacun 4. ou 5. onces, ou mesme un peu plus, demeurent attachez l’un contre l’autre dans ce Recipient, que deux corps beaucoup plus pesans y demeureront de mesme unis l’un à l’autre, et qu’ainsi cet effet de l’adhesion de deux corps polis, appliquez l’un contre l’autre, n’est point causé par la pesanteur de l’Air.

Ainsi l’on voit dans toutes les experiences qui se peuvent faire dans cette machine, que celles où il arrive des effets pareils à ceux que nous venons de rapporter, ne font rien contre ce principe de la pesanteur de l’Air, puisque l’on peut dire, avec raison, qu’ils sont causez par l’Air qui reste dans le Recipient ; et que les autres au contraire servent autant à le prouver et à l’establir, que si le Recipient estoit tout à fait vuidé.

Nous allons donc en rapporter quelques-unes, tirées, comme nous avons dit, du livre de Monsieur Boyle, en faisant voir qu’elles dependent manifestement du principe de la pesanteur de l’Air.

I. Il remarque premièrement, qu’ayant vuidé le Recipient en la maniere qui a esté dite, l’on a beaucoup de peine à lever la clef de robinet qui est au haut du Recipient, comme nous avons marqué, et que l’on la sent pesante, comme si un grand poids pendoit au bout d’en bas.

Ce qui est bien naturel et bien aisé à expliquer par le principe de la pesanteur de l’Air ; car dans cette experience, l’Air ne touchant point cette clef par dessous, mais seulement par dessus, il faut, pour la lever, lever la colomne d’Air qui pese dessus, laquelle estant pesante, il ne faut pas s’estonner si on trouve la clef pesante, et si on a de la peine à la lever.

II. Il remarque aussi qu’après avoir fait monter le Piston jusqu’au haut du Cilindre, et qu’on en a ainsi chassé tout l’Air, l’on a beaucoup de peine à le faire redescendre, et qu’il semble qu’il soit collé et attaché au haut du Cilindre ; en sorte qu’il faut employer une grande force pour l’en separer.

Cet effet n’est pas plus mal-aisé à expliquer que le precedent. Car puisque l’Air qui environne le Piston le presse par dessous, et non par dessus, il faut, pour le baisser, repousser et soulever la colomne d’Air qui fait effort contre le bas ; ce qui ne se peut faire qu’avec peine, et en y employant une force considerable.

III. Il rapporte après cela plusieurs experiences qu’il a faites dans le Recipient ; et premierement celle d’une vessie d’Agneau assez ample, seche, fort molle et seulement à demy pleine d’Air, dont ayant bien bouché l’orifice, en sorte qu’il n’y pouvoit point du tout entrer d’Air, il la mit en cet estat dans le Recipient, et en ayant ensuite bien bouché l’ouverture, il le fit vuider par le moyen de la Pompe ; et à mesure qu’il se vuidoit, l’on voyoit la vessie s’enfler, en sorte qu’avant mesme que le Recipient fut autant des-empli d’Air que l’on pouvoit le des-emplir, elle paroissoit entierement tenduë, et aussi bandée que si l’on y eut soufflé de l’Air. Pour estre encore plus assuré que l’enfleure de cette vessie venoit de ce qu’on ostoit l’Air qui l’environnoit et qui la pressoit, il fit lever un peu la clef de robinet qui estoit au haut du Recipient, pour y faire rentrer de l’Air petit à petit ; et à mesure qu’il y entroit, l’on voyoit la vessie se ramollir peu à peu, et enfin, quand on y laissoit entrer tout à fait l’Air, elle devenoit aussi flasque qu’auparavant.

Il rapporte sur ce sujet une experience toute pareille que l’on faisoit avec une vessie de Carpe, dont il attribue l’invention à Monsieur de Roberval[4].

Il a refait plusieurs fois cette mesme experience avec la vessit d’Agneau, et il remarque que, lorsqu’il y laissoit trop d’Air, elle se crevoit, et en crevant faisoit un bruit semblable à celui d’un petart.

Pour rendre raison de cet effet par nostre principe, il n’y a qu’à dire en un mot qu’il est tout pareil à celuy qui a esté rapporté dans le Traitté de la Pesanteur de l’Air, page 53. d’un balon qui s’enfle ou se des-enfle, à mesure qu’on le monte au haut d’une montagne, ou qu’on l’en fait descendre, puisqu’on voit de mesme cette vessie d’Agneau s’enfler à mesure qu’on diminuë l’Air qui la comprimoit et qui la faisoit paroistre molle et flasque.

IV. Il remarque encore, par plusieurs experiences qu’il a faites, qu’en vuidant un vase de verre qui ne soit pas rond, mais seulement d’une figure ovalique, il se casse toûjours, quoy qu’on le fasse fort épais ; au lieu que quand il est tout à fait rond comme une boulle, quoy qu’il soit beaucoup plus mince, il ne se casse point, parce que cette figure fait que ses parties s’entre-soutiennent et se fortifient les unes les autres.

Cet effet ne vient pas de l’horreur que la nature a pour le Vuide, puisque si cela estoit, le vase rond devroit aussi bien se casser que l’autre : mais il vient de la pesanteur de l’Air, lequel pressant beaucoup ces deux vases par dehors, et tres-peu par dedans, quisqu’ils sont presque vuides d’Air, casse celuy qui est en forme ovalique, parce qu’il a moins de resistance ; mais ne casse point celuy qui est rond, parce que cette figure le rend plus fort et plus capable de resister à l’effort que l’Air fait pour le casser.

V. C’est aussi par ce mesme principe de la pesanteur de l’Air, qu’il faut expliquer une autre experience qu’il rapporte d’un Siphon plein d’eau, long d’un pied et demy, qu’il mit dans son Recipient, et qui cessa de couler dés lors qu’on eut vuidé ce Recipient par le moyen de la Pompe ; car il est clair que l’Air qui reste dans le Recipient ne pouvant élever l’eau par sa pression que jusqu’à un pied, comme on a remarqué cy dessus, un Siphon long d’un pied et demy devoit cesser de couler.

VI. Il a encore éprouvé que des poids d’inégale grosseur, pesans également dans l’Air, perdoient leur Equilibre dans le vuide. Et il en a fait l’experience en cette maniere.

Il prit une vessie seche, à demy pleine d’Air, dont il boucha bien l’ouverture, et l’attacha en cette sorte, à l’un des bras d’une balance si juste et si delicate, que la trente-deuxiéme partie d’un grain estoit capable de la faire incliner d’un costé ou d’autre ; et à l’autre bras de la balance il mit un poids de plomb de la mesme pesanteur que la vessie ; en sorte que ces deux poids estoient ainsi en Equilibre dans l’Air ; et mesme il remarque que le poids de plomb pesoit un peu plus que la vessie.

Ayant mis le tout dans le Recipient, et ayant tiré l’Air avec la Pompe, l’on voyoit au contraire le costé où estoit penduë la vessie, l’emporter par dessus l’autre, et baisser de plus en plus à mesure que l’on tiroit plus d’Air du Recipient et en laissant rentrer l’Air petit à petit, l’on voyoit aussi la vessie remonter peu à peu, et enfin redevenir à son Equilibre quand on y laissoit entrer tout à fait l’Air.

Cet effet est tout pareil à ce qui a esté dit dans le Traitté de l’Equilibre des Liqueurs, pag. 27. et 28.[5] qu’il se peut faire que des poids soient en Equilibre dans l’Air, qui ne le seroient pas dans l’eau, ny mesme dans un Air plus humide ; et la raison qui en est donnée en cet endroit doit aussi servir à expliquer l’experience que nous venons de rapporter.

Car il est clair que lorsque la vessie est dans l’Air en Equilibre avec le plomb, elle est contrepesée en cet estat non seulement par le plomb, mais par un volume d’Air égal à soy, beaucoup plus grand que n’est celuy qui contrepese le plomb : or, estant mise dans ce Recipient presque vuide, encore que sa pesanteur naturelle n’augmente pas, neanmoins elle est moins contrepesée et moins soûtenuë, parce que le volume d’Air qui la contrepesoit a perdu beaucoup de sa force par la diminution d’Air, et bien plus à proportion que celuy qui contrepesoit le plomb, parce qu’il est bien plus grand ; et par consequent la vessie qui estoit en Equilibre dans l’Air, doit s’abaisser dans ce vuide, et cesser d’estre en Equilibre.

Outre ces Experiences, Monsieur Boyle en a fait quelques autres, lesquelles ne dependent point, à la verité, du principe de la pesanteur de l’Air, et qui arriveroient tout de mesme quand il ne peseroit pas, mais qui n’y sont point aussi contraires.

Il a éprouvé, par exemple, qu’un pendule ne va pas si vite dans l’Air que dans le Vuide ; et pour le connoître, il en a pris deux parfaitement égaux dans l’Air, dont il en a mis l’un dans le Recipient, et laissé l’autre dans l’Air ; et ayant ensuite fait vuider le Recipient, le pendule qui y estoit enfermé alloit plus vite que celui qui estoit en plein Air, en sorte que l’on comptoit 22. battemens de l’un contre 20. seulement de l’autre.

Il a encore remarqué que les sons diminuoient beaucoup de leur force dans ce Recipient lorsqu’on le vuidoit ; ce qu’il a éprouvé par le moyen d’une Montre sonante qu’il a mise dans ce Recipient, et que l’on n’entendoit presque point sonner apres l’avoir vuidé, quoy qu’on l’entendit fort bien auparavant.

Ce qui n’est point contraire, comme il semble, à ce qui a esté dit dans l’experience que nous avons rapportée de la vessie, laquelle en se crevant faisoit autant de bruit qu’un petart[6] ; car tout ce qu’on peut justement conclurre est qu’il faudroit que le bruit eut esté beaucoup plus grand.

Il a voulu éprouver, outre cela, si le feu se pourroit conserver dans ce Recipient vuidé, et combien de temps il y dureroit ; & pour cela il y mit premierement une chandelle de suif allumée, qu’il dit s’estre esteinte en moins d’une minute, après avoir vuidé le Recipient ; et ayant fait la mesme experience avec un petit cierge de cire blanche, il n’y demeura pas non plus allumé plus d’une minute.

Il mit ensuite des charbons ardens, et l’ayant fait aussi tost vuider, il remarqua que, depuis que l’on avoit commencé à le vuider jusqu’à ce que les charbons fussent entierement éteints, il s’estoit seulement passé trois minutes. Et y ayant mis de la mesme maniere un fer rouge au lieu de charbons, cette rougeur dura visible pendant l’espace de 4. minutes.

Il a fait encore la mesme épreuve avec un bout de la meche dont se servent les Soldats pour leurs Mousquets, qu’il suspendit toute allumée dans son Recipient, et qui s’éteignoit tout de mesme à mesure qu’on le vuidoit.

Il a voulu encore après cela éprouver ce que deviendroient les animaux que l’on mettroit dans ce Recipient ; si ceux qui ont des aîles y voleroient ; si les autres y marcheroient ; et enfin si les uns et les autres y pourroient vivre long-temps.

Il y mit premierement de ceux qui ont des aîles, comme de grosses mouches, des Abeilles et des Papillons ; mais apres qu’on eut vuidé le Recipient, ils tomberent du haut en bas sans se pouvoir du tout servir de leurs aîles.

Il y mit encore une Aloüette, qui non seulement y perdit l’usage de ses aîles, mais devint tout d’un coup languissante ; et ayant ensuite souffert plusieurs convulsions tres violentes, on la vit enfin expirer, et tout cela se passa pendant l’espace de 9. ou 10. minutes.

On y mit ensuite un Moineau, qui y mourut de mesme, après 5. ou 6. minutes ; et apres, une Souris qui y vécut un peu plus longtemps, et qui n’y souffrit pas tant de convulsions que les animaux à aîles[7].

Voulant aussi éprouver si les poissons y pourroient vivre, et n’en pouvant avoir d’autres vivans, il y mit une Anguille, laquelle, après que l’on eut vuidé le Recipient, y demeura couchée et immobile durant long-temps, comme si elle eut esté morte. Neanmoins, quand on ouvrit après cela le Recipient et qu’on l’en retira, on trouva qu’elle ne l’estoit pas, et qu’elle estoit aussi vive qu’avant qu’on l’y mit.

Voilà ce que l’on a jugé à propos d’extraire du livre de Monsieur Boyle, et les experiences que l’on a trouvées les plus considerables, et qui ont le plus de rapport au sujet des Traitez precedens, dont les unes ont cela de particulier, qu’elles prouvent clairement que l’Air a de la pesanteur, & toutes ont cela de commun, qu’elles ne prouvent rien qui soit contraire à ce Principe.

  1. Éd. 1663, p. 210–232, l’auteur de ces pages n’est pas nommé ; mais c’est, à n’en pas douter, Florin Perier.
  2. Voici le titre complet : Nova Experimenta Physico-Mechanica de Vi Aeris Elastica, et ejusdem Effectibus, Facta maximam partem in Nova Machina Pneumatica et ad (Nepotem suum) Nobilissimum Dnum Carolum Vicecomitem de Dungarvan, Illustrissimi Comitis de Corke summi Regni Hyberniæ Thesaurarii filium primo-genitum literis pridem transmissa Ab Honoratissimo Dno Roberto Boyle Armig. — Ex Anglico in Latinum noviter conversaOxoniæ Excudebat H. Hall Academiæ Typographus, Impensis Tho : Robinson, 1661. — Perier avait trouvé dans le livre de Boyle plusieurs mentions du nom de Pascal : p. 22, l’éloge de l’expérience du Puy-de-Dôme, p. 98 une allusion à l’expérience illustre qui substitua l’eau au mercure.
  3. Otto de Guericke et Schott (ibid., p. 3).
  4. Sur l’expérience de la vessie, vide supra, t. II, p. 295 sqq.
  5. Vide supra, p. 179 sqq.
  6. Vide supra, p. 288.
  7. Vide supra, t. II, p. 12. n. 1, et p. 310.