Travaux de la Société de Géographie en 1829

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PARISExtrait de la notice annuelle des travaux de la Société de géographie, lue dans sa séance publique, le 11 décembre 1829, par M. de Larenaudière, secrétaire général de la commission centrale.


Messieurs,

« Pendant l’année qui vient de s’écouler, votre histoire s’est encore mêlée à celle de la science ; vous vous êtes associés par de nobles encouragemens à de grands travaux géographiques. Le prix fondé pour la découverte la plus importante est échu à l’une des plus utiles et des plus heureuses entreprises des temps modernes. Deux jalons avaient été posés par Hearne et Mackenzie sur les rivages hyperboréens de l’Amérique ; le capitaine Parry avait reconnu de son côté les anciennes découvertes de Bylot, et Baffin, de Middleton et de Fox, ainsi qu’une partie de la presqu’île Melville. Mais d’immenses lacunes restaient à remplir ; le capitaine Franklin et le docteur Richardson les ont en grande partie comblées ; grâces à leur zèle et à leurs talens, le tracé des côtes-nord du nouveau monde depuis la pointe Beechey jusqu’au cap Turnagain a été inscrit sur nos cartes. En accordant au premier la médaille d’or, et au second la mention la plus honorable, vous avez dignement apprécié l’importance de tels résultats rehaussés par de nombreuses observations scientifiques. Votre suffrage s’est réuni à celui des deux mondes.

« De plus modestes travaux sont venus se présenter à votre examen. Trois mémoires sur le nivellement d’une partie hydrographique de la France ont été soumis au concours. L’un d’eux, le no 1, ayant pour auteur M. Lepeudry et pour sujet le nivellement de la rivière de l’Aisne entre Evergnicourt et l’Oise, a mérité vos suffrages.

« Aux différens prix que vous aviez déjà proposés et qui sont restés sur votre programme, vous en avez ajouté un d’une haute importance géographique. Il est destiné au premier voyageur qui sera parvenu jusqu’au lieu désigné sur nos cartes sous le nom de Marawi. On demande à ce voyageur de nombreux renseignemens et des observations précises. Là sont de grands périls à affronter et de grandes conquêtes à faire. Ne désespérons pas qu’un de nos compatriotes n’accomplisse cette tâche difficile. La France est en veine de bonheur. Quand on a pénétré dans Temboctou on ne compte plus avec les obstacles, et les points les moins accessibles de l’Afrique semblent appartenir à la courageuse persévérance.

« À ce nom de Temboctou qui s’associe intimement avec celui de M. Caillié, s’éveille votre impatiente curiosité. Le récit de ce courageux explorateur est sur le point de paraître ; encore quelques jours et vous pourrez traverser l’Afrique avec lui et le suivre sur un sol que le pied de l’Européen n’a point encore foulé. Terres et peuples, mœurs et langages, beaucoup de choses seront nouvelles dans ce voyage qui réunit l’attrait du merveilleux à l’intérêt de la science. Cette dernière n’est pas oubliée. Le récit de M. Caillié est accompagné de notes qui servent à éclaircir plus d’une difficulté. Elles sont dues à M. Jomard, qui fait de l’Afrique l’objet d’une étude spéciale.

« D’autres contrées musulmanes d’un accès plus facile ont été explorées par plusieurs de nos collègues. La Turquie, l’Égypte et la Nubie, ont été long-temps habitées et parcourues par M. Rifaud dans un but scientifique. Là semblent inépuisables les richesses de la nature et les débris d’une civilisation qui touche aux premiers âges. Aussi les abondantes récoltes faites par d’habiles voyageurs, et surtout par cette immortelle expédition d’Égypte, l’honneur de la France, n’ont pas empêché M. Rifaud de réunir les matériaux d’un grand ouvrage. Ses dessins sont nombreux ; beaucoup d’entre eux ont le mérite de faire connaître des choses nouvelles. Les antiquités, l’histoire naturelle auront à gagner par la publication de ses travaux.

« Ceux de M. Fontainier doivent vous intéresser à plus d’un titre. Ils sont spécialement géographiques et répondent souvent aux questions dont vous lui avez remis la solution. »

M. le secrétaire général s’occupe successivement des voyages ou excursions dans quelques contrées de l’Orient, de MM. Vidal, Guys et Jouannin, et arrive à une exploration d’une haute importance, celle de l’Astrolabe.

« La société de géographie, dit-il, s’est trop souvent associée à cette mémorable campagne pour n’en pas rappeler les résultats dans une de ses réunions solennelles. M. d’Urville, digne successeur de MM. de Freycinet et Duperrey, s’est attaché surtout à reprendre la suite des opérations de M. d’Entrecastaux. Les siennes ont commencé sur les côtes de la Nouvelle Zélande, dont un développement de 400 lieues a été tracé. Des baies, des îles, des canaux qui n’avaient pas été indiqués, sont venus se placer sur les cartes de l’Astrolabe ; elles constatent encore comme un fait nouveau que l’île nord de la Nouvelle Zélande est presque divisée en deux par un isthme très étroit. Dans cette expédition, la reconnaissance des îles Fidji, qui reçurent le nom national de Viti, présentent un fil d’opérations habilement liées entre elles, et dont le résultat détermine la position et les contours de cent-vingt îles ou îlots dont quelques-uns étaient inconnus. Les îles les plus méridionales de l’archipel du Saint-Esprit sont observées. On fait la géographie des îles Loyalty, et le travail du navigateur français remplit cette lacune que les Anglais avaient laissé subsister dans l’hydrographie de cet archipel. Parmi les reconnaissances complètes ou détaillées, il faut citer celles des îles Langhlan, de la partie orientale des îles Dublon, des îles Elivi, de la côte méridionale de la Nouvelle Bretagne, et de cette longue suite de rivages entre le détroit de Dampier et la baie de Geelwink, qui bordent la Nouvelle Guinée dans la partie du nord.

« En masse, l’expédition de l’Astrolabe procure à la géographie et à l’hydrographie la reconnaissance détaillée de près de 1000 lieues de côtes les moins connues du globe, et offre la position de près de 200 îles ou îlots, dont 70 à 80 n’avaient encore figuré sur aucune carte.

« Les résultats de ce voyage sous les rapports géologiques et de l’histoire naturelle intéressent aussi la géographie physique à laquelle ils se rattachent. MM. Quoy et Gaimard, naturalistes de l’expédition, ont exécuté ces travaux avec le zèle et le talent dont ils avaient déjà donné des preuves. Les collections qu’ils ont faites, les espèces nouvelles qu’ils ont recueillies, sont considérables ; elles surpassent celles de leurs prédécesseurs : eux-mêmes qui avaient donné le droit d’être exigeans à leur égard, se sont surpassés.

« Si comme navigateurs, la science doit féliciter le capitaine d’Urville et les habiles officiers de l’Astrolabe, la France, comme citoyens, a des éloges à leur offrir. Ils ont eu le bonheur d’acquitter sa dette envers une grande infortune. Ils ont reconnu les tristes parages où disparurent les bâtimens de Lapérouse : ils ont vu à travers les eaux transparentes les restes disséminés de cette expédition. Mais si des débris inanimés ont révélé le lieu du naufrage, pas un débris vivant n’est venu consoler leurs regards, pas une voix française n’a répondu à la leur. Instruits par un silence de mort, ils ont payé aux mânes de nos malheureux compatriotes le tribut de leur douleur et de nos regrets, et Vanikoro a vu les hommes de la France de Charles x élever sur son rivage un monument de deuil aux hommes de la France de Louis xiv. Un cénotaphe placé sur un point au milieu du grand Océan est donc aujourd’hui le seul résultat de quarante années de recherches. »

M. le secrétaire passe successivement en revue les actes de la Société, les communications qui lui ont été faites et les principaux travaux géographiques de ses membres.

En parlant de la statistique, il a signalé comme des modèles à suivre, les grands travaux de M. le comte de Chabrol et de M. Balbi, et a fait voir l’utile influence que de telles compositions exerçaient sur les progrès de cette branche de la science qui prend tous les jours un caractère plus élevé et plus philosophique…

Interprète des regrets de la société, M. le secrétaire termine son rapport en payant à la mémoire de MM. Pacho et de Rossel un tribut d’éloges bien légitime.

« M. de Rossel, dit M. Larenaudière, entré dans la marine au sortir de l’enfance, se fit un nom militaire dans les combats des années 1781 et 1782. Une autre gloire lui était réservée, celle de la science ; gloire pure de tout souvenir amer, et chère à l’humanité. Apprécié par le général d’Entrecastaux, il fit avec lui cette grande campagne à la recherche de Lapérouse, ordonnée par Louis xiv. Gardien des matériaux réunis pendant cette longue et savante exploration, il eut le bonheur de les conserver sur une terre ennemie et de les rendre à la France, enrichis du fruit de ses observations et de ses propres recherches. De la publication de ce voyage et du bel atlas qui l’accompagne, date le nouvel essor de l’hydrographie parmi nous ; ses brillans progrès sont attestés par les grands monumens publiés dans le cours des dernières années.

« L’entrée de M. de Rossel au dépôt de la marine fut une conquête du talent, et cependant ce savant navigateur se crut obligé de justifier un tel choix comme s’il eût manqué de titres. On sait avec quel zèle, quel dévouement, il a contribué au développement et à l’éclat de ce bel établissement où ses efforts étaient partagés par des collaborateurs ses anciens camarades, ses émules, ses amis, en tout dignes de lui.

« L’académie des sciences et le bureau des longitudes garderont long-temps le souvenir de son utile coopération. Ils consigneront dans leur histoire l’influence de ses écrits sur les progrès de l’art de la navigation et de l’astronomie nautique.

« M. de Rossel vit dans la Société de géographie un établissement éminemment utile ; il fut un de ses fondateurs. Il est resté constamment attaché à la sagesse de ses institutions primitives, à la pensée qui l’avait créée ; il s’est fait un devoir de la rappeler toujours à sa véritable destination.

« M. de Rossel vivait uniquement pour la science ; peut-être, et c’est un regret de plus, son dévouement qui ne connaissait pas de bornes a-t-il contribué à sa mort prématurée.

« Un esprit juste présidait à ses travaux. Les mers lui étaient familières, et peu d’hommes connaissaient mieux que lui le sillage des différens bâtimens de découvertes, depuis Colomb jusqu’à nous. Élève, ami, admirateur de Fleurieu et de Borda, il avait appris d’eux cette critique hydrographique qui permet de restituer à chacun ce qui lui appartient, et de signaler les lacunes de la science ou ses véritables conquêtes. Ses connaissances, fruit de l’expérience et de l’étude, le rendaient indispensable lorsqu’il s’agissait de tracer le plan d’une expédition de découvertes, et le mérite de ses instructions fut toujours apprécié par les officiers chargés de les exécuter…

« Dans ces ouvrages élémentaires, les méthodes et les formules les plus simples sont toujours préférées, comme si M. De Rossel avait à cœur d’initier le vulgaire à de tels secrets, et de se mettre à la portée de toutes les intelligences ; c’est un titre de plus dans un siècle éclairé…  »