Trente-six Ballades joyeuses/Ballade sur lui-même

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Trente-six Ballades joyeusesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 249-250).

XXVI

Ballade sur lui-même

Assembleur de rimes, Banville,
C’est bien que les chardonnerets
Chantent dans les bois de Chaville ;
Mais veux-tu chez les Turcarets
Emplir ton coffre et tes coffrets ?
Plante là ton rêve féerique !
C’est bien dit, mais je ne saurais,
Je suis un poëte lyrique.

Je puis encor charmer la ville
Avec la flûte de Segrais ;
Mais exercer un art servile,
Comment l’oserions-nous, pauvrets !
Si je le pouvais, j’aimerais
La toile-cuir et l’Amérique,
Mais de quoi servent les regrets ?
Je suis un poëte lyrique.

Mon allure est trop peu civile.
Toujours (autrement je mourrais,)
Fuyant toute besogne vile,
Je retourne aux divins retraits,
Comme, fuyant l’impur marais,
À travers la nue électrique
L’oiselet retourne aux forêts ;
Je suis un poëte lyrique.

Envoi.

Prince, voilà tous mes secrets,
Je ne m’entends qu’à la métrique :
Fils du dieu qui lance des traits,
Je suis un poëte lyrique.


Juillet 1869.