Trente poésies russes/2

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J’étais une herbe aux champs…

(D’APRÈS SOURIKOV )
















J’ÉTAIS UNE HERBE AUX CHAMPS…



J’étais une herbe aux champs, verdoyante et fleurie.
Le soleil m’inondait de ses joyeux rayons ;
Je grandissais, paisible en ma calme prairie,
Libre comme l’essaim des jeunes papillons.

La main du moissonneur sans pitié m’a fauchée.
Adieu, féconde ardeur du ciel limpide et bleu,
Souffle frais du matin, brise embaumée, adieu !
À terre je languis flétrie et desséchée…

Oui, voilà bien, vraiment,
La triste destinée
À laquelle ici-bas le sort m’a condamnée !…
Hélas ! Hélas ! tout n’est que peine et que tourment !





J’étais un arbrisseau dans la forêt. Tranquille,
Je croissais, et déjà l’ombre de mes rameaux,
Offrant aux nids peureux un sûr et frais asile,
S’égayait au concert éternel des oiseaux.

Du bûcheron cruel l’impitoyable rage
M’a frappé. Mes débris mutilés et jaunis
N’entendront plus jamais le murmure des nids.
À terre je languis sans oiseaux, sans ombrage…


Oui, voilà bien, vraiment,
La triste destinée
À laquelle ici-bas le sort m’a condamnée !
Hélas ! hélas ! tout n’est que peine et que tourment !





Le cœur insoucieux, j’étais la jeune fille
Heureuse, et de sa joie emplissant la maison ;
Abritant mon bonheur au foyer de famille,
Je n’avais pas rêvé de plus vaste horizon.

Mon injuste marâtre ordonne que je suive
Un morose vieillard qui devient mon époux.
Loin des miens, loin de tout ce qui m’était si doux,
Et sans amour, il faut désormais que je vive !


Trop cruelle est, vraiment,
La triste destinée
À laquelle ici-bas le sort m’a condamnée !…
Hélas ! pour moi tout n’est que peine et que tourment !