Trois filles de leur mère/17

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Jean-Claude Lattès (p. 251-253).

ÉPILOGUE

Heureusement pour ma santé, mais par un coup fatal au sein de mes plaisirs, cette existence fut rompue quelques jours plus tard.

Un soir, la concierge me remit ce billet énigmatique et pourtant déchiffrable.

« On nous ennuie là-bas à cause du numéro trois. Je les emmène très loin cette fois-ci ; mais on revient en quinze jours de ces pays-là et nous nous reverrons. Elles t’embrassent. Nous avons été vraiment gentilles, mais toi aussi. Je t’embrasse la dernière. »

Dirai-je que jusqu’à cet instant je n’avais pas assez considéré tout ce qu’une telle aventure m’offrait de singulier, de complexe et d’agréable ? Le désespoir que j’eus à lire ces dix lignes fut cent fois plus violent que n’eût été mon plaisir et si elles m’avaient dit : « Viens ce soir. »

Je me rappelle le proverbe espagnol : Ayer putas, hoy comadres. (Hier putains ; aujourd’hui amies intimes). Ce proverbe fait pour les femmes était plus vrai pour moi que pour aucune commère de Gerone ou de Saragosse. Mais, avec la gaucherie sentimentale de mes vingt ans, je n’eus d’amour pour ces quatre putains qu’une heure après leur départ.

C’est absurde et cependant, me dirait un prêtre, cette absurdité même est une grâce de la Providence ; il eût été plus absurde encore que je prisse de l’amour pour elles si elles étaient restées quatorze ans à ma porte.

C’est grand dommage que Dieu n’existe pas, car il fait bien tout ce qu’il fait.

Dès que je pus relire à travers mes larmes le billet de Teresa, je devinai qu’il voulait dire : « J’ai eu des ennuis à Marseille à cause de Lili qui est un peu jeune ; l’affaire n’est pas classée ; on m’inquiète jusqu’ici. Je pars pour… (Le Chili ? la Plata ?…) Nous nous reverrons. »

Et plus tard, quand ma douleur me permit de méditer, je me posai comme une obsession ce problème qui depuis le premier jour restait irrésolu :

« Pourquoi, aussitôt après mon aventure avec Ricette, ai-je vu tomber dans mes bras, sa mère, sa sœur cadette et sa sœur aînée ? »

Le problème, à la réflexion, me parut plus facile que je ne le pensais :

Ricette… oui. C’est tout simple.

Teresa… Je ne comprends pas.

Charlotte… Mollesse et docilité.

Lili… toute petite fille désire l’amant de ses sœurs.

Et en fait rien n’est plus commun que de voir trois sœurs se suivre dans le même lit et prendre tour à tour le même homme pour amant. Ceci est formellement condamné par les vieux maîtres de la théologie morale, mais les mères ne mettent point entre les mains de leurs filles les bons livres où l’on imprime :

« Ne couchez pas avec l’amant de votre sœur, vous commettriez un inceste. » Les jeunes filles ont bien des excuses.