Trois mois dans les Pyrénées et dans le midi en 1858/Course de Bosost

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Luchon, dimanche, 11 juillet.


COURSE DE BOSOST.


Monté à cheval à huit heures avec P... et Ribis. Ces dames et ces messieurs doivent nous suivre en voiture. À l’entrée de Cierp, on quitte la grande route, on traverse Marignac et le bassin fertile et bien planté qui s’étend au pied des montagnes de Saint-Béat et précède l’entrée de la vallée d’Aran. Cela ressemble à un petit coin de la vallée d’Argelès. À Saint-Béat, petite église romane d’assez bon goût, et restes d’un vieux château d’où l’on a une jolie vue ; le soleil brille et anime le pays sage, mais les hauts sommets sont toujours couverts de nuages. Déjeuner charmant et très-gai ; beaucoup ri et dit de folies, qui, toutes fralches et sur l’heure, et assaisonnées de l’appétit, du grand air, de la bonne humeur, de la perspective du plaisir à venir, font passer de si délicieux instants, et jettent dans un jucundum oblivium.

Nous partons, et nous nous lançons à fond de train à travers la riante vallée au delà de Saint-Réal, où coule la Garenne. Enivrés de mouvement, de grand air, de galop. Plaisir d’une cavalcade et d’une nombreuse société ; mais la vue calme et recueillie des beautés de la nature y perd ; le paysage ne sert plus que de cadre. Traverse le dernier village français, Fos ; tous les habitants sont sur leurs portes. À Pont-du-Roi, qui est la frontière, les voitures s’arrêtent. — Le passage semble fermé par de hauts et âpres rochers. La vallée s’élargit bientôt ; le pays change de caractère ; l’aspect est plus âpre, plus nu, plus coloré. Les tons frais de la verdure ont fait place aux nuances rouges, jaunes, blondes. Nous arrivons à Lès, gros bourg avec un vieux château. Quoique cette vallée ait été souvent prise et reprise, on y sent bien vraiment la nationalité espagnole. Dans ce misérable pays, tous demandent la charité : femmes, jeunes hommes, etc. Une demi-heure après, on gagne Bosost. Nous y faisons l’entrée de la reine d’Espagne, deux par deux, dame et cavalier, les cinq guides en avant, faisant un bruit terrible avec leurs fouets. Grand effet. Des têtes étranges sortent à demi des étroites ouvertures qui servent de fenêtres.

Arrêtés devant l’auberge tenue par l’alcade de l’endroit, vieillard en grand costume, culotte courte, air rusé et obséquieux (type de Bartholo), qui fait ce qu’il peut pour éloigner les mendiants qui nous entourent. Nous allons visiter l’église, vieille église romane du xie siècle. En rentrant à l’auberge, on cherche à organiser des danses ; il y a un violon ; il ne manque que des jeunes filles et des gars ; nos guides y prennent part. C’est curieux de voir la gravité et l’air profondément digne avec lesquels ces gens se livrent même au plaisir ; cela relève le type commun de quelques-unes du ces femmes.

À quatre heures, la cavalcade se remet en marche. On gravit les montagnes au sud de Bosost, par un chemin raboteux et dur pour les chevaux. À mesure qu’on s'élève, la vue devient très-belle, et de la chapelle Saint-Antoine on domine un magnifique tableau. Au-dessous le sombre et triste village de Bosost ; puis toute la vallée d’Alain, qui a une courbe très-prononcée et très-gracieuse ; la Garonne au fond, comme un petit ruban d’argent, en suit les détours. Sur les sommets en face, reposent des nuages gris. On traverse le Portillon, petit passage qui descend dans la vallée de Burbe, laquelle aboutit à Castel-Viel. La descente est fraîche et jolie ; mais il ne coule pas d’eau de ces sommets : singulier effet de cette gorge silencieuse, où manque le mugissement du torrent, qu’on est habitué à entendre monter des profondeurs. Nous rentrons par le chemin de Saint-Mamet ; arrivés à sept heures.