Trois petits poèmes érotiques/La Masturbomanie/2

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Trois petits poèmes érotiquesImprimé exclusivement pour les membres de la Société des bibliophiles, les amis des lettres et des arts galants (p. 41-45).

PRÉFACE


Je chante l’incomparable plaisir d’Onan, le plus indépendant, le plus philosophique de tous les plaisirs dans l’homme : il est inspirateur, il féconde l’imagination au lieu de l’éteindre. Jamais J.-J. Rousseau n’a été plus éloquent, jamais sa plume n’a pris un essor aussi sublime que dans les moments qui suivaient ou qui précédaient les extases délicieuses où le plongeaient ses douces pollutions :


C’est en rêvant à sa Julie,
Par son vit en rut dans ses mains,
Que son foutre, avec son génie,
Passait dans ses écrits divins.


Mirabeau, dans les bras de Sophie, fut-il jamais aussi brûlant, aussi tendre que lorsque, dans la solitude de son cachot, il venait de lui faire un larcin ! Ce style de feu, cette imagination peuplée d’idées heureuses et d’images brillantes, étaient les fruits de ce plaisir.

La masturbation fut la muse de Mirabeau, comme elle avait été celle de Jean-Jacques. Tous les autres grands hommes l’ont souvent invoquée, mais avec beaucoup moins de ferveur, parce qu’ils sacrifiaient trop souvent sur l’autel de Vénus, mais aussi leur génie et leur éloquence se sont-ils moins élevés et leur ont assigné un rang moins glorieux et moins honorable dans l’opinion des hommes. Les sages que l’on admire le plus par leurs vertus mâles et par leurs principes vrais, n’ont usé que de ce plaisir, pour conserver mieux leur indépendance et leur courage. Socrate et Diogène en sont des exemples mémorables. Ils n’allaient pas, ces sages, perdre, dans les bras efféminés de la beauté, les qualités les plus précieuses de leur âme. L’homme n’est plus lui, quand il se laisse enchanter par ce sexe perfide.

Les Sirènes sont représentées sous les formes de la femme ; elles en ont la voix, la beauté et les charmes trompeurs. C’est par les abîmes où les Sirènes précipitent les malheureux voyageurs qu’elles ont attirés, qu’on a voulu représenter les dangers que l’on court en s’abandonnant à son goût pour les femmes. Que devient en effet l’homme qui leur porte son encens et son adoration ? Il devient faible, tremblant, pusillanime ; il se courbe honteusement sous un joug indigne de lui ; il devient l’esclave soumis des caprices de sa maîtresse, l’instrument de ses plaisirs et la dupe de ses infidélités : il n’a plus d’âme, plus de volonté ; il n’est plus homme ; enfin, il est comme s’il n’existait pas ; et quand il revient de cet état d’anéantissement, il ne lui reste pour souvenir que des regrets.

Jusqu’ici, ce n’est que pour les hommes que j’ai vanté les avantages de la masturbation. Mais les femmes !… C’est dans cet âge tendre où leurs sens viennent de se développer, où leurs imaginations romantiques peuplent le monde, pour elles, d’êtres accomplis et charmants ; dans cet âge heureux des illusions où l’amour commence à leur faire sentir son empire ; c’est alors que, guidées par l’instinct de la nature et par la tendre ardeur de leurs désirs, elles apprennent le secret du bonheur ; c’est alors que, d’un doigt gracieux et timide, elles approchent en rougissant du sanctuaire des plaisirs, et goûtent à longs traits les délices dont il les enivre par son léger mouvement.

Là, sur l’albâtre, on voit naître l’ébène,
Et sous l’ébène une rose s’ouvrir ;
Mais, jeune encore, elle s’ouvrait à peine,
Un joli doigt, qu’assouplit le désir,
En l’effeuillant, y cherche le plaisir.

(Parny, Guerre des dieux.)

C’est au plaisir de la pollution que ce sexe doit toutes ses vertus et son bonheur ; sa modestie, sa pudeur, sa sagesse, sont liées à ce plaisir, parce qu’il est plus doux, plus varié que celui que la beauté chercherait dans les bras d’un amant. Combien de nouveaux époux lui doivent la virginité de leurs jeunes épouses ! Cette fleur, que l’hymen se montre si jaloux de cueillir, aurait été souvent fanée par un amant heureux. Combien de maris absents ne lui doivent-ils pas la fidélité de leur ardente et chère moitié ?

Je n’ai point chanté ces derniers avantages de la pollution dans ce petit poème, parce que j’ai craint l’ennui que sa longueur pourrait causer. Peut-être en ferai-je le sujet d’un second poème, si le public paraît honorer le premier d’un accueil favorable. Je n’ai pas osé lui donner le titre ambitieux d’ode ; j’ai jugé que le genre de talent de l’auteur devait faire donner un titre plus modeste à son ouvrage.

Ce n’est qu’aux hommes faits, et non point aux jeunes gens, que j’adresse la Masturbomanie ; car je sens que, dans cet âge d’effervescence, on abuse de tous les plaisirs, et que l’abus de celui-là serait funeste comme l’abus de tous les autres.