Trois semaines d’herborisations en Corse/18

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Caporalino ; col de San Quilico. — 24 mai.


Pendant le trajet de Ponte-Leccia à Corté, un peu avant la halte d’Omessa, nous avions cherché de tous nos yeux la station unique en Corse, du rare Brassica insularis Moris et nous étions parvenus à distinguer, sur les rochers que rase la ligne, plusieurs pieds de l’intéressante crucifère qu’il nous tardait de récolter. Aidés en outre des indications de M. le Dr Gillot (Souv. voy. Corse), nous partîmes le 24 mai au matin pour la visite des rochers de Caporalino.

Auprès de la gare d’Omessa s’élève, à gauche de la voie en allant vers Bastia, une montagne calcaire dont le flanc oriental se termine brusquement par une paroi très abrupte. D’abord, les pierres amoncelées en permettent quelque peu l’ascension, mais on ne tarde pas à se heurter à des blocs inaccessibles, et si l’on se replie vers la ligne ferrée on constate l’existence d’une muraille absolument lisse qui domine d’au moins deux cents mètres le petit ruisseau de Vignolo. C’est dans les anfractuosités de cette muraille que le Brassica insularis Mor. a établi son habitat de prédilection. C’est là que le botaniste peut le voir d’un œil d’envie, cramponné à la roche par sa souche allongée et subligneuse, balancer au vent, en dehors de toute portée, ses grandes fleurs blanches veinées de rouge ou ses belles grappes de siliques arquées.

Nous le cherchâmes d’abord dans les premiers rochers, où croissaient :

Alsine tenuifolia var. intermedia R. et F.
Pisum elatius Bieb.
Cuscuta Godroni Dem.
Crupina Morisii Bor.
Biscutella Apula L.
Campanula Erinus L.
Euphorbia spinosa L.
Medicago minima Lam.
Tragopogon australis Jord.
Ptychotis verticillata Dub.
Sideritis Romana L.

Çà et là les magnifiques fleurs du Pancratium Illyticum L. étalaient leur périgone immaculé auprès des spathes livides de l’Arum muscivorum L.

L’abondance et la variété des plantes qui poussaient dans ce chaos de pierres semblaient destinées à en masquer la désolante stérilité ; il y avait encore :

Stachys glutinosa L.
Zacintha verrucosa Gærtn.
Melica rainuta L.
Tyrimnus leucographus Cass.
Medicago orbicularis All.
Theligonum Cynocrambe L.
Cynoglossum pictum Ait.
Asphodelus microcarpus Viv.,

de robustes bourraches (Borrago officinalis L.) et de grandes touffes d’euphorbes (Euphorbia Characias L.) parmi des lentisques rabougris.

Tout à coup, nous vîmes au-dessus de nos têtes deux ou trois pieds de notre chou, mais dans une situation telle qu’ils nous parurent au premier abord comme les raisins de la fable ! Pourtant, aiguillonné par la convoitise, le plus téméraire d’entre nous se glissa pieds nus le long de la roche, sur une étroite corniche que le temps avait effritée, et de là il fut possible, après bien des efforts, de déraciner les précieux végétaux. Cette audace nous coûta cher, car un soulier du profanateur, glissant inopinément, vint casser la gourde qui contenait le vin de notre déjeuner !

Nous descendîmes alors vers la voie en cueillant :

Seriola Ætnensis L.

Arenaria serpyllifolia subsp. leptoclados var. viscidula R. et F.
Stellaria media var. pedicellata R. et F.
Trifolium stellatum L.
Parietaria Lusitanica L.
Vicia hybrida L.
Asplenium Trichomaues L.
Vicia lutea L.
Phagnalon sordidum DC.
Silene nocturna var. pauciflora Otth.
Dactylis glomerata var. Hispanica (Roth).

pour faire halte au pied de la grande paroi verticale dont nous avons parlé et qui protège les plus beaux spécimens de Brassica. Il est à présumer que les visites successives des botanistes à cette localité sont pour quelque chose dans la difficulté actuelle de la récolte ; on trouve en effet bien peu de pieds qui ne soient au moins à deux ou trois mètres de tout endroit accessible. Avouons que nous avons nous-mêmes contribué au dépeuplement des rochers inférieurs, convaincus au surplus de n’avoir porté aucun préjudice au maintien de la plante dans cette station[1].

Nous hésiterons toutefois à conseiller aux explorateurs à venir le moyen que la nécessité nous inspira pour garnir nos boîtes ; certains de nos confrères trouveraient sans doute quelque difficulté à la mettre en pratique : il fallut que le plus résistant prêtât ses épaules ; l’autre s’y maintint par les genoux, et s’appuyant d’une main au rocher, parvint à saisir avec un long bâton fendu à l’extrémité les souches les plus rapprochées qui cédèrent assez facilement à une forte torsion.

Sur le flanc septentrional de la montagne, la cueillette fut également fructueuse :

Myosotis intermedia Link.
Anthriscus vulgaris Pers.
— Cerefolium Hoff.
Scleranthus Delorti Gren.
Paronychia echinata Lam.
Plantago Bellardi All.
Chærrophyllum temulum L.
Chenopodium Bonus-Henricus L.
Linaria parviflora Desf.
Hieracium præcox var. fragile A.-T.
Ranunculus bulbosus L.
Arum maculatum var. immaculatum Burnouf.
Parietaria Soleirolii Spreng.
Hieracium præcox forma sublanigera A.-T.
Vaillantia muralis L.
Acer Monspessulanum var. microphyllum Boiss.
Cratægus monogyna var. microphylla Nob.
Ranunculusbulbosus var. valdepubens Jord.
Linaria æquitriloba Dub.
Mœhringia pentandra Gay.
Cynosurus elegans Desf.
Sedum cæspitosum DC.
Tunica bicolor Jord.
Orobanche speciosa DC.

Lathyrus sphæricus Retz.
Vicia hirsuta Koch.
Specularia hybrida Alph. DC.
— falcata DC.
Cerastium brachypetalum Desp.
— — β. glandulosum Fenzl.
— glomeratum Fenzl.
— — β. apetalum Fenzl.

et nous fûmes assez heureux pour découvrir dans un espace de quelques heures trois plantes inédites qui seront décrites plus loin :

Lathyrus setifolius var. alatus Nob., déjà vu à Belgodère.
— Cicera var. tenuifolius Nob.
X Ranunculus petiolulatus Nob. (R. Bulboso velutinus Nob.).

Nous contournâmes ainsi la montagne de Caporalino pour arriver sur le plateau supérieur. On découvre de ce point une grande étendue de pays : au nord et à l’ouest la vallée du Golo dominée par le défilé de Santa Régina ; au sud le col de San Quilico par où passe la route de Ponte-Leccia à Corté. Cette dernière localité est surtout remarquable par la variété des Pivoines qu’on y a rencontrées, et qui ont été distinguées par les auteurs de la nouvelle Flore de France dans les récoltes de M. Burnouf (Pœonia ovalifolia Boiss. et Reut. ; P. Russi Biv. ; P. triternata Pall.).

Comme nous devions aller reprendre le train à la station de Sovéria dont ce col est très rapproché, il nous parut intéressant de rechercher nous-mêmes ces diverses formes. Mais vraiment, aussi bien qu’à la Toga, nous jouions de malheur, car après avoir parcouru tout le versant nord, sauf la partie basse où se trouve peut-être la colonie, il fallut revenir à Sovéria… bredouilles. Cependant la récolte de la journée s’était augmentée des plantes suivantes :

Medicago lupulina var. canescens Moris.
Orchis variegata All.
Ophrys Scolopax Cav.
Saxifraga Corsica G. G.
Cistus villosus L.
Anthyllis Vulneraria var. Dillenii (Schl.).
Cerastium semidecandrum L.
Helleborus Corsicus Willd.
Carex Halleriana var. occultata Genn.
Viola tricolor forma Kitaibeliana var. α. R. et F.
Alchemilla arvensis Scop.
Astragalus hamosus L.
Lamium bifidum Cyr.
Polygala Monspeliaca L.
Galium vernum α. Buuhini Lois.
Santolina Corsica Jord. et F.
Papaver pinnatifidum Moris.
Ophrys apifera Huds.




  1. Le Brassica insularis a été distribué en 1896-97 dans les Exsiccata de la Société Rochelaise (no 3861) et de la Société Franco-helvétique.