Tu seras journaliste/13

La bibliothèque libre.
Paysana (p. 83-97).

CHAPITRE XIII


L’assurance de la réussite donna à Caroline une poussée d’ardeur.

Comme Noël approchait, elle entreprit d’élaborer un programme pour un numéro extraordinaire. D’abord, sur la page frontispice, en encre verte, des vœux avec les hauts caractères des grands jours. Un conte choisi. Un poème qui parle au cœur et peut-être une étude sur Raoul Ponchon, le chantre des noëls.

« La Vierge est là, Joseph aussi,
« Tandis que s’égosillent
« Un brave bœuf, un âne exquis
Complétant la famille. »

Elle noèliserait toute l’atmosphère du journal.

Il faudrait auparavant gagner le consentement de Lauréat. Tout changement dans l’ordre établi au journal ne l’enthousiasmait guère, surtout en l’absence des patrons. Et pour comble, la linotype n’allait pas à son goût. L’encre verte, passe encore, mais les caractères gothiques ne lui plaisaient pas fort. D’abord, ceci entraînerait une page supplémentaire de composition, c’est-à-dire une perte de temps et d’argent. De son point de vue, il fallait considérer le journal comme une entreprise commerciale et non comme une œuvre d’art visant à un simple rapport moral. Le rapport financier primait à ses yeux.

Caroline entrevit une solution :

— Si vous obtenions des contrats d’annonces pour défrayer les dépenses, pourrions-nous avoir cette page de surplus ?

Lauréat pencha la tête, à demi ébranlé.

— Je vais toujours hâler les caractères pour les examiner.

Il ajouta, encore perplexe :

— Là, vous êtes dans votre élément.

Tandis qu’il regagnait l’atelier, Caroline, tout feu, tout flamme, rayonnait. Pour le taquiner, elle lui jeta…

— Et moi, il faut que je hâle le plus beau conte, le plus beau poème, et des histoires…

Le reste de la phrase se perdit dans la mitraillade de la grosse presse qui happait le papier et le recrachait à sa force.


Les sapins montant la garde autour d’une humble étable, l’odeur de résine, l’enfantelet Jésus tout nu dans les bras de Marie, un air de cantique, fabliaux et légendes, autant d’images qui se miraient dans l’esprit transparent de Caroline. Parfois le souvenir de son récent article le zébrait comme un éclair et le tout se fondait dans une même joie claire.

Grimpée sur un escabeau, elle sortait, à tour de bras des revues rangées depuis Dieu sait quand, avec tant de zèle, qu’elle n’entendit pas la sortie s’ouvrir en trombe.


Dans chaque village, dans chaque villette, il y aura toujours des familles rivales : elles s’en veulent à mort jurée. Une motte de terre possédée par l’une prend les vertus d’une montagne aux yeux de l’autre. Combien de meurtres les annales judiciaires ne relatent-elles pas, meurtres sous un prétexte d’apparence futile mais dont on retrace la source véritable dans la haine héritée de parents qui eux-mêmes l’avaient reçue en partage d’ancêtre lointains, la plupart du temps sans même en connaître la cause ? Une clôture affaissée ou l’intrusion d’un animal dans le parc du voisin suffisent à inciter ces ennemis implacables aux actes les plus violents.

L’Anse-à-Pécot avait aussi ses Capulets et ses Montaigus qui se haïssaient à la petite haine quotidienne et inlassable.

Caroline tressauta en apercevant près d’elle une femme à l’allure décidée et à l’œil en feu : une guerrière de renom. Hâtivement elle ramassa sa joie éparpillée aux quatre coins de son cœur et elle attendit le coup.

— C’est vous, à ce qu’on me dit, qui avez la charge du journal ?

— Je fais de mon mieux, se contenta de répondre Caroline sur la défensive.

— Eh ! bien, ma chère demoiselle, j’ai de quoi pour vous. Vous savez pas la nouvelle ?

……

Après une pause qu’elle voulait impressionnante, elle lança à tous les vents sur un ton dramatique :

— L’enfant de Moïse Desloges a voulu tuer, à coups de couteau, mon garçon de huit ans. Oui, à coups de couteau.

L’invraisemblance de la situation trouva Caroline sceptique :

— Vous m’en direz tant !

Les mots avaient bondi malgré elle.

La suite du récit révéla qu’il s’agissait d’une simple éraflure. Les enfants s’amusaient à entailler un morceau de bois quand le couteau avait jailli comme par exprès, mais à peine si la lame épointée avait pénétré entre cuir et chair. Le mal était plus dans l’idée des parents que dans le cœur des petits. Il serait doux d’humilier la famille ennemie en exposant dans le journal l’acte vilain d’un de ses membres, aux yeux de toute la communauté rurale ; il serait bon d’avoir bien à soi, avec titres et sous-titres en caractères gras, la nouvelle écrite qu’on pourrait gruger du regard à toute heure. Même à l’approche de Noël, fête d’amour, la formule primitive ; « Œil pour œil, dent pour dent » régnait toujours.

Peu enchantée de l’accueil tiède que Caroline accordait à la nouvelle, la commère minauda méchamment :

— Sans doute que vous avez vos préférés ?

— Tout le monde ici est traité sur le même pied, trancha Caroline.

— Alors, c’est drôle que depuis quelque temps on voit toujours le nom des mêmes dames dans la colonne des déplacements.

— Madame, c’est parce qu’elles donnent la peine de nous apporter une note.

— Et moi, est-ce que je ne vous apporte pas une note aujourd’hui ?

La conversation devenait insoutenable Caroline décidée à ne pas passer la nouvelle se demandait comment manœuvrer de manière à ce que la femme se déleste pour le moment du moins de ses mauvaises intentions, tout en n’encourant pas sa rancune.

Par l’entrebâillement de la porte, Lauréat l’appelait par signes. Il avait tiré une épreuve de titres en capitales avec les caractères gothiques ; seulement parmi ses vœux, elle ne pourrait se servir de la lettre P que deux fois et il ne fallait pas songer à se procurer d’autres caractères aussi démodés.

Lauréat qui entendait à rire suggéra à Caroline, d’un air innocent, d’écrire rien qu’une phrase : « Mettez la paix dans nos familles ! »

Quand, ils eurent fini de parlementer, elle revint auprès de l’abonnée qu’elle trouva rassérénée ; et en bonne voie de réconciliation.

— À bien y repenser, mettez ma demande de côté. Et je vais profiter de l’occasion pour me réabonner à La Voix des Érables ».

Après maintes excuses, elle quitta le journal.

Caroline la regarda aller sans rien comprendre à cette volte-face. Rêvait-elle ?

Sur la fin de la journée seulement, elle en eut l’explication, en se préparant à ranger les revues et les livres qu’elle avait tirés de la bibliothèque, elle trouva l’Histoire du Christ, de Papini, ouverte au chapitre du Charpentier et la trace fraîche de deux doigts appuyés aux paragraphes suivants :

« N’oublions pas que Jésus fut un ouvrier, fils adoptif d’un ouvrier. Il ne faut pas cacher qu’il naquit pauvre parmi des gens qui gagnaient leur vie au travail de leurs mains et que lui-même, avant de porter son message, gagna de ses propres mains son pain de chaque jour. Ces Mains qui bénirent les simples, guériront les lépreux, illuminèrent les aveugles, ressuscitèrent les morts, ces Mains qui furent percées de clous sur le bois avaient connu la sueur du travail, le cal et la crampe ; c’étaient des mains ayant manié les outils du travail, sachant fixer le clou dans le bois : Mains d’ouvrier ».

« Jésus, charpentier, vécut dans sa jeunesse au milieu de ces objets qu’il fabriquait de ses mains et c’est par leur moyen qu’il entra tout d’abord dans la communion des hommes, dans l’intimité journalière et sainte de la maison. Il construisait la table où il est si doux de s’asseoir avec ses amis, même quand un traître est parmi eux ; le lit où l’homme respire pour la première et pour la dernière fois ; le coffre où l’épouse paysanne serre ses pauvres hardes, ses tabliers, les mouchoirs des jours de fête, les chemises de son trousseau ; la main où l’on pétrit la farine avant de la mettre au four ; la chaise où les vieux s’assoient près du feu, le soir et parlent de leur jeunesse perdue. Et souvent, tandis que les copeaux bouclés s’envolaient au fil du rabot ou que la sciure tombait au rythme grinçant de sa lime, Jésus dut penser aux promesses de son Père, aux paroles des prophètes… à une œuvre qui ne serait plus de règles et de poutres mais d’esprit et de vérité ».


Au dehors Caroline se crut transportée au pays des fées. Le gel avait figé la pluie : la ville était de verre et les arbres en nougat. Tout scintillait. Des flottilles de neige folle voletaient dans l’air. Au tournant d’une rue, elle aperçut une haie de cèdres couronnés de neige et prosternés jusqu’à terre, semblables à des religieuses en prières sous leurs voiles blancs. Envahie par le bonheur d’être vivante, elle remuait les doigts, ouvrait les bras, buvait l’air pur à pleines goulées et d’un bel élan elle prit une course vers la maison.


À peine sur le seuil, elle entendit Mariange qui criaillait :

— Quels sont les sept péchés capitaux ?

Et Darcinette, le cœur gros, avait peine à répondre :

— Les sept péchés capitaux sont… Mais arrivée au septième, plus rien.

Mariange s’impatienta :

— Avez-vous déjà vu une enfant semblable, pas seulement capable d’apprendre une réponse ? Moi, j’avais pas l’âge de raison que je savais tout mon petit catéchisme sur le bout de mes doigts. Ça va faire la plus belle innocente que la terre ait jamais portée… Et mon manger de Noël qui attend !

Comme bien des mères inconscientes, par suite d’une mauvaise éducation, Mariange faisait porter à sa fille le contrecoup de ses succès ou de ses insuccès domestiques. Si par malheur, un gâteau était gras-cuit, Darcinette n’avait qu’à filer doux et sa mère la vouait au pire des sorts. Par contre, quand tout allait bien, l’instruction n’avait pas de pics assez élevés que l’enfant ne saurait escalader. C’était tout l’un ou tout l’autre.

Caroline jugeait cette méthode condamnable, mais elle ne saurait la réprimer que par le bon exemple. Elle intervint doucement :

— Allez faire à manger, Madame Bonneville, tandis que je m’occuperai de Darcinette.

Darcinette recommença :

— Les sept péchés capitaux sont : l’envie, l’avarice, l’impureté, la colère,… l’orgueil, la gourmandise et…

— Voyons, Darcinette, tu connais le nom de ce péché qui enlaidit, qui fait qu’une personne n’a plus le goût du travail.

Soudain, Darcinette, triomphante, claironna :

— Je le sais : c’est la tristesse.

Caroline perdue de réflexion ne dit pas grand’chose. La tristesse, un mal qui enlaidit et qui fait qu’une personne n’a plus le goût du travail ! Si souvent, elle s’est enlisée comme à plaisir dans la mélancolie, N’a-t-elle pas mal agi ? Et cette enfant ne vient-elle pas de parler une parole de vérité, même si elle n’est pas écrite en toutes lettres dans un livre ?

Darcinette attendait l’approbation de Caroline, qui corrigea :

— Pas la tristesse, mais la pa…

— La paresse.

— Bravo !

Et Caroline se mit à chantonner :

Et gai, lon la, lon laine.

Darcinette étonnée de cette explosion de gaieté la regardait avec de grands yeux. Elle jugea l’occasion propice pour réclamer une histoire.

— Une histoire ! Veux-tu celle du petit cheval blanc ?

— Je la connais.

— Le conte des trois bergers et de la princesse vêtue d’or des pieds à la tête ?

— Je la sais par cœur. Je veux une histoire neuve.

— Alors l’histoire de Notre-Dame-des-Neiges ?


Quand toutes deux furent bien calées dans le grand’fauteuil à oreillettes qu’elles avaient tiré près du feu, Caroline commença :

Il y a longtemps que tu me demandes de te parler de mon pays, je vais t’en dire assez long que tu t’en souviendras toujours. C’est un drôle de pays, pas tout uni comme par ici, ni élevé comme dans les hauts. Tout le tour de Notre-Dame-des-Neiges, il peut y avoir des bourrelets de terre et des buttes toutes en plis gras, mais à Desneiges même, c’est en plein dans le maigre du pays et plat comme la main. Quand le vent arrive là, je te dis que Desneiges trouve son maître et on dirait que la neige redouble. Aujourd’hui, il y a des maisons, mais autrefois c’était tout nu : des champs, des clôtures, une grange ; des champs, des clôtures, une grange. Tout près de là il y avait un méchant rang qu’on nommait : le rang des suisses, parce qu’une dizaine de ses habitants avaient abandonné leur religion, à cause de difficultés qu’ils avaient eues avec l’évêque. Les suisses donnaient le mauvais exemple : au travail, le dimanche comme la semaine ; ils ne payaient pas la dîme et parlaient en mal des choses saintes. Comme malgré tout ils prospéraient, le curé du village voisin craignait de les voir entraîner d’autres à leur mauvais esprit. Pour atténuer leur influence, il voulait rapprocher de Dieu ses paroissiens, en élevant une chapelle qu’un prêtre de sa connaissance, à sa retraite, pourrait desservir une fois la semaine. Le premier et le plus ardent à s’objecter au projet fut un nommé Aubuchon, maire de la paroisse.

— C’est pas nécessaire, disait-il à tout venant. Pourquoi bâtir une chapelle quand on a l’église, au village ? Pour payer encore des taxes ? L’été, c’est un plaisir de marcher une couple de milles et l’hiver, les chevaux sont là à rien faire, dans l’écurie. On attellera.

Autruchon gagna la majorité à sa cause : il n’y eut pas de chapelle dans le rang. Le curé fort peiné de la chose avait dit à Aubuchon, en quittant l’assemblée :

— Ça ne vous portera pas chance.

Aubuchon n’avait pas répliqué mais un coup sur la route, il riottait dans sa barbe : il songeait aux suisses qui réussissaient en tout et partout.

Vers la fin du même mois, un des petits Aubuchon fut pris du mal de gorge ; on n’en fit pas trop de cas. Le lendemain, un autre tomba malade et le surlendemain encore un autre.

La mère, affolée, ne savait plus où donner de la tête,

— J’ai peur au croup, mon vieux, ne cessait-elle de dire.

Au soir, l’homme inquiet malgré lui, s’énerva :

— Prends sus toé. Vous connaissez pas ça, la maladie, vous autres, les femmes. Faites leur boire une cuillérée à soupe d’huile à lampe et le mal va se sauver au galop.

La vieille Aubuchon, qui, accroupie près du poêle, tirait des oignons cuits dans la cendre, pour les mettre aux pieds des malades, se redressa avec peine et, le tisonnier à la main, elle s’approcha de son garçon. D’une voix tranchante comme l’acier, elle lui dit :

On a fait tout ce qu’il y avait à faire. T’entends ? C’est ton tour. Attelle et va qu’ri le docteur. T’entends, sans-cœur ?

Il fit le bourru mais il chaussa ses bottes malouines, prit le fouet dans le coin de la cuisine et partit aussitôt. Depuis deux jours, il neigeait sans cesser : c’était la grosse bordée de février. Les chemins étaient pas praticables et il devrait se fier au flair de son cheval ; mais il montrerait aux gens de la maisonnée ce que c’est qu’un homme de cœur, dut-il rester en chemin.

Quand il quitta le bout des maisons pour tomber en pleins champs, il sentit au vent plus acharné qu’une tempête s’élevait. Il y avait tellement de neige qu’on aurait dit une mer de neige, avec des vaguelettes et des vagues. Même un chevreuil y aurait pas trouvé son ravage. Un cahot n’attendait pas l’autre. À mesure qu’il avançait ce n’était plus des vagues, mais des affaires hautes comme ici-dedans, À un moment donné, il rencontra une trombe de poudrerie si forte qu’il en perdit le souffle. Dans son cœur, il désespéra de survivre à l’aventure.

Debout, les guides bien en mains, il exhortait son cheval qui n’avançait qu’à coups de collier, quand soudain il crut apercevoir la lueur d’un fanal. « C’est le fret qui me gagne » se dit-il et « je vas geler à mort ». Il ramassa un peu de neige et se frotta les yeux. La lueur était toujours là. Comme guidé par elle, le cheval prit un petit chemin balisé conduisant à un chantier qu’Aubuchon n’avait jamais vu. Lui qui n’avait pas la conscience en paix se rappela la parole de son curé et il pensa tout haut : « J’m’en vas dret en enfer ».

Pour mettre un comble à son étonnement, un prêtre l’accueillit sur le seuil du chantier.

— Venez vous chauffer, lui dit-il, après l’avoir engagé à attacher son cheval dans l’appentis.


— Quand Aubuchon, un peu remis, eut raconté son histoire, le prêtre conclut :

— Il serait inutile de songer à continuer votre route.

— Mes enfants ! disait simplement Aubuchon, découragé.

— Ne pendez pas courage ! J’ai deux paires de raquettes, je vous accompagne. Le cheval est à l’abri et d’ici à une heure, la tempête va se calmer.

— Mais mes enfants peuvent mourir, si je me rends pas chez le docteur.

— Je les soignerai. J’ai tout ce qu’il faut, ajouta-t-il en montrant une petite trousse. Vite, mettons-nous en route.

Autruchon s’abandonna à lui.

— C’est un miracle se disait-il.

Ils allaient en cadence, sans une parole. À la première accalmie, Aubuchon travaillé par une curiosité grandissante demanda :

— Vous allez toujours me dire, monsieur le curé, qui c’est que vous êtes ? D’où c’est que vous venez ? Êtes-vous docteur ?

— Mon ami, répondit le prêtre, j’ai servi dans le corps médical durant la guerre ; j’ai été missionnaire dans l’Ouest canadien.

— Et comment ça se fait que vous êtes venu aboutir dans ce campe-là ?

— Pour ramener dans le droit chemin les brebis égarées. Je desservirai une chapelle que je ferai bâtir à mes frais.

— Mon père, dit Aubuchon qui s’étranglait d’émotion et de honte, c’est dû à moi si la chapelle n’est pas bâtie à l’heure qu’il est, mais je vous promets qu’elle se bâtira. Et pas à vos frais.

— Faites votre promesse à Dieu et non pas à moi.

— C’est tout promis.

Ils cheminèrent en silence pendant longtemps.

Quand ils approchèrent de la maison, Aubuchon que l’idée de la chapelle ne quittait pas annonça :

— Je lui ai même trouvé un nom : elle s’appellera Notre-Dame-des-Neiges, puisque c’est la neige qui m’aura appris à voir clair.

— Et voilà l’histoire de Notre-Dame-des-Neiges, termina Caroline.

— Mais ce n’est pas fini, protesta Darcinette. Les petits enfants ont-ils vécu ?

— Les voyageurs arrivèrent à temps. Le prêtre-docteur injecta le sérum aux trois enfants qui vécurent passé l’âge d’homme. Ils eurent même une petite sœur, une petite Desneiges qui fut la tante de ma mère.

— Ah ! que c’est beau ! réfléchit Mariange qui délaissait son manger de Noël pour écouter l’histoire.

À peine avait-elle dit : « Que c’est beau » ! que le téléphone se mit à carillonner.

— Veux-tu répondre, Darcinette. J’ai les mains pleines de fleur.

— Allô. Oui. Maman, c’est un appel de longue distance.

— Mon doux, s’exclame Mariange.

Et sans perdre de temps, elle se rinça les mains, enleva son tablier, et se lissa les cheveux tout en accourant à l’appareil.

— Oui. C’est moi, Madame Bonneville.

Après une série d’exclamations, elle rompit la communication.

Lauréat entrait justement.

— Lauréat, mon petit garçon, tu peux pas t’imaginer qui c’est qui est mort ?

— Pas Philippe Dulac ?

— Pas Philippe Dulac !

— Cesse tes mystères. Parle.

— Monsieur Noé Dulac vient de mourir subitement, à Montréal.