Un Épisode de l’histoire religieuse du XVIIe siècle/03

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Un Épisode
de
l’histoire religieuse
du XVIIe siècle




III[1]
LA COMPAGNIE DU SAINT-SACREMENT
ET LES PROTESTANS




Pour juger la conduite de la Compagnie du Saint-Sacrement à l’égard des réformés, il ne serait sans doute pas déplacé de rappeler au préalable que la situation dans l’État de ces « hérétiques » qu’ils poursuivirent était toute différente de celle des « juifs, mahométans, adamites, anabaptistes[2] » et autres « ennemis du nom chrétien, » proscrits perpétuels. La « tolérance » de la religion protestante, ordonnée par le Roi, organisée par les lois, admise implicitement, et parfois même explicitement, par le clergé de France, était en somme obligatoire pour des consciences catholiques, et cette obligation limitait leur droit de propagande. Mais si, négligeant la légalité, nous considérons ici seulement la réalité ; si, comme il faut toujours essayer de le faire avant de juger, nous avons égard aux circonstances, nous n’en trouvons vraiment aucune, je ne dis pas qui justifie, mais qui excuse l’acharnement de la Compagnie contre les protestans.
I. — État et dispositions du protestantisme français de 1629 à 1636.

Car, d’abord, pouvait-on croire sérieusement, après 1629, que le protestantisme, dépouillé de toute force politique, méritât les craintes, encourût les griefs que peut invoquer parfois un zèle intransigeant pour continuer, malgré les pouvoirs publics, contre un adversaire ménagé à tort, une lutte trop tôt interrompue ? Pouvait-on sérieusement estimer que les églises calvinistes, au moment où la Compagnie du Saint-Sacrement commença de les harceler, fussent encore, en France, pour l’Église catholique l’ennemi formidable qu’autrefois, — peut-être, — elles avaient été ; peut-être, car je ne voudrais point affirmer, que même en sa nouveauté séduisante, même dans son âge « d’assaut et d’irruption, » la Réforme ait mordu beaucoup sur l’âme française ?

Il est très sûr que l’Édit de Nantes, puis la prise de la Rochelle, puis la guerre terminée en 1629 par la paix d’Alais et l’édit de Nîmes, avaient marqué pour le protestantisme français les étapes d’un affaiblissement progressif. Sa dissolution en tant que parti politique avait été accompagnée, — et c’était fatal, — d’une décadence en tant qu’association religieuse[3]. Comme il arrive toujours, « à une période de surexcitation succédait un affaissement moral. » Henri IV avait déjà pu triompher avec quelque ironie de ce résultat de sa politique[4]. Sous Louis XIII, après les défaites réitérées des Grands, les défections recommencèrent, et, ce semble, assez nombreuses, parmi la noblesse réformée[5]. Pendant la guerre de 1627, bien des apostasies montrèrent que, comme l’écrivait un gentilhomme protestant[6], agent secret de Richelieu, « le métier de huguenot ne valait plus rien » pour les gens avisés. D’autre part, depuis 1611 jusqu’en 1634, une série presque ininterrompue de missions, organisées par le Père Joseph dans les provinces protestantes et appuyées en certains endroits, au moins dans le Midi, de rigueurs violentes[7], avait infligé au peuple réformé des pertes grandes. Dans le seul Poitou, les Capucins se vantaient de.50 000 conversions : « même en faisant » dans ces évaluations « la part de l’illusion » complaisante, il paraît bien que « l’effet immédiat, obtenu » par la prédication appropriée des missionnaires, « avait été considérable[8]. » Du reste, les dénombremens généraux de la population réformée dans la première partie du XVIIe siècle concordent, quel que soit le vague des statistiques d’alors, avec les indications locales qui subsistent çà et là. De 1627 à 1637, — malgré la période de paix relative qui dura de 1630 à 1636, — le nombre des églises et le nombre des pasteurs paraissent avoir considérablement diminué, sans que la différence puisse s’expliquer par un nombre égal de suppressions officielles[9]. C’est donc qu’il y avait atrophie et extinction spontanée ; et de fait, dans telle petite église[10] où le nombre des communions aux grandes fêtes était, en 1623, de 300, il n’est plus, trente-cinq ans après, que de 60. Si l’on tient compte, en outre, — à titre au moins de symptômes d’un découragement assez général, — du nombre de ministres que Richelieu, d’après Elie Benoît et Richard Simon, aurait gagnés à son plan de « réunion, » — quatre-vingts[11], presque un huitième de l’effectif total ; — de l’embarras qu’avait le protestantisme, frustré de l’appui financier du gouvernement, à subvenir par ses seules ressources à l’entretien fort lourd, il est vrai, de ses collèges, parfois même à la rémunération de ses pasteurs[12] ; — on s’expliquera que, dans des conversations particulières de 1628, Richelieu pût émettre l’idée qu’il faudrait peu d’années à l’hérésie pour mourir, en France, de sa belle mort[13] ; — on s’expliquera que, dans des occasions solennelles (comme, en 1637, au synode national d’Alençon), les représentans du pouvoir osassent dénoncer aux protestans, avec une brutalité insultante, leur impuissance[14] et leurs divisions : — on ne s’expliquera pas que la Compagnie du Saint-Sacrement, composée d’hommes informés et réfléchis, ait cru devoir, ne fût-ce qu’au point de vue de l’intérêt catholique, instituer, contre un ennemi qui se trouvait si mal d’une paix débilitante, une guerre superflue[15].

Diminuée et affaiblie par les événemens politiques, cette minorité protestante provoquait-elle du moins la persécution par un mécontentement insubordonné et une rancune irréconciliable ? Il y avait beau temps que les ardeurs batailleuses des protestans étaient tombées. Dès l’année 1621[16], le déclin en est sensible pour les observateurs attentifs. En 1625[17], il se marquait encore, et, en 1629, on sait quelle peine eut Henri de Rohan à recruter des soldats[18], pour cette dernière prise d’armes où lui-même, peut-être, ne s’engageait qu’à contre-cœur. Ce n’était pas seulement de la tiédeur qu’il rencontrait, c’était des résistances fortes et motivées, et cela, en plein Languedoc, même à Castres, sa résidence habituelle, même chez des protestans sincères et, quoi qu’on en ait dit, irréprochables, comme Auguste Galland[19]. Il n’y avait pas trop d’exagération à dire dès lors, que même dans des villes qui, naguère, étaient les citadelles du parti, « un enfant venant de la part du Roi les eût gouvernés à son plaisir[20]. » La répression de 1629 n’avait pas besoin d’être aussi sanglante qu’en de certains endroits elle le fut : la population protestante[21], surmenée par un demi-siècle de violences, éprouvait le même besoin de repos qui, partout dans le pays, criait merci ; et les qualités d’énergie et d’initiative, l’économie, les vertus familiales que la morale calviniste avait développées en elle, ne demandaient qu’à fructifier dans la paix. On le vit bien en 1632. « Ce fut en vain[22] que Montmorency eut recours à tous les artifices pour entraîner les protestans des Cévennes. » Il eut beau leur promettre la restitution de leurs places de sûreté, leur admission à toutes les charges de l’État. « Tandis que les évêques d’Uzès, de Saint-Pons, de Lodève, de Nîmes, d’Albi se joignaient à lui, les réformés de Montauban et de Privas soutenaient la Cour[23], » et le reste du Midi huguenot ne bougea pas.

Les catholiques étaient bien obligés de reconnaître[24] ce loyalisme éclatant et constant, et, sans aller jusqu’à l’optimisme dithyrambique de Balzac, affirmant, en 1631, que les protestans, « habitans des villes rasées, bénissent la foudre qui les avait frappés[25], » on sent bien qu’alors il y avait en vérité, comme il le dit, une sorte de concurrence entre catholiques et protestans dans l’affection pour « le Prince, » une rivalité d’empressement vers l’obéissance « quand même, » un acheminement parallèle vers la soumission entière, — je dis même dans les choses ecclésiastiques, — aux pieds du despotisme bienfaiteur qui à tous les Français, en échange d’un renoncement général à tous leurs droits, promettait repos et richesse.

En même temps s’amélioraient les sentimens des protestans à l’égard des catholiques vainqueurs. Qu’il n’y restât pas quelque amertume de la défaite, quelque dépit du changement des temps, quelque regret (là où les Réformés avaient pour eux le nombre) de la suprématie perdue, on nous le dit[26], et je le crois. Que les fervens du calvinisme renonçassent à plaisanter le « Dieu de pâte ; » qu’ils consentissent volontiers à se découvrir devant le Saint-Sacrement, non sans doute ; et la question des « tentures » et du balayage des rues sur le passage des processions est une des grosses difficultés que les Parlemens ont à résoudre. Mais rares sont les conflits graves qui naissent de ces petites contentions, et les chroniques du temps[27], qui nous font entrer dans la vie quotidienne des villes, ne relatent de ces hostilités menues que des traits fort anodins. Pour la période de 1629 à 1636, je n’en vois d’exemples notables ni à Meaux, ni à Langres, ni à Tours, ni à Chaumont, ni à Meulan, ni à Bordeaux, ni à Montpellier ou même à Nîmes, où quinze ans plus tôt les protestans traitaient de haut et malmenaient assez vivement leurs concitoyens « philistins. » Au contraire, même dans des milieux restés en majorité protestans, les preuves de bonne intelligence ne sont pas rares. A Castres, la commune, de qui, dès 1621, les ecclésiastiques séculiers et réguliers reconnaissaient les bons procédés[28], vote, en 1634, une somme de 12 500 livres aux Dominicains et Franciscains pour la reconstruction de leurs couvens[29]. A Pont-de-Veyle, dans l’Ain, dès 1628, du libre consentement des habitans, les places de professeurs sont partagées par la moitié[30]. Et voici qui est plus significatif. Ce sont les semonces, assez fréquentes alors, des consistoires et des pasteurs aux réformés trop larges qui ne se font pas scrupule d’aller dans les églises, qui se marient avec des catholiques, et, à cet effet, abjurent, sauf à revenir ensuite à leur religion[31] ; qui fréquentent les fêtes, les danses, les assemblées « papistes. » Il n’est pas jusqu’à ce nom de « papiste » qui, à ce moment, ne tombe en désuétude : « les plus sages et les plus modérés de ce temps n’en usent plus ; » — c’est un ancien protestant qui le déclare, — « nonobstant les reproches de leurs ministres[32]. » Les pointes agressives, l’orgueil raide et volontiers dédaigneux des calvinistes puritains du XVIe siècle s’émoussait trop, chez leurs petits-enfans, au gré des pasteurs. Encore les pasteurs même n’étaient-ils point, pour la plupart[33], « des fanatiques extravagans en paroles ou en actes, » mais « des hommes judicieux, que caractérisait l’équilibre de l’esprit. » N’allant plus étudier à l’étranger, ils se formaient, dans les académies françaises, à un esprit plus doux que celui de Genève. C’étaient des pacifiques, comme Cameron à Montauban, Tilenus à Sedan, Amyraut à Saumur, Ferry à Metz, qui donnaient le ton à ce clergé nouveau[34].

Ainsi, aux environs de 1630, les protestans français, sujets soumis et citoyens tranquilles, désireux, ne fût-ce que par des raisons d’intérêt matériel, de rentrer dans l’unité morale de la nation comme dans le droit commun, ne donnaient, ce semble, aux « zélateurs » de la Compagnie du Saint-Sacrement aucun sujet d’inquiétude et d’animosité. Reste à nous demander si ce groupe de militans, en prenant contre les calvinistes l’offensive, obéit à quelqu’une de ces poussées d’opinion qui sont parfois la triste excuse du fanatisme.


II. — SENTIMENS DES CATHOLIQUES A L’ÉGARD DES PROTESTANS DE 1629 A 1636

Des partisans d’une croisade nouvelle contre les huguenots, il en restait assurément (et je l’ai rappelé) à la Cour. C’était cette « cabale » dont les travaux de MM. Houssaye, Fagniez, Hanotaux, ont achevé de mettre en lumière les menées ; ces « bigots espagnolisés[35], » — comme disent les pamphlets, — de qui « la haine » pour les protestans était telle « que, ne les pouvant souffrir, ils voulaient qu’on les forçât par une guerre de religion à se convertir ou à sortir du royaume[36] ; » — machiavéliques exaltés de qui la haine subtile était allée naguère (c’est Fontenay-Mareuil, un des membres de la Compagnie du Saint-Sacrement, qui nous le révèle) jusqu’à ne pas souhaiter la prise de la Rochelle, de peur qu’après un succès trop prompt on ne laissât trop tôt les protestans en paix. Vers 1632, bien que le cardinal de Bérulle fût mort et le P. Suffren en exil, cette coterie de violens durait encore. Par Marillac, qui, en 1630, dénonce à Mathieu Molé, dans le protestantisme, une « semence de mal propre à causer de grands désordres[37], » la Compagnie du Saint-Sacrement subit sans doute leur influence, mais l’on peut regretter que nos mystiques, — dont je crois, comme M. Allier, qu’au début au moins, les intentions étaient purement spirituelles et le zèle désintéressé, — aient ainsi accepté le mot d’ordre de ces mystiques d’État et d’intrigue, qui mêlaient à la religion la haine contre Richelieu et les mesquines rancunes de la Reine mère.

De ces ligueurs qui ne désarmaient pas, il s’en trouvait aussi, probablement[38], dans la petite bourgeoisie, et, plus probablement encore, dans le bas peuple. C’était, comme à l’ordinaire, chez ceux qui se rendaient le moins de compte des « erreurs » de la secte hétérodoxe que l’exécration en était la plus vive, et que, d’ailleurs, il était le plus facile de l’entretenir, avec quelques déclamations outrageuses, à ces controversistes populaires dont nous dirons un mot tout à l’heure. Ajoutez que cette persistance, dans les masses, de la haine anti-protestante était logique. Une sorte de mouvement acquis continuait à les pousser, par habitude, contre ces huguenots sur lesquels, soixante ans durant, les pouvoirs publics les avaient, avec autorité, lancées. On a dit, avec beaucoup de raison[39] que l’Édit de Nantes avait en 1598, causé dans la nation, une « surprise. » De cette surprise scandalisée, le bas peuple, trente ans après, n’avait pas encore eu le temps de revenir. Enfin, il n’était pas jusqu’aux aspirations vers le bien-être matériel, jusqu’aux besoins de se refaire et de prospérer, qui ne fussent, pour les petits, un motif de détester les protestans, car ceux-ci, par cela même qu’on les excluait de la plupart des charges publiques, portaient leur énergie dans l’industrie et le commerce[40] et, par le travail et la moralité, arrivaient peut-être plus rapidement que les catholiques à la fortune. C’est alors probablement que naît en France, au détriment des Réformés, et que vient se greffer sur les griefs religieux cette jalousie industrielle et commerciale qui devait plus tard, — comme on l’a naguère fort bien montré[41], — encourager le gouvernement de Louis XIV à la révocation de l’Édit d’Henri IV. Peut-être est-ce de cette époque que date l’expression populaire : « Riche comme un huguenot, » plus envieuse assurément qu’admiratrice. Et sans doute on pourrait, après 1629, rencontrer encore, ici et là, à propos d’une invasion ennemie, d’un grand incendie, d’un pont qui s’écroule, ces accusations contre les protestans, que les historiens relèvent entre 1610 et 1624, ces « placards » odieux contre des mécréans « d’où venait tout le mal » et toute colère de Dieu. Au moins cette malveillance durable continuait-elle de se révéler par des mesures locales significatives : en bien des endroits, entre 1629 et 1640, on exclut les huguenots des municipalités ; on n’en veut pas, ne fût-ce que pour les plus chétifs emplois de ville ou de village ; certaines « assemblées de ville, » à Poitiers par exemple, se refusent à recevoir des protestans aux maîtrises des moindres métiers, et, dociles à ces impulsions d’en bas, les « petites justices » se montraient, dans l’exécution de l’Edit de Nantes, beaucoup plus partiales que le Conseil du Roi[42].

Tout cela est vrai, mais, outre que, dans les documens actuellement connus, les « émotions » populaires contre les Réformés ne se rencontrent pas fréquentes, il est sûr qu’à ces animosités plébéiennes, brutales et cupides, la Compagnie du Saint-Sacrement n’était pas obligée de complaire. Ce n’étaient pas des inconsciens, des illettrés, ces grands seigneurs, ces doctes laïques, ces diplomates, ces magistrats[43], groupés à l’appel du duc de Ventadour et du P. Philippe d’Angoumois. D’autant que, pour être pacifiques, il ne leur fallait rien innover. Ils n’avaient qu’à suivre d’autres exemples, plus dignes d’eux et plus voisins.

Celui d’abord, de cette « société polie » et « précieuse » dont il est permis de railler les minutieux soucis de « politesse, » à la condition de reconnaître que cette éducation formelle eut quelque temps un excellent effet social. Les efforts, solidaires en somme, d’adoucissement des mœurs, d’affinement intellectuel et d’analyse critique, simultanément poursuivis, entre 1610 et 1660, par les femmes et les « beaux esprits « des salons et par les logiciens de la grammaire ou de la philosophie, ces efforts étaient incompatibles, trop évidemment, avec un réveil de l’intolérance barbare du siècle passé. L’esprit de persécution était chose vilaine et surannée, contraire à la saine raison et à la noblesse des sentimens comme à la douceur de la société et de la « conversation » humaine. Aussi bien les déclarations des « beaux esprits » les plus autorisés touchant les relations entre catholiques et protestans sont-elles d’une générosité précise. « Je vous proteste, monsieur, écrivait Balzac à Conrart, que je n’ai pas plus d’aversion pour les huguenots que vous n’en avez pour les catholiques. Puisque la bonne persuasion est un don de Dieu et une pure grâce du ciel, je ne suis pas si injuste que d’accuser un homme de sa pauvreté et de vouloir mal à un courtisan parce qu’il n’est pas en faveur[44]. » « Ces honnêtes gens ne vétillaient pas sur la religion, » écrit plus tard le protestant David Ancillon. Or, c’étaient pourtant d’« honnêtes gens, » eux aussi, des esprits polis et délicats, que les membres de la Compagnie du Saint-Sacrement. Et Antoine Godeau[45], le « nain de Julie, » cousin et ami de Conrart, « ancien de l’église de Charenton, » ami du célèbre ministre Daillé, de Gombaud, de Perrot d’Ablancourt, de Pellisson, protestans notables ; Godeau, qui, après sa conversion, fit partie de la Compagnie, aurait pu ouvrir les yeux et les âmes de ses collaborateurs aux exemples de bénignité philosophique et de charité chrétienne que l’hôtel de Rambouillet et l’Académie donnaient aux dévots.

Mais il y a plus. Dans l’Église même, il s’en fallait qu’un fanatisme belliqueux fût l’état d’esprit commun et dominant. Pour ce qui est du bas clergé, ce que nous pouvons remarquer, à défaut de documens précis, c’est que, dans les poursuites judiciaires intentées alors en divers lieux contre des « exercices » et autres droits ou privilèges des protestans, les curés, au moins de campagne, paraissent rarement comme demandeurs[46]. Et peut-être avaient-ils alors, pour ménager leurs ouailles protestantes, d’autres motifs encore que l’intérêt matériel et le souci de leur popularité ou de leur repos. Leur ignorance les aidait peut-être à la tolérance. Il n’y avait pas longtemps qu’à Angers, à Auxerre, les évêques avaient dû leur interdire tantôt d’« assister aux prêches, prières et autres actes de la religion prétendue réformée, » tantôt même de présenter, après la communion, aux fidèles un calice rempli d’eau et de vin, par une espèce de simulacre de communion sous les deux espèces et de complaisance pour les calvinistes[47]. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y avait alors en France, au moins dans l’Est, des exemples analogues à ceux qu’offraient certains pays allemands, d’un bon ménage des deux religions allant parfois jusqu’à la cohabitation fraternelle dans des temples partagés[48].

Parmi les évêques, il y en avait sans doute quelques-uns, qui, avant même les sollicitations de la Compagnie du Saint-Sacrement, partaient en guerre contre les hérétiques. J’en vois cinq ou six à coup sûr : les évêques d’Orléans et de Saintes, l’archevêque de Tours, mais surtout ces évêques du Dauphiné[49], qui, dès 1629, à une date où la Compagnie ne faisait que de naître, mirent en train la célèbre campagne contre les annexes, destinée à emprisonner rigoureusement l’action des ministres protestans au seul endroit de leur domicile ou de « l’exercice » légal. Mais qu’aux environs de 1623, on pût citer beaucoup de ces belliqueux, j’en doute. Je constate, au contraire, qu’à Montauban même, l’évêque, — un vieux ligueur pourtant, Murviel — s’était si fort calmé qu’on jugea bon de lui envoyer, en 1638, un coadjuteur, Pierre de Bertier, pour empêcher « l’hérésie de fleurir » sous ce prélat trop indulgent. Au surplus, même en corps et officiellement, je l’ai dit, le clergé ne s’opposait point à l’état de choses nouveau. Dès 1598, — la chose vaut d’être une fois de plus rappelée, — il n’avait pas réclamé, ainsi que le fit la magistrature, contre l’Édit de Nantes[50], et si, en 1614, il s’enhardit à demander « la suppression du culte protestant, » ce fut pour la forme, si l’on peut dire. Il céda aussitôt, et très sagement, bornant ses prétentions à ce « qu’on ne permît aux prétendus réformés rien de plus qu’au décès de Henri IV, » il s’en remettait au Roi de régler par un édit les rapports entre les catholiques et les protestans, afin, — les paroles sont notables, — qu’ils puissent vivre en paix, union et tranquillité, sans entreprendre les uns sur les autres, sans appréhension, envie ni jalousie. » Encore vingt-deux ans plus tard, en 1636, à cette Assemblée générale du Clergé où, déjà peut-être, les instigations souterraines de la Compagnie du Saint-Sacrement commencèrent d’opérer, même alors le vent continuait tellement de souffler à la modération, que, jusque dans une harangue assez « perfide » contre les huguenots, l’évêque d’Orléans, Nicolas de Netz, croyait devoir reconnaître[51] que « l’ordre ecclésiastique n’avait pas été plus fâché (que la Noblesse et le Tiers) de voir le Roi tenter, par de doux remèdes, la guérison des réformés et remplacer les bûchers du siècle passé par des lumières pures et innocentes. » Ces « lumières, » il est vrai, le clergé français séculier ne se pressait pas de les prodiguer aux dévoyés. Mais c’est encore une preuve de sa disposition, je ne dis pas à désarmer sans esprit de revanche, mais à subir sans chagrin une trêve prolongée, que cet attiédissement de la controverse[52], si sensible entre 1620 et 1660. Au grand scandale de Saint-Cyran et des Jansénistes, on abandonnait soit à des moines, soit même à des laïques de bonne volonté, — merciers, cordonniers, tailleurs, qui s’improvisaient prédicans et couraient les carrefours, — la besogne et le nom dédaignés de « convertisseur, » et les religieux qui s’y livraient étaient eux-mêmes assez discrédités. Tout ce que faisaient les Assemblées du Clergé, c’était d’affecter, sur leurs fonds, des pensions aux ministres protestans convertis[53]. — Que cette indifférence n’impliquât pas le changement des cœurs, j’en conviens. Que, chez un certain nombre de prêtres catholiques, les rancunes persistassent, là surtout où, comme dans le Midi, l’Église ancienne voyait sa concurrente durer malgré ces revers, d’accord. Mais il n’en paraît pas moins que le clergé français séculier, livré à ses seules inspirations, n’eût pas donné sous Louis XIII le signal de l’intolérance pratique et organisée. Soit que le haut clergé, recruté dans la société cultivée, retînt un peu de son indulgence éclairée, soit que le clergé inférieur s’assoupît de plus en plus dans la torpeur de la possession heureuse, ce n’est pas de là, semble-t-il, que serait spontanément venue l’initiative d’une entreprise systématique et acharnée pour détruire le régime institué par l’Edit de Nantes.

Venons enfin au gouvernement.

Il ne convient pas davantage de dénaturer et d’embellir les raisons vraies de sa mansuétude relative. Parmi les paroles de Richelieu relative aux protestans que l’on vante d’ordinaire, il en est que nous gâtent des restrictions fâcheuses : parfois[54], on dirait qu’il désapprouve la guerre de chicanes que certains de ses fonctionnaires lui suggèrent, moins comme injuste ou pernicieuse que comme maladroite et prématurée. Toutefois d’autres déclarations de lui, datant de l’époque que nous étudions, sont, dans le sens de la tolérance, très pures et très formelles. « A présent que, par la grâce de Dieu, la paix est si bien établie sur tout le royaume..., je vous assure que la véritable intention du Roi est de faire vivre paisiblement sous l’observation des Edits tous ses sujets et que ceux qui ont l’autorité dans les provinces lui feront service de s’y conformer[55]. » Si, d’autre part, il est certain que son ambition des grandes choses conçut d’elle-même ou accepta d’autrui l’idée de réconcilier en masse à la foi de l’Église les dissidens qu’il avait fait rentrer dans le droit commun de l’État, il n’est pas moins vrai qu’il ne songeait pas à « les y amener par la force. » Il l’avait dit dès 1616 ; il le répète en 1629 et en 1631 : « C’est un ouvrage où nulle violence ne doit être apportée. » Et quand, après 1629, il se décide non plus seulement, à « attendre » platoniquement « du ciel, » mais à préparer cette réconciliation[56], nous savons à présent[57] de façon certaine quels moyens il se proposait ou même il commença d’employer. Moyens machiavéliques, c’est incontestable, et d’un réalisme grossier, mais point illégaux ni violens, ni même proprement injustes ou intolérans. Amoindrir la puissance absolue des synodes, lien de l’unité protestante ; attirer les pasteurs, par l’« appel comme d’abus » en même temps que par l’argent et les faveurs, sous la dépendance directe de la Cour ; voilà ce qui suffisait, selon lui, sans qu’il fût nécessaire de toucher aux Edits, ni même, par une interprétation pharisaïque de ces Edits, de « retrancher les grâces accordées[58]. »

A ces vues, dont l’essentiel était, on le voit, exprimé dans des écrits officiels, et connu, par conséquent, des hommes politiques, à l’époque où la Compagnie du Saint-Sacrement s’organisa, on ne saurait évidemment prétendre que les actes des pouvoirs publics correspondissent tous, ceux surtout des autorités judiciaires et administratives les plus élevées d’alors, les Parlemens.

Mais, d’abord, il serait inexact d’imputer au pouvoir royal, — dans un temps où ses intentions et même ses ordres n’étaient pas encore, partout et toujours, exécutés fidèlement, — tout ce que fit contre les protestans la magistrature parlementaire, soit à Paris, soit principalement en province. Les cours souveraines, on ne saurait le nier, obéirent, maintes fois, tant à ces animosités locales dont j’ai parlé, qu’à cet esprit de « monarchisme » exclusif, à cette passion d’unité nationale qui, dès 1560, les avait rendues rebelles aux larges idées de L’Hôpital, et leur représentaient le protestantisme comme une sorte de schisme de la patrie. Encore est-il que, toutes les fois que des Parlemens suivent, bon gré mal gré, les impulsions pacificatrices de Richelieu ou de ses agens (à Rouen, par exemple, celle du duc de Longueville), ils repoussent et empêchent les « chicaneries » séditieuses des controversistes, exhortent les partis « à vivre paisiblement ensemble, en amis et bons citoyens[59], » et lâchent, par une justice d’équilibre, d’assurer une répression simultanée des empiètemens des protestans comme des résistances tyranniques des catholiques[60]. C’est ainsi qu’à Rouen, à Rennes, jusque dans ces vétilles qui parfois, il est vrai, occasionnent de plus âpres conflits que les grandes choses, les magistrats s’ingénient, de 1623 à 1635, à concilier les prétentions rivales des deux cultes par des « jugemens de Salomon » d’excellente intention. Sur le parcours des processions, les religionnaires seront dispensés de tendre, mais ils devront laisser tendre leurs maisons par les catholiques leurs voisins, qui en auront la peine[61].

De plus, même dans les centres judiciaires éloignés de Paris, ou frondeurs de tradition, — Bordeaux, Toulouse, Dijon, — cette période de 1629 à 1635, où nous essayons de reconstituer l’état d’esprit général de la nation, ne nous offre pas uniquement, au sujet des réformés, de ces sentences rigoureuses ou humiliantes. De temps en temps, une contradiction heureuse venait interrompre la série. Elle Benoît, l’historien calviniste, reconnaît volontiers que, quand la Cour de Dijon faisait une démarche solennelle pour que le protestant Saumaise obtînt la succession de la charge judiciaire de son père, cette seule « action de justice semblait effacer la plupart de ses injustices passées. » Même dans ces « Grands jours » de Poitiers de 1634, — où les délégués du Parlement de Paris subirent pourtant l’influence d’un milieu provincial fort agité ; — même dans cette affaire du temple de Saint-Maixent, jugée contre les protestans, et que leurs historiens considèrent comme la première des manifestations scandaleuses de l’hostilité du gouvernement à leur égard ; ce n’est point, comme le veut une tradition persistante[62], le représentant du gouvernement, l’avocat général Omer Talon qui prononçait à leur sujet ces paroles iniques et impolitiques souvent citées : que « les affaires qui regardent les réformés ne doivent pas être comptées parmi les affaires favorables, et qu’il convient de leur appliquer, au contraire, la plus rigoureuse interprétation. » Hautement, l’ « homme du Roi » mit hors de cause « l’intérêt de la religion catholique » et la liberté de conscience protestante. C’est au nom de la police publique et de l’« obéissance due au Roi » qu’il requiert et conclut : et son discours proclamait que le pouvoir royal avait eu principalement en vue le rétablissement dans l’Ouest de la France de l’autorité royale assez communément méprisée loin de Paris, et la répression des entreprises, plus ou moins illégales, que, dans l’anarchie récente, les particuliers, çà et là, s’étaient hardiment permises[63].

Aussi bien est-ce là l’esprit qui, — tout compte fait, toute balance établie et en dépit des contradictions assez nombreuses, — se dégage en somme des interventions directes du pouvoir central dans les affaires du protestantisme, de 1629 jusque vers 1637 environ, ou même 1640.

Mettons à part, comme il convient, cette année 1629, où l’état de guerre civile dure encore et où Richelieu, pressé d’en finir avec le protestantisme politique, ferme les yeux non seulement sur le sac et le massacre de Privas, mais, je l’ai déjà dit[64], sur des « logemens militaires, » des « enlèvemens d’enfans, » et autres vexations analogues à celles que devaient plus tard réinventer Marillac, Foucault, Bâville et Louvois. Une fois achevée, et terriblement, l’œuvre de la force, le cardinal, au cours des années suivantes, n’omit pas de montrer, par plusieurs actes notables, qu’il se souvenait des promesses de tolérance bienveillante qu’il avait faites à Metz au ministre Paul Ferry.

Dès 1631, il le manifeste, de significative façon, dans une conjoncture solennelle : au synode national d’Alençon. Puisqu’il estimait, dans son for intérieur, que c’était dans l’autonomie toute-puissante de ces Assemblées que résidait la vitalité de l’Église séparée, l’occasion s’offrait belle, au lendemain de la défaite du « parti, » à la faveur de son effroi et de son découragement, de diminuer ou d’humilier, sans plus tarder, le Conseil supérieur des Églises réformées, réuni, sous la main du Roi, à Charenton. Néanmoins, Richelieu n’en fait rien. Tout au contraire. Non seulement il accorde à l’Assemblée 16 000 livres d’indemnité pour ses frais, payables sur la cassette du Roi, et 60 000 pour les collèges protestans[65], mais encore il lui abandonne la disposition libre et la distribution de cette dernière somme ; — il laisse le synode s’occuper, sans gêne, de toutes les matières d’organisation et de juridiction que les précédens avaient accoutumé de régler, et où il eût été bien facile à Richelieu de s’immiscer sous mille prétextes ; — il lui permet de rejeter et de répudier, avec la même vivacité que le faisaient, trente ans auparavant, les survivans farouches du XVIe siècle, ces tentatives en vue de « mêler les deux religions et de les confondre en une seule, » que, précisément, Richelieu était déjà en train, nous assure-t-on, de préparer ; — et cela, pendant que, le synode, dans un « décret » fort important et destiné à un vaste retentissement, proclamait hardiment la solidarité des calvinistes français avec leurs « frères luthériens[66]. » Dans tous ces « règlemens, » généraux aussi bien que particuliers, le synode de 1631 jouit, malgré la présence d’un commissaire royal, d’une si pleine indépendance[67], qu’invité par le Roi, le 21 septembre, à se séparer après vingt et un jours de session, il se proroge de sa propre autorité jusqu’au 10 octobre, — « jusqu’à ce qu’il eût touché les deniers que Sa Majesté lui avait promis. »

Dans le même temps (1633, 1635, 1636), des arrêts du Conseil[68] interdisent aux catholiques d’appeler les protestans hérétiques, ou même, — malgré la saveur que Balzac trouvait à ce vieux terme de lutte et d’honneur, — huguenots. Des arrêts du Conseil permettent, « à ceux de nos sujets qui professent la religion tolérée par les Edits, » de travailler les jours de fête chômés par les catholiques, pourvu que ce soit à des métiers « dont le bruit ne puisse être entendu du dehors ; » ou bien ouvrent les écoles catholiques aux enfans protestans, en stipulant « qu’ils ne pourraient pas être induits à faire des exercices contraires à leur religion. » Et, en 1638, au moment de la naissance du Dauphin, le gouvernement ne songe pas à empêcher les protestans de se munir, en quantité, de « lettres royaux » qui leur donnaient ou la noblesse avec tous ses privilèges, ou la liberté d’exercer leurs métiers et professions.

Même, durant cette période, le gouvernement a plus d’une fois le mérite, soit de résister à la pression de quelques évêques exaltés ou de Parlemens chicaneurs, soit de se rétracter lui-même. C’est ainsi qu’en 1635, les protestans d’Annonay obtiennent gain de cause[69] au Conseil du Roi contre un seigneur qui veut fermer le temple ; qu’en 1637[70], le secrétaire d’État La Vrillière s’oppose aux mesures rigoureuses que l’évêque de Montpellier, Pierre Fenoillet, voulait prendre pour entraver les mariages mixtes ; qu’en 1633, le Roi, revenant sur les prohibitions, faites par les Parlemens ou par lui-même, touchant la prédication dans les Annexes, « dit et déclare qu’il n’a point entendu et qu’il n’entend point empêcher les ministres de prêcher dans tous les lieux permis par l’Édit, encore qu’ils n’y fassent pas actuellement résidence. »

Il est vrai que bientôt, — dès 1634, et de nouveau en 1636, — le Conseil du Roi se reprit à défendre à tous les ministres de faire « aucun exercice en dehors des lieux habituels de leurs demeures. » Mais c’est qu’en l’espèce, comme aussi en ce qui concerne le droit d’exercice concédé aux seigneurs protestans (où il s’agissait de savoir s’ils pouvaient mobiliser, pour ainsi dire, ce droit et le transporter à leur gré dans tous les lieux de leur domaine), — dans ces deux cas, la question ne laissait pas, — en dehors de toute espèce de fanatisme, — d’être délicate.

Qu’il fût juste et bon, socialement, de la résoudre par l’affirmative, d’interpréter avec largeur les droits de prédication ambulante et d’exercice personnel, accordés par l’Edit de Nantes, cela ne fait pour nous, je le pense, aucun doute ; mais que, politiquement parlant, et surtout alors, il fût permis et raisonnable d’hésiter, il faut en convenir. Plus grandissait la monarchie unitaire et gallicane, et plus clairement se posait, je ne dis pas au zèle des gens religieux, mais au scrupule des hommes d’Etat, un problème politique : le protestantisme devait-il être seulement toléré ou bien, par surcroît, aidé et encouragé ? Convenait-il dans cette France unifiée, où le Roi Très Chrétien prétendait de plus en plus exercer réellement son pouvoir spirituel, d’ouvrir la route à l’extension illimitée de la seconde religion des Français, ou, au contraire, de la contenir et de la limiter à ses positions conquises et confirmées ? L’Edit de Nantes, charte de liberté fort incomplète, on le sait, n’était, ni dans sa lettre, ni dans son esprit, décisif pour obliger, ou même pour engager le gouvernement à des surérogations de bienveillance, tandis que la doctrine traditionnelle de l’unité nécessaire à l’autorité tendait à l’incliner vers la rigueur stricte. Ce que nous prouvent les incertitudes, relativement aux « annexes, » de la jurisprudence du Conseil du Roi, c’est, au moins, qu’il hésita ; mais, de ce qu’après deux ou trois ans de flottement, il résolut le problème par la négative, il ne faudrait pas conclure à une hostilité préméditée et à un parti pris destructeur, que ne nous autorisent pas, non plus, à supposer les mesures générales, même sévères, prises alors contre le protestantisme par le gouvernement de Louis XIII.

Si le Roi, de 1631 à 1633, ordonnait le partage des magistratures municipales ou des collèges dans les villes[71] dont la population se partageait entre les deux cultes, il ne faisait en cela qu’exécuter l’Edit de Nantes, autant destiné, ne l’oublions pas, au l’établissement du catholicisme qu’au maintien du protestantisme. Si, dans le partage des honneurs municipaux, il stipulait pour les édiles catholiques un droit de primauté ou de préséance ; si, dans le partage des collèges, il réservait la fonction de principal à un catholique, il ne faisait que consacrer la subordination hiérarchique, obligée et normale, de la religion « nouvelle » à 1’« ancienne, « de la religion tolérée à la religion officielle du Prince et de l’État. — Si, tout en respectant le Synode national, il annonçait l’intention de prohiber les synodes provinciaux et les communications habituelles des « colloques, » entre eux[72], il ne faisait qu’appliquer à l’Eglise protestante les mêmes règles de suspicion et de surveillance étroite qu’il appliquait déjà et qu’il allait appliquer de plus en plus à l’Eglise catholique.

Dans ces différens cas, les décisions royales étaient-elles, — selon l’expression d’un historien protestant[73], — « inattaquables au point de vue des théories modernes » de l’Etat ? Je ne le sais, mais, du moins, elles étaient en parfaite cohérence avec les visées désormais patentes de la royauté à l’omnipotence absorbante. Et c’est ce qu’en 1637, le commissaire royal Saint-Marc expliquait avec une violence fort claire au synode national d’Alençon[74]. Il ne s’agit plus dorénavant d’invoquer « droits ou privilèges ; » il faut se convaincre que maintenant on « dépend... uniquement... », comme tout le monde dans la nation, comme toute chose dans la vie nationale, « de la protection et de l’autorité souveraine du monarque. » Réconcilié avec la royauté, le protestantisme devait accepter le nivellement général exigé par cette « paix de l’Etat, » que les agens de Richelieu ont sans cesse à la bouche. Rentré dans les cadres d’une société hiérarchisée et soumise, il devait y accepter docilement, humblement, sa place au dernier rang. C’est l’ordre politique nouveau qui impose aux réformés des sacrifices, douloureux sans doute au sortir de l’indépendance ; mais, ajoutait l’orateur royal, « quoique le gouvernement ou le magistrat civil puisse quelquefois donner des ordres qui sembleraient être contraires à la liberté de vos consciences, faute d’en savoir les motifs, » ayez la foi, et n’ayez crainte : « Sa Majesté n’a pourtant pas pour cela aucun mauvais dessein contre votre religion. » C’est affaire, et c’est raison d’Etat.

Et enfin, ce qui peut bien faire croire à la sincérité de ces déclarations, ce qui atténuait singulièrement ces rigueurs, c’est que la plupart d’entre elles, et la plupart du temps, restaient lettre morte.

Cela, fallait-il l’attribuer, comme le fait plus tard le protestant Elie Benoît, aux distractions sans cesse renaissantes que donnaient à Richelieu les intrigues factieuses du dedans ou les grandes guerres ou diplomaties du dehors ; — ou n’était-ce pas plutôt que le gouvernement ne tenait au fond qu’à manifester, avec un fracas intimidant, au sujet des protestans comme des autres corps de la nation, cette doctrine que tout devait plier sous le Roi, qu’aucune indépendance ne pouvait s’élever, qu’aucun droit ne pouvait valoir contre le Prince ? Toujours est-il qu’il se contentait fréquemment, à leur égard, de gestes d’autorité platoniques. Entre 1632 et 1636, parmi les mesures législatives qui les visent, il n’en est guère dont Elie Benoît lui-même[75] ne soit obligé d’ajouter qu’« elles n’eurent que peu ou point d’effet. » En 1632, ces Grands jours de Poitiers, avec leur appareil, « firent en somme, dit-il, plus de bruit que de mal. » L’arrêt de 1635, qui exigeait des pasteurs le serment de fidélité, eut peu de suite et ne fut jamais exécuté. « L’arrêt du 20 juin 1634 relatif aux annexes ne fut appliqué en Poitou, nous dit un historien moderne[76], que très longtemps après. » Cette inexécution, les Intendans parfois la sanctionnaient : ainsi Villemontée en Poitou. Une fois, c’est le P. Joseph lui-même, qui, en 1636, malgré les décisions des Parlemens de Toulouse et de Paris et les intentions exprimées du Roi touchant l’interdiction et l’expulsion des ministres étrangers, autorise le ministre Le Faucheur, Genevois, chassé de Montpellier, à entrer dans l’église de Charenton et à y exercer le ministère[77]. Même après 1636, où, nous l’avons déjà dit, ce régime de modération commence à se gâter, l’édit obtenu par le clergé contre les blasphémateurs, « malgré les essais que l’on fit d’en étendre les pénalités aux protestans, « ne causa pas, » dit Elie Benoît, « autant de mal » qu’on l’avait pu craindre[78]. Même en Dauphiné, où les évêques, nous l’avons vu, sont militans, des églises anciennes ou nouvelles, interdites, continuent d’exister, et il s’en fonde de nouvelles (Bezaudun, 1634, Vesc, 1642)[79]. En 1642 encore, à Gap, les « annexes » ayant été inquiétées de nouveau, la résistance courageuse des protestans a gain de cause. Aussi bien, cette discrétion du pouvoir est constatée sur l’heure par les protestans de bonne foi. « Nous roulons ici avec une liberté pleine, » écrit, en 1632, Philippe Vincent à André Rivet, » et les « jougs, » dont il se plaint, sont, en vérité, fort légers[80]. Cinquante ans plus tard, Elie Benoît, retrouvant la même impression dans les « mémoires » sur lesquels il travaille, reconnaît que la persécution, dans cette période, fut bornée à « des faits de peu d’éclat et qui ne pouvaient avoir beaucoup de suite. » Et ceux des historiens protestans modernes qui considèrent avec calme un passé qu’ils ne sont pas les seuls à regretter et à flétrir, avouent qu’il y eut, alors, pour le protestantisme français, une époque de repos et de répit : halcyonian days, dit l’un d’eux[81], où « des vexations incontestables, mais légères, ne troublèrent pas positivement l’état de paix, n’empêchèrent pas le développement économique de la population calviniste. »

Ainsi, dans les six ou sept années qui suivirent immédiatement la paix d’Alais, le pouvoir royal, exercé par Richelieu, nous apparaît en somme disposé à maltraiter aussi peu que possible, à ménager autant que possible ces réformés, que le peuple, en certains endroits, s’accoutumait à supporter, que tous les Parlemens ne haïssaient pas ; que le monde poli accueillait ; que le clergé lui-même oubliait ou négligeait de poursuivre ; et qui, du reste, très diminués et très assagis, méritaient ces égards par leur incapacité à nuire comme par leur loyalisme politique. Et l’impression d’ensemble que produit, à la distance où nous sommes, cette époque de 1629 à 1638 environ, est bien celle que le protestant Elie Benoît[82], peu enclin pourtant à l’optimisme, et le catholique Antoine Arnauld avaient tous deux reçue, personnellement ou par tradition, de cette courte époque du XVIIe siècle, — où, dit l’un, la nation « s’était fait une habitude de voir une division » de religion « dans le royaume ; » — où, dit l’autre, on apprenait, « par l’expérience, que la diversité de sentimens sur la religion n’était pas incompatible avec la paix civile et politique[83]. »


III. — DÉMARCUES DE LA COMPAGNIE DU SAINT-SACREMENT CONTRE LES PROTESTANS, DE 1632 A 1666

C’est alors, — quand, de nulle part, dans la société française, sauf de quelques Parlemens fanatiques, de quelques prélats fougueux, ou, peut-être, des bas-fonds de la foule aveugle, ne partait une incitation ou un encouragement à la persécution, — que la Compagnie du Saint-Sacrement, par une initiative spontanée, restaure cette persécution délaissée, et ajoute à ses multiples besognes la surveillance et la gêne des réformés.

C’est vers 1632-1633 que, d’après Voyer d’Argenson, elle s’y met pour la première fois. Dès 1632, la Compagnie de Paris[84] « fait supprimer un libelle que les prétendus réformés avaient intitulé le Jubilé, plein de railleries et de blasphèmes contre l’Église romaine. »... Elle fait « dénoncer à M. le Procureur général un médecin huguenot de Loudun, qui, pour être dans l’office de receveur des tailles, avait simulé une abjuration publique de son hérésie : sur l’avis qui en fut donné au Roi, il y eut arrêt du Conseil qui déclara sa réception nulle... L’arrêt fut délivré gratis, et on l’envoya signifier sur les lieux aux dépens et par les soins de la Compagnie. » Enfin, comme « les prétendus réformés avaient trouvé moyen de faire recommander puissamment, et même par lettre de cachet, au premier président du Parlement, vingt-cinq postulans de leur secte pour être reçus procureurs, aussitôt que la Compagnie en fut informée, elle crut être obligée de s’opposer à ce désordre. Elle chargea divers particuliers d’en remontrer les mauvaises conséquences aux magistrats de leurs amis, et chacun agit avec tant de vigueur et de bonne conduite auprès des juges, qu’enfin les six conseillers qui furent députés pour examiner ces postulans le firent avec tant d’exactitude qu’ils n’en trouvèrent pas un seul capable d’être reçu procureur... Ainsi les hérétiques... sentirent l’effet des sollicitations de plusieurs parties dont ils ne connurent jamais pas une. »

On voit ici la première forme de cette multiple guerre : l’exclusion des fonctions publiques. La Compagnie use abondamment de ce moyen. En 1637, le groupe de Lyon « donne avis que les hérétiques étaient reçus dans l’assemblée des médecins de leur ville. Sur quoi M. le Chancelier fut supplié de faire ordonner à toutes les Facultés de médecine du royaume de n’en plus admettre aucun, comme aussi aux communautés des apothicaires et des chirurgiens ; et, depuis ce temps-là, on a été plus exact à faire mettre la clause de la religion catholique dans toutes les lettres de maîtrise et d’office, tant chez le Roi que chez Monsieur[85]. » Mais ce n’est pas seulement des maisons des princes que l’on écarte les huguenots. On empêche un conseiller huguenot de présider au Présidial de Caen, un huguenot de devenir échevin à Nantes ; on travaille, à Metz, à ce « qu’il n’y ait pas tant d’officiers hérétiques dans les compagnies des bourgeois ; » on y réussit tout de suite pour « les petits offices de la ville de Paris. » On manœuvre à la Rochelle pour que ce ne soient pas les huguenots qui, quoiqu’ils aient, de beaucoup, la majorité, établissent l’assiette « des tailles. » On n’oublie pas les ouvriers, surtout « des arts et métiers » de la Rochelle ; on en exclut les jeunes apprentis originaires de la ville. Pour empêcher, à Amiens, « l’établissement de plusieurs maîtres artisans de la R. P. R., on sollicite, » en 1659, « des ordres de la Cour, » à l’effet d’insérer dans toutes les lettres de maîtrise la condition de catholicisme. On s’occupe fort des lingères, parce que c’est la seule corporation en France où il y ait des maîtrises de femmes ; on parvient à empêcher une huguenote d’être reçue maîtresse, « bien qu’il y eût des lettres » du Roi en sa faveur ; et, une autre fois, on va, pour se défaire de candidates qui résistent et qui plaident, jusqu’à leur « rembourser les frais qu’elles avaient faits. » Plus tard, on sera plus ambitieux : — c’est des Compagnies de commerce que l’on écartera les protestans ; — et plus exigeant : — c’est un nouveau converti, à qui, en cette même année 1663, on fera refuser « une charge de la bouche du Roi. » — Et, comme il n’y a point de petites choses, comme il ne faut pas que les hérétiques aient des honneurs plus que des emplois, on sollicite, à Rouen (1648), M. et Mme de Longueville de ne pas recevoir les députations des huguenots : « ces hérétiques n’ont point le droit de députer. » De même, on tâchera d’empêcher (1660) que les sages-femmes protestantes « n’entrent dans les églises pour porter les enfans au baptême. »

Quant à la propagande et à l’extension protestante, la Compagnie s’y oppose en toutes choses. Elle fait supprimer les livres de controverse (1632, 1639), et elle soutient les mères de famille qui ne veulent pas que leurs filles épousent un calviniste (1648). Elle entrave de toutes ses forces la fondation, non seulement d’un collège latin protestant à la Rochelle (1645) ou à Pavilly-en-Normandie (1653), mais même d’une « académie » d’exercices et sports militaires dans le faubourg Saint-Germain (1638), et, ne l’ayant pu, elle contrecarre du moins « les prédications à sa mode » qu’un sieur L’Escuyer y voulait faire. Elle s’inquiète de ce que « des personnes de la R. P. R. prennent de jeunes pensionnaires (1659). » Mais surtout elle suscite mille obstacles à la bienfaisance protestante. Elle ne supporte pas que les hérétiques aillent voir « des prisonniers de leur religion, » de crainte qu’ils ne pervertissent les autres. Et elle ne supporte pas davantage qu’ils aient à eux des hôpitaux. En 1653, en 1635, elle en pourchasse un du faubourg Saint-Germain, et en fait porter les lits à l’Hôtel-Dieu.

Dans cette entreprise de vexations contre la vie spirituelle et même matérielle des réformés, la Compagnie joue de ses armes ordinaires. A découvrir les délits, vrais ou faux, des hétérodoxes, elle consacre l’« espionnage patient[86] » de sa police ; à les faire châtier, les démarches dissimulées de ses amis plus ou moins déguisés. Non contente de « dresser, par le moyen de ses sûres correspondances dans les provinces, » les mémoires de dénonciation dont je parlerai plus loin, elle a soin de mettre à la disposition des autorités locales ou des « commissaires » du gouvernement envoyés en province, des confrères qui les accompagnent, les renseignent, les guident[87]. Rien ne lui échappe : ni les manquemens de respect au Saint-Sacrement dans les rues des grandes villes, ni quelques irrévérences commises dans une église de campagne en Saintonge par des demoiselles huguenotes. Elle fait poursuivre les catholiques apostats (1658). Elle affecte de voir une contravention, et dénonce comme telle (1645) aux juges de Poitiers, l’habitude que prennent les réformés de porter secrètement la Cène à leurs malades. Et, une fois les instances intentées, les procès engagés, elle se multiplie pour que tout procès aboutisse à une condamnation. Par précaution, elle arrache aux Chambres de l’Édit et fait évoquer à Paris le plus de causes qu’elle peut. A Paris, elle intrigue au Conseil du Roi (1646) pour faire casser les jugemens favorables aux hérétiques rendus par des Parlemens de province (Bordeaux, 1644). Inversement, elle s’oppose (à Limoges, 1648) à l’exécution d’un arrêt du Conseil du Roi. Partout elle sollicite infatigablement « pour, dit d’Argenson, tirer des magistrats toute la justice que les affaires de l’Etat peuvent permettre de rendre contre les ennemis de l’Eglise catholique. »

Depuis 1638, d’ailleurs, — année où, selon d’Argenson[88], « elle réveilla son zèle contre les hérétiques, » — ce qu’elle avait fait jusque-là d’une façon fragmentaire et dispersée, elle le coordonne en système et l’applique en général. Le système tient en une formule pratique : « S’opposer à la liberté, que voulaient se donner les hérétiques, de faire ce qui ne leur était pas explicitement permis par les édits. « Les proies tans invoquent toujours les édits ; le gouvernement, pour les ménager ou ne les molester que médiocrement, se dit lié par les édits ; — soit. On verra ce que ces édits, interprétés à la lettre, opposés les uns aux autres, permettent ; — si la liberté de conscience et d’exercice, réduite aux termes exacts des textes conférés, ne se trouvera pas réduite à peu de chose ; si l’Edit même de Nantes, que les catholiques ont jusqu’ici naïvement déploré, n’est pas pour eux une ressource excellente et méconnue. Quant à l’application générale de cette tactique nouvelle, tout de suite la Compagnie l’organise, sauf à la perfectionner peu à peu. Dès 1638, celle de Paris fait écrire à ses « filles » de province « pour leur demander des mémoires sur ce qui se passait, » au sujet des huguenots, en leurs quartiers. En 1659, à la circulaire est jointe un questionnaire, en trente et un chefs ; en 1654, elle avait nommé un comité permanent de commissaires pour examiner ces rapports[89]. On aura ainsi, copieuse, une provision de matières à chicane. Quant aux procédés de chicane, les voici : « La Compagnie de Paris pria les particuliers de recueillir tous les édits, déclarations et arrêts donnés » contre les réformés ; « on en rapporta » bientôt « un grand nombre, » dont « on envoya les copies à M. Filleau, » avocat au Présidial de Poitiers, qui en composa lentement[90], mais avec grand soin, un recueil formidable. Ainsi documentés et ainsi armés, ce n’est pas seulement à Paris, ou dans les grandes villes, que les confrères pourront agir. C’est à peine s’il sera besoin désormais d’« inspirer » (1638), — ce qui est toujours délicat, — « aux magistrats (l’idée] de réprimer avec soin les entreprises des hérétiques ; » il deviendra presque superflu « d’agir sur les personnes d’autorité » (1645). Il suffira, n’importe où il y a un tribunal, du premier « demandeur » venu, ou dénonciateur, pour, au nom et en vertu de tel article, de tel édit ou de tel arrêt du Conseil, mettre en mouvement l’action publique. Et, dès lors, contre les « entreprises » des hérétiques, c’est-à-dire contre les exercices, contre les prêches, contre les temples, contre les réunions des consistoires, on voit s’évertuer à l’envi, multipliant les plaintes de « contravention, » presque toutes les Compagnies du royaume : Poitiers, Grenoble, Montpellier, Metz, Rouen, Caen, Bordeaux, Blois, Arles, Limoges. C’est, sur tous les points du territoire, la même besogne, pareillement menée : la guerre sainte sur le terrain judiciaire.

Mais ce n’est pas tout encore. Il n’y avait pas toujours unanimité, je l’ai dit, au sujet des protestans, entre les Parlemens et le Conseil du Roi, entre les gouverneurs et les intendans, entre les évêques et les ministres ; et, surtout, les mesures décidées pour tel ou tel endroit n’étaient pas valables et obligatoires partout. De ces inégalités de traitement des protestans, la Compagnie souffrait[91]. Ce qui valait le mieux, c’était un bon édit ou règlement du Roi, faisant loi de l’État et loi universelle. Mais comment obtenir ces solennelles démarches, sous Richelieu, si suspect, sous Mazarin, si tiède, dans le règne décourageant de ces politiques « indévots[92] ? » Force est à la Compagnie du Saint-Sacrement de recourir à ce clergé, auquel elle s’est si souvent et si cavalièrement substituée, mais qui, grâce au « don gratuit, » peut, lui, presser avec efficacité sur la royauté, et obtenir des édits en échange de son or. La Compagnie entre donc en rapports avec les Assemblées du clergé. Ces rapports, d’Argenson les mentionne pour la première fois en 1649, mais rien ne dit qu’ils n’aient pas existé plus tôt. En tout cas, c’était déjà faire ressentir et sa puissance et ses prétentions à l’ensemble de l’Eglise de France que de susciter de vastes missions en pays hérétiques[93], comme elle en subventionne dès 1638, ou de créer partout des maisons de Nouvelles catholiques, ou d’établir un « fonds » régulier pour les convertis[94]. Mais bientôt, c’est très clairement qu’elle stimule contre les protestans le zèle endormi des évêques. En 1655, elle faisait présenter à « MM. du clergé » tous les « mémoires » qu’elle avait provoqués et rassemblés, dans toutes ses succursales, touchant les « entreprises des religionnaires[95]. » Elle recommence en 1660 ; cette fois, selon d’Argenson, sur la demande des « prélats pleins de bonne volonté pour détruire l’hérésie » qu’« il y avait alors dans l’Assemblée du clergé, » — et qui étaient peut-être des membres de la Compagnie. — Elle continue ce travail en 1661 et 1665. Elle fait résumer, pour l’usage des « commissions », les dossiers trop volumineux des enquêtes. Enfin, dans les Assemblées elles-mêmes, quand venait le moment des décisions, la Compagnie, dit d’Argenson, « par le moyen des évêques de sa confiance, agissait puissamment. »

Faut-il croire que cette action fut aussi puissante qu’il le proclame, que « ces soins produisirent de grands effets, » et que, vraiment, comme il s’en vante, « ce fut le commencement de la destruction de l’hérésie dans ce royaume ? »

On a déjà pu remarquer la concordance au moins singulière qui existe entre la date à laquelle finissent les jours de répit du protestantisme français (1637-1638, environ) et celle (1638) où le « zèle » de la Compagnie « s’éveille » une première fois (1632), puis où il se « réveille » (1638) contre les protestans.

Cette concordance, elle existe aussi, dans les faits, entre ceux que nous connaissions par avance et les actes, qui viennent de nous être révélés, de la Compagnie. — Les historiens de Limoges[96] avaient observé déjà que le temple des réformés, indûment démoli en 1648 par les écoliers des Jacobins ameutés, et rebâti par arrêt du Conseil du Roi, avait été de nouveau démoli, et l’arrêt du Conseil inexécuté, jusqu’en 1654, où les protestans, de guerre lasse, durent aller l’établir ailleurs. Or, le registre de Voyer d’Argenson, confirmé par les procès-verbaux de la Compagnie de Limoges[97], nous montre l’ingérence en cette affaire de la Compagnie du Saint-Sacrement, qui soutint les démolisseurs et réussit à empêcher la juste réparation accordée par le gouvernement. — Les historiens de Metz[98] avaient déjà raconté que le maréchal de Schomberg, gouverneur, sollicité en 1644 par le clergé messin de prendre contre les huguenots plusieurs mesures rigoureuses, les avait toutes immédiatement accordées, et cela, dans une ville où, pourtant, l’accord moral semblait prendre racine entre les citoyens des deux religions. Or, nous apprenons que la Compagnie du Saint-Sacrement de Metz « s’était plainte », cette année même[99], « de la protection trop grande que recevaient, « selon elle, » les hérétiques de la part des personnes d’autorité, » et que, si le secrétaire d’Etat, comte de Brienne, écrivit alors, à ce sujet, au maréchal, cette lettre avait été sollicitée par la Compagnie du Saint-Sacrement de Paris. — Et ce ne sont pas là les seuls exemples[100] de démarches de cette Compagnie précédant, et expliquant, des vexations locales ou des rigueurs générales.

Quant à la pression, affirmée par d’Argenson, de la Compagnie sur les Assemblées quinquennales du clergé de France, il faudrait, certes, pour l’affirmer sans hésitation, que nous pussions collationner les mémoires, fournis par la Compagnie au clergé réuni, avec les rapports des commissaires, les procès-verbaux des commissions ou les décisions finales de l’Assemblée. Les documens existans ne nous le permettent pas[101] ; mais, à défaut, ils nous permettent au moins d’observer que, dans les Assemblées du clergé depuis 1636, les ecclésiastiques les plus actifs contre les protestans furent ceux qui faisaient partie de notre Compagnie[102] ; que l’Assemblée de 1656, — celle qui, avant 1661, fut la plus violente de toutes contre les protestans[103], celle où Henri de Gondrin, archevêque de Sens, déclara « que les réformés avaient ruiné, par leurs nouvelles entreprises, toutes les sages précautions dont Louis XIII avait arrêté l’inquiétude de leur génie, » celle enfin qui décida la Cour à ordonner l’envoi dans toutes les provinces de commissaires « chargés de connaître des infractions à l’Edit de Nantes[104], » — que cette Assemblée de 1656 fut aussi celle que la Compagnie du Saint-Sacrement excita le plus consciencieusement, endoctrina le plus abondamment sur le sujet des hérétiques. Et, si l’on était tenté de mettre en doute les effets de cette pression d’une compagnie privée sur un corps public, nous répondrions qu’il n’y a pas d’invraisemblance à supposer que, surtout dans un état de trouble et d’incertitude politique, comme fut toute la régence d’Anne d’Autriche, des prélats, assez faciles, si l’on en croit les médisances contemporaines[105], à intimider, n’aient été vivement impressionnés par les avis hardis, insistans, d’une société connue de quelques-uns d’entre eux, soupçonnée probablement de plusieurs autres, et dont le mystère augmentait le prestige. On imagine aisément ce que les fonctionnaires (on peut, sous Louis XIV, employer ce mot) de la Haute Eglise, pouvaient penser et craindre d’une société libre, assez répandue et assez bien informée pour leur rappeler, ou leur apprendre, ce qui se passait dans leurs diocèses ; assez sûre d’elle-même et de ses appuis pour leur dicter en quelque façon leur devoir. — Inquiets, sans doute, d’une surveillance ténébreuse qu’ils sentaient planer sur eux, ils devaient être inclinés à admettre que les sollicitations de cette « cabale d’« invisibles[106] » représentait bien en effet les réclamations de l’opinion catholique, et, de peur de paraître mous, ils suivaient avec docilité ces impulsions anonymes.

Mais la présomption la plus forte pour nous autoriser, d’ores et déjà, à attribuer à la Compagnie du Saint-Sacrement la plus grande importance, — de direction ou de suggestion tout au moins, — dans la persécution renouvelée vers 1640, reprise par à-coups de plus en plus fréquens de 1640 à 1661, suivie et grandissante jusqu’en 1685, c’est encore, je crois, l’ensemble de faits de l’histoire religieuse de la France de 1620 à 1640 que nous avons groupés dans le précédent article et dans celui-ci. Faits bien connus pour la plupart, mais dont le rapprochement est instructif.

Car il s’en dégage que, comme nous l’avons vu précédemment, la contre-réformation catholique n’était pas, tant s’en faut, réalisée, au moment où la Compagnie du Saint-Sacrement commença d’exister, et que c’est, apparemment, l’instigation active des Dévots qui la fit mettre décidément en train. Et il s’en dégage aussi, comme nous venons de le voir aujourd’hui, que, malgré des contradictions inévitables et des hésitations très intelligibles, il n’y avait point en France, dans le milieu du règne de Louis XIII, un « mouvement », ni concerté, ni spontané, contre les protestans. Au contraire, de la bonne volonté, — ou, si l’on veut, de l’absence de mauvaise volonté ; — de la collaboration inconsciente, ou de l’inaction indifférente, des classes dirigeantes, du gouvernement et même du clergé, un état de paix durable pouvait, et devait logiquement, résulter. Qu’il faille parler, alors, de tolérance vraie, — de cette tolérance qui est la franche et fraternelle reconnaissance de ce que Bayle appelait plus tard les « droits de la conscience errante, » — non sans doute, cela est bien entendu. Mais, à défaut de ce sentiment supérieur, par suite de motifs divers et concourans, — motifs d’idées, de sentimens, d’intérêts matériels surtout, — il y avait, à l’ombre de Richelieu, comme un éloignement général de l’intolérance passée, comme une tendance plus ou moins sentie, plus ou moins sincère, plus ou moins résignée, à l’apaisement religieux ; il y avait ce qu’Arnauld appelle assez joliment, et avec tristesse, un « état de négligence et de froideur, » cependant « favorable en soi à la félicité publique. »

Or, malgré cette réunion heureuse de conditions propres à l’établissement d’une paix religieuse durable, cette paix ne s’établit pas. Au contraire, — et cela, sans causes tangibles, ni dans les affaires intérieures, ni dans les affaires extérieures ; sans prétextes fournis par les réformés, dont le gouvernement, à plusieurs reprises, certifie et loue « la bonne conduite, » — le fanatisme du clergé renaît, la politique du gouvernement s’irrite, mais à froid, pour ainsi dire, et, semblerait-il par momens, contre son gré. Cette politique du gouvernement à l’égard des protestans se modifie assez pour que, dès les derniers temps de Richelieu, dès le ministère de Mazarin, on puisse prononcer le mot de persécution[107]. Parallèlement, l’attitude du grand public, de malveillante, se fait hostile ; l’attitude, naguère conciliante, des classes cultivées se modifie assez ou se laisse si aisément neutraliser que cette persécution recommencée paraît avoir l’approbation tacite et la muette complicité de la haute société. Il y a là, dans l’histoire religieuse du XVIIe siècle, un revirement étonnant, un changement difficile à comprendre, si l’on se borne à interpréter les événemens publics et connus, si l’on se contente de raisonner sur les acteurs visibles de l’histoire. Il en est tout différemment, si l’on peut conjecturer en cette affaire l’intervention souterraine et le travail latent d’une cause cachée, l’intrigue secrète d’un groupe d’hommes d’action, déterminés, habiles, méthodiques, capables à la fois de peser sur le gouvernement central et sur les pouvoirs publics provinciaux, capables, par l’entretien d’une sorte de fermentation combative, d’agiter sourdement et d’inquiéter l’opinion publique. À ce desideratum, que nous avions jusqu’ici dans l’histoire religieuse du XVIIe siècle, il faut convenir que la révélation de l’existence de la « cabale des Dévots, » avec son effectif d’hommes souvent remarquables, avec le mystère de son procédé, avec son ubiquité, sa police, ses « comités locaux de vigilance[108], » répond évidemment mieux et plus qu’on ne l’aurait pu souhaiter.

N’en abusons pas. N’allons pas, je le veux, jusqu’à faire remonter à elle, — et à elle seule, — la responsabilité lointaine de la Révocation. Ne disons pas que, sans elle, le gouvernement de Louis XIV n’aurait pas songé ou réussi à détruire les protestans. D’autres motifs, à partir de 1661 surtout, intervinrent, dont il faut tenir compte. Mais ce qu’il paraît bien que l’on puisse, sans injustice, imputer à la Compagnie, c’est d’avoir, non seulement ouvert, mais aplani les voies à l’œuvre de Louis XIV. Par son fait, par l’infusion qu’elle eut l’art d’opérer peu à peu, patiemment, au gouvernement et au clergé, de son « irréconciliable fanatisme, » c’est elle qui a accompli, selon toute apparence, une besogne que, jusqu’ici, on avait cru pouvoir parfois attribuer à la Compagnie de Jésus ; c’est elle qui semble avoir assuré la perpétuité ininterrompue de la lutte religieuse, de façon qu’il n’y eût pas prescription en France contre l’hérétique, et que l’habitude de le combattre ne se perdît point. Ce qu’il est permis, dès à présent, de voir dans la Compagnie du Saint-Sacrement, c’est l’adversaire acharné de cet esprit de tolérance, qui commençait à percer, qui, semble-t-il, voulait vivre et pouvait croître, mais qu’il était alors bien aisé d’étouffer. Car, pour que la tolérance naisse et surtout pour qu’elle s’implante, en triomphant des objections d’un bon sens grossier et des répugnances que la brutalité instinctive des individus et des associations humaines lui oppose, il faut, soit dans le gouvernement, soit dans la nation, la rencontre et la collaboration prolongée de plus d’une idée, de plus d’un sentiment, de plus d’un intérêt. Ces rencontres, ces collaborations, l’historien sait qu’elles sont fortuites, rares et éphémères ; plus rares même, peut-être, que les éveils, dans les corps sociaux, des sentimens de pitié pour les souffrans et pour les pauvres. — Et c’est pourquoi il a le droit d’estimer que le mal fait par la Compagnie du Saint-Sacrement, en ressuscitant et fomentant la guerre religieuse, ne compense que trop le bien qu’elle a fait ou fait faire d’autre part, dans le domaine de l’assistance publique.

Cette intolérance, du reste, la Compagnie du Saint-Sacrement ne l’exerça pas seulement contre les réformés. Les jansénistes s’en ressentirent ; — et sa lutte contre eux, que nous aurons l’occasion d’étudier en racontant la fin de l’étrange et redoutable Compagnie, — jette un jour assez curieux sur les diversités de l’âme et de l’idée catholique au xviie siècle.

Alfred Rébelliau.
  1. Voyez la Revue du 1er juillet et du 1er août.
  2. Tous les textes officiels du temps font une distinction expresse entre ces sectes de mécréans ou d’« innovateurs « et la « religion » tolérée par les édits laquelle est ainsi nommée à la suite de la religion catholique.
  3. Beaucoup d’historiens l’ont constatée : citons seulement Ranke et Lièvre, Histoire des Protestans du Poitou.
  4. Lettre de 1605 au pape Paul V dans Lacombe, Henri IV, et sa politique, p. 34.
  5. « Pour la noblesse, depuis quinze ans, dit un pamphlet de 1621 (Manifeste anglais aux Réformés de France), il y en a plus de 10 000 qui ont quitté votre créance. »
  6. Bulletin historique de la Société du protestantisme français, t. XXX, p. 256. Cf. Bazin, Louis XIII, 2e édit., t. II, p. 85 ; Fagniez, Le Père Joseph et Richelieu, t. I, p. 428-429 ; N. Weiss, article France protestante, dans l’Encyclopédie Lichtenberger, p. 172.
  7. Fagniez, Le père Joseph et Richelieu, p. 432-433.
  8. Élie Benoit, Histoire de l’Edit de Nantes, t. II, p. 505 (à l’année 1629). Fagniez, ouvrage cité, t. I, p. 285,294,426.
  9. Voir les chiffres, du reste différens, donnés par Aymon dans le Recueil des Synodes nationaux ; par Haag, France protestante, t. I ; par N. Weiss, article cité, p. 172 ; par F. de Schickler, Géographie de la France protestante, dans l’Encyclopédie Lichtenberger, p. 73 ; par Baird, The Huguenots and the Revocation, I. Soit que l’on prenne les chiffres donnés par Aymon, soit que l’on adopte ceux que rectifie et complète M. de Schickler, la diminution de 1627 à 1637 est notable : sur les églises, d’environ 6 p. 100 suivant Aymon, d’environ 17 p. 100 suivant Schickler ; sur les pasteurs, d’environ 10 p. 100 suivant Aymon, d’environ 16 p. 100 suivant Schickler. En 1626 (Bulletin de la Société du Protestantisme français, IX, 176, XXXX, 69), le nombre des pasteurs est évalué à 700 ; en 1641, à 647. — Pour les statistiques locales, voir le même Bulletin, t. XXX, p. 244 ; t. XXXI, p. 172 et passim.
  10. L’abbé Dubourg, Monographie du prieuré de la ville de Leyrac.
  11. Élie Benoît, t. II, p. 513-514. Cf. Fagniez, ouvrage cité, 1. 1,430 ; il ne semble pas que tous ces ministres aient été des stipendiés et des apostats.
  12. Bulletin de la Société du Protestantisme français, t. IV, 505, 508, 588, 593 ; Inventaire des Archives communales de Nîmes, série II, 1 (3e partie) ; et dans Aymon Synode national de Charenton 1631, ch. XVII n° VII ; ch. XXVI, art. V, et Synode national d’Alençon, 1637, ch. XXII, p. 417-419
  13. Fagniez, I, 428-429.
  14. Aymon, Synodes nationaux, t. II, p. 535.
  15. « Les catholiques n’ont pas d’animosité contre les Réformés, affirme le pasteur converti Boulle (Essay de l’Histoire générale des Protestans, 1646), ils ont le dessus du vent,... et ils les estiment plutôt objet de pitié que d’indignation. »
  16. G. Hanotaux, Revue du 1er février 1902, t. I, p. 484, 485, 502, 504.
  17. Baird, ouvrage cité, t. 1, p. 254 ; Fagniez, 1, 417.
  18. Voyez par exemple. Bulletin du Protestantisme français, t. XIII, p. 146.
  19. Haag et Bordier, France protestante, t. VI, p. 806 ; Fagniez, ouvrage cité, I, 417.
  20. P. Gachon, les États du Languedoc et l’Edit de Béziers, p. 243
  21. Sur les dispositions du peuple protestant, « qui hait et déteste la guerre civile pour les maux qu’il en a reçus, » voirie mémoire de Philippe Codure à Richelieu (Bulletin du Protestantisme français, t. XXXI, p. 422, 428).
  22. Gaillet, ouvrage cité, t. I, p. 184.
  23. Franck Puaux, Histoire de la Réformation en France, t. V, p. 237.
  24. Nous le trouvons loué encore en 1646 dans un écrit dédié précisément à l’un des fondateurs de la Compagnie du Saint-Sacrement, l’archevêque d’Arles, François-Adhémar de Grignan : Essay de l’Histoire générale des Protestans, cité plus haut.
  25. Le Prince, ch. IV.
  26. Boulle, opuscule cité, p. 189 et suivantes.
  27. Voyez par exemple le Journal du catholique Messin Bauchez, publié par Abel et de Bouteiller en 1868, et l’abbé Urbain, Nicolas Coeffeteau, p. 100. Cf. pour Nîmes, Germain, Histoire de l’Église de Nîmes, t. II, p. 254 ; l’abbé Azaïs, la Charité à Nîmes (Mémoires de l’Académie du Gard, 1874, p. 65.)
  28. D’après l’Inventaire des Archives communales (AA, 3).
  29. Ibid., BB 17 (1634).
  30. Félice, les Protestans d’autrefois. Éducation et instruction, p. 93.
  31. Voyez Élie Benoit, t. II, p. 580, sur « cette coutume trop bien établie et ce mal trop commun, » contre lequel le clergé catholique proteste comme les pasteurs et qu’il tâche de faire interdire par des intendans. Cf. D’Avenel, III, 413 ; Fagniez, I, 427.
  32. Boulle, opuscule cité.
  33. Baird, t. II, p. 383.
  34. Bonet-Maury, Histoire de la Tolérance, p. 25. Les ouvrages d’Amyraut, à cette époque, n’ont pour objet que des questions de haute philosophie chrétienne ou d’apologétique générale : ainsi le Traité de la Prédestination (1634), le Traité des religions contre ceux qui les estiment indifférentes.
  35. Le Miroir du temps passé à l’usage du présent, 1623, p. 35.
  36. Fontenay-Mareuil, Mémoires, collection Petitot, t. LI, p. 86-89
  37. Mémoires de Molé publiés par la Société de l’Hist. de France, t. II, p. 28.
  38. « Probablement, » parce que les documens provinciaux qui permettraient d’en parler à coup sûr ne sont encore suffisamment ni commentés ni même connus.
  39. G. Picot, Histoire des États généraux, t. IV, p. 383.
  40. Weiss, Histoire des Réfugiés protestans, t. I, liv. I ; Franck Puaux, Histoire de la Réforme française, t. V, p. 225.
  41. Paul Gachon, Quelques préliminaires de la Révocation en Languedoc p. 142 et suivantes.
  42. Voir, dans Aymon, les réclamations du Synode de Charenton de 1631 ; Élie Benoît, t. II, p. 521 ; Lièvre, ouvrage cité, II, 89 ; D’Avenel, ouvrage et passages cités.
  43. Voyez le livre de M. R. Allier, ch. II, spécialement p. 38 et 39.
  44. . J’ai cité ailleurs (Bossuet, historien du Protestantisme, t. I. ch. Il) d’autres textes de ce genre. Cf. Bourgoin, Conrart, p. 292-293, 286 ss., et O. Douen, la Révocation de l’Edit de Nantes à Paris, t. 1, p. 7 ss.
  45. M. Allier, dont le livre offre plus d’un de ces détails curieux et nouveaux, note (p. 236) que Godeau, en 1631, à son passage à Aix, se prêta aux charitables intentions du chevalier de la Coste, le pieux « serviteur des galériens, » et qu’en 1651 (p. 89), il rédigea une « Exhortation aux Parisiens pour le secours des pauvres de Picardie et de Champagne, où. il est prouvé par des passages formels de l’Écriture Sainte, par les autorités des Saints Pères grecs et latins et par des raisons invincibles que l’aumône en ce temps est de précepte et non pas de conseil. » Cf. l’abbé Tisserand, Étude sur Godeau, p. 80 et suivantes, Bourgoin p. 64, 86, etc.
  46. A Paris même, en 1621, lors de l’émeute populaire où le temple de Charenton fut détruit, les curés, comme les Capucins, se conduisirent généreusement envers les protestans. Voyez O. Douen, ouvrage cité, t. I, p. 21.
  47. Voir Fisquet, France épiscopale (aux chapitres de ces diocèses).
  48. « A Vaudrevange, sur les confins de la Lorraine, » raconte Pontis dans ses Mémoires, « l’église des catholiques sert aussi de prêche aux huguenots ; le curé et le ministre vivent en parfaite intelligence l’un avec l’autre ; les dimanches les catholiques entendent la messe de huit heures du matin à dix heures et à dix heures ils font place aux huguenots, s’entre-saluant fort civilement les uns les autres. « (Collection Michaud, p. 631 (à l’année 1643).
  49. Elle Benoit, t. II, p. : 107 ; Caillet, l’Administration sous Richelieu, t. I, p. 185 et suivantes ; Arnaud, Histoire des Protestans du Dauphiné t. II.
  50. G. Picot, ouvrage cité, t. IV, p. 383 et suivantes ; Bonet-Maury, Histoire de la liberté de conscience, p. 16 et suivantes.
  51. Élie Benoit, t. II, p. 553.
  52. Bossuet historien du Protestantisme, liv. I, ch. I, p. 13 et suiv. Cf. Allier, p. 260.
  53. Voyez Cans (Bulletin du Protestantisme français, 1. Il , p. 234).
  54. Lettre du 6 août 1630 à Michel de Marillac.
  55. Lettre du 20 mai 1635 au comte de Sault, lieutenant du Roi en Dauphiné.
  56. Avenel, Papiers d’État de Richelieu, I, 225, III, 260, 304 ; Bulletin de la Société du Protestantisme français, t. XI, p. 31-35.
  57. Maximes d’État et fragmens politiques du cardinal de Richelieu, publiés par G. Hanotaux, n° 138 ; G. Fagniez, Mémoire du pasteur Codurc, agent secret aux gages de Richelieu, dans le Bulletin du Protestantisme français, t. XXXIX.
  58. Lettre indiquée ci-dessus au comte de Sault.
  59. G. Picot, ouvrage cité, t. II, p 25 ; Baird, ouvrage cité, t. I, p. 353-356.
  60. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. IV, p. 376-385,-407-408. Le Parlement écrit, en 1631, aux dix-sept évêques de la province de ne plus faire prêcher le P. Véron, « vu son naturel et humeur turbulente propre seulement pour les controverses et non pour apporter aucune édification. »
  61. Le 3e des Articles secrets de l’Édit de Nantes ordonnait qu’il serait « tendu et paré par l’autorité des officiers des lieux. »
  62. Voir Élie Benoit, t. II, p. 543 ; Ch. Drion, Histoire chronologique de L’Église protestante de France, t. II, p. 13-14 ; Caillet, l’Administration sous Richelieu etc.
  63. Encore en 1634, les protestans de Metz fondent un collège en se passant de l’assentiment du Parlement, où pourtant des conseillers de leur religion siégeaient.
  64. D’après G. Fagniez, ouvrage cité, t. I, p. 422-426.
  65. Aymon, t. II (ch. VII et XXIX du Synode de 1631). Il est vrai que les allocations précédemment octroyées aux Églises réformées par le gouvernement n’avaient pas été payées depuis 1627 (Aymon, II, 463-464), les « assignations » en étant mauvaises ; et peut-être en advint-il pareillement des libéralités de 1631. Mais cela n’implique pas mauvaise volonté. On sait la presque perpétuelle détresse des finances de l’ancien régime, et l’incertitude de ses moyens de trésorerie.
  66. Ch. XXIII du Synode de Charenton : « Décret » rendu sur une demande de la province de Bourgogne. Cf. La décision de plusieurs questions relatives aux rapports avec Genève (ch. XIX, art. XIV, XL ; ch. XXIII, art. XX).
  67. Aymon, II, p. 467. — On a observé avec raison que le Synode de 1631 témoigna, sur plusieurs points importants, à l’égard du gouvernement, d’une fermeté et d’une obstination qui réussirent. C’est ainsi que le Roi ayant ordonné, dans une vue politique facile à comprendre, « que désormais aucun étranger » à chaque église, « mais seulement les membres de chaque église particulière assisteront aux sessions consistoriales » (ch. XIII, Aymon, II, p. 472), le Synode résista et chargea le commissaire royal de faire retirer cette prétention. — C’est ainsi que, malgré l’intention exprimée par le Roi et les représentations du commissaire royal, le Synode persista à vouloir que les Synodes ultérieurs se tinssent par toute la France, et pas seulement à Charenton. — C’est ainsi, enfin, que, quoique le Roi eût interdit aux étrangers d’exercer en France le ministère pastoral, — interdiction qui n’était pas, il est vrai, rétroactive au delà d’une certaine date, mais qui avait été expressément renouvelée dans la harangue du commissaire (II, p. 455), — ce fut un étranger, le célèbre Jean Mestrezat, de Genève, qui, député par l’Ile-de-France, fut élu modérateur du Synode ; — acte qui était loyal, mais hardi.
  68. Cités par d’Avenel, t. III, p. 406 et suivantes.
  69. Bulletin de la Société du Protestantisme français, t. I, p. 285 et suivantes.
  70. Ibid., t. V, p. 36.
  71. Voir pour toutes ces mesures Bulletin historique du Protestantisme français, t. III. 49. XIV. 307, XXII, 421 et passim ; Drion, Histoire chronologique de l’Église protestante de France.
  72. Art. VII du Synode national de 1631.
  73. Gaufrés, dans le Bulletin historique du Protestantisme français, XXII. 421, à propos des collèges protestans.
  74. Aymon, Synode national, t. II, 534 ss.
  75. Histoire de l’Édit de Nantes, t. II, p. 529, 532, 541, 547, 550, 553, 554, 559, etc
  76. Lièvre, Histoire des Protestans du Poitou.
  77. Aymon, Synodes nationaux, t. I, p. 305 t. II, p. 526. Cf. O. Douen, ouurage cité, I, 173-174.
  78. Arnaud, Histoire des Protestans du Dauphiné, t. III.
  79. Cf. une lettre de Drelincourt à Rivet (1639) dars Douen, ouvragé cité, l, 182
  80. Bulletin de la Société historique du Protestantisme français, t. V, p. 298.
  81. L’Américain Henry-M. Baird, The Huguenots and the Revocation, II, 359, 368.
  82. E. Benoît, né en 1640. Préface du 1. III de l’Histoire de l’Edit de Nantes (1690).
  83. Arnauld, né en 1612. Préface du t. 1 de la Perpétuité de la Foi catholique sur l’Eucharistie (1670).
  84. D’Argenson, édition de dom Beauchet-Filleau, p. 34-35.
  85. D’Argenson, p. 34 (1637. Cf. à l’année 1655).
  86. Allier, p. 292.
  87. Allier, p. 319 (d’après les procès-verbaux de Grenoble),
  88. P. 77. Cf. p. 96.
  89. Allier, p. 313-316.
  90. D’Argenson ; p. 77-78. Les Décisions catholiques de Filleau parurent seulement en 1663.
  91. En 1643, la Compagnie de Metz se plaint à celle de Paris « de la protection trop grande donnée aux hérétiques par les personnes d’autorité. » En 1646, la Compagnie de Bordeaux déplore des jugemens favorables aux hérétiques, rendus par le Parlement. En 1648, celle de Rouen est choquée, je l’ai dit, par la courtoisie du duc et de la duchesse de Longueville. En 1649, celle de Paris constate que « la Cour est obligée de garder des mesures » ; en 1651, elle regrette que des réformés obtiennent à leur profit des lettres de cachet ou des arrêts.
  92. D’Argenson, p. 104.
  93. Dans le bailliage de Gex et dans les Cévennes, en 1638. Dans les Cévennes, en 1651. À Saint-Maixent, en 1664.
  94. De 1652 à 1665. La Compagnie, se substituant à l’Assemblée du clergé qui semblait abandonner ce soin, décide même, en 1662, qu’on aidera pécuniairement « les particuliers disposés à la conversion.
  95. Allier, p. 309 et suivantes ; D’Argenson, p. Il 7, 203, 264 et passim.
  96. Voyez Alfred Leroux. Histoire du Protestantisme dans la Marche et le Limousin.
  97. Allier, p. 294.
  98. Cf. Thirion, le Protestantisme à Metz.
  99. D’Argenson, p. 96. Allier, p. 294-295.
  100. Voyez Allier, ch. XV ; « La Contre-réformation organisée. »
  101. M. Allier signale au moins un « air de famille » entre les questionnaires, relatifs aux protestans, dressés par la Compagnie et par l’Assemblée (p. 316-318).
  102. Allier, p. 310 ss.
  103. Franck Puaux, dans la Revue historique, 1885, t. XXIX.
  104. Allier, p. 315.
  105. Voir soit les mémoires du P. Rapin, soit les documens jansénistes, et les livres de M. Gérin, Louis XIV et le Saint-Siège ; Recherches sur l’Assemblée de 1682
  106. Nom qui fut quelquefois donné (à Bordeaux, par exemple) à la Compagnie.
  107. Voir Moïse Amyraut, Apologie pour ceux de la religion, 1648 ; spécialement la Préface, où il étudie les motifs d’animosité que le public croit avoir contre les protestans ; Drelincourt, Avertissement sur le procédé des missionnaires, 1664 ; et Arnaud, Histoire des Protestans du Dauphiné.
  108. Allier, p. 309.