Un Allié de Louis XIV

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Revue des Deux Mondes5e période, tome 2 (p. 553-600).
UN ALLIÉ DE LOUIS XIV[1]


I

Pour se distraire des longues recherches que nécessite tout ouvrage historique, on a quelquefois la surprise de voir surgir des vieilles paperasses tel personnage qui semble un anachronisme vivant, débris oublié d’un autre âge, spécimen isolé d’une race dès longtemps abolie. L’impression qu’on ressent alors est un peu celle du voyageur qui, dans une région mal connue, apercevrait à l’improviste quelque étrange animal, d’une espèce classée comme éteinte par les naturalistes et rangée parmi les fossiles. Ainsi m’est apparue, dans le cours d’un travail récent, la figure sombre et redoutable de Christophe Bernard von Galen, prince-évêque de Munster dans le siècle de Louis xiv. Ce souverain ecclésiastique, véritable « fléau de Dieu » et fier de cette appellation, ce soudard en robe et en mitre qui, sur vingt-huit années de règne, compta plus de vingt ans de luttes et de batailles, tyran de ses sujets, épouvante des États voisins, pillard, perfide et sanguinaire, eût déjà, a-t-on dit, « fait scandale au xiiie siècle [2], » à l’époque des prélats guerriers dont la crosse était une massue. Mais qu’un tel pasteur d’âmes ait pu régner et prospérer au temps de Fénelon et de Bossuet, que son peuple l’ait toléré, que les plus illustres souverains, — et le Grand Roi plus qu’aucun autre, — aient cherché son alliance et cultivé son amitié, c’est ce qui confond la pensée et dépasse l’imagination. Mieux que de longues dissertations, de tels spectacles font comprendre combien ce grand XVIIe siècle, si « galant » et si policé quand on le regarde à distance, était, dans la réalité, proche par certains côtés des mœurs brutales du moyen âge, quelle foncière rudesse d’âme se dissimulait trop souvent sous la pompe fleurie du langage et la grâce des belles révérences.

Il faut toutefois considérer que les faits qu’on va lire se passent sur l’autre rive du Rhin, dans une Allemagne à demi barbare, que l’Europe traite encore avec une sorte de dédain. Rien certes, à ce moment, ne pouvait faire prévoir l’essor de la race germanique, qui commence au siècle suivant et se poursuit depuis avec l’éclat dont nous sommes les témoins. Eparpillée en cent États rivaux, — mal rattachés entre eux par le lien relâché et presque illusoire de l’Empire, — l’Allemagne alors semblait frappée d’irrémédiable décadence. « Les Français d’un côté et les Suédois de l’autre, dit un observateur du temps, sans compter les querelles intestines des électeurs, ont tellement affaibli les Allemands que nous n’avons plus rien à craindre des serres de l’aigle, à peine assez puissante pour se soutenir elle-même et incapable d’attaquer ses voisins[3]. » L’état moral des peuples se sentait, suivant l’habitude, de cette ruine politique. La civilisation, surtout dans les provinces de la vallée du Rhin, semblait de plusieurs siècles en retard sur les nations latines. Du moins était-ce chez ces dernières une opinion accréditée : « Les Allemands, dit un voyageur, sont en général des gens rudes, mal polis, ignorans, pesans et flegmatiques… Voici comme on définit un Allemand : Un animal qui boit plus qu’il n’a soif, un tonneau qui contient plus qu’il ne paraît grand, et un homme qui entend plus qu’il n’en peut exprimer. » De ces défauts, le plus incontestable était l’ivrognerie, si répandue dans toutes les classes qu’il y fallait voir, disait-on, « le péché originel des Allemands, d’où il s’est propagé dans les autres pays. » Plus encore que les gens du peuple, les seigneurs et les princes faisaient profession d’être ivrognes et tiraient gloire de leur capacité. L’un d’eux, comte d’illustre maison, « avait coutume de faire boire ses enfans en bas âge pour savoir s’il en était ou non le père : s’ils tombaient malades après la débauche, il concluait qu’ils étaient bâtards ; mais s’ils la pouvaient soutenir, il les chérissait comme issus de son sang[4]. » Cette grossièreté s’alliait avec la ruse et souvent ; même avec la perfidie, dont on faisait honneur aux relations fréquentes des petites cours d’Allemagne avec celles d’Italie. « Tedesco italianato, disait un proverbe courant, è un diavolo incarnato. Un Allemand frotté d’Italien est un diable incarné. »

C’est bien d’ancêtres de cette race que procédait celui qui fait l’objet de cette étude : on retrouve tous ces traits dans ce qui, de son ascendance, est venu jusqu’à nous. Les documens diffèrent sur l’illustration de sa famille : la maison d’où sortit Galen était, au dire de Moréri[5], « l’une des plus considérables de la Westphalie ; » son père était, suivant les autres, un « petit gentilhomme » vivant obscurément dans sa terre de Bisping, dont il joignait le titre à son nom de Galen. Grand seigneur ou hobereau, ce Bisping était en tout cas un homme rude, violent, passionné tour à tour pour la table et la chasse, ne quittant une « débauche » que pour courir les bois à la suite de ses chiens, tantôt sur son propre domaine, et plus souvent sur les terres du voisin. C’est dans une de ces incursions qu’il eut maille à partir avec le maréchal Morien, qui commandait les troupes de l’évêque de Munster ; le maréchal, par représailles, fit enlever par ses gens le piqueur et les chiens, maltraita le premier et massacra les autres. Bisping, enflammé de colère, jura de venger cet affront. L’occasion s’en offrit bientôt : certain jour qu’il passait dans la ville de Munster, il rencontra Morien dans une rue isolée, le chargea l’épée à la main, et « le poussa si fort » qu’il le tua sur la place. Que ce fût duel ou guet-apens, le meurtre fit grand bruit ; Bisping fut arrêté et jeté en prison, et l’on instruisit son procès, qui traîna si bien en longueur que l’accusé mourut cinq ans plus tard, la cause étant encore pendante. Sa femme, pendant cette procédure, allait le visiter au fond de son cachot ; ce fut ainsi qu’elle devint grosse, et accoucha l’an 1607, dans la terre de Bisping, d’un fils qui fut nommé Christophe-Bernard von Galen. Elle survécut seulement d’un an à son époux ; et le jeune orphelin, dénué de toute ressource, — les biens de sa famille étant confisqués par arrêt, — fut recueilli par le frère de sa mère, qui se chargea de son éducation.

Cet oncle charitable avait nom Bernard Malinkroot. Entré de bonne heure dans l’Eglise, il avait fait rapidement sa carrière, et se trouvait alors chanoine dans le chapitre de Munster, dont, quelque temps après, il fut élu doyen. C’était un homme instruit et de quelque mérite, estimé pour ses mœurs, mais ambitieux, dominateur, jaloux de son autorité, aimant à déployer la vigueur de son caractère. Le pupille qu’il s’était choisi lui fut à cet égard d’un utile exercice ; jamais enfant plus difficile ne troubla de sa turbulence la demeure austère d’un chanoine. Dans ses démêlés quotidiens avec ses camarades d’école, sa fougue, son opiniâtreté, son courage emporté, le rendaient, dit-on, « formidable, » et ses accès de violence « faisaient trembler jusqu’à ses maîtres. » Il méprisait d’ailleurs, comme indignes de soi, les amusemens habituels de l’enfance, ne se plaisait qu’aux jeux dangereux et malfaisans, les batailles dans les rues avec les vauriens du quartier, les courses effrénées à travers les campagnes, le pillage des vergers et des basses-cours du voisinage. Est-il besoin de dire qu’en ces expéditions il était toujours chef de bande, et que nul à côté ; de lui n’osait élever la voix ? Les remontrances, les châtimens, les coups, tout échouait également devant celle humeur indomptable. Malinkroot cependant obtint ce résultat que Bernard, parmi ses folies, fit d’assez bonnes études : « Soit dissimulation, écrit l’un de ses biographes[6], soit qu’il aimât effectivement les lettres, il s’y appliqua pour de bon. » Comme il avait l’esprit ouvert, il en tira profit ; le témoignage de ses contemporains lui accorde une culture, une instruction solides, peu répandues à cette époque chez les gentilshommes de son rang[7].

Lorsqu’il eut terminé ses classes, Malinkroot le fit voyager, comme il était d’usage pour parfaire une éducation. Quelque obscurité plane sur toute cette période de sa vie. Ce qu’on en peut apprendre est que, pendant plusieurs années, il suivit le métier des armes, commanda même un régiment dans l’électorat de Cologne. Il guerroya quelques campagnes, y fit preuve de valeur, mais se dégoûta du service et revint à Munster, où il fût mort de faim sans l’assistance de son oncle et tuteur, qui, pour la seconde fois, s’offrit à le tirer d’affaire. L’expédient qu’il imagina fut d’orienter l’enfant prodigue vers l’état ecclésiastique, et le conseil. — chose imprévue, — fut accepté sans résistance. D’officier de fortune, Bernard passa d’un bond étudiant, en théologie. Le Doyen, dès les premiers temps, pour encourager ses efforts, lui fit avoir par son crédit « de ces petits bénéfices qu’on appelle à simple tonsure, » puis il le poussa par degrés jusqu’aux dignités supérieures. En l’an 1650, nous trouvons Von Galen chanoine de la cathédrale de Munster, et Prévôt du chapitre dont son oncle était le Doyen. Malgré quelques rivalités, tous deux jusqu’à cette heure avaient vécu ensemble en bonne intelligence ; l’événement qui survint détruisit celle entente et mit leurs ambitions aux prises.


II

Munster est, comme on sait, une des plus anciennes villes d’Allemagne. Située en Westphalie, sur la rivière de l’Aa[8], au centre d’une plaine fertile, elle tirait, au XVIIe siècle, sa principale célébrité des terribles luttes religieuses dont, cent années auparavant, elle avait été le théâtre. Là s’était longtemps retranchée, comme dans un fort inexpugnable, la secte des anabaptistes ; là Jean de Leyde, pendant quatorze mois, avait résisté aux efforts des princes allemands coalisés. La tour de l’église Saint-Lambert portait encore la cage de fer où fut enfermé le « prophète » avec ses principaux complices. Ces révoltes, ces guerres civiles, avaient dans le pays laissé des traces profondes. Nulle part, dans toute la Germanie, le peuple n’était à la fois plus opprimé et plus farouche, les nobles plus despotes, les bourgeois plus frondeurs, et le clergé plus turbulent. Le mode de gouvernement qui régissait la province était peu propre à pacifier cette fermentation des esprits. De la ville de Munster, Char-leniagne, en 7. 80, avait fait un évêché ; l’empereur Frédéric II, quatre siècles plus tard, avait élevé l’évêque au rang de prince de l’Empire ; le choix du titulaire était à l’élection, selon le système en vigueur en de nombreuses villes germaniques. Dans les États constitués de la sorte, les chapitres des cathédrales, la plupart composés de nobles, formaient le corps électoral ; l’évêque, nommé à la pluralité des voix, — on devine aisément après quelles luttes et quelles intrigues, — recevait du même coup la dignité de prince, le droit de séance et de suffrage à la diète de l’Empire. Il lui fallait d’ailleurs, pour exercer ses droits, l’agrément de l’Empereur comme prince, et comme évêque celui du Saint-Siège. Par le traité de Westphalie, bon nombre d’évêchés s’étaient vus sécularisés en faveur de princes protestans ; certains, comme celui d’Osnabruck, par une conciliation étrange, étaient tour à tour gouvernés par un prince luthérien et par un évêque catholique. Pour l’Etat de Munster, les habitans de la région, — ceux de la ville comme ceux de la province, — étant restés fidèles à la vieille communion romaine, le prince était toujours un évêque catholique. Douze villes, outre la capitale, ressortissaient à son autorité. Le pays était bien peuplé, les champs bien cultivés et le commerce florissant[9] ; aussi les caisses publiques étaient richement garnies, l’année bonne et nombreuse, et le prince-évêque de Munster était considéré comme un important personnage.

Au temps dont nous nous occupons, l’évêché de Munster était depuis nombre d’années aux mains de Ferdinand de Bavière, archevêque de Cologne, qui cumulait ainsi ces deux épiscopats. Lorsqu’il mourut, en l’an 1650, l’archevêché échut à son coadjuteur, Maximilien-Henry, comme lui duc de Bavière ; l’évêché se trouva vacant, et les compétitions s’ouvrirent. Nul ne doutait dans la province que le successeur désigné ne fût le doyen Malinkroot ; ses longs services, son intégrité reconnue, l’autorité dont il jouissait dans le chapitre cathédral, tout semblait l’indiquer au choix de ses confrères. Les plus anciens d’entre eux lui avaient, disait-on, secrètement engagé leurs voix, et Malinkroot ne doutait pas que la majorité n’y joignît ses suffrages. L’événement déjoua ces calculs. Tout corps électoral, fût-il composé de chanoines, est incertain, mobile, sujet aux reviremens soudains. La candidature du Doyen ne fut pas plutôt déclarée, qu’un vent d’opposition souffla dans le chapitre et qu’un parti puissant se forma contre lui. Les jeunes chanoines surtout le combattaient avec acharnement. Irréprochable dans ses mœurs, le Doyen, à vrai dire, manquait d’indulgence pour autrui ; pour réprimer certains écarts, il avait la main un peu lourde. Ceux qu’il avait durement traités rappelèrent leurs vieux griefs, ses réprimandes publiques et son intolérance bourrue. Les honneurs, craignaient-ils, ne feraient qu’aggraver son humeur tyrannique ; le pouvoir, dans ces mains sévères, deviendrait vite « un joug insupportable[10]. »

Galen attisa-t-il lui-même le feu de cette hostilité ? On ne peut l’affirmer de façon péremptoire ; le fait certain est qu’il en profita. La « cabale » formée contre l’oncle porta toute sa faveur — d’abord sans bruit, à la sourdine, — sur le neveu, plus jeune, moins austère à coup sûr, et d’habitudes moins surannées. Et ce fut proprement l’histoire des grenouilles qui cherchent un roi.

L’élection de l’évêque devait, suivant la règle, se faire dans les six mois de la vacance du siège, le Pape, ce délai écoulé, ayant le droit de désigner d’office tel candidat qui lui plairait. Malinkroot, cependant, vaguement instruit de ce qui se traînait, différait prudemment la convocation du chapitre, qui lui incombait comme doyen ; et cinq mois s’écoulèrent sans qu’on abordât la question qui, dans toute la province, tenait les esprits en suspens. L’irritation des jeunes chanoines s’accrut de ces atermoiemens, et Galen jugea l’heure venue de frapper mi coup décisif. Le moyen qu’il imagina est caractéristique du temps. Il convia ses confrères à un vaste festin ; la plupart répondirent à cette invitation ; de ses partisans notamment, pas un ne manqua à l’appel ; ils se groupèrent ensemble à table, en phalange serrée et compacte. Le banquet fut long et copieux ; le vin ne fut pas épargné, et « l’on but d’importance. » Vers la fin du repas, on porta des santés ; celle de l’amphitryon fut saluée avec enthousiasme, toutes les coupes se tendirent vers lui. Dans cette effervescence, un grand cri s’éleva tout à coup : « Vivat Bernardus Episcopus ! — Vive Bernard von Galen, il est digne d’être notre évêque[11] ! » L’acclamation fut formidable ; les murs de la salle en tremblèrent ; nul n’osa résister à l’enthousiasme général. L’écho de ces clameurs alla, dit-on, jusqu’au Doyen qui, se nommant aussi Bernard, se crut évêque « un bon demi-quart d’heure. »

Sa stupeur n’en fut que plus vive quand il connut la vérité ; et lorsque, au lendemain de la fête, une délégation de chanoines vint le sommer d’assembler le chapitre, pour confirmer régulièrement l’élection faite « dans les fumées du vin, » il ne put contenir son dépit ; son refus s’exprima en termes violens. Celle colère maladroite hâta le dénouement. Les chanoines, dans l’après-midi, se réunirent d’eux-mêmes, élurent unanimement Galen, puis écrivirent au Pape pour l’informer de leur résolution. Le nouvel évêque, au surplus, ne se donna pas le loisir d’attendre la réponse ; sans faire plus de cérémonie, il prit possession de son siège. Les Munstériens bientôt connurent à leurs dépens l’homme qu’on venait de leur donner pour maître.


II

Malinkroot était opiniâtre et ne se tint pas pour battu. Les années qui suivirent furent remplies par les luttes de l’oncle et du neveu, de l’évêque de Munster et du doyen de son chapitre. Je me garderai bien d’en donner le détail, peu curieux d’ajouter un chant au poème classique du Lutrin : il me suffira d’en noter les péripéties principales. Malinkroot, dès l’abord, porte l’affaire en cour de Rome : l’élection, allègue-t-il, s’est faite hors des formes légales ; de plus, Galen, fils d’un homme mort en prison sous une inculpation de meurtre, est, suivant les canons, inhabile à porter la mitre. L’évêque riposte avec vigueur, réclame impérieusement « ses bulles ; » les séculiers et les bourgeois prennent parti pour ou contre ; le Pape, embarrassé, ne sait auquel entendre ; et cette espèce de « schisme » se prolonge près de cinq années, cinq années où Galen, bien que non « confirmé, » n’en vaque pas moins avec sérénité à ses fonctions épiscopales. La mort d’Innocent X[12] semble pourtant devoir terminer la querelle ; son successeur Alexandre VII, « moins délicat sur la matière[13], » donne raison à Galen, confirme l’élection. Mais Malinkroot exaspéré redouble ses attaques ; nombre de Munstériens, épouvantés de ce qui se révèle de « l’humeur altière » de Galen, se rangent derrière le Doyen du chapitre, et la ville se partage en deux factions rivales, qui se déchirent d’injures. Les « écoliers » surtout se distinguent par leur violence ; un jour de fête, dans l’église cathédrale, comme l’évêque officie en pompe, une troupe de forcenés l’entourent, le désignent du doigt : « Non hunc, sed Barrabam ! » s’écrient-ils avec insolence, en parodiant les Écritures. Ce scandale met le comble à l’indignation de Galen. Il exile son oncle à Cologne ; puis, quelque temps après, informé qu’il revient secrètement à Munster, il le fait enlever sur la route et jeter au fond d’un cachot. Le Doyen, à vrai dire, n’y languit pas longtemps ; l’âge, ou la maladie, ou quelque autre cause inconnue, mil en peu de semaines un terme à ses malheurs.

Que la nature ou l’art ait provoqué cette fin rapide, c’est ce que ses amis n’eurent guère le temps d’approfondir, car, à peine délivré du chef de la révolte, l’évêque dirigea sa vengeance contre les bourgeois de Munster, qu’il considérait comme complices. Bien qu’assujettis en principe à la juridiction épiscopale, ceux-ci, par tradition, conservaient quelques privilèges et les maintenaient avec un soin jaloux. Certains droits notamment leur tenaient au cœur de très près : du nombre était celui de n’avoir point de garnison imposée par l’évêque, de détenir les clés de la ville, de « donner le mot » pour la garde. C’était là qu’ils voyaient les dernières garanties de leur indépendance. L’évêque, en prétendant abolir ces coutumes, frappa donc ses sujets au point le plus sensible. La querelle fut d’abord portée devant les États de la province ; de là l’affaire alla jusqu’à l’Empereur, qui demanda de longs délais pour rendre sa sentence. Le nom de Von Galen, sa réputation d’implacable énergie, commençaient dès ci ; temps à se répandre dans l’Allemagne, et nul ne se souciait d’exciter sa colère. Les hésitations impériales ne découragèrent pas les bourgeois ; ils s’adressèrent aux États de Hollande. Leur syndic s’en fut à la Haye demander du secours ; mais l’évêque le fit prendre, l’envoya au camp sous bonne garde ; puis, considérant cette démarche comme un outrage à son autorité, il rassembla des troupes, et, marchant sur Munster, mit brusquement le siège devant sa capitale[14]. Il avait sous ses ordres environ neuf mille hommes, recrutés à prix d’or dans toutes les parties de l’Allemagne ; l’artillerie, pour l’époque, était puissante et nombreuse ; l’attaque dès le début fut chaude. La ville, de son côté, était pourvue de bons remparts, mais sa meilleure défense était la fermeté, le vaillant cœur des citoyens : sûrs de la justice de leur cause, ils jurèrent tous « de sacrifier leurs vies pour le maintien des droits qui leur venaient de leurs ancêtres, » et tinrent héroïquement parole.

Les relations du temps nous ont transmis tous les détails du siège[15] ; la férocité de Galen y éclate sous un jour atroce. A peine à portée des murailles, sans sommation et sans avertissement, il commande le bombardement. Une grêle de projectiles s’abat sur la cité paisible, causant d’affreux ravages, broyant des en fan s’et des femmes. La surprise de cette agression n’affaiblit pas la résistance. Galen ordonne alors de se servir de boulets rouges, et fait tirer de préférence « sur les cloîtres et les hôpitaux. » Partout s’allument des incendies ; près de deux cents maisons sont détruites en moins d’une semaine. Pour apitoyer le prélat, un vieux prêtre, au dire des chroniques, monte sur un des remparts, élève une hostie vers le ciel : sur l’ordre de l’évêque, les canonniers le prennent pour cible ; un boulet adroitement pointé lui fait voler la tête, à la grande horreur de la foule. Ces fureurs et ces sauvageries exaspèrent les bourgeois sans les intimider. Chacun s’empresse à la défense et prend sa part de peine et de danger. Artisans et « gens de commerce, » armés de piques et de mousquets, font des sorties parfois heureuses ; les femmes, les vieillards, les enfans, réparent les brèches des murs avec des sacs de terre, s’efforcent d’éteindre les bombes en les couvrant de « cuir mouillé ; » les prêtres et les moines font dans les rues des processions publiques. Sur tous les point élevés on dresse des étendards, portant en lettres colossales cette inscription vengeresse : « L’évêque Galen est un incendiaire ! »

Pendant des semaines et des mois se poursuivit cette destruction barbare. Fier de son passé militaire, Galen commandait seul el ne souffrait aucun conseil ; mais, chef de bande plutôt que général, l’art de la guerre se réduisait pour lui à foncer sur l’obstacle, sans stratégie et sans travaux d’approche. Mitrailler et brûler tout ce qu’on trouvait devant soi était, semble-t-il, à ses yeux le dernier mot de la tactique. Avec une telle méthode, la prolongation de la lutte dépendait uniquement de la constance des assiégés, des vivres et des munitions dont était approvisionnée la ville. Il se fit, le 1er septembre, une tentative d’accommodement. Le clergé et les « chevaliers » écrivirent à l’évêque une lettre digne et mesurée, représentant en des termes touchans le « mal affreux » qu’il faisait à son peuple, proposant néanmoins de lui ouvrir les portes, pourvu qu’il s’engageât à respecter les anciens privilèges, à traiter ses sujets « en prince et non pas en tyran, en pasteur et non pas en loup. » La réponse de Galen ne leur laissa point d’espérance. Il répliqua d’un ton hautain qu’en invoquant contre leur prince le secours d’un État voisin, ils s’étaient rendus à jamais indignes de leurs droits et de leurs privilèges ; qu’en désobéissant « à leur maître naturel, » ils avaient commis sciemment « le plus grand des péchés, » et que leur seule ressource était de se rendre à merci. Sur quoi bombes et « boulets ardens » recommencèrent à pleuvoir de plus belle.

Ainsi brutalement rebutés, les Munstériens tournèrent leur espoir au dehors. Le bruit de cette guerre inhumaine s’était répandu en Europe. Ce prince décimant ses sujets, cet évêque bombardant ses ouailles, ne laissait pas de causer du scandale chez les nations chrétiennes. Le Saint-Siège s’émut le premier : le Pape, par un bref péremptoire, somma Galen de mettre bas les armes et de cesser le feu sur l’heure, sous menace d’encourir « son indignation et sa haine. » Mais ces foudres lointaines ne produisirent aucun effet ; le prélat affecta d’en rire et, pour témoigner son mépris, accabla le lendemain la ville d’une si foudroyante avalanche que, des hauteurs voisines, on la crut un moment « embrasée tout entière. » Les électeurs de Bavière et de Saxe, vicaires et administrateurs de l’Empire depuis la mort de Ferdinand III[16], intervinrent à leur tour, adressèrent un appel à la « miséricorde, » et remportèrent le même succès. La conscience d’un tel homme n’admet pas le remords, et, pour arrêter sa vengeance, les bonnes paroles et les exhortations sont à coup sûr des armes bien fragiles. « Il faut, répétait-il souvent[17], qu’un homme de guerre se fasse un plaisir du carnage, de l’effusion du sang, et qu’il soit insensible aux gémissemens des blessés. Quiconque n’est pas de cette humeur n’a que de la mollesse, et ne mérite point de passer pour homme de cœur. » Quant à l’honneur et la justice, il n’y voyait que « des chimères, un peu de vent et de fumée dont se repaissent les âmes infatuées de préjugés, » tandis que « l’argent et le fer sont les vrais maîtres du monde. » Ainsi, deux siècles à l’avance, ce prélat westphalien semblait-il pressentir certaine formule sur le droit et la force, qui, depuis lors, a fait fortune.

C’est pourtant de cette dureté d’âme, de cet impitoyable orgueil, que vint le salut de la ville. Les habitans, dans leur détresse, s’adressèrent derechef aux États de Hollande. On conserve la lettre où ils imploraient cet appui : « Très hauts et très puissans seigneurs, la grande estime que nous faisons de votre générosité nous oblige à avoir recours à votre protection contre un tyran qui nous opprime. Nous l’appelons tyran, puisqu’il nous persécute, quelques efforts que nous ayons faits pour lui plaire ; et toute la terre est témoin que, s’il était bon maître, nous serions des sujets soumis. Mais, sans vous informer d’une vérité si connue, nous vous prions de vous ressouvenir que vous avez toujours été le refuge des affligés et l’asile des innocens, et que jamais service ne fut plus juste que celui que nous vous demandons… » Les États, sur cet humble appel, se bornèrent tout d’abord à proposer aux deux parties leur médiation pacifique. Trois députés furent envoyés pour négocier l’accord entre l’évêque et ses sujets. Galen leur fit accueil ; mais, sitôt qu’ils voulurent pénétrer dans la ville, il arrêta leur marche, confisqua leurs papiers, et déclara qu’il les gardait prisonniers dans son camp. Grande fut, à cette insulte, l’indignation des États Généraux. L’ordre fut expédié de rassembler des troupes ; le gouverneur de Maastricht en eut le commandement ; des billets pleins d’encouragemens furent secrètement jetés dans la ville assiégée : « Courage, Munster, y lisait-on, les Hollandais viennent à ton secours[18] ! ».

Quelques jours plus tard, en effet, Galen apprit par ses espions qu’un corps de l’armée hollandaise marchait pour débloquer la ville. Il comprit que, cette fois, « l’affaire devenait sérieuse, » que la bravade n’était plus de saison. Fort à propos, sur l’entrefaite, le chapitre se présenta pour accommoder la querelle ; l’évêque accepta l’arbitrage ; on fit des concessions mutuelles. L’amnistie générale fut convenue pour les faits passés, et la ville consentit à recevoir une garnison, qui ne devrait, en aucun cas, excéder cinq cents hommes. L’accord s’établit silices bases. Dans les premiers jours de décembre, — après un siège où deux mille hommes, dit-on, avaient péri de part et d’autre, — Munster ouvrit ses portes, et Galen y fit une entrée triomphale. Est-il besoin de dire que, maître de la place, il ne respecta point les termes du traité ? Quelques mois à peine écoulés, la garnison était triplée, les notables bourgeois et les chefs de l’insurrection persécutés, dépouillés de leurs biens. Un nouvel essai de révolte fut réprimé avec la dernière violence[19], et servit de prétexte pour asseoir définitivement, le pouvoir absolu. Un fort, que l’on nomma la Lunette de Munster, bien garni de canons et dirigé contre la ville, « épouvanta les habitans » et les tint en respect ; toutes les confréries furent cassées, toutes les communautés dissoutes, tous les privilèges abolis : la richesse de la bourgeoisie sombra sous des taxes ruineuses. Les infortunés Munstériens n’eurent qu’à courber la tête sous le joug qui les accablait. « De quelque côté qu’ils se tournassent, ils ne voyaient plus de refuge : les forces leur manquaient, leurs coffres étaient épuisés, et nul prince ne les protégeait… Ainsi l’évêque jouissait paisiblement, de son autorité, et eût été un prince heureux, s’il eût su borner ses désirs[20]. »


IV

La sagesse, en effet, eût voulu que Galen se contentât de sa fortune présente. Maître absolu d’une belle province, traitant de puissance à puissance avec les souverains de l’Europe, le fils du petit gentilhomme mort dans les prisons de Munster, l’orphelin recueilli par la charité d’un chanoine, avait en peu d’années fait assez de chemin. Mais son humeur inquiète, vaniteuse, tourmentée, ennemie, de son propre repos comme de celui des autres, le pousse perpétuellement en de nouvelles aventures. Dans son cerveau malade fermentent de vagues idées de grandeur et de gloire ; il se croit appelé, confesse-t-il, « à faire beaucoup de bruit dans le monde, » et n’est jamais à court de quelque belle sentence pour justifier les entreprises les plus folles et les plus iniques : « Un grand cœur doit toujours tendre à s’élever de plus en plus ; si les grands desseins ne réussissent pas, il est glorieux de les entreprendre ; et la Fortune se plaît à seconder les téméraires. » Un de ses familiers voulant le dissuader de se heurter, avec une faible armée, contre une des grandes puissances : « Les petits saints, lui répond-il, font quelquefois de grands miracles[21] ! » Les échecs, au surplus, ne le rebutent pas aisément. Il s’obstine contre tout espoir, et fait parade de fatalisme. Le sort des armes, à ses yeux, n’est qu’une simple « partie de dés, » où nul n’a chance de gain s’il ne met d’abord à l’enjeu.

Son ambition, d’ailleurs, ne se confine pas en un point. S’il fait fiasco sous la cuirasse, il se rattrapera sous la pourpre : « J’ai assez d’argent à la banque de Venise, écrit-il cyniquement, pour acheter un chapeau de cardinal[22]. » Mais ce n’est là qu’un pis aller, et sa prédilection avouée est pour la gloire qu’on acquiert à la guerre. S’agit-il de lever des hommes, d’organiser des régimens, d’acheter des chevaux et des armes, tous moyens lui sont bons, aucun impôt ne lui semble excessif. Si l’on objecte la misère où il va réduire ses sujets : « C’est le bon moyen, réplique-t-il, de les rendre obéissans et souples ; un prince n’est pas le maître quand son peuple est dans l’opulence. » Brave au reste et actif, il ne s’épargne pas lui-même. Dans les batailles comme dans les sièges, il est au premier rang, animant les soldats et leur donnant l’exemple. On ne doit voir qu’une injuste boutade dans ce qu’écrit de lui la duchesse Sophie de Hanovre[23] : « Quant à l’évêque, il ne s’est jamais hasardé plus loin que pour sonder un marais, où il tomba jusqu’au col ; et si on ne l’en eût retiré, il eût pour une fois couru risque. »

Ajoutons, pour achever l’esquisse, que ce prince belliqueux se ressouvenait à l’occasion qu’il était également évoque. Bien qu’il « s’aimât mieux, à coup sûr, l’épée à la main que la crosse, et à la tête d’une armée qu’à la queue d’une procession, » il ne dédaignait pas de vaquer quelquefois à des soins moins profanes. « Le cardinal de Bouillon, rapporte Pellisson[24], nous disait ce matin que M. de Munster n’omet pas une des fonctions d’évêque, et qu’il est fort exact en matière de discipline ecclésiastique. » Lorsqu’en 1672 il s’en vient trouver Louis XIV, Galon préside un Te Deum ; au cours de la cérémonie, il présente au roi l’eau bénite, « tout botté, éperonné, vêtu d’un justaucorps brun, » et remplit l’office de prélat en cette tenue de mousquetaire.

La « rage guerrière » de l’évêque de Munster n’excluait pas certaine dose de prudence. Avant de se lancer en de grandes aventures, il voulut essayer ses forces contre de plus faibles que lui ; les petites seigneuries voisines de ses États firent les frais de cette expérience. Le comté de Borkelo, apanage du comte de Stirum, et certaines citadelles de la principauté d’Oost-Frise se trouvèrent, par fortune, « à la bienséance » de Galen. Convoiter une chose et la prendre étant pour lui tout un, il n’hésita pas un instant à s’en passer la fantaisie. Son procédé, en pareil cas, est simple autant qu’expéditif. Ce sont d’abord, pour la galerie, quelques griefs imaginaires et des chicanes de procureur ; puis, suivi de ses bandes, il envahit le territoire, dévaste et pille tout sur sa route, et se saisit de l’objet du litige. Ceux qu’il a dépouillés ont pour unique ressource de se plaindre à leurs protecteurs. Mais l’Empereur est lent et timide ; tout ce qu’on en peut obtenir est une enquête sans résultat, suivie de menaces sans sanction. Le roi de France, auquel on s’adresse également, est secrètement d’accord avec l’envahisseur : en entrant dans la ligue du Rhin[25], Galen s’est ménagé la faveur de la France ; le comte d’Estrades[26], notre ambassadeur à la Haye, appuie sous main ses prétentions. Dans cette inertie générale, une fois encore le seul obstacle que rencontre Galen à son ambition effrénée est la conscience honnête des États de Hollande.

Les entreprises de ce dangereux voisin, les plaintes qui s’élèvent de toutes parts des régions que parcourent ses hordes, les excès auxquels elles se livrent, provoquent dans les Provinces-Unies une indignation violente. Une sommation comminatoire étant demeurée sans réponse[27], un corps d’armée fut envoyé contre les Munstériens, et le prince de Nassau, gouverneur de la Frise, reçut mission de le conduire. Les rencontres, dans le début, ne firent que peu d’honneur aux armes de l’évêque. Plus exercées à piller qu’à combattre, ses troupes, en rase campagne, se dispersaient à la première décharge. Elles tirent meilleure contenance derrière les murs d’une citadelle. Dans le fort de Wilderskaus, où Galen s’était enfermé, la résistance fut honorable ; cependant la défense approchait de son terme, quand une aventure imprévue sauva la garnison. Le prince Guillaume-Frédéric de Nassau, le chef de l’armée hollandaise, en essayant un pistolet, reçut la charge en plein visage. La blessure fut horrible ; le prince eut pourtant le courage de dicter le jour même une lettre au prince d’Orange pour lui mander son accident : « Voulant faire dans ma chambre l’essai d’un pistolet, sur ce que le feu ne voulut pas prendre à l’amorce, je ne l’eus pas sitôt tourné pour voir ce qui manquait, qu’il me tira droit au menton, de sorte que toutes mes dents sont ébranlées et que je ne puis parler ni rendre un son articulé… » Au bas de cette épître, on peut lire ces lignes touchantes, ajoutées de sa propre main : « Je supplie Votre Altesse de prendre garde à Elle, que le même malheur ne lui arrive avec des armes à feu, et que je lui sois un exemple dont Elle profite[28]. » Le prince, après d’affreuses souffrances, succomba quelques jours plus tard ; et la disparition de ce chef populaire jeta le désarroi parmi les assiégeans. Le blocus fut abandonné. Galen, sorti d’un si pressant péril, se montra plus accommodant ; il consentit à négocier avec les Etats-Généraux, rendit les places conquises, et reçut en échange une forte indemnité. Mais, de l’humeur que nous lui connaissons, on pressent bien que la partie n’était pas pour lui terminée. Un ardent désir de vengeance s’alluma dans son cœur contre ceux qui, deux fois déjà, avaient traversé ses desseins, et la Hollande ne tarda guère à voir l’effet de cette rancune.

L’occasion vint s’offrir d’elle-même dans le cours de l’année suivante, avec tant d’à-propos que l’évêque y crut voir comme « une faveur spéciale » et un encouragement du Ciel, complice de son ressentiment contre ce peuple d’hérétiques. La guerre, qui couvait de longue date, éclata brusquement en 1665 entre la Hollande et l’Angleterre, et cette dernière puissance, tandis que les deux flottes rivales se disputaient la royauté des mers, se chercha des alliés qui fissent, du côté de la terre, une profitable diversion. Galen proposa-t-il son aide, ou vint-on la solliciter ? Le point demeure obscur ; le fait certain est qu’un agent de Charles II, le chevalier Temple[29], vint trouver l’évêque à Coësfeldt dans le plus grand mystère, et qu’un traité secret fut élaboré « en trois nuits. » L’Angleterre donna des subsides[30] ; Galen promit dix-huit mille hommes, qu’il mettrait en campagne sur le premier signal. Il s’engagea, selon sa formule favorite, fide sincerà et germanicà, et, cette fois, fut exact à tenir sa parole. Même il mit tant d’ardeur à ses préparatifs que les États, inquiets, en référèrent au roi de France, qui leur conseilla la patience : le meilleur, leur dit-il, serait « de voir à qui en voulait » leur voisin, et de « le laisser commencer[31]. » Les États suivirent cet avis, et n’eurent pas, à vrai dire, sujet de s’en féliciter.

On vit, un matin de septembre, déboucher à la Haye un trompette de Munster, porteur d’une lettre de l’évêque. Rien de plus déloyal que cet ultimatum. De vieux griefs ressuscités s’y mêlent aux calomnies les (dus invraisemblables. La haine et la cupidité s’y parent avec cynisme du masque de la religion. Le massacreur de prêtres, le destructeur de cloîtres, se pose en champion de la Foi, en vengeur de l’Eglise, en protecteur des catholiques, « insultés, déchirés, foulés aux pieds et torturés » par la « barbarie » hollandaise ! Pour ces forfaits inouïs, Galen exige sur l’heure des satisfactions éclatantes, « faute de quoi, il va mettre son armée en campagne, dans l’espérance que le Ciel, qui aime les justes, sera de son côté. » Les États stupéfaits méditaient encore leur réponse, que les troupes de Munster avaient déjà passé l’Yssel et commencé leurs ravages ordinaires. Dix-huit mille hommes, plus brigands que soldats, se répandaient comme un torrent dans les provinces de Drenthe, de Gueldre et de l’Over-Yssel, dévastant les campagnes et saccageant les villes, faisant « main basse tant sur la bourgeoisie que sur les garnisons[32]. » Ces excès, disons-le, n’étaient pas sans excuse ; ne recevant « ni paie ni prêt, » les soudards de Galen étaient pour ainsi dire « forcés de vivre de rapines. » Partout, derrière leurs pas, on ne rencontrait plus que « des masures en ruine, des déserts ensanglantés, une désolation extrême. »

L’évêque donnait l’exemple. Dès qu’il faisait son entrée dans une place, casque en tête et l’épée au poing, il contraignait les habitans à le reconnaître pour leur prince, après quoi, il les soulageait, à titre de contribution, « des deux tiers de leurs biens. » La résistance qu’il rencontrait était à peu près nulle. Les forces vives de la Hollande se concentraient pour repousser les assauts de la dette anglaise ; et les villes des provinces frontières n’avaient pour garnison que quelques poignées d’hommes mal armés et mal commandés. Aussi, malgré certains échecs, — comme au cloître d’Appel, où 1 200 Hollandais firent 1 000 Munstériens prisonniers, — Galen se vit-il bientôt maître d’un vaste territoire. Il s’établit sur les rives de l’Yssel, menaçant, au printemps prochain, de porter ses quartiers sous les murs de Groningue, une des plus florissantes parmi les grandes villes de Hollande.

C’est à ce point de son triomphe que l’évêque trouva sur sa route une barrière qu’il ne prévoyait pas, et que les choses changèrent de face. Les États Généraux, dès les premières hostilités, avaient fait appel à la France et réclamé son aide contre leur agresseur. Le Roi s’était vu, de ce fait, dans une passe assez délicate[33]. Le souverain de Munster, adhérent de la ligue du Rhin, était considéré comme allié de la France ; d’autre part, le traité de 1662, conclu avec les États de Hollande, traité d’alliance défensive et de mutuelle garantie, obligeait Louis XIV, en cas d’attaque contre la République, à mettre 6 000 hommes à sa disposition. En face de ce dilemme, le Roi hésita quelque temps. La conduite barbare de Galen, les instances des États, — et sans doute aussi le désir de contrecarrer l’Angleterre, — firent pencher la balance en faveur des Provinces-Unies. Un corps français se rassembla, au début de novembre, sur les bords de la Meuse, prêt à marcher contre les Munstériens. Il comprenait 2 000 chevaux et 4 000 hommes d’infanterie, troupes prises pour la plupart parmi les corps d’élite, chevau-légers Dauphin, gardes du corps, et mousquetaires du Roi. Un lieutenant général de mérite éprouvé, le marquis de Pradel, commandait cette petite armée ; il avait sous ses ordres le marquis de la Vallière, favori de Louvois et frère de la maîtresse du roi. « Il y a peu d’apparence, écrit fièrement Louvois[34], que Messieurs des États aient jamais vu dans leur pays d’aussi belles troupes et en si bon état ! » Les bons Hollandais, en effet, parurent d’abord émerveillés et reprirent subitement courage. L’effet fut différent sur les sujets de Von Galen. Voyant déjà leur contrée envahie, ravagée par l’armée française, les États de Munster, en d’humbles « remontrances, » conseillèrent à leur prince de renoncer à une lutte inégale, et de « faire la paix au plus vite. » Mais ils furent reçus de belle sorte ! « Votre conseil, — répondit à ses ouailles le terrible prélat, — part d’un excès de lâcheté. Vous êtes si timides que vous avez peur de votre ombre ! Mais, si c’est votre humeur, sachez que ce n’est pas la mienne, et que, quoi qu’il arrive, je ne veux point de paix qui soit à mon désavantage… » Tel est l’exorde du discours, et la péroraison n’est pas plus consolante : « En revanche de votre conseil, je vous en donne un autre, non moins salutaire. Si vous ne voulez pas voir les ennemis chez vous, soyez les premiers à dévaster votre propre pays ; n’y laissez rien qui soit utile à leur subsistance, et vous verrez que, s’ils y viennent, ils s’en retireront bien vite[35]. » Rabroués avec cette superbe, les délégués se gardèrent d’insister. « Chacun se tint désormais sur ses gardes, prêt à fuir lorsqu’il s’y verrait obligé. »

Mais ce que les bourgeois n’avaient pu obtenir, les reîtres de Galen ne tardèrent pas à l’imposer. Aventuriers et mercenaires, braves individuellement, mais habitués à guerroyer sans direction ni discipline, les soldats munstériens, bien que très supérieurs en nombre, ne tinrent pas un instant devant les régimens français. Au premier engagement, ils se dispersèrent en tous sens, comme une volée « d’oiseaux, pillards[36]. » Quelques centaines seulement, enfermés dans une forteresse, tirent un semblant de résistance ; et quand, la place rendue, ils défilèrent devant le marquis de Pradel, ils parurent en si pauvre état, si déguenillés, si misérables, que le général du Grand Roi se sentit « humilié d’avoir tiré l’épée contre de pareils adversaires[37]. » L’orgueil de Von Galen fut ébranlé par ces mésaventures ; son ton se radoucit, devint plus pacifique. Il semble bien que, dès ce temps, il ait conçu l’idée de quitter la partie et de faire un pas vers la France.

L’approche de la saison d’hiver et l’entrée en quartiers ajournèrent cependant l’effet de ces dispositions. Pradel, avec ses rétiniens, campa sur les bords de l’Yssel. Avec cette période d’oisiveté s’ouvrit pour la Hollande l’ère des tribulations. Tous les documens de l’époque. — qu’ils viennent de France ou d’ailleurs, — s’accordent en effet sur la « méchante conduite » des troupes françaises envers leurs alliés et leurs hôtes. « Ils faisaient consister leur galanterie, écrit le chevalier Temple[38], à donner les Hollandais mille fois au diable, pour les remercier de les avoir invités à venir chez eux… Ils ne payaient rien, ou, s’ils payaient quelque chose, c’était en fausse monnaie ; et ils recevaient le meilleur traitement que les Hollandais pussent leur faire avec mépris et insolence. » — « Quelque bien qu’on leur put faire, dit un autre écrivain du temps, leur conduite obligea quantité de paysans à quitter leurs maisons ; ils n’étaient guère moins à craindre que les ennemis eux-mêmes. » Dans la petite ville de Rées, le commandant français faisant porter le Saint-Sacrement à un malade, les soldats frappèrent cruellement les bourgeois protestans qui ne s’agenouillaient pas au passage du cortège, et Louvois dut intervenir pour blâmer cet excès de zèle, qui, « quoique très conforme, écrit-il[39], aux sentimens intimes de Sa Majesté, est tout à fait contraire à la manière dont elle désire qu’on vive à l’égard d’un peuple jaloux de sa religion. »

La différence des croyances religieuses est en effet la première cause de ces tristes désordres, les soldats, dans leur naïveté, ne pouvant s’expliquer qu’ils vinssent, eux catholiques, au secours d’un peuple hérétique contre les armes d’un évêque. Aussi leur sympathie allait à leurs alliés beaucoup moins qu’à leurs adversaires ; on les vit plus d’une fois boire publiquement dans les rues « à la santé de M. de Munster[40]. » Par réciprocité, les soldats de Galen, — mercenaires d’origine diverse, peu payés, mal nourris et traités durement par surcroît, — ne cachaient point leur goût pour le service de France. Des compagnies entières passaient ainsi d’un camp dans l’autre ; et Louis XIV écrivait à d’Estrades pour le presser d’appuyer ce mouvement, qui, lui dit-il, a le double avantage « de diminuer les forces de l’ennemi et d’augmenter les miennes. » Le nombre des transfuges, — excités par les « billets » qu’on jetait dans leurs camps, — devint promptement si grand que le roi s’occupait déjà d’en constituer « un corps spécial[41], » quand on apprit, au mois d’avril, que, découragé de la lutte et, de plus, effrayé par l’intervention menaçante de l’électeur de Brandebourg, l’évêque se résignait à négocier avec les États Généraux. Le 18 du même mois, le traité de paix fut signé, traité peu glorieux pour Galen, qui restituait toutes ses complètes et s’engageait à licencier ses troupes, sauf 3 000 hommes reconnus nécessaires pour la sûreté de ses États[42]. Quelques semaines plus tard, le corps de M. de Pradel, sa tâche achevée, repassait la frontière. Chacun regagna ses foyers, Français et Hollandais fort peu contens les uns des autres, les troupes du Roi, en revanche, et celles de l’évêque de Munster, avec la mine de gens qui, malgré l’apparence, se sentent secrètement, du même bord, et dont les maîtres respectifs ne sont pas bien loin de s’entendre.


V

Malgré leur piètre résistance en face des régimens français, le prompt succès des Munstériens, quand ils n’avaient affaire qu’aux forces de Hollande, avait fait impression parmi les cours d’Europe. Le nom de Von Galen était sur toutes les lèvres ; son ardeur, son audace lui tenaient lieu, dans l’opinion, de talens militaires ; peu s’en fallait qu’il ne passât pour l’un des bons capitaines de son temps[43]. En France plus que partout ailleurs, cette légende était établie : sans le veto du roi, disait-on couramment, le chétif État de Munster mettait à bas son orgueilleux voisin, et la Hollande était perdue. Louis XIV, pour sa part, semble n’en avoir pas douté. « Il suffit, écrit-il dans un mémoire confidentiel[44], d’alléguer la dernière guerre que l’évêque de Munster, sans aucun subside ni secours étranger, a faite en dernier lieu à cette république, qui était à deux doigts de sa perte sans les troupes auxiliaires que je lui envoyai. » De cette époque date dans l’esprit du roi le dessein arrêté de mettre cette force à profit et de faire entrer Von Galen dans le mouvement patiemment préparé contre la puissance hollandaise. Une lettre de la main royale, retrouvée aux archives du ministère de la Guerre, fait allusion, à mots couverts, aux pourparlers dès ce moment en train, et témoigne du savoir-faire que le puissant souverain montrait à l’occasion, pour chatouiller l’orgueil des gens qu’il prétendait gagner à sa cause : « Mon cousin, — écrit, le 10 novembre 1666, Louis XIV à l’évêque de Munster[45], — envoyant le sieur Millet, maréchal de mes camps, dans le duché de Bremen pour le sujet que je l’ai chargé de vous dire, je me sers de ce prétexte public pour vous pouvoir faire parler plus secrètement d’une autre affaire qui ne vous est pas inconnue. Vous pouvez donc donner la même foi et créance audit Millet que vous donneriez à moi-même en tout ce qu’il vous dira, tant sur la même affaire que sur les bons sentimens que j’ai pour tout ce qui vous regarde, étant certain qu’il ne se peut rien ajouter à la parfaite bienveillance que j’ai pour vous et à la singulière estime que je fais de votre personne, pour les grandes qualités que je sais que vous possédez, et dont vous avez déjà donné des preuves si éclatantes, qu’elles m’inspirent une très forte passion de vous donner lieu d’augmenter de plus en plus votre gloire. Me remettant au surplus, etc., etc. »

Dès l’année suivante en effet, en mai 1667, un premier traité se conclut. L’évêque renouvelle pour trois ans son adhésion à la ligue du Rhin, s’engage, en cas de guerre, à fermer ses États au passage des troupes de l’Empire ainsi qu’à leurs alliés[46] ; en échange de quoi, il reçoit d’importans subsides de la France. La paix rapide d’Aix-la-Chapelle[47] rend inutile un concours plus actif ; mais la partie n’est que remise ; Galen, secrètement stimulé, emploie cette période de répit à compléter ses forces militaires. Jamais il n’a fait preuve d’une plus furieuse activité. Jour et nuit ses agens sillonnent les routes d’Allemagne et parcourent les États voisins, embauchant des soldats, achetant des chevaux et des armes, engageant à prix d’or les officiers dont l’épée est à vendre. Munster, en peu de ; temps, devient le rendez-vous des coureurs d’aventures et des porte-rapières, de tous ceux qui cherchent fortune dans les hasards des champs de bataille. En cette cour ecclésiastique, « on tient conseil plus souvent que chapitre ; » on y trouve toujours table ouverte aux frais de l’évêché ; et c’est « entre deux vins » que, la plupart du temps, s’élaborent les plans de campagne[48]. Malgré les taxes, les impôts, les contributions incessantes arrachées par la violence aux États de la province, les revenus épiscopaux seraient loin de suffire à cette dépense énorme ; mais, par bonheur, la France est là, dont l’argent, comme un dot pressé, coule sans relâche à travers les caisses toujours vides ; et tout le pays de Munster, dit un contemporain, « hume l’odeur des trésors du Roi[49]. »

Galen, en ce labeur guerrier, s’est réservé une part spéciale et personnelle : tout ce qui touche à l’artillerie est de son domaine exclusif. Sa compétence en cette matière est universellement admise ; ses connaissances pyrotechniques éblouissent les gens de son temps ; et dans « l’art de lancer des fusées et des bombes » il ne connaît point de rival. Non content d’appliquer, il perfectionne, invente, porte « à son dernier point, » dit-on, la science de détruire ses semblables et de « réduire les villes en cendres[50]. » C’est de lui, déclare le marquis de Pomponne, qu’est venue l’invention des carcasses[51] qui se sont rendues depuis si célèbres… « Il est vrai de dire que, bien que les bombes fussent connues dès longtemps, le nom que les Espagnols leur avaient donné de spaventa vellacos, épouvantait des méchans, faisait voir qu’elles étaient de peu d’effet. Mais, au point que cet évêque les a portées, soit pour l’adresse à les jeter et à les faire tomber précisément où l’on veut, soit pour les nouvelles sortes de compositions qu’il a inventées, elles sont devenues le plus infaillible moyen de réduire les places. On oppose des bastions au canon ; mais l’on n’a pas trouvé de remède jusqu’à cette heure contre ce qui tombe du ciel ! » Aussi le plus clair de son temps se passait-il en expériences de ces procédés terrifians. Les champs, les terrains vagues qui bordent les murs de Munster retentissent sans cesse d’explosions, de détonations effroyables. Dans « l’ouragan de feu » déchaîné par ses mains, impassible au milieu du vacarme et de la fumée, Galen respire à l’aise, et se sent, comme il dit, « dans son véritable élément. » Et les populations tremblantes, contemplant de loin leur évêque, croient voir en lui le dieu terrible de la guerre, l’ange cruel de la destruction !

La crainte et l’inquiétude engendrant la superstition, dans tout phénomène naturel, dans chaque accident imprévu, les sujets de Galen découvrent à présent un funeste présage et l’annonce d’une calamité. Un orage ayant éclaté, brusquement et sans avant-coureurs, dans la splendeur sereine d’une belle journée d’été, on crut entendre dans les airs un fracas de bataille, « les coups de canon et de mousquet, le cliquetis des armes, les fanfares des trompettes, le son des tambours, le gémissement des blessés. » Nombre de « personnes respectables » de Munster et des villes voisines affirmèrent avoir ouï ce prodige effrayant[52]. La foudre, un peu plus tard, tomba sur le clocher d’un monastère, « sans que le tonnerre se fût fait entendre, » et fut la cause d’un incendie qui détruisit un quartier de la ville ; le peuple en conclut aussitôt qu’une guerre prochaine et désastreuse amènerait la ruine de Munster ; tandis que les gens plus lettres, invoquant des souvenirs classiques, murmuraient tout bas que l’évêque « ressemblait à Néron, » qui incendia sa capitale, et qu’il « ferait comme lui périr sa propre mère, c’est-à-dire l’Eglise de Rome. » Bref on vivait dans l’épouvante et dans l’attente des catastrophes.

La frayeur n’était guère moins vive hors des frontières de l’évêché. Les arméniens et les levées du turbulent prélat étaient dans toute la Germanie un sujet continuel de trouble et de malaise ; chacun se demandait sur qui fondrait l’orage. Les marches militaires qu’il dirigeait lui-même pour exercer ses troupes étaient, chez les plus proches voisins, la cause d’alertes incessantes. Tantôt le bruit courait qu’il avait envahi la Gueldre, « où tout succombait à sa rage, » tantôt qu’il était sur l’Yssel avec ses régimens de pillards et de maraudeurs. « On le voyait partout, sauf à Munster, où il était encore. » Sur une fausse nouvelle de ce genre, les habitans d’Arnheim s’enfuirent un jour jusqu’à Doesburg ; il ne fut pas facile de les ramener dans leurs foyers. Les États mêmes moins limitrophes n’étaient pas exempts d’anxiété. « L’évêque de Munster fait une furieuse armée, — mande avec alarme à son frère, le palatin du Rhin, la duchesse Sophie de Hanovre[53]. — Il devient fort comme un démon ! » et des légendes circulent sur cette armée épiscopale : « On dit, écrit la même correspondante, qu’il a un régiment de prêtres bien montés et bien armés, qui ne font rien que d’attendre, lorsque l’ennemi est battu, l’occasion de piller et de prendre tout ce qu’ils peuvent attraper. »

Malgré leur flegme proverbial, ceux contre qui, dans la réalité, s’effectuaient ces préparatifs, les États de Hollande, ne purent faire autrement que de s’émouvoir à leur tour. Une première fois, en avril 1671, ils députèrent dans la ville de Munster un de leurs meilleurs diplomates, le sieur d’Amerong, chargé de s’enquérir des desseins de l’évêque et de le gagner au besoin par quelques concessions. Si pénétrant qu’il fût, l’envoyé des États eut affaire à plus fin que lui : Galen le « couvrit d’honnêtetés, » lui démontra clairement que, s’il levait des troupes, c’était pour faire comme ses voisins et se garer de leurs attaques, protestant au surplus qu’il n’avait nulle idée d’épouser la cause du roi de France ; qu’il avait « le cœur trop allemand » pour suivre un autre but que l’intérêt de la patrie commune ; et qu’il était prêt à conclure un traité d’alliance défensive avec les États Généraux. Enfin il s’y prit de telle sorte que le sieur d’Amerong, « ébloui » par ces assurances, fit tenir aux États « un rapport très avantageux, » où il se portait fort des bonnes intentions de l’évêque, qu’il dépeignait d’ailleurs comme « un homme de beaucoup d’esprit, affable, et dont la personne imposait dès la première conversation[54]. » Trois mois à peine après cette entrevue, le souverain de Munster signait avec la France un second traité clandestin[55], promettant sa neutralité dans la guerre que le Roi méditait contre la Hollande, moyennant un subside de « dix mille écus par mois. » Nous le verrons pourtant encore, pendant une année presque entière, donner le change à ses voisins candides sur ses résolutions réelles, entretenir habilement jusqu’à la dernière heure des illusions que devait suivre un désagréable réveil.

C’est vers la fin de l’an 1671 que Louis XIV, ses apprêts terminés, jugea l’instant venu d’arrêter un plan de campagne et de préciser les services qu’il attendait de ses futurs alliés. Louvois, dans les derniers jours de décembre, prit en secret la route de l’électorat de Cologne, où il assignait rendez-vous aux deux principaux auxiliaires sur lesquels il comptait pour seconder l’action militaire de la France. L’un était l’évêque de Munster ; l’autre l’archevêque de Cologne, qu’assistait l’évêque de Strasbourg : ces deux derniers personnages sont, pendant la période qui suit, si étroitement unis à la fortune de Galen, que je ne puis me dispenser de les présenter au lecteur.

Maximilien-Henry de Bavière, archevêque-électeur de Cologne depuis bientôt vingt ans, était un prince faible, indolent, d’intelligence médiocre. « Il ne s’occupait que de chimie, » écrit le marquis de Pomponne, et se croyait un grand savant. Enfermé tout le jour avec ses cornues et ses drogues, il négligeait la politique, et se reposait de ce soin sur l’évêque de Strasbourg, Egon de Fürstenberg, son ministre et son suffragant, qui « le dominait entièrement » et gouvernait l’électorat. Assez piètre figure encore que celle de ce prélat, au témoignage de ceux qui l’ont approché de plus près. « Tout ce que vous pouvez imaginer de plus ignorant, confie Louvois à Le Tellier[56], ne l’est pas tant que M. de Strasbourg. Si vous ajoutez à cela une irrésolution continuelle et une avarice sordide, je suis assuré que vous plaindrez ceux qui ont à traiter avec lui[57] ! » Même note, un mois plus tard, dans les lettres de Luxembourg : « A chaque dépense nouvelle, écrit-il de sa plume caustique[58], M. de Strasbourg fait des prières pour la paix, aussi bien qu’après avoir bu, des vœux pour la guerre. » De longue date acquis à la France et subventionné par le roi, Egon de Fürstenberg avait, ces derniers temps, entraîné l’électeur dans la coalition nouée contre les Provinces-Unies[59]. Tel était le trio de prélats que Louvois mandait à Cologne, et qu’il s’agissait d’engager dans une action commune avec les armes du Grand Roi.

Le terrain étant, comme on sait, soigneusement déblayé d’avance, Louvois, en homme expéditif, espérait terminer cette affaire en deux jours. Mais il fallut compter avec la lenteur germanique, les irrésolutions de l’évêque de Strasbourg, et la méfiance cauteleuse de l’évêque de Munster : ce fut la première déception d’une alliance qui, du reste, en réservait bien d’autres. Les pourparlers eurent lieu à Bruhl, petite ville située à trois lieues de Cologne. En débarquant, le 31 décembre, le premier que Louvois y vit fut M. de Strasbourg. Il eut, le matin même, un entretien de trois heures avec lui, sans en tirer une parole un peu claire, excepté « qu’il ne savait pas où il prendrait le premier homme » des huit mille qu’il devait fournir, « ni le premier sol » des dépenses nécessaires pour faire cette levée. L’après-dînée, c’est au tour de Galen ; le succès n’est pas plus brillant : « Je fus quatre heures avec lui, écrit Louvois au Roi[60], sans pouvoir réussir à autre chose qu’à le faire convenir que nous parlerions affaires aujourd’hui. » Un point toutefois paraît acquis : c’est que M. de Munster, tout en se disant prêt à contracter une alliance offensive, « persiste à ne vouloir rien signer, et à exiger que l’on se contente de sa parole, » alléguant pour raison le serment solennel qu’il a fait devant son chapitre de ne conclure aucun traité avec un souverain étranger.

Le lendemain, seconde conférence : « M. de Munster, écrit Louvois, est arrivé sur le midi ; après (un dîner fort sobre et fort court pour le pays où nous sommes, je l’ai enfermé dans ma chambre,… et, pendant une conférence de cinq heures, nous avons mis par écrit tous les articles du traité offensif. Nous sommes convenus que demain soir, ou après-demain au plus tard, l’on signerait tout de part et d’autre. » Mais, au jour dit, nouvelle mésaventure ; impossible, au dernier moment, de « parachever l’affaire. » Les trois prélats, pour célébrer l’alliance, ont résolu de « faire la débauche ; » c’est une journée ‘entière de liesse et de festin, de « santés, » de larges rasades, au sortir de quoi les convives se sentent « hors d’état de rien faire. » M. de Cologne, cependant, « n’a guère accoutumé de boire ; » mais « M. de Strasbourg s’en acquitte pour deux[61], » et M. de Munster ne lui cède en rien sur ce point. Enfin, quarante-huit heures plus tard, dans la petite Avilie d’Ottendorff, Louvois obtient les signatures et s’en va, son traité en poche. Mais un seul nom, celui de l’électeur, figure au bas du document. Galen s’est seulement obligé « à signer, à la fin du mois, le même traité, qu’a fait l’électeur de Cologne[62]. » C’est le biais ingénieux qu’il a trouvé pour « s’engager avec Sa Majesté, » tout en pouvant, de retour à Munster, « jurer à son chapitre qu’il n’a rien signé avec Elle. »

Ce traité de ligue offensive, — comme s’intitule l’acte officiel, — a pour but essentiel « d’abattre l’orgueil et la conduite insupportables que les États des Provinces-Unies tiennent envers tous les potentats et princes de la chrétienté, et surtout envers leurs voisins[63]. » Les deux princes-évêques sont tenus de fournir pour cette guerre un corps de 18 000 hommes, ainsi que certaines quantités de vivres et de munitions. Louis XIV, en retour, doit joindre à l’armée des prélats 2 000 hommes à cheval et 4 000 hommes d’infanterie, qui feront campagne avec eux. Il leur promet de plus d’importans subsides en argent, sans compter, selon l’occurrence, « certains agrandissemens de territoire aux dépens de la Hollande[64]. » La lettre où Louvois analyse les conventions ainsi réglées se termine par cette phrase : « Il est absolument nécessaire que le général que Votre Majesté ; aura choisi se rende immédiatement près d’eux pour réveiller leur lenteur et éclaircir leur ignorance. » L’homme de confiance désigné par le Roi pour cette besogne délicate fut le duc de Luxembourg[65], récemment rentré au service avec le grade de lieutenant général. Ses lettres, conservées aux Archives de la Guerre, nous font connaître, avec une verve humoristique, tous les détails de sa mission.


VI

Luxembourg arrive à Cologne dans les derniers jours de janvier. Il paraît, comme Louvois, s’être fait illusion d’avance sur la facilité de sa lâche : « M. le marquis de Louvois, écrit-il de Bonn à Colbert[66], a fait ici les choses les plus importantes, de sorte que je n’ai à agir que pour celles qui en dépendent… Je partirai aujourd’hui ou demain pour ajuster avec M. de Munster ce qui regarde l’artillerie, et, après, je demeurerai valet à louer jusqu’à l’entrée en campagne. » Comme Louvois également, tout le long du chemin il s’entoure de mystère : « J’ai répandu le bruit que j’allais voir ma sœur[67] en Mecklembourg, si je ne recevais de ses nouvelles qui m’apprissent qu’elle revenait en France, auquel cas je n’irais qu’au-devant d’elle, — ce que j’ai insinué pour avoir un prétexte d’aller et de venir sans en devoir dire une raison nouvelle. Celle-là a paru véritable, et tous ceux que j’ai vus en ont tâté. »

Le premier écueil qu’il rencontre, aussitôt débarqué, est la jalousie réciproque de l’évêque de Munster et de l’électeur de Cologne, chacun d’eux voulant être seul à jouir de la faveur du Roi et regardant comme une injure toute avance faite à son rival. Le hasard veut que Luxembourg voie d’abord l’évêque de Munster ; aussi l’électeur, le lendemain, lui fait « une mine très froide, » et s’informe avec amertume si « ses instructions lui prescrivent d’avoir un attachement plus fort pour M. de Munster que pour lui[68]. » Il faut, « pour l’adoucir, » que Luxembourg, avec un heureux à-propos, en remettant à ce prince susceptible une lettre de la main du Roi, lui en fasse voir une toute semblable destinée à l’évêque de Munster, et l’assure en termes exprès « qu’il ne l’avait point donnée, parce que sa première obligation était de lui remettre la sienne avant que de faire aucune démarche. — A quelque chose malheur est bon, ajoute ironiquement le négociateur ; car vous savez, Monsieur, que je ne donnai point celle lettre, parce que mes valets, qui avaient la cassette où je l’avais mise, ne me purent joindre ; et cela fit des merveilles auprès de M. de Cologne ! » Ce dernier, en elle ! , se montra si flatté de cette marque de déférence, « qu’il ne savait plus quelle chère me faire, et il poussa la courtoisie jusqu’à venir me reconduire, en passant la porte après moi. »

Au reste, — et sauf les questions d’étiquette, — l’archevêque de Cologne prétend ne se mêler de rien. « Il me remit à M. de Strasbourg pour parler des préparatifs nécessaires pour la guerre. » C’est donc à ce dernier que s’adresse l’envoyé du Roi, et de cet entretien il trace dans sa correspondance une malicieuse esquisse : « Les choses avec lui paraissent d’abord faciles ; mais, dès qu’il les a approfondies et qu’il voit ce qu’elles coûtent, on est, bien loin de compte, et il en faut essuyer une quantité d’inutiles, avant que de venir à celles qu’il faut résoudre ; car il n’y en a point qui ne lui plaise, dès qu’on lui en parle, et qui ne lui fasse de la peine, quand il en considère la dépense. Enfin, quand on l’a laissé parler sur d’autres chapitres, il en revient au fait, et il arrête ce que l’on veut, sans savoir ce qu’il signe. » De fait, avec sa finesse ordinaire, Luxembourg a vite reconnu que, dans la pièce en jeu, l’archevêque de Cologne et l’évêque de Strasbourg ne sont au fond que des comparses. Les talens militaires attribués à Galen font que ses deux confrères, malgré leur jalousie, se déchargent sur lui de tout ce qui touche à la guerre. Aussi bien n’admettrait-il pas qu’il en fût autrement. C’est donc avec cet allié mal commode qu’il faut discuter et s’entendre, et la patience du général français est soumise à une rude épreuve.

Non qu’il s’agît, — comme le croyait Louvois, — de réveiller cette fois « la lenteur » germanique : c’est « le diable » au contraire, affirme Luxembourg, de contenir l’ardeur de l’évêque, de refréner sa fougue irréfléchie. L’armée du Roi n’étant pas prête à entrer sur l’heure en campagne, il prétend à toute force, en attendant la grande partie, réaliser lui seul « quelque ; entreprise particulière, » c’est-à-dire piller pour son compte la frontière des pays voisins. Prières., objurgations, menaces, il faut tout employer pour le retenir dans cette voie, qui deviendrait vite hasardeuse, « les Hollandais faisant état d’avoir 40 000 hommes en campagne, qui pourraient bien être assez hardis pour vouloir donner une bataille contre les 18 000 de M. de Munster ! » C’est Louvois qui s’exprime ainsi et qui, mis au courant, fait chorus avec Luxembourg. « Quand on fait, ajoute-t-il sèchement, une armée aux dépens du Roi, il est juste de s’entendre avec Sa Majesté, sans s’imaginer que l’on est plus fin qu’Elle. » Le Roi, d’ailleurs, « souhaite de bonne foi que mon dit Sieur de Munster fasse des miracles avec son armée et celle de M. de Cologne, mais il ne lui enverra pas les 2 000 chevaux ; ni les 4 000 hommes de pied, pour les exposer à être sûrement battus ! » Que le prélat patiente jusqu’à la mi-juillet : « Quand une fois les armées du Roi seront sur les bords de l’Yssel, il pourra entreprendre tout impunément ; et la terreur aura tellement troublé l’esprit des gens auxquels il aura affaire, » qu’il aura loisir, sans nul risque, « de s’en aller en maraude et de se donner tout entier à tirer de l’argent[69]. »

Ces bonnes paroles, ces brillantes perspectives, produisent quelque effet sur Galen. Il est, dit-il, résigné à attendre. L’électeur de Cologne et l’évêque de Strasbourg sont d’accord avec lui. Tous trois maintenant prodiguent à Luxembourg leur confiance et leur sympathie, l’honorent même « du deux nom de frère, » et lui confèrent, avec la permission du Roi, le titre de feld-maréchal, le commandement en chef de toute l’armée alliée[70]. Le 2 avril, l’esprit désormais plus tranquille, Luxembourg se rend à Dorsten auprès de l’évêque de Munster, pour régler avec lui certains points de détail. Quelles ne sont pas sa surprise et sa désillusion de voir que tout est à refaire, et qu’il n’a rien gagné sur l’obstiné prélat ! « J’en reviens cette fois si rebuté, s’écrie-t-il, que j’aimerais mieux être aide de camp du plus nouvel officier général de France que d’essuyer tout ce qu’il faut que j’essuie !… L’évêque, continue-t-il, s’est mis en tête de fortifier un village qu’il a dans le pays de Brunswick, soutenant que cela fera une diversion. Il a parlé là-dessus une journée entière sans vouloir écouler personne. Enfin, malgré qu’il en eût, je lui ai soutenu que cela nous attirerait toute l’Allemagne sur les bras ; et, après une autre demi-journée à ne parler que là-dessus, il s’est désisté de son opinion. » Le lendemain, fantaisie nouvelle : « Ce n’est que de prendre Amsterdam ; et il traite cela comme une chose si faisable, qu’il m’a juré qu’il ne dirait pas, pour cent mille écus, à M. de Louvois, le moyen (pi il en a. Il a mille desseins de cette sorte[71] ! »

Ces folles divagations ne font que redoubler dans les semaines suivantes. La contradiction qu’il rencontre fait perdre l’esprit au despote, le jette en des rages effroyables, auxquelles succèdent un abattement, des lamentations ridicules. « Il m’a paru dans des agitations si violentes qu’elles visaient à l’égarement… Il m’a dit qu’au dedans et au dehors il souffrait mille persécutions fâcheuses, que la plupart des princes étrangers ne lui parlent que de la ruine de son pays, que son chapitre fait le diable contre lui, que tout est révolté, jusqu’à ses propres frères[72]. » Et ce sont de plus belle des projets chimériques, d’extravagantes propositions, dont Luxembourg, blasé sur ces sottises, prend le parti de faire des gorges chaudes : « Il me dit qu’il avait avis que les ennemis nous défendraient le passage de l’Yssel avec 200 000 hommes, et si je ne voulais pas les aller attaquer ? Sur quoi, lui ayant dit qu’il ne devait pas douter de mon envie pour les battre, il me prit au mot en s’écriant : « Eh bien ! Allons tout droit rompre l’ennemi, et le poussons, où qu’il soit, où qu’il aille ! » Ce sont ses propres termes. » À cette invite inattendue, Luxembourg se contente froidement d’opposer « deux difficultés » : « La première, avec combien de troupes il pensait que nous puissions forcer un passage sur l’Yssel, gardé par 200 000 hommes ? Il me répondit : « Avec 300 000 ! » Sur quoi, je tombai d’accord que, les ayant, je ne ferais point de difficulté de l’entreprendre, et cela fondé sur ce que, avec 300 000 hommes, on peut faire beaucoup de choses[73]. » Quant à la seconde objection : « Comment il s’y prendra pour nourrir tout ce monde ? » l’évêque prie instamment « que l’on ne s’en mette point en peine ; » ses troupes seront toujours contentes, pourvu qu’elles aient assez de pompernickel, » dont il se charge « de ne les point laisser manquer. » — « Je lui laissai faire son petit projet, conclut le duc avec philosophie, sans m’y opposer, pour ne le point aigrir, et parce que je jugeai bien que cela n’arriverait que trop lot. Et nous vînmes à un lieu où nous devions faire l’expérience de ses boulets creux, de ses bombes et de ses grosses grenades, ce qui est pour lui une occupation si agréable, qu’il ne songea plus à autre chose. »

Luxembourg, pourtant, le lendemain, profitant d’un instant de calme, « coule doucement » à l’évêque que le Roi interdit de façon absolue toute attaque et toute entreprise, jusqu’au jour où l’armée française sera « à portée de le soutenir. » Rien n’égale, à ces mots, le « chagrin » de Galen. Il est prêt, s’exclame-t-il, à quitter la partie, à se retirer dans sa ville « pour y dire son bréviaire, » plutôt que « se voir exposé, en ne faisant rien, à perdre la réputation qu’il s’est acquise ! » Le tout, dit Luxembourg, « accompagné de larmes, et d’un air qui me toucha de compassion pour lui. » Ce grand désespoir, il est vrai, aboutit un moment après à d’instantes demandes de subsides, mais la scène est si bien conduite que Luxembourg, — d’ordinaire peu sensible, — se laisse prendre à celle comédie et paraît tout apitoyé. Aussi conseille-t-il à Louvois de « faire quoique petite chose pour le soulagement de ce pauvre homme, qui a mis tout ce qu’il avait d’argent à faire des lovées, en sorte qu’il lui en reste peu… Croyez-moi, conclut-il, faisons-le entrer en campagne sans lui donner de chagrin, et, quand on sera une fois en besogne, les choses iront le mieux du monde. Mais il ne faut pas le rebuter, pour les bien enfourner. »

Louvois, au reçu de ces lettres, prit les incartades du « pauvre homme » moins doucement que son mandataire. « L’extravagance de M. de Munster, réplique-t-il d’un ton irrité, met le Roi hors de toute mesure. » Il faut « prendre un parti » et déclarer net à Galen qu’il n’aura ni troupes ni argent, qu’il n’ait exécuté les tonnes du contrat et ne se soit soumis aux ordres de Sa Majesté. « Vous savez bien, ajoute Louvois, vous qui étiez présent à Ottendorff, que M. de Munster n’y a pas été surpris, et que les choses y ont été assez débattues pour que sa bonne foi allemande ne lui ait rien fait faire dont il n’ait eu bonne connaissance[74]. » Au reste, et pour plus de sûreté, le ministre, à quelques jours de là, se résout à faire en personne un nouveau tour vers la frontière du Rhin. « Sa Majesté, dit-il, me commande de me rendre à Nuits le 19 ou 20 de mai prochain… Si M. de Munster pouvait s’y trouver, ce serait une grande affaire. » Un rendez-vous est pris avec Galen dans la ville de Kaiserswerth : « J’espère, dit Luxembourg, que, quand vous le verrez, vous en viendrez à bout… Je vous dirai mon sentiment, par l’expérience que j’ai de ses humeurs, sur la manière dont il le faudra prendre. » La conférence eut lieu le jour fixé ; elle amena l’effet attendu ; les efforts combinés du ministre et du général déterminèrent enfin, avec leurs tristes auxiliaires, l’adoption d’un plan de campagne en commun. Il était temps : depuis huit jours déjà, l’armée française était sur les rives de la Meuse, et ses corps avancés passaient victorieusement la frontière des Provinces-Unies.

Alors seulement, — si surprenant que cela semble, — les États de Hollande perdirent sur le compte de Galen leurs illusions dernières. Les armemens et les levées, les allées et venues et les conciliabules, tous ces préparatifs n’étaient soi-disant destinés qu’à soutenir l’archevêque de Cologne dans un différend qu’il avait avec sa capitale. Le prétexte était transparent ; vaille que vaille, il suffit pourtant à endormir des mois entiers ces confîans adversaires. Enfin, aux premiers jours de mai, les bruits qui couraient en Allemagne, les avertissemens répétés du grand pensionnaire, Jean de Witt, secouèrent la torpeur des États. Ils députèrent à Munster un des leurs, le sieur de Houvelar, « noble de l’Yssel, » pour « sonder » à nouveau les desseins de l’évêque. Comme son prédécesseur, l’envoyé fut reçu de façon « fort honnête, » engagé à souper, comblé de politesses ; mais il s’aperçut vite que cet accueil flatteur célait une étroite surveillance, que ses « gardes d’honneur » ne le perdaient jamais de vue, « fût-ce dans sa propre chambre[75]. » Les rapports s’aigrirent rapidement à la suite de cette découverte, et l’évêque de Munster jugea l’instant venu de parler franc et de jeter le masque. Le messager des « Hautes-Puissances » reçut, le 18 mai, une lettre violente. Les États de Hollande y étaient accusés des plus méchans desseins, des forfaits les plus noirs à l’encontre de leur voisin. Embauchage de ses troupes, corruption de ses fonctionnaires, tentatives d’incendies dans les villes du diocèse, complot contre l’Etat, et envoi d’assassins chargés d’attenter à sa vie ; tels étaient les griefs qui obligeaient Galen de demander réparation aux États Généraux et de « défendre à ses sujets, sous peine de la prison, de la confiscation et au besoin même de la vie, d’avoir aucun commerce avec ceux des Provinces-Unies[76]. » Sur cette déclaration, — exempte pour une fois d’équivoque, — le sieur de Houvelar abasourdi repartit pour la Haye. Il y était à peine rendu que l’évêque, suivant sa coutume, sans se soucier d’attendre la réplique, mettait ses troupes en marche et se ruait sur son adversaire.


VII

« Je partirai demain, écrit le 29 mai Luxembourg à Louvois[77], marchant sans bagage, à la réserve d’un petit chariot pour me porter à un petit bateau, de la grandeur de ceux que se servent les sauvages, et dont je me servirai pour aller joindre la flotte anglaise, s’il m’en prend envie… M. de Munster, que je rattrapai en chemin, me demanda fort si vous étiez content de lui, et il se mit sur vos louanges, excepté sur une chose qu’il regarde en vous comme un grand défaut, qui est d’épargner un peu trop l’argent de notre maître. » Ce ton de bonne humeur témoigne que l’entente règne enfin entre les alliés. Louis XIV, fidèle à tenir sa promesse, a permis à l’évêque, dès le premier coup de canon, de se livrer à son penchant pour « la maraude » et le pillage ; et les troupes munstériennes, — tandis que l’armée du Grand Roi s’occupe « d’attaquer à la fois quatre places sur le Rhin[78], » — ont envahi l’Over-Yssel, conquis force bourgs et villages, et ramassé force butin. En ce début de campagne, c’est Galen tout seul qui commande. Luxembourg, sans intervenir, le laisse jeter son premier feu et « se divertir » à son aise. Le 4 juin seulement, — le jour même où Condé fait tomber les murs de Wesel, — il prend le commandement de toute l’armée alliée. Avec les 6 000 hommes envoyés par le Roi, cette armée comprend au total 28 000 combattans ; Luxembourg y compte sous ses ordres quelques bons généraux français, le marquis de Chamilly, le comte de Choiseul, MM. de la Valliére, de Montai et de Villeroi. Von Galen cependant obtint de garder pour soi seul la direction des 12 000 hommes qui constituaient son contingent, et l’expérience montra bientôt l’inconvénient de ce partage.

Les premiers temps, tout alla bien. Grool, dans l’Over-Yssel, une des meilleures places de Hollande, fut prise presque sans coup férir ; de même pour Zwolle et Deventer, dont la reddition fut si prompte qu’on soupçonna les « magistrats » d’être de connivence avec les agresseurs : « Je vois décidément que ces traîtres me tiendront parole, » entendit-on dire à Galen. La résistance ne fut guère plus sérieuse sous les murailles de Cœvorden, « clé des provinces de Frise et de Groningne. » L’évêque l’investit brusquement avec 10 000 chevaux et 6 000 fantassins ; et, presque sans travaux d’approche, le bombardement commença. « La ville est assez forte et pourrait tenir longtemps, écrit Chamilly à Louvois, mais je crois qu’il la prendra par ses bombes, à cause de la peur[79]. » C’est en effet au siège de Cœvorden que se fit, au dire de Pomponne[80], « la première expérience » des engins destructeurs inventés par l’évêque. L’effet moral fut foudroyant et dépassa toute espérance. Lorsqu’ils virent pleuvoir sur leurs têtes celle grêle de projectiles, éclatant dans les airs avec un fracas déchirant, les officiers municipaux implorèrent une trêve, de trois jours. « Pas trois heures ! » leur répond Galen ; et, pour la nuit suivante, il annonce un « déluge de feu » plus effrayant, plus mystérieux encore, suivi d’un assaut général où rien ne serait épargné, « pas même les enfans au berceau[81]. » Le cœur, à celle menace, faillit aux assiégés. Malgré le gouverneur, la place ouvrit ses portes et se rendit à discrétion, ce qui n’empêcha pas qu’elle fût pillée dans les règles.

Jamais d’ailleurs plus qu’en cette guerre n’éclata la férocité des bandes recrutées par Galen. « Ils n’épargnaient sexe ni âge, » dit un contemporain ; le viol et l’assassinat étaient le salaire assuré de toute tentative de défense. Sur le bruit de ces barbaries, les populations des villages fuyaient à leur approche, se réfugiaient dans les grandes villes, jetant par d’horribles récits « l’effroi et la consternation. » Ce sont, s’écrie, en les voyant à l’œuvre, le comte de Chamilly, « les plus grands misérables qui aient jamais été ! » Galen lui-même, d’ailleurs, en ses heures de gaieté, comparait ses soldats à une troupe de démons, « chargés d’avancer le supplice des huguenots damnés de Hollande. »

On ne peut se défendre de quelque indignation à voir cet « Attila germain » faire trêve à sa sanglante besogne pour aller parader à la cour du Roi Très Chrétien, et recevoir de Louis XIV un accueil chaleureux. Il y fait son entrée dans le plus galant appareil : « Il marche en un équipage fort militaire, écrit l’historiographe officiel du Grand Roi[82], et a une garde d’Heiduques fort beaux à voir, tous vêtus couleur de nuise, avec de grands boutons d’argent, massif, clés sabres courts et larges, et des écharpes rouges. » Festin somptueux, Te Deum solennel, rien n’est épargné par le Roi pour faire honneur à son allié. Toutefois ces pompes et ces délices ne sauraient retenir longtemps un si bouillant guerrier : « Il s’en est retourné le même jour à son armée, disant qu’il ne pouvait être davantage absent, à cause qu’il fait lui seul le détail de toutes choses[83]. »

Cet édifiant accord ne saurait être qu’éphémère. Ceux qui voient de plus près les exploits de Galen sont vite écœurés du spectacle ; le duc de Luxembourg, dès les premières semaines, se dégoûte de servir avec un pareil auxiliaire, et se plaint vivement à Louvois. « Je ne suis point surpris de ce que vous me dites de M. de Munster, ayant vu par ma propre expérience quel homme c’est ! lui répond le ministre d’un ton dépourvu d’illusion. : — Si vous continuez, poursuit-il, à être aussi deux que vous l’avez été jusqu’à présent, vous en essuierez bien d’autres, ce qui fait que je vous conseille de ne plus lui en laisser passer aucune[84]. »

» Le comte de Chantilly dénonce, de son côté, les exactions éhontées de l’évêque, le pillage auquel il se livre. La ville de Zwolle, dit-il, est « épuisée, ruinée de fond en comble, » ainsi que les régions voisines ; les habitans« font des vœux continuels pour tomber entre les mains de Sa Majesté, et se voir délivrés des Munstériens[85]. » Et la « méchante humeur de M. de Munster » prend bientôt de telles proportions, que Louvois mande à Luxembourg qu’il l’autorise, si les choses continuent, à s’en aller avec le contingent français, et à « laisser l’évêque tout seul exécuter les visions dont il a la tête remplie. » Le général du Roi ne se le fit pas dire deux fois. Dès le premier prétexte, — En désaccord au sujet de L’attaque de Zufphen, — il demande son rappel[86], prend congé de l’évêque, et rejoint les armées françaises. Galen, libre de toute entrave, va pouvoir enfin sans contrainte donner l’essor à son génie.

Rendons-lui la justice qu’il ne perd pas son temps en hésitations superflues. De longue date une idée le hante et le travaille : mettre la main sur la ville de Groningue[87], un des grands centres commerçans dont la Hollande tire sa richesse. Comme son avidité, son orgueil y trouvera son compte. Ce sera la « grande entreprise » qu’il rêve depuis le début de son règne, celle qui doit du moine coup éterniser son nom et faire couler le Pactole dans ses coffres. Dès le 19 juillet, il mande à Cœvorden l’électeur de Cologne et l’évêque de Strasbourg ; un grand conseil de guerre se tient entre les trois prélats. Le projet de Galen y soulève de graves objections[88] : les défenses de la ville sont fortes, la garnison fidèle et résolue, la bourgeoisie nombreuse et rompue au métier des armes ; le gouverneur, Charles de Rabenhaupt, passe pour un homme déterminé ; enfin, l’étendue de la place, coupée par un large canal, rend l’investissement difficile et le bombardement d’une efficacité douteuse. Mais Galen a réponse à tout : les bourgeois, assure-t-il, sont divisés entre eux, les troupes hollandaises « fort méchantes, » les officiers « poltrons, » et l’exemple des autres villes, qui toutes se sont rendues « par peur, » laisse aisément prévoir ce qui se passera pour Groningue. Galen, d’ailleurs, a fait le vœu « d’y célébrer la messe le jour de la Saint-Louis ; » son honneur personnel, aussi bien que « la gloire de Dieu, » sont intéressés à ce siège. Comment ne pas se rendre à de tels argumens ? Les évêques, le lendemain, campaient sous les murs de la place, avec leurs armées réunies qui s’élevaient à 22 000 hommes. Le roi de France, pour ménager Galen, adjoignit à ces forces un petit corps de quelques centaines de chevaux, sous la conduite du marquis de Renel[89], qui parut peu flatté du métier qu’on lui imposait : « Je sais bien, écrit-il d’un ton rechigné[90], que, ne m’ayant pas demandé mon avis pour venir ici, je ne dirai pas ce que j’en pense ; et je me contenterai de faire, le mieux qu’il me sera possible, ce qu’on m’ordonnera. »

La méthode de guerre de Galen, — sans parler même du brigandage, — n’est certes pas pour consoler un militaire imbu des bonnes règles de l’art. Sitôt à portée des remparts, et avant d’avoir pris le soin d’investir complètement la ville[91], l’évêque dispose canons et mortiers en batterie ; et subitement, avec une rage inouïe, bombes et boulets pleuvent sans relâche sur tous les points qu’ils peuvent atteindre. Le plaisir de la destruction se double d’un grossier calcul. Terroriser les assiégés par un « foudroiement effroyable, » et frapper leurs esprits d’une crainte superstitieuse qui paralyse toute résistance, c’est le moyen qu’il tient pour infaillible, et qui jusqu’alors, à vrai dire, ne lui a que trop réussi, Groningue aura, dans cette pensée, l’honneur de ses plus récentes découvertes. Ses bombes sont telles que, de ce temps, on n’en avait encore point vues. Pesant « plus de 400 livres, » elles ont « quatre doigts d’épaisseur, le reste étant rempli de poix, de soufre, de salpêtre et de poudre à canon. » « Par leur seule pesanteur, dit un contemporain, elles traversaient tous les étages et tombaient dans la cave, où, faisant leur effet, on voyait en moins d’un instant la maison entière renversée[92]. » La nuit, il jetait dans la place « certaines machines de fer, remplies d’une matière combustible, qui s’enflammait par des ressorts qui se débandaient dans la chute, et faisait rejaillir quantité de ferrailles qui brisaient fou taux environs. » En trois jours, un quart de la ville fut détruit et « réduit en poudre. »

A la grande surprise de Galen, en dépit de cet « ouragan, » personne dans la population ne songe encore à crier grâce. « Vous ne trouverez point ici des lâches et des poltrons comme à Cœvorden, » lui écrivait, le premier jour du siège, le gouverneur, M. de Rabenhaupt ; et cette parole se réalise. Les assiégés, massés de l’autre côté, du canal, regardent flamber leurs maisons avec philosophie. Menu, le quatrième jour, les bourgeois, par bravade, « font la débauche » sur les remparts, et « se réjouissent jusqu’à la nuit au milieu des fanfares. » Le quartier le plus opulent se trouvant le plus exposé, ses habitans s’entassent dans les demeures « les plus chétives, » où tous, pauvres et riches, nobles et roturiers, vivent ensemble de la même vie, dans une fraternité joyeuse. « On ne voit plus partout que paix, union et charité[93]. » Chacun d’ailleurs s’emploie à la défense : « les femmes aident leurs maris et les enfans leurs pères ; » les ouvriers, les commerçans, prennent le mousquet à côté des soldats. Les Mennonites[94] eux-mêmes, — à qui leur croyance interdit l’usage des armes et l’emploi de la force, — trouvent moyen de s’utiliser « sans blesser leur conscience. » Répartis en brigades, mais « sans chefs et sans armes, » ils éteignent les bombes et luttent contre les incendies[95]. Après dix jours de canonnade, quand Galen, « ennuyé de ne voir personne sortir afin de traiter avec lui, » envoie sommer la ville par un de ses trompettes, les bourgmestres unanimement lui font porter cette belle réponse : « Très illustre prince et seigneur, pour réplique à la vôtre du 30 juillet de la présente année, contenant une sommation de remettre notre ville entre vos mains, nous vous dirons que, sur la confiance que nous avons en le secours divin, la justice de notre cause et la fidélité de nos alliés, nous avons résolu unanimement avec notre gouverneur de défendre notre ville contre ses ennemis jusqu’à la dernière extrémité, et de n’épargner pour ce sujet ni nos vies ni nos biens, étant, par la grâce de Dieu, abondamment pourvus de toutes les choses nécessaires pour cet effet. De Groningue, ce 1er août 1672[96]. » Cette fermeté simple et tranquille arrache au gouverneur un cri d’admiration : « J’ai assisté à bien des sièges, s’exclame le vieux soldat, mais je n’ai jamais vu une bourgeoisie si patiente et si brave ! »

La vigueur de l’attaque égalait celle de la défense. Galen « était partout, » passant chaque jour plusieurs heures aux tranchées, « donnant lui-même les ordres pour les pousser avec une plus grande diligence. » Il marchait sans escorte, environné seulement de « neuf ou dix personnes portant les mêmes babils que lui, » pour éveiller moins d’attention. C’est dans cet équipage qu’il visitait les postes avancés, et « malheur à l’officier ou au soldat qu’il trouvait en faute, car il ne pardonnait à personne ! » Sa cruauté farouche croissait avec sa déconvenue. Le vingtième jour du siège, enragé de ne faire aucun progrès sensible, il résolut de jouer sa dernière carte et d’employer les « artifices » qu’il tenait en réserve pour l’occasion suprême. Les moyens naturels s’étant montrés inefficaces, il fit appel aux « puissances infernales » et invoqua la magie à son aide. Le 10 août, les braves gens de Groningue virent avec épouvante tomber du firmament de prodigieuses machines. C’étaient des « pots-à-fou » d’une grosseur gigantesque, qui s’ouvraient en touchant le sol : un « petit canon » en sortait, d’où s’échappaient « des laines de cuivre gravées en caractères gothiques et chargées de figures effrayantes. » Il se répandait en même temps « une matière d’une odeur si puante, que l’air était empoisonné[97]. » On conserve le spécimen de certains de ces « talismans ; » ils présentent des images grotesquement horribles, autour desquelles s’enroulent, gravées en lettres archaïques, des formules inintelligibles, mélange barbare de latin, d’allemand et de jargon informe, mots tirés des Saintes Écritures joints à d’autres dénués de sens, chiffres cabalistiques, dont l’aspect mystérieux est bien fait pour agir sur la crédulité d’un peuple ignorant et candide.

Peu son fallut que ces belles inventions ne fussent couronnées de succès. Les mêmes qui, stoïquement, regardaient sans pâlir les bombes et les boulets ardens perdaient la tête devant ces « diableries. » Quelques-uns affirmaient « qu’ils étaient demeurés perclus pour avoir touché ces figures ; » d’autres « qu’en les lisant, ils se sentaient tentés de rendre la ville à l’évêque. » Tous, au premier moment, traitèrent d’impies, d’athées et de blasphémateurs ceux qui, plus clairvoyans, doutaient de ces effets et contestaient ces assurances. L’un de ces « savans hommes, » pour avoir insisté, se vit un jour presque assommé par la populace en délire. Pour vaincre cette panique, le gouverneur dut expédier des théologiens en renom qui prêchèrent sur les places publiques. Leurs discours éloquens, appuyés sur l’Écriture sainte, — et sans doute aussi la remarque que ces engins, au bout du compte, faisaient « plus de bruit que de mal, » — parvinrent enfin à rassurer la foule, et ramenèrent dans les cœurs la vaillance en déroute.

De ce jour, le découragement se glisse peu à peu dans les rangs de l’année assiégeante. « M. l’évêque de Munster se trouve dans de dernier embarras, mande à Louvois le marquis de Renel[98], et en est réduit à implorer le secours du Roi. » Mais le Roi fait la sourde oreille, et Galen en garde une rancune dont on verra bientôt l’effet. Pour l’instant, il se venge sur ses confrères et ses alliés, l’électeur de Cologne et l’évêque de Strasbourg ; c’est à eux qu’il s’en prend de sa mauvaise fortune ; ce sont, à chaque conseil, des récriminations et des scènes violentes. « Votre Majesté, — écrit à Louis XIV le prince Guillaume de Fürstenberg, frère de M. de Strasbourg, — ne saurait jamais imaginer quelles peines, mortifications et déplaisirs nous éprouvons tous les jours ! »

La maladie et la disette font des ravages affreux parmi les Munstériens ; les désertions sont si fréquentes que l’infanterie est réduite des deux fiers[99] ; trente sentinelles, en une seule nuil, quittent leur poste et passent dans la ville. Les bombes elles-mêmes et les boulets commencent à faire défaut ; Galen est contraint, à la fin, de faire tirer avec des pierres, dont certaines « pèsent jusqu’à cent livres. » Dans sa colère de l’échec qu’il prévoit, il invective ses canonniers, prétend leur enseigner lui-même à charger leurs mortiers, qu’il fait bourrer jusqu’à la gueule, « avec double charge de poudre. » Les soldats tremblans obéissent, et les mortiers volent en éclats. Sur quatre-vingts, dit-on, il n’en resta pas cinq intacts.

Dans la nuit du 27 août, la canonnade s’arrêta brusquement. Les assiégés, surpris de ce silence et redoutant une attaque générale, se tinrent prudemment sur leurs gardes. Mais, au malin, « les plus bouillans » s’aventurèrent hors des remparts, et furent émerveillés de trouver les tranchées désertes, le camp abandonné et les Munstériens hors de vue. L’approche des troupes de M. de Brandebourg, passé décidément au parti de l’Empire, fut, dit-on, le motif de cette résolution soudaine. La retraite des prélats eut l’allure d’une déroute. Sur leurs 22 000 hommes, ils en ramenèrent à peine 12 000, dont 2 000 malades ou blessés, le reste démoralisé. « M. de Munster, écrit le marquis de Chamilly[100], ne s’est pas retiré avec 1 800 hommes de pied, quasi toute son infanterie ayant déserté, et celle de M. de Cologne n’est guère en meilleur état. Rien n’est plus pitoyable que tout ce qu’ils ont fait à Groningue ! » La division, suivant l’usage, régnait chez les vaincus, aggravant le désastre. « M. de Munster et M. de Strasbourg se sont séparés fort mal, ajoute le même informateur, M. de Strasbourg lui ayant reproché qu’il avait voulu attaquer Groningue sans raison ni mesure, et l’autre répondant que sans lui il l’aurait pris. » Peu après la levée du siège, la brouille devint presque complète ; chacun tira de son côté. Les troupes de M. de Cologne s’établirent en quartiers dans le pays d’Over-Yssel ; ramassant les débris des siennes, Galen prit la route de Munster, pour tenter d’y « refaire, » aux dépens de son peuple, ses soldats en guenilles et ses canons en miettes.


VIII

La défaite subie à Groningue marque pour Von Galen le terme des triomphes, le début de la décadence. Son prestige sanglant a sombré ; son nom n’éveille plus l’épouvante ; les « machines » et les « artifices, » qui si longtemps ont fait trembler les villes, n’excitent plus guère que la risée. On le hait, mais ou le méprise. « M. de Munster, dit Chamilly, est haï comme un diable, et ses bombes sont fort décriées. » Pour un homme dont la force est faite de la peur qu’il inspire et de la lâcheté qu’il rencontre, c’est un désastre irrémédiable. Il s’opiniâtre néanmoins et ne renonce pas à la lutte ; dès la saison suivante, il reprend la campagne et ravage de plus belle ; les provinces frontières de Hollande. Mais ses succès sont minces et ses conquêtes médiocres ; chaque fois que devant lui se dresse une sérieuse résistance, ses bandes tournent casaque et s’enfuient presque sans combattre. Pour quelques bourgades et « bicoques » qu’il pille et rançonne à merci, il perd en peu de mois les villes précédemment conquises. La faute en est surtout à son imprévoyance : « Les places que garde M. de Munster, mande encore Chamilly[101], ne sont point munies des choses les plus nécessaires, et celles auxquelles il pense le moins pour leur défense sont le pain et la poudre. » C’est ainsi qu’il laisse tour à tour échapper de ses mains Nieuweschaus, Wede, Sleenwick, enfin la ville de Cœvorden, le plus brillant fleuron de sa couronne. Cinq cents hommes de ses troupes, hâves, affamés, dénués de tout, se rendent sans brûler une amorce à une poignée de Hollandais[102].

De ces échecs, de ces humiliations, il accuse, comme on pense, tout le monde excepté soi-même. Les relations et les correspondances le représentent dès lors comme une sorte de fou furieux, faisant trembler ceux qui l’approchent, jurant et blasphémant sans cesse « à la mode de son pays. » Les voisins qu’il dévaste ne sont point seuls à pâtir de cette rage ; ses sujets à leur tour en reçoivent de dangereux éclats. Il affirme un beau jour avoir découvert dans sa ville « une grande conspiration » contre lui-même et contre son armée. Des notables, des magistrats, même des officiers de haut grade, sont soupçonnés d’y avoir part. « J’ai été informé aujourd’hui par M. de Munster, mande Turenne à Louvois[103], que l’on découvre tous les jours des complices de la conspiration qui se faisait dans Munster, tant entre les bourgeois qu’entre les gens de guerre. » Par ordre de Galen, ou arrête en masse et pêle-mêle tous ceux qu’il juge suspects d’opposition ou de froideur. Les prisons de Munster regorgent de victimes ; et, sans instruire l’affaire, sans procédure et sans jugement, l’échafaud est dressé ; sur la place de la ville. « Le lieutenant-colonel Fidnack, — mande l’évêque à Louvois, par la plume de son secrétaire, — le principal auteur de la conspiration, a été exécuté ce matin… Son Altesse m’a ordonné de vous apprendre que cet exécrable parricide (sic) a eu la tête tranchée, le corps coupé en quatre pièces, qui ont été pendues aux quatre portes de la ville de Munster, la tête mise sur une pique et promenée par les rues. Les autres complices le suivront de près[104]. » Quant au procès des suppliciés, on le fera « plus tard, » lorsqu’on saura « comment la cour de Vienne a pris cette manière d’exécution[105]. » Ces mêmes lettres où le tyran se vante de ces atrocités se terminent par d’humbles suppliques, pour obtenir de Louis XIV, « en témoignage d’estime et d’amitié, » des secours d’argent pour son frère, le baron de Galon, et pour soi-même « une grande abbaye » du royaume, celle par exemple de Saint-Germain-des-Prés.

Cette requête, disons-le, ni d’autres qui la suivent, ne rencontrent aucun succès. Le Roi, pas plus que ses ministres, ne garde à présent d’illusion sur la valeur de son allié, sur les forces dont il dispose, sur le concours qu’on en peut espérer. D’ailleurs, depuis deux ans, les circonstances ont bien changé. Le 30 août 1673, des traités d’alliance offensive ont été signés à la Haye entre les États Généraux, le roi d’Espagne et le duc de Lorraine. Le 15 septembre, entre en campagne M. de Monteccuccoli, le général de l’armée impériale ; un mois plus tard, ce sont les Espagnols. C’est le premier acte du drame qui, pendant près de quarante ans, va se jouer entre la France et les nations coalisées contre elle. « La guerre de Hollande est finie, la guerre européenne commence[106]. » Utile peut-être tout à l’heure, pour détourner vers les bords de l’Yssel l’attention des Provinces-Unies, le tyran de Munster devient un appoint négligeable dans la grande lutte qui va s’ouvrir ; ses médiocres efforts « ne paraissent plus dignes d’être achetés[107]. » Aussi est-ce en pure perte qu’il s’épuise désormais en demandes de subsides ; les fonds accumulés dans les caisses du royaume sont réservés pour un meilleur emploi[108].

Novembre amène une bien autre surprise. Louis XIV, en effet, sur le conseil de Turenne et Louvois, prend inopinément une résolution grave : pour faire face à l’Empire en même temps qu’à l’Espagne, il se décide à concentrer ses forces, à faire évacuer la Hollande, du moins les places du Zuyderzée, du Leck et de l’Yssel. Les villes qu’occupent encore les troupes de l’évêque de Munster et de l’électeur de Cologne, les pays où ils tiennent quartiers, vont être, de ce fait, abandonnés aux attaques de l’ennemi, et les armées épiscopales n’auront d’autre parti que battre vivement en retraite. « Jamais princes ne furent plus étonnés que les deux prélats, » dit un écrit du temps ; et cet étonnement se traduit tantôt par des plaintes suppliantes, tantôt par des reproches amers[109]. Les lettres de Luxembourg, — chargé d’exécuter la volonté du Roi, — sont remplies pendant cette période du récit des « chicanes » et des lamentations des alliés ainsi sacrifiés aux nécessités politiques, et dont le duc raille sans pitié la déception et la colère, « l’ignorance crasse » et « le manque d’entendement. »

C’est au plus fort de cette querelle qu’une voix nouvelle s’élève dans le débat. L’empereur, sentant l’occasion favorable, somme, dans une lettre menaçante, les deux princes ecclésiastiques de faire leur paix avec les États Généraux, faute de quoi ils seront « mis au ban de l’Empire, » et leurs États ravagés par ses troupes. Un acte de vigueur appuie ce langage énergique : le frère de l’évêque de Strasbourg, le prince Guillaume de Fürstenberg, ardent partisan de la France, est enlevé à Cologne du congrès où il siège, jeté dans un carrosse et mené jusqu’à Vienne, où on le retient prisonnier. Bafoués d’une part, intimidés de l’autre, faut-il faire un crime aux prélats de n’avoir opposé qu’une courte résistance ? Galen montre l’exemple et baisse pavillon le premier. Le 22 avril 1674, un traité signé à Cologne annonce publiquement son passage dans le camp des ennemis du Roi. Pourvu qu’il pille et qu’il rançonne, que lui importe, au demeurant, la couleur du drapeau ?

Du jour de cette évolution, cesse le rôle politique de l’évêque de Munster. Il rentre dans le rang, avec les autres princes qui suivent la bannière de l’Empire ; son action militaire se confond pendant quatre années avec celle des armées qui luttent contre l’ambition de la France. Aussi ne le suivrons-nous pas dans les péripéties de cette guerre compliquée, où son rôle n’est que secondaire. De ceux dont il suit la fortune, il ne se distingue guère que par sa mauvaise foi. Deux fois, en cette courte période, il tente de les trahir, et de « s’accommoder » sous main avec le Roi ; l’affaire manque les deux fois par la faute de son double jeu, des justes défiances qu’il excite. « Votre Majesté, qui connaît si parfaitement l’esprit de M. de Munster, — écrivent, le 18 septembre 1676, les plénipotentiaires de France à Cologne — ne sera pas surprise de sa manière d’agir… Il n’y a que trop d’apparence qu’il a dessein de prolonger la conclusion du traité jusqu’à la fin de la campagne, afin de tirer en même temps pendant l’hiver, et de Votre Majesté et des États Généraux, le paiement de ses troupes, en faisant croire à ceux-ci qu’il ne les destine qu’à leur service, et en vous promettant d’ailleurs qu’elles ne seront pas employées contre le vôtre… » La perfidie chez lui est comme un besoin de nature ; quand il ne peut trahir en bloc, il se rattrape sur le détail : « Sa Majesté a vu avec plaisir, écrit ironiquement Louvois après la victoire de Cassel[110], par l’état des troupes de M. de Munster qui était parmi les papiers du prince d’Orange, que ledit évêque n’a pas perdu l’habitude de tromper ceux avec lesquels il traite, puisqu’il livre 5 500 hommes à M. de Villahermosa, qu’il se fait payer pour 9 000[111] ! »

De sa longue carrière, en effet, le trait le plus frappant est la remarquable unité. Sans défaillance, d’un bout à l’autre, il reste fidèle à soi-même ; et l’on dirait que la nature, par une étrange complicité, veuille entrer dans ce jeu et mettre une dernière touche à cette belle ordonnance. Né pour le meurtre et la rapine, il disparait à l’improviste à l’heure où va, pour dix années, se clore le champ propice à ses exploits. Le 10 août 1678, la France et la Hollande conviennent de déposer les armes ; seule l’Espagne résiste encore ; elle cède enfin le 17 septembre ; deux jours plus tard, les Liais Généraux font parvenir les ratifications qui scellent et consacrent la paix, Galen, — qui, disent ses biographes, avait toujours joui jusqu’alors d’une santé merveilleuse, — fut pris, ce même mois de septembre, d’une indisposition légère, qui le força de s’aliter pour la première fois de sa vie. L’État, contre toute apparence, s’aggrava subitement dans la semaine suivante ; et le 19, au jour précis où devenait définitif, le traité de Nimègue, il succomba sans agonie, dans la soixante-douzième année de son âge et la vingt-huitième de son règne. On dit qu’à ses derniers instans il parut touché de remords, qu’il témoigna quelque chagrin des maux dont il avait accablé ses sujets, et déplora « la condition des princes qui ne peuvent se soutenir que par l’oppression de leur peuple ; » enfin, qu’il donna tardivement quelques signes de « christianisme » et de repentir de sa vie.

A peine sa mort fut-elle connue dans la ville de Munster, qu’une foule furieuse se rua sur l’évêché, mit le palais à sac, pénétra dans la pièce où gisait le défunt, arracha du cadavre habits, ornemens et, joyaux, et jeta le corps « presque nu » sur les dalles glacées de la chambre. Tels furent, dans l’explosion première du sentiment public, les honneurs spontanés rendus par le peuple à son prince. En revanche, le lendemain, reprirent leurs droits les pompes légales, le mensonge officiel. On transporta Galen dans une chapelle ardente, où, aux quatre coins du cercueil, brûlèrent des cierges jour et nuit dans « quatre chandeliers d’argent, du prix de mille écus chacun, » achetés exprès pour la cérémonie. Les funérailles eurent lieu, le 4 octobre, dans la cathédrale de Munster, si somptueuses qu’elles coûtèrent « plus de vingt mille écus. » On suspendit à la voûte de l’église un « navire d’argent magnifique, » en souvenir d’un vaisseau que l’évêque avait pris dans une de ses campagnes ; en celle même cathédrale, on lui édifia un tombeau, qui s’y voit encore de nos jours. L’un de ses familiers écrivit son éloge funèbre, où il le dépeignait comme « un prince équitable, humain, attable et clément[112]. » Enfin j celui qui lui succéda sur le trône, Ferdinand de Fürstenberg. — prince aussi pacifique que son prédécesseur avait été guerrier, — dans un manifeste à son peuple, répandit, sur Galen un torrent d’éloquence, célébra les hauts faits et « les vertus extraordinaires qui ont rendu son nom célèbre et sa gloire immortelle, » exhorta ses sujets à garder pieusement dans leur cœur celui qu’ils avaient, leur dit-il, « dans le cours de sa vie, révéré comme leur prince et chéri comme leur père. »

Et c’est dans cette fumée d’encens, embaumée de ces louanges, fleurie de ces panégyriques, que la mémoire de Bernard von Galen, — en son vivant, comme il aimait à dire, « le fléau de Munster, Zwolle, Deventer, Groningue et autres lieux, » — s’achemina glorieusement vers la postérité.


PIERRE DE SEGUR.

  1. Archives du Ministère de la Guerre. — Annales des Provinces-Unies, par Basnage. — La Vie et les Faits mémorables de l’évêque de Munster, Leyde, 1679. — De vita et rebus gestis Christophori Bernardi, par Joannes ab Alpen. — Correspondance de la duchesse Sophie de Hanovre avec le palatin du Rhin. — Mémoires du marquis de Pomponne, etc., etc.
  2. C. Rousset, Histoire de Louvois.
  3. L’Espion dans les cours des princes chrétiens.
  4. L’Espion dans les cours des princes chrétiens.
  5. Dictionnaire historique.
  6. La Vie et les Faits mémorables de l’évêque de Munster, Leyde, 1679.
  7. Mémoires de Pomponne. — Correspondance de Luxembourg, aux Archives de la Guerre.
  8. Affluent de l’Ems.
  9. Le principal commerce était celui du bétail et des porcs. La province, disait-on, fournissait de jambons toute l’Europe.
  10. La Vie et les Faits mémorables, etc.
  11. Annales des Provinces-Unies, par Basnage.
  12. 1655.
  13. Annales des Provinces-Unies.
  14. Juillet 1657.
  15. Annales des Provinces-Unies. — La Vie et les Faits mémorables, etc. — De vitâ et rebus gestis, etc., etc.
  16. Survenue le 2 avril 1657.
  17. La Vie et les Faits mémorables, etc.
  18. Annales des Provinces-Unies.
  19. Année 1659.
  20. La Vie et les Faits mémorables, etc.
  21. Annales des Provinces-Unies. — La Vie et les Faits, etc.
  22. Lettre du chevalier Temple. — Annales des Provinces-Unies.
  23. Correspondance avec son frère, le palatin du Rhin. Leipsig, 1886.
  24. Lettres de Pellisson.
  25. Cette adhésion eut lieu en 1658 (Mss de l’Arsenal, 4893).
  26. 1607-1686. D’abord diplomate, puis maréchal de France.
  27. Mai 1664.
  28. Annales des Provinces-Unies.
  29. Diplomate, et homme de confiance de lord Clarendon (1628-1698).
  30. Galen reçut 500 000 rixdalers, plus 50 000 par mois.
  31. Annales des Provinces Unies.
  32. Lettre du comte d’Estrades du 1er octobre 1665.
  33. Mémoires de Pomponne. — Annales des Provinces-Unies, etc. — « Mon cousin, — avait écrit Louis XIV à Galen, le 8 août 1665, — les bruits qui courent dans le monde que vous faites depuis quelque temps un armement extraordinaire à dessein d’attaquer les États Généraux des Pays-Bas m’obligent à envoyer vers vous le sieur de Lessein, conseiller en mon Conseil d’État, pour m’éclaircir par son moyen de vos intentions, et, s’il en est besoin, vous faire savoir aussi les miennes… Je désire, conclut le Roi, que vous me donniez plutôt lieu de vous départir les effets de ma bienveillance que de me nécessiter à marcher dans un chemin bien différent. » (Arch. de la Guerre, tome 635.)
  34. Lettre du 1er novembre 1665. (Arch. de la Guerre.)
  35. La Vie et les Faits, etc.
  36. C. Rousset, Histoire de Louvois.
  37. Ibid.
  38. 10 décembre 1665. Annales des Provinces-Unies.
  39. Lettre du 19 février 1665. (Arch. de la Guerre.)
  40. Lettre du chevalier Temple. Loc. cit.
  41. Annales des Provinces-Unies.
  42. Traité du 18 avril 1666.
  43. Désormeaux, Histoire de la Maison de Montmorency.
  44. Arch. de la Guerre, n° 1112.
  45. Arch. de la Guerre, t. 635.
  46. Mss. de l’Arsenal, 4893.
  47. 2 Mai 1668.
  48. C. Rousset, Histoire de Louvois.
  49. Annales des Provinces-Unies. — La Vie et les Faits mémorables, etc.
  50. Mémoires du marquis de Pomponne.
  51. On désignait de ce nom des projectiles incendiaires qu’on lançait avec un mortier.
  52. La Vie et les Faits, etc.
  53. Correspondance avec le palatin du Rhin.
  54. Lettres de M. d’Amerong des 7 et 14 avril 1671. — Annales des Provinces-Unies. — La Vie et les Faits, etc.
  55. Juillet 1671. — Mss. de l’Arsenal, 4893.
  56. Lettre du 4 janvier 1672. — Arch. de la Guerre.
  57. « M. de Strasbourg, écrit un peu plus tard le duc de Duras à Louvois, m’écrit tous les jours des choses fort inutiles : je ne puis lui refuser des réponses pleines de galimatias… » (Lettre du 29 septembre 1672. — Arch. de la Guerre.)
  58. Lettre de Luxembourg à Louvois, du 31 janvier 1672. — Arch. de la Guerre.
  59. Il y faut ajouter l’influence du frère de l’évêque de Strasbourg, le prince Guillaume de Fürstenberg, d’esprit plus ouvert et de caractère plus estimable, très français de cœur et de goûts.
  60. Lettre du ler janvier 1672. — Arch. de la Guerre.
  61. Lettres de Pellisson.
  62. Louvois au Roi, 10 janvier 1672. — Arch. de la Guerre.
  63. Arch. de la Guerre. — Le traité, bien que signé le 4, porte la date du 2 janvier 1672.
  64. Histoire de Louvois, par C. Rousset.
  65. François de Montmorency-Boutteville, duc de Luxembourg, né en 1628, maréchal de France en 1675, mort en 1695. — Une lettre de Chamilly au prince de Condé fournit quelques détails sur cette désignation. Le Roi, dit-il, « donna aux évêques à choisir entre les maréchaux de Créqui et de Bellefonds et les ducs de Duras et de Luxembourg. » Les évêques représentent que la qualité de maréchal des deux premiers et de duc et pair des deux autres « serait embarrassante, parce qu’ils prétendraient commander, et que M. de Munster voulait être présent et commander à tout ce qui se ferait, » et ils réclament le comte de Chamilly. » « Que diable avez-vous fait à ces évêques pour vous aimer tant ? » demande Louvois à Chamilly, et, nonobstant toutes les instances, il propose au roi Luxembourg. Lettre du 12 janvier 1672. — Arch. de Chantilly.)
  66. Lettre de janvier 1672. — Mss. Bibl. nationale, mélanges Colbert.
  67. Isabelle de Montmorency-Boutteville, d’abord duchesse de Châtillon, puis remariée au duc de Mecklembourg-Schwerin.
  68. Luxembourg à Louvois, 31 janvier 1672. — Arch. de la Guerre.
  69. Lettres des 7 et 17 mars 1672. — Arch. de la Guerre.
  70. Histoire de la maison de Montmorency, par Désormeaux. — Lettre de Louvois du 21 mars 1872. — Arch. de la Guerre.
  71. Luxembourg à Louvois, 3 avril 1672. — Arch. de la Guerre.
  72. Luxembourg à Louvois, 12 avril 1672. — Arch. de la Guerre.
  73. « Voici le diable sur les 300 000 hommes, raille encore Luxembourg, car, en lui demandant d’où nous les aurions, voici le calcul qu’il me fit : 7 000 hommes de pied qu’il doit fournir, avec 3 000 chevaux et 400 dragons de l’électeur ; 2000 chevaux du Roi et 4000 fantassins : ajoutant que, pour le surplus, il fournirait ce qui était destiné pour garder son pays, soit 10 000 chevaux et 2 000 fantassins », c’est-à-dire un total de 28 400 hommes.
  74. Lettres à Luxembourg, des 22 et 26 avril 1672. — Arch. de la Guerre.
  75. Annales des Provinces-Unies.
  76. La Vie et les Faits mémorables, etc. — Annales, etc.
  77. Arch. de la Guerre.
  78. Lettre de Louis XIV à Colbert, du 31 mai 1672.
  79. Lettre du 10 juillet. Arch. de la Guerre.
  80. Mémoires.
  81. Annales des Provinces-Unies.
  82. Lettres de Pellisson.
  83. Ibid.
  84. Lettres des 18 et 20 juin 1672. Arch. de la Guerre.
  85. 10 Juillet. Arch. de la Guerre.
  86. Mémoires de Saint-Germain, cités par Désormeaux. Loc. cit.
  87. Chef-lieu de la province du même nom, à l’extrémité N. -E. des Pays-Bas.
  88. Note envoyée à Louvois par l’évêque de Strasbourg, juillet 1672. Arch. de la Guerre.
  89. Louis de Clermont d’Amboise, marquis de Renel, lieutenant général, tué au siège de Cambrai le 11 avril 1677.
  90. Août 1672. Arch. de la Guerre.
  91. Pomponne, dans ses Mémoires, attribue cette étrange tactique à la cupidité de Galen. Il se croyait, dit-il, « si sûr de prendre la place, » qu’il ne voulut jamais permettre aux troupes de M. de Cologne d’occuper la région qui s’étendait de l’autre côté du canal, de peur qu’elles ne la ruinassent, et diminuassent ainsi le butin qu’il comptait récolter. « Cet esprit de ménage lui fît manquer sa conquête. »
  92. La Vie et les Faits, etc.
  93. La Vie et les Faits, etc.
  94. Secte anabaptiste fort nombreuse à Groningue, fondée par Menno Simonis (1496-1561).
  95. Annales des Provinces-Unies.
  96. Ibid.
  97. Annales des Provinces-Unies. — La Vie et les Faits. — Mémoires de Pomponne, etc.
  98. Lettre du 21 août 1672. Arch. de la Guerre.
  99. Ibid.
  100. Lettre à Louvois du 1er septembre 1672. Arch. de la Guerre.
  101. 1er novembre 1672. Arch. de la Guerre.
  102. Correspondance de MM. de Duras, de Chamilly, de Renel, etc. Arch. de la Guerre.
  103. Lettre du 7 mars 1673. Arch. de la Guerre.
  104. Lettres du secrétaire de M. de Munster, de mai 1673. Arch. de la Guerre.
  105. Ibid.
  106. C. Rousset, Histoire de Louvois.
  107. Annales des Provinces-Unies.
  108. Mémoires de Pomponne.
  109. Voir la lettre du prince Guillaume de Fürstenberg du 7 novembre 1673. Arch. de la Guerre.
  110. Où Luxembourg s’était emparé de tous les papiers du prince d’Orange.
  111. Lettre à Luxembourg, du 25 juillet 1677. Arch. de la Guerre.
  112. De Vitâ et Rebus gestis Christophori Bernardi, par Joannes ab Alpen.