Un Chancelier d’ancien régime/04
Mémoires, Documens et Écrits divers, laissés par le prince de Metternich; chancelier de cour et d’état, publiés par son fils le prince Richard de Metternich, classés et réunis par M. A. de Klinkowstrœm, 8 volumes.
La société européenne, telle qu’elle apparaît de 1815 à 1830, telle que la comprennent les hommes chargés de la conduire, flotte sans cesse entre deux dangers également pressans : danger des guerres d’ambition et de conquête, qui peuvent remettre en doute l’équilibre politique si laborieusement édifié au congrès de Vienne ; danger des révolutions, qui peuvent troubler l’ordre intérieur des états, l’équilibre social à peine restauré. Quinze années durant, M. de Metternich met son génie à aller de l’un à l’autre de ces dangers, réunissant des congrès, nouant des alliances contre les agitations des peuples ou s’efforçant de retenir l’ambition russe en Orient, régnant en apparence par une diplomatie savante, renommé parmi les sages du siècle, et en réalité impuissant. Vainement, le chancelier d’Autriche s’était flatté de museler le monstre révolutionnaire par la politique qu’il avait fait triompher à Carlsbad, à Laybach et à Vérone, de rester le ministre de la haute conservation et de la paix en Europe. Il avait paru réussir d’abord en Allemagne, en Italie. Il n’avait pas tardé à sentir que tout lui échappait. Il avait vu l’Angleterre de Canning se séparer des cabinets absolutistes, la Russie de l’empereur Nicolas se détacher à son tour pour reprendre sa marche vers l’Orient, le péril libéral ou révolutionnaire renaître par l’affaiblissement et dans la confusion des alliances. Il voyait surtout la France redevenir par degrés le grand foyer suspect où pouvaient se rallumer les flammes incendiaires toujours prêtes à se répandre sur l’Europe.
A dire vrai, le chancelier autrichien restait dans un état d’esprit singulier vis-à-vis de la France rendue à la monarchie bourbonienne. En aimant la restauration pour son principe, pour les garanties qu’elle pouvait offrir à l’ordre européen, il ne voyait bientôt en elle qu’un régime perverti dès sa naissance d’idées constitutionnelles, qui n’avait ni l’autorité des traditions héréditaires, ni la force du gouvernement napoléonien, qui se laissait aller à ce qu’il appelait un « doctrinarisme niais, » et se livrait à l’ennemi commun, au libéralisme. Il était trop l’homme de l’ancien régime pour ne pas subir parfois la fascination d’une des plus vieilles royautés du monde, et dans un voyage qu’il faisait en 1825 à Paris, s’il recevait le cordon bleu, il ne laissait pas d’être flatté dans sa vanité ; s’il dînait à la table du roi, il ne manquait pas de noter que seul, à part lord Moira, un ami de l’exil, il avait été admis à cet honneur. Il ne jugeait pas moins les institutions sans illusion, les hommes avec une légèreté dédaigneuse, la nation française avec la sévérité tranchante d’un oracle de l’absolutisme ; il mêlait dans ses jugemens la clairvoyance et la frivolité. « Après dix ans, écrivait-il, je trouve que la situation a bien empiré… C’est aujourd’hui seulement que l’on sent le contre-coup de la révolution. Elle a rompu tous les liens les plus intimes, et le funeste système qui a été introduit en France lors de la restauration n’est pas fait pour rien rétablir de ce qui a été détruit. C’est ainsi que la société française s’use et se décompose dans la lutte des passions. » Il voyait le drame des destinées de la restauration, ce drame qui se résumait dans le duel de la royauté légitime et du libéralisme, se dérouler à travers deux règnes, de ministère en ministère, pour se resserrer enfin sous M. de Polignac, dont il souhaitait le succès sans oser y croire. Arrivé à cette extrémité, il pressentait un conflit prochain, il doutait de l’issue, — et plus il voyait l’orage se former du côté de la France, plus il sentait le besoin de se rattacher à la tradition de 1815, de renouer les alliances absolutistes avec la Prusse, dont il était toujours sûr, — avec la Russie, dont il avait été un instant séparé par la guerre orientale de 1828. C’était le secret de l’entrevue qu’il recherchait dans l’été de 1830, à Carlsbad, avec M. de Nesselrode, pour le conquérir à ses vues de politique commune à l’égard de la France menacée d’une révolution nouvelle.
Comment éclaterait la catastrophe française ? M. de Metternich s’arrêtait devant la redoutable énigme. Il ne savait pas qu’au moment où il se rencontrait avec le chancelier russe, — le 27 juillet 1830, — la crise venait de se précipiter, que déjà avaient éclaté à Paris des événemens qui justifiaient ses éternels pronostics de pessimisme transcendant, qui, en emportant la royauté des Bourbons, créaient pour la France, pour l’Europe, une situation toute nouvelle, un ordre tout nouveau.
Ce qui se passait à Paris entre le 27 juillet et le 9 août 1830 ne ressemblait point, en effet, à un de ces accidens révolutionnaires dont on avait eu si facilement raison à Troppau, à Laybach et à Vérone. C’était bel et bien une révolution accomplie sur le plus grand des théâtres, provoquée par le coup d’état d’une royauté imprévoyante, précipitée par une insurrection populaire, condensée et resserrée au dernier moment dans une substitution de dynastie. Elle atteignait, cette nouvelle révolution de France, et l’ordre intérieur, fondé sur la légitimité monarchique, et l’ordre extérieur, européen, de 1815, dont la restauration semblait inséparable. Elle avait la fortune d’être à la fois une menace pour tous les gouvernemens d’ancien régime et un exemple pour les peuples dont elle enflammait les instincts libéraux. A peine accomplie effectivement, la révolution de Juillet retentissait en peu de temps de toutes parts : — à Bruxelles, où les Belges se séparaient du royaume des Pays-Bas, à Varsovie, où les Polonais levaient le drapeau de l’indépendance contre la Russie, au-delà des Alpes, où les duchés, les états pontificaux, devenaient des foyers d’insurrection, en Allemagne même, où Francfort, Dresde, voyaient éclater des mouvemens populaires.
Où s’arrêterait la commotion qui menaçait de gagner le continent, qui, d’un instant à l’autre, pouvait être la guerre universelle ? Tout dépendait, on le sentait bien, de ce que serait cette France nouvelle de 1830, de ce qu’elle allait faire pour déchaîner ou apaiser les orages. Dès les premiers momens, deux courans, deux politiques s’entre-choquaient à Paris. Les uns, emportés par leurs passions et leur imprévoyance, ne tendaient à rien moins qu’à compromettre la révolution nouvelle dans toutes les aventures, à faire du régime de juillet l’allié ou le complice, le protecteur armé de la sédition universelle. Ils mêlaient dans leurs opinions la haine des Bourbons, les ressentimens de 1815, le fanatisme de l’esprit de propagande et de conquête, le besoin et le goût du mouvement. Au fond, tout leur programme se réduisait à deux choses : l’anarchie à l’intérieur, la guerre au dehors ! Les autres, sans désavouer une révolution qui était le couronnement de leur opposition de quinze ans, sans la diminuer dans son caractère libéral, sans l’abaisser devant l’étranger, se préoccupaient aussitôt de la fixer et de l’organiser, de disputer le régime nouveau aux factions. Ils sentaient la nécessité de ne pas laisser se prolonger « l’état révolutionnaire après la victoire, » de rassurer en même temps l’Europe, de prévenir les coalitions. A la politique des agitations indéfinies et de la guerre, ils opposaient la politique de l’ordre et de la paix. A côté du prince qui venait de ceindre la couronne et qui, plus que tout autre, sentait le péril, allait s’illustrer entre tous celui qui est resté la figure la plus originale et la plus saisissante de ces temps troubles, l’homme d’état de la résistance, le ministre héroïque qui fondait et sauvait la monarchie nouvelle en dévouant sa vie : Casimir Perier ! — C’est ce drame qui commence dès le lendemain de juillet, qui se déroule d’année en année à travers d’incessantes péripéties, mettant en scène et en présence toutes les politiques, la France renouvelée et la vieille Europe absolutiste[2].
Au début, l’issue n’était rien moins que sûre. Tout restait provisoirement énigmatique dans cette crise de juillet, qui, aux yeux des gouvernemens conservateurs, apparaissait comme une redoutable expérience de plus, comme une recrudescence de la révolution française menaçant encore une fois tous les états. Doyen des chancelleries, considéré et consulté comme le représentant d’un système de diplomatie, d’une tradition politique, appelé plus que tout autre à donner le ton à l’Europe, M. de Metternich ne laissait pas d’être embarrassé et troublé en retrouvant devant lui une vieille ennemie dont il se croyait l’antagoniste prédestiné. Cette ennemie, — la révolution française, — il l’avait vue et combattue, à l’époque de sa jeunesse, dans ce qu’elle avait de plus violent, dans sa période orageuse d’expansion républicaine. Il avait eu l’occasion de la combattre encore dans ce qu’elle avait de plus puissant, de plus glorieux, sous l’empire de Napoléon, et il s’était flatté de l’avoir vaincue. Il l’avait revue atténuée, mitigée, déguisée, mais toujours vivante sous la restauration. Il la retrouvait maintenant sous la forme et la figure d’un prince élu des barricades, d’une monarchie constitutionnelle sortie d’une convulsion populaire. Pour lui, sous des figures différentes, c’était toujours la même ennemie, devenue avec les années de plus en plus dangereuse, — et de ce ton de Cassandre qu’il prenait quelquefois, il écrivait, sous le coup de l’explosion de juillet, à M. de Nesselrode, qu’il venait de rencontrer à Carlsbad : « Ma pensée la plus secrète est que la vieille Europe est au commencement de la fin. Décidé à périr avec elle, je saurai faire mon devoir… La nouvelle Europe, d’un autre côté, n’est pas à son commencement. Entre la fin et le commencement se trouvera un chaos… » C’était une boutade sibylline du chancelier de la sainte-alliance parlant au chancelier russe pour échauffer son zèle conservateur. Que ferait-il réellement ? Comment allait-il se conduire avec « l’ordre de choses » de juillet ? Il avait l’occasion de préciser ses idées ou ses impressions, dès la fin d’août, dans des entretiens avec le général Belliard, envoyé de Paris à Vienne pour obtenir la reconnaissance du nouveau gouvernement, et aussi pour porter, avec la pensée secrète du roi, les déclarations les plus pacifiques, l’assurance du respect des traités, des intentions les plus conservatrices.
Le chancelier d’Autriche ne déguisait pas sa mauvaise humeur devant l’envoyé du Palais-Royal. Il ne cachait pas qu’à vienne on « abhorrait » ce qui venait de se passer en France, qu’on ne croyait ni à la force ni à la durée du régime issu de la « catastrophe de juillet. » Il se défendait cependant de toute hostilité systématique, de toute arrière-pensée d’intervention dans les affaires intérieures de ce « grand et malheureux pays » de France. Il se montrait prêt à reconnaître le nouveau gouvernement pour ce qu’il était, comme « le moindre des maux, » dans un péril d’anarchie universelle. Il acceptait ses protestations pacifiques et conservatrices pour ce qu’elles valaient, en le prévenant avec quelque solennité qu’au moindre empiétement, « au moindre écart, » il rencontrerait devant lui l’Europe résolue à maintenir les traités, à repousser les provocations et les propagandes révolutionnaires. M. de Metternich, en reconnaissant le gouvernement de Juillet, se donnait le plaisir hautain de commencer par lui faire la leçon. Se retrancher sur le terrain des traités où il se flattait toujours de rallier l’Europe, combattre toutes les propagandes, enchaîner, s’il le pouvait, la nouvelle monarchie de France par ses intérêts conservateurs comme par ses déclarations, c’était désormais toute sa diplomatie. Et cette politique, il la suivait, il allait la suivre pendant dix-huit ans, avec la souplesse d’un esprit avisé, accoutumé, au jeu des grandes affaires, expert aux évolutions savantes et aux transactions utiles, tout prêt même, s’il le fallait, à nouer amitié ou à chercher son avantage avec le régime de juillet, sauf à lui répéter sans cesse du haut de son infaillibilité qu’il ne pouvait pas durer, qu’il mourrait fatalement comme il était né. Il ne se doutait pas, l’habile homme, qu’il n’était prophète qu’à demi, que cette monarchie libérale de France, avec laquelle il jouait quelquefois dangereusement, pourrait être emportée comme il le disait, mais que ce jour-là il serait emporté lui-même avec son système, avec sa politique, avec l’ordre européen, dont il se croyait toujours le gardien privilégié.
Il y a plusieurs périodes dans les rapports du chancelier de cour et d’état avec la monarchie de 1830, il y a plusieurs phases d’une même politique. La première est cette période orageuse, troublée, où se pressent et se succèdent tous ces incidens : — la révolution belge, l’insurrection de Pologne, les mouvemens italiens, les agitations allemandes, — et où la guerre semble à tout instant près d’éclater. M. de Metternich ne s’y trompait pas. Il craignait tout : il craignait les incidens qui pouvaient de jouer tous les calculs ; il craignait encore plus les idées que la France de juillet représentait, surtout ce principe de non-intervention dont elle s’armait un peu au hasard pour la protection de la liberté des peuples, pour sa propre défense contre les politiques absolutistes. La difficulté était d’autant plus grande pour lui qu’il voyait partout l’Europe divisée ou indécise. D’un côté, la révolution de 1830 trouvait presque aussitôt un appui, une sorte de popularité à Londres. L’Angleterre, représentée d’abord par les tories avec le duc de Wellington et lord Aberdeen, puis bientôt par les whigs avec lord Grey et lord Palmerston, n’entendait sûrement pas favoriser les ambitions de la France et nous livrer les traités de 1815 ; elle cédait à un entraînement libéral et un peu aussi au ressentiment contre les Bourbons, dont le dernier acte avait été l’expédition d’Alger. Elle se laissait facilement persuader par le premier envoyé du roi Louis-Philippe, M. de Talleyrand, qui mettait son habileté et son orgueil à conquérir l’alliance anglaise pour le nouveau régime. L’Angleterre était peut-être une alliée peu sûre ; elle était dans tous les cas une alliée utile pour un gouvernement naissant. — D’un autre côté, à ces premiers momens, le chancelier d’Autriche n’était pas aussi sûr qu’il le disait et qu’on le croyait à Paris de la Russie et de la Prusse. Il y avait sans doute l’alliance intime, spontanée, des antipathies contre ce qui venait de se passer en France, il n’y avait pas une alliance précise. M. de Metternich, sous le coup de la révolution de Juillet, avait pu tout au plus signer avec M. de Nesselrode ce qu’il appelait le « chiffon de Carlsbad, » une sorte de mémorandum sommaire et vague, qui restait par le fait dénué de sanction et d’efficacité. On ne s’était entendu ni sur un système d’action, ni même sur une manière commune de reconnaître le nouveau gouvernement français. M. de Metternich s’en plaignait vivement dans le secret de ses correspondances : il se sentait isolé !
Réduit à ses propres ressources, entre la révolution victorieuse à Paris et des alliances détruites ou mal assurées, le chancelier procédait en tacticien habile à masquer son isolement, à maintenir sa position, s’engageant peu dans l’affaire belge ou dans l’affaire polonaise, concentrant ses efforts en Italie, où il se sentait menacé par les insurrections. Il n’avait pas tardé à démêler que la France de juillet, même quand elle se livrait aux plus bruyantes démonstrations, même quand elle tentait le coup de main d’Ancone, avait le désir et la volonté sincère de la paix, que le nouveau roi surtout ne voulait pas la guerre : il ne la voulait pas non plus ! C’était un premier point fixe dans le tourbillon des démêlés du jour. Le reste était l’affaire d’une diplomatie ingénieuse à passer à travers les complications, alliant la fermeté à la souplesse. Le chancelier, qui en avait vu bien d’autres depuis vingt-cinq ans, jouait un jeu serré.
Tantôt, quand tout s’aggravait en Italie, quand, à l’entrée des Autrichiens dans les légations, la France répondait par le principe de non-intervention ou par une intervention contraire, il prenait un accent de résolution. Il déclarait qu’il ne reconnaîtrait jamais le principe meurtrier qu’on lui opposait, que si on prétendait l’intimider par des menaces, on se trompait. « L’empereur, écrivait-il à son représentant à Paris, au comte Apponyi, ne consulte pas un sentiment pareil. Il ne veut pas la guerre, mais il l’acceptera, si les moyens de l’éviter sont épuisés. Ce que jamais il n’acceptera, c’est l’anarchie en Italie. Celle-ci pourra s’y établir sur les ruines de la puissance autrichienne, jamais du plein gré de notre auguste maître. » Dans ses entretiens avec l’ambassadeur de France à Vienne, le maréchal Maison, qu’il avait facilement séduit, il ne cessait de répéter que, « péril pour péril, il préférait un champ de bataille à une révolution. » — « Si l’intervention de l’Autriche en Italie doit amener la guerre, disait-il d’un ton de défi, Eh bien ! vienne la guerre. Nous aimons mieux en courir les chances que d’être exposés à périr au milieu des émeutes. » — Tantôt, dès qu’il avait vu surtout Casimir Perier s’élancer au pouvoir avec le feu d’un athlète résolu à combattre la révolution, M. de Metternich modérait son ton. Il sentait le prix d’un tel homme et la force de sa politique. Il ménageait le gouvernement français ; il le stimulait aussi, employant tour à tour les caresses ou l’aiguillon, s’étudiant au besoin à inquiéter le sentiment dynastique du roi Louis-Philippe. Il lui montrait le bonapartisme partout, — faisant cause commune avec les révolutionnaires italiens, briguant le trône de Belgique par la candidature du duc de Leuchtemberg. Il insinuait adroitement qu’on « devrait lui savoir gré de sa conduite correcte à l’égard de Napoléon II, » que s’il plaisait au roi des Français de « jouer le rôle de conquérant ou de chef de la propagande révolutionnaire, » l’Autriche pourrait se défendre. « Attaqués dans nos derniers retranchemens, disait-il, nous ne sommes pas assez anges pour ne pas faire feu de toutes nos batteries. » Et peu après, au moment où s’éteignait celui qu’il appelait Napoléon II, le duc de Reichstadt, il écrivait à son ambassadeur ces mots singuliers qui, dix-huit ans plus tard, devaient être une réalité : « Je vous prie de rendre le roi Louis-Philippe attentif au personnage qui succédera au duc de Reichstadt… Le jeune Louis Bonaparte est un homme engagé dans les trames des sectes. Il n’est pas placé, comme le duc de Reichstadt, sous la sauvegarde des principes de l’empereur. Le jour du décès du duc, il se regardera comme appelé à la tête de la république française. »
Entre l’habile homme qui se croyait plus que jamais le dernier champion de la paix européenne, de l’ordre universel, et un gouvernement nouveau qui travaillait courageusement à se dégager des solidarités révolutionnaires sans abaisser son drapeau, sans désavouer son principe, c’était, pendant plus de deux années, une lutte des plus vives, mêlée de négociations, de chocs intimes, de rapprochemens et même parfois de scènes piquantes. Le résultat avait été en définitive pour l’Europe de passer à travers toutes ces affaires belges, polonaises, italiennes, en évitant hi guerre, qu’on ne désirait ni à Vienne ni à Paris.
Qu’est-ce que M. de Metternich dans cette première période du lendemain de 1830 ? C’est un politique expérimenté et délié, tenant tête à l’orage sans rien pousser à l’extrême, mesurant sa diplomatie aux circonstances, cédant à la nécessité avec mille réserves, et poursuivant à travers tout l’idée de renouer quelques-uns des fils des anciennes coalitions, de refaire au centre de l’Europe une force de résistance contre-révolutionnaire par ce qu’il appelle « l’union des trois cours. » C’était son rêve, son idée fixe depuis juillet ! Il avait vainement multiplié ses tentatives en pleine crise. Il croyait sans doute avoir touché enfin le but, le jour où il réussissait en pleine paix, vers l’été de 1833, à préparer une de ces réunions de souverains où se plaisait sa diplomatie. Jusqu’au dernier moment, le secret avait été gardé, surtout à l’égard de la France. Les souverains d’Autriche, de Russie et de Prusse devaient se rencontrer dans une obscure et assez maussade petite ville de Bohème, à Munchengrætz. Quel était l’objet de cette réunion, qui ne laissait pas d’être contrariée dans les détails, et où chacun portait ses préoccupations : — M. de Metternich son goût des démonstrations et des grandes combinaisons, l’empereur Nicolas sa violente inimitié contre la France de 1830 et contre le roi Louis-Philippe, la Prusse ses arrière-pensées de prudence méticuleuse ? Ce n’est pas sans peine, ce n’est pas sans bien des négociations et des difficultés intimes, à dire vrai, qu’on finissait par s’entendre. L’Autriche, la Russie et la Prusse, par une sorte de traité, opposaient d’un commun accord au principe français de la non-intervention le droit pour les souverains de recourir à de plus puissans qu’eux s’ils en avaient besoin. Les trois puissances, de plus, s’engageaient à se soutenir mutuellement si l’une d’elles veinait à être attaquée à la suite d’une intervention réclamée par le prince légitime. Enfin l’accord des trois cabinets devait être notifié à la France.
Munchengrætz complété deux ans plus tard par une autre entrevue des souverains à Teplitz, c’est le rêve de M. de Metternich réalisé, c’est « l’union des trois cours, » ou ce qui depuis s’est longtemps appelé « l’alliance du Nord ! » Le chancelier s’était évidemment flatté d’en imposer par l’acte d’ostentation de Munchengrætz ; il avait compté, comme il le disait avec une complaisante fatuité, que M. de Broglie, alors ministre des affaires étrangères de France, ne saurait que répondre, qu’il n’aurait à opposer aux communications des trois cours « autre chose qu’un auguste silence, le silence que la doctrine commande aux adeptes quand ils ne savent que dire… » Il s’était trompé dans ses prévisions : le duc de Broglie relevait, avec mesure vis-à-vis de la Prusse, avec un froid dédain pour la Russie, avec une hautaine raideur à l’égard de l’Autriche, une manifestation gratuite d’hostilité qui ne répondait plus à rien, qui se produisait à un moment où toutes les questions irritantes semblaient assoupies. Le fait est que, pour une résurrection ou une simulation de sainte-alliance, c’était médiocre, et que le chancelier, à demi déconcerté d’avoir si peu réussi, n’avait d’autre moyen de se venger que de se débattre dans de vaines subtilités, ou de prétendre que M. de Broglie « faisait de la politique bien pitoyable. »
Le résultat n’était rien dans l’entrevue de Munchengrætz comme dans l’entrevue de Teplitz, qui devait venir plus tard, mais il y avait l’apparence, l’ostentation, que le chancelier ne dédaignait pas. Par cette rencontre patiemment préparée, entre des souverains qui ne s’étaient pas vus depuis dix ans, M. de Metternich semblait renouer la chaîne des réunions d’autrefois, de Troppau ou de Laybach. Il retrouvait une de ces occasions où il apparaissait comme un arbitre recherché des princes qui lui demandaient conseil, au milieu d’une cour de diplomates de tous les pays, empressés à interroger ses pensées les plus secrètes. L’empereur Nicolas lui-même, arrivant en Bohême, lui disait galamment : « Je viens ici pour me mettre sous les ordres de mon chef ; je compte sur vous pour me faire signe si je commets des fautes… » Au besoin, le tsar ajoutait : « Conservez-vous, vous êtes notre clé de voûte ! » M. de Metternich ne disait pas le contraire. Après vingt-cinq années de pouvoir, il se revoyait avec la même influence, avec une importance qui allait grandir encore, s’il est possible, par un événement survenu dans l’intervalle, entre Munchengrætz et Teplitz, — la mort de l’empereur François. Le chancelier était tout déjà sous un prince simple, laborieux, sensé, qui avait, aux yeux de l’Autriche, le prestige des revers subis avec constance et glorieusement réparés, d’une fortune portée avec modestie dans un règne de près d’un demi-siècle ; il était bien plus nécessaire encore sous le successeur, l’empereur Ferdinand, prince bien intentionné, mais étroit, médiocre, ignorant de tout. Le chancelier se sentait flatté, presque exalté dans son orgueil de la facilité qui avait marqué le changement de règne et qu’il s’attribuait à lui-même. « Ici, écrivait-il à un de ses ambassadeurs, les choses vont comme si rien n’était arrivé… L’art a consisté à ne point être pris au dépourvu… J’ai beaucoup fait et j’ai bien fait, je ne demande plus rien aux hommes… Quant à l’avenir, arrêtez-vous à ceci, qu’il est bien plus facile de maintenir dans les bonnes voies ce qui y est placé qu’il ne l’est d’y faire rentrer ce qui n’y est plus… J’admets que l’empereur Ferdinand ait besoin d’être guidé ; je n’admets pas qu’il soit facile de le faire sortir de la voie toute tracée… » Plus que jamais, le chancelier de cour et d’état se sentait dans l’éclat de son ascendant, maître de l’Autriche, gouvernant encore l’Allemagne, contenant l’Italie, surveillant partout la révolution, maniant avec dextérité les affaires de l’Europe.
Il avait alors pour compagne ou pour complice dans son grand rôle la nouvelle princesse de Metternich, sa troisième femme. Sa première femme, de la famille des Kaunitz, était venue mourir à Paris, en 1825, après une longue union. La seconde, Antoinette de Leykam, faite pour la circonstance comtesse de Beilstein par l’empereur, lui avait été brusquement enlevée après moins de deux ans de mariage. Au soir de la vie, avec la facilité d’une nature prompte à se relever des douleurs en apparence les plus inconsolables, il avait épousé en troisièmes noces, — 1831, — la comtesse Mélanie de Zichy-Ferraris : personne d’élite qui portait dans sa maison l’éclat de la jeunesse, un esprit vif, une haute éducation-mondaine, avec l’orgueil de partager une illustre fortune et le goût féminin de la domination. La troisième Mme de Metternich a laissé un Journal souvent insignifiant, quelquefois curieux, qui est comme la partie intime des Mémoires du prince, en même temps que la relation naïve de la vie, des pensées, des impressions de cette brillante femme. Avec elle, la chancellerie s’était complétée par un salon hospitalier qui avait parfois ses grandes réceptions peuplées d’archiducs et de princes, qui avait aussi ses réunions plus libres, plus familières, où passaient tour à tour les voyageurs de distinction, comme Berryer ou Balzac, Marmont ou Humboldt, les ambassadeurs et les ministres de tous les pays. Mme de Metternich se défendait volontiers d’avoir une influence dans les affaires et de se mêler de politique. Elle s’en mêlait souvent plus qu’elle ne l’avouait, et sa vanité, on le voit dans son Journal, ne résistait pas au plaisir de donner des consultations, de dire de « fortes vérités, » ou à une flatterie de l’empereur Nicolas recherchant son approbation. Elle représentait en politique le plus pur esprit d’ancien régime.
Elle avait surtout une antipathie de grande dame contre la France de juillet, contre le roi Louis-Philippe, et elle ne laissait pas de créer quelquefois des embarras au chancelier : témoin son aventure de bal avec M. de Sainte-Aulaire, qui venait d’arriver à Vienne comme ambassadeur à la place du maréchal Maison, et avec qui, d’ailleurs, elle n’avait eu dès l’abord que de gracieuses relations. A M. de Sainte-Aulaire admirant une couronne de diamans qui ornait son front, elle répondait lestement : « Ma couronne est ce qu’elle est ; si elle n’était pas ma propriété, je ne la porterais pas, elle n’a pas été volée ! » L’allusion pouvait passer pour impertinente. Ce fut sur le moment une grosse affaire qui allait retentir à Paris, où les journaux royalistes se hâtaient d’envenimer le propos en le commentant. L’ambassadeur, homme de bon ton et de bon esprit, était d’abord un peu embarrassé, ne sachant s’il devait se fâcher ou traiter légèrement une parole légère. On négocia moitié sérieusement, moitié plaisamment. Le chancelier dut intervenir pour dégager la princesse avec son aisance mondaine. Il arrangeait tout en redoublant de soins avec un ambassadeur qu’il goûtait, en évitant, dans ses relations avec l’ancienne famille royale réfugiée à Prague, tout ce qui aurait pu offusquer le gouvernement de Paris, en traitant même assez vertement les légitimistes français et leur opposition. La vérité, M. de Sainte-Aulaire l’avait laissé entrevoir, dès son arrivée à Vienne, même avant sa mésaventure, en écrivant à Paris : « Ce que j’ai déjà bien vu, c’est qu’on nous déteste, personnes et choses, ne nous flattons pas à cet égard ; mais la cour et les ministres sont généralement sans passion… Ils cherchent bonnement leurs intérêts, aiment le repos et la paix, et se coucheront près de nous si nous ne les empêchons pas de dormir… »
Au fond, M. de Metternich n’était un ennemi que dans ces limites. Il se piquait d’être modéré en toutes choses. Il n’était pas insensible aux énergiques et heureux efforts du gouvernement de Juillet pour se dégager des fatalités de son origine, la révolution et la guerre. Il reconnaissait les progrès que la monarchie nouvelle avait faits en peu de temps, la place qu’elle avait conquise en Europe ; il ne refusait même pas d’avoir des alliances avec elle et de la faire entrer dans ses combinaisons s’il y voyait son intérêt. Il gardait néanmoins toujours ses doutes, et il mettait d’étranges réserves jusque dans les intimités auxquelles il se prêtait. Quand il se tournait vers la France, selon le mot spirituel d’un des ministres du roi Louis-Philippe, il avait l’air d’un homme avançant sa main pour la poser sur un fagot d’épines et la retirant aussitôt. C’est la clé de sa politique et de ses rapports pendant les dix-huit années de règne. Je voudrais serrer de plus près cette politique et ces rapports du chancelier de Vienne avec la monarchie de 1830, avec ceux qui l’ont représentée sur la scène publique.
A dire vrai, M. de Metternich mettait un peu de tout dans sa diplomatie. En homme qui pouvait se vanter d’avoir vu déjà passer « vingt-huit ministres des affaires étrangères en France, » il restait toujours assez sceptique à l’égard des ministres nouveaux. Il les jugeait quelquefois avec finesse, souvent avec une légèreté superbe, comme les représentans éphémères d’un régime, « jouet perpétuel d’intrigues et de passions. » Même avec le plus grand de tous, avec Casimir Perier, dont il avait un moment subi l’ascendant, il ne s’était jamais départi d’une certaine défiance. Il sentait en lui l’homme d’état fait pour le commandement et gêné ou emporté par sa situation. Il le ménageait et il le craignait visiblement, jusqu’au jour où il disait lui aussi : « Qui osera reprendre le rôle de M. Casimir Perier ? » Le duc de Broglie, par sa fierté de grand seigneur libéral, par l’allure de son esprit, avait particulièrement le don de l’irriter ou, si l’on veut, de l’agacer. Il voyait dans le ministre des affaires étrangères du 11 octobre le modèle des doctrinaires, et il accusait les doctrinaires d’être « les hommes les plus habiles à tout perdre et les moins capables de rien sauver… » C’était sa plus vive antipathie ! M. Thiers, dont il ne méconnaissait pas les qualités brillantes, qu’il préférait même aux doctrinaires, lui semblait un parvenu « de trop peu de poids, » dangereux comme président du conseil et ministre des affaires étrangères, supérieur dans le « maniement des partis en France, » peu fait « pour représenter son pays en face de l’Europe. » M. Molé l’attirait par sa tenue, par son habitude des grandes affaires, peut-être aussi parce qu’il était moins que les autres hommes un a homme de juillet. » Celui qui devait avant la fin du règne avoir, le plus sa confiance, c’est M. Guizot, à qui il pardonnait presque d’avoir été doctrinaire. Il les a tous marqués d’un trait dans ses Mémoires ; mais à travers les ministres qui se succédaient, le chancelier voyait avant tout le roi, dont il n’avait pas tardé à démêler les idées, l’action personnelle et la tactique. « Dans la boutique, disait-il familièrement, il n’y a aucun homme de caractère, si ce n’est le roi lui-même… » Dès les premières années, on pourrait dire dès les premiers mois, le chancelier et le prince s’étaient compris, et un des phénomènes les plus curieux du temps est cette intimité croissante, familière, toujours libre, de deux personnages si différens de l’histoire.
Devenu le roi de la révolution, Louis-Philippe était entré dans le règne avec un esprit ferme, le goût du gouvernement, l’expérience des affaires, surtout avec la volonté généreuse au tant que prévoyante de détourner de la France l’anarchie intérieure et les périls de la guerre. Sans manquer aux règles constitutionnelles, sans diminuer les ministres, il entendait sûrement avoir, lui aussi, ses opinions, son influence ; il avait un sentiment élevé de sa responsabilité morale. Il pouvait plier en apparence ou pour un moment avec des hommes comme Casimir Perier ; il suivait ses idées avec une persévérance souple, quelquefois avec résolution, quand il voyait les intérêts extérieurs du pays en jeu. Il avait sa politique, il ne la cachait pas, il la développait au contraire à tout propos, avec une inépuisable facilité de parole, dans ses conversations avec les représentons étrangers, M. Apponyi, M. Pozzo di Borgo, M. de Werther. Il se plaisait à ces entretiens où il émerveillait et rassurait ses interlocuteurs, où il parlait souvent aussi de ses difficultés intérieures avec ses cabinets, qu’il appelait ses « relais de poste, » et d’où les ambassadeurs sortaient avec l’impression que le roi était « le maître, le directeur » de la politique en France, que sa volonté aurait toujours le dernier mot. Le roi était et tenait à paraître son propre ministre des affaires étrangères en dehors de sa diplomatie officielle. A son avènement, Louis-Philippe, d’intelligence avec M. de Talleyrand, envoyé à Londres, avait su s’assurer l’alliance anglaise, qui l’avait aidé à traverser les premières crises du règne. Il en sentait le prix, il en avait peut-être l’illusion. Il avait pu ainsi maintenir un camp de diplomatie libérale opposé au camp absolutiste en Europe. C’était sa force ; c’était le secret du traité qu’il signait encore avec l’Angleterre en 1834, au début de la guerre civile espagnole, en faveur de la royauté libérale d’Isabelle II ; mais il n’en était plus déjà à se contenter de l’alliance anglaise, que l’humeur querelleuse et jalouse de lord Palmerston rendait bientôt pesante. Il commençait à tourner ses regards vers le continent, à chercher d’autres alliances. Il voulait entrer dans la famille des rois, il s’étudiait à gagner les cours, et c’est là qu’il rencontrait l’oracle de la politique européenne, M. de Metternich. Le roi n’avait pas tardé à avoir ses intelligences secrètes à Vienne. Il avait pris pour premier confident le comte Apponyi, et par lui il suivait une conversation familière, presque continue, sur toute chose, avec le chancelier. C’est l’origine de ces relations demeurées longtemps mystérieuses, même pour les ministres et pour l’ambassadeur de France à Vienne.
De son côté, M. de Metternich s’était prêté volontiers à cette diplomatie intime. Il avait connu Louis-Philippe autrefois dans l’émigration ; il l’avait revu sous la restauration, en 1825, au Palais-Royal. Il le retrouvait chef couronné d’une révolution pour laquelle il n’avait que défiance, qu’il considérait toujours comme le grand trouble-fête en Europe, mais qu’il était intéressé à surveiller. Le chancelier n’avait eu aucune peine à démêler le caractère, la politique, l’action personnelle d’un prince qui, dans une position embarrassée, montrait, avec la volonté de régner, un esprit aussi prévoyant que ferme, un attachement profond pour la paix et une expérience supérieure des affaires diplomatiques. Il n’avait vu qu’avantage à entrer dans ces relations secrètes. « Les explications confidentielles dans lesquelles le roi Louis-Philippe me permet d’entrer avec lui, disait-il, la facilité que ce prince met à nous rendre compte de sa propre pensée, offrent, dans une situation difficile, de grands avantages à ce que je qualifie, sans hésitation, de cause générale et commune… » Il n’aimait pas la révolution de Juillet, il -s’intéressait au prince, et il écrivait un autre jour : « Le roi Louis-Philippe a positivement une haute intelligence, et il en a certes besoin pour suffire à la charge qui pèse sur lui, il a acquis bien de l’expérience sur un champ qui non-seulement n’avait pas été le sien, mais qu’il avait attaqué, tandis qu’aujourd’hui il doit le défendre… » Le chancelier avait promptement saisi un des faibles du souverain français, le goût des conversations. « Louis-Philippe est causeur, disait-il ; il faudrait lui envoyer un sourd-muet pour empêcher qu’on lui répondît. « Il en profitait. Par M. Apponyi, par le prince Esterhazy, ambassadeur d’Autriche à Londres, par M. de Chabot, que le roi lui envoyait à un certain moment, il transmettait ses impressions, ses opinions et même ses conseils. Ce n’était pourtant pas si secret que le ministre de Sardaigne à Vienne, le comte Pralormo, ne pût écrire à sa cour dès 1834 : a Le chancelier d’état a pris envers Louis-Philippe le rôle de pédagogue et de mentor politique. Il lui prodigue les conseils, les exhortations, les admonitions, le tout mêlé de quelques flagorneries sur la haute capacité et l’intelligence du roi. De son côté, le roi n’épargne au prince ni les complimens ni les flatteries… »
L’art de M. de Metternich dans ces relations était, en effet, d’envelopper de banalités de courtisan ses conseils de haute politique et ses théories de contre-révolution, de gagner la confiance de Louis-Philippe en le touchant aux points sensibles. Il était bien sûr de remuer la fibre la plus délicate du roi en l’encourageant dans ses goûts de gouvernement personnel, en le flattant dans ses révoltes contre l’omnipotence parlementaire, en lui suggérant un jour l’idée d’abroger l’anniversaire du 27 juillet 1830, de ne laisser subsister que l’anniversaire du 7 août. « L’un est la mort, disait-il, l’autre est la renaissance… » Il avait surtout l’habileté de faire toujours une distinction entre le souverain et ses conseillers. Il n’était pas le seul : la plupart des représentans étrangers avaient fini par l’imiter en allant droit au roi en dehors des ministres. Plus que tout autre, le chancelier usait de cette tactique. Il ne ménageait ni les récriminations amères ni les boutades aux ministres, à M. de Broglie, à M. Thiers, qu’il accusait de toutes les fautes de la politique française ; au roi seul il attribuait tout ce qui se faisait de bien en France, les résolutions les plus sages, la paix maintenue, l’ordre défendu et rétabli : « La cause que nous désirons servir aujourd’hui, faisait-il dire confidentiellement à Paris, c’est le rétablissement de l’autorité en France, et Louis-Philippe doit à cet égard être de notre avis… » Rien ne pouvait toucher plus intimement un prince jaloux de son autorité. Le roi n’avait pas besoin d’être aiguillonné. Il avait un sentiment si vif de son pouvoir, peut-être de son infaillibilité, que plus tard, lorsqu’il croyait avoir trouvé le vrai ministre de son choix, il finissait par gourmander presque M. de Metternich lui-même pour quelques complimens envoyés à M. Guizot : «… Je suis enchanté, disait-il au comte Apponyi, du suffrage donné par le prince de Metternich à M. Guizot : il est mérité, bien mérité, j’aime à en convenir ; mais il ne faut jamais laisser croire à ces messieurs qu’ils peuvent réussir en quoi que ce soit sans le roi… Je sais bien que M. de Metternich ne veut que ménager M. Guizot, il a raison de le faire ; mais le ministre ne doit jamais oublier qu’il n’est rien sans le roi, qu’il ne peut jamais s’en passer. C’est un avertissement que je veux vous donner, car les intentions du prince de Metternich à mon égard me sont trop connues… »
Ils s’entendaient donc, l’un et l’autre, le roi et le chancelier, sur bien des points de la politique. Il n’y avait pas un événement, pas une question qui ne fût l’occasion d’un échange mystérieux d’explications entre Paris et vienne. Au moment où s’ouvrait la succession d’Espagne, Louis-Philippe, s’il eût suivi son sentiment secret, se serait prononcé pour le principe de l’hérédité salique à Madrid, et il était en cela d’intelligence avec le chancelier, à qui il faisait savoir que « sa gêne provenait de l’esprit de son conseil et des engagemens qu’il avait contractés. » Le refus absolu qu’il opposa toujours depuis à une intervention au-delà des Pyrénées, même après avoir définitivement pris parti pour la royauté d’Isabelle II, était un gage offert aux cours conservatrices, qui lui en savaient gré. Lorsque M. de Metternich mettait toute sa dextérité ou sa perfidie à ruiner l’alliance anglaise aux Tuileries, à démontrer que cette alliance ne pouvait qu’être onéreuse pour la France, que lord Palmerston était le plus dangereux des alliés, le roi ne laissait pas d’écouter favorablement le chancelier d’Autriche. Ils étaient d’accord « en principe » sur bien des choses, au moins dans l’intimité. Ils ne s’entendaient cependant, il faut l’avouer, qu’en faisant leurs réserves, en gardant pour ainsi dire leurs positions, et un des incidens les plus curieux, les moins connus du règne dévoilait bientôt le conflit des arrière-pensées : c’est l’épisode du voyage des princes français en Europe et du projet de mariage formé pour le duc d’Orléans.
C’était tout un imbroglio assez singulier. Évidemment, le roi Louis-Philippe ne s’efforçait pas de désarmer les cours conservatrices du continent et n’entrait pas dans une intime familiarité avec le chancelier d’Autriche sans avoir ses raisons. Il calculait en fondateur de dynastie ; il voulait forcer le blocus politique maintenu contre lui en Europe, surtout ce qu’on appelait alors le « blocus matrimonial » organisé contre les princes français, et allant droit à la difficulté, sans se laisser troubler par le souvenir de deux expériences peu encourageantes, il avait rêvé pour son fils, pour l’héritier de sa couronne, un mariage autrichien. Un voyage des jeunes princes, du duc d’Orléans et du duc de Nemours, en Europe devait être le préliminaire de la conquête d’une archiduchesse. M. de Metternich n’était pas assez novice pour n’avoir rien soupçonné ; il jouait néanmoins la surprise en apprenant une nouvelle qu’il traitait de « saugrenue, » qu’il recevait, disait-il, comme « une tuile sur la tête. » Il trouvait qu’on allait trop vite à Paris, que le voyage des princes en Europe, surtout à Vienne, serait prématuré. Sans décliner tout à fait la visite, en promettant au contraire aux princes l’accueil dû aux fils du roi des Français et à des parens, il éludait ; il cherchait des prétextes d’ajournement, et il était aidé précisément à cette époque, — 1835, — par l’événement qu’il avait le moins prévu, — la mort de l’empereur François. Il se croyait délivré I Mais le roi Louis-Philippe tenait à sa pensée. La reine Marie-Amélie elle-même caressait le projet de mariage avec sa tendresse de mère, et, chose à remarquer, le jeune président du conseil qui arrivait à la direction des affaires le 22 février 1836, M. Thiers, semblait plus ardent encore que la reine et le roi. Il subordonnait pour le moment toute la politique française à la grande idée ! L’ambassadeur de France à Vienne, M. de Sainte-Aulaire, homme d’un esprit fin et sensé, ne cachait pas, il est vrai, qu’il n’y avait guère de chance de succès, que mieux vaudrait attendre. Le roi brûlait d’en finir ; M. Thiers écrivait, avec sa familiarité hardie, qu’il fallait « aborder de telles affaires de front, livrer la bataille avec toutes ses forces, » — et, aux premiers jours de mai 1836, le duc d’Orléans et le duc de Nemours quittaient Paris pour leur tournée européenne.
Les deux princes étaient alors des modèles, l’un par son allure élégante, par sa fierté aisée, par la grâce de son visage et de son esprit, l’autre par sa dignité simple et modeste. Ils avaient commencé leur voyage par Berlin, où ils gagnaient promptement le vieux roi Frédéric-Guillaume III et tout le monde de la cour, le prince Wittgenstein, qui déclarait qu’il n’y avait rien de mieux que ces jeunes gens, le ministre des affaires étrangères, M. Ancillon, qui écrivait que « les mécontens eux-mêmes avaient été réduits au silence ; » mais ce qui se passait à Berlin n’était que le prélude de la vraie et décisive « bataille » qui devait se livrer à Vienne, où les jeunes gens étaient attendus avec une certaine curiosité, où M. de Sainte-Aulaire avait habilement préparé leur arrivée. En quelques jours, le duc d’Orléans et le duc de Nemours avaient réussi à dissiper toutes les préventions et à séduire cette vieille aristocratie autrichienne par leur tenue, par leur tact. La difficile princesse de Metternich elle-même, quelque peu guindée d’abord et exigeante sur les hommages qui lui étaient dus, finissait par s’adoucir. Elle a écrit assez plaisamment dans son Journal : « A huit heures, je suis allée chez Sainte-Aulaire. Je dois l’avouer, j’étais légèrement irritée. Je trouvais inconvenant que ces princes ne fussent pas venus chez moi et qu’il me fallût venir les chercher chez l’ambassadeur. L’air embarrassé de Sainte-Aulaire me rendit mon calme. Il me présenta le duc d’Orléans, qui est grand et d’un extérieur agréable. La conversation a été aussi insignifiante que possible… » La fière princesse ne dédaignait pas, le lendemain, d’ouvrir un bal avec le duc d’Orléans, et, après une de ses réceptions, elle écrit dans son Journal : « J’ai eu une agréable soirée, très animée et très jolie. Les princes ont soupe chez moi, et, en se retirant, ils m’ont remerciée de mon hospitalité… » C’était fort heureux que Mme de Metternich voulût bien reconnaître la bonne éducation de ces princes « révolutionnaires, » qui pouvaient passer après tout pour les premiers gentilshommes de l’Europe. Le chancelier, pour sa part, n’hésitait point à déclarer qu’ils étaient parfaits de ton, de manières, qu’ils laissaient la plus favorable impression à Vienne. Tout ce qui était faveur apparente, sympathie publique, politesse de cour, les princes l’avaient gagné par leur bonne grâce. Restait cependant la grande affaire pour laquelle ils avaient été envoyés à Vienne, la « bataille » dont M. Thiers avait parlé, et c’est là que se retrouvait le vieil esprit d’absolutisme, tenace, invincible dans ses défiances et ses antipathies secrètes. Au premier abord, il est vrai, le succès aurait pu n’être point impossible. L’archiduchesse Thérèse, choisie pour un mariage avec le duc d’Orléans, ne semblait pas éloignée d’accepter la destinée d’une princesse royale de France. Elle était vivement encouragée dans son goût par ses frères, dont l’un, l’archiduc Albert, devait être un jour le généralissime habile et heureux des armées autrichiennes, et son père, l’illustre archiduc Charles, l’ancien adversaire de Napoléon, avait été séduit par le jeune prince français. Les sympathies de l’archiduc Charles et de sa fille se manifestaient même dans une scène pathétique dont le duc d’Orléans avait la délicatesse de ne point abuser. L’opposition venait de l’empereur Ferdinand, de l’archiduc Louis, qui avait alors une part prépondérante dans le gouvernement, de l’archiduchesse Sophie, la mère de l’empereur François-Joseph, aujourd’hui régnant. Le duc d’Orléans quittait vienne sans avoir conquis sa princesse ; rien du moins n’avait été décidé. Un instant encore, après la rentrée des princes à Paris, une dernière tentative était faite par M. Thiers, dans une lettre d’un langage élevé et pressant, destinée à M. de Metternich, — par le duc d’Orléans lui-même auprès de l’archiduc Charles ; on n’obtenait cette fois qu’un refus définitif, absolu et poli. Le chancelier, qui, sûrement, n’avait point été étranger aux résolutions de la cour-de vienne, restait chargé de couvrir la retraite, d’atténuer ce qu’il y avait de désobligeant dans ce refus. Il invoquait la timidité de l’archiduchesse, le péril, les attentats, — et il y en avait en 1836 comme en 1835, — auxquels la famille royale de France ne cessait d’être exposée. Il se plaignait de la précipitation qu’on avait mise dans une telle affaire ; « on n’enlève rien d’assaut à Vienne, disait-il, ni le cabinet ni une princesse. » Et, peu après, dans ses lettres confidentielles à son ambassadeur à Paris, il avouait la vraie raison : « Personne, ajoutait-il, ne mettra en doute que la maison d’Orléans ne soit une grande et illustre maison ; c’est le trône du 7 août qui la rapetisse. Le duc de Chartres eût été un parti plus désirable ; le prince royal des Français ne l’est pas… »
Éternelle dérision de la prévoyance des hommes d’état ! on refusait l’archiduchesse Thérèse au duc d’Orléans parce qu’il y avait trop de périls, parce qu’on voyait toujours la révolution près de se déchaîner en France ; on la donnait peu après, pour plus de sûreté, au roi Ferdinand de Naples, — et depuis longtemps les Bourbons napolitains, découronnés à leur tour par les révolutions, ont cessé de régner !
Ce n’était sans doute qu’un incident dynastique. Tel qu’il était, il éclairait et résumait une situation, la nature des rapports de la royauté de Juillet avec les vieilles cours. M. de Metternich allait bien jusqu’à une « amitié de raison, » pour parler son langage ; il ne voulait pas aller jusqu’à un mariage de raison politique, par lequel l’Autriche aurait paru se séparer de ses alliances absolutistes pour se rapprocher d’une puissance révolutionnaire. Il ajoutait de son ton sentencieux : « Nous professons la religion dans laquelle nous sommes nés, le roi des Français a abjuré cette religion… » Peut-être jugeait-il plus simplement que c’était assez, dans sa carrière, du mariage de Marie-Louise ! Il restait à savoir quelle serait l’influence du refus autrichien sur les relations entre Paris et Vienne. M. Thiers n’avait pas caché que la France ressentirait l’injure faite à ses princes, qu’elle pourrait le montrer dans sa politique ; — et, en effet, après avoir essayé sans succès « un peu de sainte-alliance, » comme il le disait, le chef du cabinet des Tuileries tentait de se dédommager par a un peu de révolution, » en proposant une intervention en Espagne. Le roi Louis-Philippe n’était pas moins sensible que son jeune président du conseil à la mésaventure de Vienne ; il se gardait toutefois de céder à ses ressentimens, de mettre du dépit dans sa politique, — et, loin de suivre M. Thiers dans ses projets d’intervention au-delà des Pyrénées, il se hâtait de l’arrêter, au risque de braver une crise ministérielle de plus. M. de Metternich, de son côté, en se refusant à un mariage qui « aurait été, disait-il, une faute de part et d’autre, » ne voulait pas aller plus loin. Il s’étudiait, au contraire, à guérir par ses explications la blessure qu’il avait faite. Il s’intéressait même, peu après, au mariage du duc d’Orléans avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Il redoublait de ménagemens, de flatteries à l’égard du souverain français, et affectait de reprendre avec lui ses habitudes de consultations secrètes. Rien ne paraissait changé ; les relations entre les Tuileries et vienne restaient ce qu’elles étaient avant le projet de mariage, tour à tour captieuses ou bienveillantes, mêlées de petites duplicités, de réserves, de confidences et de discours à perte de vue sur « les difficultés du temps. »
A mesure qu’on avançait dans le règne et que les questions se multipliaient en Suisse ou en Italie, en Espagne ou en Orient, la monarchie de Juillet avait pris visiblement les caractères d’une puissance établie. Elle avait donné plus d’un gage de sa modération dans les affaires européennes, de sa fermeté dans la défense de l’ordre et de la paix. M. de Metternich le reconnaissait jusqu’à un certain point ; il en faisait surtout honneur au roi, dont il admirait la patience avisée au milieu des partis, la sagesse et la dextérité dans les momens difficiles. Il n’en était pas plus rassuré ; tout au plus convenait-il que la « maladie de Juillet, » comme il l’appelait, au lieu d’être « inflammatoire, » n’était plus que « chronique » et laissait vivre le malade. Il ne cessait de voir dans la France de 1830 la nation agitée et agitatrice, à peine contenue par son prince, toujours prête aux éruptions révolutionnaires et aux impatiences guerrières. Il la jugeait à sa manière, comme il la voyait avec ses préventions, — « voulante, agissante, ambitieuse, capable d’être un fléau pour l’Europe. » Il lui reprochait ses jactances, ses complicités dans toutes les propagandes, ses vanités irritantes de prépotence. « A Paris, disait-il, on ne voit que soi, et l’on oublie que par là on excite à en user de même à l’égard de la France ceux avec qui l’on entend entrer en affaires. Tout pour et par la France est un mot qui sonne bien à des oreilles françaises, mais qui déchire toutes les autres. Vivre et laisser vivre est un précepte tombé en désuétude dans les Gaules, et le résultat en est que l’on n’y avance en rien… » Sans être un ennemi déclaré, en affectant au contraire une impartialité apparente dont les relations familières avec le roi lui faisaient une convenance, le chancelier ne désarmait jamais qu’à demi ; il ne laissait échapper aucune occasion de susciter des difficultés au régime de 1830, de lui faire sentir son isolement en Europe, — et il le prouvait bientôt dans une des crises les plus graves que la monarchie de Juillet ait traversées, dans cette crise orientale de 1840, où la France se trouvait tout à coup en face d’une coalition.
La France, à dire vrai, s’était un peu exposée à ce qui lui arrivait. Elle s’était attachée avec une sorte de passion à cette question d’Orient, qu’elle voyait renaître en 1839. Elle s’était dit qu’en multipliant, depuis dix ans, les gages de modération en Belgique, en Italie, en Espagne, elle n’avait pas été toujours heureuse, et elle pensait que les affaires orientales pouvaient lui offrir un glorieux dédommagement. Elle le croyait d’autant plus qu’elle avait lié sa cause à la fortune de l’homme qui semblait disposer de la paix de l’Orient, du vieux et habile vice-roi d’Egypte, Méhémet-Ali, dont le fils Ibrahim-Pacha venait de disperser l’armée turque à Nezib. Elle se flattait aussi de trouver les cabinets européens divisés et de pouvoir, avec un peu d’adresse, profiter de ces divisions pour faire accepter une solution qui attesterait et confirmerait son influence dans le Levant. M. Thiers, revenu au pouvoir le 1er mars 1840, n’avait pas créé cette politique ; il l’avait trouvée engagée, il l’acceptait comme un mandat de l’opinion et du parlement. Par le fait, la France était la victime d’une série de faux jugemens et d’illusions. En se faisant trop égyptienne, en prenant trop vivement parti pour un vassal émancipé de la Porte, elle déviait des plus anciennes traditions de sa diplomatie et subordonnait à un engouement de circonstance l’intégrité de l’empire ottoman. De plus, elle se fiait trop au génie et aux conquêtes du vieil Arnaute, son protégé du Nil, qu’elle croyait invincible. Elle ne voyait pas enfin qu’à vouloir manœuvrer entre toutes les diplomaties avec l’espoir de les évincer, elle jouait un jeu redoutable, que, loin de diviser les autres puissances, elle risquait de les réunir, et de les réunir contre elle, ou du moins en dehors d’elle.
C’est ce qui arrivait. C’est le secret de ce traité du 15 juillet 1840 que l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse signaient à Londres sans nous consulter, et qui allait réveiller en France les ressentimens de l’orgueil blessé, toutes les passions belliqueuses et révolutionnaires. D’un seul coup, le roi Louis-Philippe perdait le fruit de dix années de sagesse habile et de persévérans efforts. La France se retrouvait isolée, irritée de son isolement, réduite à assister frémissante à la campagne entreprise pour soumettre son client Méhémet-Ali, ou à prendre les armes contre l’Europe coalisée. Trois mois durant, on vivait entre la paix et la guerre, au bruit du canon anglais retentissant sur les côtes de l’Egypte, et des arméniens français tout aussi retentissons sur le continent.
Quelle était la part des divers cabinets, et, entre tous, de M. de Metternich dans cette crise périlleuse ? Peu après, lorsqu’on avait déjà passé les plus mauvaises heures, le roi Louis-Philippe, toujours prêt aux conversations familières, disait au comte Apponyi, chargé de le redire au chancelier : «… C’est l’action de la Russie qui a tout gâté. L’empereur Nicolas, qui me hait personnellement, n’a pu digérer l’idée de voir mon règne révolutionnaire se prolonger au-delà de dix ans, et après avoir médité tous les moyens de me renverser, celui de rompre l’alliance de la France avec l’Angleterre lui a paru le plus efficace… Vous avez été tous intimidés et entraînés par cette action de la Russie ; vous vous êtes réunis à elle contre moi, l’Angleterre par un esprit de vengeance de son premier ministre, l’Autriche et la Prusse par peur de la Russie… » C’était un peu vrai. Le chancelier d’Autriche, quant à lui, ne portait, dans l’alliance précipitée par l’empereur Nicolas et lord Palmerston, aucune préméditation hostile. Plus d’une fois il avait prévenu le cabinet des Tuileries du danger de s’isoler, d’être trop « égyptien, » quand les autres cabinets étaient « turcs. « Il n’avait cessé de lui rappeler l’avantage de « rester unis, » de régler « à cinq » l’affaire d’Orient. Au dernier moment, il avait cédé pour ne pas se séparer des autres puissances, puis enfin parce que c’était sa politique, parce qu’il mettait avant tout l’intégrité ottomane menacée par la remuante ambition de Méhémet-AIi. Il n’avait sûrement pas prévu l’explosion qui allait se produire en France.
Dès qu’il voyait les malheureux effets du coup de théâtre du 15 juillet, tout ce mouvement de passions, d’armemens précipités, de manifestations guerrières et révolutionnaires, qui éclatait en France, le chancelier ne laissait pas d’être troublé. Il faisait bonne contenance, sans doute, devant les vives objurgations que M. Thiers adressait au comte Apponyi à Paris, et que M. de Sainte-Aulaire était chargé de lui porter à lui-même à Vienne. Il opposait un calme assez sévère à des menaces qui n’avaient d’autre résultat que de réveiller les ardeurs de 1813 au-delà du Rhin, et, à tout événement, il se préparait à s’entendre avec la Prusse pour la défense de l’Allemagne ; mais en même temps il s’étudiait à réduire les proportions de ce qu’il appelait encore un « dissentiment, » à désavouer toute idée d’offense, d’exclusion ou de défi pour la France. « D’où lui viennent les dangers ? disait-il… De qui et par quelles voies l’insulte lui serait-elle venue ? .. Aucune puissance n’a désiré mettre la France à l’écart, et cela par la fort simple et peu sentimentale raison qu’on ne met pas à l’écart une puissance telle que la France… » A peine engagé avec ses alliés dans la campagne poursuivie contre Méhémet-AIi, il avait hâte d’en finir ; il commençait à craindre les procédés brouillons et violens de lord Palmerston, qui, disait-il, « a reconnu, une fois dans sa carrière de whig, le véritable droit, mais qui veut le faire triompher à la manière des joueurs qui prétendent faire sauter la banque… » En un mot, le chancelier d’Autriche reprenait son rôle de modérateur, de tacticien négociateur, cherchant avant tout à empêcher le « conflit turco-égyptien » de devenir une « guerre européenne. » Le chancelier ne demandait pas mieux que de ménager la France dans l’intérêt de la paix, c’est bien sensible.
Il avait d’ailleurs, dès le premier moment, et c’était sa force, le plus puissant des complices à Paris dans le roi Louis-Philippe lui-même, qui, après s’être associé avec M. Thiers aux ardentes manifestations de l’opinion française, n’avait pas tardé à reprendre son sang-froid, à mesurer les dangers d’une conflagration universelle. Peut-être même le roi, dans la liberté de ses entretiens avec les ambassadeurs étrangers, avait-il trop parlé ou trop laissé deviner sa pensée. On savait, on croyait savoir, à Vienne, ce qu’il pensait ; on lui prêtait des confidences qu’on se plaisait à exagérer ou à dénaturer, et la princesse de Metternich a pu écrire dans son Journal : «… Il ressort d’une conversation du roi avec Apponyi que les arméniens qui se font en France ne sont motivés que par des raisons personnelles. On veut être prêt à se défendre contre les ennemis de l’intérieur. Thiers a profité de toute cette agitation pour faire fortifier Paris, et parce qu’il a besoin d’avoir l’opinion publique pour lui, il a fait croire aux Français qu’il voulait faire une guerre aux étrangers, tandis qu’il veut Voir Paris fortifié en vue des révolutions intérieures… » Ce n’était sans doute que l’indiscrète malignité d’une grande dame toujours peu bienveillante pour le gouvernement de 1830. Le seul point vrai était que le roi : sensible à une injure, sincère dans ce qu’il faisait ou laissait faire pour la défense du pays, mais prompt à saisir la gravité de lui situation, ne voulait pas aller jusqu’à la guerre. Le chancelier, de son côté, peu soucieux de rester à la remorque de lord Palmerston et de l’empereur Nicolas, accoutumé à être un arbitre de diplomatie, ne voulait pas non plus la guerre. L’un et l’autre, le souverain français et le chancelier d’Autriche, se retrouvaient d’accord pour sauvegarder la paix, et M. de Metternich, qui n’ignorait pas les sentimens de Louis-Philippe, qui connaissait aussi les difficultés de sa position, pouvait écrire : « Que le roi, en tout état de cause, ne se laisse pas accabler par les embarras de sa situation. Il défend la cause de l’ordre ; dès lors, tous ceux qui veulent l’ordre sont de son parti. Comme je soutiens la même cause sur un-terrain dont je ne connais pas les limites, nous devons nous rencontrer dans nos intentions… »
De l’excès même de cette crise à la fois extérieure et intérieure, de la situation violente créée par trois mois d’agitations belliqueuses et révolutionnaires, sortait la seule solution qui convînt au roi, qui pût aussi plaire au chancelier : un changement de politique par un changement de ministère ! Le fait est que M. de Metternich se sentait singulièrement soulagé le jour où M. Thiers, le ministre des émotions nationales, de la guerre en perspective, était remplacé par M. Guizot, arrivant au pouvoir le 29 octobre 1840, « pour rétablir au dehors la bonne intelligence entre la France et l’Europe, pour faire rentrer, au dedans, dans le gouvernement l’esprit d’ordre et de conservation… » Par l’acte hardi qu’il venait d’accomplir, le roi montrait que, s’il était « endurant, » comme il le disait à M. Apponyi, c’est qu’il savait mettre la paix du monde au-dessus de ses ressentimens personnels et d’une popularité d’un moment. Le chancelier d’Autriche né méconnaissait pas le prix de cette courageuse sagesse, et, sans se séparer de ses alliés du 15 juillet, il mettait aussitôt tous ses soins à limiter l’exécution du traité de Londres contre Méhémet-Ali, aménager la France dans son protégé. Il cherchait les moyens de faire cesser l’isolement de la France en lui donnant quelque satisfaction. « Je reconnais, écrivait-il à M. Apponyi, la nécessité que le gouvernement puisse dire au pays : C’est moi qui ai sauvé le pacha d’Egypte. Tout le monde se joindra à cette prétention, et nous les premiers. » Il tenait à ce qu’on sût bien à Paris que l’Autriche s’abstiendrait de toute attaque contre l’Egypte, et qu’elle s’en abstiendrait « par égard pour la France ; » il autorisait même M. Guizot à se servir de cette déclaration, et il n’hésitait pas bientôt à ajouter que, s’il plaisait à lord Palmerston de prolonger la querelle, « l’affaire n’en serait pas moins arrivée à sa fin pour l’Autriche et pour l’Europe… » En un mot, il avait hâte d’en finir avec une crise dont il sentait la gravité, — qu’il ne regrettait pas toutefois, puisqu’elle avait L’avantage de décider une victoire de l’esprit conservateur à Paris, et peut-être aussi de rompre pour longtemps l’alliance libérale de la France et de l’Angleterre.
« L’Europe tout entière veut une France conservatrice, » disait-il. Le roi Louis-Philippe ne pensait pas autrement que l’Europe ; M. Guizot revenait de son ambassade de Londres pour être le ministre de cette politique ; — et, par le fait, s’il y a dans le règne une phase où les rapports du chancelier de Vienne avec le régime de Juillet aient pris un caractère d’intimité suivie, habituelle, quoique toujours libre, c’est cette période qui commence au lendemain de 1840, à laquelle le nom de M. Guizot reste attaché. Depuis dix ans déjà, M. de Metternich avait vu passer en France bien des ministres qu’il jugeait à sa manière. Il avait subi bon gré mal gré l’ascendant du génie consulaire de Casimir Perier, le modérateur, et on pourrait dire l’organisateur de la révolution de 18S0. Il n’avait supporté qu’avec une impatience mêlée d’irritation la hauteur un peu raide du duc de Broglie, le grand seigneur libéral, aussi peu commode pour la diplomatie étrangère que pour le roi lui-même. Il avait eu un moment du goût pour M. Molé, qui alliait au sens pratique des affaires, au tact délicat et sûr de l’homme d’état, l’aisance de l’homme du monde. Il avait vu, en M. Thiers, un agitateur révolutionnaire, — plus révolutionnaire peut-être d’entraînement que d’intention. Il voyait maintenant M. Guizot, et prenait promptement confiance en lui. Il s’intéressait à ses luttes dans les chambres, à ses succès, à sa durée. « Que M. Guizot triomphe chez lui, disait-il bientôt en le voyant s’affermir, il peut être sûr de l’appui moral des hommes de bien du dehors. Un pays ne saurait prospérer sous le poids du changement perpétuel des gouvernemens : que l’administration actuelle se soutienne, et, par cela même, elle deviendra forte, car il n’y a pas un esprit bien fait en Europe qui ne désire que la France soit libre de ses mouvemens, quand ceux qui sont appelés à la diriger sont eux-mêmes honnêtes et prudens… » Et M. Guizot durait, en effet : il durait assez pour que le chancelier d’Autriche et le ministre français eussent le temps de traiter ensemble bien des affaires de l’Europe, — et même d’épuiser ensemble leur règne !
Ramener l’ordre et l’esprit de conservation dans les affaires intérieures de la France, la paix et l’esprit de conciliation dans les rapports avec l’Europe, renouer, en un mot, la tradition de Casimir Perier dans des conditions singulièrement modifiées depuis dix ans, c’était la politique de M. Guizot, aussi bien que du roi Louis-Philippe. Souverain et ministre s’attachaient à cette œuvre, l’un avec une habile expérience des hommes et des intérêts, l’autre avec l’autorité croissante d’un talent fait pour le pouvoir et un optimisme éloquent. Ils se flattaient de raffermir et de fixer le régime. Ils pouvaient réussir, sans doute, pour quelques années ; ils avaient au moins l’apparence et l’illusion du succès. Ils ne comptaient pas assez avec les difficultés toujours prêtes à renaître, avec les contretemps, avec l’imprévu, avec tout ce qui pouvait tromper leurs calculs. Ils ne s’attendaient pas, ils ne pouvaient pas s’attendre avoir la monarchie de Juillet frappée dans ses espérances et dans son avenir par la mort prématurée et cruelle du duc d’Orléans, allant butter du front sur le pavé d’une route, le 13 juillet 1842. — Ils croyaient effacer les dernières traces de la crise de 1840, préparée par lord Palmerston, et pouvoir renouer, avec de nouveaux ministres, sir Robert Peel, lord Aberdeen, la vieille alliance anglaise sous le nom « d’entente cordiale. » Ils semblaient même avoir réussi un moment à sceller l’intimité des dynasties par un échange de visites de la reine Victoria à Eu, du roi Louis-Philippe à Windsor. Ils s’abusaient encore : ils retrouvaient bientôt devant eux l’ironique ennemi, lord Palmerston ; les relations avec l’Angleterre ne cessaient d’être troublées par une série d’incidens : le droit de visite, Taïti, le Maroc, jusqu’au jour des « mariages espagnols, » où elles prenaient un caractère plus violent, plus passionné que jamais. Le roi et M. Guizot ne voyaient pas surtout qu’en dehors ou au-dessous de cette paix apparente et officielle qu’ils avaient créée, qu’ils maintenaient avec art, il y avait toute sorte de fermens, d’inquiétudes, d’impatiences ou de malaises d’opinion qui menaçaient l’avenir. Pour le moment, ils avaient le succès, ils croyaient avoir trouvé le secret de la durée du règne.
Cette expérience, M. de Metternich la suivait avec un intérêt qu’il n’avait pas caché dès les premiers jours de l’avènement du ministère de M. Guizot et qu’il ne cessait de témoigner plus vivement à mesure que se dessinait la politique nouvelle. Ce n’est pas qu’il fût réconcilié avec « l’ordre de choses » de 1830. Toutes les fois qu’il le pouvait, au contraire, dans ses lettres à M. de Sainte-Aulaire ou à M. Apponyi, il répétait que la France lui paraissait « toujours bien malade. » Il persistait à voir dans l’origine révolutionnaire de la monarchie de Juillet le mal profond et irrémédiable, l’éternelle cause de toutes les faiblesses, de tous les dangers. Il gardait ses préventions contre le régime ; plus que jamais il s’intéressait aux hommes, à la grande partie qu’ils jouaient et où il se sentait après tout engagé comme eux. Assez libre quelquefois dans ses propos sur ce qu’il appelait les mobiles personnels ou les calculs dynastiques du roi, il ne se sentait pas moins en présence d’un politique supérieur, avec qui il y avait à compter et même à profiter. « Le roi Louis-Philippe, disait-il, a rendu un immense service à la France et à la paix de l’Europe en ne se laissant point enrayer par une réunion de difficultés aussi grandes que celles qui se sont rencontrées sous ses pas. Son habileté, la trempe de son esprit, sa connaissance des hommes, et une bien précieuse qualité, la patience, lui ont rendu possible de faire ce qu’il a déjà fait. » Avec M. Guizot, le chancelier avait pris très vite le ton de la plus sérieuse estime et presque du respect. Il se sentait visiblement attiré par certaines parties du caractère et du talent de l’homme qui portait au pouvoir, selon son propre langage : « la plus noble ambition d’une grande âme, celle de gouverner un pays libre. » — « Les factieux, écrivait-il un jour, ont raison de s’attaquer à M. Guizot comme ils le font. De tous les ministres depuis 1830, — et je n’ai aucune difficulté d’étendre mon jugement également à ceux de la restauration, — aucun n’a possédé les qualités de M. Guizot. J’admets qu’il ait beaucoup appris en marchant ; mais dans ce fait même se trouve un mérite. Les hommes qui ont la prétention de ne rien avoir à apprendre sont les pires… » Il venait même un moment où il y avait entre le premier ministre autrichien et le ministre français une intimité plus étroite, des correspondances secrètes, sans parler des confidences qu’on n’écrivait pas, dont on chargeait des émissaires clandestins. Le chancelier avait ses communications mystérieuses avec M. Guizot comme avec le roi, — et, chose plus curieuse, les communications avec l’un et avec l’autre ne se ressemblaient pas toujours !
Ce qui rassurait jusqu’à un certain point M. de Metternich dans cette phase de la monarchie de Juillet, c’est que le cabinet des Tuileries avait pris une direction décidément conservatrice, il n’en pouvait douter. « Le gouvernement français, disait-il, est conservateur, il n’a pas besoin d’être excité à l’être… » Ce qui ne cessait de l’inquiéter, c’est que le roi Louis-Philippe et M. Guizot, avec la volonté d’être des conservateurs, faisaient du a conservatisme » en hommes du « juste milieu » liés par les circonstances, toujours obligés de se débattre dans une situation fausse. « Je crois bien savoir ce que veut M. Guizot, disait-il, je ne sais pas ce qu’il peut. » De là une politique assez insaisissable, quoique ayant la prétention d’être invariable, passant perpétuellement de la cordialité à la défiance, à la réserve et au doute. Le chancelier ne voulait pas créer des difficultés au gouvernement français ; il lui reprochait, au contraire, de se créer lui-même des embarras par ce qu’il appelait un système de « grappillage dans toutes les directions, » de se laisser entraîner par des ambitions d’influence, « sur vingt points différens, en Amérique et dans les mers du Sud. » Il lui reprochait aussi de se payer d’illusions et de mots dans ses relations avec l’Angleterre, de faire de la politique de vanité et d’apparat avec les visites de la reine Victoria à Eu, du roi Louis-Philippe à Windsor, de croire qu’il allait renouer l’ancienne alliance libérale en la décorant du nom nouveau d’entente cordiale. « La visite à Eu, disait-il, n’a été qu’une scène de la pièce qui se joue et dans laquelle tout le monde, auteur, acteurs et spectateurs, est mystifié ou mystificateur. » L’alliance, après ce qui s’était passé en 1840, n’était plus qu’une « fantasmagorie, » une fiction qui ne résistait pas à la moindre querelle de missionnaires dans l’Océan-Pacifique ! M. de Metternich mettait peut-être quelque calcul personnel ou quelque dépit dans ses antipathies contre ces apparences d’intimité renaissante entre les deux puissances libérales, contre cette « entente cordiale » dont il ne parlait qu’avec toute sorte de railleries ; il ne manquait pas non plus d’une certaine clairvoyance. Le fait est qu’avant peu « l’entente cordiale » allait être mise à une épreuve décisive par ce qui est resté dans l’histoire « l’affaire des mariages espagnols, » — et ici, il faut l’avouer, M. de Metternich, par son habile et savante mesure, n’était point sans prêter un précieux secours au roi Louis-Philippe et à M. Guizot.
Cette affaire espagnole, qui a joué un si grand rôle sous la monarchie de Juillet, qui avait fait son entrée dans la politique européenne avec la royauté d’Isabelle II, et avec la guerre civile qui en était la suite, avait été dès l’origine l’objet de communications intimes entre le souverain français et le chancelier de vienne. On s’entendait à demi en suivant des politiques différentes ; on jouait peut-être aussi un jeu singulièrement compliqué, où le dernier mot restait toujours réservé. En réalité, le roi, par un sentiment de fidélité aux traditions bourboniennes, par une prévoyance de chef de dynastie, aurait préféré maintenir l’hérédité salique à Madrid ; il ne l’avait pas caché dans une conversation intime qu’il avait eue avec le prince Esterhazy, chargé de tout redire à M. de Metternich ; et l’homme éminent qui dirigeait alors les affaires étrangères dans le cabinet des Tuileries, le duc de Broglie, avait la même opinion. Il craignait la « succession féminine, qui pouvait, disait-il, nous donner un jour pour voisin je ne sais qui ? .. » Le roi s’était décidé pour la monarchie nouvelle d’Isabelle II moins par goût ou par conviction que parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, parce qu’il voulait maintenir l’alliance libérale avec l’Angleterre, sans exclure la possibilité d’une entente éventuelle avec les cours conservatrices du continent. Le dernier mot de sa politique était de s’engager le moins possible, surtout de ne point intervenir, comme le dernier mot de la politique de M. de Metternich, qui avait pris parti pour la légitimité de don Carlos, mais qui connaissait la pensée du roi, était d’éviter tout ce qui aurait pu forcer la France à s’engager plus vivement au-delà des Pyrénées. Bref, on s’observait en se contenant mutuellement, en échangeant de temps à autre des confidences plus platoniques que décisives sur les moyens de pacifier l’Espagne. Le résultat était que la question de la succession espagnole demeurait livrée au sort des armes, et c’est en effet la guerre, une guerre de sept ans, qui décidait le sanglant différend au profit de la reine Isabelle contre le prétendant carliste. Le chancelier de Vienne s’en consolait en disant : « Le sort des affaires d’Espagne me paraît fixé… Don Carlos sera chassé, alors commencera la véritable confusion… »
C’était, dans tous les cas, une phase nouvelle dans l’imbroglio espagnol, ce qu’on pourrait appeler la phase du mariage de la jeune reine victorieuse : question des plus délicates, des plus épineuses, dont le duc de Broglie avait justement signalé le danger dans un avenir prochain, et qui ne cessait de préoccuper le roi Louis-Philippe. M. de Metternich, en homme expert, aurait voulu trancher cette question par un grand acte de transaction, par un mariage d’Isabelle avec le fils de don Carlos. Il ne faisait d’ailleurs que reprendre en pleine paix une idée suggérée déjà dans le feu de la guerre civile par le gouvernement français lui-même, et il mettait tout son art à intéresser la prévoyance dynastique du roi au succès de son projet. « Si le roi des Français voit juste dans les situations, disait-il, il devra comprendre qu’il est de l’intérêt de sa descendance de dégager celle-ci du danger immanquable de voir les prétendans aux deux trônes se tendre la main le jour où poindra le triomphe de leurs causes. Le moyen de parer au danger est entre les mains de Louis-Philippe, et il se trouve dans le règlement de l’affaire espagnole par l’entremise du roi des Français. Que ce soit au roi des Français que le prétendant espagnol doive l’apaisement de la querelle de succession en Espagne, et qu’il n’ait point à l’attendre d’événemens fortuits ! .. » Mais, soit maladresse des princes cliens de M. de Metternich, soit impopularité de leur cause au-delà des Pyrénées, le mariage rêvé par le chancelier n’avait guère de chances, et la question restait plus que jamais indécise, livrée aux contradictions, aux intrigues, au conflit des candidatures. Qui serait, en définitive, le mari de la reine ?
Tout dépendait moins de ce qui se passerait à Madrid autour d’une jeune souveraine de moins de quinze ans que de ce qui pouvait se passer à Paris et à Londres, de la lutte d’influences engagée entre la France et l’Angleterre. Le roi Louis-Philippe, cela est certain, portait dans cette affaire espagnole une idée fixe, dont il poursuivait la réalisation à travers toutes les intrigues de cour et de chancellerie. Si, par ménagement pour l’Angleterre, pour la paix de l’Europe, il se défendait de rechercher la main d’Isabelle pour un de ses enfans, il prétendait, en revanche, exclure les princes étrangers, circonscrire le choix du mari de la reine dans la descendance de Philippe V, parmi les princes de la maison de Bourbon qui existaient à Naples, à Lucques, à Madrid ou ailleurs. De plus, s’il résistait à toutes les sollicitations espagnoles qui lui demandaient un prince français pour la reine elle-même, il ne s’interdisait pas, dans le secret de sa pensée, de marier un de ses fils, le duc de Montpensier, avec l’infante Louise-Fernande, sœur d’Isabelle II. Marier la reine avec un Bourbon, le duc de Montpensier avec la jeune infante, c’était toute sa politique. L’Angleterre ne se prêtait pas sûrement sans jalousie et sans résistance à ces projets. Elle refusait à un gouvernement étranger le droit de limiter le choix de la reine, d’autant plus qu’elle avait elle-même un prétendant, le prince Léopold de Cobourg, qui eût été son candidat préféré. Un instant, il est vrai, pendant le ministère de Robert Peel et de lord Aberdeen, à l’époque des voyages de la reine Victoria à Eu, de Louis-Philippe à Windsor, on avait paru se rapprocher et s’entendre ; on s’était loyalement expliqué. Le roi avait réussi ou croyait avoir réussi à persuader la reine Victoria et lord Aberdeen, à faire accepter par le cabinet anglais son principe de la descendance de Philippe V. En s’engageant à décliner pour un de ses fils la main de la reine, à ajourner, s’il le fallait, le mariage du duc de Montpensier, il se flattait même d’avoir obtenu de l’Angleterre qu’elle ne soutiendrait pas un prince étranger. Il le croyait parce qu’il le désirait. On en était encore là lorsqu’une crise parlementaire décidait, en 1846, la chute du ministère Peel-Aberdeen, la réapparition de lord Palmerston au foreign office, et le premier soin du successeur de lord Aberdeen était de reprendre la guerre contre l’influence française à Madrid, de faire revivre notamment la candidature du prince Léopold de Cobourg.
Dès lors, tout se précipitait. Aux premiers signes de l’activité remuante de lord Palmerston, le gouvernement français, se croyant trompé ou menacé, craignant quelque surprise à la façon de 1840, n’hésitait plus à brusquer le dénoûment à Madrid. En peu de jours, servi par un ambassadeur hardi, M. Bresson, il avait enlevé le double mariage de la reine avec un Bourbon, son cousin, le duc de Cadix, — du duc de Montpensier avec l’infante. C’était fait et accompli ! L’ambassadeur anglais, sir Henry Bulwer, n’y avait rien vu. Lord Palmerston lui-même, déconcerté par ce coup de théâtre, répondait, ne pouvant mieux faire, par du dépit et des violences, accusant le roi de duplicité, déclamant contre l’ambition française, remplissant l’Europe de ses protestations, essayant surtout d’émouvoir l’Autriche.
Le chancelier, pour sa part, après l’insuccès de sa combinaison, avait suivi l’imbroglio espagnol en observateur un peu sceptique, décidé à ne pas se laisser engager, et à la nouvelle de l’événement de Madrid, la première confidente de ses impressions, la princesse de Metternich, écrivait dans son Journal : « Le mariage de la reine d’Espagne avec le duc de Cadix et celui de sa sœur l’infante Louise avec le duc de Montpensier, mariages que le roi Louis-Philippe a négociés très habilement, ont jeté l’Angleterre, et particulièrement lord Palmerston, qui se voit joué, dans une irritation, qui fait grand tort à cette célèbre « entente cordiale » dont on était si fier. Gordon, — l’ambassadeur anglais à Vienne, — s’est donné beaucoup de peine pour nous décider à agir dans cette affaire, que l’Angleterre voudrait bien exploiter aux dépens de la France ; mais Clément, s’appuyant sur la vérité et sur les principes inviolables qui nous guident, a déclaré que l’Autriche resterait complètement indifférente dans la question du mariage des deux infantes, — c’est ainsi que nous les appelons. Les explosions de fureur de lord Palmerston et de ses journaux, qui invoquent toujours le traité d’Utrecht, sont à nos yeux parfaitement inoffensives et dénuées de tout fondement légal. Le duc de Montpensier peut devenir le mari de l’infante et même de la reine, sans que le traité d’Utrecht soit violé… L’Autriche ne peut donc nullement se mêler d’une affaire qui, à ses yeux, n’a aucune importance… » C’est à peu près la position que prenait le chancelier.
Retranché dans son dogme immuable de légitimité, il voyait dans les mariages espagnols tels qu’ils s’accomplissaient, non plus une question de principe, mais un démêlé d’ambitions rivales, une querelle entre deux puissances révolutionnaires qui se disputaient l’influence à Madrid. Il affectait une certaine neutralité impartiale, un certain ton dégagé : il s’intéressait peu aux doléances de lord Palmerston, à ses protestations, à ses évocations assez tardives du traité d’Utrecht. « Lord Palmerston, disait-il, voudrait nous engager dans une discussion dont nous ne voulons pas… » Il se gardait aussi de paraître prêter les mains à la France ; il s’étudiait, au contraire, à ne pas trop rassurer le roi et M. Guizot, à leur faire sentir « qu’on ne jouait pas de petites niches à un grand pays avec impunité, » qu’ils avaient engagé une grosse partie. « Je crois, écrivait-il au comte Apponyi, qu’à Paris on se fait illusion sur la véritable situation en Angleterre. Voici la vérité sans détour. Lord Palmerston est très mauvais coucheur. Il veut se venger de tout ce qui ne marche pas dans son sens : que celui-ci soit droit ou de travers, peu lui importe. Il a engagé la querelle avec M. Guizot, il ne lâchera pas prise. Ses collègues sont peu soucieux de l’affaire, car ils ne croient pas qu’elle puisse dépasser les proportions d’une dispute… Lord Palmerston se trouverait sans un appui décisif, si la reine n’était blessée au vif par ce qu’elle qualifie d’indélicatesse de la part du roi Louis-Philippe… Il y a ainsi deux sentimens qui se rencontrent. Celui de la reine à l’égard de Louis-Philippe et celui de Palmerston à l’égard de M. Guizot. C’est Eu qui est toujours présent à l’esprit de la reine ; les caresses qui lui ont été prodiguées ont à ses yeux la valeur de griefs. Elle ne sera pas facile à ramener… Lord Palmerston fait flèche de tout bois, et il est un tireur passionné et audacieux… » Il écrivait ceci pour être répété au roi. Le chancelier ne croyait pas que l’incident espagnol dût conduire les deux puissances à un conflit prochain ; il croyait que tout était changé dans les alliances, que la France se trouvait dans la situation la plus difficile, que l’Angleterre saisirait toutes les occasions de lui faire une « guerre de chicanes, » et pour lui, il concluait qu’il fallait « mettre en panne en ce qui concerne les affaires espagnoles. »
Au fond, sans l’avouer, avec toutes les réserves et les libertés de propos où se plaisait son esprit, par son attitude même, M. de Metternich avait servi la France dans cette crise des mariages espagnols ; il l’avait sûrement servie par son refus de s’associer à la campagne de protestations que lord Palmerston essayait d’organiser et qui ne tendait à rien moins qu’à renouer une coalition contre nous. Peut-être le chancelier se sentait-il d’autant plus disposé à ménager la France, à lui passer, pour ainsi dire, une satisfaction dynastique à Madrid, qu’il voyait les affaires de l’Europe se compliquer, les questions les plus dangereuses se presser de toutes parts, et qu’il pensait s’assurer un allié utile à Paris. La France, dans les conditions d’isolement que lui créait l’acrimonie violente et menaçante de lord Palmerston, avait besoin de chercher des appuis en Europe ; M. de Metternich, à son tour, avait besoin de la France dans l’ère troublée où l’on entrait. Les difficultés ne manquaient pas, en effet, vers cette époque de 1846-1847, au moment où le roi Louis-Philippe et M. Guizot venaient de jouer la périlleuse partie des mariages espagnols.
Une insurrection avait éclaté à Cracovie ; elle avait provoqué une répression sanglante, impitoyable, qui avait douloureusement retenti sur le continent, et, de plus, elle avait été suivie d’une intervention des trois puissances du Nord, d’une incorporation de la petite république de Cracovie à l’Autriche, qui était une violation des traités de vienne. Première difficulté ! — Une autre question plus grave, moins lointaine, était la lutte engagée depuis bien des années, mais particulièrement depuis 1844, en Suisse, entre le radicalisme envahissant et les petits cantons catholiques, Lucerne, Zug, Schwitz, Fribourg, Neufchâtel. Aux défis révolutionnaires des radicaux de Berne, de Zurich, procédant par des invasions de corps francs, les petits cantons opposaient leurs droits, leur indépendance, leur foi religieuse, et, à la dernière extrémité, une ligue de défense, la résistance à main armée. La lutte s’envenimait par degrés, et elle allait bientôt conduire à la guerre civile, à la guerre du Sonderbund, où succombaient les petits cantons sous le poids d’une exécution fédérale ou radicale. Or, ce n’était pas là seulement une affaire intérieure entre Suisses. Le conflit mettait en cause toute une situation internationale, la neutralité helvétique définie et sanctionnée au congrès de vienne, la nature des rapports fédéraux reconnus par les traités, les intérêts des états limitrophes. Que feraient les puissances pour sauvegarder la souveraineté cantonale, condition de la neutralité suisse, pour contenir le radicalisme dans des tentatives de révolution qui menaçaient à la fois la constitution fédérale et les pays voisins ? — D’un autre côté enfin, l’Italie entrait en effervescence. L’élection du pape Pie IX venait d’enflammer tous les esprits en ouvrant des perspectives nouvelles. Le mouvement, parti de Rome, gagnait rapidement Florence, bientôt Turin et Naples, sans compter Milan et Venise. De libéral qu’il paraissait être d’abord, il ne tardait pas à devenir national, et ici encore s’élevait la grande, la redoutable question ; si les agitations italiennes restaient une affaire tout intérieure, si elles n’avaient d’autre objet que la conquête de réformes libérales, rien de mieux ; si elles allaient jusqu’à attaquer l’ordre politique créé par les traités de 1815, jusqu’à menacer la domination impériale en Lombardie, l’Autriche était résolue à se défendre, à maintenir ses droits. L’Autriche se croyait, de plus, assurée d’être soutenue par d’autres puissances, au moins par la Russie, et on touchait à un conflit universel ; on revenait à la crise révolutionnaire et guerrière de 1831 dans des conditions infiniment aggravées.
C’est sur ces points délicats, épineux, que M. de Metternich, plus ou moins réconcilié avec la monarchie de Juillet, tenait à avoir l’appui du gouvernement français. Il le recherchait et il l’obtenait jusqu’à un certain point dans toutes les affaires qui semblaient préparer à l’Europe des épreuves nouvelles. À partir de la fin de 1846 surtout, le désir de se concerter, de penser et de marcher ensemble, devenait plus vif. M. Guizot se sentait visiblement flatté de la confiance que lui témoignait M. de Metternich, et il s’appliquait à son tour à flatter le vieil orgueil de celui que Lamartine appelait en pleine chambre le « Nestor de la diplomatie ! » Le chef du cabinet français ne négligeait rien pour transmettre sa pensée à Vienne par M. de Flahault, qui avait, depuis quelques années, remplacé M. de Sainte-Aulaire, par un confident clandestin, par des lettres destinées à affermir et à utiliser l’intimité croissante.
Les conversations de votre Altesse avec M.., écrivait un jour M. Guizot, ne me laissent qu’un regret, mais bien vif, c’est de ne les avoir pas eues moi-même. On ne s’entend vraiment que lorsqu’on se parle. Faute de cela et en attendant cela, car je n’en veux pas désespérer, je serai heureux de vous écrire et que vous m’écriviez, et que nos communications, si elles restent lointaines, soient du moins personnelles et intimes. Ce ne sera pas assez, mais ce sera mieux pour les affaires…. Nous sommes placés à des points bien différens de l’horizon, mais nous vivons dans le même horizon. Au fond et au-dessus de toutes les questions, vous voyez la question sociale. J’en suis aussi préoccupé que vous. Nos sociétés modernes ne sont pas en état de décadence ; mais par une coïncidence qui ne s’était pas encore rencontrée dans l’histoire du monde, elles sont à la fois en état de développement et de désorganisation, pleines de vitalité et en proie à un mal qui devient mortel s’il dure, l’esprit d’anarchie. Avec des points de départ et des moyens d’action fort divers, nous luttons, vous et moi, j’ai l’orgueil de le croire, pour les préserver ou les guérir de ce mal. C’est là notre alliance. C’est par là que, sans conventions spéciales et apparentes, nous pouvons partout et en toute grande occasion nous entendre et nous seconder mutuellement…. À l’Occident et au centre de l’Europe, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, c’est la question sociale qui fermente et domine. Il y a là des révolutions à finir ou à prévenir… Ce n’est qu’avec le concours de la France, de la politique conservatrice française, qu’on peut lutter efficacement contre l’esprit révolutionnaire et anarchique dans les pays où il souffle… La politique d’entente et d’action commune est donc entre nous naturelle et fondée en fait, et j’ai la confiance que, pratiquée avec autant de suite que peu de bruit, elle sera aussi efficace que naturelle. Je suis charmé de voir, mon prince, que vous avez aussi cette confiance, et je tiens à grand honneur ce que vous voulez bien penser de moi… Et peu après, dans son zèle à mériter la confiance du chancelier, à préparer avec lui une entente de l’Europe, M. Guizot ajoutait :
… Je ne désespère pas que, si elle est partout agréée, l’action collective et identique des grandes puissances n’arrête en Suisse la guerre civile et ne nous donne des moyens et des chances de ramener dans les voies de l’ordre cet état évidemment en train de désorganisation. Je reconnais, avec votre Altesse, que les affaires d’Italie sont encore plus graves. Cependant, même là, je ne désespère pas du succès de la politique tranquille, équitable et patiente, qui, en maintenant ses propres droits, donnera aux gouvernemens italiens le temps d’acquérir un peu d’expérience et de fermeté… Je crains bien moins en Italie la force de l’esprit révolutionnaire que la faiblesse de l’esprit de gouvernement. J’ai appris avec grand plaisir que la santé de votre Altesse était excellente ; j’en fais mon compliment à l’Europe…
Le ministre chargé de la fortune de la monarchie de Juillet et le chancelier chargé de la fortune de l’empire d’Autriche s’entendaient-ils autant qu’ils affectaient de le dire dans leur correspondance secrète ? Ils le croyaient parce qu’ils avaient besoin de le croire. M. de Metternich n’était sûrement pas insensible à un langage qui mêlait la flatterie à la philosophie politique. Plus que jamais, il voyait en M. Guizot « le meilleur ministre qu’ait eu la France depuis 1830. » Il se fiait peut-être en ce moment au ministre plus qu’au roi, qu’il soupçonnait de jouer un double jeu. Il allait jusqu’à écrire à son ambassadeur à Paris : « veuillez dire de ma part à M. Guizot que je l’assimile moralement à mes propres pensées. Ce que je veux, il doit le vouloir ; ce que je sens, il doit le sentir ; ce que je sais, il doit le savoir… » Ils s’entendaient surtout lorsqu’ils se considéraient comme deux « grands esprits » chargés de traiter ensemble les affaires du monde ! L’accord, cependant, était dans les intentions, dans les lettres secrètes plus que dans les faits. Il y avait dans cette intimité entre deux hommes si différens de caractère, de tradition, d’esprit, plus d’un malentendu, dont ni l’un ni l’autre n’était dupe.
Le sentiment était le même sur les agitations révolutionnaires de la Suisse, sur la guerre du Sonderbund, sur le danger de la victoire du radicalisme pour la France, comme pour l’Autriche, comme pour l’Europe. Dès qu’il fallait prendre un parti, engager l’action, on s’arrêtait, on s’observait. M. Guizot, ou plutôt le roi Louis-Philippe, n’était pas loin de croire que M. de Metternich voulait embarquer la France dans les affaires suisses, la compromettre dans la défense des traités de 1815 pour garder lui-même plus de liberté en Italie. M. de Metternich, à son tour, quand le cabinet français le pressait de prendre l’initiative, de marcher, en lui promettant de le suivre, M. de Metternich croyait voir un piège dans ce conseil. « Si des forces autrichiennes, disait-il, entraient en Suisse pour être suivies par des forces françaises, l’entrée de ces dernières prendrait irrémissiblement l’apparence d’une force française dirigée contre l’action autrichienne ; l’événement serait la reproduction de celui d’Ancone… Nous ne donnerons pas contre cet écueil… » De même dans les affaires d’Italie, plus graves encore que celles de la Suisse. La monarchie libérale de Juillet, représentée par M. Guizot, et la vieille Autriche paraissaient avoir fait alliance sur un point : elles s’entendaient sur la nécessité de maintenir la paix des états par le respect des traités au-delà des Alpes comme partout. Au-delà, ni les positions ni les politiques n’étaient et ne pouvaient être les mêmes. M. Guizot se flattait toujours de voir se dégager des agitations italiennes, un peu sous l’influence française, une politique de progrès libéral et de « juste milieu, » compatible avec l’indépendance des princes comme avec la paix. M. de Metternich ne doutait pas de la sincérité et des bonnes intentions du ministre français ; il croyait peu à son pouvoir, pas du tout à son rêve d’un « juste milieu » italien. Le regard fixé sur Rome et sur Florence, sur Turin et sur Naples, il démêlait, sous l’apparence de simples réformes intérieures, un mouvement révolutionnaire et national près d’emporter les princes, conduisant fatalement à la guerre contre l’Autriche. Le chancelier, en homme pratique, voyait ce qui le menaçait ; M. Guizot voyait ce qu’il désirait. A travers tout cela, lord Palmerston, en haine de la France, par ressentiment des mariages espagnols, souillait partout le feu, et le résultat était qu’en Italie comme en Suisse, les événemens se précipitaient.
Un jour, à ces momens extrêmes, dans une conversation intime où M. de Metternich et notre ambassadeur, M. de Flahault, s’entretenaient de la gravité des choses, prévoyant déjà pour les deux puissances la nécessité de soutenir ensemble le pape, le chancelier disait d’un ton assez mélancolique : « L’Autriche ne peut se charger seule de la besogne, car vous arriveriez avec un nouvel Ancone, — toujours le souvenir d’Ancone ! — La France, si elle s’avise d’agir seule, sera paralysée par l’Angleterre. Les deux cours allant ensemble, le parti libéral, réuni aux radicaux, chassera M. Guizot, parce qu’il sera accusé de vouloir renouveler avec M. de Metternich la sainte-alliance ! .. » On en était là vers la fin de l’année de 1847 !
On sentait l’ébranlement partout, et, chose plus frappante, là même où M. de Metternich avait si longtemps déployé son ascendant, là où il avait trouvé son point d’appui, en Allemagne, la situation avait déjà singulièrement changé.
Depuis 1815, depuis qu’une nouvelle organisation germanique avait remplacé la confédération du Rhin, tout l’art du chancelier avait été de s’assurer la complicité de la Prusse pour gouverner la diète créée à Francfort, et de se servir de la diète pour soumettre l’Allemagne tout entière à un même régime de compression savante. C’est la politique qu’il avait inaugurée à Carlsbad, qu’il avait pratiquée non sans rencontrer des résistances et des révoltes, qu’il avait réussi néanmoins à maintenir par un mélange de ténacité et de finesse. Il avait eu surtout, pour la réalisation de son œuvre, la chance de trouver à Berlin, dans le roi Frédéric-Guillaume III, un prince à l’esprit simple et honnête, mais étroit, empressé à le soutenir dans sa politique allemande comme dans sa politique européenne, facilement amené, quoique Prussien, à subir la direction de vienne. Patient et souple, hardi quand il pouvait l’être sans péril, habile à jouer avec toutes les faiblesses, avec tous les intérêts, et à tout ramener à ses vues, il avait marché des années durant à son but. Il avait su se servir de tout, selon le mot de M. de Bismarck dans un de ses « mémoires » secrets, — procédant tantôt d’autorité par un droit fédéral de son invention inspiré ou imposé à la diète, tantôt par les captations personnelles, intimidant ou flattant les princes, attirant au service de l’Autriche les fils des personnages et des ministres des petits états, se ménageant des intelligences jusque dans l’intimité des cours, même à Berlin[3]. Le chancelier était arrivé ainsi à neutraliser ou à voiler le vieil antagonisme prussien, à paralyser l’essor libéral et constitutionnel dans les états du Sud, à enlacer l’Allemagne de son influence dominatrice et jalouse. Même après 1830, il avait réussi à faire voter par la diète de Francfort, — juin 1832, — une série de résolutions qui limitaient les libertés constitutionnelles là où il y avait des assemblées, et resserraient les liens de la compression au nom de la « sécurité intérieure et extérieure » de l’Allemagne. C’était, il est vrai, presque son dernier succès.
Il avait réussi, autant qu’il pouvait réussir, à rester l’âme et le guide de la politique allemande, à façonner dans la diversité des états confédérés une sorte d’unité apparente et artificielle sous la suprématie autrichienne. Il ne regardait pas au-delà. Il ne voyait pas qu’en comprimant les instincts libéraux et nationaux qu’il appelait révolutionnaires, il ne les supprimait pas, qu’en enchaînant la Prusse par une solidarité d’absolutisme, il ne la désarmait pas ; — qu’à son travail silencieux, obstiné, pour la domination, répondait bientôt un autre travail silencieux, persévérant, la conspiration des idées, des sentimens et des intérêts. Pendant qu’il faisait de la politique avec ses congrès, avec ses conférences ou ses commissions de police fédérale, les esprits s’ouvraient d’autres issues, les intérêts eux-mêmes cherchaient pour ainsi dire leur voie.
Dès le temps de Carlsbad ou à peu près avait commencé obscurément, par des nécessités de trafic intérieur, une fusion douanière qui était restée circonscrite d’abord entre la Prusse et les petits duchés enclavés dans ses territoires, puis s’était étendue par degrés, pour finir par embrasser la plupart des autres états du nord et même du sud de l’Allemagne ; c’est le « Zollverein, » — œuvre toute commerciale à l’origine, compliquée, chemin faisant, d’arrière-pensées politiques, et tendant à créer, à côté de l’union factice par l’absolutisme autrichien, une union bien autrement vivace sous la prépondérance et au profit de la Prusse. L’Autriche régnait par la diplomatie dans la diète, la Prusse devenait par degrés la régulatrice des intérêts, la directrice du mouvement matériel de l’Allemagne en dehors de la diète. M. de Metternich, après avoir traité peut-être un peu dédaigneusement ce travail à sa naissance, n’avait pas tardé à en saisir la menaçante portée. Il y voyait presque « un des événemens les plus considérables de notre époque. » Il comprenait parfaitement le danger de cette « union des intérêts matériels, » déguisant à peine une agitation politique, formant, dans la grande confédération dont il se flattait toujours de rester le maître, une autre confédération libre, envahissante, sous le patronage de la Prusse. À cette ligue suspecte qui menaçait de faire par degrés de l’Autriche une « étrangère » en Allemagne, il n’opposait guère que des expédiens peu efficaces, une certaine impatience agitée. Bref, le chancelier sentait croître autour de lui une force qui lui échappait, qui déconcertait ses combinaisons ; mais l’événement le plus grave, le plus propre à troubler sa politique, c’est le changement de règne en Prusse au mois de juin 1840.
Tant que le vieux roi Frédéric-Guillaume III avait vécu, — il régnait depuis quarante-trois ans, — M. de Metternich était sûr de l’appui d’un prince simple et modeste, un peu étonné des vicissitudes de sa vie, qui s’était fait un dogme de l’alliance avec l’Autriche, qui voyait dans le chancelier lui-même une sorte d’oracle, le conseiller infaillible. Entre le roi et le chancelier, il y avait un lien intime formé par les souvenirs des luttes de 1813, par la haine commune de tout ce qui était révolution. Frédéric-Guillaume n’avait pas oublié les promesses libérales par lesquelles il avait rallié son peuple, aux jours des guerres de l’indépendance ; il en avait ajourné indéfiniment la réalisation, surtout sous l’influence de vienne. Il n’avait d’autre souci que d’achever de vivre dans le repos, dans le culte de la sainte-alliance et de l’absolutisme. Avec lui, M. de Metternich n’avait rien à craindre. Son fils, le roi Frédéric-Guillaume IV, le frère aîné de celui qui devait être l’empereur Guillaume, était une énigme. Ce n’est pas qu’il eût moins que son père le goût de l’absolutisme, le respect de l’Autriche et de M. de Metternich. Il avait commencé par écrire au chancelier : « vous n’appartenez pas à l’Autriche seule. Le fils du roi de Prusse croit avoir des droits sur vous ; aussi ne manquerai-je pas de vous regarder comme mon conseiller et comme mon ami… » Mais Frédéric-Guillaume IV arrivait au règne avec une inquiétante originalité de caractère, avec un esprit plein de projets et une imagination décevante. C’était un prince fantasque et mobile, impétueux et irrésolu, captieux et éloquent, alliant le goût des nouveautés à un mysticisme subtil et à des superstitions de féodalisme historique. Il se proposait sûrement de tenir les promesses libérales que son père n’avait pas réalisées ; il les tenait à sa manière, en s’agitant dans le vide, en agitant les esprits, en surexcitant des espérances d’autant plus vives qu’au lendemain de son avènement, dans l’été de 1840, les menaces d’une guerre avec la France réveillaient toutes les passions d’autrefois. « Le roi est né expérimentateur, » disait un jour le chancelier. Frédéric-Guillaume IV commençait ses expériences avec des rescrits sur les états provinciaux, qui promettaient encore plus qu’ils ne donnaient, et des discours pathétiques où les libéraux prussiens se plaisaient à voir les premiers gages d’une prochaine réforme constitutionnelle.
Devant les agitations du nouveau règne prussien, le chancelier de Vienne se sentait bien vite en méfiance et ne se défendait pas de dédaigneux pronostics. Il traitait assez légèrement Frédéric-Guillaume IV. Il le rencontrait plusieurs fois en ces années, notamment pour la pose de la première pierre du dôme de Cologne. « Le roi, dit-il, lui avait sauté au cou ; » il n’en était pas plus fier et plus rassuré pour cela. Il donnait des conseils qu’on lui demandait et dont il pressentait d’avance l’inutilité. Le chancelier en venait à affecter une certaine réserve dans ses relations avec le brillant agité de Berlin et à éviter des entrevues qu’il eût recherchées autrefois. Une occasion se présentait bientôt cependant où il ne pouvait se dérober à une invitation du roi qui le conviait à Coblentz et au château de Stolzenfels. Cette occasion était le passage de la reine Victoria d’Angleterre, qui arrivait sur le Rhin, allant visiter Cobourg, le pays du prince Albert, — et en déclinant l’invitation, le premier ministre d’Autriche aurait paru refuser de voir la reine, comme aussi son ami, lord Aberdeen, qui accompagnait sa souveraine. Il mettait pourtant encore quelque coquetterie à se représenter comme un homme allant prendre des vacances au Johannisberg et charmé d’aller-de là en voisin à Coblentz et à Stolzenfels « faire sa cour à la reine d’Angleterre. » On était déjà au mois d’août 1845.
La rencontre était curieuse et peut-être décisive. Une foule de princes et de personnages se trouvaient réunis : le roi Frédéric-Guillaume faisant les honneurs de Stolzenfels, la reine Victoria, le prince Albert, des archiducs, le prince et la princesse de Prusse, le roi et la reine des Belges, des diplomates, des femmes de toutes les cours. Mme de Metternich, qui est des fêtes de Stolzenfels, ne manque pas de faire ses observations sur tout ce monde, et, en personne orthodoxe, elle s’étonne que le prince Albert, conduisant la reine des Belges, ait le pas sur un archiduc ; elle dit avec une politesse pincée au sujet de la fille du roi Louis-Philippe : « J’ai été chez la reine des Belges, qui m’a donné une audience. Elle semblait un peu embarrassée ; elle est toutefois une dame fort distinguée, qui a le meilleur ton. Elle cause très bien, et en somme elle a été fort aimable, malgré toute sa réserve… » Le chancelier est présenté à la reine Victoria qui, à son tour, écrit dans son Journal, d’un ton un peu indifférent : « J’ai trouvé le prince beaucoup plus âgé que je ne m’y attendais, dogmatisant beaucoup, parlant lentement, du reste très aimable…[4]. » De part et d’autre, on restait un peu froid ; mais ce qu’il y avait de plus caractéristique dans ces entrevues de Stolzenfels, c’était un entretien de M. de Metternich avec le roi Frédéric-Guillaume pendant une course sur le Rhin, dans la cabine d’un bateau à vapeur qui ramenait le chancelier au pied du Johannisberg.
Le roi était alors en travail d’une organisation nationale, plus ou moins constitutionnelle, destinée à compléter ou à couronner les u états provinciaux » de Prusse. Que ferait-il réellement ? Il ne le savait pas lui-même. Dans son mystérieux tête-à-tête avec M. de Metternich, il gesticulait, il pérorait, repoussant avec horreur tout ce qui ressemblerait aux systèmes représentatifs modernes, mettant son droit royal au-dessus de tout, rattachant la création qu’il méditait aux vieilles traditions allemandes, au vieux droit historique. Le chancelier écoutait avec un air de doute, en homme qui, à travers les fumées de l’imagination royale, voyait poindre l’idée libérale et constitutionnelle qu’il combattait depuis trente ans. Au roi lui répétant sans cesse qu’il ne se laisserait jamais imposer des « états-généraux du royaume, » qu’il se bornerait à une réunion plénière des corps d’états provinciaux, il répliquait : « Si votre Majesté veut réellement ce qu’elle me fait l’honneur de me confier, mon intime conviction me presse de lui déclarer qu’elle convoquera les six cents députés provinciaux comme tels et que ceux-ci se sépareront comme états-généraux. Pour empêcher cela, la volonté de votre Majesté ne suffit pas. — Derrière ma volonté, dit le roi d’un air pensif, il y a encore ma puissance. — Je n’ai pas caché à votre Majesté l’expression de ma conscience, reprenait le chancelier. Vous êtes maître d’agir, mais vous n’êtes pas maître de ce qui résulte de la force des choses. » Puis le roi, après un moment de silence, ajoutait : « Ce que je fais, je le fais pour moi et par suite de la conviction qui m’anime. Je ne le fais pas pour les autres. Voici ce que je dis à mon frère Guillaume : Si ce que j’ai fait te déplaît jamais, change-le à ton gré ! » Et le chancelier, interrompant le roi, répondait : « Il y a des choses qui, une fois faites, sont irrévocables ! .. »
Cette conversation secrète, qui peut passer pour un curieux épilogue des fêtes bruyantes de Stolzenfels, durait plus de deux heures. Le roi, en prenant congé du chancelier, « l’embrassa à l’étouffer. » Frédéric-Guillaume IV ne savait pas que ce qu’il préparait, ce qu’il venait de laisser entrevoir, c’était la fin de la vieille Prusse, le commencement d’une Prusse nouvelle, que c’était aussi sans doute la fin de la politique de 1815 en Allemagne. Le chancelier le savait ou il s’en doutait ; il voyait sous la forme constitutionnelle comme sous la forme de l’union douanière l’ambition prussienne s’essayant à un rôle nouveau. Il ne soupçonnait pas la sincérité du roi, il croyait à sa légèreté ; il était persuadé qu’avec lui il fallait s’attendre à de l’imprévu, qu’on entrait dans l’ère des hasards, et, en quittant Stolzenfels, il écrivait à l’archiduc Louis : « Les jours qui viennent de s’écouler m’ont laissé une impression de tristesse. Je ne puis mieux définir le sentiment que j’éprouve qu’en employant une expression dont je me suis déjà servi : ce que je viens de voir me appelle la Danse macabre de Holbein. Le roi, entouré de la suite la plus brillante, a montré une bonté parfaite et une humeur charmante ; mais dans son entourage règne une inquiétude visible. Tel est aussi le sentiment qui agite tous les hôtes illustres de Coblentz, ainsi que le public des bords du Rhin. Tout le monde se demande ce qu’un avenir prochain pourrait bien nous réserver, et personne n’a confiance dans les événemens futurs… »
Dès lors, les affaires de Prusse n’étaient pour M. de Metternich qu’un épisode révolutionnaire de plus dans le mouvement du temps. Il les suivait avec un dédain assez léger quelquefois, peut-être par instans avec le secret espoir d’arrêter le roi, de réveiller en lui l’orgueil du prince absolu, le plus souvent avec le sentiment inquiet de son impuissance. Il ne croyait pas précisément à un prochain 1789 pour la Prusse ; il voyait sûrement à Berlin « un grand désarroi moral, précurseur de désordres matériels. » Il pensait bien que la crise prussienne aurait son retentissement et ses effets hors du royaume, en Allemagne, même en Europe, et, chose curieuse, c’est avec le premier ministre de la monarchie « révolutionnaire » de Juillet, c’est avec M. Guizot, qu’il échangeait le plus volontiers ses impressions de conservateur alarmé. Entre Vienne et Paris, par des raisons différentes, il y avait une certaine communauté de crainte sur ce qui se préparait à Berlin. « M. Guizot, disait le chancelier, fixe des regards inquiets sur ce qui se passe aujourd’hui en Prusse. Il ne peut mettre en doute qu’entre son impression et la mienne, il ne saurait guère y avoir de différence. Ce que je vous ai déjà dit sur ce grave sujet doit prouver à M. le ministre des affaires étrangères combien je suis éloigné de partager le sentiment de confiance dans le succès qui anime Sa Majesté prussienne… M. Guizot me trouvera constamment disposé à l’échange le plus franc de mes impressions et de mes idées avec les siennes… » Lorsque, par une patente du 3 février 1847, le roi Frédéric-Guillaume se décidait enfin à donner sa constitution, à appeler à Berlin ce qu’on appelait les « états réunis, » M. de Metternich répétait le mot des grandes aventures : Jacta est aléa ! Et peu après, voyant se dérouler tout ce qu’il avait prévu, il ajoutait avec une sagacité qui jugeait le présent, qui perçait aussi l’avenir : «… Le roi a été entraîné où il ne voulait pas aller. Il ne voulait point d’états-généraux, et il les a dans les états réunis. Il ne voulait pas la périodicité des réunions, et il l’a. Il ne voulait pas subordonner aux états toute la législation, et elle est entre leurs mains… Six cent treize individus ne se laissent pas mettre sur un lit de Procuste, et, si on les y met, ils font sauter le lit et s’en procurent un meilleur. Il faut que, sous la pression du nouveau système, la Prusse ait ses coudées franches ; il faut qu’elle s’efforce d’agrandir l’espace où elle est emprisonnée : l’idée allemande lui en fournit les moyens tout prêts, et ces moyens, c’est l’idée des « nationalités » qui les lui offre, — cette idée qui dit tout et ne dit rien, cette idée qui remplit actuellement le monde ! .. »
De telle sorte que tout se réunissait, tout concourait à la crise la plus compliquée. Au même instant, la Prusse s’ébranlait, et, en s’ébranlant, elle ravivait, elle remuait en Allemagne des instincts longtemps contenus. La guerre civile du Sonderbund, en Suisse, allait se dénouer par une victoire du radicalisme devant l’Europe émue et impuissante. Au-delà des Alpes, à Naples, à Rome, à Florence, tout se préparait pour une explosion, — et à quelques lieues de la frontière lombarde, il y avait un roi qui était à Turin ce que le roi Frédéric-Guillaume était à Berlin. La France elle-même, quoique placée sous un gouvernement conservateur qui se flattait d’avoir fixé pour longtemps les destinées de la monarchie de Juillet, la France se sentait agitée de mouvemens sourds et inquiétans. Au midi comme au centre de l’Europe, les incidens se multipliaient, et tout cela c’était la révolution encore une fois, — la révolution que le chancelier d’Autriche combattait depuis plus de trente ans, qu’il voyait maintenant reparaître plus menaçante. « Je suis vieux, mon cher comte, — écrivait-il à M. Apponyi, — et j’ai traversé bien des phases dans ma vie publique. Je suis ainsi à même d’établir entre les situations des comparaisons que je ne cours pas le risque de voir faussées par des passions ou une irritabilité qui me sont étrangères. Eh bien ! je vous avouerai que la phase dans laquelle se trouve aujourd’hui placée l’Europe est, d’après mon intime sentiment, la plus dangereuse que le corps social ait eue à traverser dans le cours des dernières soixante années… » Il parlait ainsi à la fin de 1847. On se croyait revenu aux émotions fiévreuses, aux perspectives révolutionnaires et guerrières de 1830, de 1831, et c’était peut-être encore plus vrai qu’on ne le croyait : on revenait aux mêmes crises avec une aggravation de toute chose, avec des gouvernemens plus affaiblis ou indécis, et des excitations populaires plus générales, plus difficiles à contenir désormais par la diplomatie ou par la force.
« Il y a des affaires de tous les côtés, avait écrit un jour M. de Metternich, et quand on les examine, toutes se réduisent à une seule : c’est la révolution qui fait la guerre à tout ce qui est stable… » C’est l’explication de sa vie, le résumé de ses idées dans ce qu’on peut appeler son long gouvernement de l’Europe. Il est, lui, contre les changemens, contre ce qui trouble l’ordre silencieux des sociétés, contre tout ce qui démantèle ou menace la cité traditionnelle et immuable. C’était assurément un observateur clairvoyant et expérimenté des maladies de son temps : il les connaissait, il se flattait encore plus de les connaître à fond. Il ne se trompait pas quand il voyait la révolution dans tous les faits qui se pressaient et se succédaient autour de lui : son erreur ou sa faiblesse était de ne trouver à opposer au mouvement grandissant, à la force des choses, que des expédiens, des « toiles d’araignée, » déguisant à peine une simple politique d’immobilité. Mme de Metternich écrivait un jour, aux premiers temps de son mariage : « Clément a joué avec Richard, et il y a pris tant de plaisir qu’il a fini par faire des bulles de savon avec Gentz, ce qui n’est pas peu dire parle temps qui court… » Le chancelier lui-même a écrit un autre jour, à l’occasion d’une de ces réunions de Teplitz où il se rencontrait avec les rois et les princes : « Rien ne me représente mieux la fixité dans les petites choses que la réunion de Teplitz. Toutes les figures sont pétrifiées à leurs places respectives… Les années passent, les figures restent jusqu’à leur mort naturelle. Le roi prend régulièrement le même nombre de prises de tabac, Wittgenstein dit les mêmes polissonneries. Tout tourne et change, excepté ces personnages, — et moi aussi, qui tiens ma place dans ce cadre d’immobilité… » C’est un peu l’image de la politique de M. de Metternich ! Le chancelier faisait quelquefois des « bulles de savon » avec sa diplomatie, ou, s’il s’agitait, il s’épuisait en vaines tactiques sans rien empêcher. Ses relations mêmes avec la France, relations devenues en apparence plus intimes depuis quelques années, cachaient une invariable réserve. Il témoignait une certaine confiance personnelle aux hommes, au roi, à M. Guizot ; il doutait toujours d’un régime qui lui paraissait plus que jamais destiné à finir comme il avait commencé, par une révolution. Il ne faisait rien, il ne préservait rien avec sa politique.
Une autre de ses illusions était de croire que les malheurs qu’il pronostiquait toujours pour les autres ne l’atteindraient pas lui-même, que l’empire d’Autriche resterait du moins intact dans sa force, dans son immobilité. Ce n’était qu’une chimère de plus. Pendant qu’il se flattait encore d’échapper aux orages, les événemens se précipitaient tout à coup. Le 24 février 1848, une révolution nouvelle éclatait en France ; et, dans le premier moment, le ministre autrichien écrivait encore : «… Vous savez ce que, dans tous les temps, j’ai pensé de la solidité du trône de Juillet ; je ne suis pas surpris de sa chute. Ce que je n’avais point regardé comme probable, c’est que la France n’aurait pas la force, — ou la patience, qui aussi est une force, — d’attendre la mort de Louis-Philippe… » A la bonne heure ! la catastrophe de la monarchie de Juillet n’était pas pour le surprendre ; mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que cette révolution de France allait être sitôt suivie de la subversion de l’Allemagne, d’une révolution à Berlin, et, avant même l’explosion de Berlin, d’une révolution en Autriche. Dès le 13 mars, en effet, la sédition populaire, après une lutte sanglante, restait maîtresse de vienne, imposant ses conditions à l’empereur, menaçant le chancelier. En quelques heures, du jour au lendemain, — à Vienne aussi bien qu’à Paris, — tout était fini, et le ministre naguère encore si puissant, maintenant trahi, délaissé dans sa disgrâce par les flatteurs, n’avait plus qu’à se dérober aux fureurs de la multitude ameutée ; il se voyait réduit à s’enfuir furtivement, sous la garde de sa femme, qui dit d’un accent pathétique dans son Journal : « Quel moment ! Ce départ, cette fuite, et pourquoi ? Qu’avons-nous fait ? Avons-nous mérité cela ? .. Clément était assis à côté de moi. Cet homme, dont les habitudes, les aises étaient l’objet de préoccupations constantes,.. cet homme de soixante-quinze ans était sans abri et ne savait pas ce qu’il deviendrait le lendemain… Lui qui a toujours pensé à l’avenir des siens, il voit aujourd’hui sa fortune même en danger. Lui qui mettait sa gloire à soutenir la monarchie plus longtemps que d’autres, il voit aujourd’hui s’écrouler, dans l’espace de vingt-quatre heures, tout l’édifice de sa vie de labeur ; .. nous avions pourtant de si nombreux amis, tant de gens qui nous tenaient de prés, et maintenant nous fuyons seuls, tout seuls, sans que personne ait songé à protéger le départ de mon mari, de cet homme qui a été regardé pendant de si longues années comme le soutien et le salut de l’Europe. Tout cela est comme un songe horrible ! .. » Ce départ clandestin, cette fuite, un voyage éperdu, précipité, non sans dangers, au milieu de l’Allemagne en fermentation, tout cela dénouait étrangement et tristement une grande carrière !
La chute avait été rapide, plus rapide et plus extraordinaire encore que la chute de cette monarchie de Juillet dont le chancelier ne cessait, depuis dix-huit ans, de prédire la fin prochaine, sans prévoir que ce serait sa propre fin. Le vaincu du 13 mars ne revenait à peu près à lui-même qu’à son arrivée en Angleterre, où il allait rejoindre d’autres grandeurs déchues du moment, et où il retrouvait avec le calme, avec la liberté de son jugement, l’intime et imperturbable persuasion que le monde était décidément fou, que seul il ne s’était jamais trompé. Lui, qui dans sa vie s’était flatté de comprendre tant de choses, il en était à comprendre sa chute ! M. de Metternich n’avait pas sans doute emporté dans sa fuite la monarchie autrichienne, comme on le disait ; il emportait du moins un système, une politique, tout un ordre de choses dont il avait été, pendant près de quarante ans, l’âme et le régulateur, qui disparaissait maintenant avec lui. Il Je ne puis pas sortir de l’histoire du temps, écrivait-il au roi Léopold de Belgique après sa chute ; quant à l’histoire du jour, je n’ai plus rien de commun avec elle. » C’était, en effet, son destin : son règne était fini ! Il n’était plus qu’un personnage du passé ; mais l’histoire ne s’interrompt pas pour un homme qui s’arrête ou qui disparaît de la scène. Elle reprend son cours, elle recommence quelquefois. Les révolutions de 1848, quoique bientôt vaincues à leur tour par les réactions, ouvraient en réalité un ordre nouveau ; elles devaient avoir toutes ces conséquences qu’on ne prévoyait guère, — une résurrection de l’empire napoléonien en France, des déplacemens de puissance en Europe, des crises, des guerres nouvelles pour la domination. Les révolutions de 1848 contenaient tout cela en germe, et, par une étrange combinaison, avant que quinze ans fussent passés, devait apparaître, non plus à Vienne, mais à Berlin, un autre chancelier reprenant pour la Prusse le rôle que M. de Metternich avait eu si longtemps pour l’Autriche. Le dernier venu, le chancelier de Berlin, éclipse, si l’on veut, le chancelier de Vienne ; il l’éclipse en le continuant dans des conditions nouvelles, — à la prussienne ! Aux deux extrémités du siècle, ces deux hommes, aux physionomies et aux génies si divers, résument deux phases de l’histoire, l’une qui n’est plus déjà que du passé, l’autre qui n’est encore que le présent gardé par la force.
De quelque façon qu’on juge la marche des choses, M. de Metternich est resté et reste sans aucun doute une des plus curieuses figures de la période historique où il a vécu, où il a grandi et régné. Né quinze ans avant les orages qui allaient remuer le monde, formé à l’école de Kaunitz, engagé dès sa jeunesse, dès le congrès de Rastadt et sa première mission diplomatique, dans toutes les mêlées, ce fils de l’aristocratie viennoise et du XVIIIe siècle a eu une carrière assez longue pour Voir les régimes se succéder, l’Europe changer de face. Il a traité tour à tour, comme ambassadeur ou comme chancelier, avec Napoléon et Talleyrand, avec Alexandre Ier de Russie et Capo d’Istria ou Nesselrode, avec lord Castlereagh et le duc de Wellington, avec la restauration française et le duc de Richelieu, M. de Villèle, M. de La Ferronays, avec la monarchie de Juillet et M. Casimir Perier, M. Guizot, le roi Louis-Philippe. Il a traversé toutes les crises en homme habile, en homme heureux, portant dans les affaires du temps ce mélange de supériorité réelle et d’artifice, de fixité apparente et de souplesse, de dogmatisme et de fatuité mondaine, qui a fait son originalité. M. de Metternich n’est pas un politique à grandes vues et à résolutions hardies ; ce n’est pas non plus un politique d’entraînement à la façon d’un Stein et des patriotes allemands : c’est un politique de la vieille Autriche et de l’ancien régime. Son génie est dans l’art des combinaisons, dans le maniement patient des hommes et des intérêts. Il s’est toujours flatté d’avoir été le vrai vainqueur de Napoléon au moment décisif de 1813 ; il avait su tout simplement se mettre à propos avec la force des choses sous laquelle pliait son terrible interlocuteur de Dresde, et par sa dextérité d’évolution, par son habileté à saisir l’occasion, il se trouvait le lendemain être des premiers parmi les victorieux de la coalition, — le plus expert peut-être à profiter de la victoire.
Le vrai règne de M. de Metternich date surtout de ce moment du congrès de Vienne où se partagent les grandes dépouilles, où est décidée la réorganisation de l’Europe et où s’ouvre un ordre nouveau. Nul, en réalité, n’a mieux que lui représenté, façonné à son usage et gouverné cet ordre de 1815 dont il était un des inspirateurs. Nul aussi n’a su plus habilement tirer parti de la victoire pour refaire la puissance autrichienne, pour restaurer une sorte de suprématie impériale adaptée aux temps nouveaux. Son système était aussi simple qu’adroitement calculé. Il a toujours voulu faire de l’Autriche reconstituée la maîtresse de la confédération germanique qui venait de naître à Vienne, puis se servir de cette confédération même pour dominer l’Allemagne, pour soumettre les nouveaux confédérés, tous les états allemands, à un régime uniforme de silence dans l’immobilité. Son rêve a toujours été en même temps de rester le lien entre les puissances, de les intéresser à cet ordre de 1815 qui était leur ouvrage, de constituer, sous le nom de sainte-alliance ou sous tout autre nom, la défense européenne contre tout ce qui pouvait troubler le repos des sociétés, la garantie de l’équilibre si péniblement restauré. Et ce système, il l’a pratiqué avec un singulier esprit de suite, un peu en pédagogue de la haute diplomatie, contenant la Prusse par la jalousie des autres états et les autres états par la Prusse en Allemagne, s’étudiant à être le médiateur des rivalités et des ambitions en Europe, essayant, quand il n’a plus eu la sainte-alliance, de se retrancher dans l’alliance restreinte du Nord. C’est essentiellement le politique de l’équilibre et de la paix, le défenseur le plus intrépide de l’ordre conservateur et de l’ordre territorial, représentés par les traités de 1815. Pendant trente-quatre ans, il a réussi à peu près, sinon à tout sauver, du moins à durer, à être un arbitre accepté en Europe, à identifier son règne avec la paix. — Il a vécu assez pour voir son ascendant personnel s’évanouir et son œuvre même détruite ou menacée de toutes parts en Italie, en Allemagne comme en Europe !
Laissez passer quelques années, en effet, tout est déjà singulièrement changé. La dernière victoire, une sorte de victoire posthume du système de M. de Metternich, c’est la scène d’Olmütz, — 1850, — où l’Autriche, relevée des crises de 1848, fait sentir encore le poids de sa prépotence à la Prusse humiliée. Le moment du grand duel n’était pas venu. Un jour, vers cette époque, en 1851, celui qui fut si longtemps le chancelier de cour et d’état, rentré depuis peu en Allemagne, reçoit au Johannisberg une visite d’un inconnu, et Mme de Metternich inscrit la visite comme le fait le plus ordinaire dans son Journal : « L’envoyé de Prusse, dit-elle, M. de Bismarck, qui remplacera le général de Rochow à la diète, a passé une journée avec nous. Il a eu une longue conversation avec Clément, et il paraît avoir les meilleurs principes politiques. Dès le premier moment, il a beaucoup intéressé mon mari. Je l’ai trouvé agréable et extrêmement spirituel… « Elle ne se doutait guère que cet homme « extrêmement spirituel, » allait être bientôt le plus redoutable des hommes, que c’était lui qui devait venger l’humiliation d’Olmütz et toutes les humiliations prussiennes à Kœniggrætz, que par lui, avant quinze ans, la prépondérance aurait passé de Vienne à Berlin, qu’il était destiné à être l’héritier fort extraordinaire de M. de Metternich. C’est ce qui est arrivé ! C’est l’obscur visiteur du Johannisberg, en 1851, qui s’est chargé de dégager le rôle de la Prusse, de « décider cet être, » selon le mot de Frédéric II, de reprendre à son compte, et avec une bien autre audace, l’œuvre de domination en la marquant de la vigoureuse et originale empreinte de son génie. L’Autriche s’est effacée, la Prusse a monté ! Au fond, le système des deux chanceliers est le même. Ce que M. de Metternich a fait, a essayé de faire pendant longtemps pour l’Autriche, M. de Bismarck l’a fait pour l’hégémonie prussienne, par la résurrection de l’empire germanique au profit des Hohenzollern. Lui aussi, il a voulu, changeant les rôles, faire de la Prusse la maîtresse de l’Allemagne, et par l’Allemagne unifiée sous sa main, armée sous son commandement, rester l’arbitre central, le régulateur du continent.
C’est encore la même idée. Il y a seulement une différence : là où le chancelier de Vienne procédait en politique de l’équilibre et de la paix, en homme de l’ancien régime, adroit et souple, déguisant avec art sa prépotence, gouvernant l’Allemagne et l’Europe par une diplomatie raffinée, évitant le plus possible les éclats, le chancelier de Berlin a procédé ferro et igne : c’est lui qui l’a dit ! Il a fondé la grandeur de la Prusse en politique alliant aux traditions du gentilhomme de la Marche l’esprit d’un réaliste moderne, et même les violences sans scrupules d’un révolutionnaire, introduisant par effraction son œuvre de conquête dans l’organisation européenne, faisant de la force l’âme et le ressort de ses combinaisons. Ce que M. de Metternich avait édifié par une patiente et souple habileté a péri ; ce que M. de Bismarck a créé et soutient encore, avec son génie, sans aucun doute, — mais surtout par la force, aura-t-il plus de succès, une durée plus certaine, plus longue ? Ce n’est point impossible, soit. On se flatte toujours de jouer le même air et de le jouer mieux ; mais M. de Bismarck eût-il cet art-là, fût-il pour le moment plus heureux et eût-il plus de génie que M. de Metternich, il sent bien lui-même qu’il n’est pas au bout : il le sent aux difficultés, aux résistances contre lesquelles il se croit obligé de s’armer sans cesse. Il a la puissance du jour, il n’est pas maître du lendemain, — pas plus que n’ont été maîtres de la durée tous les dominateurs, empereurs ou ministres, qui depuis près d’un siècle se sont transmis la prépotence en Europe.
CHARLES DE MAZADE.
- ↑ Voyez la Revue des 1er août et 1er octobre 1886 et du 1er juillet 1887.
- ↑ On retrouvera le récit animé de ces premières années dans un ouvrage abondant en documens nouveaux et librement écrit, l’Histoire de la monarchie de Juillet, par M. Thureau-Dangin.
- ↑ On peut voir, dans la Correspondance diplomatique de M. de Bismarck, le fameux mémoire de 1859,qui était un véritable acte d’accusation contre l’Autriche et où se dévoilait déjà la politique du futur chancelier de Berlin.
- ↑ Voir le récit de ce voyage dans l’ouvrage : le Prince Albert de Saxe-Cobourg, époux de la reine Victoria, d’après leurs lettres, journaux, mémoires, etc., par Augustus Craven, 2 vol.