Un Mariage à Mondorf/08

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Imprimerie de la Société St-Paul (p. 116-130).


VIII


Avant de se mettre au lit, Mlle  Dubreuil se rappela qu’elle avait promis d’écrire à Rose, sa gouvernante, et ne voulut pas remettre au lendemain de le faire. Rose était si bonne, elle aimait tant ses filles, ainsi qu’elle disait elle-même, et il n’était que fort juste qu’elle fût tenue au courant de tous les incidents qui marquaient ces vacances passées si loin.

Raymonde lui avait écrit une première fois, peu de temps après son arrivée. Elle lui avait fait le portrait des nouveaux amis de son père, la description du pays, de l’établissement des bains, de l’hôtel du Grand Chef. Même, à ce propos, elle avait dit un mot du voisin que le hasard leur avait donné, un pauvre garçon malade qu’on redoutait de voir trépasser d’un moment à l’autre et pour lequel tout le monde professait une vive compassion.

Dans cette nouvelle lettre, elle s’étendait sur le voyage d’Echternach, racontait le désarroi causé par le grand orage et aussi sa rencontre toute fortuite avec Darcier.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Tu te rappelles, ma bonne Rose, écrivait-elle, ce que je te disais l’autre jour de notre voisin d’hôtel : on s’attendait à le voir mourir à Mondorf et la perspective même en déplaisait à plus d’une des familles logées à l’hôtel. Ces prévisions pessimistes ne se réaliseront heureusement pas, car ce soir encore le docteur, qui s’entretenait avec mon père, lui annonçait la prochaine guérison de ce pauvre garçon.

« Pour tout te dire, j’en suis la plus heureuse du monde, mais ne me demande pas pourquoi, car jamais il ne me serait possible de t’expliquer mes sentiments à cet égard. J’ai eu toujours une grande estime pour ce malheureux jeune homme, qui depuis dix ans n’a pu profiter un seul instant des avantages que procure une belle fortune et un nom honorable ; je me suis apitoyée sincèrement sur son malheureux sort quand j’ai su qu’on le croyait incurable ; j’ai apprécié enfin, ce qu’elle valait, l’énergie extraordinaire dont il fait preuve pour supporter son mal et se plier aux exigences du médecin.

« Tels étaient mes sentiments à son égard, quand le hasard d’une promenade me l’a fait rencontrer dans le parc de l’établissement, et m’a procuré l’avantage d’une courte conversation avec lui. J’ai là acquis la preuve que ce jeune homme est doué d’une vive intelligence et d’un grand cœur : comment aurais-je pu lui refuser mon amitié quand il me l’a demandée ?…

« Eh bien, voici que M. Darcier va guérir. Je n’oserais te cacher, ma chère Rose, que j’appréhende quelque peu en ce moment les conséquences de mon attitude vis-à-vis de lui. Cette amitié que je lui ai accordée quand je le croyais moribond, je ne saurais évidemment la lui retirer à la nouvelle de sa guérison : ne sera-ce pas là l’origine de relations inévitables qui pourraient déplaire à mon père, et qu’alors je regretterai vivement d’avoir nouées ?

« Tu vois qu’en ce monde le bonheur n’est point parfait, et que le plaisir que j’ai d’apprendre le rétablissement de ce malade sympathique est déjà troublé, à peine ressenti, par l’appréhension des conséquences qu’il peut entraîner. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quand, le lendemain matin, M. Darcier descendit pour glisser dans la boîte aux lettres le message qu’il envoyait à son tuteur, il trouva le garçon chargé d’emporter le courrier chaque matin tout prêt à partir. Il lui remit son pli et se dirigea vers la source.

La matinée était radieuse ; la fraîcheur de la rosée se faisait encore sentir à cette heure matinale ; mais déjà le soleil brillait d’un éclat pur qui promettait une chaude journée. Un vent léger, qui courait dans les feuilles, donnait aux arbres un mouvement de vie et provoquait de charmants effets d’ombre et de lumière. Il faisait briller l’enveloppe satinée qui s’accrochait encore aux derniers bourgeons ouverts, et, retournant les menues branches, en montrait l’envers argenté ; il balançait les lourdes grappes de fleurs, il courait sur l’herbe de la prairie avec un imperceptible murmure.

Comme il allait passer le seuil du pavillon de la source, Fernand vit la petite Marcelle en sortir. Elle répondit joyeusement au salut qu’il lui envoyait :

— Bonjour, Monsieur Darcier. Qu’il fait bon se promener, ce matin !…

Puis il entra et trouva Raymonde qui l’accueillit, elle aussi, fort gracieusement. Elle raconta la soirée de la veille : on s’était amusé ferme, mais la chaleur insupportable avait mis fin à la danse dès dix heures.

— Vous devez être bien fatiguée, mademoiselle, hasarda Fernand.

— Mais pas trop, monsieur ; même j’ai écrit, avant de me coucher, une longue lettre que je voulais voir partir ce matin.

Fernand tressaillit. Sa lettre, à lui aussi, venait d’être mise à la poste. Elle allait donc voyager de compagnie avec celle de la jeune fille : le même courrier emporterait au loin les secrets de leur cœur.

Au déjeûner, M. Dubreuil annonça à ses filles l’arrivée du chanoine Liévin, et décida qu’on irait à sa rencontre jusque Luxembourg. L’heure du tramway étant passée, il avait fait commander une voiture qui vint les prendre, peu d’instants après que les jeunes filles eurent achevé leur toilette. On partit.

La matinée s’avançait ; les grandes herbes ne brillaient plus de l’humidité de la nuit, mais le soleil leur donnait un autre éclat, plus chaud et plus durable, elle se nuançaient sous ses caresses ; elles prenaient des tons fauves et dorés, et frémissaient sous la chaleur comme elles l’auraient fait sous la brise. Parfois la verdure devenait plus vive, on approchait de quelque marais vague qui s’étendait mollement et sur le bord duquel des canards barbotaient, saluant la voiture au passage d’une volée de cuins-cuins vigoureux. La route, tantôt bordée d’arbres, tantôt courant au milieu de plaines découvertes, traversait çà et là quelque village. Les maisons de ces villages luxembourgeois s’étendent au loin, chacune entourée de son enclos, toutes peintes de badigeons clairs, bleus et roses, couvertes d’ardoises ou de chaume, leurs fenêtres garnies de fleurs, donnant à l’œil une agréable idée de l’ordre et du bon goût de ces paysans.

À l’approche de la ville, on dépassa des charrettes de campagnards qui s’y rendaient pour leurs affaires, coiffés presque tous d’étroits chapeaux et fumant tranquillement leur courte pipe, tandis que les femmes, alertes et fraîches, suivaient l’attelage, causant entre elles.

En descendant du train qui l’amenait de Paris, le chanoine fut très agréablement surpris de trouver sur le quai M. Dubreuil et ses filles, qui l’attendaient. Quand on se fut souhaité la bienvenue :

— Quelles bonnes nouvelles apportez-vous de là-bas, cher ami, demanda le député.

— Un tas énorme, répondit M. Liévin ; j’en aurai pour plusieurs jours à vous raconter… si je n’en oublie pas.

— Voilà qui est parfait. Maintenant, allons dîner…

Dès le commencement du repas, le chanoine livra les nouvelles qu’il apportait à M. Dubreuil, de la part de ses amis et de ses protégés. Il parla longuement, de l’ami Florian, cet incorrigible libre-penseur, qu’il avait vu l’avant-veille et qui, apprenant son départ pour Mondorf, l’avait accablé sous la charge des compliments et des amitiés qu’il le priait de faire parvenir au député et à ses filles.

— Ne viendra-t-il pas bientôt lui-même ? interrogea M. Dubreuil.

— Il ne le pourra pas, répondit le chanoine. Il m’a fait l’énoncé des occupations multiples qui le retiendront à Paris jusqu’aux vacances. À cette époque, il ira passer quelques jours chez sa mère en Touraine, puis partira pour Vienne, en compagnie d’un diplomate qui l’a choisi comme secrétaire pour une mission spéciale.

— Ah ! bah !…

— Et il ne rentrera au ministère qu’au mois d’octobre, c’est-à-dire trop tard pour vous retrouver ici, au cas où la fantaisie le prendrait quand même de faire le voyage.

— Il faudra donc en faire notre deuil. Mauvais garnement ! ajouta M. Dubreuil, nous nous étions cependant promis un grand plaisir de sa venue à Mondorf…

Après le dîner, M. Liévin quitta son ami pendant une demi-heure pour aller faire sa visite à l’évêché, puis on repartit pour la station balnéaire.

La conversation ne tarit pas un instant durant tout le trajet : bien qu’il en eût, M. Dubreuil sentait depuis quelques jours que ses occupations multiples lui manquaient, et les nouvelles que lui donnait de Paris et de sa vie le chanoine qui en arrivait, lui causaient un plaisir extrême. Les journaux le renseignaient sur la politique et sur les mille incidents de la journée parisienne ; mais il n’y pouvait trouver d’informations d’aucune sorte sur les œuvres et les hommes auxquels il était attaché. À ce point de vue, la conversation de son ami était un régal dont il ne voulait pas perdre une miette : et la nuit vint que les deux hommes conversaient encore, ayant à peine pris le temps de jeter un rapide coup d’œil sur l’aspect des localités où M. Liévin allait séjourner pendant un long mois.

— Pardonnez-moi cet égoïsme, mon ami, disait M. Dubreuil en le quittant le soir, mais si vous saviez quel besoin j’avais de vous entendre ! D’ailleurs, dès demain, je vous ferai tout visiter ici…

Et d’abord, il nous faudra voir de bonne heure M. le curé de Mondorf, je suppose ?

— Eh ! oui, certes, je désirerais lui être présenté dès avant qu’il ne dise la messe.

— Ce sera très tôt, alors : nous n’avons que le temps d’aller dormir si nous voulons ne pas manquer l’heure.

M. l’abbé Fleury, prévenu, fit tout préparer pour que le chanoine, M. Dubreuil et ses filles trouvassent à déjeûner chez lui, la messe finie. Deux prêtres en traitement à l’établissement des bains se trouvaient au presbytère, et assistèrent à ce premier repas, à la grande satisfaction de M. Liévin, qui reconnut en eux des hommes intelligents avec lesquels se pourrait nouer un commerce agréable.

Car il avait craint un moment, lorsqu’il s’était rendu aux instances de son ami le député, qui le sollicitait de venir à Mondorf, de s’y trouver dépaysé et d’y manquer de ces relations particulières dont un prêtre ne pourrait se passer sans faire un véritable sacrifice. Il ne s’était décidé pour la station de Luxeuil que précisément à cause de la certitude d’y retrouver un prêtre de ses amis : mais maintenant qu’il avait pu apprécier, dès la première conversation, le caractère de l’abbé Fleury et de ses collègues, il ne regrettait plus rien, il se félicitait au contraire d’avoir cédé à M. Dubreuil. Cette constatation l’ayant mis aussitôt de belle humeur, il ne put s’empêcher de le montrer, et sa conversation prouva dès lors à ses auditeurs que M. Dubreuil n’avait rien exagéré quand il avait parlé de lui comme d’un homme supérieurement doué.

Lorsqu’il eut promis au curé de faire chaque dimanche le sermon de la messe des étrangers, il proposa de prendre congé pour aller visiter l’établissement et demander quelques conseils au médecin. Il sortit enchanté de son entrevue avec M. Petit, qui l’avait assuré de sa sollicitude et lui avait prédit un grand profit à retirer de son séjour à Mondorf.

Il avait surtout appris avec plaisir que l’établissement hydrothérapique possédait une salle réservée pour l’inhalation de l’azote, et qu’il y trouverait les appareils spéciaux les plus récents et les plus perfectionnés.

Sans plus tarder, M. Dubreuil l’y conduisit, et dès cette première matinée, le chanoine put apprécier le confort de l’installation hydrothérapique. En sortant d’une courte séance à l’appareil de pulvérisation de l’eau minérale, il se sentit comme inondé d’un sentiment de bien-être et ne put s’empêcher de remercier le député d’avoir eu la bonne pensée de le faire venir à Mondorf.

— Et d’autres y viendront, je vous en réponds, ajouta-t-il : je saurai maintenant quelle station conseiller aux nombreux amis qui m’embarrassent chaque année quand ils viennent me demander mon avis. Dans les grandes villes d’eaux, nous manquons trop, nous autres prêtres, de la tranquillité dans laquelle nous sommes accoutumés de trouver le repos ; dans les petites stations si recommandables de l’Allemagne, nous nous trouvons trop dépaysés à cause de la difficulté qu’ont à nous comprendre les collègues que nous y rencontrons, et qui leur rend impossibles toutes relations suivies avec nous. Ces deux inconvénients sont évités ici : pour peu qu’on soit assuré d’y rencontrer souvent des amis comme vous, mon cher député, y venir est un rêve !…

La visite minutieuse de l’établissement ne fit que confirmer chez M. Liévin cette excellente impression. Comme il allait, en achevant le tour du parc, en exprimer encore sa vive satisfaction, M. Dubreuil l’interrompit.

— Mais ce n’est pas tout encore, dit-il. L’État grand-ducal, en faisant l’acquisition de Mondorf, a eu en vue spécialement de faire profiter des avantages réunis ici, les habitants du pays qui sont en situation d’en user. Il fait des conditions de séjour, très abordables pour tout le monde, aux fontionnaires qui désirent venir suivre un traitement ; il offre aux indigents le traitement hydrothérapique gratuit ; enfin il a créé, ici près, une colonie d’enfants maladifs, imitée de ce qui s’est fait de mieux en ce genre jusqu’à présent.

Tenez, là-bas, voyez-vous cette ferme à l’aspect souriant, à demi cachée dans le feuillage des arbres de ses vergers ?… C’est Daundorf. Cette métairie a été transformée fort habilement en une sorte de pensionnat où les enfants chétifs viennent, par séries, séjourner une quinzaine.

Au fait, si cela vous intéresse, rien ne nous empêche de pousser jusque-là.

— Parfaitement.

— Seulement, permettez-moi de prévenir Marcelle, à qui j’ai promis de ne jamais aller à Daundorfg sans l’emmener.

Marcelle était à faire une partie de crocket. Dès qu’elle sut de quoi il s’agissait, elle jeta là son maillet et accourut au plus vite, charmante de jeunesse et d’entrain, le visage tout rose perdu au fond d’un immense chapeau de paille.

— Oh ! petit père, quelle bonne idée !…

— Tu aimes donc bien te promener avec ton père ? Marcelle, demanda le bon chanoine.

— Oui, cela d’abord, répondit la fillette. Mais s’est surtout le plaisir d’aller voir ces pauvres petites de là bas, et de jouir du bonheur qu’on leur fait en leur donnant quelques petits cadeaux : il y en a de si pauvres, et de si malades !…

— Oh ! voilà de beaux sentiments, mademoiselle, dit fort sérieusement M. Liévin, je vous en fais mes compliments,

— D’ailleurs, ajouta encore Marcelle sans prendre garde à cet éloge, tout le monde me connaît déjà là-bas, et je serai mieux que personne à même de vous présenter…

Elle disait tout cela d’un air important, imperturbable comme une personne d’âge mûr en face des sourires railleurs que faisaient naître ses déclarations.

C’était une des marques les plus touchantes de la sollicitude professée par M. Pauley à l’endroit des faibles et des déshérités de ce monde, que la création de cette colonie des enfants de Daundorf. Il avait surveillé lui-même scrupuleusement tous les détails de l’aménagement, et avait fait en sorte d’y réaliser le problème d’un confortable parfait et d’une propreté poussée jusqu’au luxe. Les dortoirs, les réfectoires, les corridors, les escaliers, tout était là entretenu avec un soin constant, si bien qu’on eût dit d’une maison habitée par des grandes personnes, toutes attentives et soigneuses à ne rien salir.

Dans la cour, des tables et des chaises en fer, vrai petit mobilier d’enfant, sont placées un peu partout ; on doit être bien là, les pieds enfoncés dans le sable tiède et mou, comme en un tapis. Le soleil du matin se mire dans la source qui jaillit du milieu des chaises et les enfants tressaillent d’aise sous ses bienfaisantes caresses. À voir ces bonnes petites figures épanouies, on songe à peine qu’on se trouve dans une colonie sanitaire. Chez la plupart, il est évident que le séjour à Daundorf leur fait le plus grand bien, que ces bains d’air et de soleil donnent à leurs membres alanguis la souplesse et le ton nécessaires, et à leurs joues les roses de la santé.

Telle était la première impression des visiteurs. Comme le chanoine la communiquait à M. Dubreuil, un groupe de petites filles, conduites par une Sœur, vinrent faire quelques exercices gymnastiques dans la cour, car il s’y trouve un vrai petit gymnase, pourvu de tous les engins désirables. Tandis que Marcelle allait se mêler à leurs jeux, les deux hommes pénétrèrent dans la maison.

Au rez-de-chaussée, le réfectoire est situé à proximité de la cuisine ; dans l’un, des longues tables de bois blanc couvertes d’intervalle à intervalle de jattes en fer émaillé ; dans l’autre, des casseroles luisantes rangées autour du manteau de la cheminée, et un large fourneau chargé de bouilloires aux flancs rebondis, de pots et de poêles en fonte. Tous ces objets attirent l’attention par leur exquise propreté, par leur arrangement régulier et symétrique.

À l’étage se trouvent les dortoirs, la lingerie et un long couloir de toilette : tout à l’avenant du reste, bien tenu, sans un grain de poussière.

— Comme vous le voyez, cher ami, dit M. Dubreuil, l’installation de ce petit établissement est fort simple, mais elle est absolument pratique et elle répond au but que les promoteurs de l’œuvre se sont proposé. Les enfants viennent ici, non pas pour y être enfermés entre quatre murs, mais pour y vivre au soleil et au grand air autant que possible.

Chaque matin, de bonne heure, ils vont aux bains, pour suivre la cure spéciale que le médecin a prescrite à chaque enfant. Le parc est à eux alors, ils y prennent leurs ébats, respirent les exhalaisons fortifiantes des conifères, boivent l’eau nauséabonde autant que salutaire de la source, se baignent au froid et au chaud, font en un mot tout ce qu’il faut pour devenir forts et bien portants, s’il plaît à Dieu.

— N’a-t-on pas à craindre qu’à la longue ils ne trouvent ces exercices un peu monotones !

— Oh ! non. D’abord ils ne restent ici que le temps exigé pour une cure, trois semaines, un mois au plus. Et puis, on leur ménage de ci de là une surprise. Sans parler des excursions et des promenades au loin, il ne manque pas dans les environs de châtelains généreux qui invitent ces pauvres petits et leur font fête : c’est dans le programme de la saison.

— Et quand le temps est mauvais ?

— Alors encore il y a une ressource : la grange. Elle rend les plus précieux services, à l’établissement, cette bonne vieille grange ; grâce à son aire lisse et dure, à son plafond élevé, les petiots se moquent bien du vent et de la pluie.

— Tout cela est charmant en vérité, dit pour conclure M. Liévin, et c’est un service éminent que rendent au pays les promoteurs d’une pareille œuvre…

Au moment de s’en revenir, on chercha Marcelle, qui avait disparu. Elle avait réuni un groupe de petites malades dans la grange de la ferme, cette grange vaste et bien aérée, au plafond élevé, à l’aire sèche, qui servait de salle de récréation par les jours de mauvais temps.

Les pauvres enfants, dont quelques-unes seulement comprenaient un peu le français, avaient accepté de donner à la demoiselle le plaisir de présider à leur récréation : en ce moment elles chantaient ensemble une chanson au rythme lent et doux, que Marcelle paraissait écouter avec le plus grand plaisir, encore qu’elle n’y comprît goutte.

C’est là que son père la retrouva, tout absorbée des devoirs de sa présidence, grave, le maintien correct.

— Eh bien ! Marcelle, dit M. Dubreuil, viens-tu ?

— Oui, petit père, j’arrive. Et cependant, si tu savais !… Je voudrais tant faire un plaisir à toutes ces pauvres petites ; mais je me creuse vainement l’esprit à deviner ce qui pourrait le leur causer. Cependant, j’ai pensé à quelque chose…

— Dis, ma chère enfant ; si la chose est possible, elle est faite, je te le promets d’avance.

— Eh bien, petit père, te souviens-tu du plaisir que j’avais, lorsque j’étais toute petite, à jouer à la dînette avec Raymonde et notre bonne Rose ?… Je suis sûre que ces pauvres petites malades s’y amuseraient bien, elles aussi. Mais, vois-tu, je voudrais que ce ne fût pas une dînette pour rire ; je voudrais une dînette sérieuse, où il y aurait des friandises à manger et quelque bonne chose à boire. Qu’en penses-tu ?…

— Mais, dit M. Dubreuil, tout interloqué, au fond, d’être prié de donner son avis en pareille matière, et s’y résignant cependant de bonne grâce, il me semble que rien ne s’oppose à ce que tu satisfasses ton envie de régaler tes petites camarades. À moins peut-être que le règlement de la colonie… Et encore, je suis bien sûr que nous pourrons gagner aisément les bonnes Sœurs à ton projet.

— Oh ! petit père, que tu es gentil d’accepter. Ce sera pour demain, veux-tu ? En rentrant tout à l’heure à l’hôtel, je ferai mes commandes et l’on téléphonera tout de suite à Luxembourg.

J’arrangerai tout avec Raymonde ; un bon café bien sucré, avec des gâteaux et des pâtés tout plein, que ces pauvres petites se régalent une bonne fois. Nous viendrons prévenir la Sœur que c’est nous qui nous chargeons de préparer le goûter de ses pensionnaires. Allons-nous nous amuser !

Et la charmante enfant battait des mains, à la pensée du bonheur qu’elle allait pouvoir répandre autour d’elle.

Comme on s’en retournait à l’hôtel, M. Dubreuil marchant devant avec le chanoine auquel il racontait ce nouveau caprice de générosité de la fillette, Marcelle supputait en elle-même le nombre de friandises qu’il faudrait pour rassasier la colonie. Et elle discutait à demi voix le choix à faire des différents pâtés qui composeraient le goûter : il en faudrait de légers, qui ne coupassent pas trop tôt l’appétit et dont on pût manger beaucoup…

Et tout à coup, comme on passait la grille de l’hôtel, elle rejoignit M. Dubreuil.

— Tu sais, petit père, la note sera grosse !

— Très grosse ?… — Oui, mais c’est égal… puisque c’est toi qui la paieras.

Et, riant aux éclats, la petite espiègle prit sa course et alla rejoindre Raymonde, qu’elle voulait sans retard mettre au courant de son projet.