Un Petit centre agricole en Basse-Provence

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Un Petit centre agricole en Basse-Provence
Revue des Deux Mondes, 4e périodetome 141 (p. 414-444).
UN PETIT CENTRE AGRICOLE
EN BASSE-PROVENCE

A l’époque où nous vivons, les conditions matérielles de l’existence, intimement liées à l’organisation même de notre société, envisagée au point de vue moral, se transforment avec une rapidité si vertigineuse que, dans peu d’années, les souvenirs du « bon vieux temps » auront disparu, presque sans laisser de trace, sous l’influence de cette évolution torrentielle qui entraîne tout, hommes, choses, idées. Les années présentes équivalent presque à des générations d’autrefois. Les changemens apparaissent surtout profonds et rapides en agriculture, et plus encore dans le midi que dans le centre ou le nord de la France.

Il nous a semblé qu’il ne serait pas sans intérêt d’étudier le sort actuel de ces paysans provençaux dont les qualités et les défauts contrastent assez curieusement avec les défauts ou les qualités de leurs voisins d’outre-Rhône. Comme, à bien des égards, l’étude du passé offre plus d’originalité que celle de la situation présente, nous puiserons largement dans les vieux documens et les vieux souvenirs. Non que nous voulions faire œuvre d’archiviste ou d’historien : nous ne remonterons dans aucun cas au delà d’un siècle environ, et excluant le passé, si respectable qu’il soit, nous ne nous attacherons qu’à des faits dont nos contemporains les plus âgés ont pu être les témoins inconsciens.

I

Au sortir du département des Basses-Alpes, la Durance, grossie du Verdon, change la direction de son cours et, forçant l’étroit défilé de Mirabeau, déroule son lit capricieux et irrégulier dans une plaine assez large, sensiblement orientée du levant au couchant. Au nord de la rivière (qui mériterait mieux le nom de torrent) s’étend le département de Vaucluse, avec les petites villes de Pertuis et de Cadenet, l’une et l’autre chefs-lieux de canton de l’arrondissement d’Apt, et séparées de ce dernier centre administratif, d’abord par divers contreforts assez médiocres, mais surtout par la chaîne abrupte du Luberon (ou Léberon) que nulle route ne franchit, sinon celle de la « combe » de Lourmarin, tracée au delà de Cadenet, vers l’ouest. Au sud, dans les Bouches-du-Rhône, et à distance respectueuse du terrible cours d’eau, se succèdent Peyrolles et deux autres communes du canton de Peyrolles (rattaché lui-même à la sous-préfecture d’Aix). C’est d’abord le bourg de Meyrargues dont les maisons, surmontées par un vieux château pittoresque, dominent une gare importante où les deux réseaux du Sud de la France et des Bouches-du-Rhône se soudent à la ligne P.-L.-M.; ensuite, à quelques kilomètres plus loin, la commune du Puy-Sainte-Réparade, où nous allons introduire nos lecteurs. Le « petit centre agricole » dépend de cette commune, et nous allons brièvement retracer l’aspect de son terroir.

Considéré dans son ensemble, il forme une sorte de plan incliné irrégulier, exposé au nord, dont la base bien arrosée baigne dans la Durance et dont le sommet coïncide avec la crête aride de la Trévaresse, petite chaîne trop déboisée qui, faisant face au Luberon, borne au sud le bassin de l’affluent du Rhône. A mi-côte s’élève l’agglomération, modeste hameau d’une centaine d’habitans, d’où l’on jouit d’une vue superbe sur l’ensemble de la vallée. Dans la plaine, le petit canal de Peyrolles, dérivé de la Durance en amont de ce bourg, serpente au-dessus des terres qu’il irrigue et, plus loin, le grand canal de Marseille poursuit en ligne droite sa marche inflexible, à une faible distance de la rivière qu’il vient à peine de quitter. Les talus de ses berges élevées, arrêtant l’écoulement des eaux supérieures, nuisent beaucoup aux champs voisins, loin de les féconder. Deux chemins vicinaux desservent le territoire : le premier, le plus anciennement tracé, dessert la plaine arrosable et se déploie, parallèlement au thalweg, de Meyrargues au Puy à peu de distance de l’ancienne carraire, jadis réservée au parcours des troupeaux transhumans ; depuis quelques années, à tous ces tracés limitrophes est venu s’ajouter un chemin de fer d’intérêt local dont les rails suivent fidèlement la route. L’autre chemin, plus récent et naguère difficilement praticable, vient de la ville d’Aix; il gravit un col de la Trévaresse, déploie ses lacets sur la colline au milieu des bois de pins, débouche dans le hameau paroissial et se bifurque en aval de celui-ci, d’une part pour aboutir au Puy, de l’autre pour se raccorder perpendiculairement à la route déjà mentionnée. Au point de jonction, la compagnie du chemin de fer a fait construire un petit abri qui porte le nom de notre hameau, éloigné de 3 kilomètres, et devant lequel s’arrêtent quelquefois les trains sur la demande des voyageurs. En résumé, comme jadis, le territoire et ses habitans, sans être isolés, communiquent moins facilement qu’on ne pourrait le croire, avec Aix et Pertuis, les deux marchés agricoles les plus voisins et se trouvent dépourvus de la jouissance immédiate des grandes routes, ponts ou voies ferrées, dont le voisinage relatif se complique de longs détours et de pénibles montées.

L’aspect général du terroir rappelle beaucoup sans doute, à maints égards, le paysage provençal tel que l’ont contemplé tous les voyageurs qui se rendent du nord ou de l’ouest de la France dans la direction de Nice. Néanmoins, ce ne sont là ni les collines boisées de pins du Var, dominant d’interminables olivettes, ni la plate Grau avec ses cailloux, ni les verdoyantes prairies de la banlieue d’Arles. Peu d’oliviers, d’ailleurs médiocres et presque improductifs; sur les hauteurs, trop peu de bois, généralement des pins d’Alep rabougris ; quelques prairies dans la zone arrosable seulement, mais beaucoup de pommes de terre, force champs de blé, et beaucoup d’amandiers, dont les nombreuses rangées sillonnent la plaine, peuplent les coteaux et escaladent les pierreuses collines sans en dissimuler complètement la nudité blanchâtre. Le paysage, çà et là assombri par des bouquets de chênes blancs ou verts, ressemblerait, sur plus d’un point, aux environs de Carcassonne (avec moins de vignes) ou à certaines parties de l’arrondissement de Castelnaudary.

Le sol est caractérisé par sa constitution essentiellement argilo-calcaire ; la terre, plastique à un haut degré, renferme encore un bon tiers de carbonate de chaux. Des tuileries ont existé et existent encore dans le pays. Lors des grandes chaleurs de l’été, la terre se dessèche et se fendille à la superficie, sans perdre sa fraîcheur intérieure, et quand, par extraordinaire, survient une longue série de pluies qui précipitent beaucoup d’eau, les travailleurs et les bêtes de labour ne peuvent plus pénétrer dans les champs sans risquer de s’enlizer dans une bourbe fangeuse qui conserve sa mollesse durant des semaines entières. Aussi, quoique les paysans, en présence d’un ciel trop peu nuageux, invoquent de tous leurs vœux averses ou orages, ils n’en conviennent pas moins que, somme toute, les années sèches sont les plus favorables à l’agriculture.

Si on examine la déclivité du versant de la Trévaresse qui fait face à la Durance, les traces d’érosion des eaux pluviales se manifestent au premier coup d’œil. Les parties dénudées des flancs de la colline sont sillonnées de rigoles qui représentent, d’une manière concrète et extrêmement nette, les hachures des topographes ou « lignes de plus grande pente. » Quand un peu de végétation protège la surface argileuse de la croupe, les effets de l’entraînement s’atténuent et les arbres des lignes de drainage croissent en vigueur. Vers la limite supérieure de la plaine, ces rigoles, en se réunissant, forment une succession de ravins, d’autant plus creux que leur pente est moindre, et dont une riche et ombreuse végétation tapisse l’étroit thalweg. En continuant à descendre, le promeneur finit souvent par aboutir à un « vabre » ou petit torrent dont les eaux assez limpides coulent sans interruption plusieurs mois de l’année. De loin on ne distingue qu’un ruban de verdure qui ondule à travers les bas coteaux et la plaine ; de près, on constate que de nombreux végétaux protégés par l’ombre des parois contre les rayons brûlans du soleil hument avec avidité les moindres suintemens aqueux. Un peu plus bas, le courant se régularise et grossit, mais aux dépens de sa limpidité que troublent les écoulemens du canal. Dans la région irrigable, les arbres disparaissent, pourchassés par l’avarice des villageois. À peine quelques peupliers égaient la stérilité des berges artificielles et peu saillantes ; puis des roseaux garnissent seuls un lit élargi et désormais réduit à l’humble rôle d’exutoire vers la Durance, en cas d’orage trop violent.

Par raison d’économie, la partie fertile et humide de la plaine est peu boisée ; on y admet toutefois le peuplier à cause de sa valeur industrielle, l’amandier comme arbre de rapport et le mûrier à raison de son importance antérieure. Dans les hautes pentes, la végétation, quand elle n’est pas purement herbacée, se rabougrit un peu. C’est donc au pied des dernières ondulations que les arbres se développent le mieux. Le chêne blanc y atteint de fort belles proportions; à son défaut, le chêne vert, le pin d’Alep s’accommodent des sols les plus secs; si, au contraire, un peu d’humidité favorise le terrain, l’aube, l’arbre classique des bords du Rhône, étale son tronc blanchâtre aux sillons rugueux et épanouit son feuillage d’un vert lavé de tons bleus et gris. A ces plantations naturelles, la main de l’homme est venue, depuis plus d’un siècle, prêter son concours. Aux jours qui précédèrent la Révolution, alors qu’un vent de nouveauté soufflait sur tous les esprits enfiévrés d’amélioration, un conseiller au Parlement d’Aix, propriétaire intelligent, bon agriculteur, entreprit dans notre terrain les premières tentatives de reboisement. Dans le voisinage des lignes d’arbres déjà existantes, il sema des glands et organisa des plantations assez vastes, et malgré les temps troublés qui survinrent, en dépit de la dent des troupeaux, de l’incurie des paysans, des ravages causés par les neiges et les eaux torrentielles, son œuvre persiste encore dans son ensemble, curieux et encourageant exemple de ce qu’on aurait pu réaliser à peu de frais depuis longtemps, pour corriger la désolante nudité des coteaux du sud-est.

La nature du paysage et le contraste qu’il présente avec ceux du Var tiennent à la nature du climat local, froid et humide en hiver. Bien des végétaux qui, sous une latitude analogue et à peu de distance de la Méditerranée, prospéreraient en paix, disparaissent bientôt lorsqu’on les importe dans ce canton. Le laurier-rose ne saurait y vivre en pleine terre. Les palmiers de Chusan voient souvent leur existence compromise et bien des conifères exotiques ne tardent pas à succomber. Par compensation, le hêtre ordinaire, le bouleau même, dans les coins frais et ombragés, voisins des cours d’eau, peuvent croître et se développer sans toutefois se propager par semis. Il en est de même du pin sylvestre. Enfin, sur le flanc de la Trévaresse, non loin de la cime de cette chaîne, dans un pli de terrain exposé au nord, subsiste, à l’intérieur du parc d’une propriété privée, une petite « station » de hêtres spontanés, dernier vestige du climat quaternaire de la Provence.

Quant à la faune du pays, autrefois, il y a une quarantaine d’années, les loups n’étaient pas rares dans le pays. On s’en assurait en voyant les troupeaux de brebis gardés par de superbes chiens blancs et noirs, de belle taille et de robuste appétit, capables de lutter avec avantage contre les bêtes féroces. Néanmoins les loups n’étaient pas précisément indigènes dans le terroir; ils sortaient des montagnes des Basses-Alpes et, à l’époque où les troupeaux, chassés par les neiges, quittaient les hauts pâturages de Barcelonnette, Digne, Castellane, pour descendre dans la Crau, le long des carraires, nos bêtes féroces suivaient le bétail, guettant toujours quelque bonne aubaine. Aucun obstacle ne les arrêtait, pas même les flots limoneux de la Durance qu’ils traversaient nuitamment à la nage. Mais peu à peu des chiens de moyenne taille remplacèrent les beaux animaux d’autrefois, et maintenant la sécurité est si grande que les brebis ne sont plus guidées que par d’affreux roquets, intelligens, bien dressés, mais qui, au point de vue pittoresque, font regretter leurs sympathiques devanciers. L’ordre des carnivores n’est plus représenté en Basse-Provence que par le renard, le blaireau et la fouine.

Si certaines espèces autochtones disparaissent des rives de la Durance, d’autres, naguère inconnues, s’y implantent de nos jours. De tout temps, on a tué des sangliers dans l’Estérel; mais depuis peu d’années, soit que leur race se soit multipliée outre mesure dans les cantons à chasse réservée, soit que des incendies trop fréquens les aient pourchassés au dehors, ces porcins ont envahi l’ouest du département du Var et, errant de bois en bois, se sont montrés dans les banlieues d’Aix, de Marseille et jusqu’aux approches de Salon. Il est à croire que leur race s’implantera pour longtemps dans le pays, étant données sa fécondité et sa résistance aux coups des chasseurs.

Parmi les rongeurs, le lièvre, assez commun jadis, tend à disparaître, victime de la légendaire passion des Provençaux pour la chasse. Race plus prolifique et plus malfaisante, le lapin soutient mieux la lutte pour l’existence, ainsi que l’écureuil, tout aussi répandu qu’autrefois. Pourtant l’intérêt du paysan le pousse à l’extermination de ce joli petit animal qui est très nuisible aux plantations d’amandiers du pays.

Comme oiseaux, outre le moineau, il en est un qui, dans la mo venue vallée de la Durance, pullule et domine au point de faire prévoir un jour l’entière disparition des autres volatiles. C’est encore un animal nuisible, un ennemi des amandes, la vulgaire pie. En automne, on voit les pies voltiger en troupes nombreuses et il n’est guère d’arbre un peu élevé qui ne soit garni à son sommet de leur nid si caractéristique. Malgré leur livrée noire et blanche qui les désigne comme cible naturelle, on sait combien ces oiseaux, dont la chair du reste n’est pas mangeable, se gardent avec intelligence et savent flairer l’approche des chasseurs.

Sauf quelques rares anguilles qu’on réussit quelquefois à grand’peine à extraire des creux des « vabres » ou des canaux dérivés de la Durance, le poisson d’eau douce est passé à l’état de mythe. Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans la première moitié de ce siècle — période que nous désignerons par l’abréviation conventionnelle « autrefois » — on trouvait dans le hameau sinon des pêcheurs de métier, du moins des habitans qui ajoutaient, à leurs profits ordinaires quelques sous provenant de la vente des poissons qu’ils prenaient. Mais ce temps-là est bien passé.


II

C’est au passé qu’il nous faut encore revenir pour mentionner comme coutumes disparues l’élevage des abeilles, celui des dindes dont les nombreux troupeaux, guidés par un enfant, pâturaient autrefois dans les champs pendant l’automne jusqu’à l’époque de la Noël, où les oiseaux engraissés se vendaient sur le marché d’Aix, à l’occasion du souper de la fête.

Éleveurs d’abeilles ou de volailles, les anciens fermiers qui disposaient d’une étendue de terre raisonnable possédaient aussi des bœufs venus de la Haute-Provence ou du Gapençais. Actuellement encore, dans la Crau, on emploie souvent l’expression de bouvier pour celle de valet de ferme, quoique depuis longtemps l’usage des bœufs soit tombé en désuétude. Quand ils ne labouraient pas, les bœufs pâturaient dans les terrains vagues où la fraîcheur relative du sol entretenait un peu d’herbe, sous la garde d’un valet commis à cet humble emploi, et que dut remplir, à l’époque du Directoire, le curé constitutionnel du pays, réduit à la misère le plus abjecte. A la suite de nombreux défrichemens, l’emploi exclusif des mulets s’imposa au point que de nos jours il serait parfaitement impossible de trouver dans la localité un homme qui consentît à surveiller ou atteler une bête à cornes. Il est peu probable que la région d’Aix fournisse jamais de toreros les arènes d’Arles ou de Beaucaire. Sous la Restauration ou même sous Louis-Philippe, la culture du seigle se conservait encore en Basse-Provence. Les paysans se nourrissaient d’un pain appelé consegaù, dans la composition duquel le froment n’entrait que pour moitié. En remontant à une époque plus ancienne, le seigle abondait encore plus, comme en témoignent les noms très significatifs de quelques localités. Aujourd’hui cette céréale est à peine connue de nom dans la région qui nous occupe. Les cultivateurs de la plus humble ferme ne se nourrissent que d’excellent pain blanc fait avec le blé du pays, qui est fort beau, sans valoir cependant l’ancienne « tuzelle » de Provence. Jadis, comme dans la Rome antique, le métier de boulanger était inconnu ; dans chaque ménage, on utilisait le four de la maison ou on empruntait celui du « fournier » qui prêtait son local, sans pour cela faire le commerce. Peu à peu, l’habitude de pétrir et de cuire la pâte à domicile s’est perdue, et actuellement, presque tout le monde a recours aux offices du boulanger.

Nous ne nous appesantirons pas sur la culture du blé, ni sur son rendement, ni sur les engrais en usage pour en favoriser la production. Au fumier de bergerie ou d’écurie s’est substitué le tourteau de sésame, et le rendement, c’est-à-dire le rapport de la récolte à la semence, a grossi d’un tiers environ. Autrefois, chez les petits propriétaires, on suppléait à l’insuffisance de l’âne, la bête de labour la plus commune, par un travail manuel acharné. Aujourd’hui, on voit fonctionner des charrues de Dombasle tirées par des mulets accouplés, et jamais isolés comme ceux qui traînent les « fourcats » ou « araires » du Bas-Languedoc.

Beaucoup de vieux travailleurs ont, dans leur jeune temps, manié l’antique faucille; puis est venue la faux, abattant la forêt d’épis dans son rapide va-et-vient et accomplissant beaucoup de besogne, mais un travail moins parfait, au dire des anciens.

Il n’y a pas fort longtemps que de véritables troupes de garçons et filles, après avoir travaillé aux moissons de la banlieue d’Arles, où les chaleurs de l’été, beaucoup plus vives qu’à Aix, précipitent l’époque de la maturation du froment, arrivaient, à la fin de juin ou au début de juillet, pour aider à couper et à entasser les blés, dans la région qui nous occupe. Ils recevaient l’hospitalité dans les grandes fermes qui employaient leurs bras, et, durant plusieurs jours, on les voyait accomplir gaiement leur tâche, souvent interrompue par de fréquens repas. Celui du soir surtout, mieux arrosé que les autres, non seulement se prolongeait fort longtemps, mais se terminait par des chants plus bruyans que justes, où se mêlaient un excellent provençal et un atroce français, puis par de joyeuses farandoles, vagues réminiscences des vieilles mœurs agricoles chantées par le poète de Maillane. Pour diverses causes, et surtout à raison de l’économie de bras réalisée par les machines, c’est à peine si quelques travailleurs des villages voisins viennent seconder aujourd’hui dans leur travail les ouvriers locaux, à l’époque de la moisson.

On n’ignore pas qu’en Provence, de temps immémorial, les cultivateurs, pour séparer la paille du grain ont « foulé » le blé sur des aires, au lieu de le battre avec des fléaux comme dans la majeure partie de la France. Le plus antique et aussi le meilleur procédé de foulage consistait à étendre les gerbes sur une « aire » aplanie, durcie, souvent pavée, toujours bien découverte et exposée aux vents; puis, le paysan, armé d’un grand fouet, excitait les mulets qui tournoyaient en cercle, les yeux bandés, et triturant les épis de leurs sabots, accomplissaient lentement, mais proprement, le travail de séparation. Sous les couches de paille à peine froissée, se trouvait le grain encore imparfaitement nettoyé. On achevait de l’isoler par le vannage, qui se pratiquait dans de grands tamis, suspendus dans un coin de « l’aire » à trois perches entre-croisées. Les plus petits résidus s’échappaient à travers les trous du tamis ; puis l’ouvrier, par un mouvement, assez difficile à bien exécuter et non dépourvu de grâce, faisait tourbillonner le contenu de son tamis. Plusieurs fois renouvelée, l’opération finissait par donner un superbe produit fort apprécié sur le marché d’Aix.

Lorsque venait le soir, le fermier, un des valets ou journaliers, ou quelquefois le « maître d’aire », payé par le propriétaire pour aider le fermier tout en veillant à ses propres intérêts, s’improvisait une tente au moyen d’un bourras (sorte de drap grossier) et de quelques piquets plantés dans le tas de paille. L’homme, secondé par un chien et armé d’un vieux fusil rouillé, passait la nuit sur « l’aire », pour veiller aux risques éventuels d’incendie et garder le blé contre les voleurs.

Le travail des aires, s’accomplissant lentement à une époque de l’année où les paysans et leurs bêtes sont peu occupés, n’occasionne pas grand débours. Aussi l’emploi des batteuses a-t-il été moins généralement accepté que celui des moissonneuses. Néanmoins les « aires » antiques ont dû subir, elles aussi, la loi du progrès, et cela depuis bien des années. Au lieu de recourir aux seuls pieds des mulets, on facilite la besogne des animaux en leur faisant traîner circulairement de gros rouleaux tronconiques en pierre, et presque partout fonctionne un ventilateur mécanique mû par une manivelle. Les blés et pailles ainsi obtenus ne valent pas à beaucoup près les productions similaires d’autrefois, mais restent encore très supérieurs à la paille et au blé obtenus par les batteuses.

De tout temps, la pomme de terre a été cultivée dans la vallée, mais autrefois, en vue seulement de la consommation locale. Depuis qu’une partie de la plaine reçoit l’irrigation des eaux du canal de Peyrolles, la production en grand de la pomme de terre à l’arrosage s’est largement généralisée. Le tubercule produit beaucoup dans les bons sols copieusement fumés et arrosés; l’année suivante, à la pomme de terre succède le blé. Depuis quelques années, les plantes de pomme de terre sont attaquées par une maladie assez semblable au mildew des vignes et dont il serait aisé de les guérir par le même moyen : des aspersions avec des bouillies aux sels de cuivre.

Malgré le renom justement mérité de l’huile d’Aix authentique, une bonne partie de la banlieue de cette ville, — tout le terroir situé au nord de l’ancien oppidum gaulois d’Entremont, — est dépourvue d’oliviers, comme peuvent le constater les voyageurs qui circulent d’Aix à Pertuis, Si, quittant la vallée de la Touloubre pour franchir la Trévaresse, on redescend le flanc nord de cette chaîne pour entrer dans le territoire de notre petit hameau, on constate, comme nous l’avons déjà dit, que l’olivier y est rare et peu vigoureux. Les quelques pieds assez laids qui subsistent proviennent de timides replantations ou constituent les derniers débris de vergers assez importans qu’ont ravagés certains hivers rigoureux et notamment celui de 1820[1]. Auparavant un important moulin à huile fonctionnait à la fin de chaque automne. Comme conclusion à ces courtes remarques, nous signalerons la bonne qualité des rares fruits et du peu d’huile que produisent les oliviers provençaux ou dauphinois dans le voisinage de la limite que le froid impose aux plantations régulières, et la même règle s’applique aussi à bien d’autres produits. Ce n’est pas que d’autres cultures arbustives ne puissent prospérer dans le pays. Partout où l’olivier, chassé par les rigueurs de l’hiver, a disparu, ç’a été pour le plus grand bénéfice de l’amandier. Comme il s’agit d’un produit important, spécial à une région limitée, au centre de laquelle notre hameau se trouve fortuitement placé, il nous faut entrer à ce propos dans quelques détails. On peut le dire, l’amandier est l’arbre de la vallée de la Durance. Les premières plantations apparaissent déjà dans le Gapençais ; puis, les mêmes arbres envahissent l’ouest du département des Basses-Alpes, le territoire vauclusien d’Apt, n’entament du Var qu’un coin de l’arrondissement de Brignoles ; mais, dans les Bouches-du-Rhône, ils peuplent le nord de l’arrondissement d’Aix, ne s’arrêtant à l’ouest que vers la zone arrosable de la banlieue d’Arles. Si l’on trace une ligne droite partant du fond de l’étang de Berre pour aboutir à Cavaillon, en passant par la « trouée » de Lamanon, cette ligne coupera dans les Bouches-du-Rhône les territoires les plus riches en vergers d’amandiers de grand rapport. En effet, telle propriété importante, dans certaines années exceptionnelles, fournira pour 30 à 40 000 francs d’amandes. L’arbre prospère dans les plus mauvais terrains, les sols secs et pierreux, n’exige ni culture, ni fumier d’aucune sorte ; il produit, assez jeune encore, des fruits qu’on peut immédiatement échanger contre espèces sonnantes, sans autre peine que celle de les faire cueillir, puis dessécher au soleil pour les décortiquer, sans même courir le risque d’une altération, comme il arrive pour les baies charnues. L’amandier ne nécessite qu’une simple taille intelligente, dont les frais se compensent en partie par le profit des branchages et du menu bois.

Si l’amandier n’exige pas les frais considérables qui grèvent tant d’autres récoltes, en revanche, il ne produit pas régulièrement chaque année. Tous les hivers, au mois de février, l’arbre s’émaille bien de fleurs blanches ou roses d’un charmant aspect, mais souvent, lorsqu’une tiédeur printanière trop prématurée a précipité l’époque de la floraison, une gelée survient et tout espoir de récolte s’évanouit. Encore cet accident trop fréquent semble-t-il être gouverné par le pur hasard. Quelquefois les amandiers ne portent point de fruits plusieurs années de suite ; ou bien ils en produisent sans interruption à diverses reprises successives ; d’autres fois on voit se succéder une série de récoltes médiocres ou passables. Les pieds d’amandier qui parsèment les champs de la Provence sont toujours greffés. On leur fait porter tantôt des amandes à coque dure, tantôt des fruits à coque tendre. On range dans la première catégorie la variété dite « commune, » dont la « charge » (mesure locale encore usitée pour le commerce des amandes et valant 250 ou 260 litres)[2] vaut de 40 à 45 francs les années normales, et la variété « à flots », ainsi appelée parce qu’elle est très productive et que ses fruits sont agglomérés en petits bouquets. On classe dans la seconde les amandes « matheronnes », moins fines elles-mêmes que les « pistaches » ou « princesses » ; la coque de ces dernières est très mince et leur prix très élevé (jusqu’à 100 francs la charge), parce que les « princesses » se tassent mieux dans la mesure et fournissent moins de déchet. L’amertume peut être considérée comme un phénomène accidentel, spécial à tel ou tel arbre. Lorsque l’année est favorable et que les prix se maintiennent, un « à flots » jeune et sain en plein rapport peut rendre à son propriétaire de 15 à 25 francs. Il serait difficile de dire si les variétés fines tendent ou non à éliminer les variétés dures : on peut dire cependant que celles-ci, plus rustiques, résistent mieux, grâce à l’épaisseur de leur enveloppe, au bec des pies et à la dent des écureuils.

Pour en finir avec l’amandier, nous pourrions ajouter que l’arbre parvient à une vieillesse médiocre et qu’alors son aspect, déjà médiocrement agréable lorsque le pied est jeune, s’enlaidit de plus en plus. Sous l’influence d’une force occulte, le tronc se tord sur lui-même comme un câble; le centre se creuse et de grosses branches se dessèchent. Ce sont les symptômes avant-coureurs d’une décadence qui aboutit quelquefois à une mort subite, surprenant le végétal encore chargé de fruits. On prétend que partout où ont vécu de vieux amandiers, il est difficile d’en faire réussir de nouveaux. La solution de ce problème de physiologie botanique, jusqu’ici à peine étudié au point de vue expérimental, mériterait d’être creusée, et il se trancherait peut-être en définitive par une question d’amendement rationnel du sol. Au printemps de 1871, les paysans de notre village, voyant bourgeonner leurs vignes, constatèrent, non sans surprise, un sérieux affaiblissement dans la vigueur des souches. On attribua cette dépression aux froids rigoureux de l’hiver de la guerre et on ne s’en préoccupa plus. On s’illusionnait sur l’importance des dégâts, car on se trouvait en présence du phylloxéra, encore mal connu, qui commençait à exercer ses ravages. La maladie, dans toute la plénitude de son expansion presque illimitée, tailla dans le vif: quatre ou cinq ans plus tard, à peine restait-il dans le pays quelques souches éparses indiquant le contour des lisières des anciennes plantations, lisières qui furent, non pas respectées, mais tant soit peu épargnées dans l’universelle destruction. Ainsi, une décharge d’artillerie, bien dirigée contre une troupe, pulvérise le centre sans faucher la totalité des hommes placés sur les ailes. Quelques propriétaires s’acharnèrent à défendre leurs vignobles par le procédé Faucon, consistant, comme on sait, à nouer en hiver les vignes malades; mais, soit que le mal fût alors plus difficile à conjurer qu’il ne l’est devenu depuis, soit plutôt que le dommage extérieur n’eût inquiété qu’à la suite de ravages internes déjà irréparables, ils échouèrent dans leurs efforts. Essayé plus tard, le sulfure de carbone, appliqué dans les conditions difficiles ne donna en général que des résultats douteux. Mais les quelques vignes plantées ou replantées dans les sables voisins du lit de la Durance ont vécu et auraient pu donner lieu à d’excellentes spéculations, sans les fréquentes invasions de mildew qui éprouvent principalement, on ne l’ignore pas, les ceps des terrains bas et humides.

Revenons en arrière. Dans le Bas-Languedoc, le Bordelais, le centre et l’est de la France, la nécessité de la culture intensive de l’arbuste d’une part, ou les convenances locales d’autre part, restreignant les vignobles à certains points favorisés, avaient fait adopter les plantations dites « à plein », c’est-à-dire l’exclusion de toute culture étrangère pour les terrains plantés en vigne. Mais en Provence, où la vigne croissait presque sans soins et pouvait prospérer à peu près partout, on avait recours à la plantation dite « en oulières ». A deux rangées de vignes parallèles et accolées (éloignement 75 centimètres ou 1 mètre) succédait un assez large intervalle vide, puis encore deux rangées voisines, et ainsi de suite. Il est clair que cette disposition ne se développait avec régularité que dans les terres suffisamment vastes et que les « oulières » placées sur la limite de deux héritages voisins ne s’harmonisaient guère entre elles.

Une pareille disposition offrait plusieurs avantages : au lieu d’un défoncement complet à la charrue, le creusement à bras d’un simple fossé correspondant à deux files jumelles suffisait parfaitement et on pouvait compenser pour la terre déplacée le défaut de largeur par un accroissement de profondeur. Dans les 4 à 6 mètres de l’intervalle vide, le paysan semait du blé ou de l’avoine, plantait des amandiers ou cultivait des légumes. La vigne profitait du peu d’engrais que recevaient les céréales ou les autres cultures intercalaires et bénéficiait du labourage plus ou moins superficiel nécessité par leur établissement. Mais à cela près, elle ne recevait jamais ni fumier, ni engrais chimique.

L’intervalle qui séparait les pieds successifs d’une même file ne permettait pas à une bête de trait de traverser la rangée, et, de même, le passage était impossible entre les deux alignemens contigus. Tout le travail de binage s’exécutait à la main, au pied même de la souche et s’opérait, en pratique, d’une façon plus que sommaire. On se contentait d’ordinaire de quelques coups de bêche au printemps. Lorsque venait l’été, les malheureuses souches devaient forcément se débrouiller à leur fantaisie, car les travaux de la moisson et les interminables occupations du dépiquage sur l’aire empêchaient qu’on se préoccupât de les nettoyer.

Conformément à la routine séculaire de la rive gauche du Rhône, le vigneron aixois plantait au hasard un mélange des cépages les plus divers. Le Morvèdre côtoyait le Grenache et le Plant d’Arles (ou Cinsaut) ; l’Ugni noir et l’Œillade fraternisaient avec la Clairette, le Pascal blanc, l’Ugni blanc et le Colombaud. Fruits de toute espèce, de toute nature, se recueillaient pêle-mêle et se mélangeaient dans la cuve. Une semblable pratique paraît barbare au premier abord; néanmoins, quand on la discute, on observe qu’en fait les inconvéniens en étaient bien atténués par cette circonstance, qu’à l’exception du Cinsaut, tous les raisins mentionnés ci-dessus mûrissaient en même temps et fort tard. Aussi les vendanges, commencées à la fin de septembre, se terminaient-elles souvent en octobre. Ecrasées par les jambes nues des fouleurs, les grappes fermentaient tout à leur aise durant des semaines entières; on ne décuvait guère qu’en novembre, après les semailles. Vu l’heureux choix des cépages, les raisins, intelligemment cueillis, foulés et fermentes, eussent fourni un vin d’excellent goût ; et il y a plutôt lieu de s’étonner que les crus du terroir fussent encore passables, malgré l’incurie des paysans.

Dans la localité qui nous occupe, tout comme dans le reste de la région, la vendange de 1849 fut si abondante, à une époque où le prix du vin s’était avili au point que les travailleurs consentaient à peine à accepter pour leur journée une « millerole » de vin (mesure locale valant environ la moitié d’un hectolitre) ; si abondante, disons-nous, que les raisins pendant sur quelques coteaux ne furent pas recueillis. Quelques années plus tard une réaction survint : l’oïdium, envahissant les vignobles français, amena un fort renchérissement sur le prix des vins, et, par bonheur pour les vignerons provençaux, les espèces les plus répandues dans le pays se trouvèrent braver la maladie ; le Grenache, notamment, continua de produire d’abondantes récoltes qui se vendaient avantageusement[3]. Plus tard, l’application du soufre ayant guéri la nouvelle maladie, les vins du midi baissèrent sur le marché, mais en laissant aux cultivateurs une rémunération convenable. Naturellement les Provençaux ne se soucièrent pas beaucoup de l’emploi du nouveau remède; ils soufrèrent peu et mal, continuant d’empocher des bénéfices suffisans qu’interrompit bientôt la venue du phylloxéra.

Quand tout le vignoble fut détruit, comme la culture du blé rémunérait suffisamment leurs peines, les paysans oublièrent un peu la vigne ; ils burent d’abord les produits que fournissaient les rares souches épargnées par le fléau ou quelques jeunes plantiers moribonds reconstitués au hasard ; puis, à mesure que les temps devinrent plus durs, ils consommèrent des boissons de fantaisie ou même de l’eau claire. Néanmoins, quelques-uns des plus hardis ou des plus intelligens plantèrent pêle-mêle, sans en bien reconnaître la vraie nature, quelques vignes exotiques en même temps que des cépages languedociens à grand rendement, autrefois inconnus dans le pays, tels que l’Aramon, le Petit-Bouschet, l’Alicant-Bouschet. Les invasions du mildew, qu’ils distinguaient mal du phylloxéra, parce que le mildew achevait de tuer les vignes malades et n’épargnait franchement aucun cépage ancien ou nouveau, contribuèrent à brouiller leurs idées. Cependant à la longue nos agriculteurs ont fini par comprendre à peu près l’état de la question et aujourd’hui la culture du Jacquez, franc de pied ou greffé, se répand peu à peu dans le pays. Néanmoins, comme le vin de Jacquez ne se conserve qu’à la suite de procédés de vinification raisonnes ; que le même cépage redoute le mildew; que l’entretien des greffes exige périodiquement des soins minutieux, il est certain que la solution idéale, en ce qui concerne le terroir, serait la découverte d’un producteur direct, indemne de phylloxéra et de mildew et fournissant, sans grande peine, un vin de bonne qualité. Nous espérons que les efforts des hommes, qui, chacun de son côté, creusent ce problème, en maîtriseront les difficultés pratiques, à la grande satisfaction des agriculteurs provençaux ou autres.

Jadis, les habitans de notre petit village avaient du moins plusieurs produits, pour entretenir leur aisance ou l’augmenter. Parmi ces ressources disparues, mentionnons la garance et le chardon, La culture épuisante de la garance n’exigeait pas d’arrosage, mais réclamait beaucoup de fumier et de travail; la plante, mieux adaptée aux terrains légers et substantiels, s’accommodait pourtant assez bien des terres fortes du pays, d’où l’on avait grand’peine à l’expulser complètement après le défrichement final. Les racines de garance s’écoulaient à bon prix sur les marchés de Vaucluse. Souvent, dans des terres même médiocres, on faisait croître du chardon dont on projetait la semence après un labour d’hiver. Deux simples binages se pratiquaient pendant deux étés consécutifs et, au mois de septembre de la seconde année, les chardons montaient en épis. On leur tranchait la tête, aux dépens de la plante qui ne tardait pas à mourir. Ces têtes s’utilisaient pour le cardage des draps fins; les prix, très rémunérateurs, ont dépassé, dans certaines circonstances, 80 francs les 100 kilos.

Les maladies et la baisse des prix ont nui à l’élevage des vers à soie, naguère très pratiqué, comme le témoigne l’abondance des pieds de mûrier, épars dans le pays plutôt qu’agglomérés en plantations continues. Dans les exploitations d’une certaine importance, le cultivateur, propriétaire ou métayer, abandonnait la direction de l’élevage à un homme compétent, venu d’une région séricicole, à un « magnanier », qu’il logeait, nourrissait, et secondait avec son personnel et son matériel. Une fois l’éducation terminée et les cocons bien vendus, le magnanier reprenait le chemin de son village, après avoir prélevé pour sa peine, le sixième ou le septième de la récolte.

Actuellement encore, toute exploitation de moyenne importance comporte un troupeau de brebis. Les gages des bergers, depuis une cinquantaine d’années, ont plus que doublé, et en outre, d’après un usage local profondément enraciné, le pâtre conserve le droit d’adjoindre au bétail qu’il dirige un certain nombre de bêtes (dix à douze) lui appartenant. Nous avons déjà parlé des beaux chiens d’antan ; à cette époque, plus d’un berger régnait despotiquement non seulement sur son avé et ses chiens, mais sur un mensit ou gamin qui faisait l’apprentissage du métier en gagnant une dizaine de francs par mois. Certains propriétaires du pays s’étaient donné autrefois beaucoup de mal pour améliorer les toisons par le croisement de la race du pays avec des béliers mérinos importés à grands frais. Plus tard la décadence définitive du prix des laines annula les effets de ce perfectionnement. Par bonheur l’élevage de l’agneau n’a jamais cessé d’être une importante source de profits pour les éleveurs. Le taux de vente, qui ne surpassait pas 6 livres à l’époque du Consulat, atteint de nos jours 18 francs, dans de bonnes circonstances, il est vrai, lorsque le prix du kilogramme sur pied oscille autour de 1 franc. A noter que, la vente du lait n’ayant pas en Provence l’importance qu’elle présente dans les Cévennes, à cause des fromages, le poids de l’agneau provençal, lorsqu’il est livré au boucher, est sensiblement double du poids de l’agneau caussenard, parce que celui-ci, vendu à la hâte, tette fort peu de temps. Du reste, on engraisse aussi le premier sans lui faire quitter la bergerie natale, avec des grains ou du blé, avant de le sacrifier.


III

Loin d’être la langue populaire en usage dans la majeure partie de la Provence, l’idiome gracieux dont s’est servi le chantre de Mireio ne se parle dans toute sa pureté que dans la verte commune d’Arles et dans un certain nombre de villes ou villages voisins du cours du Rhône, sur la rive gauche de ce fleuve. Le même dialecte déborde bien un peu sur quelques localités de la rive droite aux dépens du languedocien, mais il n’en est pas moins vrai que la classique langue des félibres s’altère rapidement à peu de distance des territoires où Mistral a placé les principales scènes du poème.

Au contraire, si un linguiste étudie sur place les transformations du dialecte populaire en partant de la ville d’Aix et en rayonnant dans toutes les directions, il lui faudra parcourir, vers le nord, vers l’ouest, vers l’est, des distances considérables pour arriver en fin de comptée surprendre d’assez médiocres variantes, plus souvent imputables à des nuances d’intonation ou à des tournures de phrases, qu’à des changemens de mots ou de syntaxe. En somme, le vrai langage provençal, l’idiome u moyen » est, on peut le dire, celui de l’arrondissement d’Aix ; s’il n’a pas été choisi pour traduire les idées des poètes, cela tient à l’origine « rhodanienne » des promoteurs de la renaissance de la langue, et ceux-ci, du reste, jugèrent avec raison que, toujours compris dans la Provence orientale, leurs expressions, leurs idiotismes artésiens conviendraient mieux aux auditeurs ou lecteurs d’une partie du Languedoc.

Peu éloigné de la ville d’Aix, notre petit village s’exprime comme sa capitale administrative, dans un parler qui n’est pas dépourvu de grâce, ni de piquant. A ceux qu’intéressent les questions de ce genre, nous dirons que cette branche du provençal se signale par l’abus des diphtongues accumulées et par l’usage de la terminaison en ien pour remplacer la rime française en « ion »[4].

Jusqu’à ces dernières années, l’usage de la langue française s’était bien peu répandu, au point que tel vieillard, incapable de s’exprimer dans la langue nationale, narrait en patois les péripéties de ses sept années de service, ses étapes en Flandre et en Bretagne. C’est dire que jadis le conscrit, de retour au pays, oubliait invinciblement le français qu’il avait été bien forcé d’apprendre. Même des petits propriétaires, capables de dialoguer en français, préféraient faire usage de la langue populaire, d’ailleurs très mordante et se prêtant parfaitement à la plaisanterie. Autrefois, sous le premier Empire et au début de la Restauration, aucune école n’existait dans le village. Quelques garçons seulement étaient instruits par le curé de la paroisse qui les dressait aux offices de clercs. Peu d’hommes auraient été capables de signer leur nom[5] et les filles n’apprenaient rien du tout en dehors de la récitation du chapelet. Aux environs de la Révolution de 1830, un maître d’école vint s’installer dans le pays, et depuis lors l’instruction n’a jamais cessé d’être distribuée avec plus ou moins de régularité.

Des femmes d’artisans ou de maçons, venues des localités voisines, des sœurs de curés commencèrent tout d’abord à enseigner, d’une façon assez sommaire, l’alphabet à quelques fillettes privilégiées. Cet état de choses persista sans grand changement jusqu’à la troisième République, lorsque fut fondée l’école mixte actuellement existante et que dirige une institutrice.

La question de l’usage et de l’enseignement du français nous conduit tout droit à un sujet connexe, mais plus brûlant, celui du service militaire et de l’expatriation. L’ancien mode de servir, tel qu’il était établi par les lois militaires successivement en vigueur jusqu’à celle du 27 juillet 1872, s’accordait mal avec le tempérament des paysans provençaux.

Aussi lorsque approchait l’heure du tirage au sort, nos jeunes gens faisaient des miracles d’économie afin d’arriver à réunir une somme suffisante pour se racheter du service. Quoique notre localité, sans être bien pauvre, n’ait jamais passé pour riche, la proportion de jeunes gens qui recouraient autrefois à l’exonération ou au remplacement surprendrait, un statisticien[6]. Néanmoins l’heure du départ finissait par sonner pour quelques-uns et, hâtons-nous de le dire, nos peu belliqueuses recrues se transformaient promptement en assez passables soldats, disciplinés en actes, sinon en paroles, et trouvaient bientôt à quitter le service de compagnie pour se caser dans les fonctions auxiliaires, et surtout dans la musique, le rêve, le desideratum de tout Provençal pur sang qui accomplit son service militaire. Quelques-uns, en très petite minorité, embrassaient la carrière des armes et ne retournaient plus au hameau ; d’autres, bien plus nombreux, dépouillaient sans regret l’uniforme et reprenaient avec empressement la bêche du cultivateur[7].

À l’époque du premier Empire, la redoutable conscription, entre autres jeunes gens, en arracha deux à leurs foyers qui survécurent aux rudes épreuves de ce temps. L’un d’eux, V…, fils d’un simple fermier, finit par conquérir l’épaulette et par recevoir la croix de la Légion d’honneur ; après avoir servi comme officier comptable, emploi éminemment convenable aux aptitudes de la race intelligente et honnête des paysans de la Basse-Provence, il prit sa retraite à Marseille et utilisa honorablement ses connaissances acquises comme caissier d’une importante maison de banque. L’autre, Barthélémy F…, revint au village après sa libération ; il avait fait toutes les campagnes de Napoléon. Aucun érudit n’a recueilli le détail de ses aventures au milieu des prodigieux événemens qu’avait traversés mestré Mimieù ; il est probable néanmoins que ses souvenirs présentaient peu d’intérêt, à en juger par ses narrations de batailles qui se résumaient à l’éternelle phrase : Dé tabac n’y avié (tabac, est-il besoin de le dire ? signifie ici massacre, carnage). Évidemment le digne troupier faisait partie du clan des résignés, plutôt que de la catégorie des enthousiastes[8].

Depuis la promulgation des nouvelles lois militaires, les circonstances ont changé du tout au tout. Les jeunes gens d’aujourd’hui parlent assez mal le français, mais le comprennent à merveille ; l’expatriation, qu’ils évitent presque toujours d’ailleurs avec le recrutement régional, n’a plus rien qui les effraye. Si le conscrit est incorporé dans un régiment appartenant au 15e corps, il se voit entouré de compatriotes, souvent d’amis et de connaissances, non seulement à la chambrée, mais dans la ville de garnison. Presque tous ses chefs, quand ils ne sont pas originaires du pays, sont habitués de longue date à gouverner des Méridionaux dont ils connaissent le caractère. La rudesse inflexible du commandement d’autrefois n’existe plus qu’à l’état de souvenirs, qu’il faut exhumer du passé pour égayer les lecteurs des journaux ou les spectateurs des théâtres. Il n’est pas jusqu’à l’ordre dispersé qui, réclamant de l’homme une certaine dose d’intelligence et d’initiative, ne favorise les aptitudes innées du Provençal.

Donc, nos paysans partent volontiers pour accomplir ce devoir, si pénible pour eux jadis. D’ailleurs trois années de service sont bien vite passées. Pas de mauvaises têtes parmi eux. Plusieurs font bien vite d’excellens sous-officiers, dont quelques-uns rengagent avec l’espoir d’exercer plus tard à Marseille le métier de comptable, après leur libération. Nous avons eu plus d’une fois l’occasion de constater par nous-même l’entrain et la bonne humeur avec lesquels ces mêmes hommes, mûris et fortifiés, accomplissent leurs période d’instruction et les manœuvres qui accompagnent d’ordinaire les convocations de réservistes.

Toute médaille a son revers. Il est certain que les lois militaires actuelles, telles qu’elle sont appliquées, contribuent, pour une part sensible, au dépeuplement des campagnes du sud-est. Presque toujours, le paysan jeune soldat est envoyé dans les villes voisines de son terroir, où il se trouve bien vite en pays de connaissance et dont il adopte sans peine les habitudes. S’il résiste à cette épreuve, les périodes de vingt-huit et de treize jours viennent la renouveler. Naturellement la déperdition d’hommes à laquelle nous faisons allusion s’effectue d’ordinaire aux dépens des sujets les plus intelligens, tout en épargnant les individus les moins bien doués. Nous noterons comme trait de mœurs bien caractéristique du cultivateur provençal la promptitude avec laquelle, devenu citadin, il oublie l’agriculture, qu’il arrive bientôt à mépriser, de sorte qu’il est presque sans exemple qu’après avoir habité la ville, il retourne aux champs. Cette tendance s’accentue plus vite et plus nettement dans le cas où l’ex-agriculteur se fixe à Marseille. Exagérez-la encore, généralisez-la, et vous vous expliquerez sans peine pourquoi les Méridionaux s’enracinent très vite à Paris et arrivent bientôt à se croire de bonne foi Pari- siens pur sang[9]. La presse a trop souvent plaisanté sur cet innocent travers pour que nous ne le rappelions pas au courant de la plume, sans d’ailleurs insister.

Actuellement donc, notre village a expédié et expédie encore d’assez nombreux émigrans à Aix ou à Marseille, en Algérie, à Paris, voire même dans la République Argentine. Mais c’est surtout la ville d’Aix, à cause de son voisinage et des ressources modestes, mais stables, qu’elle offre à un travailleur dénué d’ambition, c’est surtout Aix qui attire nos paysans, leurs filles et leurs veuves, car une statistique improvisée et, par cela même, nécessairement incomplète nous a déjà fourni 46 individus de tout âge et de tout sexe établis dans l’ancienne capitale de la Provence. Inversement, nous avons pu compter dans le territoire une quarantaine de maisons, que les vieux cultivateurs se rappellent avoir vues habitées, et qui ne le sont plus actuellement. Ce déficit est compensé, il est vrai, par une douzaine de bâtisses neuves dont plus de la moitié construites dans l’agglomération paroissiale et scolaire qui tend à s’arrondir. La bourgade chef-lieu de la commune s’accroît, elle aussi, au point que, tout étant balancé, la population d’ensemble du territoire municipal, après avoir diminué jusqu’en 1886, est restée stationnaire depuis, et tend même à s’accroître. Mais, si aux abords du centre principal, les gains actuels compensent, et au delà, les déficits, il n’en est plus de même pour la circonscription rattachée au hameau ; en 1872 et 1876, 436 et 439 habitans; en 1881, 394 seulement[10]; en 1891, 353 Français et (Italiens: en tout 358 habitans. Le recensement de 1896 n’accuse plus que 347 âmes. La décadence est rapide, mais on pourrait citer des localités voisines encore plus éprouvées.

Jusque vers 1877 ou 1878, alors que l’agriculture prospérait, la population n’essaimait guère au dehors. Les naissances surpassaient même légèrement les décès, et les mariages étaient nombreux. Deux circonstances tendaient à maintenir un état stationnaire ; d’abord nos villageois, médiocrement aisés, mais non misérables, ne comptaient parmi eux ni riches ni pauvres; puis, la difficulté relative des communications, que nous avons déjà signalée, entravait aussi bien l’exode des familles autochtones, qu’elle détournait l’afflux des étrangers au terroir. Comme, après tout, cet isolement n’était pas absolu, il se produisait un original phénomène d’équilibre entre deux extrêmes, et les anciennes mœurs, dont il nous reste à dire quelques mots, se sont longtemps conservées intactes, point raffinées, convenons-en, mais aussi complètement exemptes de toute grossièreté ou barbarie. Essayons donc de faire revivre ce passé disparu.

Après la langue, la meilleure caractéristique de l’individualisme provincial, c’est le costume. Mais, pas plus autrefois qu’aujourd’hui, la gentille toilette arlésienne, dont tout le monde peut se faire une idée, sans se rendre sur les lieux, en allant voir représenter au théâtre la Mireille de Gounod, ne se porte dans notre village. Pourtant le costume, en usage dans tout l’arrondissement administratif d’Arles, envahit, sans que personne s’en plaigne, deux cantons de l’arrondissement d’Aix, ceux d’Istres et de Salon. Il est donc facile d’en tracer, commune par commune, les limites géographiques, d’autant qu’à une localité où jamais femme n’a coiffé le petit bonnet caractéristique en succède une autre où son usage est général.

Ainsi, de nos jours, rien à noter de particulier pour l’habillement. Mais, dans la première moitié de ce siècle, les vêtemens présentaient encore une originalité typique. Les jeunes gens et les personnes étrangères au Midi, peuvent du reste sans peine faire revivre sous leurs yeux les paysans de la Restauration en visitant, à l’époque de la Noël, les « crèches » des églises, dont les poupées, par un anachronisme traditionnel, sont exactement vêtues comme l’étaient les grands-pères des paysans actuels des Bouches-du-Rhône[11].

Hâtons-nous de dire que l’élégance et le pittoresque n’ont guère perdu à la disparition des modes antiques. Les femmes, en hiver, portaient d’assez courtes jupes de laine, généralement de nuance brune : ces jupes, très plissées, faisaient ressortir les hanches, et le corsage s’ajustait étroitement. La coiffure, de toile blanche ou de cotonnade, comportait, pour les filles les plus coquettes, des dentelles assez jolies quoique communes. Mais la femme provençale se signalait surtout par son énorme chapeau de feutre noir, à larges ailes et orné d’un ruban ; elle s’en coiffait quotidiennement, se contentant, les jours de fête, de substituer au chapeau ordinaire un couvre-chef moins fané. Un tablier et de gros bas bleus complétaient l’ajustement. L’été, des jupons de toile rayée remplaçaient les chaudes jupes de drap.

Les jours fériés, ou lorsque les paysannes venaient en ville, elles arboraient un manteau à capuchon, en indienne parsemée de fleurs, sur un fond noir. Ces manteaux, assez gracieux, se fabriquaient dans le pays et sortaient de la ville d’Aix, qui n’a cessé d’en produire qu’au milieu du règne de Louis-Philippe.

Vers cette même époque, les villageoises mariées et jouissant de quelque bien-être cessèrent de porter à leur cou le joyau appelé « papillon », en usage, dit-on, depuis l’époque du roi René. C’était une sorte de croix d’argent, d’aspect assez artistique, ornée de pierres fausses ou de médiocre valeur. Elle reposait sur le sein, portée par un ruban de velours noir que maintenait un coulant en argent plaqué d’or.

La culotte courte disparut en même temps que la croix. Elle comportait l’adjonction de guêtres en peau, remontant jusqu’au dessus du genou. Les fermiers les plus cossus préféraient arborer, au moins le dimanche, des guêtres de drap noir. La blouse ou le bourgeron étaient moins en usage qu’une assez longue veste que l’homme jetait sur ses épaules, les manches pendantes, et dont il ne se couvrait qu’en visite ou à l’église.

Lorsqu’on pénètre pendant les offices dans les églises de village, bien moins garnies qu’autrefois, on distingue ordinairement, dans le recoin le plus sombre, quelques vieux septuagénaires édentés, à figure ratatinée, coiffés d’un bonnet de coton qui leur couvre les oreilles. Ce détail de costume indique les derniers vestiges d’une mode disparue : autrefois, en effet, les paysans du sud-est usaient volontiers de la traditionnelle coiffure du bon roi d’Yvetot, blanche, bleue ou rouge, unie ou rayée. L’emploi de la « taïole » s’est maintenu plus longtemps. On nomme ainsi une large ceinture de laine de couleur, qui enlace la taille par-dessus le gilet.

Quoique jamais les Provençaux d’Aix, répétons-le encore, n’aient passé pour riches, cependant un indice d’aisance bien caractéristique a signalé de tout temps le costume des campagnards de la région. Au rebours des villageois du sud-ouest et d’une bonne partie du reste de la France, les paysans des deux sexes et leurs enfans, aux bords de la Durance, ont toujours porté des souliers.

Les jours fériés, nos bonnes gens s’habillaient de leur mieux avec les ajustemens conservés dans d’anciens bahuts, souvent curieux de style, et que les collectionneurs ont pourchassés. Presque tout le monde allait entendre la messe; les plus instruits se faisaient honneur de chanter au lutrin, bien moins faux qu’on ne pourrait le croire. Jusqu’à la fin du règne de Louis-Philippe, le prône se prêchait en provençal. Cet usage a disparu de bonne heure : d’abord parce que les desservans, nommés après la Restauration, plus familiers par leurs études avec la langue française qu’avec le patois populaire, éprouvaient une gêne réelle à traduire, dans ce dialecte, leurs idées en chaire, ensuite parce que les auditeurs, par amour-propre, préférèrent bientôt le pur français à ce langage un peu farci dont les expressions ne leur étaient guère moins étrangères que celles de l’idiome national. Il est à remarquer que, dans le Var, le sermon hebdomadaire en provençal s’est maintenu vingt ou vingt-cinq bonnes années de plus, et qu’actuellement les curés du département du Tarn prêchent encore en languedocien.

Quant aux modes de délassement pratiqués pendant les après-midi du dimanche, les uns ont disparu, d’autres se sont transformés, d’autres enfin persistent encore aujourd’hui ainsi qu’autrefois, comme le jeu de, boules si cher aux Méridionaux. Le goût des habitans de notre hameau pour la danse ne le cède en rien à celui de leurs aînés. Seulement la valse et le quadrille, scandés par les accords des cuivres, ont remplacé une sorte de menuet très peu varié qui entraînait les villageois au son du « tambourin » et du « galoubet ». Nous ajouterons que galoubet et tambourin[12] ne vibrent plus depuis bien longtemps dans les réjouissances provençales; les émules de Valmajour ne pratiquent guère que dans les villes, et encore rarement, pour certaines fêtes félibréennes ou à l’occasion des offices de Noël de la cathédrale d’Aix. Pour d’autres raisons que nous n’avons pas à approfondir ici, les quilles sont tombées en désuétude, ainsi que le jeu des anneaux qu’on s’efforçait d’enfiler sur un pieu fiché en terre, et le jeu du taulet, analogue au tonneau. On se divertit quelquefois encore au tir à la cible, qui se pratiquait avec des fusils de chasse chargés à balle et principalement le jour de la fête du village, qu’il nous reste à décrire.

La veille au soir de la solennité, on faisait flamber un grand feu de joie qu’allumait le curé, revêtu de sa chape de cérémonie. Le lendemain, la journée débutait par une « aubade » exécutée dans l’église par le tambourin en l’honneur du saint local. Le curé présidait à l’offrande, entouré de ses marguilliers, et, comme partout ailleurs, chaque assistant déposait sa pièce de monnaie dans le bassin après avoir baisé le reliquaire. Conformément à une tradition assez bizarre, le fabricien porteur du plateau, tenait de l’autre main un bâtonnet à l’extrémité duquel était fixée une pomme « tardée » de pièces de cinq francs. Il faut voir dans cet emblème la trace d’une magnificence disparue; l’offrande des pièces d’argent de la pomme avait dû jadis être réelle, puis, plus tard, on s’était contenté de la rappeler par un simulacre, où figuraient, converties en écus, les pièces de billon accumulées par les quêtes dominicales pour l’entretien du culte.

Après la célébration de la messe et le repas de midi, les divertissemens commençaient. Les fabriciens de la paroisse ou « prieurs » dirigeaient les jeux déjà mentionnés, dont les frais étaient couverts par la menue cotisation que tous les concurrens devaient verser avant d’entrer en lice. Aux jeunes gens était dévolue la tâche d’organiser les danses et d’engager un ménestrel rémunéré à leurs frais. De plus, nos garçons achetaient tout un assortiment de paquets d’épingles, modeste présent dont le cavalier, après chaque tournée, gratifiait la danseuse qu’il avait invitée.

Toutefois, sans avoir un rouge liard dans sa poche, tout le monde pouvait prendre part aux concours de boules et aux courses. Celles-ci, bien entendu, rappelaient plutôt les joutes décrites par Homère que les concours modernes sur le turf. Chevaux, mulets, ânes (ces derniers beaucoup plus communs jadis qu’aujourd’hui) luttaient successivement de vitesse. Puis venait le tour des vieillards, des enfans, des jeunes gens; mais pour tracer une peinture exacte de ces exercices, il faudrait pouvoir amalgamer les vers burlesques du cinquième livre de l’Enéide de Scarron avec les gracieuses stances du second chant de Mireio. La « course en sac », dont les émules se démenaient gauchement, enfouis jusqu’aux épaules dans des sacs gigantesques, accentuait encore la note comique.

Deux fêtes ecclésiastiques se rattachaient et se rattachent encore d’une manière intime aux anciennes mœurs agricoles. C’est d’abord la fête des Rogations, avec la procession à travers champs, procession moins suivie maintenant que par le passé. Puis la Saint-Eloi : chaque propriétaire d’un mulet ou d’un âne amenait, sur un emplacement désigné d’avance, pour y recevoir la bénédiction du curé, sa bête bien étrillée, pomponnée et ornée de rubans.

Actuellement, notre hameau possède un bureau de tabac, des cafés plus ou moins confortables, et même un cercle. Ainsi le veut la marche de la civilisation, et, sans nous réjouir outre mesure du nouvel état de choses, nous serons d’autant moins portés à regretter l’absence de ces établissemens au bon vieux temps qu’ils correspondent à des modifications d’habitudes plus apparentes que réelles. Au fond, la population est restée très sobre, comme autrefois. Les grands-pères fumaient ainsi que font les petits-fils : seulement, ils bourraient leurs pipes avec du méchant tabac récolté sur leur terre et desséché par leurs soins, en cachette de la régie, au lieu d’acheter les paquets de l’administration. Lorsque est venu le phylloxéra, nos paysans ont dû forcément renoncer au vin blanc ou rouge, aux liqueurs de ménage, aux fruits confits à l’eau-de-vie qu’ils préparaient chez eux, et consommer au cabaret de la bière ou de la limonade, du café ou de l’absinthe. Jamais les habitudes antiques ne reparaîtront dans la plénitude de leur simplicité, mais il est permis d’espérer qu’à la suite d’une suffisante reconstitution des vignobles, certains légers excès de consommation de boissons frelatées ne se renouvelleront plus. Les mœurs, du reste, ont sensiblement perdu de leur individualisme ancien, qui s’alliait pour les habitans des fermes isolées ou « bastides » avec un esprit d’hospitalité très bienveillant, et les cafés servent de lieux de réunion pour tous.

Quand survenaient les longues soirées d’hiver, les hommes, fatigués de leurs labeurs, montaient se coucher de bonne heure, mais leurs moitiés se donnaient rendez-vous à l’intérieur de quelque bergerie. Parfaitement garanties du froid extérieur par la chaude haleine des brebis, les paysannes tricotaient des bas à la lueur d’une fumeuse lanterne suspendue à quelque poutre du plafond et filaient le rouet, encore en usage jusqu’au milieu de la Restauration, ou la quenouille, dont la disparition plus tardive coïncida avec l’abandon de la culture du chanvre[13].

Si nous passons au chapitre de la nourriture, nous voilà forcé, pour être impartial, de mentionner une circonstance très authentique, d’après laquelle une famille de cultivateurs du pays, aujourd’hui fort aisée, aurait été réduite, dans le cours d’une période de disette postérieure à la Révolution, à consommer quelquefois des soupes de glands. Ajoutons que, très heureusement, ce fait ne constituait qu’une exception isolée ; le pays, même dans la première moitié de ce siècle, était plutôt gêné que misérable. Toujours un boucher a débité dans le hameau de la viande de mouton; quant à celle de bœuf, son emploi passait naguère pour un véritable luxe, et nous avons connu de braves gens pouvant citer les rares occasions où il leur avait été donné d’en consommer à la suite d’une excursion à Aix. Actuellement encore, le campagnard provençal aisé qui, au retour d’une foire, s’arrête pour dîner à l’auberge, commande de préférence une portion de « bœuf à la daube », plat très apprécié dans le peuple, et dont l’usage fréquent caractérise proverbialement l’aisance aux yeux des paysans. Quoi qu’Il en soit, d’après nos propres souvenirs, il y a vingt-cinq ans, les fermiers et leurs valets ne consommaient guère de viande de boucherie que le dimanche. Le fond de la nourriture était une soupe assez appétissante, avec force pain, légumes et pommes de terre. L’oignon cru, le pain frotté d’ail concouraient aussi pour une forte part à l’alimentation du paysan. Joignez à cela diverses variétés de fromage, dont l’un, très fort, appelé cachai, et une certaine quantité de charcuterie provenant du cochon nourri dans la ferme. Dans la saison froide, boudins et saucisses faisaient partie de tout régal bien ordonné.


IV

Nous croyons avoir suffisamment dépeint l’aspect du pays et ses cultures et fourni assez de détails sur certains côtés de l’existence matérielle de nos paysans pour aborder, plus franchement que nous ne l’avons fait jusqu’à présent, l’examen de la question économique proprement dite et aussi l’appréciation délicate de leur état moral.

À quelque période que l’on se place, et encore actuellement, on peut affirmer sans la moindre réticence qu’il s’agit de bien braves gens. Jamais un meurtre n’a été commis ; jamais, de mémoire d’homme, un habitant de la localité n’a été flétri par la cour d’assises ou le tribunal correctionnel d’Aix ; si les vols ne sont pas inconnus dans le pays, c’est que les campagnards, quoique relativement épargnés par les rôdeurs à cause de l’éloignement des grandes voies de communication, en sont les victimes, non les auteurs. Il serait puéril de s’attacher à quelques actes insignifians de grappillage, presque toujours commis inconsciemment, par ignorance ou laisser-aller. Au point de vue de la religiosité, notre éloge sera moins absolu. Évidemment, en dehors de quelques communes de l’arrondissement d’Arles, le paysan des Bouches-du Rhône n’est pas dévot. Le temps n’existe plus où, la paroisse ayant été enfin dotée d’un recteur après un interrègne de quelques années (avril 1821), des délégués allèrent quérir à Aix le nouveau pasteur et lui préparèrent une entrée triomphale. Juché sur un petit mulet prêté par un paroissien de bonne volonté, notre jeune ecclésiastique, à partir des limites de son domaine, dut subir de bruyantes salves de mousqueterie, contempler de joyeuses farandoles et écouter, bon gré, mal gré, la totalité des couplets d’une chanson de bienvenue, en patois, dont l’auteur, cordonnier de son état et poète rustique à ses heures, avait mentionné sans exception, dans ses vers, toutes les familles de la paroisse. De nos jours, pour bien des raisons, on se montrerait plus froid. La petite église ne se remplit guère qu’aux fêtes de Noël et de Pâques. Insistons encore, pour achever l’esquisse, sur l’absence complète d’hypocrisie d’une part, d’intolérance d’autre part[14].

Jusqu’à la chute de l’Empire, les habitans de notre hameau votaient avec ensemble pour les candidats officiels, et leurs voix contribuaient à annuler les suffrages d’opposition émis par la ville d’Aix ; plus tard, par l’effet de l’habitude acquise, la même tendance s’est encore manifestée, de moins en moins accusée, jusqu’après le Seize Mai. Sur la période actuelle, contentons-nous de dire que les électeurs, comme beaucoup de leurs concitoyens provençaux, ne conforment pas toujours leurs votes municipaux à leurs votes politiques. Fait très curieux (explicable par la lecture constante de journaux de Marseille à cinq centimes), les braves gens, quoique très appauvris par l’avilissement actuel du prix du blé, leur principale récolte, quoique menacés éventuellement d’une gêne sérieuse si cet avilissement persistait, ne réclament point de droits protecteurs, et, tout en regrettant le passé et gémissant en vue de l’avenir, croient de bonne foi aux bienfaits du libre-échange.

Aucune misère dans le pays : ni pauvres, ni mendians indigènes. Du temps de l’Empire et jusque vers 1880, l’aisance était générale : actuellement elle est moindre. Malgré le nombre très considérable de masures, naguère habitées, aujourd’hui désertes, l’inculture n’accomplit pas de grands progrès; quelques émigrans ont vendu leurs terres à des voisins, mais, en général, c’est un frère, un parent resté fidèle au pays, qui se charge de soigner l’ensemble de plusieurs parcelles. Cependant, il est permis de croire que plus d’un terrain vague des flancs de la Trévaresse, livré de nos jours à la jachère, a porté récolte jadis. Le nombre des valets attachés à l’exploitation des grandes fermes ou « ménages» est bien moindre qu’autrefois, comme le témoigne l’exagération des salaires : quatre ou même cinq cents francs, s’ils sont bons muletiers. (Nous sommes loin des neuf louis de 24 francs de la Restauration.) Souvent aussi le manque de journaliers commence à se faire sentir ; il faut les payer 2 fr. 50 en hiver, 3 francs en été, s’il s’agit de journées isolées[15].

Le cultivateur qui, seul avec sa famille ou avec l’aide éventuelle d’un petit nombre de bras, afferme ou possède un domaine d’étendue moyenne convenablement situé, récolte du blé, des amandes, un peu de pommes de terre, vend quelques agneaux et se nourrit en grande partie avec les produits récoltés sur le fonds qu’il exploite, non seulement se tire d’affaire, mais peut placer quelques économies à la caisse d’épargne d’Aix. Ceux qui ont la chance de posséder des biens « à l’arrosage » amassent davantage. Mais les uns et les autres, il faut bien le dire, profitent surtout de la vitesse acquise, et il est permis de se demander comment fera la génération à venir, moins sobre, plus exigeante sous le rapport du bien-être légitime et du plaisir, si les conditions actuelles venaient à empirer, ou même à ne pas s’améliorer.

Mais gardons-nous de conclure par des phrases de découragement ou de plainte. Le passé fut prospère; l’avenir peut l’être encore. Après tout, l’abandon de la culture des terres médiocres, se généralisant, présenterait moins d’inconvéniens que d’avantages si ces biens délaissés étaient graduellement reboisés ; les lots inférieurs du second ou du premier ordre, continuant à être exploités et largement fumés, seraient mieux soignés par des cultivateurs peu nombreux, mais aisés, moins attachés à la terre et aux traditions, mais plus débrouillés. Il est probable que bien des cultures antiques disparaîtront pour toujours; d’autres se maintiendront, et d’autres enfin, les plus rémunératrices, se développeront exclusivement. Il faudra se résigner à voir le patois disparaître devant les progrès du français, et cette évolution, une fois parfaite, présentera quelques avantages. Ils compenseront les ridicules qui offensent dans le langage actuel; ce n’est plus la vieille langue populaire, et il diffère encore beaucoup du parler national. Jusqu’ici le voisinage de Marseille a fait plutôt du tort à notre région : dans quelques années, les communications devenant de plus en plus rapides et faciles, le même terroir pourra bénéficier des avantages de la proximité d’une des villes les plus actives de l’Europe.


ANTOINE DE SAPORTA.

  1. De beaux oliviers plus que centenaires subsistent encore au sommet d’un pic presque abrupt, contrefort de la Trévaresse, qui borde la plaine en aval, vers l’ouest.
  2. Dans le langage courant, le prix du blé s’estime toujours à la « charge ». La charge de blé, à Aix du moins, est plus petite que la mesure du même nom spéciale aux amandes et se compte à 160 litres.
    Au reste, pour le blé comme pour les amandes et toutes les denrées, l’usage de la vente au poids se généralise de plus en plus.
  3. Par un singulier revers, le Grenache, rebelle à l’oïdium, s’est montré plus tard très sensible aux attaques du mildew et peut même succomber si l’année est par trop mauvaise.
    Voici quelques aperçus sur la variation des prix de vins de la région. L’hectolitre est pris pour unité.
    Périodes de vente mauvaises ou médiocres. 7 francs en 1803; 3 fr., 50 en 1805, 2 francs en 1808, 7 fr. 50 en 1832; 5 fr. 50 en 1842.
    Périodes de ventes avantageuses. 20 francs en 1801 ; 24 à 32 francs en 1811 ; 20 à 22 francs en 1816; 30, 36 et même 38 francs en 1817 et 1818; 24 francs en 1867.
  4. Un Méridional étranger au pays prononcerait difficilement certains mots comme buoù, bœuf (le premier u résonnant presque comme eu ; le second ù accentué équivalant à ou, suivant l’orthographe félibréenne adoptée dans tout le cours de ce travail). L’article pluriel, li, lis, que les classiques conforment au dialecte d’Arles, devient ici lei, leis. Sur les bords du Rhône on traduit « commission » par commissioun. Toute la Provence centrale dit coumissien. On emploie même quelquefois le mot Lien pour désigner la ville de Lyon.
  5. Avant la Révolution, notre modeste localité possédait un notaire. Il est clair que cet humble tabellion s’occupait principalement à dresser des baux ou quittances, à rédiger des conventions entre les agriculteurs illettrés du pays.
  6. Nous sommes en mesure d’affirmer que la paroisse, avec sa population moyenne de quatre cent trente à quatre cent cinquante habitans, n’a fourni, durant toute la période du second Empire, que deux jeunes soldats à l’armée française. Encore l’un de ceux-ci n’accomplit-il que peu de mois de service actif, soit par le bénéfice de son numéro de tirage, soit à cause d’un rachat subséquent, et l’autre homme, mort en Crimée, n’était parti pour faire son congé qu’à la suite de la faillite du « marchand d’hommes » auquel il avait confié ses économies.
  7. En général, par tempérament, les Provençaux n’ont ni goût, ni aptitude pour l’état de domestique. Aussi les anciens militaires de notre région ne méritaient-ils guère le reproche qu’on faisait autrefois aux soldats de métier : celui de rechercher la livrée après leur libération, plutôt que de retourner au clocher natal.
  8. En 1811, l’ensemble de la commune du Puy-Sainte-Réparade fournit 14 conscrits. Sur ce nombre, 4 sont réformés, 2 envoyés dans des dépôts, 1 classé dans les ouvriers militaires, 7 incorporés dans des compagnies actives. Deux de ces derniers, affectés au 120e de ligne, désertent en janvier 1812. À raison de cette circonstance, les contribuables de la commune payent, pour 1813, un supplément d’impositions. On peut constater aussi, sur le registre paroissial du hameau, un fait assez curieux : pendant l’année 1813, le desservant bénit jusqu’à treize mariages (au lieu de quatre à cinq, moyenne des quinze premières années du siècle), dont quatre contractés par des garçons encore mineurs. En janvier 1814, nouveau mariage d’adolescent. Plus tard, les unions précoces deviennent assez rares, parce que la loi du recrutement perd de son inflexibilité et que le paysan peut éviter de servir sans avoir recours à des moyens aussi extrêmes.
  9. Au contraire, dans l’Hérault, il n’est pas bien rare de rencontrer de simples travailleurs des champs ayant habité Paris.
  10. Chiffre presque identique à celui du recensement de 1846.
  11. On donnait naguère, à Aix, des représentations de « mystères », relatifs à la naissance du Christ. Ce spectacle, joué par des marionnettes, se nommait « la Crèche ». Il offrait un tableau fidèle et piquant, non seulement des vieux costumes du pays, mais du vrai langage local, encore pur de tout gallicisme.
  12. Les spectateurs de Numa Roumestan ont pu voir, sur la scène, ce tambour d’une forme très allongée ; l’artiste tient de la main gauche le galoubet, sorte de flûte à trois trous, et marque la mesure en frappant de la main droite la peau du tambourin avec une baguette à bout d’ivoire.
  13. Culture rendue improductive par l’arrivée des toiles de fabrique offertes aux paysans par les colporteurs.
  14. Observons que les noces, dans les campagnes de Provence, s’accomplissent en l’absence de toute plaisanterie grossière, et que jamais les obsèques ne servent de prétexte à des « beuveries ».
  15. Voici quelques aperçus des anciens salaires. Sous le Consulat, une journée d’homme, en été, se payait 1 fr. 20 ; à la fin de l’Empire ou pendant la Restauration, 1 fr. 50; sous Napoléon III, 2 fr. 50.
    Cotées 40 centimes au début du siècle, les journées de « filles » s’élèvent à 60 ou même 75 centimes sous la Restauration.