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Un Poète roman au XIXe siècle et les bardes bretons

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Un Poète roman au XIXe siècle et les bardes bretons
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 11 (p. 111-129).

UN POÈTE ROMAN


AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE


ET LES BARDES BRETONS.




I. — Poèmes des Bardes bretons du VIe siècle, traduits et commentés par M. Th. Hersart de La Villemarqué ; Paris, 1851.
II.- Les Papillotes de Jasmin, 3e volume (sous presse), Agen, 1851.




Il est entre certaines œuvres paraissant à certaines heures une sorte de parenté mystérieuse, des rapports secrets dont on ne se rend pas compte d’abord, et qui se révèlent pourtant à l’instinct sympathique des esprits curieux. À quoi cela tient-il ? Tout est contraste au premier aspect entre ces œuvres ; l’intérêt qu’elles éveillent est d’une nature presque opposée : l’une sera un travail de science intelligente, le fruit d’une juste et sérieuse érudition ; l’autre sera l’œuvre spontanée d’une inspiration qui se suffit à elle-même. La première, en remettant au jour des fragmens à demi perdus, à demi conservés par la voie incertaine de la tradition, vous fera respirer l’âpre parfum qui se dégage de la poussière des siècles, et vous ramènera vers le passé dont tous ces fragmens porteront la date ; la seconde aura les graces nouvelles, l’éclat contemporain, et portera inscrit à chaque page le signe indélébile du présent. Et le contraste ne sera pas seulement dans une date : tout différera, — pensée, idiome, habitude d’inspiration, tout ce qui caractérise en un mot les choses de l’imagination et de l’esprit ; ce seront comme deux climats et deux génies en présence. Où donc sera le point commun entre ces œuvres ? Ce lien invisible et réel, ce sera, si l’on veut, cette mystérieuse et saisissante analogie qu’il est facile de remarquer dans la destinée des idiomes qu’on y retrouve. Cette langue celtique des poèmes bretons recueillis et commentés par M. de La Villemarqué, cette langue gallo-latine que fait vibrer Jasmin dans ses vers, que sont-elles autre chose toutes deux, dans l’ensemble puissant de la civilisation, que des langues vaincues et survivant encore néanmoins, entendues et parlées par des races également fidèles ? Observées au point de vue des résultats généraux de l’histoire littéraire, cette communauté de fortune est leur trait de ressemblance et ce qui les rapproche ; observées en elles-mêmes, elles offrent comme un dernier témoignage de ce qu’il y a eu de distinct, d’original dans ces génies dont elles sont l’expression, et dont les nuances diverses ont contribué à former le génie universel de la France.

Si l’histoire des langues que j’appellerai conquérantes, des langues destinées par leur fortune à prendre ce caractère dominateur et à devenir les organes consacrés des mouvemens victorieux de la civilisation, — si cette histoire, dis-je, a quelque chose d’imposant, n’y a-t-il pas dans la destinée des langues auxquelles il faut bien donner le nom de vaincues quelque chose de plus émouvant comme dans tout ce qui reste inachevé ? Tel est en effet le caractère de ces idiomes qui n’ont pu arriver à prévaloir dans l’ordre général des phénomènes intellectuels, et qui se perpétuent sans se développer il est vrai, mais aussi sans mourir. On sent en eux comme une verdeur première qui n’a point mûri, comme une sève native prématurément comprimée. Contemporains de la jeunesse des races, merveilleusement propres à exprimer les sentimens vierges, les impressions spontanées et vigoureuses, les mouvemens simples de l’ame, les rapports des hommes dans leur primitive essence, il est trop facile de distinguer ce qui leur manque pour suffire à l’expression d’un ordre d’idées et de sentimens plus variés et plus complexes. À la simple inspection de leurs élémens propres et de leur structure actuelle, on pourrait fixer le jour et l’heure où la croissance s’est arrêtée pour eux. Tels qu’ils sont, ces idiomes cependant ont eu leur moment de souveraineté et d’éclat, où ils étaient parlés avec honneur, où ils étaient la langue des cours, comme on disait autrefois, celle des esprits cultivés comme des esprits les plus humbles, et où ils suffisaient à tous les besoins. Dépossédés de leur droit de cité en quelque sorte, à mesure que naissaient et se développaient de nouvelles langues plus savantes, plus honorées, et qui leur devaient tien à eux-mêmes quelque chose à vrai dire, ils se réfugiaient dans les profondeurs de la vie populaire, moins sujette aux altérations. Tandis que la politique changeait la face de l’Europe, mêlait les peuples, travaillait à fondre les petites nationalités primitives dans des nationalités plus larges, créait de nouvelles distributions d’états, une langue religieusement gardée continuait souvent à servir de lien entre les membres dispersés d’une même race. Telle est l’intime parenté qui subsiste encore aujourd’hui entre le gallois d’Angleterre et le breton de France ; le paysan méridional et le paysan catalan n’ont point cessé non plus de parler presque la même langue, et ces phénomènes singuliers portent avec eux un grand sens historique et moral. Qu’on le remarque, c’est le peuple en particulier qui reste l’inviolable dépositaire de ces vieux idiomes comme de bien d’autres héritages du passé. Le peuple, que les théoriciens radicaux cherchent à précipiter vers les nouveautés, dont ils font un inaugurateur souverain de tous les progrès, — le peuple, en réalité, est le plus conservateur des élémens de la société, et, si on parvient à le surprendre un moment, c’est moins en lui vantant le progrès qu’en irritant en lui quelques-unes de ces mauvaises passions qui sont de toutes les civilisations et de toutes les époques. Laissé à lui-même, le peuple aime par nature ses traditions, ses vieilles coutumes, ses vieilles langues ; il a par essence la foi et le culte instinctif des souvenirs. Tout est disposé dans sa vie pour maintenir long-temps intacte l’originalité locale des mœurs, des idées et du langage, surtout quand cette originalité tient à une nationalité primitive et distincte. Peu de races, on le sait, ont autant que la race bretonne et la race méridionale cette force d’attachement au passé et cet amour des choses locales qui atteignent parfois à une rare et touchante poésie. Allez dans le pays de Galles ou dans la Bretagne française : vous y trouverez vivant le souvenir du roi Arthur, et les ballades populaires vous répéteront toutes les traditions nationales ; allez dans le midi de la France : vous entendrez pendant les nuits d’hiver, aux approches de Noël, des jeunes gens chanter, en allant quêter un peu de farine, une chanson qui a mille ans. Demandez-vous ensuite ce qu’ont duré les carmagnoles révolutionnaires ! — Les Bretons, — dit un chant précédemment recueilli par M. de La Ville marqué, — ont fait un berceau d’ivoire et d’or ; ils y ont mis le passé, — et le soir, sur la montagne, ils le balancent en pleurant au-dessus de leurs têtes, comme un père devenu fou qui berce son enfant mort depuis longtemps. Jasmin exprime autrement la fidélité du peuple méridional au passé et à sa langue. Cette langue que le grand politique dédaigne, c’est pour le peuple la langue du foyer, du travail, des besoins journaliers, des joies et des peines domestiques, celle qui est d’accord avec son ciel et qu’il a sucée avec le lait de sa mère ; elle ressemble aujourd’hui à un de ces arbres superbes abattus par les vents, dont les racines ont été mises à nu, et dont les branches reverdissent néanmoins encore chaque année pour recevoir les oiseaux qui viennent y chanter. Chacune de ces interprétations diverses, — l’une triste comme les grèves bretonnes, l’autre souriante et vive comme le ciel du midi, — n’est-elle point conforme au génie de chaque race ?

Ce n’est point évidemment le côté philologique qui est le mieux fait pour frapper dans les poèmes bretons publiés par M. de La Villemarqué, ou du moins ce côté intéresse surtout le savant que charment les mystères de l’érudition, et qui sent tout le prix d’une critique intelligente appliquée au rétablissement des textes, à la reconstruction de fragmens parfois considérables. Le commentateur français avait devant lui, dans cet ordre de recherches, l’Archéologie galloise de Myvyr, les savans travaux de M. Sharon-Turner. Ce qui est d’un intérêt plus accessible et plus universel dans ces fragmens bardiques, c’est le côté vivant et palpitant, c’est l’essence même de cette poésie dans ses rapports avec l’époque où elle est née, avec les mœurs qu’elle dépeint, avec cette race dont elle exprime les sentimens, les passions et les malheurs. La race celtique, on le sait, a eu des branches diverses, les Bretons gallois d’Angleterre, les Bretons armoricains de France : les uns et les autres ont les mêmes héros, les mêmes traditions, les mêmes souvenirs historiques, et ont eu à essuyer les mêmes revers. C’est une portion de ces souvenirs nationaux, en ce qui touche le pays de Galles, que les poèmes bardiques font revivre ; ils forment comme une iliade passionnée et triste, ou plutôt, si l’on nous passe le terme, c’est l’odyssée d’un peuple errant, battu par toutes les invasions, qui se retourne de temps à autre pour faire face héroïquement à l’ennemi, puis succombe et va s’enfermer dans ses vallées et ses montagnes pour garder du moins intacte à l’abri du foyer domestique une nationalité qu’il n’a pu faire prévaloir. Peuple singulier assurément, aussi noblement obstiné à ne point mourir que malheureusement organisé pour vivre, et qui ne veut point s’avouer vaincu dans une lutte dont les premières péripéties remontent au VIe siècle ! Le VIe siècle, en effet, est une époque décisive pour le peuple celtique ; c’est le commencement de la décadence de cette race pressée, enveloppée de toutes parts, foulée aux pieds par les tribus germaines conquérantes, par les Angles, par les Saxons, lesquels auront à leur tour à subir la loi de la conquête. Et c’est aussi dans le feu même de cette mêlée tragique que s’exhale la poésie d’un Taliesin, d’un Liwarc’h, d’un Aneurin chantant sur le mode celtique les héros et les combats de l’indépendance : — Gherent, le guerrier de Cornouailles et la bataille de Longport ; Urien, le chef des Bretons du Cumberland et la bataille d’Argoed-Louéren ; la mort d’Owen, fils d’Urien. Comme documens historiques, les poèmes des bardes ont le rare mérite d’offrir le témoignage des vaincus qui manque souvent à l’issue de ces grands chocs de peuples et de races. Comme œuvre littéraire, ils sont sans aucun doute la plus ancienne inspiration poétique formulée dans une langue moderne, un des premiers spécimens de ces littératures nationales si savamment restaurées par la critique contemporaine, et où figurent avec des couleurs si différentes les scaldes scandinaves, les minnesingers allemands, à côté des troubadours méridionaux et des bardes celtiques.

C’est en effet le trait essentiel de la poésie bretonne d’être profondément nationale par l’inspiration comme par l’idiome ; elle est l’œuvre individuelle de quelques hommes, mais l’ame d’un peuple y respire. Les bardes eux-mêmes, à vrai dire, que sont-ils autre chose que des héros de l’indépendance ayant leur place marquée dans la vie sociale, investis d’une sorte de sacerdoce dans l’esprit public ? Le bardisme a tous les caractères d’une institution consacrée par les mœurs et les lois celtiques. La poésie n’apparaissait pas aux yeux de ces peuples enfans comme une chose artificielle ou légère, comme le jeu prétentieux ou futile d’imaginations vagabondes : c’était une chose religieuse et auguste qui conférait des droits et des privilèges. Le titre bardique affranchissait, d’après le code breton ; la loi évaluait la harpe du chef des bardes cinq fois plus que le bouclier d’or du guerrier ou l’épée la plus belle à poignée d’argent, trente fois autant que la lance, onze fois plus que la charrue. La harpe, comme le livre et l’épée, ne pouvait être saisie par la justice. Les bardes, organisés dans une hiérarchie puissante, avaient pour mission de garder le dépôt des traditions de la famille, de la patrie et des souvenirs nationaux. Ils consacraient dans leurs vers les événemens contemporains, les gloires et les malheurs de leur race. Au jour du combat, pendant que le sang jaillissait et montait jusqu’aux genoux des guerriers, ils chantaient le chant de la Domination bretonne, et, même dans la défaite, ils élevaient encore leurs voix, comme Aneurin célébrant les funérailles des trois cent soixante chefs bretons tués à Kaltraez. L’imagination populaire ne s’y est point trompée ; elle a vu dans les bardes une des personnifications des luttes anciennes, elle leur a fait leur place dans les traditions nationales, et s’est plu souvent à mêler les couleurs fabuleuses et la légende à ce qui restait d’eux. M. de La Villemarqué a consacré, tant aux institutions bardiques qu’aux bardes eux-mêmes, des pages où l’on sent l’amour des choses bretonnes. — Voyez ce que l’imagination populaire a fait de Taliesin, un des plus remarquables de ces poètes du VIe siècle. Un enfant est livré à la mer dans un berceau d’osier enveloppé de cuir, et les flots le poussent dans une pêcherie d’Elsin, fils d’Urien. Le berceau est recueilli, et celui qui le découvre s’écrie en voyant l’enfant : Tal-iesin ! — en langue celtique : quel front rayonnant ! Telle est l’origine du nom resté au barde du fils d’Urien. « Je suis le chef des bardes d’Elsin, fait dire la légende à Taliesin, et ma terre natale est le pays des étoiles de l’été ; je suis un être merveilleux dont l’origine est inconnue ; je suis capable d’instruire l’univers. » En réalité, Taliesin paraît avoir été originaire du Cumberland ; il était barde dans la maison d’Urien et assistait à toutes les batailles de ce temps ; puis, la mort d’Urien et des enfans de son maître venue, il s’en va de retraite en retraite, murmurant tristement parfois : « Hélas ! j’ai vu tomber le rameau et les fleurs ! » Voyez encore cette figure plus grave et plus tragique de Liwar’ch ! Liwar’ch est comme le roi Lear de la poésie bardique. Il avait eu vingt-quatre fils, tous tombés dans les luttes nationales ; il avait vu périr un à un les chefs bretons qu’il aimait ; il avait assisté aux irrémédiables défaites de sa race, — et seul, survivant à tant de désastres, arrivé à l’âge de cent ans, il ne lui restait plus qu’à se retirer près de l’abbaye de Lanvor, sur les bords de la Dee, où il passait ses derniers jours vêtu d’un savon de poil de chèvre et chantant avec amertume sa patrie vaincue et ses enfans. « O ma béquille ! disait-il avec une sorte de pitié douce et triste pour lui-même, — ô ma béquille ! tiens-toi droite, toi qu’on nomme le bois fidèle aux pas chancelans ! Je ne suis plus Liwarc’h pour bien long-temps. » Le souffle chrétien semble déjà passer dans la mâle et sombre poésie du barde centenaire, et quelque chose d’un Job celtique s’y fait sentir. C’est dans le monastère de Lanvor que Liwarc’h allait bientôt reposer ; c’est là aussi, sans nul doute, ainsi que l’indique M. de La Villemarqué, que ses vers ont été primitivement conservés pour passer jusqu’à nous. L’église, en recueillant le vieux barde, lui donnait son dernier asile d’abord et empêchait ses chants de périr.

Il n’est pas surprenant que la tristesse soit comme le fonds permanent des inspirations bardiques : la tristesse est le génie des races vaincues. Ces peuples malheureux emploient leur dernier souffle à se couronner de leurs souvenirs, à se raconter à eux-mêmes leurs désastres. Les poèmes des bardes, de Taliesin, de Liwarc’h, d’Aneurin, énumèrent les morts tombés dans chaque bataille ; ils montrent le reflet des incendies, les champs foulés aux pieds des chevaux et dévastés, les manoirs vides de leurs hôtes qui n’y doivent plus reparaître, les cités désertes, les églises croulantes remplacées par « des tertres de gazon où fleurit le trèfle, rouge du sang des guerriers bretons. » C’est là le côté héroïque et épique de ces poésies où rien de factice ne se révèle. La monotonie même de la plainte témoigne de la sincérité de l’émotion.

Les traditions historiques, les luttes nationales, ont la plus grande part dans les chants bardiques ; cela est bien simple. À côté cependant de ces chants historiques, il y a un autre genre de poésie que M. de La Villemarqué appelle les poèmes gnomiques de Liwar’ch, où la sagesse celtique se résume en triades, dans cette forme que M. Brizeux, le poète breton, a cherché à rajeunir sous le nom de ternaires. C’est probablement sur le soir de sa vie orageuse, peut-être même à Lanvor, que Liwarc’h rédigeait avec ses autres poèmes ces petites pièces qui forment comme un trésor de poésie morale, — les Calendes de l’hiver, le Vent, les Rameaux, les Splendeurs, Soit ! le Chant du Coucou. Si les chants historiques du vieux barde respirent la douleur patriotique, ses vers gnomiques laissent pressentir le sage, l’esprit rare et pénétrant, et plus d’une fois aussi, selon la juste remarque du commentateur français, le cœur du vieillard infirme et attristé gémit encore par la bouche du sage, comme lorsqu’il compare l’homme à la feuille qui tournoie au gré du vent, « vieille, quoique de l’année ; » comme lorsqu’il dit : « Les soucis habitent avec le vieillard, de même que les abeilles dans la solitude. » En véritable Celte, Liwarc’h fait de la ténacité la clé du génie : il appelle l’intelligence la lumière de l’homme ; il proclame la bonté supérieure à la beauté et de même âge que le bonheur ; il vante la discrétion et l’amour du silence, la gaieté vraie et saine que Dieu lui-même loue. Quelques-unes de ces maximes du moraliste breton sont d’une délicatesse et d’une profondeur singulières, où le barbare du VIe siècle disparaît assurément. « L’esprit rit à qui l’aime, » dit le poète ; — « heureux l’homme qui voit son ami ! » — « la femme doit apporter le sommeil à la douleur. » — C’est ainsi que l’observation morale se mêle à l’inspiration héroïque dans cette poésie des bardes qui, pour nous, a surtout un intérêt historique et littéraire, et qui, pour les descendans de la même race, est de plus une tradition nationale, un dépôt de souvenirs domestiques tout-puissans sur l’imagination populaire.

Comment cette poésie écrite dans une langue vieille de treize siècles, confiée le plus souvent à la voie incertaine des traditions orales, ayant à lutter presque toujours contre un courant général d’idées contraires ou indifférentes, a-t-elle pu néanmoins survivre et se transmettre ? C’est là une de ces questions semi-historiques, semi-littéraires, qui peuvent s’élever à l’occasion de toute langue passée du rang d’idiome consacré et souverain au rang d’idiome purement populaire. Comment s’expliquent les fortunes diverses de cette langue ? Quel est le jour où on a pu dire qu’elle était définitivement vaincue comme langue littéraire ? A quels mouvemens de l’histoire, à quelles transformations de la vie sociale et des mœurs correspondent ses altérations successives ? A quelles causes subtiles et profondes doit-elle encore de vivre et d’être l’objet du culte populaire ? Dans quelle mesure est-il donné à des nationalités primitives de conserver leur originalité ancienne au sein d’une nationalité supérieure et plus large ? Comme on le voit, mille questions délicates ou savantes s’éveilleraient aisément. Ce qui a donné naissance à la poésie celtique des bardes, pourrait-on dire, est justement ce qui a contribué à la faire durer et à favoriser sa transmission : c’est la vivacité d’un sentiment national ardent et jaloux. Vaincue comme nation souveraine et indépendante, chassée ou morcelée par les invasions et la politique, réduite à s’enfermer dans ses vallées, dans ses montagnes, la race bretonne ne cessait point de nourrir le culte des souvenirs, de se défendre, du moins dans ses mœurs, de parler sa vieille langue, d’avoir ses chanteurs et ses joueurs de harpe, qui lui racontaient le passé, même quand ces invocations au passé étaient un acte de révolte. Les bardes, il est vrai, n’avaient plus leur place marquée dans les cours, dans les assemblées des princes, mais ils avaient les fêtes populaires et l’escabeau de bois dans le foyer du pauvre, où ils répétaient mystérieusement les chants de leurs ancêtres. Le nom du dernier barde que l’histoire mentionne n’est point rapporté : c’était un pauvre vieillard aveugle du pays de Galles, qui, sous Henri VIII, pendant les persécutions des catholiques, parut sur le seuil du palais de Windsor, récitant ces vers de Taliesin : « Je veux apprendre à votre roi ce qui doit lui arriver ; une créature extraordinaire va sortir du marais du Rianez ; elle punira l’iniquité de Maelgoun, roi de Gwéned, dont les cheveux, les dents, les yeux deviendront jaunes comme de l’or ; elle donnera la mort à Maelgoun, roi de Gwéned. » Le vieux barde fut écartelé.

Peu à peu les poésies bardiques allaient ainsi s’enfouir dans le secret des bibliothèques galloises ou tombaient dans le domaine populaire, devenant le trésor de chanteurs obscurs et inconnus qui se les transmettaient de génération en génération. Ce n’est qu’au commencement de ce siècle qu’elles ont été sérieusement recueillies. L’homme à qui on les doit était un pauvre paysan de la vallée de Myvyr, qui avait puisé avec le lait le culte des traditions de son pays. Owen Jones réalisa une entreprise singulière : il chercha et réussit à s’enrichir, afin de pouvoir élever un monument à la poésie celtique. De là la publication connue sous le nom de Myvyrian Archaiology of Wales. L’Archéologie galloise d’Owen Jones a été le point de départ des restaurations contemporaines des poèmes bardiques. Aujourd’hui encore, sous l’empire d’un sentiment de race très vivant, un certain mouvement de littérature galloise originale cherche de temps à autre à se faire jour en Angleterre, de même que M. de La Villemarqué, dans une autre œuvre, pouvait reproduire des chants populaires récens dus aux Bretons français de Tréguier ou de Léon. Il y a quelques années seulement, on a vu les deux branches de la même race se réunir dans une fête, en plein pays de Galles, pour répéter ensemble dans la langue nationale le refrain breton : « Non, Arthur n’est pas mort !… » Merveilleux témoignage de la puissance d’un instinct viril de nationalité qui ne peut plus aujourd’hui tourner qu’au bien commun, à la gloire commune, en ajoutant aux élémens des civilisations nouvelles la force survivante du sentiment traditionnel !

Et maintenant jetez les yeux vers le Midi. Là vit cet autre poète qui a su rajeunir admirablement une autre de ces langues vaincues, qui l’a prise dans le peuple pour la plier aux plus délicats comme aux plus savans artifices de l’imagination, pour lui faire exprimer les sentimens les plus élevés, la philosophie la plus douce, et lui faire peindre ce monde populaire d’où elle émane. Ce serait peut-être une question des plus curieuses à débattre que celle de savoir si une grande poésie est possible dans ce qu’on peut appeler proprement un patois. Pour moi, je ne le crois pas. En fait de poésie patoise, je ne connais que celle des vaudevilles, des opéras et quelquefois des tragédies ; mais il se peut bien qu’une grande et réelle poésie se produise dans une de ces langues vieilles, originales, nationales à beaucoup d’égards, restées entières dans quelque coin d’un pays, parce que ces langues répondent aux instincts, aux habitudes, au génie intime de toute une race, et que là est la source et l’aliment de toute poésie. L’idiome de Jasmin est dans ces conditions et n’est nullement un patois, comme on semble le croire parfois. Montaigne, ce charmant philosophe gascon, disait déjà de son temps : « Il y a bien au-dessus de nous, vers les montagnes, un gascon que je trouve singulièrement beau, sec, bref, signifiant, et à la vérité un langage masle et militaire plus qu’autre que j’entende… » L’auteur des Essais ne parlait pas de l’éclat, de la vivacité, de la richesse colorée de ce gascon, ainsi qu’il l’appelait. Ce gascon, c’était la langue de Bernard de Ventadour, de Geoffroy Rudel et de Gaston Phoebus, devenue ou restée la langue du peuple, et qui a eu encore dans ces conditions populaires sa lignée de poètes, les Goudouli, les Dastros, les Despourrins. Jasmin est le dernier et le plus grand. « Nous aimons notre joli langage, dit le poète contemporain ; pourquoi en prendre tant d’ombrage ? Est-ce qu’à la même fontaine toute la France boit ? Le Nord chez lui a son visage ; chez lui, le Midi a le sien… » L’auteur de Françounetto s’est plu à réunir dans l’Épître à M. Dumon et dans l’ode sur Despourrins tout ce que l’amour d’un vieil et populaire idiome peut inspirer de vive et touchante poésie. Après cela, irons-nous ajouter cette autre très solennelle, très philosophique et très oiseuse question : — Une telle langue est-elle destinée à s’effacer définitivement et à périr ? — Elle vit ; voilà la réponse. Elle a donné à notre siècle un de ses poètes le plus originaux, en qui le talent ne se manifeste pas au détriment du caractère, dont l’inspiration ne coûte rien à la morale la plus pure et au bon sens le plus droit, et qui est fêté, compris, aimé par toute une race populaire, comme il est fait pour charmer l’esprit le plus élevé. Cette langue a produit dans divers genres la Charité, l’Épître à un agriculteur, le Voyage à Marmande, qui atteignent tour à tour aux plus hautes effusions lyriques ou à la grace piquante d’un Horace ou d’un La Fontaine ; — l’Aveugle ; Marthe, les Deux Jumeaux, où le drame de la passion humaine s’encadre merveilleusement dans la peinture des mœurs locales ; elle produit encore le recueil nouveau des Papillotes, pour lui laisser son titre, où l’auteur méridional rassemble quelques-unes de ses compositions savamment remaniées, telles que les Deux Jumeaux et la Semaine d’un fils, — la Vigne, ce morceau enchanteur et exquis de sentiment qui est tout simplement un chef-d’œuvre, — un poème d’hier, Ville et Campagne ou Gloriole et Pauvreté, qui réfléchit un des côtés de notre époque, — et ce que le poète appelle ses Pèlerinages dans les villes du midi de la France. Bien loin de décliner dans ces vers, le talent de l’auteur de Marthe semble s’y fixer en une sorte de maturité assurée et féconde à l’abri des fausses suggestions contemporaines. Comme poète, Jasmin s’y montre dans toute la flexibilité de son génie ; comme homme, il y apparaît dans toute l’excellence d’une nature rare et dans la variété d’une vie que tout un pays se partage. Cela ne va ni plus ni moins que de Limoges à Bayonne et de Bordeaux à Marseille. Jasmin semble recomposer à son usage ce monde roman évanoui pour en faire le théâtre d’une gloire exceptionnelle et charmante, et y chercher un complice à la charité dont il se fait l’apôtre. C’est un barde, lui aussi, peut-on dire, mais un barde de notre temps, dont l’existence même sert à marquer les différences morales des époques et les conditions auxquelles la poésie peut revêtir encore comme un caractère public. Ainsi que le lui disait M. Dumon, — dont le nom est en tête de ce nouveau recueil, aujourd’hui qu’il n’est plus ministre, -c’est un barde dont les actions valent les poèmes, qui bâtit des églises, secourt l’indigence, fait du talent une puissance bienfaisante, et dont la muse aime à se faire soeur de charité. Jasmin offre aujourd’hui parmi nous le spectacle rassurant, et où l’œil est heureux de se reposer, d’une poésie merveilleuse s’exhalant sans effort d’une vie simple, droite et pure, comme de son foyer le plus naturel, le plus précieux et le plus rare.

Il y a dans la vie du poète méridional, comme dans son caractère et dans son talent, un mélange singulier de traits qui semblent s’exclure depuis que d’ingénieux sophistes ont imaginé de mettre la guerre entre l’idéal et le réel, et de confondre la mesure dans laquelle se combinent ces élémens humains. L’imagination et le bon sens, l’idéal et le réel se mêlent dans la vie de l’auteur des Deux Jumeaux d’une manière charmante. Chacun y a sa part sans détruire l’autre ; ils se viennent en aide au contraire et s’arrangent pour imprimer à cette physionomie une généreuse et saisissante originalité. Jasmin, à coup sûr, a l’existence la plus poétique, la plus idéale de ce siècle, et en même temps, au sein de cette existence enivrante, c’est le vrai, peut-être le seul sage aujourd’hui. La vie de Jasmin n’est-elle pas une fête perpétuelle, une série de pèlerinages, comme il les nomme, où l’enthousiasme des populations l’accompagne ? Le poète va de ville en ville ; il peint d’un trait au passage chacune d’elles, — Angoulême au doux parler, « jolie reine de l’air, assise sur un roc fleuri et baignant ses pieds dans les flots bleus et rians ; » - Tarbes, la reine de Bigorre, assise dans sa fraîche plaine, à l’ombre « des rocs d’argent soudés au ciel ; » — Bayonne, la ville hospitalière avec sa citadelle et ses fossés, au fond desquels « attend la mort qui a faim, » et Marseille, la ville grecque qui se baigne dans la mer demoiselle que « l’hirondelle franchit en un jour sans fatigue. » Chacune de ces villes a fêté le poète. Et quel est le but, pensez-vous, de ces pèlerinages ? Est-ce uniquement la gloire que l’auteur de Marthe a en vue ? Non, certes. Est-ce pour en retirer quelque fruit ? Vous le connaissez mal. Une sorte de généreux et naïf amour du bien se mêle à la passion de la gloire dans cette muse heureuse de vivre et de se produire. La charité est l’inspiratrice de ces courses poétiques qui ont pour but : — ici d’aider à la création de crèches ou de salles d’asile, — là de secourir quelque infortune privée, — plus loin de mettre en réserve un peu de cette manne du pauvre qui prévient à temps les irritations de la faine. Là, au milieu de ces réunions immenses, de ces populations accourues à sa voix, Jasmin à l’aise, sans affectation, sans amertume surtout, réalise bien mieux que tous les pacificateurs furieux les rapprochemens possibles, en attirant sans cesse l’œil du riche sur ceux qui souffrent, en montrant aux pauvres la charité vigilante et active. Aux premiers il dit, comme hier encore : « Riches, qui veut du miel doit protéger l’abeille ; qui bêche l’arbre au pied en fait fleurir la cime ! » Aux seconds il dit, comme dans les Prophètes menteurs : « Voyez, les riches se font meilleurs ! » et il met la gloire du peuple « à garder à l’abri du mal sa belle page blanche. » Chacun des actes, chacune des inspirations de l’auteur de Marthe est le commentaire de la pensée qui inaugure magnifiquement son premier morceau sur la Caritat. « Parce qu’on voit sur la mer de grandes maisons voyageuses glisser sur l’eau morte ou sur le flot courroucé, et dans un autre monde emporter l’homme hardi ; parce qu’on voit des gens voyager dans les airs, des savans illustrer les siècles qui s’en vont, l’homme crie sans cesse : Dieu ! que l’homme est grand ! — Bon Dieu ! qu’il est petit au contraire ! qu’il apprenne que, s’il a du génie, le génie n’est rien sans la bonté. Sans la bonté, ici, pas de grandeur qui tienne… » Il y a quelques jours encore, Jasmin, tout occupé de l’impression de ce présent livre, était appelé à Toulouse pour prêter son aide à l’œuvre de saint Vincent de Paul, et il accourait pour chanter, au milieu de six mille personnes, le grand saint dans une poésie vraie, humaine, et qui ne descendait à flatter aucune passion. « Qu’on détrône les rois, disait-il, qu’on nivelle fortune et rangs : le lendemain il y aura des pauvres sur la terre, et la charité sera reine en tout temps… » A quoi il ajoutait spirituellement qu’il n’y aurait ni juillet ni février contre cette reine. C’est ainsi qu’un poète issu du peuple s’honore, fait de sa muse une puissance bienfaisante, et de sa gloire inoffensive et aimable le patrimoine des aines généreuses.

Un des épisodes les plus curieux peut-être de la vie de Jasmin et où apparaît le mieux cette poésie en action dont nous parlions, c’est la part prise par le poète à l’érection de l’église de Vergt. Au fond du Périgord, un pauvre prêtre voit son église nue, lézardée, tomber en ruines et s’affaisser au moindre souffle du vent. L’idée lui vient d’aller trouver l’auteur de l’Aveugle, — et prêtre et troubadour partent ensemble comme s’ils s’étaient toujours connus ; ils vont de ville en ville recueillant pour relever la maison du bon Dieu. L’église est d’abord remise sur pied ; mais voici qu’en s’élevant elle chancelle sur ses fondemens, voici que les ressources manquent pour la couvrir, et à chaque incident prêtre et troubadour recommencent leur pèlerinage, et à chaque halte ce sont des inspirations nouvelles. De là tout un touchant et frais poème dont la pensée première fait l’unité, et dont les chants divers sont : Le Prêtre et le Troubadour, le Prêtre sans église, l’Église qui tremble, l’Église découverte. Ce n’est point que l’aimable rapsode s’aille croire semblable à ce Grec fameux qui bâtissait des villes avec ses chants. « Non, dit-il par un noble et émouvant retour sur lui-même, quand je verrai monter tuiles et chevrons, mon ame sentira quelque chose de plus doux. Je me dirai : J’étais nu ; l’église, je m’en souviens, m’a vêtu bien souvent pendant que j’étais petit. Homme, je la trouve nue, à mon tour je la couvre. Oh ! donnez, donnez tous, que je goûte la douceur de faire pour elle une fois ce qu’elle a tant fait pour moi… » Un simple et droit instinct religieux anime cet épisode de la vie de Jasmin et y circule. Le poète, à cette occasion, n’a garde de se faire le prophète de quelque religion nouvelle, de chercher à substituer à un sentiment pratique, qui a sa poésie propre, quelqu’une de ces aspirations ambitieuses qui sont un leurre de religion et de poésie en même temps. Non, ce qui le guide, c’est un instinct d’accord avec celui qui vit dans l’ame du peuple des campagnes, et il a trop de tact pour le dénaturer. Ce n’est point pour le savant, hélas ! que les églises ont un charme mystérieux ; le savant les traverse en souriant, recherchant le travail de l’homme, l’arche au large cintre, les peintures qui décorent les murs. Le peuple, « dont l’esprit ne gâte pas la raison, » croit à son église ; il ne voit qu’elle et le bon Dieu qui y demeure ; il l’aime pour elle-même, et c’est surtout pour celui qui croit que le prêtre fait sagement de l’orner… « Pour s’adresser au savant, le prêtre a sa tribune nue, dit le poète,… mais, pour tenir le peuple à son devoir fidèle, il lui touche l’ame en flattant l’œil, car le peuple, qui sent la pompe du dehors, a besoin que la maison où le bon Dieu demeure représente au moins à son oeil la grande chapelle du ciel… » Ainsi parle cet honnête esprit se rapprochant sans cesse du vrai et en faisant jaillir une poésie naturelle et juste qui ne défigure aucun sentiment. Et finalement, après s’être faite architecte, la muse populaire avait bien le droit d’assister, en fille simple et rustique, au couronnement de son œuvre, à l’inauguration de son église au milieu de six évêques, de deux cents chanoines et d’une population émerveillée, subjuguée sans s’en rendre compte par les deux plus grandes forces morales unies en ce moment, — l’instinct religieux et la poésie.

Aller d’ovations en ovations, recevoir au passage des présens magnifiques, des couronnes, des coupes d’or, faire servir la poésie au soulagement de la misère humaine, à l’édification des églises, n’est-ce point la part de l’idéal, — et de l’idéal le plus rare, — faite aussi large que possible dans une vie ? Qu’on ne croie pas cependant que cet idéal dépasse la mesure, tourne à la chimère et chasse la réalité de l’existence du poète méridional. Un des traits de l’originalité de Jasmin, c’est de faire marcher de compagnie l’imagination et le bon sens. À côté du poète fêté, couronné et emporté à chaque instant dans la région idéale, on voit l’homme réel, pratique, conservant son ingénuité première, sa nette et franche nature, ses simples et régulières habitudes. Au sortir de ces ovations brillantes dont il est l’objet, au milieu même de leur bruit enivrant, se retrouve ce sage dont je parlais, qui, s’il goûte un plaisir indicible à faire admettre sa muse dans le palais, ne se sent, quant à lui, jamais à l’étroit dans son foyer,-le sage heureux et sans envie qui aime sa maison, sa boutique, son coin de terre, et les a toujours présens à l’esprit et au cœur. Il y a dans Jasmin l’homme qui, recevant d’une ville un cachet d’or avec des armoiries emblématiques, se souvenait au même instant qu’il s’était servi bien souvent, comme cachet, du dé de son père, tailleur de profession, et disait dans sa chanson : « … Ah ! si, gâté par ce glorieux qui trop brille, comme lui j’allais dire que j’ai pour berceau un palais, fais voir alors mes armes de famille, reviens au jour, vieux dé de mon père » Il y a l’homme que tout le Midi se dispute et l’homme de la vigne, de cette vigne chantée par le poète en vers d’un sentiment exquis :


« Oh ! ma jeune vigne, — le soleil te chauffe de l’oeil, — donne-moi de tout ! — Aussi, quand il bruine, — ne perds aucune goutte. — Mon feu s’assoupit, — ma muse se fatigue, — mes amis demain — pourraient m’échapper. — Mais toi, jeune amie, — vigne au fruit savoureux, — avec ta fleur-figue — et tes bons raisins, — attache-les-moi ! — Récolte abondante, — ainsi tu me vaudras ; — récolte ne vaut pas — serrement de mains… »


Comme pour mieux donner un caractère de réalité à sa Vigne, Jasmin l’a appelée la Papillote. Allez à Agen ; vous le trouverez là, à coup sûr, heureux et naïf comme un enfant, comptant ses ceps, les arrosant et triomphant de les voir plus fougueux, plus beaux, plus chargés de fruits que ceux du voisin, comme il triomphe quand il est parvenu à procurer une bonne recette aux pauvres. — Telle est la vie de Jasmin, telle est cette facile et heureuse existence qui se reflète dans le talent du poète et lui communique l’animation et la vie. Réalité et idéal, imagination et bon sens, grace ingénieuse et piquante, sensibilité attendrie, vivacité passionnée, humeur du sol natal, — tous ces élémens se fondent, se combinent dans un art savant et naïf à la fois, sobre et abondant, coloré et ferme, où on sent comme une force secrète de concentration à travers la variété inépuisable des détails, soit qu’il peigne dans ses poèmes les mœurs populaires, soit qu’il s’inspire de lui-même, de ses souvenirs ou de sa vie présente. En général, il n’est point de poète chez lequel il y eût moins à retrancher. Jasmin travaille ses vers, et il ne s’en cache pas ; aussi appelle-t-il spirituellement les impromptus la bonne monnaie du cœur et la fausse monnaie de la poésie, et ce tact soigneux, cet art savant, lui servent à mieux mettre en saillie les divers côtés de son inspiration et de ses inventions.

Jasmin a dans toutes les choses de son art et de sa langue un goût, une délicatesse dont l’expression n’a point laissé d’être piquante parfois et de se montrer dans sa vive et naturelle originalité. Un jour, dans une de ses courses méridionales où il était fêté selon l’habitude, à Montpellier, un honnête potier-poète auteur de vers provençaux, se sentant sans doute humilié du succès de la muse gasconne, lui porta quelque défi brutal. Le poète de l’Hérault ne proposait à l’auteur de Marthe rien moins que de s’enfermer avec lui entre quatre murs, sous la garde de quatre sentinelles, avec trois sujets à traiter en vingt-quatre heures. C’était un champ-clos poétique où la palme était à la vitesse« Quoi ! monsieur, se hâta de répondre Jasmin, vous proposez à ma muse, qui aime tant le grand air et sa liberté, de s’enfermer dans une chambre close, gardée par quatre sentinelles qui ne laisseraient passer que des vivres, et là, de traiter trois sujets donnés en vingt-quatre heures ?… Trois sujets en vingt-quatre heures ! Vous me faites frémir, monsieur. Dans le péril où vous voulez mettre ma muse, je dois vous avouer, en toute humilité, qu’elle est assez naïve pour s’être éprise du faire antique au point de ne pouvoir m’accorder que deux ou trois vers par jour. Mes cinq poèmes : l’Aveugle, les Souvenirs, Françounetto, Marthe, les Deux Jumeaux, m’ont coûté douze années de travail, et ils ne font pourtant en tout que deux mille quatre cents vers. Les chances, vous le voyez, ne seraient donc pas égales. À peine nos deux muses seraient-elles prisonnières, que la vôtre pourrait bien avoir terminé sa triple besogne avant que la mienne, pauvrette, eût trouvé sa première inspiration de commande… Ma muse se déclare d’avance vaincue, et je vous autorise à faire enregistrer ma déclaration… » Puis le poète ajoutait ce simple mot en post-scriptum : « Maintenant que vous connaissez la muse, connaissez l’homme. J’aime la gloire, mais jamais les succès d’autrui ne sont venus troubler mon sommeil… » Voilà comment, sous les pas de cet homme singulier, se multiplient les épisodes où se révèle avec mille saillies sa rare nature poétique et morale. Par une simultanéité significative, en même temps qu’il répondait de ce ton à un aussi singulier défi, Jasmin adressait des vers pleins de grace à Reboul sur leurs deux muses, — pastourelle et demoiselle qui avaient promis de s’aimer. « A l’une les capitales, — disait-il, — les grandes choses d’aujourd’hui, — les orgues, — les cathédrales - et le grand chemin du roi ; — et pour l’autre la petite église, — les prairies, les petits sentiers, — la cabane, la musette, — et parfois les rossignols. — Et pastourelle et demoiselle - qui ont promis de s’aimer, — à force de cheminer - chacune où le ciel l’appelle, — peut-être pourront arriver dans la glorieuse chapelle - en se tenant par la main… »

Rien ne prouve mieux, à mon avis, ce qu’il y a de vrai et de sain dans le charmant génie du poète méridional que le plein et naturel développement qu’il a pris depuis qu’il s’est dégagé des influences du début, comme un beau fruit du Midi échappé aux premières gelées, qui atteint toute sa maturité et toute sa saveur sous un ciel clément. Son instinct s’est affermi ; son inspiration s’est élevée et a pénétré comme en se jouant dans les détails des mœurs populaires ou dans les secrets de l’ame humaine ; il a fouillé sa langue pour en faire reluire les richesses inconnues. Son imagination s’est étendue sans étouffer le bon sens, ce bon sens que récemment, en empruntant une locution du peuple, il appelait l’aîné de l’esprit, — l’agnat de l’esprit. Cela ne vous fait-il pas souvenir de ce brave républicain qui prétendait qu’il n’y avait plus de saints sous la république ? Il n’y a plus d’aînés, pourrait-on dire avec autant de raison. Hélas ! oui, il n’y a plus d’aînés, et il ne manque point de gens particulièrement intéressés à trouver très réactionnaire le dernier droit d’aînesse resté en honneur dans le peuple ; cela ne doit point décourager Jasmin de poursuivre sa réhabilitation, dût-il passer pour quelque peu féodal et monarchique. On connaît déjà quelques-uns des plus gracieux ouvrages de l’aimable inventeur méridional, Françounetto, Marthe, les Deux Jumeaux, frais et émouvans tableaux de la vie populaire dans sa variété attachante[1]. Depuis la révolution de février même, la Semaine d’un fils est venue se joindre à ces compositions premières et a montré ce que peut produire cette idée de la peinture du travail germant dans une imagination saine. Il y a peu de temps encore, c’était un poème nouveau, Ville et Campagne, petit drame bref, rapide, animé, et qui, dans ses humbles proportions, contient une haute pensée morale et même sociale. Jasmin s’attaque en poète et non en déclamateur de parti à une des plaies contemporaines les plus vives. Qui n’a pu remarquer cette haine croissante de la pauvreté et du labeur obscur, cet abandon des campagnes et du travail de la terre comme d’une œuvre dégradante et méprisée ? La ville ! voilà le rêve magique de toutes les imaginations et le terme suprême de tous les désirs ! Là on vit véritablement ! là se réunissent tous les plaisirs, tous les moyens de succès et de fortune ! Celui qui ne deviendra point ministre sera bien tout au moins avocat ou homme de lettres ; celui qui ne visera point si haut aspirera encore à être un ouvrier d’un métier relevé. Au bout est l’incertitude, peut-être la faim, peut-être une mort misérable ; mais cela a le charme violent et terrible de l’abîme. Et pendant ce temps la terre, mère féconde des hommes, désertée, nue, s’enveloppera dans sa stérilité jusqu’à ce qu’il soit prouvé « que le secret du ciel, enfermé dans la terre, depuis six mille ans que l’homme la travaille, n’en est sorti pour le monde encore qu’à moitié. »

Telle est la pensée qui surgit dans le poème de Jasmin à travers les détails piquans ou émouvans d’une petite action dont le dénoûment va se confondre dans une large et vivante apothéose du travail de la terre. — Charles est le fils d’un laboureur de Madaillan qui lui a laissé quelque bien. Le triste jeune homme est pris du mal commun : ayant peu, il veut avoir beaucoup ; né dans des habitudes simples et rustiques, il aspire à quitter ce monde familier où il vit, à savourer les jouissances de la ville, et, en attendant, dans la métairie tout languit, tout est en souffrance. Le blé, est étouffé par l’herbe sauvage, les arbres sont rongés par les chenilles, le bœuf amaigri se traîne sans force sur le sillon. Le dégoût du travail de la terre est entré là, et il ne reste plus à Charles qu’à partir. Un jour, il engage quelques-uns des vieux amis de son père, parmi lesquels est le poète, le seul peut-être qui sache lire : c’est pour fêter son départ. Là éclate la pensée de cet antagonisme qui fait le fond de Ville et Campagne. Le jeune homme propose à ses honnêtes convives un toast à l’esprit nouveau. L’esprit nouveau est le roi de la fête. C’est lui qui va rajeunir le monde, — lui qui va faire de tous les fils de paysans des docteurs, des écrivains et des ministres, — lui qui va changer les chaumières en palais, les vestes en habits brodés, l’écuelle de bois en plat d’or, — et c’est la ville qui est la grande école où il faut aller. À quoi le plus vieux des convives répond sur un ton un peu moins lyrique par un toast : « A l’aîné de l’esprit, au bon sens ! » Au milieu de tout cela, le poète demi-railleur, demi-attristé, observe la scène, la décrit d’un trait mordant qui s’arrête devant la mémoire de son vieil ami, le père de Charles, et se dit à part lui : « Esprit nouveau, qui monsieurises tout… épargne au moins la poésie ; car, malheureux, il nous semble qu’en chantant, les chagrins ne sont pas si amers… » Charles cependant part pour la ville, et cette ville c’est Paris même. Là que lui arrive-t-il ? Qui aura un jour l’heureuse inspiration de tracer dans toute sa vérité et dans toute sa force l’histoire de quelqu’une de ces tentatives hasardeuses ? Qui sondera les plaies de ces existences jetées à l’aventure ? Celui-là aura assurément un cruel tableau à faire ; il aura à décrire bien des duels obscurs avec l’impossible, bien des déceptions accumulées, bien des compétitions fiévreuses, bien des vertus natives effacées au contact de la corruption de la grande ville, et au bout, le plus souvent, le choix entre des issues également coupables. Toujours est-il qu’un soir, passant sur le Pont-Neuf, à Paris, et saluant le roi gascon, « dont l’esprit nouveau n’obscurcira pas le nom, » le poète est attiré par un mouvement étrange qui se fait autour de lui : c’est un jeune homme qui vient de se précipiter dans la Seine, et ce jeune homme c’est Charles, qu’on a grand’peine à sauver. « La mort en avait assez ce jour-là, dit le poète ; l’agonisant au fond d’une barque est étendu ; nous voulons le réchauffer. Sur son visage, une torche jette sa lumière et vient me frapper au cœur j’ai reconnu l’apôtre de la ville, — Charles perdu peut-être, comme il y en a mille, Charles si jeune et qui a voulu mourir… » — Maintenant franchissez quelques années ; revenez un jour de printemps avec le poète à Madaillan. Tout est changé. Plus de ronces, d’orties, ni de chardons, comme la première fois : fruits et épis, vignes, prairies, troupeaux, tout cela est riche à éblouir l’œil. Une noce se prépare et la gaieté est partout. Quel est le marié ? C’est Charles qui, sauvé heureusement de la mort et bien guéri de ses idées, a repris le chemin de son village et s’est remis à l’œuvre. Il a prospéré, et le jour de son mariage il veut rassembler les vieux amis qu’il convia autrefois pour son départ. C’est au milieu d’eux et de ses amis plus jeunes, « sous un berceau d’ormeaux dont les feuilles frémissent, » qu’il découvre à tous son secret dans un simple et moral récit.


« Amis, dit-il, comme vous autres, enfant, de la campagne j’ai savouré l’air frais ; mais, homme fait, la gloriole, un voyage, m’eurent bientôt lancé dans les faux plaisirs. Du simple état de mon père je rougis. J’aurais voulu vous entraîner avec moi. Pour moi, les champs n’étaient qu’un cimetière, et dans la ville enfin quand je parus, tout me dit quelque temps que j’avais raison ; mais la vérité, à mon ame trop jeune, un jour prouva, hélas ! un peu trop fort que, si parfois la ville est un bon port, elle est trop souvent le chemin de la ruine… du désespoir et même de la mort ! de cette mort qui nous vient avant l’heure ! de cette mort qui, lorsque nous l’allons chercher, fait qu’au ciel, dit-on, la mère de Dieu en pleure ; et je le savais, et je l’ai fait pleurer ! Perdu, ruiné, un de ces jours où Dieu nous quitte, je rencontrai le gouffre et lui jetai ma vie… La mort sans doute, ce jour-là, en avait assez, car un matin je me vis sur un lit ; l’œil de mon père était fixé sur moi, et, dans ma fièvre, j’entendis ces mots : « L’or et l’honneur, malheureux, dans ton berceau étaient cachés sous la terre à tes pieds… » — Éclairé, à moitié guéri, je revins dans la vallée. Pendant quarante mois, vous m’avez vu tenir tête au travail ; le bonheur m’a souri, j’ai guéri tous mes maux. La campagne fut mon berceau, elle sera ma tombe, car j’ai compris la terre, j’ai sondé ce qu’elle vaut… La longue paix sortira de la terre ; les plus savans se feront laboureurs. Nous verrons partout fléchir la branche plus chargée ; la vigne épandra ses grappes plus fournies. Dans le sillon, l’or fin poussera en triple épi, et de la terre en grand défrichée, nous verrons sortir le baume si ardemment cherché, qui seul pourra guérir, dans la France déchirée, chez les grands et les petits, la plaie envenimée de la gloriole et de la pauvreté !… »

L’intérêt d’un poème de ce genre s’efface, s’atténue singulièrement, sans nul doute, dans le passage d’une langue à l’autre. Ce qu’on ne peut rendre, c’est une certaine fleur de vie, c’est le charme des détails où il y a bien plus d’invention que dans l’action même, c’est la variété inépuisable des traits, le piquant de l’observation et la poésie magnifique dans l’original des vers qui viennent clore ce dernier morceau. Il nous suffit de dégager la pensée intime de Ville et Campagne, résumée dans ce rappel de tous les enfans dispersés de la terre au sein de la mère commune, dont les destins sont annoncés dans une langue sibylline, fille de celle de Virgile, et qui rappelle, certes fort à l’insu du poète méridional, les vers de la IVe églogue sur le retour des temps saturniens :

Molli paulatim flavescet campus arista,
Incultisque rubens pendebit sentibus uva.

Un des plus grands secrets peut-être pour la poésie, c’est de ne point s’isoler du mouvement général au sein duquel elle se produit, sans sacrifier néanmoins son indépendance aux passions du moment qui s’agitent, sans se jeter en aventurière dans la mêlée des opinions et des intérêts qui se choquent. Il ne faut point, pendant que le monde souffre, qu’elle se livre à de prétentieux et stériles jeux d’imagination, et il ne faut point qu’elle se fasse l’auxiliaire des partis. Il y a un point, une limite où l’expression de l’immortelle vérité humaine prend dans la poésie un intérêt actuel, saisissant et utile. Jasmin a su trouver cette mesure, où, en restant dans le vrai, dans le domaine des sentimens supérieurs et immuables de l’ame humaine, il entre encore dans le vif aujourd’hui. La Semaine d’un fils, la Charité, le Médecin des Pauvres, les Prophètes menteurs, Ville et Campagne, tous ces morceaux sont de cet ordre, et forment les chants divers d’un même poème vrai, vivant, humain, compatissant, où la plainte est sans fiel, où les douleurs du pauvre, reproduites dans leur vérité poignante, cessent d’être une insulte ou une menace pour devenir un sujet de sympathique méditation, et où le plus pur souffle moral circule dans la plus touchante poésie. L’auteur de ces fragmens, de ce poème, peut assurément faire beaucoup de bien par son aimable et facile popularité, sans cesser de rester un poète, justement en restant un poète. D’ailleurs, lorsqu’on met un grand talent d’artiste au service des partis, le plus clair, c’est qu’on y veut gagner quelque chose ; qu’y gagnerait Jasmin ? Il y perdrait la bonne grace de sa muse, la sérénité charmante de son esprit, l’honnêteté et la dignité de sa vie. Jasmin s’en soucie-t-il ? En cette bienheureuse année 1848, qui n’a vu prospérer que des candidatures de toute espèce et de toute couleur, l’auteur des Deux Jumeaux mettait autant de soin à se tenir à l’écart et à refuser des suffrages que d’autres à les poursuivre. Il eut une voix pourtant aux élections, et ce fut ce qui le charma, d’abord parce qu’elle était seule, ensuite parce qu’elle venait du fond de l’Afrique, d’un pauvre soldat inconnu, de l’Agenais sans doute. Cette voix unique et désintéressée lui renvoyait du plus loin un écho de sa popularité de poète. C’était une voix donnée à Marthe, à l’Aveugle de Castelcuillé, à Françounetto, à toutes ces inventions qui font de Jasmin le créateur nouveau d’une vieille langue.

Il y a ainsi une sorte de charme suprême parfois à observer les singularités et les nuances les plus diverses du monde intellectuel, à interroger ces vieux débris, ces vieilles langues, et, — tandis que le génie de la France est visiblement plongé dans la crise la plus laborieuse, — à retrouver la trace de ces élémens primitifs vaincus, absorbés par lui, mais qui conservent néanmoins une certaine vie propre, une certaine saveur native et locale. Cette poésie survivante où palpite un vieux sentiment local peut nous faire faire quelque retour sur nous-mêmes et nous inspirer quelque réflexion. Où donc en est aujourd’hui la poésie française elle-même dans ce qu’elle a de plus large et de plus universel ? où sont ses œuvres et ses gages ? Les écoles qui ont eu la prétention d’exprimer dans la poésie la pensée du XIXe siècle sont mortes ou découragées, et véritablement nous assistons à un phénomène des plus étranges, celui d’une postérité prématurée s’emparant de toute une littérature dont les représentans vivent encore. N’est-il point tel poète dont il est avéré dès aujourd’hui que l’œuvre, dans ce qu’elle a eu de remarquable et de digne de rester, tiendra en un petit volume comme l’oeuvre de Ronsard ? Tel autre, en se commentant lui-même, en détruisant en prose le charme profond et idéal qui s’était attaché à ses vers, ne se rejette-t-il pas de ses propres mains dans l’histoire ? Ce n’est point qu’une inspiration plus jeune remplace l’inspiration des premiers jours ; ce n’est point que quelque chose de nouveau se manifeste et grandisse. C’est un des traits particuliers du moment où nous vivons de présenter en toute chose le caractère d’un interrègne, — interrègne singulier au point de vue littéraire, — où ce qu’il y a de mieux à faire pour goûter un peu de poésie franche et vive, c’est encore d’ouvrir des livres écrits dans des idiomes dont quelques races populaires originales conservent seules la tradition. Pourquoi s’en étonner d’ailleurs ? Chaque éclipse du génie universel de la civilisation rend leur intérêt aux génies locaux ; chaque défaillance de la grande patrie ravive dans les cœurs l’image de la petite.


CH. DE MAZADE.

  1. Voyez, sur Jasmin et ses poèmes, les livraisons de la Revue du 1er mai 1837, du 15 janvier 1842, du 1er décembre 1846 et du 1er avril 1849.