Un Rêve (Louise Guinard)

La bibliothèque libre.
Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 139-140).




UN RÊVE.


 
Elle eût pris quatorze ans quand ont fleuri les lis,
Ma douce Noémi dont le ciel fit un ange !
Heureuse près de Dieu d’un bonheur sans mélange,
Loin de ceux qu’elle aimait tous ses vœux sont remplis.

Et j’ai passé cinq ans sans l’avoir embrassée !
Elle que mes baisers cherchaient matin et soir ;
Je ne la vois jamais qu’en rêve et qu’en pensée,
Moi qui trouvais trop long un seul jour sans la voir !

Une nuit sur mon sein elle était revenue ;
Elle était grande et belle et ravissait mes yeux :
Son front avait gardé sa couleur ingénue,
Et son regard brillait de la splendeur des cieux.

Je me taisais : mon cœur avait trop à lui dire,
Et je la contemplais ; alors elle sourit,
D’un sourire aussi doux que son premier sourire,
Alors que, s’éveillant, son âme me comprit.


Noémi, parle, oh ! parle ; appelle-moi ta mère,
Lui dis-je en rappelant d’un doux nom enfantin :
„C’est, dit-elle, un grand bien que vivre sur la terre,
„Pour servir le Seigneur et pour l’aimer sans fin !“

Mon ange, encore un mot, un doux mot qui console.
Elle sourit encore et j’entendis sa voix ;
Mais je ne compris plus sa céleste parole ;
Et son doigt en fuyant me montrait une croix.

Mes pleurs se faisant jour rouvrirent ma paupière ;
Je m’éveillai disant encor son nom chéri :
Hélas ! voilà cinq ans qu’elle dort sous la pierre.
J’ai fermé ses beaux yeux quand les lis ont fleuri !