Un bon petit diable/18

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XVIII
repentir de charles — juliette le console


Charles s’assit en face du lit de la malheureuse folle et réfléchit. Il se souvint des nombreuses vengeances qu’il avait exercées contre elle, de la joie qu’il avait éprouvée en lui parlant de ses cinquante mille francs ; et en observant le bouleversement que cette révélation avait opéré dans l’esprit de Mme Mac’Miche, il se souvint des représailles auxquelles il s’était livré à chaque injustice ou violence dont il avait été victime. Il se souvint des conseils sages et modérés de la bonne Juliette, et il regretta de les avoir repoussés. Le délire, l’agonie de cette méchante femme, éveillèrent des remords dans cette âme naturellement droite et bonne. Il s’accusa d’avoir provoqué ce délire en lui faisant croire à ses relations avec les fées.

Il se repentit et il pleura. Après avoir pleuré, il pria ; agenouillé près du lit de cette femme dont la bouche vociférait des imprécations, il pria pour elle, pour lui-même ; il implora le pardon du bon Dieu pour elle et pour lui.

Quand Marianne vint savoir des nouvelles de sa cousine Mac’Miche, elle trouva Charles priant et pleurant encore. Surprise et effrayée, elle le releva.

« Qu’as-tu, mon Charlot ? Est-elle morte ? Où est Betty ? (Mme Mac’Miche était étendue pâle et sans mouvement ; son délire avait cessé.)

charles.

Elle vit encore, mais elle dit des choses horribles ! Elle demande son or, elle crie au voleur, elle blasphème contre le bon Dieu. Et je priais pour elle… et pour moi qui ai contribué à la mettre dans ce terrible état. Je ne sais où est Betty. Quand je suis entré, ma pauvre cousine était seule et en délire.

marianne.

Pauvre Charlot ! Tu as bon cœur ! C’est bien d’avoir prié pour elle ! Tu avais été si malheureux chez elle !

charles.

Mais je l’ai tant fait enrager de moitié avec Betty ! Je crains d’avoir contribué à sa maladie.

marianne.

Si tu as contribué à sa maladie, tu vas contribuer à sa guérison par les soins que tu lui donneras. Où comptais-tu aller en sortant d’ici ?

charles.

Chez Juliette, qui est seule depuis longtemps, et que je devais rejoindre dans une demi-heure.

marianne.

Eh bien, mon ami, pour commencer ton expiation, avant de rentrer, va chercher le médecin ; tu lui diras que je l’attends ici ; et tu lui expliqueras l’état dans lequel tu as trouvé ta cousine.

charles.

Oui, Marianne, j’y cours… Pauvre femme, dit-il en jetant un dernier regard sur Mme Mac’Miche, comme elle est affreuse ! Quel rire méchant elle a ! Tenez, elle ouvre les yeux ! Voyez comme elle les roule !

marianne.

Il est certain qu’elle a le regard… d’un diable, pour dire les choses telles qu’elles sont… Oui, tu as raison… Pauvre femme !… Que Dieu daigne la prendre en pitié ! Je la crois bien malade ; et peut-être après le médecin faudra-t-il le prêtre. »

Charles courut sans reprendre haleine jusque chez le médecin, auquel il expliqua la position alarmée de Mme Mac’Miche et l’attente de sa cousine Marianne.

Le médecin hocha la tête, et dit qu’il la considérait comme perdue par suite de l’exaltation où la mettait la restitution des cinquante mille francs opérée par le peace-justice ; il promit d’y retourner dès que son souper serait fini.

Charles se retira fort triste et se reprochant amèrement d’avoir provoqué cette restitution par sa lettre à M. Blackday. En rentrant, il ouvrit lentement la porte, et vint prendre place près de Juliette.

« C’est toi enfin, mon bon Charles ! dit Juliette dès qu’il eut ouvert la porte. Comme tu as été longtemps absent ! Que s’est-il donc passé ? Tu es triste, tu ne me dis rien.

charles.

Je suis triste, il est vrai, Juliette ; ma pauvre cousine est bien mal, et j’ai des remords d’avoir contribué à sa maladie par les peurs que je lui ai faites, les contrariétés que je lui ai fait supporter, et par-dessus tout par la part que j’ai prise dans la démarche du juge ; il lui a enlevé ce qu’elle avait à moi. Le médecin dit que c’est ça qui lui a donné le délire, la fièvre, ce qui la tuera peut-être ! Et c’est moi qui aurai causé sa mort. J’ai bien prié le bon Dieu pour elle et pour moi, Juliette !

juliette.

Oh ! Charles, que je suis heureuse de t’entendre parler ainsi ! Quel bien me fait ce retour sérieux à de bons sentiments ! Je l’avais tant demandé pour toi au bon Dieu !… Tu pleures, mon bon Charles ? Que Dieu bénisse ces larmes et celui qui les répand. »

Charles pleurait en effet ; il se jeta au cou de Juliette, qui mêla ses larmes aux siennes ; et il pleura quelque temps encore pendant que son cœur priait et se repentait.

juliette.

Charles, prends mon Imitation de Jésus-Christ, et lis-en un chapitre ; cela nous fera du bien à tous les deux. »

Charles obéit et lut avec un accent ému un chapitre de ce livre admirable.

Quand il eut fini, il se sentit remis de son trouble. Juliette était calme.

« Sais-tu, lui dit-elle, que lors même que tu n’aurais rien dit, rien demandé de la fortune que t’a laissée ton père, Marianne en avait déjà parlé au juge ; et pendant que tu étais dans ton affreux Fairy’s Hall, ils en avaient parlé sérieusement : Marianne avait remis au juge le reçu de Mme Mac’Miche, et M. Blackday s’était croisé avec une lettre du juge qui lui demandait des renseignements sur les sommes qui t’appartenaient et que retenait injustement ta cousine. Ainsi, tu vois que tu ne lui as fait aucun mal, et que tu ne dois avoir aucun remords.

charles.

Dieu soit loué ! Merci, Juliette, de ce que tu m’apprends ! Quel poids tu enlèves de dessus mon cœur ! »

Charles baisa la main de Juliette qu’il tenait dans les siennes.

juliette.

Elle est donc plus malade, cette pauvre femme ?

charles.

Marianne la trouve très mal, puisqu’elle a parlé du prêtre après le médecin. Elle a un affreux délire et la pauvre malheureuse ne parle que de son or ; c’est pénible à entendre !

juliette.

Voilà les avares ! ils aiment tant leur or, qu’ils n’ont plus de cœur pour aimer le bon Dieu ni les hommes. »

Quelqu’un frappa à la porte ; Charles alla ouvrir. C’était Betty et le charretier Donald.

charles.

Te voilà donc enfin, Betty ! Où étais-tu ? Marianne est près de ma cousine Mac’Miche, qui est très mal.

betty.

Je le crois bien, qu’elle est mal, après ce qui est arrivé ! M. le juge est venu reprendre la clef de la caisse, pour que personne ne pût y toucher pendant la maladie de Mme Mac’Miche. Ne voilà-t-il pas qu’il aperçoit les rouleaux d’or qu’elle tenait dans ses mains ? Vu son état, M. le juge craint qu’elle ne les perde, que quelqu’un ne les lui prenne ; quand elle voit que M. le juge et l’autre monsieur vont ouvrir la caisse, elle crie comme une possédée ; le juge, qui ne se trouble pas si facilement, revient près d’elle pour lui enlever ses rouleaux et les remettre dans la caisse ; elle se débat et crie de toute la force de ses poumons. L’autre monsieur venant en aide à M. le juge, ils parviennent à lui arracher son or, qu’ils enferment dans la caisse et en emportent la clef. À partir de ce moment elle est devenue folle furieuse. Elle me faisait peur, savez-vous ? Je me suis dit que jamais je ne passerais la nuit seule près de cette forcenée qui appelait les fées à son secours, et qu’il me fallait une société, un quelqu’un. J’ai couru de droite et de gauche sans trouver personne qui voulût bien me rendre ce service. Je me désolais, j’en pleurais, lorsque j’ai rencontré ce bon M. Donald, qui veut bien, lui ; seulement, nous venions voir Mlle Marianne pour qu’elle fasse prix avec M. Donald pour le temps qu’il passera près de la cousine Mac’Miche.

juliette.

Vous trouverez Marianne près de ma cousine ; elle y est depuis que Charles est allé chercher le médecin.

betty.

Tiens ! elle est donc plus mal, qu’on a été au médecin ?

juliette.

Charles dit que Marianne la trouve très mal.

betty.

Allons-y tout de suite, Monsieur Donald. Ces dames vous payeront bien, soyez tranquille.

donald.

Oui, si ce n’est pas votre bourgeoise qui paye.

betty.

Non, non, ça s’arrangera. Au revoir, la compagnie. »

Betty et Donald furent bientôt remplacés près de Charles et de Juliette par Marianne, qui leur dit que le médecin était fort inquiet, qu’il avait trouvé une fièvre ardente, le cerveau très entrepris ; il avait fait une forte saignée, laquelle n’avait encore amené aucun soulagement ; il trouvait que l’idée de Charles, de lui faire tenir de l’or dans ses mains, avait été excellente et avait déjà ramené du calme ; mais il craignait beaucoup que l’enlèvement violent de cet or n’amenât les plus funestes résultats.

« Betty vient d’arriver, ajouta Marianne, avec un charretier de ses amis pour veiller la cousine cette nuit, la soulever, la faire changer de position et surtout pour rassurer Betty elle-même, qui a une peur affreuse de tout ce que dit la cousine et des cris qu’elle pousse sans cesse. Et maintenant, continua Marianne, Charles va m’aider à préparer le souper ; notre journée a été toute dérangée depuis onze heures. Tu es pâle, ma pauvre Juliette. Veux-tu faire une petite promenade avec Charles pendant que je mettrai le couvert ? »

Juliette ayant accepté l’offre de sa sœur, Charles l’emmena.

« Si nous allions passer quelques instants à l’église, Charles ? veux-tu ? Et nous irons de là chez M. le curé pour lui faire connaître l’état de notre malheureuse cousine, et lui demander d’aller la voir.

— Avec plaisir, Juliette ; je prierai mieux à l’église que chez ma cousine Mac’Miche. »

Ils y allèrent et rencontrèrent en sortant l’excellent curé, qu’ils informèrent de l’état de Mme Mac’Miche.

« Je vais y aller, dit-il ; j’y passerai la nuit s’il le faut, mais je ne la laisserai pas mourir sans sacrements. »

Charles et Juliette abrégèrent leur promenade, parce que Charles ne voulait pas laisser Marianne tout préparer à elle seule, pour leur souper.

Après le repas vint le coucher ; on s’aperçut, au dernier moment, qu’on n’avait pas de lit pour Charles. Il proposa de coucher sur deux ou trois chaises, mais Juliette s’y refusa absolument ; elle coucha avec Marianne, et abandonna son lit à Charles, malgré une résistance désespérée.